Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le jeudi 17 août 2006

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Peraj, Bonjour.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] M. Stamp va terminer par vous poser

9 quelques questions supplémentaires.

10 M. STAMP : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

11 LE TÉMOIN: NIKE PERAJ [Reprise]

12 [Le témoin répond par l'interprète]

13 Nouvel interrogatoire par M. Stamp : [Suite]

14 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Peraj. Je voulais vous poser

15 quelques questions à propos du MUP. C'est quelque chose que vous avez dit

16 lors du contre-interrogatoire. Vous avez dit que les maisons que vous avez

17 vues, les maisons qui se trouvaient près de la gare des bus étaient

18 incendiées et que la police régulière se trouvait là et ne faisait rien.

19 Est-ce que vous vous souvenez avoir dit cela ?

20 R. Oui.

21 Q. Quand est-ce que cela s'est passé ?

22 R. Au début de l'année 1999. Je ne me souviens pas de la date exacte.

23 Q. Est-ce que vous vous souvenez du mois où cela s'est passé ?

24 R. Je pense qu'il s'agissait du mois de mars.

25 Q. Est-ce que cela aurait pu se passer avant le 25 mars 1999 ou est-ce que

26 cela s'est passé après ?

27 R. Pour autant je m'en souvienne il s'agissait du mois de mars. Voilà ce

28 dont je me souviens.

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1 Q. Est-ce que vous vous souvenez si cela s'est passé avant ou après le

2 début de la campagne de bombardement de l'OTAN ?

3 R. Cela s'est passé avant la campagne de l'OTAN. C'est pendant ces jours-

4 là que la campagne de l'OTAN a commencé. Les attaques aériennes de l'OTAN

5 ont commencé après, plus tard. Cela a commencé après l'incendie de ces

6 maisons.

7 Q. Vous avez dit que la police que vous avez qualifiée de régulière se

8 trouvait là et ne faisait rien. Qu'entendez-vous par la police, les forces

9 de police régulières ? A quelle organisation de la police est-ce qu'ils

10 étaient subordonnés ?

11 R. D'après les uniformes qu'ils portaient et d'après leur apparence

12 physique, il s'agissait en fait de forces de police du MUP.

13 Q. Vous avez dit que lorsque vous avez essayé d'intervenir pour mettre un

14 terme à cela, le commandant vous a dit de vous mêler de ce qui vous

15 regardait et il vous a empêché d'arrêter l'incendie de ces maisons ?

16 R. Lorsque je me suis approché des gardes qui se trouvaient là, il y avait

17 près de moi mon commandant, Milos Djosan. Je lui ai dit qu'il fallait que

18 nous intervenions parce que l'incendie était vraiment très, très proche. Il

19 m'a dit de me mêler de ce qui me regardait, il m'a dit cela n'a rien à voir

20 avec nous.

21 Q. C'est Milos Djosan qui vous a dit cela alors ?

22 R. Oui, c'était mon commandant, pas le commandant de la police.

23 Q. Alors nous allons passer à la VJ maintenant. Une question vous a été

24 posée, on vous a demandé à quel moment est-ce que le général Ojdanic avait

25 été nommé. Vous avez dit que cela s'était fait en 1997 et qu'il avait

26 succédé au général Perisic. Je souhaiterais que nous consultions un extrait

27 de votre toute dernière déclaration. J'aimerais vous poser une question à

28 ce sujet, il s'agit du paragraphe 100.

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1 "J'ai écouté Perisic parler lors d'une réunion qui a eu lieu à la fin du

2 mois de mai ou au début de juin 1998 au club militaire, de la caserne

3 militaire de Pristina."

4 Lors de cette réunion qui a eu lieu soit en mai 1998, soit en juin 1998,

5 est-ce que le général Perisic était toujours le commandant ou plutôt le

6 chef d'état-major de la VJ ?

7 R. Oui.

8 Q. Donc, le général Ojdanic lui a succédé après, logiquement ?

9 R. Bien sûr.

10 Q. A propos de la VJ, vous avez dit qu'avant 1998 ils n'avaient pas

11 détruit des villages entiers. Vous dites un peu plus loin qu'en 1999 le

12 village de Kavez [phon] a été détruit ainsi que d'autres villages. Est-ce

13 que vous souvenez des autres villages qui ont été détruits ?

14 R. Le village de Kavez, je ne pense pas que ce nom existe ou peut-être que

15 vous l'avez mal prononcé. Je ne sais pas de quel village vous voulez

16 parler.

17 Q. Très bien. Dites-nous alors les noms des villages qui ont été détruits

18 par la VJ en 1998 si vous vous en souvenez.

19 R. Ils ont pilonné plusieurs villages dans les environs de Komorane. Ils

20 ont dit qu'il y avait des membres de l'UCK qui avaient leur base là, donc

21 il y avait des bases de l'UCK dans ces villages.

22 Q. Merci. Puis en dernier lieu je vous dirais qu'on vous a posé des

23 questions à propos d'une réunion officieuse, réunion officieuse au cours de

24 laquelle Stojanovic, c'est cela, Stojanovic avait dit que les maisons

25 devaient être brûlées et qu'au moins 100 personnes devaient être tuées. Il

26 a été suggéré que cette discussion a eu lieu parmi un groupe de personnes

27 du cru. Alors j'aimerais savoir si vous vous souvenez de la personne qui

28 parmi ce groupe a dit que nous devions avoir l'autorisation pour ce faire ?

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1 R. Après l'intervention de Stojanovic, et il parlait à Kovacevic et

2 Micunovic, il a dit : Une opération doit être menée à bien pour réduire les

3 maisons en cendres et une centaine de têtes devront tomber. Hier, je vous

4 avais expliqué les raisons, je vous avais expliqué pourquoi je pensais

5 qu'il avait dit cela.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Peraj, la question qui vous a

7 été posée est comme suit : Qui a prononcé ces mots suivant lesquels 100

8 personnes devaient être tuées ?

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Stojanovic.

