Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 10 juillet 2006

2 [Déclaration liminaire de l'Accusation]

3 [Audience publique]

4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.

6 Mme LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vais demander au Greffier

7 d'audience de citer l'affaire inscrite au rôle.

8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Mesdames et Messieurs les Juges.

9 Affaire IT-05-87-T, le Procureur contre Milan Milutinovic et consorts.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je salue toutes les personnes ici

11 présentes. Aux fins de l'ouverture du procès, vous verrez que nous avons

12 désormais un Juge de réserve, Mme le Juge Nosworthy, comme je vous l'avais

13 dit vendredi.

14 Je vais maintenant inviter M. le Procureur, M. Hannis, à prononcer sa

15 déclaration liminaire.

16 Vous avez la parole.

17 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour.

18 Au cours de la présentation que je vais faire ce matin, Mesdames et

19 Messieurs les Juges, je vais vous montrer des images. Si j'ai bien compris,

20 il faudra que vous appuyiez sur la touche réservée à ce qu'on appelle le

21 système e-court pour voir ces images.

22 Mesdames et Messieurs les Juges, en 1999, le Kosovo faisait la une de

23 l'actualité internationale avec des images nous montrant des conflits et

24 des convois de milliers et de milliers de réfugiés albanais du Kosovo, des

25 femmes, des enfants, des personnes âgées qui quittaient le pays à pied ou

26 dans des charrettes tirées par des tracteurs. Ce procès va vous dire

27 comment et pourquoi il y a eu cet exode humain du Kosovo. Il va vous dire

28 aussi qui en a été responsable.

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1 Nous affirmons que les éléments de preuve que nous allons vous

2 apporter vont vous montrer que ces six accusés, Milan Milutinovic, Nikola

3 Sainovic, Dragoljub Ojdanic, Nebojsa Pavkovic, Vladimir Lazarevic et Sreten

4 Lukic furent des coparticipants avec Slobodan Milosevic et d'autres

5 fonctionnaires politiques, fonctionnaires de la police et de l'armée serbe

6 dans une entreprise criminelle commune, ECC.

7 Je vais vous dire ici, d'ores et déjà, que je vais sans doute me servir de

8 plusieurs sigles et abréviations au cours de ma présentation, et je vais

9 vous remettre à tous une liste de ces sigles et abréviations. Ceci va être

10 fait par notre commis à l'audience. Je crois comprendre que la Défense a

11 déjà reçu copie de cette liste.

12 L'objectif poursuivi par cette entreprise criminelle commune, ECC,

13 était de manipuler ou de modifier l'équilibre ethnique au Kosovo de façon à

14 maintenir et faire perdurer le contrôle serbe sur la province du Kosovo. La

15 question du pourquoi, le motif, ce n'est pas un élément qu'il nous faut

16 prouver ici en l'espèce, mais c'est un fait qui peut vous aider, vous,

17 Mesdames et Messieurs les Juges qui êtes les Juges des faits, de comprendre

18 les preuves que nous allons apporter, quelles sont ces preuves. Elles vont

19 montrer l'importance que revêtait le Kosovo pour les dirigeants serbes et

20 l'importance toute particulière que le Kosovo revêtait en particulier pour

21 Slobodan Milosevic.

22 Pour mieux vous expliquer les preuves à charge que nous allons

23 apporter, je voudrais vous parler comme si j'étais un journaliste vous

24 relatant quelque chose de vécu, quelles sont les six questions de base que

25 nous allons poser : Que ? Quoi ? Quand ? Où ? Qui ? Pourquoi ? Et comment ?

26 Je vais commencer par la question du où. Le Kosovo, où se trouve-t-

27 il ? Pendant quelques instants, je vais vous parler de la géographie et de

28 la démographie du Kosovo. Il est sans doute utile de vous montrer quelques

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1 cartes pour dire en quelques mots quelle fut l'histoire du Kosovo. Au cours

2 du procès, vous verrez qu'on va parler du Kosovo de diverses façons.

3 Quelquefois, vous entendrez parler du Kosovo i Metohija, parfois le sigle

4 KiM est utilisé.

5 L'INTERPRÈTE : KM en français, précise l'interprète.

6 M. HANNIS : [interprétation] Les Albanais du Kosovo parlent parfois

7 du Kosova, la plupart des représentants internationaux et l'Accusation

8 parleront du Kosovo.

9 Je ne sais pas si vous avez maintenant cette carte à l'écran.

10 J'espère que c'est le cas.

11 Avant les guerres qui ont marqué le début des années 1990, l'ex-

12 Yougoslavie, qui s'appelait alors la République fédérative socialiste de

13 Yougoslavie, RSFY, présentait cet aspect-ci. La RSFY se composait alors de

14 six républiques. Je les reprends par ordre alphabétique : la Bosnie-

15 Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la

16 Slovénie. En Serbie même, il y avait ce qu'on a appelé deux provinces

17 autonomes, celle de Vojvodine et celle du Kosovo. Nous reviendrons à la

18 question de l'autonomie plus tard, à ce que ce concept recouvre.

19 Vous le voyez sur cette carte, le Kosovo se trouvait dans le sud de la

20 République de la Serbie. Après les accords de paix de Dayton signés en

21 décembre 1995, le Kosovo était devenu une république constitutive de la

22 Serbie qui était devenue une république constitutive de la République

23 fédérale de la Yougoslavie. Au nord, nord-ouest du Kosovo, vous avez la

24 République du Monténégro; à l'ouest, sud-ouest, la République de l'Albanie;

25 et au sud, l'ancienne République yougoslave du Macédoine.

26 Le Kosovo était un territoire convoité par beaucoup pendant de beaucoup de

27 son histoire. Les Albanais du Kosovo affirment que leurs ancêtres, les

28 Illyriens et les Dardaniens, étaient les premiers habitants de la région.

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1 Par ailleurs, les Serbes font remonter les débuts de leur histoire

2 politique et religieuse au Kosovo du Moyen Age. Entre 1912 et 1918, et une

3 fois de plus pendant la Deuxième Guerre mondiale, le Kosovo a été occupé

4 par plusieurs forces. Fin de la Deuxième Guerre mondiale, le Kosovo a été

5 officiellement annexé à la Serbie, rattaché à la Serbie.

6 Vous verrez qu'en fait, sur le plan géographique, le Kosovo est un

7 territoire assez petit. Je vais vous le montrer grâce à ce graphique qui va

8 vous montrer la taille qu'aurait le Kosovo par rapport aux Pays-Bas. Vous

9 constatez que le Kosovo fait à peine 150 kilomètres là où il est le plus

10 large, et même quelle que soit la direction dans laquelle on le traverse.

11 Vous allez maintenant voir les plus grandes villes du Kosovo, notamment sa

12 capitale qui se trouve vers le milieu, vers la droite, Pristina.

13 Maintenant, sur cette carte-ci, vous allez voir les quelque 30

14 municipalités du Kosovo.

15 Vous allez peut-être remarquer que dans notre acte d'accusation et sur

16 certaines des cartes que nous allons vous montrer, on a deux façons

17 d'épeler ces noms. En général, vous avez d'abord la version en serbe suivie

18 de la façon albanaise de le dire. Quelquefois, c'est la même notion, le

19 même nom. Pour certains endroits, ce n'est pas toujours vrai. Quelques

20 témoins utiliseront la version serbe, d'autres la version en albanais pour

21 parler de tel ou tel endroit. Nous allons en général utiliser la façon

22 serbe de dénommer ces endroits afin que les accusés sachent de quoi nous

23 parlons.

24 Je suppose qu'en fin de procès, on connaîtra un peu les deux façons

25 de désigner ces lieux-dits.

26 Parlons des villes et des municipalités. Qui est-ce qui vivait au Kosovo ?

27 Bien, avant tout, il y avait deux groupes ethniques : les Albanais et les

28 Serbes, qui représentaient ensemble quelque 90 % de la population.

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1 Avant le conflit de 1999, le dernier recensement où pratiquement toute la

2 population a participé a eu lieu en 1981. Ce recensement a montré que le

3 Kosovo a une population totale d'environ 1 585 000 citoyens; 77 % d'entre

4 eux étaient des Albanais et 13 % étaient des Serbes. Les 10 % restant se

5 composaient de représentants de diverses communautés ethniques : les Rom,

6 les Turques, et quelques autres qui étaient tous englobés dans la catégorie

7 appelée "autres".

8 Les Albanais du Kosovo ont boycotté le recensement effectué en 1991,

9 mais si on fait des estimations générales de la population du Kosovo en

10 1998, il semblerait que cette année-là, le Kosovo comptait une population

11 qui faisait entre 2 et 2,2 millions d'habitants. Les Albanais

12 représentaient environ 80 à 85 % de cette population; les Serbes, de 5 à 10

13 %. Voici des chiffres et des pourcentages qui vous seront utiles plus tard

14 lorsque nous allons parler du nombre d'Albanais du Kosovo transférés de

15 force à l'intérieur du Kosovo ou déportés du Kosovo au cours de l'année

16 1999.

17 Abordons maintenant la question du quand ces faits se sont produits.

18 Je voudrais rapidement reprendre cette chronologie des événements qui va

19 aboutir au conflit de 1999. Toutes les infractions retenues contre les

20 accusés dans notre acte d'accusation, l'infraction de persécutions dont le

21 viol, voies de fait, vols, destruction de propriétés, pillage et

22 destruction de lieux de culte et de biens culturels ainsi que des

23 assassinats, les transferts forcés et les expulsions, tout ceci s'est

24 produit au cours des six premiers mois de 1999. L'acte d'accusation

25 affirmait également que les forces de la RFY, la République fédérale de

26 Yougoslavie, et de la Serbie ont une conduite similaire en 1998. Nous y

27 reviendrons.

28 Mais pour mieux comprendre les événements qui se sont produits au

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1 cours des six premiers mois de 1999, il faut que nous revenions sur

2 l'histoire qui a marqué cette région.

3 En 1974, une nouvelle constitution est adoptée en République

4 socialiste fédérative de la Yougoslavie, et ceci a provoqué un transfert du

5 pouvoir, qui n'est plus simplement dans les mains des autorités fédérales

6 centrales, mais passe par les vers les six républiques constitutives :

7 Bosnie, Croatie, Macédoine, Monténégro, Serbie et Slovénie, ainsi que les

8 deux provinces Vojvodine et du Kosovo. Ces pouvoirs donnés par la nouvelle

9 constitution incluent notamment un contrôle de la république ou de la

10 province sur l'appareil judiciaire, sur la police, ainsi que sur

11 l'enseignement. De surcroît, le Kosovo se voit accorder un droit de

12 représentation à l'assemblée fédérale ainsi qu'à la cour constitutionnelle

13 et au sein de la présidence de la RSFY.

14 Le président Tito de Yougoslavie décède en 1980; c'est alors que des

15 troubles politiques se manifestent au Kosovo. Dans les années 1980, les

16 Serbes du Kosovo manifestent leur inquiétude disant qu'ils font l'objet de

17 discrimination de la part du gouvernement provincial où il y a une majorité

18 albanaise.

19 En 1986, ce qu'on a appelé le mémorandum de la S-A-N-A, écrit par

20 certains intellectuels serbes de l'Académie serbe des arts et sciences, est

21 rendu public. Dans ce document, il est question, et là je cite, "d'un

22 génocide physique, politique, judiciaire et culturel de la population serbe

23 au Kosovo-Metohija."

24 Au cours de cette même période dans les années 1980, les Albanais du

25 Kosovo manifestent eux aussi leurs préoccupations devant le sous-

26 développement économique de la province. Les Albanais du Kosovo veulent

27 davantage de libéralisation politique et le statut de république pour le

28 Kosovo. Commence dans les années 1980 et se poursuit de façon intermittente

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1 dans les années 1990 un mouvement de manifestation organisé par les

2 Albanais du Kosovo souvent réprimé par la force, par l'armée et la police

3 de Serbie.

4 En 1986, Slobodan Milosevic monte dans la vie politique en

5 Yougoslavie. Il est élu président du présidium du comité central de la

6 Ligue des Communistes de Serbie. En avril 1987, il va au Kosovo et il fait

7 là un discours qui va être un discours qui va marquer la période qui va

8 suivre à l'intention des Serbes du Kosovo. C'est là l'adoption apparente

9 par lui du nationalisme serbe. Ce discours fait l'objet de beaucoup de

10 publicité. Il en devient un héros aux yeux de beaucoup de Serbes. Vraiment,

11 c'est un tournant dans sa carrière politique. Il a commencé à surfer sur la

12 vague croissante du nationalisme, et il prend de plus en plus de contrôle

13 parmi les dirigeants politiques de la RSFY. Plus tard, Milosevic allait

14 arriver à croire que sa carrière politique allait capoter s'il cédait aux

15 revendications des Albanais du Kosovo, revendications de nature ethnique.

16 Parallèlement, les Albanais au Kosovo continuaient de faire pression pour

17 obtenir davantage d'indépendance. En octobre 1988, se déroulent des

18 manifestations contre le nationalisme serbe à cause des inquiétudes qu'il y

19 a quant à savoir si la province va garder son statut d'autonomie. En

20 février 1989, grève massive de travailleurs au Kosovo, surtout de mineurs,

21 car il y a des menaces qui pèsent sur l'autonomie du Kosovo qui risque

22 d'être révoquée.

23 Milosevic et la présidence de la RSFY répondent avec vigueur à ces troubles

24 qui persistent au Kosovo en déclarant que la dégradation de la situation

25 était telle qu'elle menaçait la constitution, l'intégrité et la

26 souveraineté du pays. La présidence de la RSFY impose "des mesures

27 spéciales". Ces mesures spéciales redonnent l'autorité de la police et la

28 responsabilité en matière de sécurité publique au gouvernement fédéral de

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1 la RSFY, l'enlevant au gouvernement provincial du Kosovo.

2 Le 23 mars 1989, il y a réunion de l'assemblée du Kosovo, et nous, le

3 bureau du Procureur, nous affirmons que cette réunion a eu lieu sous la

4 contrainte, sous des menaces et l'intimidation notamment, ce n'est pas de

5 façon insignifiante que ce fut le cas; par la présence de chars en dehors

6 du bâtiment de l'assemblée. Les membres ont voté pour renoncer au contrôle

7 qu'ils avaient sur la police, le système d'enseignement, le choix de la

8 langue officielle et le pouvoir de veto quant à des modifications apportées

9 à l'avenir à la constitution serbe. Quelques jours plus tard, l'assemblée

10 de Serbie approuve les modifications constitutionnelles, les amendements et

11 révoque l'autonomie qui avait été, jusque-là, accordée en 1974 au Kosovo.

12 Les tribunaux et les conseils municipaux du Kosovo cessent de fonctionner.

13 Il n'est pas surprenant que ceci provoque davantage de grèves et de

14 manifestations au Kosovo, autant d'actions réprimées vigoureusement avec

15 des dizaines de manifestants qui sont tués et des centaines qui sont

16 traduits en justice.

17 Lors de la journée commémorant le 600e anniversaire de la bataille du

18 Kosovo en juin 1989, date importante pour la Serbie, Milosevic apparaît

19 devant une foule énorme à Gazimestan au Kosovo, il fait un autre discours

20 où il entrevoit la possibilité de batailles armées qui risquent de

21 survenir. Vous allez entendre la bande sonore en B/C/S de cet extrait que

22 nous aimerions maintenant diffuser. Vous entendrez la foule. Vous avez à

23 l'écran la traduction en anglais. Si vous voulez entendre le son, il vous

24 faudra chausser vos écouteurs.

25 [Diffusion de cassette vidéo]

26 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

27 "Six siècles plus tard, aujourd'hui, une fois de plus nous faisons

28 face à des combats. Ce ne sont pas des batailles armées, même s'il ne nous

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1 faut pas exclure cette possibilité. Mais indépendamment du type de

2 batailles que ce sera, elles ne peuvent pas être gagnées sans courage et

3 sacrifices. Nous devons être ici sur ce champ où nous sommes depuis des

4 centaines d'années."

5 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous n'avons pas eu la traduction en

7 anglais dans les écouteurs.

8 M. HANNIS : [interprétation] Non, mais vous avez vu les sous-titres.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je l'ai vu, mais on n'était pas censé

10 entendre ceci ?

11 M. HANNIS : [interprétation] Oui, ce n'était pas ici aux fins de la

12 présentation que je fais en ce moment.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Fort bien. Poursuivez.

14 M. HANNIS : [interprétation] Au cours des quelques années qui ont suivi

15 après la mise en place de ces mesures spéciales, mesures discriminatoires à

16 l'égard des Albanais du Kosovo et de leur volonté d'une plus grande

17 indépendance, la situation au Kosovo devient de plus en plus intense et

18 tendue. La Serbie prend le contrôle absolu de la police, des tribunaux, de

19 l'enseignement. Des milliers d'Albanais du Kosovo qui ont des professions

20 telles que celles de médecin, de professeur, d'enseignant, de policier ou

21 de fonctionnaire de la fonction publique sont licenciées. La violence

22 policière contre les Albanais du Kosovo s'intensifie. Des mesures

23 discriminatoires sont prises au début des années 1990 afin de maintenir le

24 contrôle serbe sur la province.

25 Alors que les Albanais du Kosovo perdent leurs fonctions, leurs emplois en

26 raison de leur appartenance ethnique, ils sont souvent remplacés par des

27 Serbes, que ceux-ci soient qualifiés pour le poste qu'ils vont occuper ou

28 pas. Après que commence la guerre en Croatie et en Bosnie au début des

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1 années 1990, beaucoup de Serbes qui ont dû quitter, qui étaient des

2 réfugiés de ces républiques, sont réinstallés au Kosovo, et des mesures

3 incitatives toutes particulières sont destinées aux Serbes pour les

4 encourager à s'installer au Kosovo, mais cet effort destiné à modifier

5 l'équilibre ethnique prévalant au Kosovo n'est pas couronné de succès.

6 En juillet 1990, l'assemblée du Kosovo adopte une résolution officieuse

7 déclarant que le Kosovo est une entité à part entière, indépendante au sein

8 de la RSFY, sur un pied d'égalité avec les autres républiques, celles de

9 Serbie, Croatie et Bosnie. L'assemblée de Serbie réagit au cours des

10 quelques jours qui suivent en adoptant une décision qui suspend ou dissout

11 l'assemblée du Kosovo.

12 Pourtant, cette assemblée dissoute ou suspendue du Kosovo reste active et,

13 en septembre 1990, elle proclame la constitution de ce qui pourrait devenir

14 la République du Kosovo. Un an plus tard, en septembre 1991, les Albanais

15 du Kosovo organisent un référendum officieux, la réponse est écrasante.

16 Elle est en faveur de l'indépendance. Ceci correspond à ce qui s'est passé

17 ailleurs en ex-Yougoslavie, en Bosnie, en Croatie.

18 En mai 1992, les Albanais du Kosovo organisent des élections officieuses,

19 non officielles, en vue de l'organisation d'une assemblée, et pour avoir un

20 président de leur propre République du Kosovo. Ibrahim Rugova, fondateur et

21 membre de la Ligue démocratique du Kosovo - mon albanais n'est pas parfait,

22 loin de là - mais ce sera LDK, "Lidhja Demokratike e Kosoves". Rugova est

23 choisi président. Six ans plus tard, il sera réélu à ce poste. Au début des

24 années 1990, le gouvernement de coalition non officiel dirigé par la LDK

25 poursuit une politique de résistance civile non-violente et commence à

26 établir des institutions parallèles non officielles, notamment dans le

27 domaine de l'éducation et des soins de santé.

28 Entre-temps, que se passait-il dans le reste de la Yougoslavie ? D'une

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1 part, l'ancienne Ligue des Communistes perdait la mainmise qu'elle avait

2 eue sur le parti en tant que parti au pouvoir. En 1990, beaucoup de

3 nouveaux partis politiques voient le jour dans le pays tout entier,

4 notamment plusieurs partis nationalistes. Slobodan Milosevic, lui, il

5 renforçait sa base de pouvoir, puisqu'il avait été choisi comme président

6 de la Serbie en décembre 1990. Il devient aussi président d'un parti qui

7 vient de se former, le Parti socialiste serbe, SPS. Ce dernier devient le

8 parti politique le plus puissant en Serbie. Il le restera jusqu'à l'année

9 2000. Il ne faut pas sous-estimer le pouvoir qu'a ce parti en Serbie. Il

10 est président du SPS, et en tant que tel, Milosevic avait de facto le

11 pouvoir de nommer et de licencier, un pouvoir énorme de choisir aussi ceux

12 qui allaient occuper les postes les plus importants, les plus puissants au

13 gouvernement, dans les médias, dans le monde bancaire, dans tout ce qui

14 était important en Serbie. Milutinovic et Sainovic, deux de nos accusés,

15 ont eu des postes et des fonctions très importantes au sein du SPS.

16 Pourquoi ont-ils ce pouvoir de facto en tant que membres de ce parti ?

17 C'est aussi grâce à leur adhésion au parti et à leur relation avec

18 Milosevic.

19 Dans le reste de la RSFY, on commence à voir une fragmentation, on commence

20 à voir toute une série de guerre. D'abord une guerre assez brève en

21 Slovénie, puis en Croatie et en Bosnie, les combats vont se poursuivre là

22 en 1991 et 1992 jusqu'aux accords de Dayton, signés en décembre 1995.

23 Il est intéressant de relever que les accords de Dayton restent muets sur

24 le Kosovo. C'est sans doute une grande déception pour beaucoup d'Albanais

25 du Kosovo qui avaient espéré qu'effectivement on pourrait assouvir leur

26 soif d'indépendance grâce à ces accords.

27 Cette déception peut peut-être expliquer les événements qui vont se

28 produire au Kosovo. Expliquer surtout cette déception croissante que vont

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1 ressentir beaucoup d'Albanais du Kosovo à l'égard du Dr Rugova et de la

2 politique menée par la LDK qui est une politique de résistance pacifique.

3 Même si Rugova a réussi à conclure un accord en 1996 avec Milosevic qui

4 permettrait de rendre aux Albanais du Kosovo certains droits en matière

5 d'éducation notamment, cet accord, n'a jamais été mis en œuvre.

6 Quoi qu'il en soit, vers le milieu des années 1990, une faction

7 d'Albanais du Kosovo organise un groupe qu'on appelle "Ushtria Clirimtare e

8 Kosoves", UCK, ce qui sera appelé en anglais la KLA, "Kosovo Liberation

9 Army". L'UCK à l'inverse de la position adoptée par la LDK prônait une

10 politique d'insurrection armée et de résistance violente face aux autorités

11 serbes au Kosovo.

12 Vers le milieu de l'année 1996, l'UCK a commencé à lancer des

13 attaques armées surtout contre les forces de la police serbe. Celles-ci

14 réagissent en force en lançant de nombreuses opérations sur ce qu'ils

15 soupçonnent comme étant des bases de l'UCK et des partisans du Kosovo. La

16 persécution des civils albanais du Kosovo devient de plus en plus chose

17 commune et se généralise. C'est un schéma d'agressions avec d'un côté des

18 assauts de l'UCK et de l'autre côté celle des assauts menés par les forces

19 de la RFY et de la Serbie. Ce schéma va se poursuivre en 1997, en 1998 avec

20 de plus en plus de violence.

21 Je parle ici des "forces de la RFY et de la Serbie". Dans notre acte

22 d'accusation, dans le mémoire préalable au procès, ceci inclus non

23 seulement les unités de l'armée yougoslave, la VJ, et du ministère de

24 l'Intérieur, le MUP, au Kosovo, mais aussi plusieurs unités territoriales

25 ou militaires ou de la Défense territoriale, de la Défense civile, des

26 forces de défenses villageoises, donc des personnes de la région qui sont

27 armées, et aussi des unités de volontaires qui sont rattachées, ou

28 affectées à, ou versées parmi les forces de la VJ ou du MUP. Là, on

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1 commence à parler de la question du qui.

2 Au début 1996 et en 1997, il n'y avait pas beaucoup de membres de

3 l'UCK, ces hommes étaient peu armés, désorganisés. La plupart des

4 dirigeants étaient à l'étranger. En partie à cause de la disponibilité

5 d'armes supplémentaires, étant donné qu'il y avait un désordre de plus en

6 plus grand dans l'Albanie voisine et aussi parce qu'il y avait de plus en

7 plus de volontaires, l'UCK a vu arriver parmi ses rangs dès 1998 plusieurs

8 milliers de membres. Elle a commencé à être de plus en plus active contre

9 la police serbe, mais aussi parfois à l'égard d'Albanais du Kosovo qu'on

10 croyait fidèles aux autorités serbes.

11 Les conflits ont commencé à s'intensifier. La Serbie a réagi aux

12 activités de l'UCK mais d'une façon qui a en général été considérée comme

13 étant disproportionnée et comme représentant une utilisation excessive et

14 sans discrimination de la force contre des civils albanais du Kosovo. Des

15 villages et des villes ont été pilonnés, leurs habitants en ont été

16 chassés. Des manifestants pacifiques ont été arrêtés par la force. Le

17 problème a pris une telle ampleur qu'il a attiré l'attention de la

18 communauté internationale.

19 En mars 1998, les forces serbes lancent une opération dans la

20 municipalité de Srbica, attaquent le village de Donji Prekaz et tuent

21 quelque 50 personnes dont plusieurs femmes et des enfants de la famille

22 d'Adem Jashari dans la propriété familiale. La propriété familiale, c'est

23 un terme un peu difficile parce qu'il recouvre quelque chose qui est tout à

24 fait particulier à l'architecture des Albanais du Kosovo. Vous avez en

25 général des maisons occupées par plusieurs génération de la même famille

26 qui sont entourées d'une enceinte, d'un mûr - ceci ne veut pas dire que,

27 par exemple, la famille Jashari vivait d'un espèce de "fort militaire" qui

28 aurait été quelque chose d'inhabituel.

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1 En mars 1998, le Conseil de sécurité des Nations unies estime

2 nécessaire d'adopter une résolution, la Résolution 1160 qui condamne, je

3 cite : "Le recours excessif à la force de la part des forces de police du

4 Kosovo à l'égard de civils et de manifestants pacifiques au Kosovo." Dans

5 cette résolution, on condamne aussi le recours à la violence de la part de

6 l'UCK.

7 En mai 1998, du fait des opérations menées par les forces de la RFY

8 et de la Serbie, quelque 15 000 Albanais du Kosovo avaient fui vers

9 l'Albanie et quelque 28 000 personnes avaient été déplacées à l'intérieur

10 du Kosovo et avaient dû quitter leurs foyers. En dépit, de la résolution

11 adoptée en mars 1998 par les Nations Unies qui condamnait de telles

12 pratiques, Milosevic et les forces de la RFY et de la Serbie décident non

13 seulement de poursuivre les opérations dirigées contre l'UCK, notamment

14 contre la population civile là où opère l'UCK, elles décident aussi

15 d'accroître le niveau et la portée de cette campagne. En juillet 1998, les

16 forces de la RFY et de la Serbie ont entamées une offensive à grande

17 échelle sur l'ensemble du territoire de la province du Kosovo. Cette

18 opération impliquait entre autres diverses brigades du Corps de Pristina de

19 la VJ, alors commandée par le général Nebojsa Pavkovic, et des unités

20 spéciales du MUP.

21 Il est intéressant de noter ici qu'au cours du mois précédent le

22 lancement de cette grande offensive estivale nous assistons à la création

23 du commandement conjoint pour le Kosovo-Metohija chargé de coordonner des

24 affaires civiles et des activités de l'armée et de la police entre autres.

25 Le rôle et l'importance de ce commandement conjoint sont reflétés

26 dans un ordre de la VJ daté 7 juillet 1998, ordre émanant du commandant de

27 la 125e Brigade motorisée par lequel on interdisait la conduite

28 d'opérations sans l'aval du commandement conjoint. Les réunions du

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1 commandement conjoint étaient quasiment quotidiennes entre les mois de

2 juillet et octobre 1998 à l'époque de cette grande offensive. Trois de nos

3 accusés, MM. Sainovic, Pavkovic et Lukic, y ont souvent assisté. En 1999,

4 M. Lazarevic rejoindra les trois autres personnes mentionnées au sein du

5 commandement conjoint pour assister à des réunions. Nous parlerons

6 davantage de ce commandement conjoint lorsque nous traiterons de la

7 question du qui.

8 Face à cette campagne continue d'usage disproportionné de la force à

9 l'encontre de la population civile du Kosovo, le Conseil de sécurité des

10 Nations Unies a adopté une nouvelle résolution le 23 septembre 1998. La

11 Résolution 1199 demandait un cessez-le-feu immédiat au Kosovo, la présence

12 d'observateurs étrangers chargés de surveiller l'application du cessez-le-

13 feu et le retrait des forces de sécurité utilisées pour réprimer la

14 population civile. Cette résolution et l'indignation croissante au plan

15 national et international ont contraint Milosevic a participé à des

16 négociations internationales auxquelles ont participé, entre autres,

17 l'ambassadeur des Etats-Unis, Richard Holbrooke et les généraux Klaus

18 Naumann et Wesley Clark de l'OTAN à la fin de l'année 1998. L'OTAN était

19 sur le point de lancer les frappes aériennes contre la Serbie dans

20 l'éventualité où l'usage disproportionné et indiscriminé de la force à

21 l'encontre de la population civile au Kosovo se poursuivrait.

22 Vous entendrez des témoignages détaillés concernant ces négociations qui se

23 sont déroulées à la fin du mois d'octobre 1998. Outre Milosevic, côté

24 serbe, il y avait le général Djordjevic du MUP et deux des co-accusés en

25 l'espèce, Milan Milutinovic et Nikola Sainovic.

26 Les représentants de l'OTAN au cours de ces négociations ont insisté pour

27 que soit mis un terme à l'usage disproportionné de la force contre la

28 population civile, et on demandait une réduction de la présence des forces

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1 du MUP et de la VJ au Kosovo.

2 Après avoir exprimé son accord et signé le document résultant de ces

3 négociations, Milosevic a déclaré qu'il s'efforcerait de trouver une

4 solution à la question du Kosovo au printemps de l'année 1999. Il a déclaré

5 que l'une des conditions préalables à l'aboutissement d'une solution serait

6 de parvenir à un équilibre entre les différents groupes ethniques. M.

7 Sainovic a expliqué qu'il avait un problème concernant le taux de natalité

8 élevé au sein de la population albanaise du Kosovo et qu'il s'agissait de

9 trouver une solution afin de ne pas connaître un problème similaire

10 quelques années plus tard. Lorsque Naumann et Clark ont demandé des

11 éclaircissements, Milosevic déclarait qu'ils agiraient de même qu'en 1945

12 et 1946, ce qui revenait à dire qu'ils rassembleraient tout le monde pour

13 les abattre. Milosevic a laissé entendre que le problème du Kosovo serait

14 résolu au printemps de l'année 1999.

15 Cet accord conclu le 25 octobre 1998 prévoyait la création et le

16 déploiement d'une mission de vérification de l'OSCE au Kosovo appelée

17 Mission de vérification de l'OSCE au Kosovo. Cette mission était composée

18 d'observateurs non armés qui devaient être déployés dans la province afin

19 de vérifier le respect des termes de l'accord ainsi conclu. Vous entendrez

20 des témoignages concernant l'expérience vécue par les membres de la MVK.

21 Un rapport des Nations Unies a indiqué qu'à la fin du mois d'octobre

22 1998 environ 285 000 Albanais du Kosovo avaient été déplacés de chez eux,

23 soit à l'intérieur du territoire du Kosovo. Certains d'entre eux ont campé

24 dans les montagnes, les forets, les champs ou dans d'autres villages;

25 d'autres ont franchi les frontières du Kosovo pour s'installer dans un pays

26 voisin. Je vous rappelle que, comme nous l'avons dit un peu plus tôt, la

27 population totale du Kosovo était de 285 000 personnes, ce qui constitue

28 plus de 15 % de la population totale de la province à l'époque, donc une

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1 personne sur 6 ou 7 dans le pays.

2 Malheureusement, les accords conclus au mois d'octobre n'ont pas reçu

3 les succès escomptés. Au début, les forces serbes ont commencé à se

4 retirer. Cependant, l'UCK a agi rapidement afin de reconquérir ces terrains

5 ainsi abandonnés, et a continué à agir de façon active à l'encontre des

6 forces de la RSFY et de la Serbie. Au mois de décembre, les forces serbes

7 ont commencé de nouveau à s'accroître en nombre. Entre le moment de leur

8 arrivée en novembre 1998 et jusqu'à leur départ en mars 1999, les

9 observateurs de la MVK ont constaté qu'outre les opérations menées contre

10 l'UCK, les forces de la RSFY et de la Serbie ont continué à commettre des

11 actes de violence à l'encontre de la population civile.

12 Il est également intéressant de noter dans notre chronologie qu'à la

13 fin de l'année 1998, Milosevic a effectué certains remaniements importants

14 pour ce qui est de la composition du commandement de la VJ. Selon

15 l'Accusation, notre position sera étayée par les éléments de preuve que

16 nous présenterons, ces remaniements visaient en partie à remplacer des

17 personnes qui avaient critiqué la politique menée par Milosevic au Kosovo

18 ou avaient exprimé des préoccupations à ce sujet. Ces personnes

19 considéraient qu'il n'avait pas été fait un bon usage de l'armée dans ces

20 circonstances.

21 Les preuves montreront qu'on envisageait de nommer des personnes à

22 des postes importants afin de suivre la politique qu'envisageait de mener

23 Milosevic pour régler le problème du Kosovo au printemps 1999, à savoir,

24 les questions relatives à l'équilibre ethnique. Suite à ces remaniements,

25 le général Dragoljub Ojdanic est devenu chef de l'état-major général de la

26 VJ. Le général Nebojsa Pavkovic a été nommé à la tête de la 3e Armée.

27 Vladimir Lazarevic a été promu afin de remplacer Pavkovic en tant que

28 commandant de l'unité subordonnée à la 3e Armée au Kosovo, le Corps de

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1 Pristina.

2 D'autres remaniements ont été effectués s'agissant des officiers

3 supérieurs dans le courant de l'année 1999, et ce, pour des raisons

4 similaires. Ces remaniements ne concernaient pas uniquement la VJ, mais ont

5 concerné également le MUP, Radomir Markovic a été nommé en remplacement de

6 Jovica Stanisic en tant que chef des services de Sûreté de l'Etat. Nous

7 traiterons de cela plus en détail lorsque nous parlerons de la question du

8 qui.

9 Une opération menée par les forces de RSFY et de la Serbie à la mi-

10 janvier 1999 a entraîné la mort de 40 Albanais du Kosovo à Racak, ceci a

11 provoqué l'attention de la communauté internationale et le chef de la MVK

12 s'est rendu sur les lieux, il a fait des déclarations publiques à ce sujet.

13 Cet évènement a contribué à encourager les efforts visant à mettre un terme

14 à la violence au Kosovo. D'autres efforts menés par la communauté

15 internationale afin de résoudre la crise au Kosovo ont donné lieu à une

16 conférence de paix internationale tenue à Rambouillet et à Paris, en

17 France, en février 1999. Côté serbe, il y avait Nikola Sainovic et Milan

18 Milutinovic, les Albanais étaient représentés par des élus du gouvernement

19 officieux des Albanais du Kosovo, notamment Rugova et des représentants de

20 l'UCK.

21 Au cours de ces négociations, les combats au Kosovo se sont

22 poursuivis et les forces serbes ont commencé à s'amasser le long des

23 frontières du Kosovo. Ces pourparlers ont échoué à la mi-mars 1999. Après

24 l'échec de ces négociations, les membres de la MVK se sont retirés du

25 Kosovo. Le 23 mars 1999, la RFY a proclamé une menace de guerre imminente.

26 Le lendemain, le 24 mars 1999, "l'état de guerre" a été proclamé et les

27 bombes de l'OTAN ont commencé à tomber sur le Kosovo et ailleurs en Serbie.

28 Les membres de l'entreprise criminelle commune s'étaient déjà rendu compte

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1 dès le mois de février 1999 qu'en cas d'attaque par l'OTAN, il serait

2 possible de parvenir à leur objectif, qui était de modifier l'équilibre

3 ethnique en prétendant ou en se servant du prétexte d'écraser l'UCK.

4 Lorsque cette occasion s'est présentée, ils ont mené des opérations

5 conjointes de grande envergure en ayant recours aux forces de la RFY et de

6 la Serbie. L'objectif de l'entreprise criminelle commune, qui était de

7 modifier l'équilibre ethnique et de maintenir le contrôle serbe dans la

8 province et de chasser autant d'Albanais que possible du Kosovo dans le

9 courant du conflit qu'ils opposaient à l'OTAN, cet objectif a été en grande

10 partie rempli au début du mois d'avril, même si d'autres opérations isolées

11 ont eu lieu par la suite.

12 Nous parlerons plus en détail par la suite des expulsions et des

13 meurtres reprochés dans l'acte d'accusation, lorsque nous traiterons de la

14 question du quoi. Mais tout d'abord, je pense qu'il conviendrait de parler

15 du qui.

16 Nous pensons que les preuves qui seront présentées mettront en exergue les

17 personnes et les instances les plus importantes impliquées dans les

18 événements sous-tendant les crimes retenus dans l'acte d'accusation.

19 Slobodan Milosevic. On ne saurait parler du conflit au Kosovo en 1999 sans

20 mentionner son nom. Il était président de la RFY, un dirigeant politique

21 incontesté, et sans équivoque la personne la plus puissante dans le pays à

22 l'époque des crimes reprochés dans l'acte d'accusation. Dans cette

23 entreprise criminelle commune, il était le chef. C'est lui qui donnait les

24 ordres. C'était lui qui planifiait les événements. C'était l'instigateur

25 des crimes.

26 Milosevic s'est entouré de disciples loyaux qui partageaient son point de

27 vue concernant l'importance du Kosovo pour la Serbie. Il comptait sur ces

28 personnes pour prendre les mesures nécessaires afin de modifier l'équilibre

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1 ethnique au Kosovo et de préserver ainsi le contrôle serbe de la province.

2 En tant que président de la RFY et président du parti principal, le SPS,

3 Milosevic avait l'autorité de jure et de facto, il avait un droit de regard

4 sur les recrutements, sur les licenciements et sur les promotions au sein

5 des différents organes du gouvernement de l'armée et de la police. Il s'est

6 servi de cette autorité pour s'assurer que les postes importants seraient

7 occupés par des personnes qui partageaient ses positions.

8 Nous avons parlé un peu plus tôt de l'importance du Kosovo pour Milosevic.

9 C'est là que son ascension vers le pouvoir a commencé. Il pensait également

10 que son maintien au pouvoir pendant et après les guerres menées en Croatie

11 et en Bosnie dépendait en partie du maintien du contrôle sur le Kosovo et à

12 l'intérieur du Kosovo. Au cours de différentes négociations avec des

13 représentants de la communauté internationale, Milosevic a dit à ces

14 derniers que le Kosovo était plus important que sa propre tête.

15 Milan Milutinovic. Milan Milutinovic était une personne haut placée au sein

16 du SPS et un proche collaborateur de Slobodan Milosevic. Il était le

17 président de la Serbie entre décembre 1997 et décembre 2002. En tant que

18 président de la Serbie, c'était l'un des trois membres du Conseil suprême

19 de la Défense ayant droit de vote. Nous reviendrons à ce sujet plus tard.

20 Lors de l'état de guerre proclamé en RFY le 24 mars 1999, la plus haute

21 instance dirigeante était le "commandement Suprême". Nous en parlerons plus

22 en détail plus tard.

23 Le président Milutinovic était également membre du commandement Suprême. La

24 position importante occupée par Milutinovic en tant que président de la

25 Serbie, membre du Conseil suprême de la Défense et membre du commandement

26 Suprême, ainsi que ses rapports étroits avec Milosevic et sa position

27 importante au sein du SPS, le parti au pouvoir, tout ceci a contribué à lui

28 conférer une autorité de jure et une influence de facto sur l'armée, la

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1 police, d'autres organes et d'autres personnes, contribuant à réaliser les

2 objectifs de l'entreprise criminelle commune. Il s'est servi de ses

3 pouvoirs pour aider Milosevic à nommer d'autres membres de l'entreprise

4 criminelle commune, à les promouvoir afin qu'ils occupent des postes

5 importants au sein de la VJ. C'était l'un des proches de Milosevic. Il a

6 servi d'intermédiaire entre Milosevic et différents représentants de la

7 communauté internationale, notamment des diplomates. Il a joué un rôle

8 important lors des négociations menées à Rambouillet en février 1999.

9 Il a également contribué de façon très importante à l'objectif de

10 l'entreprise criminelle commune en prenant le 31 mars 1999 le "décret

11 relatif aux pièces d'identité en temps de guerre". Nous en parlerons plus

12 en détail lorsque nous aborderons la question des expulsions.

13 Nikola Sainovic. A de nombreux égards, Nikola Sainovic était un

14 collaborateur encore plus proche de Slobodan Milosevic. Il faisait partie

15 de ce que l'on appellera le cercle des intimes. C'était également un membre

16 important du SPS. De 1994 à l'an 2000, il occupait le poste du vice-premier

17 ministre de la RFY.

18 En 1998 et 1999, Sainovic a été choisi personnellement par Milosevic

19 pour s'occuper des questions relatives au Kosovo. Les diplomates étrangers

20 qui souhaitaient s'entretenir avec les autorités de la RFY concernant le

21 Kosovo étaient renvoyés vers Sainovic. Il était chef du commandement

22 conjoint pour le Kosovo-Metohija en 1999. Il participait également

23 fréquemment aux négociations tenues au plus haut niveau avec des diplomates

24 étrangers et d'autres personnes, concernant les questions relatives au

25 Kosovo. Il a également occupé le poste de président de la commission de la

26 RFY chargée de la coopération avec la MVK. Il a participé de façon active

27 aux négociations menées en octobre 1998 avec l'OTAN, et en février 1999, à

28 Rambouillet.

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1 Comme nous l'avons dit, en tant que vice-premier ministre de la RFY

2 et personne désignée par Milosevic pour représenter les autorisés en ce qui

3 concerne les questions relatives au Kosovo, en tant que chef du

4 commandement conjoint également, Nikola Sainovic exerçait une autorité et

5 un contrôle effectif sur les forces de la RFY et de la Serbie qui opéraient

6 sur le terrain au Kosovo pendant l'année 1999.

7 Dragoljub Ojdanic. De juin 1996 à novembre 1998, le général Dragoljub

8 Ojdanic a occupé le poste d'adjoint au chef de l'état-major de la VJ. Le 24

9 novembre 1998, il a été nommé par Slobodan Milosevic afin de remplacer le

10 général Perisic en tant que chef de l'état-major général de la VJ. En sa

11 qualité de chef de l'état-major général de la VJ, c'était l'officier le

12 plus haut placé dans la hiérarchie au sein de la VJ.

13 Il est dit dans le manuel de la direction et du commandement de la VJ

14 datant de 1997, que "les commandants des armées de l'aviation, de la

15 défense antiaérienne et de la marine rendent compte au chef de l'état-major

16 général de l'armée, ainsi que les commandants des unités et des formations

17 provisoires qui lui sont immédiatement subordonnées." Il a également occupé

18 le poste de président du "collégium" de la VJ.

19 En tant que chef de l'état-major principal de la VJ, il était

20 également membre du conseil suprême de la Défense. Après que l'état de

21 guerre eut été proclamé le 24 mars 1999, il est devenu membre du

22 commandement Suprême et s'est trouvé à la tête de l'état-major du

23 commandement Suprême.

24 En tant que chef de l'état-major général de la VJ et membre en temps

25 de guerre du commandement Suprême et de l'état-major du commandement

26 Suprême, le général Ojdanic exerçait une autorité et un contrôle effectif

27 sur la VJ et les unités qui lui étaient subordonnées. Il exerçait également

28 des fonctions de direction et de commandement sur la 3e Armée de la VJ et

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1 sur les unités du Corps de Pristina qui étaient déployées au Kosovo pendant

2 l'année 1999. En outre, après le 23 mars 1999, alors que l'état de guerre

3 avait été proclamé, en vertu de la loi sur la Défense de la RFY, Ojdanic,

4 en sa qualité de chef de l'état-major du commandement Suprême, exerçait un

5 contrôle sur les unités du MUP engagées dans les opérations de combat ainsi

6 que sur d'autres organes qui lui étaient subordonnées ou agissaient de

7 concert avec la VJ.

8 Nebojsa Pavkovic. Entre janvier 1998 et le 25 décembre 1998, le

9 général Nebojsa Pavkovic était le commandant du Corps de Pristina de la 3e

10 Armée de la VJ. Le 25 décembre 1998, il a été nommé par décret présidentiel

11 commandant de la 3e Armée. Il a assumé ces fonctions le 13 janvier 1999 et

12 est resté à ce poste pendant tout le long de l'année 1999. Pavkovic était

13 également un membre et un participant du commandement conjoint au Kosovo en

14 1998 et 1999.

15 Pavkovic avait des liens étroits avec Milosevic. Il a partagé aussi

16 l'attitude qu'avait Milosevic à propos de l'importance du Kosovo pour la

17 Serbie. Il déclare publiquement que "les racines serbes se trouvent au

18 Kosovo et que tout ce qui est lié aux Serbes et à tout ce qui était lié aux

19 Serbes pendant tous ces siècles se trouvait là."

20 Son attitude à l'égard de la crise au Kosovo, il la détermine dans

21 une lettre en juillet 1998, adressée à ses supérieurs. Il regrette que la

22 VJ ne soit pas plus vigoureuse dans le rôle qu'elle joue au Kosovo. Il

23 parle de la "perte du Kosovo et du génocide des Serbes".

24 Commandant de la 3e Armée de la VJ, il exerce une autorité de

25 commandement et un contrôle effectif sur la 3e Armée du Corps de Pristina

26 et des autres unités armées au Kosovo qui sont subordonnées à la VJ en

27 1999. D'après la loi fédérale sur la Défense, après la déclaration d'état

28 de guerre le 24 mars 1999, il a un contrôle de jure aussi sur les unités du

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1 MUP qui participent au combat au Kosovo.

2 Vous avez ensuite le général Lazarevic. En 1998, il était chef

3 d'état-major du Corps de Pristina, au Kosovo. Le 25 décembre 1998, lorsque

4 son supérieur immédiat Pavkovic est nommé commandant de la 3e Armée,

5 Lazarevic est nommé par décret présidentiel commandant du Corps de

6 Pristina. Il est membre actif et participant au commandement conjoint du

7 Kosovo. Commandant du Corps de Pristina, il exerce un commandement et une

8 direction directe sur le Corps de Pristina de la VJ et d'autres unités

9 subordonnées à ce corps au Kosovo pendant la période retenue dans l'acte

10 d'accusation.

11 Lukic, de mai 1998 et pendant toute l'année 1999, il est chef de

12 l'état-major du MUP au Kosovo. Il est donc le plus haut placé du MUP sur le

13 terrain au Kosovo. Il a dirigé les opérations du MUP au Kosovo et il était

14 membre participant du commandement conjoint. Chef du MUP au Kosovo, Lukic a

15 une autorité effective et un contrôle des unités du MUP au Kosovo et aux

16 unités qui lui sont subordonnées pendant les opérations au Kosovo.

17 Maintenant, nous allons avoir quelques individus qui sont

18 participants dans l'entreprise criminelle commune. Djordjevic. Djordjevic a

19 été retenu dans l'acte d'accusation initial. Vous le savez malheureusement,

20 M. Djordjevic n'est pas avec nous aujourd'hui. Même s'il a été mis en

21 accusation, il est resté en fuite et nous n'avons pas pu l'arrêter.

22 Vlastimir Djordjevic était le ministre adjoint de l'Intérieur en

23 République de Serbie. Il était chef du secteur de la sécurité publique,

24 RJB, autre sigle que vous allez apprendre à connaître. Il rendait des

25 comptes au ministère de l'Intérieur directement et il était le supérieur

26 immédiat de l'accusé Sreten Lukic. Vous avez ici, maintenant, cet

27 organigramme qui va vous montrer comment se présentait le commandement

28 Suprême. Nous allons y revenir dans un instant, mais je voudrais aussi vous

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1 donner certains noms de protagonistes essentiels. Nous reviendrons à cet

2 organigramme.

3 Stojiljkovic était ministre de l'Intérieur en Serbie de mars 1998

4 jusqu'au mois d'octobre 2000. Depuis, il a perdu la vie, il est décédé,

5 mais nous affirmons qu'il faisait partie de l'entreprise criminelle commune

6 et qu'il sera souvent mentionné au cours de son procès. Il était ministre

7 de l'Intérieur en tant que tel, il était le chef, le boss du MUP, et c'est

8 lui dirigeait le personnel du MUP pendant cette opération.

9 Vous avez ensuite Obrad Stevanovic, qui lui aussi était membre du

10 ministère de l'Intérieur et s'occupait du RJB, donc la sécurité publique.

11 Il était le chef d'une sous-unité du RJB, qu'on appelle l'administration de

12 la police, et il sera souvent mentionné dans ce procès en rapport avec la

13 police en tenue, les unités de la police en tenue au Kosovo.

14 Encore un, Radomir Markovic. Lui aussi était un adjoint du MUP au

15 même niveau que Djordjevic. C'était le chef de la division de la division

16 de la sécurité d'Etat, la RDB, par opposition à la division publique. Il

17 s'agissait surtout de policiers en civil, la police secrète, si on veut,

18 qui s'occupait en prédominance de la collecte d'informations et de

19 renseignements concernant la sécurité de l'Etat de la République de Serbie,

20 mais vous allez entendre aussi également qu'ils avaient une unité en tenue

21 qui participait.

22 Nous allons maintenant parler d'un certain nombre des organisations

23 des unités du groupe qui participaient aux événements. L'armée yougoslave,

24 la VJ. Vous pouvez voir sur votre écran maintenant un organigramme qui vous

25 montre le commandement, la structure de commandement. Le général Ojdanic,

26 qui était le chef d'état-major en temps de paix et chef du commandement

27 Suprême en temps de paix, donc, après la déclaration de l'état de guerre le

28 24 mars 1999. C'était en quelque sorte le chef dans la chaîne de

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1 commandement militaire en tenue.

2 Un de ses subordonnés directs, et vous allez pouvoir le voir sur

3 l'organigramme juste en dessous de lui, était le général Pavkovic, le

4 commandement de la 3e Armée. Puis, un petit peu plus bas dans la chaîne, à

5 droite de l'organigramme, encore un autre de nos accusés, le général

6 Lazarevic, à l'époque le commandant du Corps de Pristina, qui avait une

7 responsabilité principalement pour la zone du Kosovo. En dessous de lui,

8 vous allez voir 20 unités différentes, des bataillons, et cetera,

9 d'infanterie, des forces spéciales.

10 L'armée yougoslave, la VJ, et son organe de commandement général, qui

11 était l'état-major pendant l'état de guerre, comme je l'ai déjà dit,

12 devenait le commandement Suprême ou l'état-major du commandement Suprême.

13 Les groupes stratégiques suivants étaient subordonnés au chef d'état-major

14 de l'armée : la 1ère Armée, la 2e Armée et la 3e Armée, les forces de l'air

15 et de défense aérienne, et la marine. Au Kosovo, c'étaient les unités de la

16 3e Armée du général Pavkovic qui étaient actives pendant la période

17 concernée par l'acte d'accusation. En particulier, le Kosovo était la

18 première zone de responsabilité du Corps de Pristina sous le général

19 Lazarevic. Si parfois j'utilise le terme générique "armée" ou "soldats", je

20 me réfère aux éléments ou au personnel de la VJ.

21 La VJ était une armée moderne de professionnels. Le droit de

22 commandement de la VJ appartenait au président de la RFY Milosevic et à des

23 officiers désignés en tant que tels, y compris le chef de l'état-major

24 Ojdanic, les officiers qui commandaient les unités, Pavkovic pour la 3e

25 Armée, Lazarevic pour le Corps de Pristina, et cetera. Le commandement dans

26 la VJ était basé sur les principes de l'unicité du commandement et les

27 obligations qu'il y avait d'exécuter les ordres légaux d'un supérieur.

28 L'exercice du commandement dans la VJ incluait le développement de plans,

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1 la production d'ordres par l'état-major. La direction, y compris les

2 ordres, était émise par l'état-major sous l'autorité d'Ojdanic en tant que

3 chef d'état-major, ils étaient dirigés à la 3e Armée, Pavkovic. La 3e Armée

4 continuait ce même processus, orientait et donnait des ordres jusqu'au

5 Corps de Pristina, et le général Lazarevic qui, à son tour, donnait des

6 ordres aux brigades et aux bataillons qui lui étaient subordonnés. Il

7 s'agissait d'une procédure standard dans une armée professionnelle selon

8 laquelle l'état-major supérieur met en place des plans, donne des

9 orientations et des ordres à ses unités subordonnées qui sont exécutés à

10 chaque niveau dans la hiérarchie de la VJ, c'est quelque chose comme j'ai

11 dit auparavant de courant dans toute armée professionnelle.

12 Donc nous avons une direction et des ordres partant du niveau le plus élevé

13 de commandement qui, en fin de compte, sont transformés en combats et en

14 d'autres opérations sur le terrain au Kosovo. Beaucoup des opérations de la

15 VJ étaient menées avec le MUP et/ou avec des unités militaires

16 territoriales et coordonnées à travers le commandement conjoint. La VJ

17 avait également un système de discipline militaire et de justice, et nous

18 allons parler plus tard dans la discussion concernant les criminels

19 responsables en vertu de l'article 7(3) du Statut de ce Tribunal,

20 responsables en tant que n'ayant pas pu prévenir ou punir des crimes commis

21 par les subordonnés.

22 Nous allons maintenant parler du MUP, le ministère de l'Intérieur ou la

23 police. Sur votre écran vous avez un organigramme, le ministère de

24 l'Intérieur était mandaté par la loi serbe pour protéger les vies humaines

25 et la sécurité des personnes et de leurs possessions afin de maintenir

26 l'ordre. Je pourrais utiliser parfois le terme générique "police", quand je

27 l'utilise cela veut dire les unités et/ou le personnel du MUP.

28 Vous pouvez voir que le ministre se trouve tout en haut. Vous pouvez voir

Page 443

1 que le MUP avait deux branches principalement : la division de la Sécurité

2 publique, à savoir la division en tenue, la RJB, dont le chef est en fuite,

3 Vlastimir Djordjevic et la division de Sécurité de l'Etat, la RDB, dont le

4 chef était Radomir Markovic.

5 En plus de la police en tenue régulière qui faisait le travail quotidien de

6 la police que nous connaissons tous, la prévention des crimes, les

7 enquêtes, le fait de faire respecter le code de la route, et cetera, le

8 côté RJB du MUP avait également un certain nombre d'unités spéciales qui

9 étaient très armées, spécialement formées et équipées pour mener des

10 opérations y compris des opérations de combat et des choses que ne pouvait

11 pas faire la force de police régulière.

12 Au Kosovo en 1998 et 1999, les unités spéciales suivantes ont participé

13 activement. Du côté de la RJB, dans la maison du MUP, vous allez voir trois

14 cadres. Ce sont les unités de police spéciale ou la PJP; les groupes de

15 ratissage opérationnel, et bien que le MUP fût principalement concerné par

16 le renseignement et l'information, il avait également son unité spéciale

17 qui était en tenue et était néanmoins engagée dans des opérations de combat

18 au Kosovo. Cette unité spéciale RDB s'appelait l'unité des opérations

19 spéciales et porte le sigle JSO.

20 Sur l'organigramme, vous pouvez voir qu'il y a ces quatre divisions

21 qui tombent sous la coupe du QG du MUP, et on peut voir que Sreten Lukic

22 était à la tête du QG du MUP au Kosovo à cette époque.

23 En plus de tout ceci, il y avait des réservistes au MUP qui pouvaient

24 venir prêter aide au contingent régulier. Les réservistes d'ethnicité serbe

25 du MUP formaient le cœur des unités de défense locale qui ont été établies

26 dans beaucoup d'endroits au Kosovo. Comme je l'ai dit, à l'intérieur de la

27 province du Kosovo, le travail standard du MUP était divisé sur une base

28 géographique. Il y avait sept QG régionaux différents, distincts qui

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1 s'appelaient des secrétariats de l'Intérieur ou des SUP, je n'aime pas vous

2 donner un autre sigle, mais il s'agit d'un S-U-P. Les SUP étaient

3 responsables des tâches de la RJB dans les municipalités que comporte la

4 province du Kosovo.

5 Sur votre écran, vous pouvez voir les SUP régionaux. Maintenant nous

6 allons vous en montrer un autre qui vous montre les municipalités qui

7 étaient couvertes par chacune de ces sept SUP régionaux.

8 Maintenant, je vais vous parler du Conseil de Défense suprême. En

9 1992, la constitution de la RFY met principalement la responsabilité de la

10 défense du pays dans les mains du SDC, du président de la RFY et de la VJ.

11 En 1999, la SDC était composée du président de la Serbie, Milan

12 Milutinovic; le président du Monténégro, Milos Djukanovic; le président de

13 la FRY, Slobodan Milosevic. Il n'y avait que trois membres ayant droit de

14 vote au SDC. Le général Ojdanic en tant que chef de l'état-major de

15 l'armée, lui, était un des membres qui n'avait pas droit de vote au SDC. La

16 SDC était une des autorités les plus haut placées responsables d'affaire

17 stratégique concernant la défense de la République fédérale de la

18 Yougoslavie. Son mandat sous la constitution de la RFY était de décider des

19 affaires concernant la défense nationale, y compris le plan de défense

20 nationale et des carrières des généraux de la VJ.

21 Si nous en revenons au diagramme que nous avions, nous allons pouvoir

22 parler du commandement Suprême.

23 Pendant l'état de guerre, comme je l'ai dit qui a commencé le 24 mars

24 1999, le commandement Suprême devenait l'organe dirigeant militaire et

25 civil le plus haut placé de la République fédérale de Yougoslavie.

26 Effectivement, il prend la place de la SDC. A sa tête, il y avait Slobodan

27 Milosevic en tant que commandant suprême. Celle-ci formulait la stratégie,

28 donnait des ordres et commandait des opérations par les forces de la RFY et

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1 de la Serbie pendant l'état de guerre déclaré. Les autres membres du

2 commandement Suprême incluaient Milutinovic, Ojdanic, le ministre de la

3 Défense de la RFY.

4 Pendant l'état de guerre, l'état-major de la VJ devenait l'état-major

5 du commandement Suprême, une fois encore avec à sa tête le général Ojdanic.

6 La direction était donnée par le commandement suprême Milosevic, et celui-

7 ci déterminait les activités à la fois du chef l'état-major du commandement

8 Suprême, le général Ojdanic, et le chef du commandement conjoint, Nikola

9 Sainovic, et toutes les unités sous leur commandement, leur contrôle et

10 leur direction.

11 Je vais parler maintenant du commandement conjoint pour le Kosovo-

12 Metohija. Le commandement conjoint du Kosovo-Metohija avait été mis en

13 place en juin 1998. C'est à cette époque-là que cette opération d'envergure

14 d'été, dont j'ai parlé tout à l'heure, a eu lieu et cela a continué à

15 fonctionner pendant la première moitié de 1999. Ses orientations étaient

16 données par le président Milosevic, son rôle était de coordonner les

17 affaires civiles et les activités de la VJ, du MUP et les autres

18 organisations armées et des groupes au Kosovo. Au début à sa tête, on y

19 trouvait Milomir Minic, un membre de haut rang de la SPS et du cercle

20 intime de Milosevic, ensuite Nikola Sainovic en devint le chef de facto.

21 D'autres membres ou participants étaient Pavkovic, Lazarevic, Sreten Lukic,

22 de même que le chef du comité exécutif local temporaire, un homme qui

23 s'appelait Zoran Andjelkovic.

24 Maintenant, le commandement conjoint n'était pas un organe qui avait été

25 établi par la constitution de la Yougoslavie ou dans un schéma statutaire

26 de celle-ci ou de la Serbie. Cependant, celui-ci était soutenu par Slobodan

27 Milosevic, et il était accepté par les autres membres de l'entreprise

28 criminelle conjointe. Le commandement conjoint était responsable d'assurer

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1 que les forces de la République fédérale socialiste de Yougoslavie et de

2 Serbie au Kosovo menaient des opérations de manière coordonnée, et selon

3 les objectifs politiques du leadership, à savoir, Milosevic et les membres

4 avec lui de l'entreprise criminelle conjointe.

5 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Je suis désolé de vous interrompre,

6 mais est-ce que cela veut dire que le commandement conjoint n'était pas

7 dans le texte de la constitution ?