10 M. STAMP : [interprétation]

11 Q. Après cela quelqu'un, d'après vous, a dit : Oui, mais nous devons

12 l'autorisation pour ce faire. Qui a prononcé ces mots ?

13 R. Kovacevic.

14 Q. Puis quelqu'un a dit : Je vais arranger cela avec Pavkovic. Qui a dit

15 cela ?

16 R. Stojanovic.

17 Q. Vous avez dit être allé à l'hôtel Pastriku sous le commandement de --

18 R. Oui.

19 Q. Vous avez dit qu'il y avait des paramilitaires qui se trouvaient là et

20 qui vous ont dit d'aller parler à leur chef. Est-ce qu'ils vous ont dit qui

21 était leur chef ?

22 R. Non.

23 Q. Je vous remercie.

24 M. STAMP : [interprétation] Mesdames, Messieurs les Juges, j'en ai terminé

25 avec mes questions supplémentaires.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Stamp, dans quel paragraphe

27 est-il question des 100 têtes qui doivent tomber ?

28 M. STAMP : [interprétation] Il s'agit du paragraphe 59.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie.

2 D'après les notes que j'ai prises hier, il va falloir que nous vérifiions

3 cela, puisque d'après le témoin hier, il avait été dit qu'il aurait

4 contacté -- la personne qui avait dit qu'il fallait contacter Pavkovic

5 était Kovacevic. C'est ce dont vous vous souvenez, Monsieur Stamp ?

6 M. STAMP : [interprétation] Ce dont je me souviens, c'est qu'on lui a posé

7 une question à propos des personnes qui se trouvaient réunies. C'était une

8 question composée qui avait été posée, donc, je ne sais pas qui l'a dit. Le

9 fait est qu'il y avait un groupe de personnes, que des questions lui ont

10 été posées à propos de ce groupe de personnes. Donc, je voulais tout

11 simplement préciser un peu cela.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ceci étant dit, j'avais également pris

13 note de la réponse eu égard au paragraphe 62, donc de toute évidence il va

14 falloir voir ce qui se trouve au compte rendu d'audience à ce sujet.

15 Monsieur Stamp - et je m'adresse d'ailleurs à tout le monde - il y a

16 plusieurs documents auxquels il a été fait référence pendant la déposition.

17 Ces documents ont été utilisés comme moyens de preuve. Ces documents ont

18 été admis. Il y a des documents qui n'ont pas été traduits, donc ils sont

19 enregistrés aux fins d'identification sous réserve de la traduction.

20 Lorsqu'ils seront traduits, les parties devront informer la Chambre de

21 première instance du fait que les traductions ont été faites. Il faudra que

22 des écritures soient déposées pour que nous puissions faire le point de la

23 situation et pouvoir voir ce qui pourra être confirmé quant à l'admission

24 desdits documents.

25 Il y a deux documents auxquels il a été fait référence, mais ces

26 documents n'ont pas été utilisés, bien que vous puissiez voir une référence

27 à ces documents dans le compte rendu d'audience. Il s'agit des documents

28 6D34 et 35 mentionnés lors du contre-interrogatoire de Me Lukic. Je dirais

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1 qu'ils n'ont pas été utilisés lors du contre-interrogatoire.

2 Monsieur Stamp, j'aimerais vous poser une question à propos du

3 document 3D60. Il s'agit des notes prises lors de l'entretien téléphonique

4 avec M. Peraj. Cela a été utilisé seulement lors du contre-interrogatoire

5 par Me Visnjic. Est-ce que vous considérez que cela fait partie de la

6 procédure de la Défense ou est-ce que vous vous opposez, ou plutôt est-ce

7 que vous considérez que nous devrions prendre en considération tous les

8 éléments de ce document ? Parce que ce document n'a pas été versé au

9 dossier lors de la présentation des moyens à charge.

10 M. STAMP : [interprétation] Je pense que la Défense voulait l'utiliser pour

11 le contre-interrogatoire et le témoin a accepté ce qui lui avait été dit à

12 propos de ce document.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc, nous pouvons le considérer comme

14 un document qui a été utilisé lors du contre-interrogatoire ?

15 M. STAMP : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

17 M. STAMP : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

18 [La Chambre de première instance se concerte]

19 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman.

21 M. ACKERMAN : [interprétation] Au cas où vous souhaiteriez vraiment

22 préciser la question que vous avez soulevée, il s'agit du compte rendu

23 d'hier, page 58, et cela commence à la ligne 14. Il a dit: "C'était la

24 personne qui était avec Kovacevic qui a dit que nous devions avoir

25 l'autorisation pour ce faire."

26 Et l'autre type a dit: "Je vais arranger cela avec Pavkovic." Il s'agit de

27 la déposition d'hier.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci, Monsieur Ackerman.

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1 M. STAMP : [interprétation] Puis-je me permettre de faire une suggestion,

2 avec votre permission. Je pense à ce que vous avez dit hier au sujet de la

3 Défense ou des parties qui obtiennent des traductions de passages

4 pertinents de longs documents, ce qui est un avis tout à fait raisonnable;

5 puis-je toutefois vous demander que soient traduits la page de garde où

6 peut figurer une description générale du document ainsi que la dernière

7 page avec la signature, le nom du signataire, au moins l'encadré pour la

8 signature et les informations relatives au commandant ou à la fonction, et

9 le passage pertinent ?

10 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci, Monsieur Stamp. Voici une

11 réflexion qui me semble raisonnable, mais je ne pense pas qu'il soit

12 possible de légiférer en la matière. M. Stamp nous a donné un exemple d'un

13 cas où il serait utile de traduire des éléments de la page de garde et de

14 la dernière page d'un document, bien que seul une petite partie soit

15 nécessaire en l'espèce. Mais je pense qu'il s'agit d'être judicieux et de

16 tenir compte de cette observation lorsque vous déciderez d'inviter les

17 traducteurs à traduire.

18 Bien, Monsieur Peraj, votre déposition est terminée. Merci d'être

19 revenu au Tribunal pour cette déposition. Vous pouvez disposer.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, et je souhaite à toutes les

21 personnes présentes dans le prétoire, bonne chance.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Peraj.