8 M. HANNIS : [interprétation] C'est exact.

9 Le commandement conjoint était très proche de la planification, de

10 l'exécution et la surveillance de différentes opérations de combat au

11 Kosovo pendant la première moitié de 1998 [comme interprété]. En effet, le

12 commandement conjoint rassemblait deux chaînes de commandement séparées de

13 la VJ et du MUP, que vous pouvez voir sur l'écran.

14 Nous allons voir ce que l'un de nos accusés avait dit concernant le

15 commandement conjoint. En juin 2001, dans le contexte d'un débat public

16 entre notre accusé le général Pavkovic et le général Sreten Lukic, le

17 général Pavkovic disait la chose suivante à propos du commandement conjoint

18 et son rôle vis-à-vis de la VJ et du MUP, et je cite :

19 "La police avait son propre QG dont le commandement était effectué par

20 leurs propres officiers. La coopération avec l'armée était coordonnée à

21 travers des acteurs politiques dans le commandement conjoint qui avait été

22 établi dans ce but. Par conséquent, l'information concernant ce que

23 faisaient les unités de la force de police était donnée et fournie dans sa

24 meilleure qualité -- enfin, la meilleure information a été fournie par les

25 commandants de la police et les membres du commandement conjoint qui en

26 étaient chargés."

27 A ce stade, je voudrais alerter les Juges de la Chambre quant à l'existence

28 d'un autre organe en Serbie qu'on appelle parfois le commandement conjoint.

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1 En 1998 et 1999 à Belgrade en Serbie, il y avait un autre organe ad hoc

2 composé de responsables de police militaire et politiques de haut rang qui

3 se rencontraient et parlaient d'affaires concernant les événements et les

4 actions au Kosovo. Les participants dans cet organe incluaient Milosevic,

5 Sainovic, Ojdanic, Pavkovic et d'autres. Mais cet organe n'avait pas de

6 base apparente légale, ni de titre officiel. On l'appelait en dehors de

7 "commandement conjoint", on l'a appelé également parfois la "commission

8 d'Etat" ou "l'état-major interdépartemental pour la suppression du

9 terrorisme."

10 Ce groupe se rencontrait à Belgrade, et doit être distingué du commandement

11 conjoint du Kosovo, qui se rencontrait à Pristina au Kosovo pendant 1998 et

12 1999. Nous, en tant qu'équipe de l'Accusation, utilisons le terme

13 "commandement conjoint," lorsque nous parlons de l'organe qui se

14 rencontrait au Kosovo, bien que beaucoup de gens utilisent ce terme pour

15 les deux groupes. Nous utilisons le terme "commandement conjoint" pour nous

16 référer à l'organe qui se rencontrait au Kosovo. Lorsqu'il est fait

17 référence au groupe de Belgrade, nous l'identifierons spécifiquement d'une

18 façon différente au fur et à mesure.

19 L'état-major du MUP au Kosovo se trouvait à Pristina, et à partir du mois

20 de juin 1998 jusqu'en juin 1999, était sous la responsabilité de Sreten

21 Lukic. Son but était de gérer le travail du MUP concernant la suppression

22 du terrorisme au Kosovo, d'organiser et diriger le travail des unités du

23 MUP lorsque celui-ci menait des tâches de sécurité plus complexes dans la

24 province. D'autres membres du QG du MUP au Kosovo incluaient la RDB, la

25 sécurité d'Etat, les chefs du département de la police secrète au Kosovo,

26 de même que les chefs des sept MUP régionaux du Kosovo. En tant que chef

27 d'état-major du MUP au Kosovo, Sreten Lukic devait rendre compte vis-à-vis

28 du ministre des Affaires intérieures. Des rapports de situation quotidiens

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1 étaient envoyés entre autres au ministre, aux adjoints du ministre qui

2 étaient à la tête de la RJB et la RDB, à savoir Vlastimir Djordjevic, le

3 côté en tenue de cette maison, et Rade Markovic du côté police secrète de

4 la maison. En plus de ces rapports quotidiens, les chefs des SUP

5 régionales, les sept chefs des SUP régionales devaient faire rapport

6 lorsqu'il y avait des événements significatifs, pas simplement envoyés au

7 QG du MUP à Pristina et au général Lukic, mais également directement au QG

8 du MUP à Belgrade.

9 Ce système de rapports était également complémenté par le fait que

10 les responsables du MUP, tels que le ministre lui-même; le chef de la

11 sécurité publique, le RJB, Djordjevic; le chef de l'administration de la

12 police Obrad Stevanovic; et Nikola Sainovic participaient très souvent à

13 des réunions avec le QG du MUP du Kosovo. Lors de ces réunions, Nikola

14 Sainovic ne faisait pas simplement passer des directions depuis le haut,

15 mais il pouvait également s'informer quant à la situation sur le terrain et

16 faire en sorte que cela soit porté à la connaissance de Milosevic.

17 J'ai encore, Monsieur le Président, une chose avant la pause, si je peux.

18 Je voudrais brièvement mentionner le CET, le Conseil exécutif

19 temporaire dont nous allons parler. Le Conseil exécutif temporaire a été

20 créé par l'assemblée nationale de la Serbie en 1998. L'objectif prétendu de

21 celui-ci était de renforcer le travail des structures civiles du Kosovo. Il

22 avait des pouvoirs assez significatifs en ce qui concernait les autorités

23 administratives provinciales. Zoran Andjelkovic, le ministre serbe pour la

24 jeunesse et les sports, et également membre haut placé de la SPS, en fut

25 nommé le président. Il a également participé aux réunions du commandement

26 conjoint de Pristina.

27 Les moyens de preuve montreront que nos accusés étaient membres d'une ou de

28 plusieurs de ces différents organes que j'ai déjà décrits, et en tant que

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1 tels ont contribué de différentes façons à l'entreprise criminelle

2 conjointe avec l'intention de modifier l'équilibre ethnique et de façon à

3 s'assurer du contrôle serbe sur le Kosovo. Des descriptions détaillées des

4 différentes contributions de l'entreprise criminelle conjointe par chacun

5 des accusés sont expliquées dans notre mémoire et vous allez entendre des

6 détails à ce propos pendant le cours du procès. Pour l'instant, je pense

7 que cela suffit.

8 Avant de passer à autre chose, Messieurs et Mesdames les Juges, c'est peut-

9 être le moment opportun de faire une pause.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, c'est le cas, Monsieur Hannis.

11 Merci.

12 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous allons faire une pause maintenant

14 et recommencer à 11 heures.

15 --- L'audience est suspendue à 10 heures 25.

16 --- L'audience est reprise à 11 heures 00.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Veuillez poursuivre, Monsieur Hannis.

18 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

19 Au moment de la pause, j'avais abordé la question de savoir qui.

20 Maintenant, je voudrais parler du quoi et du comment, s'agissant des

21 infractions retenues dans l'acte d'accusation.

22 Ces accusés sont accusés de persécutions, de transferts forcés,

23 d'expulsions et de meurtres ou assassinats commis au cours des six premiers

24 mois de 1999 au Kosovo. Des éléments de preuve vont vous le montrer. Au

25 cours de la période couverte par l'acte d'accusation, un conflit armé se

26 poursuivait au Kosovo. Il a d'abord opposé les forces de la RFY et de la

27 Serbie d'une part, et l'UCK de l'autre. Plus tard, les forces de la RFY et

28 de la Serbie d'un côté, et de l'OTAN et de l'UCK de l'autre. Au cours de ce

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1 conflit, des milliers de civils et de non-combattants albanais du Kosovo

2 ont été tués par les forces de la RSFY et de la Serbie. Jusqu'à 800 000

3 personnes ont subi un transfert forcé ou ont été expulsées du Kosovo; 800

4 000 personnes, cela représente plus d'un tiers de la population totale du

5 Kosovo, s'agissant des Albanais du Kosovo qui vivaient à l'époque dans

6 cette région. En fait, c'est un tiers de la population totale, là je

7 corrige mes calculs, et près de la moitié des Albanais du Kosovo vivant au

8 Kosovo.

9 Même si notre acte d'accusation commence à la date du 1er janvier 1999, vous

10 le saurez à la lecture de l'acte d'accusation et du mémoire préalable au

11 procès et de ce que je vous ai dit s'agissant de la chronologie des

12 événements jusqu'en 1999, les crimes commis en 1999, c'est le dernier

13 chapitre, la dernière partie d'une campagne de persécutions et d'une

14 escalade de la violence auxquelles se sont livrées les forces de la RFY de

15 la Serbie et de leurs chefs pour essayer de garder le contrôle physique et

16 politique de la province du Kosovo devant des revendications des plus

17 nombreuses formulées par les Albanais du Kosovo afin d'avoir l'indépendance

18 ou plus d'autonomie.

19 Alors que commencent les bombardements de l'OTAN, les forces de la

20 RSFY et de la Serbie accroissent leurs activités pour déloger du pays les

21 Albanais du Kosovo. En une seule semaine, entre le 24 et 30 mars 1999,

22 d'après les données des Nations Unies, près de 94 000 Kosovars ont quitté

23 le Kosovo. Beaucoup ont dit qu'on ne savait pas où les hommes étaient,

24 parce qu'il y a eu une séparation entre les femmes et les hommes au moment

25 des expulsions. Beaucoup ont dit que c'était délibérément qu'ils avaient

26 été expulsés. On leur avait dit explicitement qu'ils devaient partir, et

27 les maisons, les foyers ont été détruits par les forces serbes. Beaucoup

28 ont dit qu'ils ont dû partir sans être avertis. Ils ont été forcés de

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1 partir la nuit à pied, alors qu'il faisait très froid, souvent sans rien de

2 plus que les vêtements qu'ils avaient sur eux et ce qu'ils pouvaient

3 prendre en main alors qu'ils devaient se précipiter pour fuir. Beaucoup

4 diront qu'ils ont été rassemblés par les forces serbes, embarqués dans des

5 trains ou des autocars pour être amenés à la frontière afin d'être chassés

6 en direction de l'Albanie et de la Macédoine. Beaucoup de ceux qui étaient

7 très jeunes ou très âgés ont trouvé la mort au cours de cet exode massif.

8 J'aimerais maintenant vous montrer quelques images qui montrent

9 certains de ces Albanais du Kosovo qui quittent le Kosovo, moins de deux

10 minutes en tout, et nous allons vous diffuser ces images sans bande sonore.

11 Ce sont des extraits d'images vidéo que nous allons vous présenter au cours

12 du procès.

13 Vous allez d'abord voir un convoi de réfugiés à la frontière avec

14 l'Albanie.

15 [Diffusion de la cassette vidéo]

16 M. HANNIS : [interprétation] Vous les voyez dans cette colonne avec des

17 charrettes tirées par des tracteurs, notamment.

18 Puis, vous avez certaines images montrant des réfugiés qui marchent

19 le long d'une voie ferrée vers la frontière avec la Macédoine.

20 [Diffusion de la cassette vidéo]

21 M. HANNIS : [interprétation] L'extrait suivant vous montre des gens qui

22 montent dans des trains pour aller vers la Macédoine.

23 [Diffusion de la cassette vidéo]

24 M. HANNIS : [interprétation] D'autres qui marchent le long -- sur une voie

25 ferrée.

26 [Diffusion de la cassette vidéo]

27 M. HANNIS : [interprétation] Puis, vous allez les voir arriver et se

28 réunir, se rassembler dans un champ après avoir quitté le Kosovo. Dernier

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1 extrait, à un des camps établis le long de la frontière avec la Macédoine,

2 une image qui vous montre des milliers de réfugiés.

3 [Diffusion de cassette vidéo]

4 M. HANNIS : [interprétation] Il est tout à fait possible qu'on laissera

5 entendre que ces gens sont partis à cause des bombardements de l'OTAN

6 davantage qu'à cause d'attaques menées par les forces de la RFY et de la

7 Serbie. Nous faisons valoir que les éléments de preuve vont vous montrer

8 que l'écrasante majorité de ces réfugiés ont pris la fuite à cause des

9 actions entreprises par la VJ, le MUP et d'autres forces de la RFY et de la

10 Serbie, et pas à cause des bombes de l'OTAN. Beaucoup d'Albanais du Kosovo

11 viendront vous dire qu'ils se félicitaient des bombardements de l'OTAN.

12 Ce qui va sans doute vous aider pour aborder cette question, c'est la

13 déposition du Dr Patrick Ball, un témoin expert qui a témoigné dans le

14 procès Milosevic. Il a écrit un rapport d'expert dans lequel il se penche

15 en particulier sur la question de savoir si ces afflux de réfugiés furent

16 le fruit des actions menées par les forces de la RFY et de la Serbie ou par

17 les bombardements de l'OTAN, ou encore les activités de l'UCK. Ses

18 conclusions corroborent ce que vont vous dire des témoins factuels, et nous

19 avons l'intention de prouver ici que ceci est la conséquence directe des

20 actes des forces de la RFY et de la Serbie, ce n'est pas la conséquence des

21 bombardements de l'OTAN.

22 A ce moment-là, nous sommes là le 24 mars 1999, aussitôt après

23 l'évacuation des observateurs de la MVK, avec le début des bombardements de

24 l'OTAN. Les forces de la RFY et de la Serbie avaient une occasion parfaite

25 et rêvée qui s'offrait à eux, qui était d'accroître la campagne de

26 nettoyage ethnique ou de -- en même temps, pour essayer ou pour pouvoir

27 affirmer que c'était d'autres qui étaient responsables du départ des

28 Albanais du Kosovo. Nous affirmons que les témoins vous apporteront la

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1 preuve de cela.

2 Dans tout le Kosovo, de façon concertée et coordonnée, les forces de

3 la RFY et de la Serbie ont entamé une série d'attaques généralisées et

4 systématiques dirigée sur la population civile albanaise du Kosovo, en

5 allant d'un minuscule village à l'autre, d'une ville à l'autre, en

6 assassinant, en frappant, en dévalisant, en pillant, en brûlant, en

7 détruisant des commerces, des mosquées, et en chassant les Albanais du

8 Kosovo. Ils ont brûlé et détruit les villages et les villes qu'ils

9 traversaient, de façon à ne rien laisser vers quoi les gens chassés

10 pourraient revenir.

11 Nous allons vous montrer qu'il y avait un schéma systématique; le

12 voici. Les forces serbes encerclaient un village, une ville, en ne laissant

13 qu'une voie par laquelle s'échapper. Puis, la VJ commençait le pilonnage

14 d'artillerie à l'arme lourde. Puis, les unités du MUP, des unités spéciales

15 et des unités de volontaires versées dans la VJ ou attachées à celle-ci ou

16 encore au MUP pénétraient dans la ville, en chassaient les habitants,

17 parfois en tuant et en violant et souvent en pillant et en brûlant les

18 maisons abandonnées.

19 Ce type d'activités, c'est compréhensible, a semé une atmosphère de

20 terreur. Les habitants des villages voisins qui voyaient tout ceci arriver

21 et qui entendaient ce que racontaient les victimes directes de ces faits se

22 joignaient à ceux qui partaient pour essayer d'éviter un sort similaire.

23 C'est ainsi que nous avons vu se former ces convois énormes que les médias

24 ont vite montrés à partir de la fin du mois de mars 1999, alors que des

25 milliers d'Albanais du Kosovo prenaient la fuite pour échapper à la mort.

26 De cette façon, on vous dira que les forces de la RFY et de la Serbie

27 ne chassaient pas ces civils; au contraire, qu'elles se contentaient de les

28 escorter pour qu'ils arrivent à la frontière en sécurité, alors qu'ils se

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1 rassemblaient de leur plein gré pour essayer d'éviter, d'échapper aux

2 bombardements. Nous allons réfuter ceci par les éléments de preuve. Vous

3 allez d'abord entendre des témoins qui vous diront, nombreux d'ailleurs,

4 qu'alors qu'ils sortaient du pays, à la frontière, les forces de la RFY et

5 de la Serbie ont, de façon systématique, forcé les réfugiés à remettre

6 leurs documents d'identité, leurs papiers d'identité, les plaques

7 minéralogiques de leur véhicule, pour partir ensuite.

8 Pourquoi ? Pourquoi agir de la sorte si effectivement, on se

9 contentait d'escorter ces gens pour qu'ils se trouvent temporairement en

10 sécurité ? Pourquoi est-ce qu'on exigerait de ces gens qu'ils abandonnent

11 leurs papiers d'identité alors qu'ils quittent la province ? Nous estimons

12 qu'il s'agit là d'une manifestation très claire de l'objectif poursuivi par

13 l'entreprise criminelle commune, qui était de modifier l'équilibre ethnique

14 au Kosovo afin d'y maintenir la mainmise serbe. Lorsque ces gens étaient

15 sortis du pays et lorsqu'ils n'avaient plus leurs documents d'identité,

16 comment pouvaient-ils revenir, tout simplement, au Kosovo, alors que les

17 autorités serbes allaient pouvoir aisément dire : désolés, vous êtes

18 simplement un immigrant illégal venant d'Albanie, impossible pour vous

19 d'entrer dans le pays.

20 Rappelez-vous ce dont j'ai parlé à propos du président Milutinovic

21 lorsqu'il a émis ces décrets sur les cartes d'identité en temps de guerre.

22 Vous allez l'avoir ici. On disait que quiconque ayant perdu sa carte

23 d'identité ou qui partait sans sa carte d'identité avait l'obligation de le

24 notifier dans les 24 heures qui suivent à l'unité organisationnelle du MUP

25 qui a compétence là où a été perdue la carte d'identité. On dit plus loin

26 que les personnes visées au premier paragraphe ont l'obligation de demander

27 une nouvelle carte d'identité à leur lieu de résidence en l'espace de huit

28 jours.

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1 Soyons pratiques. Comment est-ce que cela pourrait marcher en

2 pratique pour les dizaines de milliers d'Albanais du Kosovo qu'on a chassés

3 de chez eux en 1999 ? Pourquoi notifier la perte d'une carte d'identité au

4 MUP local alors que c'est le MUP qui vous a pris cette carte d'identité ?

5 Qui va maintenant pouvoir rentrer chez lui après ce qu'il a vécu ? Pour

6 demander une nouvelle carte d'identité, ce serait de la folie d'agir de

7 cette façon, ce serait presque un suicide. Que peut-on déduire logiquement

8 de tout ce comportement ? C'est qu'il y avait une intention. L'intention,

9 c'était que les Albanais du Kosovo, une fois qu'ils seraient partis,

10 n'auraient pas le droit de revenir. C'est ainsi qu'on aurait réalisé la

11 modification recherchée de l'équilibre ethnique, ce qui était nécessaire

12 pour résoudre la question du Kosovo.

13 L'acte d'accusation vous montre le caractère généralisé de cette

14 campagne. Notre acte d'accusation inclut 12 lieux d'exécutions, et nous

15 allons maintenant vous apporter la preuve de neuf de ces lieux et 13 lieux

16 d'expulsion. Ce n'est pas une liste complète de toutes les infractions dont

17 on a fait part aux enquêteurs, c'est plutôt un échantillon représentatif

18 pour vous montrer l'existence d'un schéma systématique pour montrer la

19 portée et la nature de la campagne menée sur la totalité de la province du

20 Kosovo.

21 J'aimerais d'abord parler de ces lieux d'exécutions. C'est comme cela

22 que nous avons qualifié ces lieux. Voici une carte à l'écran. Vous avez des

23 cercles rouges qui vous montrent les lieux d'exécutions mentionnés dans

24 l'acte d'accusation. Je ne vais pas tous les aborder, mais je voudrais

25 m'arrêter à certains d'entre eux.

26 Parlons d'abord de Bela Crkva. Ce lieu se trouve dans la municipalité

27 d'Orahovac, et les infractions qui sont présumé avoir été commises l'ont

28 été le 25 mars 1999, le lendemain des premiers bombardements de l'OTAN. Des

Page 457

1 forces de la RFY et de Serbie ont attaqué le village de Bela Crkva, dans

2 cette municipalité. Beaucoup de villageois se sont enfuis en suivant un

3 petit cours d'eau et se sont cachés derrière un pont de voie ferrée. La

4 police serbe a ouvert le feu sur un groupe de villageois qui allait vers ce

5 pont et a tué 12 personnes, dont dix femmes et enfants. Les autres

6 villageois sont restés cachés. Les hommes et les garçons plus âgés ont été

7 séparés, on les a obligés à se déshabiller et leurs biens et leurs

8 documents d'identité leur ont été pris. Les femmes ont reçu l'ordre de

9 partir vers un village voisin. Les autres garçons et les hommes ont alors

10 reçu l'ordre de retourner vers le cours d'eau, les forces serbes ont alors

11 ouvert le feu et ont tué la plupart d'entre eux. Quelques survivants ont pu

12 raconter ce qu'ils ont vécu.

13 Le village a été détruit, il y a eu des exhumations plus tard qui ont

14 confirmé le décès de plus de 50 villageois.

15 Vous avez ici à gauche une photo du village prise le 11 mars 1999, deux

16 semaines avant l'attaque. A droite, 2 avril 1999, une semaine plus tard et

17 vous voyez les dégâts causés aux bâtiments. Il y a une note en bas de

18 l'image qui vous dit qu'il y a une rotation de 180 degrés sur l'image de

19 droite, malheureusement, nous n'avons pas pu faire la bonne rotation, mais

20 vous voyez à gauche, sur l'image de droite, la rivière est à droite alors

21 qu'elle est à gauche sur l'image de gauche. Vous pouvez renverser l'image

22 et vous verrez qu'il y a concordance entre le relief du terrain. Vous avez

23 un bâtiment blanc au milieu, qui reste au milieu de l'image.

24 Prenons maintenant Mala Krusa qui se trouve lui aussi dans la municipalité

25 d'Orahovac. Là aussi, nous sommes le lendemain du début de la campagne du

26 bombardement de l'OTAN, à peine quelques kilomètres en contrebas de Bela

27 Crkva, les forces de la RFY et de la Serbie ont attaqué les villages de

28 Mala Krusa et Velika Krusa. Les villageois se sont enfuis dans une forêt

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1 voisine d'où ils ont pu voir les assaillants piller et brûler leurs foyers.

2 Le lendemain matin, le 26 mars, les forces serbes ont retrouvé beaucoup des

3 villageois aux abords de Mala Krusa, ils ont donné l'ordre aux femmes et

4 aux enfants de partir vers l'Albanie. Les hommes et les garçons plus âgés

5 ont été détenus, fouillés, leurs objets de valeur et leurs papiers

6 d'identité leur ont été confisqués. Les forces de la RFY et de la Serbie

7 ont alors forcé les hommes et les garçons plus âgés à entrer dans une

8 maison voisine et ils ont commencé à tirer sur eux à l'aide de

9 mitrailleuses. Les forces serbes alors ont mis le feu à la maison. Près de

10 100 personnes ont été tuées au cours de ce massacre.

11 Parlons maintenant de Suva Reka. Le 26 mars, le jour de l'attaque à Mala

12 Krusa, les forces de la RFY et de la Serbie ont encerclé la propriété

13 familiale des Berisha. Ils ont donné l'ordre aux occupants de sortir. Six

14 hommes ont été tués sur place et les autres membres de la famille ont été

15 forcés à entrer dans un café dans la rue. Une fois qu'ils se sont trouvés à

16 l'intérieur, les forces serbes ont tiré sur eux. Il y avait plusieurs

17 femmes, des enfants. Des engins explosifs ont été jetés dans le magasin ou

18 dans le café où se trouvaient les victimes. Vous avez ici une image qui

19 vous montre les dégâts aussi.

20 [Diffusion de la cassette]

21 M. HANNIS : [interprétation] Vous voyez le café dans lequel on a emmené les

22 membres de la famille Berisha, là où ces personnes ont été abattues. En

23 tout, 44 personnes ont été tuées dont 15 femmes et 15 enfants. Les corps

24 des victimes ont alors été jetés à l'arrière d'un camion et le camion est

25 parti en direction de Prizren. Trois survivants à cette attaque horrible,

26 deux femmes et un gamin de huit ans ont fait semblant d'être morts, ils ont

27 été jetés dans le camion avec les autres mais ils ont réussi à sauter du

28 camion. Vous entendrez un de ces survivants.

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1 Vous apprendrez aussi où ont fini certaines de ces victimes. Les restes des

2 membres de la famille Berisha tués ce jour-là, ont été retrouvés à deux

3 endroits différents. Certains ont été retrouvés au périmètre de tir dans la

4 municipalité de Prizren et d'autres dans une fosse commune clandestine près

5 du centre de formation de l'unité antiterroriste d'élite du MUP serbe, la

6 SAJ; à Batajnica à proximité de Belgrade en Serbie.

7 Je voudrais m'arrêter un instant ici pour vous montrer une carte, car ceci

8 nous semble être un point important qui va être prouvé par les éléments de

9 preuve que nous allons aborder. Vous voyez la distance qu'il y a entre

10 Batajnica et Suva Reka. C'est à peu près la distance qu'il y a entre La

11 Haye et le Luxembourg, 285 kilomètres. Comment ces corps ont-ils pu être

12 transportés de Suva Reka jusqu'à dans cette fosse près de Belgrade à

13 quelque 280 kilomètres ? Ce n'était pas un lieu commun ordinaire, c'était

14 un lieu d'accès restreint, c'était le centre de formation réservé à cette

15 unité policière d'élite antiterroriste, la SAJ.

16 Pourquoi ? Pourquoi est-ce que des civils albanais morts, des femmes

17 et des enfants vont être emmenés et cachés dans un endroit tel que celui-

18 là ? Qui aurait pu faire cela ? Qui avait les moyens et l'occasion de le

19 faire ? Quel serait le motif animant ces personnes de prendre de telles

20 mesures logistiques, alors que nous sommes en état de guerre, à un moment

21 où des ressources comme les ressources humaines, les camions, le

22 combustible sont des denrées précieuses étant donné qu'il y a poursuite des

23 bombardements de l'OTAN et des combats avec l'UCK. Selon nous, ceci montre

24 l'intention qui animait ces accusés qui voulaient une solution au problème

25 kosovar, grâce aux forces qu'ils avaient sous leur contrôle. Selon ce

26 qu'avait suggéré Milosevic, dans les remarques qu'il avait faites à Clark

27 et Naumann en octobre 1998 au cours des négociations. Selon nous, ceci

28 traduit aussi la connaissance coupable que ces hommes avaient, à savoir que

Page 460

1 ces exécutions, ces meurtres ne faisaient pas partie d'une campagne

2 légitime menée contre le terrorisme, mais que c'était une entreprise

3 criminelle destinée à modifier l'équilibre ethnique afin de maintenir le

4 contrôle des serbes au Kosovo.

5 Je voudrais maintenant vous montrer Izbica qui se trouve dans la

6 municipalité de Srbica.

7 Le 28 mars, quelques jours plus tard dans cette municipalité de

8 Srbica, des forces de la RFY et de la Serbie avaient commencé à tirer de

9 façon nourrie à l'artillerie lourde sur plusieurs villages près du village

10 d'Izbica. Près de 4 500 personnes avaient cherché la fuite. Ils s'étaient

11 réunis dans un champ près d'Izbica. Le 28 mars, des forces de la RFY et de

12 la Serbie avaient entouré et encerclé ces civils albanais du Kosovo

13 déplacés. Ils se sont approchés d'eux, ensuite ils ont exigé de l'argent.

14 On a ordonné aux femmes et aux enfants de partir vers l'Albanie. Deux

15 femmes âgées handicapées qui étaient assises dans une remorque, elles

16 étaient incapables de marcher, elles ont été brûlées vivantes par ces

17 forces serbes qui ont incendié la remorque.

18 Les hommes ont été séparés des femmes et des enfants. On a ensuite

19 divisé les hommes en deux groupes. Un groupe a été emmené vers les bois,

20 vers un cours d'eau. Là, on leur a dit de s'agenouiller, les forces serbes

21 ont alors commencé à tirer. Quant au second groupe, il a été envoyé dans

22 une autre direction. On a fait aligner les membres de ce groupe et là aussi

23 on a tiré sur ces hommes. C'est miraculeux, mais il y a eu des survivants à

24 ces deux exécutions massives. Vous entendrez ici même, au moins l'un de ces

25 survivants. Nous allons présenter la déclaration d'autres survivants sous

26 forme écrite en application du 92 bis. Plus de 100 hommes ont été tués ce

27 jour-là à Izbica. Je vous l'ai dit, vous allez entendre ici même l'un des

28 survivants de ce massacre. Les villageois locaux ont rassemblé les morts,

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1 les ont enterrés. Un médecin Liri Loshi a filmé les corps afin de les

2 identifier, et vous entendrez ceci aussi. M. Liri Loshi viendra vous

3 relater tout ceci.

4 Les victimes ont été ensevelies par les villageois locaux, mais ces

5 gens ne sont pas restés dans leurs tombes très longtemps. Entre la mi-mai

6 et le 3 juin 1999, ces victimes ont été déterrées alors qu'on aurait pu

7 croire que ce lieu était le lieu ultime de leur repos. Voici quelques

8 photos pour vous expliquer ceci.

9 Vous avez deux images à l'écran. A gauche, vous avez Izbica, Kosovo,

10 le 9 mars 1999. Vous voyez, en haut à droite, vous avez un lieu désigné

11 comme étant un lieu où il n'y a "pas de fosses," puis "pas de véhicules ni

12 de débris," et à droite, vous avez la même zone, photo prise le 15 avril.

13 Là, dans un coin, vous avez des fosses, et de l'autre côté, vous avez des

14 véhicules et des débris. Les témoins vous expliqueront comment ceci s'est

15 produit. Les 4 500 personnes qui avaient d'abord pris la fuite, ils

16 campaient dans cet endroit au moment où tout ceci s'est produit.

17 Prenez l'image suivante prise le 3 juin 1999, qui vous montre la même

18 région. Vous voyez en encadré quelque chose qui dit "voyez le graphique

19 suivant." Nous allons maintenant faire un plan rapproché. Dans la partie

20 gauche de l'image, celle où se trouvaient les fosses le 15 mai 1999, à

21 droite vous avez la même zone. Cette photo a été prise le 3 juin. Vous

22 voyez qu'il y a une grande zone en noir qui montre que là, il y a plus les

23 rangées ou de tombes.

24 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre, je

25 voudrais une précision.

26 M. HANNIS : [interprétation] Oui.

27 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Est-ce que vous vouliez dire qu'on a

28 déterré ces gens par la suite ? Est-ce la seule chose que vous vouliez dire

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1 ou --

2 M. HANNIS : [interprétation] Non, j'ai autre chose à ajouter.

3 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Pas maintenant, parce que ce n'est

4 pas très clair --

5 M. HANNIS : [interprétation] J'espère que je pourrai vous apporter

6 l'explication dans un instant.

7 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Merci.

8 M. HANNIS : [interprétation] Vous voyez, ici, manifestement, on a remué ces

9 terres.

10 Le 23 juin 1999 [comme interprété], une équipe médico-légale

11 française est allée sur les lieux. Cette équipe n'a trouvé aucun corps à

12 l'époque, mais elle a trouvé des traces prouvant qu'il y avait eu des

13 personnes enterrées. Certains objets ont été trouvés, des vêtements,

14 d'autres documents, d'autres éléments indiquant que des êtres humains

15 avaient été enterrés là. Des témoins apportent leurs dires. Vous avez aussi

16 cette preuve apportée par la vidéo.

17 Des personnes avaient été effectivement enterrées, comme on le voit

18 sur la gauche. Apparemment, le 2 ou le 3 juin 1999, les forces de la RFY et

19 de la Serbie étaient revenues à Izbica et avaient déterré les corps qui

20 avaient été enterrés à cet endroit. Les autorités serbes ont fini, et là je

21 vous parle de 2001 ou 2002, ont fini par admettre que les corps avaient été

22 déterrés. Aujourd'hui encore, il y a certains corps qui n'ont pas été

23 retrouvés, peut-être 120. On a retrouvé 29 [comme interprété] corps,

24 certains se trouvaient dans une fosse clandestine, ce qu'on appelle la

25 fosse de Petrovo Selo, dans l'est de la Serbie, près de la frontière avec

26 la Roumanie. D'autres ont été retrouvés à divers endroits dans la

27 municipalité de Kosovska Mitrovica au Kosovo.

28 Une fois de plus, vous voyez qu'on a essayé de dissimuler les crimes

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1 commis. Est-ce que cela veut dire que les autorités serbes se sentaient

2 coupables ? Tout comme à Suva Reka, les forces serbes avaient pris des

3 mesures pour dissimuler les preuves. La seule conclusion logique, à notre

4 avis, c'est que les personnes se trouvant sous l'autorité des accusés ont

5 déterré ces gens pour transférer les dépouilles mortelles à plus de 250

6 kilomètres, à Petrovo Selo.

7 Un dernier lieu d'exécutions dont je voudrais vous parler avant de

8 vous parler des expulsions. Nous allons parler de Meja, un village de la

9 municipalité de Djakovica. Ceci s'est passé plus tard, le 27 avril 1999,

10 dans la municipalité de Djakovica. A l'époque, la RFY et la Serbie ont

11 lancé une opération de grande envergure dans la région d'Erenik et de la

12 vallée de la rivière Trava.

13 A l'écran, vous voyez une image. Djakovica est représenté par un

14 cercle rouge, et il y a une flèche qui indique les vallées mentionnées.

15 Vous voyez la rivière Kosovo en rose à gauche, et plusieurs, les Albanais

16 du Kosovo ont commencé à quitter la région et plusieurs convois ont été

17 constitués.

18 Près de Meja, les forces de la RFY et de la Serbie ont détenu et

19 séparé des centaines d'Albanais du Kosovo qui se trouvaient dans les

20 convois qui fuyaient. Plusieurs ont été exécutés de façon sommaire et

21 quelque 300 hommes n'ont jamais été revus vivants. Deux ans plus tard, des

22 équipes de la police scientifique ont enquêté sur un charnier qui se

23 trouvait dans l'enceinte de la caserne de l'unité de police antiterroriste.

24 On a retrouvé quelque 344 cadavres. L'analyse ADN a révélé que 289 d'entre

25 eux étaient des hommes que les forces de la RFY de la Serbie avaient fait

26 sortir des convois qui essayaient de fuir la région de Meja le 27 avril

27 1999. Là encore, nous voyons une carte qui indique la distance qui sépare

28 Meja de Batajnica, il s'agit plus ou moins de la distance qui sépare La

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1 Haye du Luxembourg. Là encore, 300 cadavres ont été retrouvés, 289 d'entre

2 eux environ ont été déplacés à 280 kilomètres de Meja pour être inhumés

3 dans un lieu situé à l'extérieur de Belgrade. Comme j'ai déjà dit, il

4 s'agit d'un défi du point de vue logistique. Il faut mobiliser les

5 ressources importantes, lorsqu'à ce moment-là on est engagé dans un conflit

6 armé avec l'OTAN et l'UCK.

7 Avant de parler des expulsions, je souhaite attirer votre attention

8 sur une autre question qui est très importante par rapport à ces meurtres.

9 Dans l'acte d'accusation, nous avons joint en annexe le nom des personnes

10 identifiées retrouvées sur les lieux, le nom des personnes dont on sait

11 qu'elles ont été tuées sur les lieux d'exécutions. D'après mon estimation

12 approximative, les personnes dont on a pu connaître le nom étaient au

13 nombre de 924. Sur ces 924 personnes, 53 d'entre elles étaient des enfants

14 âgés de moins de 16 ans, 72 étaient des femmes, 104 avaient plus de 65 ans.

15 Ceci est une conséquence prévisible de la campagne menée contre les

16 terroristes armés de l'UCK. Certains pourraient laisser entendre cela. En

17 fait, cela illustre les meurtres de civils qui ont été commis dans le cadre

18 d'un programme visant à les chasser du Kosovo.

19 A présent, je souhaiterais parler des expulsions mentionnées dans

20 l'acte d'accusation.

21 Les preuves montreront qu'il y a un chemin systématique qui était

22 suivi par les forces de la RSFY et de la Serbie. Ceci permet de conclure

23 qu'il y a eu une attaque généralisée et systématique visant la population

24 civile albanaise du Kosovo. Il s'agissait d'une attaque bien planifiée et

25 coordonnée au plus haut niveau. L'un des objectifs principal de cette

26 campagne était de modifier l'équilibre ethnique au Kosovo afin de maintenir

27 le contrôle de la province par les Serbes. De façon générale, à l'est du

28 Kosovo, les forces de la RSFY et de la Serbie ont chassé les Albanais du

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1 Kosovo vers le sud, en direction de la Macédoine. Dans la partie ouest de

2 la province, les opérations menées conjointement par la VJ et le MUP ont

3 visé à chasser les civils en direction de l'Albanie.

4 Je souhaiterais maintenant parler de quelques lieux où des expulsions

5 ont été menées. Sur la carte, vous voyez quatre lieux de franchissement des

6 frontières, deux pour la Macédoine et trois pour l'Albanie; ils sont

7 indiqués en violet. Il s'agit des lieux de franchissement de frontières par

8 où les victimes de cette campagne ont dû passer pour quitter le Kosovo.

9 Parlons d'abord de Pec. Ceci est indiqué par un point vert à droite. Dans

10 la ville de Pec, dans la municipalité de Pec, les forces de la RFY et de la

11 Serbie sont allées de maison en maison pour contraindre les Albanais du

12 Kosovo à quitter leur domicile. Au cours de ce processus, plusieurs civils

13 ont été abattus et des maisons ont été incendiées. Les soldats et les

14 policiers serbes ont conduit les civils vers le centre de la ville, et ceux

15 qui n'avaient pas de véhicules ont été contraints de monter à bord de cars

16 et de camions. Ils ont ensuite été conduits à Prizren, puis vers la

17 frontière albanaise. Les Albanais du Kosovo ont ensuite été obligés de

18 sortir des cars et des camions et de marcher les 15 kilomètres restants qui

19 les séparaient de l'Albanie.

20 Une fois arrivés à la frontière et avant de quitter le Kosovo, on

21 leur a ordonné de remettre leurs pièces d'identité aux forces de la RFY et

22 de la Serbie.

23 Je souhaiterais maintenant parler de la municipalité de Prizren. Elle est

24 située au sud et indiquée par un point rouge sur la carte. Entre le 25 et

25 le 28 mars, au cours de la première semaine qui a suivi les bombardements

26 de l'OTAN, les forces de la RFY et de la Serbie ont commencé à attaquer les

27 villages situés dans cette municipalité, tout d'abord le village de Pirane,

28 puis plusieurs autres, contraignant ainsi les Albanais du Kosovo à quitter

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1 leur domicile et les obligeant à se diriger vers la frontière albanaise.

2 Nous voyons ici des images illustrant ces expulsions.

3 Dans la ville de Prizren même, à partir du 28 mars 1999, les forces de la

4 RFY et de la Serbie sont allées de maison en maison en ordonnant aux

5 Albanais du Kosovo de partir. Ils ont constitué des convois en utilisant

6 tous les véhicules disponibles. Beaucoup ont dû parcourir ce trajet de 15

7 kilomètres à pied jusqu'à la frontière. En chemin, plusieurs hommes

8 albanais du Kosovo ont été frappés ou tués par les forces de la RFY et de

9 la Serbie. Parfois, des femmes ont été séparées des autres personnes qui se

10 trouvaient dans le convoi et violées par des forces de la RFY et de la

11 Serbie. Une fois arrivés à la frontière, les Albanais du Kosovo se sont vu

12 confisquer leurs pièces d'identité par les Serbes avant de traverser la

13 frontière vers l'Albanie.

14 Parlons de Pristina, maintenant, la capitale. Nous avons une carte

15 représentant cet endroit. La capitale n'a certainement pas échappé aux

16 efforts déployés par les Serbes pour chasser la population albanaise du

17 Kosovo. A partir du 24 mars 1999 et pendant plusieurs semaines après cette

18 date, jusqu'à la fin du mois de mai, les forces de la RFY et de la Serbie

19 sont allées de maison en maison en obligeant les Albanais du Kosovo de

20 partir. Nombre d'entre eux sont partis aussitôt en direction de la gare,

21 tandis que d'autres se sont rendus dans d'autres endroits de la ville, ce

22 qui n'a fait que retarder leur départ de Pristina.

23 Au cours de ces expulsions, un certain nombre de civils ont été tués.

24 Plusieurs femmes ont fait l'objet d'agressions sexuelles par les forces de

25 la RFY et de la Serbie. Après avoir quitté leur domicile, les Albanais du

26 Kosovo ont été conduits par les policiers serbes vers la gare, où ils ont

27 dû embarquer à bord de trains ou de cars. Ils ont ensuite été conduits vers

28 le sud, à un endroit situé à proximité de la frontière - Djeneral Jankovic

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1 en serbe, Hani i Elezit en albanais - où ils ont dû quitter ou sortir des

2 trains, puis marcher le reste du trajet le long de la voie ferrée jusqu'à

3 la Macédoine.

4 En chemin, entre Pristina et la Macédoine, beaucoup se sont vus

5 confisquer leurs papiers d'identité par les forces de la RFY et de la

6 Serbie. Nombre de villageois albanais, de souche albanaise, qui se

7 trouvaient autour de la ville de Pristina ont subi le même traitement de la

8 part des forces de la RFY et de la Serbie. Ils ont été frappés, volés, et

9 certains d'entre eux ont été tués. On les a contraints de quitter leurs

10 domiciles. Les maisons ont ensuite été pillées et brûlées.

11 Nombre d'entre eux ont également été embarqués à bord de trains vers la

12 Macédoine. Ils ont dû également marcher les derniers kilomètres restant

13 vers la frontière pour quitter le Kosovo. Beaucoup d'autres personnes de la

14 région de Pristina ont emprunté un autre itinéraire pour quitter le Kosovo,

15 afin de se rendre en Albanie plutôt qu'en Macédoine.

16 Enfin, nous allons parler d'Urosevac. A partir du début des bombardements

17 de l'OTAN le 24 mars 1999, les forces du RFY et de la Serbie ont commencé à

18 pilonner et attaquer des villages dans la municipalité d'Urosevac, selon le

19 scénario dont nous avons déjà parlé. On a ordonné aux villageois de partir,

20 et leurs maisons abandonnées ont ensuite été incendiées par les forces

21 serbes.

22 La plupart des villageois se sont retrouvés dans la ville d'Urosevac,

23 où ils sont montés à bord de trains en direction du poste de frontière

24 situé près de Djeneral Jankovic. Comme les autres personnes dont nous avons

25 parlé précédemment, ils ont dû terminer leur voyage à pied le long de la

26 voie ferrée. A la frontière, les forces de la RFY et de la Serbie ont

27 confisqué leurs papiers d'identité avant de les autoriser à traverser la

28 frontière vers la Macédoine.

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1 Les accusés en l'espèce se voient également reprocher des

2 persécutions, notamment des viols et des destructions de biens. Je

3 souhaiterais dire quelques mots à ce sujet.

4 Vous entendrez un certain nombre de victimes témoigner au sujet des

5 agressions sexuelles qu'elles ont subies de la part des forces de la RFY et

6 de la Serbie lors de ces opérations visant à chasser la population

7 albanaise du Kosovo. Je n'entrerai pas dans les détails au sujet de ces

8 crimes épouvantables qui ont été commis, mais je dirais simplement que les

9 preuves qui seront apportées au procès démontreront cela. Pour nombre de

10 ces témoins, nous avons demandé des mesures de protection, lesquelles ont

11 été accordées. Nous avons également proposé la déposition d'un témoin

12 expert qui parlera de certains aspects de ces crimes et des répercussions

13 de ces crimes sur les victimes.

14 S'agissant de la destruction des sites culturels et des édifices

15 consacrés à la religion, voilà l'un des crimes reprochés par l'Accusation.

16 Un certain nombre de témoins, y compris un témoin expert, Andras

17 Reidlmayer, en parlera. Nous avons également certaines photos concernant

18 les dégâts qui ont été infligés. Il y a une mosquée de Bela Crkva qui a

19 ainsi été endommagée. Nous en avons parlé. Il y a également un lieu situé à

20 Brestovac, Velika Krusa, Orahovac, Djakovica, Cirez et Landovica.

21 Ceci prouve non seulement les crimes commis, mais également

22 l'intention et les projets des auteurs de ces crimes, projets visant à ce

23 que les Albanais du Kosovo soient chassés de chez eux et ne reviennent plus

24 jamais. Les preuves concernant les dégâts infligés montrent également que

25 ceci n'a pas été le fait des bombardements de l'OTAN, mais des attaques

26 terrestres menées par la RFY et la Serbie. Des mosquées ont été ainsi

27 incendiées et endommagées sur l'ensemble du territoire du Kosovo.

28 Parmi les autres sites détruits, il y a le vieux bazar et la

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1 bibliothèque. La destruction de ces lieux consacrés à la culture et à la

2 religion forme une partie intégrante de cette campagne de persécutions.

3 Maintenant, je souhaiterais parler brièvement du manquement à

4 l'obligation de punir, sanctionné par l'article 7(3) du Statut. Les preuves

5 montreront qu'aucun des crimes reprochés dans l'acte d'accusation n'a fait

6 l'objet d'une enquête digne de ce nom. Les auteurs de ces crimes n'ont

7 jamais été punis. Ce climat général d'impunité, pour ce qui est des

8 violations graves du droit humanitaire commis à l'encontre des Albanais de

9 souche du Kosovo, ne régnait pas en raison des problèmes rencontrés par les

10 tribunaux pendant ou après le conflit. Bien au contraire, les tribunaux

11 civils et militaires fonctionnaient normalement pendant la durée du conflit

12 et même après cela. Les tribunaux militaires étaient rattachés au

13 commandement du Corps de Pristina, au district militaire de Pristina et au

14 commandement de la 3e Armée. Cependant, l'impunité régnait pour un certain

15 nombre de crimes, notamment les crimes dont il est question en l'espèce,

16 les crimes commis par les Serbes à l'encontre des Albanais du Kosovo. A

17 l'inverse, les membres de la VJ faisaient régulièrement et fréquemment

18 l'objet d'enquêtes, étaient sanctionnés dans le cadre de procédures

19 engagées devant des tribunaux militaires pour certaines infractions

20 relevant de la discipline, des actions, absences sans permission, le fait

21 de s'endormir alors qu'on était de garde, insubordination. Et pourtant,

22 personne n'a jamais été poursuivi pour les crimes d'expulsions, meurtres,

23 viols, vols ou destruction commis à l'encontre des Albanais de souche du

24 Kosovo et de leurs biens.

25 Maintenant, je souhaiterais vous montrer un tableau qui décrit le

26 type d'infractions pénales commises pendant le mois de juin 1999. Il s'agit

27 d'une pièce produite par un témoin à décharge dans le procès Milosevic.

28 Vous voyez en bas à gauche que les autres crimes s'élevaient au taux de

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1 3 %; crimes, atteintes à l'intégrité physique, 6 %, autres crimes; 90 %, le

2 fait de ne pas avoir répondu à l'appel, à la mobilisation des actions,

3 insubordination, autres crimes contre la VJ.

4 Donc, ces infractions d'ordre disciplinaire sont ici recensées. Ces

5 statistiques se fondent sur un document de l'état-major du commandement

6 Suprême que nous présenterons plus tard au procès. S'agissant des crimes

7 portant la mention "autres," il s'agissait essentiellement de crimes contre

8 les biens : vols, vols aggravés, cambriolage, et cetera. Donc, 20 % étaient

9 des vols de véhicules.

10 Maintenant, je souhaiterais vous montrer un deuxième tableau.

11 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Excusez-moi un instant.

12 M. HANNIS : [interprétation] Oui, Monsieur le Juge.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] En fait, est-ce que ces biens ont été

14 occupés, ceux qui avaient été précédemment abandonnés ?

15 M. HANNIS : [interprétation] Bien, je ne peux pas vous le dire à ce stade.

16 Ceci est peut-être mentionné dans le rapport, mais je ne peux pas vous

17 répondre tout de suite.

18 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Excusez-moi, poursuivez.

19 M. HANNIS : [interprétation] Dans ce deuxième rapport, en fait, le deuxième

20 tableau est fondé sur un rapport du tribunal militaire de Nis adressé au

21 tribunal militaire suprême de Belgrade. On y fait état d'affaires

22 criminelles jugées par les tribunaux militaires au cours du conflit au

23 Kosovo du 24 mars 1999 au 10 juin 1999. Nous voyons sur ce tableau que le

24 pourcentage d'affaires concernant des crimes de guerre à l'encontre de la

25 population civile est extrêmement bas, 1 %; affaires de viol, 3 %. Ces

26 statistiques montrent clairement, et nous espérons le prouver au procès,

27 que les actes généralisés de persécutions, expulsions, meurtres, mauvais

28 traitements, viols et destruction de biens commis à l'encontre des Albanais

Page 472

1 de souche du Kosovo ne préoccupaient pas sérieusement les autorités serbes.

2 Il n'y a pas eu vraiment d'efforts déployés pour faire diligenter des

3 enquêtes ou pour s'assurer que les auteurs de ces crimes appartenant à la

4 VJ ou au MUP aient été punis. Les rares enquêtes concernant des incidents

5 graves qui se sont produites étaient superficielles, et l'identité des

6 auteurs de ces crimes reste inconnue. On ne sait pas où ils sont, ils n'ont

7 pas fait l'objet de poursuites et ils n'ont pas été punis. Nous montrerons

8 des preuves concernant le massacre d'Izbica. Ceci démontre clairement que

9 ces efforts étaient une farce visant à faire quelques gestes à l'intention

10 de la communauté internationale pour prétendre que l'on faisait quelque

11 chose.

12 L'impunité s'agissant des crimes mentionnés dans l'acte d'accusation

13 allait de pair avec les tentatives visant à dissimuler les crimes commis.

14 Milosevic, Milutinovic, Sainovic et les autres ont empêché le Procureur et

15 les enquêteurs de ce Tribunal de mener des enquêtes concernant Racak après

16 les massacres de janvier 1999. Avant même que des enquêtes ait lieu au plan

17 national, Milosevic a déclaré publiquement que les membres des forces de la

18 RFY et de la Serbie n'avaient pas commis ces crimes. A différents lieux

19 mentionnés précédemment, les auteurs des crimes ont essayé de se

20 débarrasser du corpus delicti, c'est-à-dire des restes humains, des

21 cadavres des victimes qui avaient été assassinées, en dynamitant les

22 maisons où les massacres avaient lieu ou en dissimulant les corps dans des

23 puits. Nous vous présenterons des preuves à cet égard concernant les

24 massacres de Mala Krusa, Cirez et Kacanik.

25 On a essayé de dissimuler ces crimes en cachant les corps, mais pas

26 seulement aux endroits que je viens de mentionner. Comme je l'ai déjà dit,

27 pour ce qui est du lieu d'exécutions de Suva Reka, des centaines de

28 cadavres d'Albanais du Kosovo ont été transférés à d'autres endroits situés

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1 loin du lieu des exécutions au Kosovo ou en Serbie, où les corps ont

2 ensuite été jetés dans des fosses communes clandestines. L'étendue de cette

3 opération, l'organisation et l'implication d'officiels serbes dans cette

4 opération sont particulièrement bien illustrées par le fait que l'un de ces

5 charniers de grande ampleur contenait le corps de plusieurs centaines de

6 cadavres d'Albanais du Kosovo. Ce charnier a été découvert à un camp de tir

7 de la SAJ à Batajnica, qui se trouve à proximité de Belgrade. De hauts

8 fonctionnaires serbes ont personnellement géré cette opération.

9 Enfin, les preuves démontreront que dans de nombreux cas, les crimes

10 commis à l'encontre d'Albanais du Kosovo étaient non seulement tolérés,

11 mais ordonnés par les officiers supérieurs des auteurs directs des crimes.

12 Au cours du procès, vous entendrez les témoignages de témoins qui ont vécu

13 cela de près.

14 Nous affirmons que les preuves établiront également la responsabilité

15 des accusés au regard de l'article 7(3) du Statut, en leur qualité de

16 supérieurs hiérarchiques. Nous faisons valoir que tous les accusés

17 exerçaient un contrôle effectif sur les auteurs des crimes et qu'ils

18 avaient donc la capacité matérielle d'empêcher ou de punir la commission

19 des infractions reprochées. Ils avaient tous la possibilité matérielle de

20 faire valoir la discipline parmi les troupes déployées au Kosovo et de

21 poursuivre et de punir les auteurs des crimes, vu les positions qu'ils

22 occupaient, en tant que président de la Serbie pour ce qui est de

23 Milutinovic, vice-premier ministre de la RFY pour ce qui est de Sainovic,

24 et chef du commandement conjoint et chef de l'état-major général de la VJ

25 pour ce qui est d'Ojdanic, commandant de la 3e Armée pour ce qui est de

26 Pavkovic, commandant du Corps de Pristina pour ce qui est de Lazarevic et

27 chef de l'état-major du MUP pour ce qui est de Lukic. En raison des

28 pouvoirs qu'ils détenaient de jure et de facto, ils avaient l'autorité

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1 nécessaire pour prendre les mesures qui s'imposaient afin d'empêcher la

2 commission des crimes ou d'en punir les auteurs.

3 Les preuves montreront également que tous les accusés savaient ou

4 avaient des raisons de savoir que des violations graves du droit

5 humanitaire étaient commises par des forces de la VJ et du MUP qui leur

6 étaient subordonnées, qui avaient été versées dans leur rang et qui

7 opéraient au Kosovo. Ils disposaient d'informations à caractère général qui

8 emportaient obligation d'enquêter. Ils savaient que certains éléments

9 étaient disposés à commettre des crimes. En raison -- malgré leur position

10 de supérieurs hiérarchiques et la capacité matérielle qu'ils avaient

11 d'empêcher ou de prendre les mesures nécessaires pour empêcher les crimes,

12 malgré les connaissances qu'ils avaient, ils se sont abstenus d'empêcher ou

13 de punir les crimes. Ils sont donc responsables au regard de l'article

14 7(3).

15 Avant de répondre à la question concernant le pourquoi, je souhaiterais

16 faire quelques commentaires.

17 Nous disposons d'un certain nombre de témoins initiés qui parleront

18 et prendront la parole au cours du procès. Il s'agit généralement de Serbes

19 qui étaient membres de la VJ ou du MUP. Ils viendront avec plus au moins de

20 réticence témoigner ici. Vous verrez qu'ils sont très mal à l'aise pour

21 diverses raisons, notamment parce que leurs compatriotes ont l'impression

22 que tout Serbe qui témoigne pour le compte du bureau du Procureur dans une

23 affaire concernant des accusés Serbes est un traître à son pays et à ses

24 compatriotes. D'autres peuvent avoir des raisons de s'inquiéter en raison

25 de leur comportement pendant le conflit. Ils ne vont pas tous venir ici les

26 mains propres, si je puis m'exprimer ainsi. Ils peuvent nier ou minimiser

27 le rôle qu'ils ont joué dans les événements. Certains peuvent être

28 manifestement hostiles à l'égard de l'Accusation. Il serait préférable pour

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1 l'Accusation que tous ces témoins soient innocents comme des agneaux ou

2 purs comme la neige, mais ce n'est pas comme cela que les choses

3 fonctionnent en réalité. En fait, j'aimerais bien que Mère Theresa,

4 d'autres nonnes et des boy-scouts viennent témoigner, mais ces personnes

5 n'ont pas de connaissances concernant l'existence d'une entreprise

6 criminelle commune comme celle qui nous intéresse en l'espèce. Donc, vous

7 pourrez voir et vous forger votre opinion lorsque vous entendrez ces

8 témoins.

9 Un autre point concernant les éléments de preuve, vous verrez un

10 certain nombre de documents. Malheureusement, nous n'avons pas tous les

11 documents émanant des autorités serbes et produits pendant le conflit. Nous

12 ne disposons pas de tous les documents de l'armée ni de tous les documents

13 du MUP. Vous avez entendu lors de la Conférence préalable au procès que

14 même la Défense a des difficultés à obtenir certains documents du MUP. Il

15 s'agit d'un processus en continu et il y a toutes sortes de raisons qui

16 peuvent expliquer les retards auxquels nous devons faire face.

17 Il est également intéressant de noter que le général Pavkovic a

18 participé à la création de la commission de la VJ pour la coopération avec

19 le TPIY. Troisièmement, je souhaiterais parler des victimes qui viendront

20 témoigner au sujet des crimes reprochés. Au début, nous avions proposé que

21 plusieurs de ces témoins soient considérés comme des témoins en application

22 de l'article 92 bis. Nous voulions soumettre leur déclaration préalable

23 afin de leur éviter de comparaître. Mais conformément à la décision rendue

24 avant le procès, ils comparaîtront devant vous. Nous proposons de procéder

25 à leur interrogatoire principal, car comme vous l'avez dit la semaine

26 dernière, il ne serait pas bon que ces témoins viennent et soient aussitôt

27 soumis à un contre-interrogatoire sans avoir la possibilité de raconter

28 selon leurs propres mots l'expérience qu'ils ont vécue.

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1 Venons-en à la question du pourquoi, pourquoi ces crimes se sont-ils

2 produits. Le mobile n'est pas un élément que nous devons prouver, mais je

3 pense que cela vous aidera à comprendre les éléments de preuve et à les

4 remplacer dans le contexte.

5 Pour répondre simplement, le Kosovo était au centre de la politique

6 de survie de Milosevic au plan politique. Il en allait de même pour son

7 cercle d'intimes. Milutinovic, Milosevic et les coparticipants à

8 l'entreprise criminelle commune en avaient assez du problème du Kosovo. Au

9 cours des huit années qui venaient de s'écouler, ils avaient constaté que

10 la Yougoslavie, qui comptait auparavant six républiques, n'en comptait plus

11 que deux. Ils étaient déterminés à ne plus céder de territoires,

12 certainement pas le Kosovo.

13 Comme Milosevic l'a dit aux généraux de l'OTAN Wesley Clark et Klaus

14 Naumann, le Kosovo avait plus de valeur que sa propre tête. Pendant des

15 années, ils avaient essayé toutes sortes de mesures sans succès. Les Serbes

16 avaient perdu le jeu démocratique au Kosovo, et la situation ne pouvait que

17 se détériorer. Vous verrez que le pourcentage de la population albanaise

18 était en train de s'accroître, alors que le pourcentage des Serbes était en

19 train de diminuer.

20 Donc, les efforts visant à régler ce problème par le biais des lois

21 et par le biais des mesures de protection plus discriminatoires, tout cela

22 n'a pas marché non plus. Donc, l'usage de la force par la police et par

23 l'armée n'a pas marché. Tout cela n'a fait qu'aggraver la situation. De

24 plus en plus d'Albanais du Kosovo ont abandonné la résistance non violente

25 prônée par Ibrahim Rugova et la LDK. Ils se sont tournés vers l'UCK et un

26 programme de résistance violente.

27 Au moment où la communauté internationale et l'OTAN ont commencé à

28 agir, la décision avait été prise et les forces étaient déjà en place afin

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1 de changer véritablement les choses, dont l'équilibre ethnique du Kosovo.

2 La campagne de l'OTAN donnait aux membres du JCE une occasion de faire sous

3 couvert d'un état de guerre ce qu'ils n'osaient pas faire en temps de paix,

4 à savoir, faire en sorte que des milliers d'Albanais du Kosovo sortent de

5 la province du pays.

6 En conclusion, Messieurs et Madame les Juges, et je vais finir plus

7 tôt qu'anticipé, des centaines de milliers d'Albanais du Kosovo ont été

8 forcés à fuir afin de survivre, de laisser leurs maisons avec très peu de

9 préavis ou pas du tout. Ils ont été chassés par les tirs de la VJ et par

10 les mitraillettes de la police, par les unités spéciales et les autres

11 forces de la RFY et de la Serbie. Des milliers ont été tués dans ce

12 processus, de nombreux autres ont été volés, des hommes ont été battus, des

13 femmes ont été violées. Leurs maisons et leurs entreprises qu'ils ont été

14 obligés de laisser derrière eux ont fait l'objet de pillage et ont été

15 incendiées. Leurs mosquées et leurs édifices religieux et culturels ont été

16 détruits. Nous disons qu'il ne s'agit pas simplement de détérioration

17 collatérale, d'un conflit entre l'UCK et les forces de la RFY et de la

18 Serbie, ni du résultat des bombardements de l'OTAN. Ce n'était pas un

19 accident, ce n'était pas une série de coïncidences ni simplement les

20 difficiles et malheureuses conséquences d'une campagne légitime

21 antiterroriste. C'était un plan dirigé d'en haut, coordonné par les autres

22 membres de l'entreprise criminelle commune utilisant les forces qui étaient

23 sous leur commandement et de leur contrôle afin de mettre en place

24 l'objectif de la JCE, celui que j'ai répété de nombreuses fois, à savoir,

25 la modification de l'équilibre ethnique au Kosovo de façon à maintenir le

26 contrôle serbe de la province.