23 [Le témoin se retire]

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien entendu, les parties souhaitent

25 avoir des renseignements à propos du calendrier, et je peux vous donner

26 quelques renseignements à ce sujet.

27 Pour le mois d'août et pour le mois de septembre, le calendrier des

28 audiences peut être consulté sur le site du Tribunal, et je pense qu'il

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1 aurait dû être mis à jour pour tenir compte de certaines dispositions qui

2 ont dû être prises. Dans un futur proche, je dirais qu'il est peu

3 vraisemblable que cette audience ou que cette affaire puisse siéger le 29

4 août parce que les Juges sont requis, ou le Tribunal est requis pour une

5 audience en appel. Bien entendu, si cela est annulé pour quelque raison que

6 ce soit, la situation sera modifiée. C'est une audience en appel qui au

7 départ avait été prévue pour le 30 août, mais les choses ont changé. Il

8 n'est plus prévu pour le 30 août.

9 Je pense que nous ne siégerons pas le premier lundi de septembre, qui

10 est le 4 septembre, et nous n'allons pas non plus siéger le lundi 23

11 octobre. Nous n'allons pas non plus siéger le

12 24 octobre - c'est un jour férié - mais j'attire votre attention sur le

13 fait que nous n'allons pas non plus siéger le 23 octobre, donc vous pouvez

14 vous accorder un très long week-end au vu de ces circonstances. Nous

15 n'allons pas non plus siéger la première semaine du mois d'octobre. Il

16 s'agit des vacances discrétionnaires que la Chambre a le droit de prendre.

17 Je comprends les préoccupations qui ont été exprimées à propos du

18 fait que nous allons fréquemment siéger les vendredis après-midi et les

19 lundis matin; cela raccourcit le week-end. Il y a une modification. Vous

20 verrez quels sont les vendredis où nous allons siéger le matin. Cela se

21 trouve sur le site Web. Fondamentalement, cette Chambre de première

22 instance siègera autant que faire se peut le vendredi matin, mais il y a

23 également les desiderata des autres Chambres de première instance.

24 Malheureusement, le créneau qui nous a été accordé c'est vendredi après-

25 midi, mais je dois vous dire que tous les Juges sont tout aussi intéressés

26 que vous à faire en sorte que nous siégeons le vendredi matin. Nous allons

27 veiller au grain à ce sujet.

28 Voilà ce que je peux vous dire pour ce qui est du sort qui nous est

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1 réservé pour ce qui est du calendrier des audiences.

2 Monsieur Hannis, cela m'amène à parler de votre prochain témoin.

3 M. HANNIS : [interprétation] Avant que le prochain témoin n'entre dans le

4 prétoire, j'aimerais présenter une requête orale.

5 La Défense a déposé une réponse à notre deuxième requête 92 bis. Il

6 s'agit d'un témoin protégé émanant d'une organisation humanitaire

7 internationale. Nous aimerions avoir la possibilité de pouvoir répondre à

8 cette requête et nous aimerions avoir jusqu'au

9 25 août pour pouvoir déposer cette requête. Ils ont accepté qu'ils puissent

10 venir sans pour autant répondre au contre-interrogatoire, mais ils ont une

11 objection pour ce qui est de certains extraits des documents en annexe à sa

12 déclaration.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que le délai de temps que

14 vous requérez correspond à ce que vous avez envisagé pour la présentation

15 de vos éléments à charge ? Parce que c'est extrêmement important, le

16 contexte ici. Si vous pensez qu'il s'agit d'éléments de preuve qui sont

17 utiles ultérieurement ?

18 M. HANNIS : [interprétation] Oui, ce sont des éléments de preuve qui seront

19 présentés ultérieurement, mais il s'agit de l'admissibilité et de ce qui

20 pourra être admis. C'est un peu ce que nous avions eu pour l'ouvrage "As

21 Seen, As Told" ou l'ouvrage "Under Orders".

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien. Deuxièmement, ce que je

23 voulais vous dire c'est que la réponse que vous avez obtenue de la part de

24 la Défense, est-ce qu'il s'agissait d'une réponse conjointe ?

25 M. HANNIS : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qui était le conseil principal ?

27 M. HANNIS : [interprétation] Je pense qu'il s'agissait du conseil

28 d'Ojdanic, mais je n'en suis pas sûr.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Voilà, c'est M. O'Sullivan vers qui on

2 pointe un doigt accusateur.

3 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Cela a été présenté conjointement.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous avez tendance à être porte-parole

5 quand personne ne peut être identifié. C'est vous qui êtes considéré comme

6 le porte-parole. J'aimerais savoir si vous acceptez ce qu'a demandé

7 l'Accusation ? Le délai de temps qu'ils demandent ne vous pose pas de

8 problème ?

9 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Non, Monsieur le Président, aucun

10 problème.

11 M. HANNIS : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

12 Nous allons faire entrer le témoin suivant.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Carter.

14 Mme CARTER : [interprétation] Nous aimerions faire entrer dans le prétoire

15 le témoin à charge, Xhevahire Rrahmani.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un petit moment, je vous prie.

17 Lorsque vous allez poser des questions à ce témoin, est-ce que vous

18 aurez besoin du huis clos partiel ?

19 Mme CARTER : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cela, bien entendu, dépend des

21 questions qui seront soulevées. Mais acceptez-vous que le huis clos partiel

22 pourrait être nécessaire ?

23 Mme CARTER : [interprétation] C'est tout à fait probable. Il est question

24 d'un témoin protégé.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je pensais un peu également à la

26 nature même d'une partie de l'allégation.

27 Mme CARTER : [interprétation] Oui.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce que j'aimerais indiquer au conseil

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1 de la Défense, c'est qu'il y a deux éléments.