27 Ceci n'est pas le cas lorsque nous avons des confessions par les accusés,

28 ceci n'est pas un cas où nous avons des confessions ou un document très

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1 clair établissant un plan qui demandait une solution finale au problème du

2 Kosovo. Mais tous les moyens de preuve pris dans leur ensemble donnent une

3 sensation commune de ce qui était le but et la conclusion solide, qui était

4 le dessein de tous ces crimes, à savoir, un projet commun de ces accusés et

5 des autres membres nommés de l'entreprise criminelle commune qui se sont

6 rassemblés et ont fait leur contribution respective avec l'intention que

7 cet objectif soit atteint dans l'intention ou sachant que ces crimes

8 allaient commis afin d'atteindre cet objectif.

9 Il y a un certain nombre de facteurs-clés que je voudrais répéter et

10 vous demander de tenir à l'esprit pendant la présentation des moyens de

11 preuve dans ce cas. D'abord, la nature de la campagne armée qui a commencé

12 le 24 mars 1999, la nature systématique généralisée et coordonnée des

13 attaques à travers la province qui a commencé ce jour-là; 2, le nombre

14 d'enfants, de femmes et de personnes âgées qui n'étaient évidemment pas des

15 combattants terroristes ou des terroristes; 3, les efforts qui visaient à

16 cacher ces crimes, tout d'abord en niant ce qui s'était produit, et ensuite

17 en prenant des mesures très détaillées et logistiques et en utilisant des

18 ressources précieuses pour faire disparaître les preuves telles que le fait

19 de prendre des cadavres dans des charniers et de les transporter à des

20 centaines de kilomètres de là afin de les cacher dans des sites en Serbie;

21 4, la confiscation et la destruction de documents d'identité et

22 d'immatriculations de véhicules; 5, les déclarations d'intention par

23 Milosevic et par d'autres concernant les Albanais du Kosovo, et le fait de

24 trouver une solution au problème au printemps 1999, une solution comme

25 celle que Milosevic prétendait ayant été mise en place en 1945 et 1946, les

26 rassembler tous ensemble et tirer dessus; 6, le fait de faire disparaître

27 les voix qui étaient en désaccord du cercle intime de la direction, et la

28 substitution de ceux-ci par d'autres qui étaient plus coopératifs, plus

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1 disposés à suivre le plan; 7, l'importance du Kosovo dans la montée au

2 pouvoir politique et la survie de Slobodan Milosevic et de ceux qui le

3 soutenaient.

4 A la fin de notre présentation, lorsque tous les moyens de preuve

5 auront été versés, nous pensons pouvoir montrer et nous allons vous

6 demander de trouver que chacun de ces six accusés soient trouvés coupables.

7 Merci de m'avoir donné cette occasion de vous en parler. Moi-même et mes

8 collègues, nous félicitons de pouvoir faire notre réquisitoire.

9 Merci.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci, Monsieur Hannis.

11 [La Chambre de première instance se concerte]

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Visnjic, oui, nous allons

13 peut-être pendre la pause plus tôt que prévu et recommencer à 13 heures 45,

14 de façon que M. Ojdanic puisse faire sa déposition sans être interrompu.

15 Qu'est-ce que vous en pensez ?

16 M. VISNJIC : [interprétation] Oui, je suis tout à fait d'accord.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

18 Nous reprendrons à 13 heures 45.

19 --- L'audience est suspendue pour le déjeuner à 12 heures 09.

20 --- L'audience est reprise à 13 heures 44.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien, Monsieur Ojdanic, vous pouvez

22 maintenant faire la déclaration que votre avocat a indiqué que vous alliez

23 faire. A ce stade, veuillez vous lever, et nous allons vous écouter.

24 L'ACCUSÉ OJDANIC : [interprétation] Messieurs et Madame les Juges, je suis

25 devant vous en tant que soldat et général quatre étoiles, et ma carrière

26 professionnelle honorable a duré 42 ans. En 1964, j'ai fait une déclaration

27 solennelle afin de servir mon peuple et ma patrie. Je me suis engagé à

28 servir de façon dévouée mon peuple, à défendre ma patrie et à toujours être

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1 prêt afin de combattre pour la liberté et l'honneur de mon pays, sans

2 économiser ma propre vie s'il le fallait.

3 Nous avons tous une dette vis-à-vis de notre patrie, alors que notre patrie

4 ne nous doit rien. J'ai appris cette chose à tout le monde, à mes officiers

5 qui étaient dans mes commandements, parfois lorsque j'ai été le chef des

6 opérations tactiques et du commandement stratégique. J'ai appris à tous les

7 futurs officiers de notre armée la même chose au moment où j'ai servi comme

8 leader et chef de l'académie militaire des forces terrestres de la JNA. La

9 défense de notre patrie est notre valeur suprême. Ceci m'a permis la chose

10 suivante, et c'est ce que j'ai essayé d'apprendre à tout le monde : On ne

11 peut pas éviter ni danger ni crainte.

12 Merci de m'avoir donné cette occasion de prendre la parole tout au

13 début de cette affaire. Cela fait sept ans que j'attends pour enlever ce

14 sentiment de honte. J'ai éprouvé le besoin de m'adresser à vous au départ

15 de cette affaire afin de me présenter, non pas simplement en tant que

16 général, mais également en tant qu'être humain.

17 Je suis né le 1er juin 1941 dans le village de Ravni, près d'Uzice en

18 Serbie, dans un pays qui, à l'époque, était appelé le royaume de

19 Yougoslavie. Je ne suis né guère que 56 jours après le début de l'attaque

20 fasciste allemande contre la Serbie. Ils furent rejoints dans cette

21 agression par la Hongrie et l'Italie. J'avais six ans lorsque la République

22 Uzice glorieuse, qui était le seul territoire libre qui était au cœur

23 l'Europe occupé à l'époque. J'avais seulement quatre ans quand le pays fut

24 libéré de l'occupation allemande. En tant qu'enfant, je rêvais un jour de

25 devenir soldat. Mes deux grands-pères appartenaient aux armées de

26 libération pendant la Première Guerre mondiale. Mon père était un

27 antifasciste. Il avait participé à la lutte contre le fascisme,

28 l'antisémitisme, pendant laquelle la Serbie a participé en même temps que

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1 la Grande-Bretagne, la France, les Etats-Unis d'Amérique et l'Union

2 Soviétique. Je connaissais assez bien la participation et l'implication de

3 mes compatriotes dans les guerres de libération contre la Turquie,

4 l'Autriche et la Hongrie. Mon attirance pour la vie de soldat était basée

5 sur ma connaissance de la fameuse armée d'Uzice et le 4e Régiment de Stefan

6 Nemanja de la division de Drina.

7 Quand j'étais enfant, je ne me suis pas arrêté à ce niveau local. Je lisais

8 des livres concernant notre histoire nationale. J'admirais la

9 reconnaissance qui avait été donnée à l'armée serbe et ses commandants par

10 les puissances alliées et par l'ennemi. Le maréchal français, Liote [phon],

11 a écrit que : "Par leur courage, par leur résistance et par leur esprit de

12 sacrifice pendant la guerre entre 1914 et 1918, l'armée serbe sous le

13 commandement du prince Régent Alexandre avait donné un exemple éclatant de

14 la vertu soldatesque."

15 Robert Lessin [phon], le ministre des Affaires étrangères américain, avait

16 dit : "Lorsque l'histoire sera écrite, le chapitre le plus illustre de

17 cette histoire sera nommé Serbie." L'armée serbe a créé un miracle de

18 fortitude alors que le peuple serbe a souffert comme personne d'autre. Une

19 telle persévérance et un sens du sacrifice ne peuvent pas passer inaperçu.

20 Au contraire, ceux-ci doivent être récompensés.

21 Il y a eu de nombreux exemples de l'espèce. Cela a rempli mon âme avec un

22 grand désir de devenir un soldat fier de Serbie. Les soldats serbes ne se

23 sont jamais couverts de honte tout au cours de leur histoire. A l'époque,

24 un officier de la JNA était un professionnel très respecté, là d'où je

25 viens. Ce n'était donc pas étonnant qu'à l'âge de 15 ans, j'ai cessé d'être

26 un enfant et je suis devenu un soldat. J'ai servi pendant quatre ans dans

27 les écoles, et ensuite, pendant dix ans dans les académies militaires. J'ai

28 complété l'académie militaire pour les officiers subalternes, l'école

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1 opérationnelle que l'on appelait également l'Ecole de défense populaire, et

2 j'ai une licence en stratégie. Après quoi, j'ai soutenu ma thèse et j'ai pu

3 de ce fait avoir le droit de m'appeler maître de sciences militaires. J'ai

4 abandonné la défense de ma thèse dans des circonstances un peu étranges.

5 J'étais un excellent étudiant à l'époque et je connaissais des promotions

6 extrêmement rapides. Je fus décoré.

7 On m'a dit que la Yougoslavie était un pays qui devait assurer des

8 droits égaux pour tous ses peuples, une vie qui méritait d'être vécue, et

9 un avenir rose. Je le croyais comme étant la valeur suprême qui

10 garantissait que nos peuples ne pourraient plus jamais se faire la guerre.

11 J'étais un soldat qui était prêt à tout dans mon pouvoir pour

12 renforcer la position de la République fédérale socialiste Yougoslavie. Je

13 ne croyais pas simplement à la fraternité et à l'unité. Je faisais tout ce

14 qui était en mon pouvoir pour le renforcer jour après jour. Mes fonctions

15 me permettaient de participer activement à la lutte pour l'égalité des

16 droits de toutes les différentes nations que comportait la Yougoslavie. Mes

17 meilleurs amis parmi les officiers étaient et continuaient à être membres

18 d'autres groupes ethniques autres que le mien. J'ai passé de nombreuses

19 années dans l'académie militaire de la JNA où je travaillais en tant que

20 commandant, en tant que formateur, en tant que chef de l'un de plus gros

21 groupes de cadets, et en tant que chef d'un département en particulier.

22 J'étais chargé de la formation des futurs officiers provenant de tous les

23 groupes ethniques qui habitaient la Yougoslavie.

24 En tant qu'officier de la JNA, je suis venu au Kosovo-Metohija pour

25 la première fois en tant que lieutenant-colonel, d'abord comme lieutenant

26 second et ensuite comme lieutenant-colonel. J'ai servi à Djakovica entre

27 1964 et 1965 et à la garnison de Prizren entre 1983 et 1988. Je voudrais

28 souligner le fait qu'à l'époque j'étais là avec ma famille. J'ai également

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1 servi à la garnison de Pristina entre 1988 et 1990. J'ai personnellement pu

2 y voir comment les relations entre les Serbes et les Albanais se

3 détérioraient, mais pas une seconde je n'ai cru qu'il fallait que je prenne

4 partie. J'ai fait tout ce que je pouvais pour éliminer les causes ou tout

5 ce qui était à l'origine de cette détérioration dans ces relations. Les

6 gens ordinaires, à la fois les Serbes et les Albanais, continuaient à

7 respecter la JNA à l'époque, et personnellement, j'ai pu voir ce que

8 signifiait ce respect parmi les Albanais, dans la mesure où cela s'est

9 appliqué à ma propre brigade à Prizren. Des éléments de notre brigade qui

10 construisaient la route à travers des villages albanais, ils traitaient ces

11 soldats de manière plus qu'amicale. Ils ne leur permettaient pas de dormir

12 dans des tentes; au contraire, ils les accueillaient dans leurs propres

13 maisons, ce qui était un exemple unique d'hospitalité. J'étais très content

14 et très fier de ces faits. Je pensais que cela représentait une confiance

15 croissante dans les institutions du pays. J'étais relativement optimiste

16 lorsque je pensais à l'avenir, à la coexistence des différents groupes au

17 Kosovo.

18 Après le Kosovo-Metohija, mon service m'a ramené au QG de la JNA et

19 j'y ai servi en tant que chef opérationnel des forces terrestres et

20 directeur adjoint de l'administration de la formation de l'éducation des

21 forces armées de l'armée fédérale socialiste de République de Yougoslavie

22 en 1990 à 1991. A la fin de 1991, j'étais le commandant en poste pour le

23 37e corps. En 1992 et 1993, j'étais le commandant du corps Uzice. J'ai

24 continué à servir à la garnison de Belgrade en tant que chef d'état-major

25 de l'armée. Entre 1993 et 1994 et entre 1994 et 1996, j'étais commandant de

26 la 1er Armée, à savoir, l'unité ou le groupe stratégique le plus important

27 de toute l'armée yougoslave.

28 Le 1er juillet 1996, je fus nommé chef d'état-major adjoint de l'armée

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1 yougoslave et j'y suis resté jusqu'au 27 novembre 1998. A l'époque, à

2 savoir, l'époque la plus difficile, je fus nommé chef d'état-major de

3 l'armée yougoslave et j'y suis resté simplement 14 mois. C'était entre le

4 15 -- ou plutôt, le 27 novembre 1998 et le 15 février 2000. Entre le mois

5 de février 2000 et le moment où j'ai demandé à pouvoir prendre ma retraite,

6 j'étais le ministre fédéral de la Défense. J'ai quitté l'active du service

7 militaire le 31 mars 2001.

8 Pendant que je parlais de ma carrière et là où cela m'a amené, on peut dire

9 que ce n'est pas exagéré de dire que je suis l'un des quelques officiers

10 qui n'a pas raté un seul des niveaux de commandement de toute leur

11 carrière, en commençant par le niveau de l'unité, et petit à petit,

12 remontant jusqu'aux rangs les plus élevés de l'armée et de l'état-major.

13 C'est très difficile de trouver des mots adaptés dans ce discours très bref

14 pour exprimer ce que je ressens concernant tout cela, ce que je ressens

15 concernant tout ceci et ce pourquoi j'ai été inculpé tout comme mes

16 collègues dans l'acte d'accusation. Ce que je pourrais dire maintenant,

17 Messieurs et Madame les Juges, à vous ou à ceux qui nous écoutent ou nous

18 regardent, je le dis avec une conscience claire et paisible, je peux

19 regarder chacun droit dans les yeux sans une seule seconde me dérober, même

20 tenant compte de ce qui était contenu dans la première déclaration de

21 l'Accusation et en dépit de tout cela. Ceci a un effet calmant sur moi,

22 cette connaissance, cette conscience que j'ai que je peux regarder chacun

23 dans les yeux, bien que depuis sept ans maintenant, je dois me battre

24 contre des accusations injustifiées, accusations qui ne pourraient être

25 exprimées que contre un être humain qui n'aurait aucune moralité, honneur,

26 conscience ou dignité humaine. Ces accusations ne pourront jamais être

27 portées contre un homme ayant une carrière militaire honoraire derrière

28 lui.

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1 Je viens devant vous de mon propre gré. J'ai décidé de le faire

2 immédiatement après que la loi sur la coopération avec le Tribunal de La

3 Haye fut adoptée par l'assemblée de la République fédérale de la

4 Yougoslavie. Je pense que c'est le seul endroit où je puisse prouver mon

5 innocence et prouver la vérité, étant donné que je ne puis le faire dans

6 mon propre pays, que j'ai servi afin de le défendre de façon honorable et

7 conforme à la vie d'un soldat. Mon leitmotiv, c'est la vérité, rien que la

8 vérité, bien que cette vérité puisse me faire du mal.

9 En tant qu'officier de carrière, tout au long de cette carrière, j'ai

10 strictement respecté toutes les lois et les règlements. Est-il possible

11 d'imaginer que moi, en tant que chef d'état-major, puisse me tromper en

12 exécutant mon devoir constitutionnel le plus élevé ? L'article 63 de la

13 constitution de la RSFY dit : "La défense de la République fédérale de la

14 Yougoslavie est un droit et un devoir pour chaque citoyen."

15 L'article 133 de cette constitution définit clairement le rôle et les

16 devoirs de l'armée yougoslave, à savoir : "La République fédérale de la

17 Yougoslavie a une armée dont le devoir est de défendre sa souveraineté, son

18 indépendance et l'ordre constitutionnel."

19 Il y avait également parmi mes tâches en tant que chef d'état-major

20 du commandement Suprême, ces tâches-là. Qui pourrait aller à l'encontre de

21 ces dispositions de la constitution ? Qui en avait le droit ? En octobre

22 1998, le conseil suprême - c'était avant que je devienne chef d'état-major

23 - avait débattu de la situation au Kosovo-Metohija et est arrivé à la

24 conclusion suivante : la République fédérale de la Yougoslavie ferait tout

25 ce qui était dans son pouvoir pour que la situation au Kosovo-Metohija

26 puisse être résolue de manière pacifique, par le travail de la police et à

27 travers la diplomatie. Cependant, si elle échouait, la République fédérale

28 de la Yougoslavie devait être défendue par tous les moyens qui étaient à

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1 notre disposition. Ceci en soi indique la tâche qui était devant l'armée

2 yougoslave et le système de défense complet de la République fédérale de la

3 Yougoslavie.

4 L'armée et ma famille m'avaient cependant appris une autre règle que je

5 tenais pour sacrée. Tous les hommes, quelle que soit la couleur de leur

6 peau, leur ethnicité ou leur religion, sont égaux et doivent être traités

7 sans préjudice ou discrimination. J'ai maintenu ce principe à travers toute

8 ma vie. Cela ne m'a jamais traversé l'esprit d'agir de façon

9 discriminatoire vis-à-vis de qui que ce soit. J'ai certainement jamais fait

10 de ce genre, et ceci s'est appliqué à mon ennemi pendant le conflit armée,

11 quel qu'il soit.

12 Le plus grand succès de ma carrière militaire s'est produit dans une

13 communauté qui n'était pas peuplée par mes compatriotes, ni où ils

14 constituaient une majorité. Ceci s'est produit au Kosovo-Metohija,

15 spécifiquement à Prizren. J'étais le commandant de l'unité qui y était. La

16 zone de responsabilité de cette unité couvrait tout le Kosovo-Metohija.

17 J'ai été élu en tant -- on m'a récompensé avec l'honneur le plus élevé, ce

18 que nous appelons la récompense du 22 décembre.

19 La plupart des devoirs de l'unité étaient effectués par des officiers

20 albanais qui ont contribué de manière très importante à la préparation de

21 notre unité à l'état de guerre. Comment pouvais-je avoir été sélectionné en

22 tant que meilleur commandant pour toute la JNA si je n'avais pas été

23 soutenu quotidiennement par tous mes officiers et par beaucoup de gens de

24 la communauté locale, qui étaient surtout albanais ? Si ce n'était pas le

25 cas - et vous pouvez me croire, c'est le cas - comment pouvais-je être un

26 grand défenseur de la fraternité et de l'unité ? Comment pouvais-je penser

27 que l'égalité des droits pour tous les groupes ethniques différents devait

28 prévaloir, y compris le groupe ethnique albanais ? Comment pouvais-je, en

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1 tant qu'homme et soldat de plus haut rang, changer du jour au lendemain et

2 décider de rejoindre une sorte d'entreprise criminelle commune, et décider

3 de contribuer à la planification des crimes les plus atroces, du meurtre et

4 de la déportation de personnes depuis leurs maisons, dans leur propre

5 pays ?

6 Non, Messiers et Madame les Juges. Quelque chose ne va pas. Soit il

7 s'agit d'un mensonge et j'étais le meilleur commandant dans cet

8 environnement qui était quasiment purement albanais, soit c'était un

9 mensonge que j'aimais et que j'étais respecté par cette communauté. Ou

10 alors, c'est un mensonge que j'ai aidé, encouragé et instigué le crime le

11 plus atroce imaginable contre ce même peuple. Je vous assure, cette

12 dernière affirmation est un mensonge. Je n'ai jamais rien fait, ni ai-je

13 jamais toléré quelque chose qui pouvait en quoi que ce soit ressembler aux

14 allégations qui sont faites dans l'acte d'accusation. Tout au contraire.

15 Vous allez voir de nombreux ordres que j'ai donnés, de nombreux

16 avertissements que j'ai émis qui indiquent le contraire.

17 Dans ces conflits au Kosovo-Metohija, il était très difficile de

18 distinguer la ligne de front de la ligne arrière, de distinguer la guerre

19 de la politique, la lutte de l'idéologie, le civil du soldat. J'ai écrit de

20 ma propre main et j'ai parlé de ma propre voix. Je n'ai pas utilisé un

21 représentant, une personne chargée de relations publiques ou un scribe, et

22 à de nombreuses pages d'ordres, d'avertissements ordonnant d'agir de

23 manière humaine dans ces circonstances tout à fait difficiles et inhumaines

24 qui ont prévalu pendant la guerre, tout ceci dans l'objectif d'éviter des

25 souffrances non nécessaires des civils. Nous savons que les civils sont

26 toujours les principales victimes et les plus tristes victimes de toute

27 guerre.

28 Malheureusement, mes efforts n'ont pas été couronnés complètement de

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1 succès, mais ceci, on ne l'a appris que plus tard. Je suis cependant

2 convaincu que mes actes, ma parole et mon autorité personnels, par tout

3 ceci, j'ai contribué à faire en sorte que toute cette affaire soit d'un

4 cran moindre qu'elle ne l'aurait été autrement. Je suis également convaincu

5 qu'aucun de mes actes, qu'il soit écrit ou parlé, n'ait jamais été utilisé

6 par qui que ce soit pour commander ou encourager à commettre ou perpétrer

7 des crimes contre la population albanaise. Je suis surtout convaincu qu'à

8 aucun moment pendant toute ma carrière ai-je fait quoi que ce soit que l'on

9 puisse qualifier de crime ou n'importe quelle forme de participation à un

10 crime. Il s'ensuit que je n'ai en tout cas certainement pas fait cela en

11 tant que chef d'état-major du commandement Suprême. Je croyais fermement au

12 droit international et à la charte des Nations Unies.

13 J'espérais que les Nations Unies, que l'OTAN n'attaquerait jamais mon

14 pays, bien que tout semblait indiquer le contraire, et notamment qu'il y

15 aurait une agression. Cet optimisme a été fondé sur la croyance qu'il n'y

16 avait pas de problèmes internationaux qui pourraient être résolus par

17 l'utilisation de la force, surtout par les armes. J'ai envoyé au général

18 Clark une lettre exprimant mon avis. Malheureusement, le général Clark ne

19 partageait pas mes idées, et il était à l'époque commandant en chef de

20 l'OTAN pour l'Europe.

21 Nous sommes maintenant en 2006. Il y a sept ans que les événements décrits

22 dans l'acte d'accusation se sont déroulés. Une chose que je voudrais vous

23 demander, Messieurs et Madame les Juges, c'est d'essayer de vous mettre à

24 ma place et d'imaginer comment ces événements se sont déroulés petit à

25 petit entre les mois de mars et juin 1999. Même dans les documents

26 officiels américains, on voit des références concernant l'Armée de

27 libération du Kosovo en tant qu'organisation terroriste qui était

28 continuellement en train d'attaquer de manière très brutale la police serbe

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1 et l'armée serbe, de même qu'à la fois les civils albanais et serbes. Dans

2 la lutte contre le terrorisme, nous avons essayé de résister à l'attaque de

3 l'OTAN. Les armées les plus puissantes du monde se sont mises ensemble pour

4 attaquer la Yougoslavie. Cette opération était une violation des

5 dispositions du droit international, et c'était une opération que le

6 Conseil de sécurité n'a jamais autorisée. Personnellement, je crois que

7 quoi que prétende l'Accusation, on ne pourra pas utiliser cette tragédie du

8 Kosovo, la tragédie de toutes ces personnes qui y vivaient, pour effacer

9 les conséquences terribles des bombardements quotidiens de la Yougoslavie

10 et des nombreuses victimes civiles qui sont tombées lors de ces attaques

11 indiscriminées contre mon pays, qui a été particulièrement forte au Kosovo-

12 Metohija.

13 Le partenariat entre l'OTAN et l'Armée de la libération du Kosovo est

14 un fait qui est actuellement ouvertement débattu. Les crimes commis à

15 l'époque n'ont jamais été assujettis à un examen par l'Accusation. Si cela

16 avait été le cas, je pense qu'il serait plus facile pour nous pour définir

17 ou distinguer les raisons qui ont mené le peuple du Kosovo à partir de chez

18 elles. Des preuves ont montré que tout ce que j'ai fait était contre

19 l'Armée de libération du Kosovo, et ensuite, après l'attaque contre mon

20 pays, contre l'OTAN, et l'Armée de libération du Kosovo, en tant qu'allié

21 de l'OTAN, et pas contre les Albanais, pas contre la population civile,

22 comme il est prétendu.

23 Il y a une chose dont je suis certain, Messieurs et Madame les Juges

24 : je ne suis pas coupable, quelle que soit l'accusation de l'acte

25 d'accusation. Je fais face à ces accusations avec une conscience tout à

26 fait tranquille parce que je n'ai rien à me reprocher.

27 En 2001, déjà en tant qu'accusé, j'ai demandé à l'accusation suprême

28 du tribunal militaire de me juger devant un tribunal non militaire. Ceci

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1 m'a été refusé, et après la Loi sur la coopération avec le Tribunal de La

2 Haye, je me suis rendu à La Haye de mon propre gré. Je pense que le Juge

3 Bonomy se souviendra qu'à l'époque, afin de prouver mon innocence, j'ai

4 demandé à mon avocat de demander à l'OTAN de faire mettre à notre

5 disposition un document qui pourrait prouver ma culpabilité. Je pouvais

6 procéder de la sorte parce que j'étais certain que j'avais rien à cacher,

7 que j'avais rien de quoi à me reprocher. J'ai effectué mes devoirs en tant

8 que chef d'état-major de l'état-major de l'armée yougoslave et, en temps de

9 guerre, en tant que chef d'état-major du commandement général de manière

10 honorable.

11 J'exhorte l'Accusation à nous montrer des messages interceptés,

12 d'autres documents ou d'autres moyens de preuve qui sont en mesure de

13 prouver que j'avais des préjugés anti-albanais qui prouvent que d'une

14 manière ou d'une autre, j'ai encouragé ou soutenu l'expulsion d'Albanais du

15 Kosovo-Metohija. J'étais un soldat et je le reste. J'ai toujours agi

16 conformément aux ordres, des ordres qui étaient basés sur le droit. J'ai

17 toujours agi en toute conscience. Bien que j'aie été nommé chef d'état-

18 major de l'armée yougoslave à l'époque où la décision sur les agressions

19 avait déjà été adoptée, je suis toujours fier d'être à ce poste, et je suis

20 fier de l'armée yougoslave et de son commandement, car ils ont résisté vis-

21 à-vis d'une force supérieure, dans les limites de ce qui était

22 raisonnablement possible. Jusqu'au moment où la Résolution 1244 a été

23 adoptée et qu'un retrait a été ordonné, nous n'avons pas provoqué la honte

24 pour nos glorieux ancêtres. Nous n'avons pas, comme certains le suggèrent,

25 capitulé.

26 Comment l'armée yougoslave a-t-elle quitté le Kosovo-Metohija ? Le

27 général Jackson a donné la meilleure illustration. Il a dit à l'époque

28 qu'il était évident qu'il n'y avait pas de défaite et que l'armée était

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1 encore opérationnelle. Pour la JNA et ses officiers dans le commandement,

2 c'était preuve de reconnaissance.

3 Au bout de trois mois de guerre, après que 13 de nos chars aient été

4 détruits ou endommagés -- avec 350 combattants qui défendaient leur patrie,

5 c'était un acte admirable. Dans mon cœur, il l'est, et je suis certain que

6 cela s'applique à tous les autres. Il y a évidemment cette souffrance pour

7 tous ceux qui ont tué des membres de la police et de l'armée, de même que

8 pour les civils qui ont péri, quel que soit le groupe auquel ils

9 appartenaient, et dont le sacrifice, je continue à admirer.

10 Je voudrais simplement vous donner deux ou trois conclusions

11 élémentaires. Je pense que cela sera pour prouvé pendant le procès.

12 Tout d'abord, le chef d'état-major du commandement Suprême était à un

13 poste dans lequel j'ai exécuté mes devoirs au mieux. J'ai respecté la

14 constitution et les lois de mon pays, les lois et les coutumes de la

15 guerre, le droit humanitaire international sur la guerre, les règles en

16 matière de combat et l'utilisation d'unités pendant la guerre et toutes les

17 autres dispositions et règlements.

18 Deuxièmement, il n'y avait pas de plan visant à expulser les

19 Albanais, ni ai-je été impliqué dans une telle situation où un tel plan

20 aurait été débattu. Si ce plan avait existé et qu'il avait fait l'objet de

21 débat, je m'y serais opposé. C'est une chose certaine.

22 Troisièmement, il n'y avait pas de choses qu'on peut appeler

23 entreprise criminelle commune; par conséquent je n'ai pas pu y être

24 impliqué.

25 Quatrièmement, je n'ai jamais aidé ou encouragé ou été à l'origine de

26 violations du droit humanitaire, tout au contraire.

27 Cinquièmement, j'ai pris de nombreuses précautions à travers mon système de

28 commandement pour ordonner et réduire le plus possible la possibilité de

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1 toute action qui pourrait aboutir à des crimes, et surtout des crimes de

2 guerre. Ce n'est certainement pas quelque chose que j'aurais fait en tant

3 que membre de quoi que ce soit qui pourrait être désigné comme entreprise

4 criminelle commune.

5 Sixièmement, en ce qui concerne les infractions aux droits humanitaires de

6 la guerre, ceux-ci ont été rapportés par des officiers chargés dans les

7 zones concernées. Ces personnes ont immédiatement fait l'objet de procédure

8 dans ces circonstances très complexes parce qu'il y avait une guerre, mais

9 les mesures prises contre ces personnes, les mesures appropriées, si je

10 peux dire.

11 Je voudrais prendre cette occasion pour m'adresser au Procureur

12 puisque nous n'avons pas jusqu'ici pu communiquer. Je pense qu'après avoir

13 écouté ma déclaration liminaire, et compte tenu des moyens de preuve

14 jusqu'ici et les moyens qui vont être présentés par ma défense, y compris

15 un certain nombre de témoins et de témoins experts, l'Accusation sans aucun

16 doute aura une vision plus exacte de ce qui s'est passé pendant la guerre à

17 proprement parler et les encouragera à laisser tomber les accusations

18 contenues dans l'acte d'accusation et laisser de côté leurs allégations. Ce

19 sera une très grande contribution non simplement à ce procès, mais à la

20 justice dans son ensemble.