2 Oui, Maître Ackerman.

3 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président, c'est peut-être parce

4 que je suis arrivé en retard, mais je ne savais pas qu'il y aurait peut-

5 être un témoin protégé qui pourrait poser un problème, donc il se peut que

6 je commette une erreur sans pour autant en être conscient. Je pense qu'il

7 faudrait que je sois informé quand même.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cette information à ce sujet pourra

9 être ou pourra faire l'objet d'un échange officieux. Je pense que vous

10 pouvez envoyer un message à Me Ackerman --

11 Mme CARTER : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] -- pour régler cette question. Pour ce

13 qui est du comportement, il se peut que cela ne soit pas un problème en

14 l'espèce, mais si cela est un problème, j'espère que vous nous indiquerez

15 vos intentions de poser des questions au témoin à ce sujet dans le cadre du

16 contre-interrogatoire.

17 Très bien. Est-ce que nous pouvons faire entrer le témoin dans le prétoire.

18 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous pouvez mettre les

20 écouteurs, je vous prie ?

21 Madame Rrahmani, est-ce que vous pourriez prononcer la déclaration

22 solennelle en lisant à haute voix le document qui vous est maintenant

23 donné.

24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

25 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

26 LE TÉMOIN: XHEVAHIRE RRAHMANI [Assermentée]

27 [Le témoin répond par l'interprète]

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir.

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1 Nous avons devant les yeux copie d'une déclaration qui nous a été donnée et

2 qui détaille le compte rendu que vous avez fait de plusieurs choses, de

3 plusieurs événements, mais la procédure de ce Tribunal demande que les

4 témoins viennent en personne au Tribunal pour témoigner de ces événements

5 et pour répondre à différentes questions. C'est ce que nous allons faire.

6 Certaines personnes vont vous poser des questions. Il y aura des questions

7 qui seront sans doute difficiles, et si vous trouvez des questions

8 difficiles, il faut nous le dire. Si vous n'arrivez à avoir de réponse, il

9 faut aussi nous le dire. Certains vont peut-être essayer de contester les

10 témoignages que vous allez faire. Il faut être très claire dès le départ,

11 car le but de ce Tribunal est de procéder d'une façon où on pose des

12 questions au témoin et ensuite on essaie de contester un petit peu ce qui a

13 été demandé au témoin. Donc, si vous pensez que quelqu'un vous pose une

14 question qui n'est pas correcte, il faut nous le faire savoir et nous

15 interviendrons.

16 Tout d'abord, vous allez être questionnée par le substitut du

17 Procureur, Mme Carter.

18 Mme CARTER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

19 Pour simplifier les choses, j'ai préparé une copie papier de la déclaration

20 du témoin et qui va être donnée au témoin et il faudrait aussi la mettre

21 sur le rétroprojecteur.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Cet exemplaire papier, c'est en

23 albanais ?

24 Mme CARTER : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. Vous nous avez dit que vous

26 alliez le présenter à l'écran, mais ce n'est pas sur le rétroprojecteur,

27 n'est-ce pas, c'est uniquement par le biais de e-court ?

28 Mme CARTER : [interprétation] Tout à fait.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est bien, merci.

2 Mme CARTER : [interprétation] Monsieur le Président, tout le dossier 92 bis

3 est en albanais, et des documents comprennent aussi des traductions

4 anglaises.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien. Nous avons aussi l'anglais

6 aussi à l'écran.

7 Mme CARTER : [interprétation] Merci.

8 Interrogatoire principal par Mme Carter :

9 Q. [interprétation] Pourriez-vous s'il vous plaît, Madame Rrahmani, vous

10 présentez, devant le Tribunal ?

11 R. Xhevahire Rrahmani.

12 Q. Madame Rrahmani, vous avez donc une copie de votre déclaration sous les

13 yeux. Avez-vous déjà pu la regarder ?

14 R. Oui.

15 Q. Ce document que vous avez sous les yeux est bien le même que la

16 déclaration que vous avez faite devant le bureau du Procureur

17 précédemment ?

18 R. Oui.

19 Q. Vous avez lu ce document, cette déclaration est-elle fiable ?

20 R. Oui.

21 Mme CARTER : [interprétation] Monsieur le Président, s'il vous plaît,

22 j'aimerais que la déclaration soit versée au dossier.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous savez, qu'en pratique s'il n'y a

24 pas d'objection, ce document sera automatiquement versé au dossier.

25 Mme CARTER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

26 Ce témoin a été appelé en vertu de l'article 92 bis (D). Nous

27 demandons aussi que soit versé au dossier, un compte rendu du procès

28 Milosevic qui se trouve dans le fichier e-court, D02400 [comme interprété].

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je suis désolé, je n'ai pas vraiment

2 regardé tout cela à l'avance. Je suis sûr un peu plus tard nous aurons une

3 copie de ces comptes rendus.

4 Mme CARTER : [interprétation] Certainement, Monsieur le Président.

5 M. LE JUGE BONOMY : [aucune interprétation]

6 Mme CARTER : [interprétation]

7 Q. Madame Rrahmani, je vais maintenant vous poser des questions sur votre

8 déclaration, pour détailler certains aspects peut-être clarifier d'autres

9 choses. Tout d'abord, nous allons vous poser des questions sur votre

10 déplacement au sein du Kosovo. Ensuite, nous parlerons de l'incident qui

11 s'est passé dans l'étable à Cirez.

12 Revenons donc d'abord au 24 mars 1999. Où habitiez-vous à l'époque ?

13 R. Avant le 24 mars, le 22 février je quittais ma maison et je suis partie

14 vivre à Vushtrri dans la maison de Naim Muzaci, d'une autre personne.

15 Q. Pourquoi avez-vous fait cela ?

16 R. Parce que l'armée était dans les montagnes de Taraxh, ils étaient en

17 train de pilonner et nos enfants avaient peur.

18 Q. Quand vous dites que "c'est l'armée", pouvez-vous nous dire exactement

19 qui pilonnait les villages ?

20 R. L'armée serbe.

21 Q. Avez-vous vu ces forces de vos yeux ou est-ce que c'est quelque chose

22 dont vous avez entendu parler ?

23 R. On a entendu de la part d'autres personnes que c'était eux, mais on a

24 aussi entendu des tirs. Il y a même des balles qui ont atteint ma cour,

25 dans ma maison.