21 Je pense qu'après la présentation de la Défense, vous aurez appris

22 que ce que je dis est vrai. Vous aurez appris que je n'ai rien à me

23 reprocher, que je suis innocent. Vous serez en mesure de vous prononcer

24 conformément à ceci et de m'acquitter.

25 Merci encore de m'avoir donné cette occasion.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci beaucoup.

27 Monsieur Stamp, appelez votre premier témoin.

28 M. STAMP : [interprétation] Oui. Pendant que l'on fait venir le témoin

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1 Sandra Mitchell, je voudrais vous rappeler qu'il y a d'abord une

2 déclaration en application de l'article 89(F), j'aurai quelques questions à

3 lui poser à l'interrogatoire principal.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est une seule page ?

5 M. STAMP : [interprétation] C'est une déclaration que je voudrais vous

6 soumettre, Mesdames et Messieurs les Juges, c'est en fait trois

7 déclarations distinctes, avec une page qui est un addendum qui a été

8 réalisé samedi. Il y a eu une déclaration en 2002 -- deux plutôt, elles

9 relèvent de la liasse initiale de documents qui a été communiquée à la

10 Défense et à la Chambre aussi, il y a un certain temps. Je pense que vous

11 avez la déclaration du 8 juillet, P2225.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

13 M. STAMP : [interprétation] Vous avez la déclaration de 2002 qui porte la

14 cote 2226.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La question qui se pose maintenant est

16 très simple. Le témoin que nous allons entendre, devrait-elle avoir

17 l'autorisation de faire une déposition orale tout en intégrant dans sa

18 déposition des déclarations au préalable de témoins qui sont au nombre de

19 trois ? Il y a une déclaration principale et deux ajouts, deux addenda

20 comme ceci vient de nous être expliqué. Monsieur Stamp, si vous abordez la

21 question de cette façon c'est parce que dans les dispositions de l'article

22 89(F) on trouve le libellé qui semble être indiqué qu'il sera peut-être

23 nécessaire à la Chambre de première instance de décider positivement de

24 prendre une décision si l'intérêt de la justice le commande.

25 Y a-t-il un conseil de la Défense qui voudrait faire des arguments pour

26 dire que dans l'intérêt de la justice ce témoin ne devrait pas être

27 autorisé à déposer suivant les modalités que vient de suggérer M. Stamp ?

28 M. IVETIC : [interprétation] Nous avons préparé une requête pour interdire

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1 le versement par le truchement de ce témoin d'éléments de preuve émanant de

2 ce livre ou de ce rapport préparé par l'OSCE qui s'appelle en anglais "As

3 Seen, As Told". Ceci à plusieurs titres dans la mesure où ce témoin fait

4 référence à ce rapport ou au sujet qu'il contient. Si c'est le cas, nous

5 voudrions y faire objection.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est une question séparée de celle

7 que je vous ai posée à l'instant.

8 M. IVETIC : [interprétation] Oui.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pour ce qui est du principe, est-ce

10 qu'une partie de sa déposition, de son audition, peut comprendre une partie

11 écrite, un document écrit, nous laissons de côté la question de savoir

12 quelles seraient les parties de ce document qui pourraient susciter

13 objection ?

14 M. IVETIC : [interprétation] Si c'est une déposition en bonne et due forme,

15 il n'y a pas de raison de soulever d'objection.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Fort bien.

17 J'ai le sentiment qu'il ne devrait pas être nécessaire de faire une

18 requête expressis verbis en application du 89(F). Pour qu'un témoin puisse

19 subir un contre-interrogatoire, après avoir prêté serment ou prononcé une

20 déclaration solennelle, et de dire voilà il y a une déclaration écrite qui

21 est un récit tout à fait exact, je ne vois pas pourquoi si l'intérêt de la

22 justice le commande, et ceci de façon générale, pourquoi on devrait refuser

23 ce genre de procédure.

24 Bien sûr, ceci n'exclut pas la possibilité de voir surgir une

25 situation de ce genre. Voilà ce que nous allons faire à présent, un témoin

26 aura automatiquement le droit de se voir poser des questions dans ce sens

27 sous réserve d'objections préliminaires présentées par la Défense. C'est la

28 Défense qui devra intervenir pour objecter, sinon c'est la façon que nous

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1 allons retenir pour procéder.

2 Me Ivetic vient de poser une question, vient de mentionner une

3 requête. Je ne sais pas si elle a été déposée, elle ne m'est pas encore

4 parvenue.

5 M. IVETIC : [interprétation] C'est lors de la dernière pause que nous

6 l'avons déposée, il est possible que ceci ne soit pas parvenu aux parties.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je ne sais pas si c'est une

8 question qui se pose nécessairement maintenant. Si vous voulez faire

9 objection à toute autre partie de la déclaration de ce témoin, vous pouvez

10 effectivement poser une question. Par exemple, si vous pensez que ceci

11 entraînera une réponse qui sera ne sera pas recevable ou alors vous vous

12 opposez à une ligne de conduite proposée par l'Accusation.

13 M. IVETIC : [interprétation] Nous avons reçu des déclarations du

14 bureau du Procureur qui énumèrent ce rapport que nous contestons. Le

15 rapport P473, c'est un document que l'Accusation va vouloir déposer en

16 application du 89(F) également.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Attendons de voir le moment où

18 ce document-là sera soumis au témoin pour voir ce que nous allons faire.

19 M. IVETIC : [interprétation] Fort bien, Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Peut-on faire entrer Mme Mitchell.

21 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vais vous demander de vous lever,

23 Madame. D'abord, mettez-vous à l'aise, chausser vos écouteurs, lorsque vous

24 vous sentirez à l'aise, je vais vous demander de prononcer la déclaration

25 solennelle.

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

27 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

28 LE TÉMOIN: SANDRA MITCHELL [Assermentée]

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1 [Le témoin répond par l'interprète]

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci, Madame, veuillez vous asseoir.

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, vous avez la parole.

5 Interrogatoire principal par M. Stamp :

6 Q. [interprétation] Bonjour, Madame Mitchell. Je vais vous demander tout

7 d'abord de décliner votre identité.

8 R. Sandra Lynn Mitchell.

9 Q. Quel est votre emploi aujourd'hui ?

10 R. Je suis aujourd'hui directeur du bureau des communautés, des retours et

11 des minorités des Nations Unies au Kosovo.

12 Q. Est-ce que vous êtes juriste de formation, avocate ?

13 R. Oui.

14 Q. Pourriez-vous en quelques mots nous parler de votre carrière de juriste

15 ou de personne qui a étudié le droit dans le cadre des droits de l'homme et

16 du droit humanitaire international ?

17 R. C'est une question difficile et importante.

18 Je pense que j'ai une expérience de 12 ans où j'ai travaillé dans les

19 Balkans, le conflit en Bosnie, le Kosovo, la Macédoine, et dans le même

20 genre d'événements qui se sont produits en Afrique et en Asie. Je parle de

21 conflits où j'ai travaillé pendant que ces conflits régnaient, soit dans le

22 domaine humanitaire ou aussi pour ce qui est des droits de l'homme,

23 notamment dans les situations après les conflits, où on essaie de rebâtir

24 des institutions respectant l'état de droit et le fait d'édifier des

25 institutions qui respectent le droit humanitaire.

26 Q. Quelles étaient vos fonctions entre le mois d'octobre 1989 et avril

27 2000 ?

28 M. STAMP : [interprétation] Apparemment, on ne m'a pas entendu.

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1 Je vais répéter ma question.

2 Q. Où étiez-vous en poste entre octobre 1998 et avril 2000 ?

3 R. J'étais le directeur pour les droits de la MVK à Pristina, et dans des

4 camps de réfugiés en Macédoine et en Albanie pendant la campagne aérienne

5 de l'OTAN.

6 Q. Pendant ce travail que vous avez fait en tant que directeur responsable

7 des droits de l'homme à la MVK, est-ce qu'en cette qualité vous avez fourni

8 au bureau du Procureur trois déclarations signées, deux en l'an 2000 et la

9 dernière samedi dernier ?

10 R. Oui.

11 Q. Est-ce que vous avez examiné la déclaration fournie ? La teneur de

12 celle-ci est-elle exacte d'après ce que vous savez ? Si on vous reposait

13 cette question qu'on vous a posée alors aujourd'hui, auriez-vous les mêmes

14 réponses ?

15 R. Oui.

16 M. STAMP : [interprétation] Comme je vous l'ai dit, Monsieur le Président,

17 il s'agit des pièces P2225 et 2226.

18 Q. Pourriez-vous rapidement nous dire quel était le rôle de la MVK au

19 Kosovo au cours de cette période, comment cette mission a été créée et quel

20 était son mandat ?

21 R. Il existait déjà des normes internationales s'appliquant à la mission

22 de la MVK avant qu'elle soit créée. Il y avait deux instruments

23 internationaux précis concernant le Kosovo à des fins de ce mandat. La

24 législation et les normes préexistantes concernaient l'OSCE elle-même,

25 c'est l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. C'est

26 une organisation intergouvernementale de 55 pays, y compris, à l'époque, la

27 RFY, même si elle a eu un statut suspendu pendant cette période.

28 L'OSCE se compose de 55 pays, disais-je, qui ont tous souscrit à la

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1 déclaration des Nations Unies des droits de l'homme, aussi pour signer le

2 pacte international des droits civils et politiques, ainsi que le droit de

3 la guerre, les conventions de Genève, ainsi que les lois de La Haye. Tout

4 ceci s'applique à toute mission sur le terrain de l'OSCE, et c'était vrai

5 pour les missions aux Balkans depuis les accords de Dayton, notamment --

6 Pour ce qui est des documents régissant spécifiquement la situation au

7 Kosovo, vous aviez la Résolution 1199 du Conseil de sécurité mis en œuvre

8 en septembre 1998 suite à l'escalade ou à la reconnaissance des

9 déplacements de civils du Kosovo. A l'époque, on en était à 2 ou 300 000

10 personnes, c'étaient des réfugiés qui constituaient un fardeau énorme pour

11 les pays voisins. Cette résolution du Conseil de sécurité a donc été

12 adoptée qui disait que le Kosovo se trouvait en situation de conflit et

13 donnait compétence au présent Tribunal, tout en exhortant les parties à

14 permettre le retour des réfugiés pour essayer de trouver une solution

15 pacifique notamment.

16 Au cours des mois qui se sont suivis, octobre 1998 notamment, le chef de

17 l'OSCE, qui s'appelle le président en fonction de ces 55 pays - vous savez

18 qu'il y a un roulement de présidence toutes les années - c'est le ministre

19 des Affaires étrangères d'un pays donné qui occupe le siège de président. A

20 l'époque, c'était le ministre Geremek de Pologne qui a signé un accord avec

21 le ministre des Affaires étrangères de Yougoslavie, Jovanovic, par lequel

22 était établie la MVK entre les autorités gouvernantes en Serbie à l'époque

23 et l'OSCE. Ce mandat prévu par la Résolution 1199 prévoyait qu'on devait

24 faire rapport régulièrement aux autorités de Yougoslavie et c'est sur cette

25 base que cette mission a été établie. Avec un maximum de 2 000 membres du

26 personnel, on a très vite eu ce nombre et en l'espace de quelque 90 jours,

27 l'OSCE a établi des antennes opérationnelles avec un QG à Pristina, cinq

28 bureaux régionaux et plus de 40 antennes plus petites sur tout le Kosovo,

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1 là où il y avait des tensions et des conflits.

2 Q. Merci.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je voudrais poser une question qui

4 découle de ce qui vient d'être dit.

5 Ceci vous a mené jusqu'après la fin 1998, je parle de tout ce

6 processus d'installation, de création ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] La résolution du Conseil de sécurité a

8 été adoptée en septembre, l'accord avec les autorités yougoslaves s'est

9 passé en octobre, puis, il y a eu des plans, des préparatifs à partir de

10 Vienne parce que jamais l'OSCE n'avait eu une mission de ce genre

11 auparavant. Il n'avait rien eu de ce genre depuis la FORPRONU en Bosnie.

12 Entre le mois de novembre et le mois de décembre, on a commencé à

13 recruter du personnel de façon très vigoureuse. Le personnel est venu de

14 tous les pays membres et au moment où la mission s'est retirée - elle s'est

15 retirée au mois de mars 1998 - il y avait plus de 1 300 membres de

16 personnel internationaux et plusieurs centaines de personnes du pays qui

17 étaient employées par la mission.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je voulais simplement avoir une idée

19 de l'activité de la mission. Est-ce qu'il n'y a pas beaucoup de travail qui

20 a été investi pour mettre en place la mission avant le bombardement ?

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Jamais je n'avais vu une telle

22 édification de mission, parce que nous avions énormément de fonds surtout

23 grâce à des pays donataires comme la Norvège qui devait être à la tête de

24 l'OSCE en 1999, plusieurs de centaines de millions de dollars ont été

25 investis. C'était une mission de maintien de la paix importante. On

26 voulait, à ce moment-là, enrayer l'afflux de réfugiés. L'aspect logistique

27 était vraiment impressionnant, à une échelle que je n'avais jamais vu

28 auparavant, parce que souvent les pays utilisent leurs propres ressources

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1 en matière de télécommunication, de transport, pour avoir des ressources

2 sur le terrain le plus vite possible. L'OSCE a des procédures

3 administratives bien plus rapides que celles des Nations Unies.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

5 Monsieur Stamp, continuez.

6 M. STAMP : [interprétation] Oui, je pense qu'il est important que les

7 chiffres soient bien répercutés dans le compte rendu d'audience. Je

8 voudrais vous dire que page 83, il y a peut-être une petite erreur. Il

9 s'agit des pièces P2225 et 2226. Peut-être que ceci ne figurait pas bien au

10 compte rendu d'audience.

11 Q. Madame Mitchell, le rôle de la section des droits de l'homme de la MVK

12 se trouve décrit dans la déclaration que vous avez fournie. Pourriez-vous

13 nous dire, ceci étant dit, quel était le rôle primordial en matière de

14 droits de l'homme ?

15 R. La section des droits de l'homme de la MVK avait pour rôle premier de

16 vérifier le respect, de voir si effectivement les droits de l'homme étaient

17 respectés au Kosovo par les autorités gouvernantes, par la VJ, l'armée

18 yougoslave, par la police serbe, par les forces spéciales, par l'UCK,

19 l'Armée de libération du Kosovo, par quiconque exerçant un contrôle quel

20 qu'il soit sur la population civile.

21 L'autre volet du mandat était de coordonner les activités de ma section

22 avec le CICR en matière de détention, d'assurer donc une bonne coopération

23 en matière de détention et de personnes portées disparues. Vous aviez le

24 Haut-commissariat aux réfugiés, il fallait donc assurer la coopération avec

25 celui-ci, ainsi qu'avec le Tribunal de La Haye pour voir s'il était

26 possible de recueillir des éléments de preuve, si des infractions étaient

27 commises pendant que nous étions sur le terrain.

28 Q. Tout ceci a déjà été repris dans des documents, nous devons en tenir

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1 compte. Ceci dit, pourriez-vous nous dire, si vous avez publié des

2 documents, quelle est la source de ces documents et quelle est la méthode

3 qui est utilisée ?

4 R. La MVK a publié beaucoup de documents. Le service ou la section des

5 droits de l'homme avait des méthodes très claires qui était appliquées.

6 J'ai du mal à répondre à votre question sans essayer de la replacer dans le

7 contexte qui était le nôtre pour nos opérations à l'époque. En effet, la

8 méthode a changé un peu au Kosovo, du moins a tendu à le faire lorsque nous

9 avions par exemple des déclarations de réfugiés.

10 Q. Est-ce que parmi les documents publiés, il y en a un qui s'appelle "As

11 Seen As Told," "Dit comme vu" ?

12 R. Oui. Là, dans ce document, dans sa première partie, en fait, on reprend

13 donc les procédures quant au respect des droits de l'homme au Kosovo

14 d'octobre jusqu'à mars, parce qu'à ce moment-là, tous les dossiers et

15 toutes les archives ont été évacués en même temps que la mission. Je peux

16 vous dire quelle a été la méthodologie --

17 Q. Mais tout d'abord, ce livre ou ce rapport, première partie, "As Seen As

18 Told," "Dit comme vu", concernait quoi ?

19 R. Ceci faisait état des infractions aux droits de l'homme.

20 M. IVETIC : [interprétation] Objection.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.

22 Veuillez terminer votre réponse, Madame.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] C'étaient les infractions qui avaient été

24 documentées par notre bureau entre octobre 1998 et juin 1999. Il y avait

25 aussi dans cette première partie des déclarations recueillies, déclarations

26 faites par des milliers de réfugiés.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] L'objection soulevée ici concerne le

28 versement du rapport.

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1 Maître Ivetic, il faut peut-être que la Chambre soit saisie davantage

2 d'éléments pour en savoir plus sur la méthode de travail, voire entendre ou

3 voir des exemples avant de se prononcer suite à votre objection. Le fait

4 que nous allons faire ceci ne signifie pas pour autant que les documents ou

5 ce document sera versé ou déclaré recevable, parce qu'il faudra prendre une

6 décision positive, mais elle ne sera prise qu'à la lumière de l'objection

7 que vous avez soulevée ou la requête que vous avez déposée. Mais pensez-

8 vous que l'on puisse remédier ou aborder cette question avant de savoir

9 comment ou de quelle méthode on s'est servi pour compiler ce rapport et

10 pour connaître la nature générale des éléments contenus dans ce livre ?

11 M. IVETIC : [interprétation] Mais je m'étais dit qu'il serait peut-être

12 utile que la Chambre se rappelle les objections classiques que nous avons

13 pendant qu'elle entend les éléments concernant la méthode utilisée dans ces

14 rapports. Si vous en tenez compte, vous prendrez plus tard plus aisément

15 une décision quant à savoir si ce genre de déposition est adéquat ou pas.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

17 Mais Madame Mitchell, vu ces circonstances, puisque le moment est

18 presque venu de faire la pause, il est peut-être plus utile que vous

19 quittiez ce prétoire maintenant. Je pense qu'il sera 15 heures 15, en

20 fonction de l'intervention de Me Ivetic, ce sera peut-être un peu après,

21 mais si vous êtes de retour dans ce prétoire à 15 heures 15, ce sera

22 parfait.

23 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

24 [Le témoin se retire]

25 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ivetic, est-ce que vous

27 avez des exemplaires de cette requête que vous avez déposée à l'intention

28 des Juges de la Chambre ?

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1 M. IVETIC : [interprétation] Ce sont des exemplaires qui ne sont pas

2 signés, je pourrais vous les distribuer suite à l'Accusation --

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais faites-le.

4 M. IVETIC : [interprétation] Absolument.

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 M. STAMP : [interprétation] Pourrions-nous avoir un exemplaire ? Parce que

7 nous n'avons pas reçu cette requête.

8 M. IVETIC : [interprétation] Effectivement, j'allais vous en remettre un

9 exemplaire.

10 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ivetic, je parle en mon nom

12 personnel, certes, mais tout ce qui est dit ici qui mérite d'être étoffé

13 par vous -- où est-ce que nous sommes ? C'est le troisième paragraphe,

14 première page, qui dit que les informations recueillies sont non seulement

15 de l'ouï-dire, mais en plus de cela, elles ne respectent pas les normes

16 prescrites par le Règlement de procédure et de preuve du présent Tribunal

17 en vue de déclarer un élément de preuve recevable. Vous me parlez de quel

18 article du Règlement ?

19 M. IVETIC : [interprétation] Au fond, en quelques mots, je dirais qu'à

20 notre avis, ce rapport est la déposition que va faire à ce propos Mme

21 Mitchell cherchant à présenter par écrit comme éléments de preuve à faire

22 verser au dossier les déclarations de victimes présumées qui ne sont pas

23 connues, qui ne sont pas identifiées --

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, j'ai bien lu tout cela, mais

25 dites-moi quel est l'article qui serait ici violé.

26 M. IVETIC : [interprétation] Je pense que si vous avez des déclarations de

27 témoins, d'événements présumés, si ceci se fait par écrit, il faut

28 respecter la disposition (F) -- je m'excuse, le 92 bis.

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1 C'est à cet égard qu'à notre avis le témoin qui a déjà dit qu'il y

2 avait des membres du personnel qui devraient mener un travail d'enquête

3 pour le TPIY, donc je suppose que c'est pour le bureau du Procureur, alors

4 que maintenant, elle va essayer de verser au dossier des déclarations qui

5 n'ont pas été faites sous serment, qui sont anonymes, et si l'on cherche à

6 introduire ces déclarations par son truchement, ce sera le faire à la

7 dérobée par la petite porte et c'est à cela que nous faisons objection.

8 Vous l'avez déjà entendu, le témoin dit de son rapport que ce sont des

9 conclusions de lois qui ont été violées. Donc, ce rapport cherche à

10 supplanter le Tribunal en prenant des décisions factuelles à partir de ces

11 affirmations de ces faits.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je comprends parfaitement tous vos

13 arguments, mais ce n'est pas la question que je vous pose. J'essaie

14 simplement de déterminer quel est l'article du Règlement qui aurait été

15 violé.

16 M. IVETIC : [interprétation] J'apprécie cela.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous dites qu'il s'agit du 89(F) --

18 M. IVETIC : [interprétation] Excusez-moi, je me suis corrigé. C'est 92 bis,

19 Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, 92 bis.

21 M. IVETIC : [interprétation] Oui. Dans la mesure où ce rapport dit contenir

22 des déclarations de témoins oculaires d'événements et que ceci est présenté

23 sous forme écrite, à ce moment-là, je dis que ces déclarations auraient dû

24 se faire sous serment selon les modalités requises pour que ce soit

25 recevable. Si on le fait de la façon suggérée, c'est contourner le

26 Règlement.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais vous savez que si on dit que si

28 on cherche à chercher des informations qui ont donné les -- une personne

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1 qui a donné des informations peut être un témoin. A ce moment-là, cela peut

2 faire l'objet du Règlement. C'est comme cela qu'on interprète la notion de

3 "témoin".

4 M. IVETIC : [interprétation] Je suis d'accord

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Peut-être qu'on aura une nouvelle

6 définition du terme de "témoin" si on voit ce qu'a fait jusqu'à présent le

7 Tribunal. Si on prend le 89(C) qui dit : "La Chambre peut déclarer

8 recevable tout élément de preuve pertinent."

9 M. IVETIC : [interprétation] Oui, mais pour autant qu'il n'y ait pas

10 d'effet préjudiciable. Quand on voit quels sont les documents à la source

11 de ces déclarations, apparemment on donne des déclarations, mais les

12 identités présumées de ces personnes n'ont jamais été communiquées à la

13 Défense. Il est impossible de réfuter les dires du témoin, c'est donc un

14 effet préjudiciable très grave pour tous les témoins, d'autant que ce

15 rapport en tant que tel admet qu'on peut se poser des questions quant à la

16 véracité de certains de ces dires, de ces déclarations, car il y avait des

17 incohérences entre ce qu'ont dit différentes personnes à propos des mêmes

18 incidents.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Inutile de répéter mot pour mot ce que

20 j'ai déjà lu. Vous comprenez, n'est-ce pas ?

21 M. IVETIC : [interprétation] Oui.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si vous voulez ajouter quelque chose à

23 ce que vous avez écrit, faites-le, mais inutile de répéter ce que vous avez

24 déjà écrit.

25 M. IVETIC : [interprétation] Je maintiens ces conclusions écrites.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Fort bien.

27 Maître Sepenuk.

28 M. SEPENUK : [interprétation] Nous nous joignons à la requête déposée par

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1 l'équipe de la Défense en application du 82(C). Cette déclaration est

2 recevable si vous êtes convaincus qu'elle est fiable. Est-ce qu'un ouï-dire

3 peut assurer la fiabilité d'un document, nous, nous ne le pensons pas.

4 Si la Chambre me le permet, c'est une procédure voir dire, très courante

5 aux Etats-Unis. Cela ne prendra que cinq minutes ou même pas cinq minutes.

6 Ce sont quelques questions à peine qui seraient posées à Mme Mitchell pour

7 vous aider, pour aider la Chambre et pour voir si ce genre de document peut

8 être versé au dossier.

9 Bien sûr, je retirerai cette demande si vous estimez de prime abord que ce

10 n'est pas recevable, ce genre de rapport. Mais peut-être si vous pensez

11 cette procédure utile, je vous demande l'autorisation de poser quelques

12 questions, qu'on interrompe l'interrogatoire principal l'espace de quelques

13 instants pour poser quelques questions au témoin et voir si à notre avis,

14 effectivement, ce rapport n'est pas recevable, pourquoi il doit être rejeté

15 par la Chambre de première instance.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan.

17 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

18 Nous souscrivons aux arguments présentés jusqu'à présent, mais je

19 renvoie la Chambre à l'article 95 qui prévoit : "Aucun élément de preuve

20 n'est recevable, aucun élément de preuve obtenu par des moyens qui entament

21 fortement sa fiabilité ou si son admission, allant à l'encontre de

22 l'administration de la justice, lui porterait gravement atteinte."

23 Je pense qu'il faut garder à l'esprit les dispositions de l'article 89(C)

24 qui prévoient que la Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent

25 qu'elle estime avoir valeur probante.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, Monsieur Petrovic.

27 M. PETROVIC : [interprétation] Je ne sais pas ce qui est dit dans les

28 écritures de mes confrères, mais vu les arguments présentés oralement, je

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1 suis d'accord.

2 Mais j'attire votre attention sur deux points. Tout d'abord, le document

3 dont nous parlons maintenant ne présente pas le degré de fiabilité requis

4 pour être admis. Aucune des sources mentionnées dans ce document n'est

5 identifiée. Certaines personnes sont mentionnées, certaines femmes,

6 certaines déclarations. Tout cela est vague. Il n'y a pas de noms. Si nous

7 ne disposons pas de cet élément, nous n'avons pas la possibilité de

8 vérifier la fiabilité de ce document ou des déclarations faites par les

9 personnes qui y sont mentionnées.

10 Il s'ensuit que ce document ne présente pas le degré de fiabilité

11 requis pour être accepté. Ayant lu la déclaration ou les déclarations de

12 Mme Mitchell, nous avons appris que toutes ces déclarations étaient remises

13 à l'Accusation en 2002, lorsque cette déclaration était recueillie pour la

14 première fois. Pour autant que je le sache, les déclarations en question

15 n'ont jamais été communiquées aux équipes de la Défense.

16 Je souhaiterais également vous rappeler une décision prise dans l'affaire

17 Strugar le 26 mai 2004. Dans cette décision, la question soulevée était

18 très similaire. Est-ce que vous voulez le titre de ce document ?

19 Donc, c'était dans l'affaire Strugar, une décision rendue le 26 mai 2004,

20 suite à un débat entre les parties concernant l'admissibilité de l'élément

21 de preuve portant la cote provisoire 51. Il s'agissait de plusieurs

22 déclarations obtenues de façon similaire à celle recueillie par l'OSCE. La

23 Chambre a rejeté l'admission de cette compilation de documents provenant de

24 sources inconnues en raison du fait que la fiabilité de ces documents

25 n'était pas suffisante. Ces documents n'étaient pas annotés. Les

26 déclarations ne mentionnaient pas la source. On ne savait pas qui avait

27 recueilli ces déclarations, ni dans quelles circonstances. C'est la raison

28 pour laquelle la Chambre de première instance saisie de l'affaire Strugar a

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1 décidé de ne pas admettre ce document. Il s'agit d'un document donc très

2 similaire au document que l'on présente par l'entreprise de Mme Mitchell.

3 M. BAKRAC : [interprétation] Monsieur le Président, la Défense du général

4 Lazarevic souscrit aux arguments avancés par l'équipe Lukic. Nous sommes

5 d'accord avec tout ce qui a été dit jusqu'à présent.

6 Je souhaiterais ajouter que dans la déclaration faite par Mme

7 Mitchell, il y a certains points qui auront une incidence sur la fiabilité

8 de ces déclarations. Lorsque ces déclarations ont été recueillies, il faut

9 tenir compte de leur objectivité, de l'expérience de la personne qui a

10 recueilli ces déclarations. Nous ignorons qui a recueilli ces déclarations.

11 Nous ne savons pas si les personnes qui ont recueilli ces déclarations

12 étaient objectives et formées pour ce faire. Donc, il s'agit d'un argument

13 supplémentaire que nous souhaitions présenter. Pour le reste, nous sommes

14 d'accord avec ce qui a été dit par nos collègues.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

16 Il est l'heure de faire la pause. Nous reprendrons nos travaux à 15 heures

17 30. A ce moment-là, nous évoquerons la démarche à suivre.

18 M. STAMP : [interprétation] Est-ce que vous me donnerez la possibilité de

19 répondre ?

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui. Non seulement vous aurez la

21 possibilité de répondre, mais vous pourrez également élaborer votre propos

22 plus en détail, mais nous devons d'abord examiner les arguments qui ont été

23 présentés jusqu'à présent.

24 M. STAMP : [interprétation] Très bien.

25 --- L'audience est suspendue à 14 heures 57.

26 --- L'audience est reprise à 15 heures 36.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous avons décidé d'entendre ce

28 témoignage et nous nous prononcerons plus tard quant à son admissibilité.

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1 Cela signifie que toutes les questions relatives au contre-

2 interrogatoire devront être explorées avant que nous ne décidions si le

3 témoignage est recevable ou non. Ceci répond au point soulevé par Me

4 Sepenuk et aux questions soulevées quant à la fiabilité et à

5 l'authenticité. Nous répondons également aux points soulevés par Me

6 O'Sullivan fondés sur l'article 95 du Règlement. La Chambre est d'avis

7 qu'elle pourra mieux se prononcer sur la recevabilité après avoir entendu

8 toutes les informations obtenues lors de l'interrogatoire principal et du

9 contre-interrogatoire.

10 Après avoir entendu l'intégralité de la déposition, nous nous

11 prononcerons, peut-être pas tout de suite, mais nous rendrons notre

12 décision peu de temps après la fin de la déposition. Nous n'allons pas

13 surseoir cette décision trop longtemps.

14 M. STAMP : [interprétation] Avant de poursuivre, il y a quelque chose que

15 je tiens à dire pour les besoins du compte rendu.