26 Q. Pouvez-vous nous dire à peu près quand ces balles ont atteint la cour

27 de votre maison ?

28 R. A 14 h 00. Deux jours plus tard mon mari et mon beau-frère Bajram ont

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1 dû quitter la maison parce que l'armée leur a dit de partir sinon ils les

2 auraient tués.

3 Q. A quelle date a eu lieu l'incident ?

4 R. Nous sommes partis le 22. L'autre c'était le 24 février.

5 Q. Etes-vous retournée dans votre village de Bukos dans la municipalité de

6 Vucitrn ?

7 R. On y est retourné trois ou quatre jours plus tard. Je suis allée au

8 portail de la maison, comme on dit, le portail, mais l'armée ne m'a pas

9 autorisée à rentrer dans ma propre maison. J'ai vu l'armée serbe, un

10 tracteur, un autre tracteur avec une remorque qui était en train de prendre

11 absolument tout ce que j'avais dans ma maison. Ma télévision, mes meubles,

12 et cetera, et cetera.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Lukic, vous vous êtes levé,

14 pourquoi donc ?

15 M. LUKIC : [interprétation] Je tenais juste à demander à notre éminent

16 collègue s'il pouvait nous dire exactement où l'on peut trouver cela dans

17 la déclaration ?

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je ne sais pas où cela se trouve.

19 Mme CARTER : [interprétation] Ce n'est pas dans la déclaration puisque la

20 déclaration commence le 26 mars. Or, les événements qui viennent de nous

21 être relatés ont précédé cette date.

22 M. LUKIC : [interprétation] Merci, je voulais juste savoir.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais vous auriez dû avoir une

24 déclaration du témoin qui couvre cette période.

25 M. LUKIC : [aucune interprétation]

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi est-ce qu'il n'y a pas de

27 déclaration de témoin qui couvre cette période et qui a été communiquée à

28 la Défense ?

Page 1816

1 Mme CARTER : [interprétation] C'est parce qu'il n'y a pas de

2 déclaration. J'ai appris cela pour la première fois lors du récolement

3 lundi.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi n'avez-vous pas

5 communiqué les notes de récolement ?

6 Mme CARTER : [interprétation] Il n'y avait pas encore de notes de

7 récolement à l'heure actuelle, on n'a pas fait encore de notes de

8 récolement. Comme c'est un témoin qui est cité au titre de l'article 92 bis

9 (D), et que tout témoignage supplémentaire sera pris de façon orale lors de

10 son témoignage, il n'y a pas de déclarations supplémentaires qui ont été

11 faites.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est dommage, parce que si vous

13 obtenez des informations supplémentaires dans la forme d'une déclaration

14 alors que vous êtes en train de récoler le témoin, il aurait été courtois

15 de votre part d'en faire part à la fois à la Chambre et à la Défense pour

16 que tout le monde soit préparé.

17 Mme CARTER : [interprétation] Je suis désolée, mais étant donné qu'il

18 s'agit d'un témoignage qui est donné oralement et en direct, il faudrait

19 que le témoin puisse avoir le droit de détailler ce qui s'est passé comme

20 elle le veut, et qu'elle peut ainsi nous expliquer pourquoi elle a dû

21 quitter son village et nous clarifier au juste la portion qui commence

22 avant le paragraphe 2.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais ici elle quitte un

24 autre village avant d'arriver au premier village. Où commence la

25 déclaration écrite. Ce sont des événements qui sont complètement différents

26 et qui ne se passent pas dans le même emplacement.

27 Vous nous dites que c'est parce que le témoin va déposer de vive

28 voix, mais cela je ne comprends pas du tout. Parce que c'est comme si

Page 1817

1 l'Accusation pouvait faire ses enquêtes et garder tout à l'esprit et ne

2 jamais communiquer rien à personne parce qu'eux sont au courant, cela me

3 parait tout à fait mal approprié.

4 Mme CARTER : [interprétation] Oui, je comprends bien que tout ceci

5 aurait dû être communiqué précédemment.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous avez de la chance que

7 personne --

8 M. ACKERMAN : [interprétation] Je suis la première personne qui va

9 devoir procéder au contre-interrogatoire, je pense que les notes de

10 récolement auraient dû m'être communiquées avant que nous commencions cette

11 déposition.

12 Il semblerait que cela va nous rendre la tâche difficile puisque

13 cette déposition commence par des faits qui ne nous ont pas été communiqués

14 du tout et qui étaient dans les notes de récolement uniquement.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien – oui, Monsieur O'Sullivan.

16 M. O'SULLIVAN : [interprétation] J'aimerais savoir, si c'est une

17 négligence, c'est une chose. Cela dit, cela outrepasse quand même les

18 obligations de communication qui existent au titre de l'article 66 du

19 Règlement.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, c'est tout à fait clair. La

21 Chambre de première instance a d'ailleurs envisagé éventuellement de faire

22 une ordonnance en ce qui concerne la procédure au début du procès. Cela

23 dit, au début on a vu que les choses se passaient correctement, on s'est

24 dit qu'il était inutile de rédiger une ordonnance, et l'attitude de la

25 Défense jusqu'à présent a été de trouver l'Accusation très coopérative en

26 l'espèce. Même quand parfois ils trouvent que les choses ne sont tout à

27 fait correctes, ils se lèvent, soulèvent des objections pour que ce cela

28 soit au compte rendu, mais ne vont pas vraiment plus loin. Mais ici, je

Page 1818

1 pense qu'il faut marquer un peu le coup pour éviter que cela ne se

2 reproduise.

3 Il faudrait nous donner un peu de temps pour délibérer entre nous.

4 Nous allons donc délibérer sur le siège.

5 [La Chambre de première instance se concerte]

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous considérons qu'il faut maintenant

7 rendre une ordonnance demandant à l'Accusation de communiquer immédiatement

8 à la Défense toute information supplémentaire qu'ils obtiennent de la part

9 des témoins qui vont être entendus. Ceci recouvre, bien sûr, les éléments à

10 charge et les éléments à décharge. Tout élément dont vous prenez

11 connaissance lors du récolement doit être communiqué immédiatement à la

12 Défense.

13 En espèce, tout ce que la Défense vous demande c'est de communiquer

14 les informations supplémentaires avant le contre-interrogatoire. J'espère

15 que vous serez capables de faire cela.

16 Mme CARTER : [interprétation] L'Accusation considère qu'il y a eu confusion

17 entre ce qui est nouveau et différent et ce qui est uniquement une

18 clarification d'une déclaration précédente. Ce témoin est une phrase et

19 demie de commencer le paragraphe 2 de sa déclaration. L'intention de

20 l'Accusation n'était pas du tout d'aller au-delà de ce qui est contenu dans

21 la déclaration ou d'avoir des éléments de surprise à la Défense.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais enfin, vous nous donnez des

23 témoignages de pilonnage par la VJ dans les montagnes, ensuite vous les

24 avez interprétés directement comme étant un pilonnage de villages bien que

25 le témoin ne l'ait pas dit. C'est quand même des éléments qui sont assez

26 importants et qui n'ont pas été repris dans la déclaration.

27 Mme CARTER : [interprétation] Vous avez raison.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Poursuivons. Je suis sûr qu'il est

Page 1819

1 absolument évident que tout ceci aurait dû être communiqué. Bon, mais nous

2 pouvons quand même continuer puisque la Défense est maintenant au courant

3 de ce qui se passe.

4 M. ACKERMAN : [interprétation] S'il vous plaît, je veux faire une

5 observation en ce qui concerne la déclaration que vient de nous faire mon

6 éminent collègue du Texas. Ce n'est pas du tout une clarification comme

7 elle le dit. Je veux bien croire qu'il s'agit d'une négligence de leur part

8 et qu'ils n'ont pas communiqué ces éléments par négligence, mais ils ne

9 peuvent pas essayer de s'en sortir en disant que c'est une clarification

10 parce que c'est évident que cela ne l'est pas.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien. Maintenant, je crois que

12 vous êtes en train de répéter mes propos, Monsieur Ackerman.

13 Vous pouvez continuer.

14 Mme CARTER : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

15 Q. Madame Rrahmani, parlons maintenant du 24 mars 1999. Où habitiez-vous à

16 l'époque ?

17 R. J'habitais à Vushtrii, chez mon gendre, Naim Muzaci.

18 Q. Quand avez-vous quitté cet endroit ?

19 R. Le 26 mars.

20 Q. Où êtes-vous allés le 26 mars 1999 ?

21 R. Nous sommes allés au village de Kozica, chez l'oncle de mon mari,

22 Xhemajl Xhema qui vient de la municipalité de Skenderija.

23 Q. Pourquoi avez-vous choisi d'aller là ?

24 R. Parce qu'il y avait des pilonnages à Vushtrii et nous avions peur pour

25 nos enfants. C'est pour cela qu'on est allés à Kozica. On ne pouvait pas

26 retourner chez nous dans notre maison puisque l'armée y était, donc on est

27 allé à Kozica.

28 Q. Pendant vos déplacements entre ces deux villages, avez-vous rencontré

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1 des unités militaires serbes ou unités de police serbe quelles qu'elles

2 soient ?

3 R. Non. Ils étaient au village de Taraxh, mais on n'est pas allé par là. A

4 un moment des soldats sont entrés dans une maison, ils étaient environ 30

5 soldats.

6 Q. Où se trouvait cette maison, s'il vous plaît ?

7 R. Au village de Kozica.

8 Q. Dans ce village de Kozica, pourriez-vous décrire s'il vous plaît les

9 soldats que vous avez vus dans ce village ?

10 R. A Cirez, il y avait déjà des soldats, mais trois jours après, ils sont

11 arrivés à Kozica. Au début ils ont pilonné, ensuite ils sont arrivés en

12 camion et à bord d'autres véhicules aussi. Il y a des gens qui ont été

13 tués, dix personnes ont été tuées, et trois ont été blessées.

14 Q. Quand vous dites "ils", à qui faites-vous référence, s'il vous plaît ?

15 R. Là où nous étions, il y avait beaucoup de femmes et d'enfants dans la

16 cour de la maison de Rrahim. Les obus sont tombés dans la cour, et dix

17 personnes sont mortes et trois ont été blessées.

18 Q. Mais qui pilonnait ?

19 R. C'est l'armée serbe qui pilonnait depuis Cirez sur Kozica, dans la cour

20 de Rrahim. Je ne sais pas quel était son prénom.

21 Q. Avez-vous eu la possibilité de voir ces soldats serbes ou certains

22 d'entre eux ?

23 R. Quand l'infanterie est arrivée, oui.

24 Q. A quoi ressemblait cette infanterie ?

25 R. Ils étaient en uniforme vert.

26 Q. Etaient-ce des uniformes vert uni ou des uniformes de plusieurs tons ?

27 R. C'est des uniformes verts. Ils avaient un ruban autour du bras, un

28 brassard. J'avais mes enfants avec moi, il y avait les gens qui étaient

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1 morts, les blessés. Donc je ne faisais pas tellement attention à leurs

2 uniformes. J'ai juste vu qu'ils étaient en vert avec un brassard rouge au

3 bras.

4 Q. Je comprends qu'en effet il y avait un certain chaos qui régnait à ce

5 moment-là, mais pouvez-vous nous dire si c'était un uniforme vert uni ou si

6 c'était un uniforme avec plusieurs tons de couleurs ou peut-être avec un

7 imprimé ?

8 R. Si je me souviens bien, ils étaient verts, tout simplement verts, vert

9 armée. Je n'en suis pas très sûre. C'est la première fois que je les ai

10 vus.

11 Q. Après cette incident, quand les soldats se sont rassemblés dans la

12 cour, que s'est-il passé, qu'avez-vous fait ?

13 R. On nous a dit de nous asseoir. On nous a dit que personne ne devait

14 être debout, donc on s'est assis. Ils sont venus très, très près de nous.

15 Ils étaient en train d'essayer de panser les blessés. Donc ils les avaient

16 blessés et ensuite ils essayaient de panser leurs blessures.