16 L'un des griefs soulevés était que les déclarations n'avaient pas été

17 communiquées à la Défense. Avant la fin du contre-interrogatoire, je tiens

18 à souligner le fait que ces déclarations sont disponibles. Il incombe à la

19 Défense après avoir reçu la déclaration du témoin où elle dit que ce

20 rapport est fondé sur ces déclarations, l'article 66(B) prévoit la démarche

21 à suivre et aucune requête de ce type n'a été présentée pour autant que je

22 le sache. Ce grief est infondé et je vous ne voulais pas en parler à la fin

23 du contre-interrogatoire.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le point soulevé était que ces

25 déclarations n'avaient pas été communiquées, vous l'avez reconnu. Vous

26 confirmez que ces déclarations n'ont pas été communiquées, n'est-ce pas ?

27 M. STAMP : [interprétation] Oui, effectivement. Le Règlement de procédure

28 et de preuve du Tribunal est très clair. Ceci ne s'applique pas aux

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1 déclarations -- les requêtes présentées ne tombent pas sous le coup de

2 l'article 66(A), ni de l'article 68, en fait, c'est l'inverse. Ces

3 déclarations sont à décharge.

4 La Défense a été informée il y a longtemps du fait que ce témoin

5 témoignerait à charge et que ce document ferait partie des pièces

6 présentées par l'Accusation. Il s'agit de documents présentés à l'appui.

7 Je ne veux pas entendre la fin du contre-interrogatoire qu'une

8 requête sera présentée en application de l'article 66(B) s'agissant de ces

9 documents.

10 Je pense qu'il y a d'autres points à soulever, mais j'accepte la

11 décision rendue par la Chambre, la décision relative à l'admissibilité doit

12 être rendue après que l'on ait entendu l'intégralité de la déposition.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, nous allons entendre tous les

14 arguments à ce stade.

15 M. SEPENUK : [interprétation] Excusez-moi, mais je dois faire un

16 commentaire suite aux propos de M. Stamp.

17 Je suis arrivé un peu tard dans cette affaire, mais j'ai appris à ce

18 moment-là qu'aucun des formulaires concernant l'audition des réfugiés et

19 des raisons pour lesquelles ils ont quitté le Kosovo, qui un élément-clé

20 dans cette affaire, n'a été communiqué. Lors de la conférence tenue la

21 semaine dernière, j'ai demandé à M. Hannis et M. Stamp s'ils avaient des

22 exemplaires de ces déclarations. Ils m'ont dit que oui. Je leur ai dit que

23 s'il y avait des éléments à décharge il fallait absolument les communiquer

24 et s'il y avait des témoins qui venaient témoigner, est-ce que nous

25 pourrions avoir des exemplaires de leur déclaration pour le contre-

26 interrogatoire.

27 J'ai présenté une demande très précise à M. Hannis et à M. Stamp la

28 semaine dernière à ce sujet.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il s'agit d'une requête motivée. Vous

2 nous l'avez expliqué. Si vous souhaitiez des exemplaires de tous les

3 documents présentés à l'appui, vous auriez dû le demander.

4 M. SEPENUK : [interprétation] Oui, je l'ai fait. En fait, je voulais les

5 documents à décharge, j'ai demandé à l'Accusation de remettre au moins les

6 déclarations des témoins qui allaient comparaître de façon à ce que nous

7 puissions préparer le contre-interrogatoire. M. Hannis et M. Stamp nous ont

8 répondu par l'affirmative et ils nous ont dit que nous aurions des

9 exemplaires des déclarations avant.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ils vous ont répondu qu'il n'y avait

11 pas d'éléments à décharge ou ces éléments auraient dû sinon être

12 communiqués en vertu de l'article 68.

13 M. SEPENUK : [interprétation] C'est exact.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Deuxièmement, aucun des témoins ayant

15 fourni ces informations devait comparaître devant la Chambre.

16 M. STAMP : [interprétation] En fait, il s'agit de 12 déclarations. Ces

17 déclarations ont été mises à disposition conformément à la requête

18 présentée.

19 M. SEPENUK : [interprétation] Pas pour le moment, mais elles le seront.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous êtes informé, Maître Sepenuk, du

21 fait qu'il y plus de 12 déclarations dont dispose l'Accusation.

22 M. STAMP : [interprétation] La Défense sait ou devrait savoir que

23 l'Accusation a reçu des dizaines de milliers de formulaires pour ce qui est

24 des réfugiés. Il s'agit de formulaires qui indiquent ce qui s'est passé et

25 qui indiquent les raisons pour lesquelles ces personnes sont parties. Elles

26 ont été recueillies par diverses organisations qui étaient présentes au

27 camp des réfugiés. Ces déclarations sont disponibles et il incombe à la

28 Défense de demander ce qu'elle souhaite et nous lui mettrons à disposition

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1 ce qu'il faut.

2 M. SEPENUK : [interprétation] Sans vouloir m'appesantir sur ce sujet, cette

3 requête a déjà été présentée. Il n'est pas vrai de dire que les avocats de

4 la Défense n'ont jamais demandé d'exemplaires. Nous l'avons demandé à la

5 conférence qui s'est tenue la semaine dernière.

6 Lorsque vous dites qu'il y a des dizaines de milliers de documents

7 disponibles, ce rapport s'est fondé sur 2 700 déclarations. S'il y a des

8 éléments à décharge dans ces déclarations, nous souhaiterions les voir.

9 M. STAMP : [interprétation] Je ne voudrais m'appesantir là-dessus non

10 plus, mais tout ce qui a été demandé sera communiqué conformément aux

11 dispositions du Règlement.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous dites que des

13 dizaines de milliers de formulaires concernant les réfugiés ? M. STAMP :

14 [interprétation] Oui, concernant les réfugiés, s'agissant de ce rapport, il

15 est fondé sur environ 2 700 déclarations.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] De quoi voulez-vous parler

17 lorsque vous évoquez ces dizaines de milliers de formulaires ?

18 M. STAMP : [interprétation] En 1999 et en l'an 2000, l'Accusation a reçu

19 non seulement les déclarations recueillies par la MVK mais aussi des

20 formulaires émanant de différentes organisations de défense des droits de

21 l'homme s'occupant des réfugiés. Nous apprenons maintenant que la Défense

22 souhaite voir ces formulaires. Je tiens à souligner que la Défense doit

23 demander ces documents dans un délai raisonnable de façon à ce que les

24 mesures nécessaires soient prises afin qu'ils soient remis.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que ces formulaires sont

26 disponibles par voie électronique dans le cadre des documents concernant le

27 Kosovo ?

28 M. STAMP : [interprétation] Je ne crois pas.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi donc ?

2 M. STAMP : [interprétation] Ces documents, selon moi, étaient très

3 nombreux, ils n'ont pas été saisis dans le système.

4 [La Chambre de première instance se concerte]

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan, vous avez la

6 parole.

7 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je conteste la position prise par

8 l'Accusation concernant ces déclarations.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan, nous avons déjà

10 rendu notre décision, nous allons entendre l'intégralité de la déposition.

11 Après l'interrogatoire principal, après le contre-interrogatoire, nous

12 entendrons les arguments des parties. C'est à ce moment-là que nous le

13 ferons. Est-ce que cela vous suffit ?

14 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Merci beaucoup.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous allons faire revenir Mme

16 Mitchell.

17 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Mitchell, merci de votre

19 patience, veuillez vous rasseoir. Votre interrogatoire va se poursuivre.

20 Monsieur Stamp, allez-y.

21 M. STAMP : [interprétation]

22 Q. Dernière question au sujet du rapport intitulé "As Seen, As Told," "Dit

23 comme vu". Dans votre déclaration, vous avez déjà mentionné la teneur de ce

24 rapport et indiqué les sources de ce rapport.

25 R. Ce rapport, "Dit comme vu," rassemble des déclarations recueillies par

26 des employés chargés de la défense des droits de l'homme au Kosovo avant la

27 campagne aérienne de l'OTAN. Après le retrait de la mission, nous avons

28 recueilli des informations auprès des réfugiés afin de poursuivre notre

Page 517

1 mission qui était de suivre l'évolution de la situation au Kosovo. Le

2 deuxième volet de ce rapport comprend des déclarations et des

3 renseignements recueillis par des employés chargés de la défense des droits

4 de l'homme après la campagne aérienne de l'OTAN, entre les mois de juin et

5 septembre 1999, à l'époque de l'application des différentes résolutions du

6 Conseil de sécurité et après la démilitarisation de l'UCK et le retrait des

7 forces de sécurité serbes.

8 Q. Quand a-t-il été publié ?

9 R. Ces deux rapports ont été publiés ensemble afin de fournir un tableau

10 d'ensemble, étant donné la gravité des conclusions auxquelles nous étions

11 parvenus, et nous avons trouvé qu'il était important de publier ces

12 rapports en même temps. Ces rapports sont parus en décembre 1999, lorsque

13 l'analyse était terminée.

14 Q. Est-ce que vous pourriez dire en quelques mots quelles étaient les

15 méthodes utilisées pour recueillir ces déclarations ? Je veux parler de la

16 période qui a précédé la campagne aérienne de l'OTAN. Quelle était la

17 méthode pour recueillir ces déclarations ? Est-ce qu'elle a évolué ? Est-ce

18 que vous pourriez nous le dire ?

19 R. Avant le bombardement de l'OTAN, la mission était en place, et comme

20 vous l'avez peut-être remarqué, il y avait des missions supplémentaires.

21 Pour ce qui est de la section chargée des droits de l'homme, à l'époque du

22 retrait, elle comptait environ 75 employés, mais beaucoup d'autres ont pris

23 part au processus de recueil d'informations concernant les droits de

24 l'homme. Je vais vous expliquer la méthode utilisée.

25 La situation a été très critique pour ce qui est des droits de l'homme.

26 L'état martial avait été décrété, et l'armée contrôlait et occupait la

27 plupart des territoires du Kosovo. Il y a donc eu une escalade des

28 hostilités pendant l'été.

Page 518

1 Compte tenu de cette situation très critique au plan des droits de

2 l'homme, vu le déplacement de plus de 200 000 ou 300 000 personnes, il nous

3 a fallu établir des priorités sur le terrain pour recueillir ces

4 informations. Donc, nous avons donné la priorité aux déclarations de

5 victimes et aux récits des témoins oculaires. Vu l'accord conclu avec la

6 Yougoslavie, notre mission était une mission de surveillance étroite. Il

7 s'agissait non seulement de surveiller la situation au plan des droits de

8 l'homme, mais également surveiller l'application du cessez-le-feu et le

9 retrait des forces de sécurité serbes et le retour vers leur caserne

10 respective. Donc, nous effectuions toutes sortes d'opérations de

11 surveillance à l'époque, et tout cela avait une répercussion sur la vie des

12 personnes dans les différentes communautés et leur situation au point de

13 vue des droits de l'homme.

14 Donc, pour recueillir ces informations dans un environnement aussi

15 difficile et en nombre aussi important, il nous a fallu centraliser le

16 système de communication ou de recueil des informations. Donc, les

17 instructions qui nous ont été données en la matière sont jointes en annexe

18 à ma déclaration. Je n'entrerai pas dans les détails, si ce n'est pour dire

19 que la méthode réunissait deux critères. Il s'agissait d'abord de veiller à

20 la fiabilité des informations, et d'autre part, à leur recueil de façon

21 impartiale.

22 Il faut garder à l'esprit que personne ne reconnaît jamais avoir

23 commis des violations des droits de l'homme. Les autorités en général ne

24 coopèrent pas avec ceux qui enquêtent sur les violations éventuelles des

25 droits de l'homme, notamment lorsqu'il s'agit d'un conflit armé qui est en

26 cours. Donc, la fiabilité et l'impartialité étaient des éléments très

27 importants, et nous avons pensé que la meilleure manière de procéder, vu

28 l'aspect politique du conflit au Kosovo et de la situation en Yougoslavie

Page 519

1 et au niveau de la communauté internationale, nous avons recruté, parmi nos

2 employés, des personnes qui avaient une expérience dans les domaines du

3 maintien de l'ordre, de la police. Nous avions des officiers militaires qui

4 étaient là en tant que civils et qui aidaient pour tout ce qui touchait la

5 logistique et la sécurité. Il y avait un conflit armé à l'époque, et nos

6 employés se sont retrouvés souvent dans des situations très dangereuses. Du

7 point de vue des droits de l'homme, nous étions conscients du fait que les

8 informations que nous recueillions concernant des meurtres étaient très

9 sensibles et devaient être traitées comme telles.

10 Donc, tous les protocoles ont été normalisés, enfin, ils suivaient

11 tous les mêmes normes en raison de la gravité de ce qui était en train de

12 se passer. Nos employés ont reçu une formation pour ce qui est de la

13 manière dont ces formulaires devaient être remplis. Cela se faisait toutes

14 les semaines à notre QG. Nos employés n'étaient pas autorisés à garder des

15 exemplaires des documents en question. Les notes originales étaient

16 retirées de leur carnet et rattachées aux déclarations.

17 Pour ce qui est des enquêtes, lorsque nous avons quitté le Kosovo, on

18 avait à notre disposition 750 plaintes. Il s'agissait là de récits de

19 victimes ou de témoins de crimes graves, de massacres, et cetera. Nous

20 avons essayé d'obtenir des informations supplémentaires concernant les

21 lieux où les crimes avaient été commis pour corroborer les informations

22 données et surveiller les enquêtes éventuelles menées de façon officielle.

23 Nous avons dû également surveiller la manière dont la justice était

24 administrée dans les juridictions du Kosovo à l'époque. Donc, les

25 informations recueillies étaient rassemblées chaque semaine, chaque mois,

26 dans le cadre de rapports. Nous avons également émis des rapports

27 particuliers concernant des événements précis, par exemple le meurtre de

28 deux ou trois personnes ou plus et l'implication éventuelle des services de

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1 sécurité.

2 Lorsque l'on a décidé de retirer les membres de la MVK du Kosovo le

3 20 mars en raison des conditions qui se détérioraient au plan de la

4 sécurité en raison d'une escalade de la violence, du déploiement de troupes

5 supplémentaires venant de Serbie sur le territoire du Kosovo, toutes ces

6 informations concernant les droits de l'homme ont été rassemblées par cinq

7 employés, fonctionnaires chargés des droits de l'homme dans leur zone de

8 responsabilité respective. Les documents qui n'étaient plus pertinents

9 concernant ces 750 affaires ont été détruits, brûlés, ainsi qu'une grande

10 partie des formulaires administratifs de la mission. Nous avons rassemblé

11 tous ces renseignements à Skopje, et j'en ai eu la charge jusqu'à ce tout

12 cela soit transféré au bureau situé à Varsovie au mois de juin 1999, en vue

13 de la préparation du rapport.

14 Pour ce qui est du recueil des déclarations de réfugiés, lorsque la

15 mission est partie et lorsque nous avons vu cet exode massif des personnes

16 vers l'Albanie et la Macédoine, nous nous sommes rendu compte très

17 rapidement que les récits que nous avions entendus au départ reprenaient

18 des actes de violence qui s'étaient déjà passés. La situation au plan

19 humanitaire était très grave.

20 Donc, l'OSCE a décidé de revoir -- à la mission. Des 450 employés,

21 250 [comme interprété] travaillaient dans les camps en Albanie, en

22 Macédoine. Ils s'occupaient avant tout des organisations humanitaires sur

23 place. Ensuite, on a repris des informations en interrogeant les réfugiés

24 et nous nous sommes servis de formulaires standard, ceci est mentionné dans

25 ma déclaration. Nous avons posé les mêmes questions à tous les réfugiés,

26 donc nous nous sommes focalisés sur les victimes et les témoins oculaires.

27 La MVK jouissait d'une grande crédibilité auprès de la population

28 albanaise. Quand la situation est difficile du point de vue des droits de

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1 l'homme, les gens cherchent toujours une protection. De nombreux Albanais

2 ont demandé à être protégés par la MVK. Donc, dans les camps, lorsqu'ils

3 voyaient ces véhicules orange vif de la MVK, ils nous apportaient leur

4 concours et nous fournissaient des informations que nous recherchions.

5 J'avais un adjoint qui s'occupait de la Macédoine. Quant à moi, je me

6 trouvais en Albanie où je me déplaçais beaucoup. Chaque jour, les

7 déclarations étaient recueillies dans les camps et étaient centralisées, et

8 les exemplaires originaux étaient communiqués au bureau du Procureur. Nous

9 gardions une copie à chaque fois. Donc, c'est moi-même ou mon adjoint qui

10 avait la charge de ces documents. Ces informations étaient saisies dans des

11 bases de données où on faisait état de l'endroit d'où le réfugié interrogé

12 était originaire, son sexe et les informations -- c'est ainsi que nous

13 avons recueilli autant d'informations que possible concernant toutes les

14 municipalités du Kosovo. Nous nous sommes assurés que les hommes et les

15 femmes étaient représentés de façon égale et nous n'avons pas recueilli

16 uniquement les déclarations des hommes, ce qui une coutume pour les -- oui,

17 ce que veut la tradition albanaise. A la fin de la compagnie aérienne de

18 l'OTAN, les informations étaient trop sensibles pour qu'elles soient

19 ramenées au Kosovo. Donc, nous avons conclu un accord avec le bureau de

20 l'OSCE à Varsovie, où j'avais déjà travaillé avant d'être muté au Kosovo.

21 Nous avons envoyé tous ces dossiers, y compris les déclarations de réfugiés

22 et les dossiers qui avaient été évacués vers Varsovie. La filière de

23 conservation des documents a été respectée à tout moment. Nous avons

24 numéroté les déclarations de réfugiés qui étaient gardées dans des

25 classeurs, donc A pour Albanie, M pour Macédoine. Tout cela était organisé

26 par les municipalités, et cetera.

27 Donc, de Varsovie, je suis reparti au Kosovo et j'ai repris mes

28 activités en matière de défense des droits de l'homme selon un processus

Page 522

1 similaire, pour documenter les actes de représailles et de vengeance. A

2 Varsovie, six à huit experts en matière des droits de l'homme ont été

3 réunis, y compris mon adjoint qui connaissait très bien la situation. Donc,

4 ils ont examiné ensemble les informations recueillies de façon standard,

5 tout cela est joint à ma déclaration, ils ont vérifié tout cela et nous

6 avons corroboré les déclarations recueillies. Nous avons eu à notre

7 disposition environ 2 800 déclarations; 1 100 venant d'Albanie, 1 600

8 recueillies dans les camps de Macédoine. La situation était beaucoup plus

9 grave en Albanie.

10 Q. Merci.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que je pourrais juste

12 clarifier quelque chose ?

13 Si nous nous penchons sur le premier volume de ce rapport, comme vous

14 l'appelez, est-ce qu'il s'agit ici de 750 plaintes ? C'est bien ce que vous

15 dites, concernant autant d'incidents graves ? Tout cela a été recueilli

16 avant le 20 mars, n'est-ce pas ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact, oui.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est exact.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Il s'agit également des réponses des

21 réfugiés. Là, s'agit-il de réponses postdatées après le 20 mars ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Et jusqu'où va-t-on dans le volume

24 numéro 1 ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien, depuis le 22 mars, la mission a été

26 redéployée au Kosovo --

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] A quelle date se termine le volume 1 ?

28 LE TÉMOIN : [interprétation] Le 10 juin, à savoir, la date où la KFOR est

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1 rentrée au Kosovo.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous avez dit que vous aviez 75

3 responsables des droits de l'homme sur place, mais qu'ils étaient appuyés

4 par beaucoup d'autres personnes ayant un intérêt dans les droits de

5 l'homme.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exact. Lorsqu'il se produisait un

7 incident grave au Kosovo, par exemple Racak, d'autres membres du personnel

8 pourraient être utilisés pour assister pour la documentation sur le

9 terrain.

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien, donc il y avait beaucoup

11 d'autres personnes --

12 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] -- du MVK ?

14 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce n'était pas simplement des gens

16 comme cela qui venaient vous assister ?

17 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est exact. Non, non, ce n'était pas des

18 personnes prises au hasard. Il y avait plusieurs départements dans la MVK,

19 Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le deuxième volume, vous dites que

21 cela recouvre la période de juin à septembre; c'est exact ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avez-vous couvert ce dont il traite

24 jusqu'ici ou est-ce que vous vous êtes limité simplement au premier

25 volume ?

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Le premier volume.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

28 Monsieur Stamp.

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1 M. STAMP : [interprétation]

2 Q. Puisqu'il s'agit du volume 2 et puisque l'objectivité est une question

3 que nous allons discuter, de quoi s'agissait-il dans ce volume 2 ?

4 R. Le redéploiement encore une fois au Kosovo a vu une réduction des

5 divisions des droits de l'homme en passant de plusieurs centaines jusqu'à

6 75, qui ont été redémarrées dans les cinq zones régionales et qui avaient

7 documenté des actes de violence et de crimes qui ont été commis cette fois-

8 ci contre la population restante minoritaire au Kosovo qui consistait en

9 des Serbes du Kosovo, des Rom, des Askaliens, des Turcs, des Bosniens, et

10 cetera, la période qu'on appelle la période des représailles.

11 Q. En d'autres termes, les deux rapports pour la période concernée

12 couvraient à la fois les violations des droits de l'homme commises contre

13 toutes les ethnies ?

14 R. Absolument.

15 Q. J'aimerais que vous commentiez brièvement sur la division des droits de

16 l'homme et son plan dont vous avez parlé.

17 Il s'agit de ce qui est mentionné à la pièce P763. Je le fais avec

18 quelques trépidations continues puisque j'ai déjà utilisé le prétoire

19 électronique.

20 La révision des droits humains avait un plan opérationnel au mois de

21 décembre 1990. S'agissait-il des directives pour le personnel qui opérait

22 sous ces directives et qui recevait donc ces directives?

23 R. Oui.

24 M. STAMP : [interprétation] Regardez la page 3. On m'a dit qu'il s'agit de

25 la page 3 de la version B/C/S et que c'est la même chose en version

26 anglaise.

27 Pouvez-vous faire dérouler la page un petit peu, s'il vous plaît, vers le

28 bas ? Un peu plus bas, s'il vous plaît, encore plus bas. Paragraphe 2,3.

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1 Vers le haut, maintenant, parce qu'on voudrait voir le paragraphe 2.3, s'il

2 vous plaît. Merci.

3 Q. Ces directives, et je relis : "L'OSCE doit s'efforcer d'assurer

4 l'impartialité dans le domaine des droits humains. L'impartialité signifie

5 équité, justice, et ce dont il s'agit de s'efforcer, c'est l'objectivité

6 absolue, et non pas l'inaction sans question. L'OSCE ne doit pas se geler

7 de la sorte et atteindre l'inaction à cause de la crainte de perturber

8 certaines ou parfois toutes les parties au conflit. L'impartialité

9 opérationnelle n'est pas atteinte en ignorant les violations des droits de

10 l'homme par les parties au conflit. La partie victime considère le silence

11 comme une complicité tacite et comme une partialité," et cetera.

12 Est-ce qu'il s'agissait donc des directives que suivait votre

13 personnel lorsqu'il s'agissait de requérir des déclarations ?

14 R. Oui. Cela formait la plus grande part de la mentalité du

15 département des droits de l'homme, car nous voulions être vus comme

16 impartiaux et indépendants dans un environnement politique extrêmement

17 tendu et comme mission qui gérait des relations militaires, et cetera.

18 Donc, notre division avait une indépendance dans la mesure où elle

19 n'était pas obligée de partager les informations. Je rendais compte

20 directement au chef de la mission et nous étions libres de poursuivre nos

21 enquêtes sans consulter les dirigeants politiques afin d'assurer notre

22 indépendance. Ces paragraphes que vous venez de lire concernant

23 l'impartialité étaient extrêmement importants dans la conduite de toutes

24 les personnes qui travaillaient au sein de la MVK dans le domaine des

25 droits de l'homme.

26 M. STAMP : [interprétation] Dans ce même document, pouvons-nous

27 maintenant regarder la page 13 ? On me dit encore une fois que la page 13

28 dans la version B/C/S correspond à la page 13 de la version anglaise.

Page 527

1 Q. Vous avez parlé de la formation du personnel et de l'importance

2 de celui-ci, et l'importance pour vous d'avoir dans votre mission non

3 simplement suffisamment de personnel, mais un personnel qui soit bien

4 formé.

5 M. STAMP : [interprétation] Peut-on visualiser le paragraphe 5.3 de

6 cette page ?

7 Q. Peut-on dire que la MVK, comme vous l'avez dit dans votre

8 déclaration, reconnaissait la complexité de la situation en matière de

9 surveillance dans laquelle vous vous trouviez et prenait les dispositions

10 nécessaires pour la formation d'un personnel compétent qui puisse être en

11 mesure de recueillir ces déclarations ?

12 R. Oui. Le personnel, très souvent, était des officiers de police dans les

13 pays de l'OSCE qui avaient été dépêchés à la mission; plusieurs centaines,

14 de même que le support logistique, le support en matière de technologie de

15 l'information. L'information était effectuée à Brezovica, proche de

16 Pristina. Chaque personne qui participait à la MVK était soumise à

17 plusieurs journées de formation, à la formation des droits de l'homme, de

18 même que d'autres aspects du mandat de la mission et à l'intérieur de la

19 division des droits de l'homme. Au fur et à mesure que des membres du

20 personnel nous étaient alloués, on leur donnait une formation

21 supplémentaire sur l'utilisation des formulaires.

22 On ne faisait pas énormément de formation en matière technique parce

23 que la plupart de ces gens avaient une expérience dans ce domaine ou

24 avaient une expérience en matière de police et avaient déjà travaillé dans

25 une situation de conflit. Donc, c'était simplement une question de les

26 adapter aux besoins du Kosovo.

27 M. STAMP : [interprétation] Pouvons-nous regarder cette même page un peu

28 plus bas ?

Page 528

1 Q. Mais je pense que votre réponse a déjà couvert la section que je

2 cherche dans ce document. Dans les annexes à ce document qui comportent une

3 partie importante de ce même document, à peu près la moitié, vous dites

4 qu'il y a des dispositions prises pour fournir une formation supplémentaire

5 au personnel, étant donné la complexité de la situation.

6 R. Nous n'avons malheureusement pas passé suffisamment de temps au Kosovo

7 pour pouvoir faire toutes les tâches qui nous étaient allouées, donc la

8 formation initiale était concentrée sur la surveillance des procès, car

9 l'administration et la justice avant l'évacuation avaient été utilisées

10 pour commettre d'autres violations des droits de l'homme pour la majorité

11 de la population, de même que pour la documentation de situations critiques

12 en matière de droits humanitaires. La gestion de questions telles que les

13 cadavres, les meurtres, choses de ce type, c'est là-dessus que se

14 concentraient les formations initiales. Mais nous sommes partis très

15 rapidement avant de pouvoir mettre en place tout cela.

16 Q. Merci.

17 M. STAMP : [interprétation] Pouvons-nous maintenant examiner la page 5, à

18 savoir, les paragraphes 3 et 3.1, à la page 5 du rapport de la pièce ?

19 Q. Par rapport à la formation, vous vous assuriez, c'est ce que vous dites

20 dans votre déclaration, que votre personnel ou que le personnel qui était

21 responsable de recueillir ces dépositions soit au courant, s'il ne l'était

22 pas déjà, avec les normes et les règles du droit humanitaire

23 international ?

24 R. Oui, c'est exact. Chaque membre du personnel recevait un fichier

25 lorsqu'il se présentait à nous, après avoir passé par Brezovica, et il

26 obtenait une copie du plan opérationnel du mandat, des différents mandats

27 dont nous avons déjà parlé aujourd'hui. Tous ces documents d'origine de

28 même qu'un certain nombre de recommandations concernant la rédaction des

Page 529

1 rapports et un manuel complet leur étaient donnés, et ils les lisaient.

2 Nous avions des réunions hebdomadaires pour nous assurer que tout le monde

3 maîtrisait la situation.

4 C'est un environnement qui était extrêmement en flux continu. Il y

5 avait beaucoup d'actes de violence. Le personnel était très motivé et

6 évidemment respectait à la lettre les procédures en place.

7 M. STAMP : [interprétation] Pouvons-nous regarder plus bas dans la page ?

8 Q. Là, on voit que certains des droits humanitaires internationaux --

9 enfin, un certain nombre d'instruments concernant le droit humanitaire et

10 les droits de l'homme.

11 R. Oui, c'est exact.

12 Q. Vous dites que votre mandat a été basé sur la résolution des Nations

13 Unies et l'accord signé entre la RFY et l'OSCE. Mais d'après votre propre

14 point de vue en tant qu'avocat et spécialiste des droits de l'homme, quel

15 était l'objectif final de ce rapport, cette assimilation des informations

16 provenant des réfugiés et la préparation du rapport ?

17 R. Il y avait très peu de choses qu'on pouvait faire pour empêcher les

18 violences qui étaient commises pendant la période ou nous nous sommes

19 trouvés là-bas. La seule chose que j'avais l'impression de pouvoir faire,

20 c'était de s'efforcer de trouver un maximum de renseignements, de documents

21 et de témoins. Il s'agissait d'une opération de maintien de la paix énorme.

22 Kosovo est un endroit assez petit avec moins de 2 millions de personnes.

23 Vous pouvez allez de bout en bout dans l'espace de quelques heures. Un

24 nombre de 1 300 personnes, c'est pas mal de personnes. Nous voulions un

25 document, nous voulions des témoins, et on voulait le faire de façon à

26 pouvoir fournir des informations impartiales et fiables à ce Tribunal.

27 Q. Avant de passer à d'autres types de questions, le deuxième rapport que

28 vous avez rédigé concernant les allégations d'atrocité commises contre les

Page 530

1 Serbes, est-ce que vous avez utilisé la même méthodologie ?

2 R. Oui, nous avons utilisé la même méthodologie. Le format de sortie

3 est un petit peu différent parce que le deuxième rapport a été préparé dans

4 le pays alors qu'il y avait d'autres tâches en cours, et nous n'avions pas

5 le volume d'information. Le deuxième rapport est un peu plus ciblé, ciblé

6 sur la situation des minorités, en tout cas, l'échelle des violations

7 rapportées dans les deux rapports est tout à fait dissimilaire.

8 Q. Lorsque vous êtes retournée au Kosovo au mois de juin 1999, dans votre

9 déclaration vous avez dit qu'il y avait un suivi d'un certain nombre

10 d'enquêtes, et que vous avez pu faire des observations sur le terrain.