17 On a laissé les morts où ils étaient et on s'est éloigné d'eux parce

18 qu'on avait peur. Il y avait un jeune homme parmi nous qui avait 28, 30

19 ans. Je crois qu'il était handicapé mental. Il hurlait, il pleurait, il

20 était en train de manger un œuf dur et parce qu'il criait et qu'il

21 pleurait, ils lui ont tiré dessus immédiatement. Ils lui ont tiré dessus

22 directement dans la cour de Rrahim, dans le village de Kozica.

23 Q. Avant l'entrée de l'infanterie dans le village, y avait-il eu des

24 combats de quelque sorte, des combats, quels qu'ils soient dans le

25 village ?

26 R. Non. Ils tiraient vers Kozica. C'est à Cicavica. Ils ont pilonné

27 plusieurs villages à Kozica. Toutes les femmes et les enfants, on avait

28 très, très peur pour notre vie. C'est pour cela que l'on s'est tous

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1 précipités dans la cour de Rrahim. On était à peu près 300 en tout. Quand

2 le pilonnage s'est arrêté, l'infanterie est partie.

3 Après avoir tué ce jeune homme, ils ont pris de l'essence ou quelque

4 chose et ont incendié les maisons. Ils n'ont laissé que ce qu'on appelle

5 une oda, donc une pièce séparée. Ils ont incendié toute la maison et n'ont

6 laissé debout que cette pièce séparée, une chambre d'ami. Ils ont laissé

7 cette chambre d'ami debout parce qu'ils voulaient obtenir cette pièce de

8 réception, ils l'ont laissée debout parce qu'ils voulaient obtenir tout ce

9 que nous avions de précieux : nos bagues, nos boucles d'oreille, nos

10 colliers, nos pièces d'identité, et cetera.

11 Q. Les individus qui ont procédé à l'incendie et qui ont tiré aussi,

12 c'était bien ces soldats d'infanterie auxquels vous avez fait référence

13 précédemment ?

14 R. Oui.

15 Q. Avez-vous ensuite quitté le village de Kozica pour aller ailleurs ?

16 R. Oui. Après qu'ils nous aient fouillés, ils nous ont dit d'aller à

17 Skenderaj parce qu'il y avait des combats qui avaient lieu sur place.

18 L'infanterie devait aller à Cicavica et ils nous ont dit : Il faut que vous

19 alliez dans un endroit où il n'y aura pas de combats.

20 Q. Avez-vous vu des combats ou avez-vous entendu des combats à ce moment-

21 là ?

22 R. Non. On nous a juste dit de partir immédiatement pour Skenderaj. Ils

23 nous suivaient tout le temps. Ils nous vérifiaient qu'on était bien en

24 route vers Skenderaj.

25 Q. Ces personnes qui vous regardaient, c'était les mêmes soldats

26 d'infanterie ou était-ce d'autres soldats ou peut-être des policiers ?

27 R. C'était les mêmes fantassins.

28 Q. Ils vous ont suivis pendant combien de temps ?

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1 R. Deux heures, à peu près. Deux heures, parce qu'il y a huit kilomètres

2 de Kozica à Skenderaj. C'est un ordre d'idées que je vous donne.

3 Q. Pendant qu'ils vous suivaient, que faisaient-ils exactement ?

4 R. Ils étaient sur des camions et ils se moquaient de nous. Ils nous

5 disaient des choses. Mais je ne parle pas leur langue donc je ne pourrai

6 pas vous dire ce qu'ils nous disaient.

7 Q. Une fois à Skenderaj, qu'avez-vous trouvé là-bas ?

8 R. Avant de rentrer dans Skenderaj, il y avait d'abord un point de

9 contrôle de la police serbe et ils ne nous ont pas autorisés à rentrer dans

10 le village. Cette nuit-là, on est resté dans un pré qui s'appelait Lah

11 Tushila [phon] service. C'est juste avant Skenderaj. J'y suis restée avec

12 mes enfants, enfin tout le groupe, on a tous dormi dans ce pré, et les

13 enfants avaient très soif, ils avaient très faim et ils souffraient

14 beaucoup.

15 Q. [aucune interprétation]

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je suis horrifié, Madame Carter, parce

17 que nous sommes encore sur la page 1. Si on a une déclaration, à quoi cela

18 sert d'avoir une déclaration si au cours de l'interrogatoire on rentre

19 encore plus dans les détails. Je ne comprends pas.

20 Mme CARTER : [interprétation] Nous sommes en train d'essayer de voir

21 exactement qui était impliqué dans les déplacements de cette femme au

22 Kosovo. C'est ce que nous essayons de clarifier, parce que ce n'est pas

23 très clair dans la déclaration, on ne sait pas très bien quelles sont les

24 forces qui sont impliquées. On ne sait pas à quoi ressemble les uniformes,

25 on ne sait pas si la police est impliquée, et cetera.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais pourquoi est-ce que vous dites

27 que c'est un problème ? C'est un problème depuis 1999 de toute façon.

28 Mme CARTER : [interprétation] Certes, mais ce témoin essaie de décrire à la

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1 Cour ce qui s'est vraiment passé.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Pourquoi est-ce que vous ne l'avez pas

3 exploré tout cela en détail dans la déclaration écrite ?

4 Mme CARTER : [interprétation] Ecoutez, cette déclaration a été faite en

5 l'an 2000 et je n'étais pas là. Je ne peux pas vous dire grand-chose à ce

6 propos.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je pose une question auquel il

8 n'y a pas de réponse, j'imagine. J'aimerais savoir pourquoi ces

9 déclarations ne sont pas mises à jour avant que l'on en arrive à l'audience

10 pour que l'on puisse procéder rapidement puisque nous sommes ici pour

11 entendre des témoignages que nous aurions déjà lus à l'avance et qui

12 pourront donc être contestés de façon efficace à l'audience. Là, on passe

13 énormément de temps sur les détails de tous ces événements. On perd du

14 temps. Lorsqu'on a sous les yeux ce genre de déclaration préalable, ceci ne

15 nous permet vraiment pas d'avancer dans ce procès. Je suis vraiment déçu

16 qu'on doive en passer par là.