11 Est-ce qu'il y avait des observations sur le terrain quand vous êtes

12 revenue au Kosovo en 1999 qui aurait pu faire en sorte qu'il y avait une

13 incohérence vis-à-vis des conclusions du rapport dans la partie I ou est-ce

14 qu'ils confirmaient ce rapport ?

15 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Je suis désolé, mais c'était un

16 petit peu une question directrice.

17 M. STAMP : [interprétation] C'est dans sa déclaration.

18 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Oui, c'est vrai, mais je fais

19 néanmoins cette observation. Il s'agit de l'interrogatoire principal. Je

20 suis désolé. Tout ceci est trop important. Nous devons nous en tenir au

21 Règlement.

22 M. STAMP : [interprétation] Bien.

23 Q. Lorsque vous êtes revenue au Kosovo en juin 1999, est-ce que les

24 observations que vous y avez faites avaient une incidence en ce qui

25 concerne les conclusions que vous aviez déjà faites dans le premier volume

26 ?

27 R. Il n'était pas possible de faire le suivi de toutes les déclarations

28 faites par les réfugiés. Le volume était trop important. La situation

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1 était trop difficile au Kosovo pour les minorités pendant ces mois-là. Nous

2 n'avons vu que des éléments venant corroborer ou confirmer les déclarations

3 que nous avions reçues des réfugiés et les conclusions. Notre priorité

4 était d'essayer d'assister dans l'identification des lieux où se trouvaient

5 les charniers, selon ce qui avait été dit dans les déclarations des

6 réfugiés. Nous sommes revenus au Kosovo avec une liste de sites, et nous

7 avons rapidement déployé nos équipes d'abord vers ces cites pour essayer de

8 faire en sorte qu'une enquête puisse être menée par le bureau du Procureur

9 qui avait sa propre mission qui commençait à cet époque-là. Ces sites ont

10 fait l'objet de visites dont les éléments se trouvent dans les annexes du

11 deuxième rapport qui a été rédigé à la suite de cette phase de la mission.

12 Q. Vous avez dit que celui-ci a été publié au mois de décembre 1999. On va

13 brièvement discuter de ce que vous voulez dire en disant publié. Est-ce

14 qu'ils ont fait l'objet d'une communication publique ?

15 R. Oui. Il s'agissait de rapports qui faisaient l'objet de beaucoup

16 d'attentes. Il y avait énormément d'anxiété et d'attentes concernant

17 l'impact que pouvaient avoir ces rapports. Eux n'avaient jamais entrepris

18 ce type d'activités auparavant. Une opération de droit de l'homme n'avait

19 jamais pu travailler et contribuer à ce point, alors que les crimes étaient

20 en train d'être commis.

21 Les rapports furent publiés à Pristina, à Vienne, à Varsovie, à

22 Belgrade simultanément. Il y a eu des conférences de presse, et les

23 constatations de ces rapports se trouvaient à la une du New York Times,

24 Washington Post, à la BBC, et à la plupart des journaux européens pendant

25 le week-end. Des copies officielles du rapport ont également été données

26 aux délégations de l'OSCE, y compris à celui de la République fédérale de

27 Yougoslavie, de même que mises à la disposition des représentants officiels

28 à Belgrade également.

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1 Q. Merci. Il s'agit d'un très long rapport. Nous ne pouvons pas le couvrir

2 en son intégralité, mais brièvement, quelles étaient les principales

3 conclusions de ce rapport ? Par exemple, commençons avec les principales

4 raisons pour le départ des réfugiés du Kosovo.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Sepenuk.

6 M. SEPENUK : [interprétation] J'ai une objection. C'est une

7 conclusion qui appartient à la Chambre. Je ne pense pas qu'il s'agisse

8 d'une question appropriée pour ce témoin. Elle n'est pas qualifiée en tant

9 que témoin experte. C'est à la Chambre de former ses conclusions. C'est

10 d'ailleurs une des questions clés de cette affaire, et si ce témoin doit

11 exprimer son opinion, je pense que cela ne serait absolument pas

12 convenable.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp.

14 M. STAMP : [interprétation] Le témoin a fait des déclarations concernant

15 les conclusions qui avaient été tirées du rapport préparé sur la base du

16 mandat qui avait été donné à la Mission de vérification du Kosovo par la

17 résolution des Nations Unies. Elle peut commenter sur le produit de son

18 travail.

19 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Si vous introduisez le rapport, elle

20 va lire le rapport, disant si ces commentaires se trouvent déjà dans le

21 rapport, il suffira de verser le rapport.

22 M. STAMP : [interprétation] C'est une des questions qui est couverte par sa

23 déclaration 89(F). Nous devons faire en sorte qu'il ait un équilibre entre

24 le fait d'économiser du temps et l'utilisation du 89(F). Bien que les

25 informations sont contenues dans le rapport, je voudrais qu'elle fasse un

26 résumé.

27 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Désolé de vous interrompre, mais le

28 rapport va être versé aux débats. Nous pourrons le lire. Il devient un

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1 document public. Vous pouvez simplement lui demander : est-ce que vous avez

2 quelque chose à rajouter ? Mais non pas de lui demander de faire des

3 commentaires, étant donné que ses commentaires sont déjà contenus dans le

4 rapport à proprement parler. Vous voyez ce que je veux dire ? On ne peut

5 pas le recevoir de la sorte.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Avez-vous autre chose à dire ?

7 M. STAMP : [interprétation]

8 Q. Concernant les déclarations que vous avez reçues, est-ce que vous avez

9 des informations ? Vous avez reçues de ces personnes des informations

10 concernant les raisons pour lesquelles elles ont quitté le Kosovo pendant

11 la période ? Est-ce que ceci est contenu dans le rapport "As Seen, As

12 Told," "Dit comme vu" ?

13 R. Oui. Les motivations des réfugiés sont détaillées dans les rapports.

14 Q. Concernant les raisons qui sont données par ces personnes, pouvez-vous

15 commenter là-dessus ?

16 M. SEPENUK : [interprétation] Objection encore une fois. C'est un petit peu

17 une façon dérobée d'essayer de faire la même chose. Il essaie d'obtenir du

18 témoin que celle-ci nous donne des conclusions, ce qui ne me paraît pas

19 convenable.

20 [La Chambre de première instance se concerte]

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, comment répondez-vous

22 à cette chose ?

23 M. STAMP : [interprétation] La question -- je ne suis pas sûr si -- enfin,

24 je ne suis pas sûr s'il y a une décision quant à la recevabilité de cette

25 question.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous ne savez pas s'il y a eu une

27 décision ? Vous avez retiré la question, et vous avez posé une autre

28 question. Mais on n'a pas demandé à la Chambre de prendre une décision.

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1 Vous n'avez pas insisté. Maintenant, il y a encore une autre objection, et

2 je voudrais votre réponse vis-à-vis de cette deuxième objection.

3 M. STAMP : [interprétation] Oui. Bon, -- oui, la réponse est la même. Le

4 témoin est en train de témoigner, témoigner concernant le produit de son

5 travail, un travail qui a été fait sous sa supervision, du fait du mandat

6 qui lui avait été donné grâce à la résolution des Nations Unies et l'accord

7 existant entre la RFY et le MVK. J'argue qu'elle a, par conséquent, le

8 droit de faire un commentaire.

9 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Il est connu internationalement que

10 cela a trait à la forme du document. S'il y a un document, c'est le

11 document qui parle. S'il y a quelque chose qui doit être débattu, mais qui

12 n'est pas contenu dans le document, c'est autre chose. Ici, nous avons le

13 document. Le document est versé, mais une opinion du témoin, comment cela

14 se présente dans ce cas particulier, alors qu'elle a fait un rapport formel

15 et nous sommes en train de verser le rapport.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous allons nous consulter.

17 [La Chambre de première instance se concerte]

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, la Chambre de

19 première instance va vous interdire de poser cette question parce qu'elle

20 véhicule un danger, celui que le témoin exprime un avis personnel. Or, dans

21 le rapport, on en demande le versement dans le cadre de sa déposition et à

22 partir de ce rapport, nous pourrons en fin de compte conclure s'il faut le

23 déclarer recevable ou pas et dans quelle mesure il sera recevable.

24 Cette question que vous voulez poser, elle n'ajoutera rien aux

25 circonstances générales. Du coup, passez à une autre question.

26 M. STAMP : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Mais c'est tout

27 ce que je voulais aborder comme question. Comme je vous l'ai dit au départ,

28 nous avons l'essentiel de la déposition des témoins dans les documents

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1 visés par le 89(F).

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

3 Maître O'Sullivan, vous avez la parole.

4 M. STAMP : [interprétation] Auparavant, puis-je demander quelle sera la

5 procédure adoptée ? Est-ce que je dois maintenant demander le versement des

6 documents ou dois-je attendre pour ce faire la fin du contre-

7 interrogatoire ? Il y a plusieurs façons d'agir. Je crois que vous aviez

8 une autre décision qu'il fallait attendre la fin des contre-interrogatoires

9 pour demander le versement de ce rapport "As Seen, As Told", "Dit comme

10 vu."

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Tous les documents en l'espèce et

12 aussi, s'agissant de la déposition de ce témoin, seront examinées par la

13 Chambre. Ils sont à notre disposition et ils figurent dans le système, il

14 suffit de nous donner les cotes des documents que vous voulez que nous

15 lisions, tout du moins première instance que nous examinions.

16 Pour ce qui est de leur versement, afin qu'ils soient déclarés

17 officiellement reçus et versés au dossier, ceci il faudra voir -- nous

18 savons que vous en demander le versement. Nous allons nous prononcer en

19 temps utile sur la recevabilité. Inutile de faire davantage à ce stade.

20 M. STAMP : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître O'Sullivan, vous avez la

22 parole.

23 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je vais suivre, pour ce qui est de ce

24 témoin, dans l'ordre prévu par l'acte d'accusation.

25 Contre-interrogatoire par M. O'Sullivan :

26 Q. [interprétation] Bonjour Madame.

27 R. Bonjour.

28 Q. Nous l'avons entendu, vous étiez directeur de la mission de l'OSCE à

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1 partir d'octobre 1998 jusqu'en l'an 2000, n'est-ce pas ?

2 R. Oui.

3 Q. Mais avant que la mission ne commence à fonctionner, avant que la

4 mission de la MVK commence à travailler en octobre 1998, vous étiez

5 conseiller juridique de l'OSCE ?

6 R. Oui.

7 Q. Vous avez participé à la planification et au déploiement de la

8 mission ?

9 R. Oui.

10 Q. Il y a eu un témoin dans l'affaire Milosevic qui était aussi membre de

11 la mission et il a estimé qu'arrivé le mois de février 1999, il y avait

12 environ 1 600 personnes qui travaillaient à la mission. Est-ce que cela

13 vous semble correct comme chiffre ?

14 R. Cela me semble un peu élevé. C'était plutôt 1 300. Cela dépend si vous

15 comptez dans ce chiffre aussi le personnel national.

16 Q. Ce témoin a estimé que pratiquement 50 % de ces personnes avaient des

17 fonctions disons administratives, du travail de bureau, un travail

18 administratif, elles n'étaient pas des personnes de terrain.

19 R. Je dirais plutôt qu'il y avait 30 % qui soutenaient les activités de

20 terrain.

21 Q. Par conséquent, 70 % du personnel se rendaient sur le terrain. C'était

22 sans doute de recueillir des données pour ces gens ? Je suppose que ceci a

23 quelque peu entravé les activités de la MVK.

24 R. Vous voulez dire que, pour qu'il y ait 100 % de déploiement ?

25 Q. Non, pour 70 %.

26 R. Non, c'est à peu près dans la moyenne.

27 Q. La personne à qui je pense, ce témoin du procès Milosevic, s'appelait

28 Roland Keith. Il a passé près de 32 ans pardon dans l'armée canadienne, il

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1 était vérificateur. Voici ce qu'il a dit : "Je m'aventurerais à dire que

2 seulement la moitié des gens allaient sur le terrain. Les autres faisaient

3 du travail administratif et du travail de direction, ici, j'insiste sur ce

4 que je vais dire, notre incapacité à vérifier au niveau du terrain, c'est

5 un incapacité qui m'a frappé dès le premier jour."

6 Est-ce que vous avez une raison quelconque qui permettrait de rejeter

7 les propos de M. Keith ?

8 R. C'est son avis, je ne suis pas d'accord avec lui.

9 Q. Vous étiez sur le terrain vous-même ?

10 R. Oui.

11 Q. Quelle est la différence entre ce que dit M. Keith et ce que vous

12 dites ?

13 R. Je ne sais pas dans quel service il travaillait. Il y avait des gens

14 qui étaient affectés à différents services, à différents moments. Il y

15 avait des centaines de personnes qui fluctuaient entre différentes missions

16 ou tâches, pour toucher des points chauds. Il y avait quand même plus de 40

17 antennes qui avaient été établies, ce qui veut dire que c'était de

18 l'activité de terrain très intensive.

19 Q. Je pense que vous l'avez dit ici, que c'était une mission qui

20 travaillait à cadence accélérée et que c'était vraiment une gageure pour

21 tout le personnel.

22 R. Oui.

23 Q. Gageure sur le plan logistique.

24 R. Absolument.

25 Q. Une question vous a été posée à propos de la formation initiale des

26 vérificateurs. J'ai parcouru votre déclaration et je pense qu'on peut dire

27 que beaucoup de vérificateurs ont été formés sur le tas ?

28 R. Oui.

Page 538

1 Q. Conviendrez-vous avec moi que l'information sur le tas, c'est quelque

2 chose de sporadique, soumis au hasard ?

3 R. Non, parce que ces personnes étaient venues avec les compétences leur

4 permettant de s'adapter rapidement. Certains avaient une expérience aussi

5 de la police, dans les droits de l'homme, avaient travaillé dans toutes

6 sortes de contextes.

7 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Peut-on montré au témoin la pièce P763 ?

8 Page 22. Je vous demande un peu de patience, j'essaie de trouver la bonne

9 page. Est-ce que si je vous donne le numéro ERN, cela vous aidera ?

10 K0227483. C'est la page qui m'intéresse. 7483.

11 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Apparemment, c'est la page 22.

13 M. O'SULLIVAN : [interprétation] A ce moment-là, cela doit être l'annexe.

14 Est-ce qu'il y a une annexe au document ? L'Accusation pourrait-elle

15 nous aider sur ce point ? Je cherche à trouver le projet d'annexe numéro 1.

16 M. STAMP : [hors micro]

17 L'INTERPRÈTE : C'est la page 25, si l'interprète a bien compris.

18 M. O'SULLIVAN : [interprétation] C'est le bon document.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est bon ?

20 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Oui.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

22 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Prenons la deuxième page du document.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Page 2, s'il vous plaît, me semble-t-

24 il.

25 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Nous sommes à la bonne page. Veuillez

26 faire défiler un peu plus.

27 Deuxième paragraphe complet, voici ce qui est dit : "De plus, les

28 missions relativement courtes de la plupart des membres de la MVK, pour

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1 beaucoup six mois seulement, fait qu'il est essentiel de faire une

2 formation rapide qui n'est pas laissée au hasard et souvent, il y a une

3 dynamique assez lente de la formation sur le tas."

4 Vous avez remarqué vous-même que c'était un peu au hasard, au niveau

5 hasard qu'on ne prépare.

6 R. Oui.

7 Q. Et que la plupart de la formation se fait sur le terrain.

8 R. Mais je vous ai dit, je pense que les gens avaient déjà des compétences

9 qui leur permettaient de s'adapter rapidement et la formation qu'ils

10 recevaient leur permettait de s'acquitter du mandat donné à la MVK.

11 Effectivement, ce volet-là de la formation se faisait sur le tas, sur le

12 terrain.

13 Q. Vous avez dit que certains avaient ces compétences, cette formation,

14 mais ce n'était pas vrai de tous, n'est-ce pas ?

15 R. C'était vrai pour la plupart. Il n'y avait qu'une minorité de gens qui

16 n'étaient pas vraiment à même de le faire à ce moment-là. Ils étaient

17 souvent mutés dans d'autres services ou départements. Normalement, ce

18 n'était pas un problème.

19 Q. Vous avez parlé de policiers, de membres d'armées --

20 R. Et de spécialistes des droits de l'homme.

21 Q. Ceux qui avaient de l'expérience pouvaient voir s'il y en avait qui

22 n'en avaient pas, à votre avis. Vous seriez d'accord avec moi là-dessus ?

23 R. A supposer que ceux qui avaient de l'expérience connaissent le contexte

24 dans lequel il fallait effectuer l'évaluation.

25 Q. J'aimerais vous lire un bref passage, Madame le Témoin, si vous me le

26 permettez, Monsieur le Président. C'est toujours M. Keith qui parle, celui

27 qui a une expérience de 32 ans dans l'armée canadienne. Le président de la

28 Chambre, le Juge Robinson, lui demande si les vérificateurs étaient

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1 dépêchés sur le terrain pour le programme de formation et il a dit qu'il

2 pouvait répondre à la question.

3 "A l'arrivée, c'était surtout une formation administrative,

4 technique, savoir comment pousser une quatre-quatre Peugeot sur les

5 mauvaises routes du Kosovo. C'était assez rudimentaire, mais effectivement,

6 il fallait passer ce test. Il fallait aussi savoir utiliser une radio, un

7 système GPS de positionnement et une partie de la formation ou des

8 briefings sur ce qui se passait dans la province était fourni par des

9 fonctionnaires de haut niveau pour essayer de faire comprendre ce qui se

10 passait dans la province. Bien entendu, de façon assez limitée, on leur

11 donnait aussi quelques directives ou consignes sur ce qu'il fallait faire.

12 M. Nice avait mis en cause ma capacité du fait de ma promotion, mais je

13 dirais que c'est une formation très rudimentaire qu'on ne donnait pas en

14 tout cas, que moi je n'ai pas reçu d'informations sur ce qu'il va trouver,

15 sur ce qu'il fallait rechercher. On ne recevait pas de fascicules ou de

16 livrets sur la façon de rencontrer les gens, sur l'organisation de la VJ ou

17 l'organisation du MUP. Lorsque M. Nice a parlé de l'école de l'état-major,

18 la formation de l'état-major -- ou du personnel, par exemple, non, ce

19 n'était sûrement pas un document du personnel."

20 Le Juge Robinson demande : "Est-ce que vous avez eu une formation

21 pour identifier les sujets sur lesquels vous deviez écrire des rapports ?"

22 Réponse : "Non. Je ne pourrais vous dire que ceci : Dites ce que vous

23 voyez."

24 Y a-t-il une raison quelconque de mettre en cause ce que M. Keith

25 dit ?

26 R. Non, je ne suis pas d'accord.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelle est la page du compte rendu

28 d'audience ?

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1 M. O'SULLIVAN : [interprétation] J'aurais dû le dire au début. La dernière

2 partie commençait à la page 32 800 et on passe à la page suivante, 32 801.

3 Premier passage, c'était à la page 32 825, procès Milosevic.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelles étaient les fonctions

5 particulières de M. Keith au sein de la MVK ?

6 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Il était à la tête d'une mission. C'était

7 un vérificateur.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais le témoin travaillait avec des

9 gens qui vérifiaient s'il y avait des violations des droits de l'homme. Il

10 y avait des vérificateurs qui faisaient autre chose, qui vérifiaient les

11 déplacements de troupes, les mouvements de troupes. Est-ce que vous savez

12 quelles étaient les attributions de ce témoin ? Parce que c'était un

13 militaire, peut-être faisait-il autre chose qu'un contrôle du respect des

14 droits de l'homme. Je ne sais pas.

15 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je vérifierai, Monsieur le Président.

16 M. STAMP : [interprétation] Pourrions-nous aussi avoir la date à laquelle

17 ce témoin a témoigné.

18 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Le 14 septembre 2004.

19 M. STAMP : [interprétation] Je vous remercie.

20 M. O'SULLIVAN : [interprétation]

21 Q. L'information que décrit M. Keith ce n'est pas une formation supérieure

22 à celle qu'on reçu les vérificateurs ?

23 R. Je dirais plutôt que c'était des briefings sur les protocoles de

24 communication et de sécurité en place pour la mission, pour savoir comment

25 s'occuper des véhicules, ce genre de choses, pour parler d'équipements,

26 c'est tout à fait standard.

27 Q. Est-ce que si des personnes n'ont pas d'expérience, que ce soit pour

28 vérifier des mouvements militaires ou si d'éventuels abus en matière de

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1 droits de l'homme, si on n'a pas l'expérience, si on ne sait pas ce qu'il

2 faut regarder, cela n'a pas grand intérêt, n'est-ce pas ? On ne sait

3 exactement comment interpréter ce qu'on voit ?

4 R. Si je peux me permettre de le dire, je trouve que c'est une question

5 qui sème la confusion. On était là pour apporter un témoignage, pour

6 rapporter ce que nous avions vu. Il faut avoir des compétences pour savoir

7 comment examiner, répertorier, faire des rapports de façon impartiale. Là,

8 le personnel était équipé en compétence. En plus, c'est du personnel qui

9 avait l'expérience de travailler dans une ambiance tout à fait explosive,

10 tout à fait dépourvue de sécurité.

11 Q. Dans cet environnement, vous n'aviez pas vraiment la capacité de vous

12 déplacer ?

13 R. Cela dépendait. La plupart du temps, on pouvait se déplacer au Kosovo.

14 S'il y avait des incidents qui se produisaient, la VJ et les forces de

15 sécurité serbes nous empêchaient de pénétrer dans ces zones. A ce moment-

16 là, la liberté de mouvement dépendait d'un incident à l'autre, d'une

17 semaine à l'autre, cela fluctuait selon les environnements.

18 Q. Vous affirmez aujourd'hui que vous n'avez pas subi de restriction de

19 mouvement pendant votre séjour au Kosovo ?

20 R. Je pense avoir déjà répondu à la question. Nous pouvions nous déplacer

21 sur les principales artères, il y avait des postes de contrôles que nous

22 avons observé. Nous avons dû souvent nous frayer un passage ou négocier

23 pour obtenir le passage de ces points de contrôle. Il y a des situations

24 effectivement où les forces de sécurité ne nous ont pas autorisé à aller

25 sur un lieu où il y avait un incident, effectivement la liberté de

26 mouvement était une chose difficile au Kosovo, mais c'est vrai de toute

27 situation analogue.

28 Q. Je n'en doute pas un seul instant. Finalement vous n'avez pu aller que

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1 sur les routes principales, vous n'avez pas pu sortir des sentiers battus ?

2 R. Mais si. Nous avons pu aller dans des lieux très éloignés, des villages

3 très éloignés parce que beaucoup de routes à l'époque au Kosovo c'étaient

4 des routes non asphaltées.

5 Q. Vous avez essayé et vous n'avez pas toujours réussi.

6 R. Cela dépendait.

7 Q. Lorsque vous avez témoigné dans le procès Milosevic. Vous avez dit que

8 pendant la guerre vous vous trouviez en Albanie et en Macédoine et qu'en

9 tout vous aviez 200 membres du personnel, y compris les interprètes et des

10 gens de la région. C'est exact ?

11 M. STAMP : [interprétation] Peut-on avoir la page du compte rendu

12 d'audience concernée ?

13 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Page 7 545.

14 Q. Je vais simplement lire ce que vous avez déclaré au procès Milosevic à

15 cette page-là.

16 "Lorsque nous étions au complet, nous avions 200 membres du personnel

17 éparpillés en Albanie et en Macédoine, y compris nos collègues nationaux et

18 les interprètes. Soixante-quinze de ces personnes étaient déployées en

19 Albanie où régnait une catastrophe humanitaire épouvantable vu un tel

20 afflux de réfugiés, je pense qu'il a fallu contrôler les arrivages de 50

21 000 personnes par jour pendant 2 jours. Ce chiffre de 200 par jour, c'est

22 un peu trompeur. Parce qu'il faut un certain temps pour s'organiser dans

23 des conditions pareilles. En plus, la mission passait par une phase où on

24 arrivait vers la fin."

25 C'est exact.

26 R. Oui.

27 M. O'SULLIVAN : [interprétation] J'ai terminé, je vous remercie.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Fila, voulez-vous poser des

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1 questions à ce témoin ?

2 M. FILA : [interprétation] Mesdames et Messieurs les Juges, oui, j'ai

3 plusieurs questions à poser. Mais voyez il se fait tard, nous allons

4 terminer dans cinq minutes. Je ne sais pas si je peux commencer. Si je

5 peux, il n'y a pas de problème.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je suis sûr qu'en cinq minutes vous

7 pouvez en faire plus que n'importe qui d'autre, Maître Fila.

8 M. FILA : [interprétation] D'accord, d'accord, oui, oui je m'excuse.

9 [La Chambre de première instance se concerte]

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Poursuivez, Maître Fila. Nous allons

11 entendre le début de votre contre-interrogatoire.

12 Contre-interrogatoire par M. Fila :

13 Q. [interprétation] Madame Mitchell, j'ai lu votre déclaration au

14 préalable. Vous y dites que vous aviez la responsabilité la collecte

15 systématique de données en matière de violation des droits de l'homme. Vous

16 avez été là tout le temps, même au cours de la première période avant que

17 les gens commencent à partir du Kosovo. Quand vous parlez de la "violation

18 des droits de l'homme," cela s'applique à tous les groupes ethniques,

19 n'est-ce pas, enfin c'est ce que j'espère, quand on dit "violation des

20 droits de l'homme," cela inclut tous les groupes ethniques, n'est-ce pas,

21 c'est ce que vous faites, n'est-ce pas ?

22 R. Oui.

23 Q. Au cours de cette première période et jusqu'au 20 mars, c'est à ce

24 moment-là que vous avez quitté le Kosovo, que vous vous êtes retirée du

25 Kosovo. Ce que je veux savoir, c'est ceci, après le 20 mars, est-ce qu'il y

26 a eu une mission au Monténégro parce qu'il y a des réfugiés qui sont allés

27 au Monténégro ?

28 R. Le mandat de notre opération que j'ai décrite aujourd'hui, ne

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1 s'appliquait pas au Monténégro. Ma réponse est donc négative.

2 Q. Je vais reformuler ma pensée. Avant d'arriver, est-ce que dans le cadre

3 de votre mission vous deviez faire une formation sur le contexte historique

4 du Kosovo-Metohija ? Est-ce que vous avez, par exemple, étudié les

5 différentes raisons pour lesquelles il y a eu parfois des exodes au Kosovo.

6 Je parle du XIXe et du XXe siècle. Est-ce que vous avez étudié tout ceci,

7 est-ce que vous étiez au courant ou est-ce que tout ceci ne faisait pas

8 partie de votre formation ?

9 R. Cela faisait plus dix ans que je travaillais dans les Balkans et je

10 connaissais l'histoire.

11 Q. C'est pour cela que je vous pose la question parce que vous l'avez dit

12 d'entrée de jeu et je voulais revenir à ce point.

13 Comment se présentait la situation que vous avez trouvée au Kosovo ? Est-ce

14 que c'est quelque chose qui venait tout juste de commencer, est-ce qu'avant

15 tout était parfait ou est-ce qu'il y avait déjà tout un courant de

16 tendances et même de haine qui ne cessait de grandir ? Est-ce qu'il y avait

17 de la souffrance, des pertes, de la haine chaque fois qu'il y a eu un

18 exode, avant que vous n'arriviez ?

19 R. Je ne sais pas trop comment répondre à votre question, mais

20 effectivement, oui. La situation en matière de sécurité ne cessait de se

21 détériorer et ceci avait commencé à faire ressentir ses pleins effets dès

22 1989, et cela n'a fait qu'empirer. Je ne sais pas jusqu'où vous voulez que

23 je remonte dans l'histoire.

24 Q. Remontez jusqu'où vous pouvez, allez jusque-là. Je parle de vos

25 connaissances, vous venez de parler de 10 ans avant votre arrivée, est-ce

26 que tout était parfait au cours de ces 10 dernières années ? L'impression

27 qu'on a, c'est que tout a commencé en 1999, ou même 1990 et qu'avant, tout

28 était rose et violette ?

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1 Est-ce que vous connaissez l'histoire de toute cette tendance qui

2 s'est manifestée tout du long du XXe siècle ?

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Fila, pourriez-vous me dire

4 quelle est la pertinence de votre question ? Est-il important que le témoin

5 connaisse toutes les évolutions qui ont marqué le XXe siècle ?

6 M. FILA : [interprétation] Je vous remercie. Voici la pertinence, à mon

7 avis, il nous faut établir si tout ceci, absence de confiance, l'exode qui

8 s'est produit en 1998, c'est ce que laisse entendre l'acte d'accusation, si

9 c'était quelque chose qui a commencé là ou était-ce quelque chose qui avait

10 commencé auparavant et qui n'a fait que s'aggraver ? Parce que quand on

11 parle d'entreprise criminelle commune, cela voudrait dire que jusqu'en

12 1998, tout le monde vivait en parfaite harmonie dans le bonheur le plus

13 complet, et que quelque chose s'est passée qui a perturbé tout ceci. C'est

14 ce que j'essaie de comprendre.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous comprends parfaitement, dans

16 une certaine mesure, il conviendrait peut-être d'examiner le contexte

17 politique et historique dans ce procès. Pourtant, ce témoin parle de la

18 question de savoir s'il y a eu ou pas des violations des droits de l'homme.

19 A mon avis, l'histoire, le contexte politique n'ont pas un grand rapport

20 avec la question de savoir si tel ou tel comportement constituait une

21 violation des droits de l'homme. Constituait-il une atrocité ? Etait-ce un

22 comportement criminel ? Si vous voulez maintenant savoir si ce témoin a une

23 connaissance profonde de l'histoire des Balkans, je me demande si c'est

24 vraiment pertinent u regard de sa déposition.

25 Mais nous allons terminer sur cette note. Vous réfléchirez peut-être à la

26 question de savoir comment vous allez changer de tactique, vu l'avis qui

27 vient d'être exprimé. Nous allons reprendre demain à 14 heures 15. C'est à

28 ce moment-là que vous allez poursuivre votre contre-interrogatoire du

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1 témoin Mitchell.

2 Maintenant, vous le savez déjà, Madame Mitchell, puisque vous avez été

3 témoin ici auparavant, je suis sûr que votre déposition a déjà été

4 interrompue dans un autre procès, vous savez que vous n'êtes censée parler

5 à personne de votre déposition.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Merci, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] L'audience reprendra demain à 14

8 heures 15.

9 --- L'audience est levée à 17 heures 00, et reprendra le mardi 11

10 juillet 2006 à 14 heures 15.

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