17 Mme CARTER : [interprétation]

18 Q. Madame --

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous voulez ajouter quelque chose

20 quant au fond, Maître Ackerman ?

21 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

22 Vous avez fait quelques observations vous-même, mais je crois que

23 lorsqu'on examine de plus près l'article 92 bis, que dit-il ? On dit que

24 des éléments doivent être présentés à la place d'une comparution d'un

25 témoignage. Or ici, on a un témoin qui témoigne de viva voce, ce n'est pas

26 une déposition en application du 92 bis. Or, nous avons dit que sa

27 déposition serait visée par le 92 bis, on a reçu sa déclaration qui tombe

28 sous le coup de cet article. C'est comme cela qu'on a préparé le contre-

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1 interrogatoire.

2 On arrive ici dans ce prétoire sans avoir aucun préavis, sans aucune

3 note de récolement. On ne nous a pas dit que ce témoin allait devenir un

4 témoin viva voce. Alors, maintenant on a énormément d'éléments de preuve

5 sans aucun rapport avec sa déclaration préalable, qui n'y sont pas

6 contenus.

7 C'est vraiment injuste. C'est en violation flagrant du 92 bis. Si on

8 veut un tel témoin en application du 92 bis, c'est ce qu'on a, sinon on a

9 témoin viva voce. Bon, on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du

10 beurre. Alors, maintenant on en est à un point où j'hésite à procéder au

11 contre-interrogatoire alors qu'il y a tellement d'éléments nouveaux

12 consignés au dossier de l'audience sans avoir eu l'occasion de les examiner

13 pour comparer ces éléments à ce que j'ai déjà préparés.

14 Donc je crois que ceci c'est quelque chose qui ne devrait plus se

15 reproduire.

16 Mme CARTER : [interprétation] Me Ackerman a été avisé par le bureau

17 du Procureur pour dire qu'il était prévu qu'il y aurait une heure de

18 déposition dans ce prétoire. De plus, nous avons déjà parlé des témoins 92

19 bis où on a dit que certaines précisions seraient abordées au prétoire,

20 dans le prétoire à l'audience. Alors, Me Ackerman ne peut pas dire que ceci

21 se fasse contrairement aux dispositions du Règlement.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais vous dites que cela va durer une

23 heure, c'est cela ?

24 Mme CARTER : [interprétation] C'est ce que je prévois.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Et vos prévisions restent

26 d'application ?

27 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

28 Mme CARTER : [interprétation] Si on soustrait le temps consacré aux

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1 discussions, aux débats, oui je pense que la partie réservée à

2 l'interrogatoire principal pour ce qui est de la déposition au témoin sera

3 d'une heure.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Comme Me Ackerman le sait également,

5 que dit l'article 92 bis ? Il dit que les éléments de preuve peuvent être

6 fournis par écrit en tout en partie. En règle générale, on fait dès lors

7 une distinction très nette entre ces deux modes de présentation. Il est

8 aisé de voir ce qui est écrit et ce qui est d'oral. Le 92 bis n'exclue pas

9 cette modalité. S'il faut des précisions, nous allons suivre de près

10 l'évolution de l'interrogatoire principal compte tenu des arguments

11 présentés. En fin d'interrogatoire principal, si nous arrivons, nous

12 verrons si nous estimons que c'est ici une procédure qui pourrait être

13 appliquée à d'autres témoins d'avenir.

14 Poursuivez.

15 Mme CARTER : [interprétation] Merci.

16 Q. Madame, vous avez dit qu'il y avait un poste de contrôle tenu par la

17 police qui vous a empêché de poursuivre votre route vers Skenderaj. Qui

18 tenait ce poste de contrôle ?

19 R. Il y a un policier qui est sorti et qui nous a dit de ne pas entrer

20 dans Skenderaj. Nous avons vu des chars. Il y avait une pièce de quatre

21 mètres sur quatre me semble-t-il, à l'intérieur. Je ne sais pas s'il y

22 avait des policiers à l'intérieur, mais en tout cas, il y en a un qui est

23 sorti et qui nous a dit qu'il nous était interdit d'entrer dans Skenderaj.

24 Q. Pourriez-vous décrire ce policier ?

25 R. Je ne me souviens pas. Je suis désolée.

26 Q. Pourriez-vous dire le genre d'uniforme qu'il portait et les insignes

27 qu'il y avait sur cet uniforme, la couleur qu'il avait par exemple ?

28 R. Non, je ne me souviens pas.

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1 Q. Mais comment avez-vous su que c'était un policier plutôt qu'un autre

2 individu, que ce soit un civil ou un militaire ?

3 R. Parce qu'il avait l'air d'un policier.

4 Q. Mais qu'est-ce qui faisait qu'il avait l'air d'un policier ?

5 R. Parce qu'on avait vu des soldats avant, et eux ils avaient un uniforme

6 différent. Les femmes disaient que celui-ci ce n'était pas un militaire,

7 c'était un policier.

8 Q. Lorsque vous étiez dans ce champ avec votre famille, est-ce qu'il y

9 avait des individus, que ce soit des membres de la police ou de l'armée qui

10 étaient près de vous ?

11 R. Non. Ils sont restés là toute la nuit sans s'approcher de nous.

12 Q. Qu'est-ce qui est resté là toute la nuit ?

13 R. L'armée serbe. Mais ils ne sont pas venus près de nous, ils ne se sont

14 pas rapprochés. Ils ne nous ont rien dit. Nous sommes restés là dans ce

15 champ, les enfants s'étaient endormis, il y avait même des femmes qui

16 allaitaient. C'est là que nous avons passé toute la nuit.

17 Q. A un moment donné, vous avez quitté ce champ, pourquoi ?

18 R. Parce que ce même policier a dit : Allez vous en d'ici, allez à

19 Gllogoc.

20 Q. Vous êtes allés à Gllogoc. Est-ce qu'il y avait sur cette ligne des

21 policiers, des militaires ?

22 R. Oui. En route, le long du chemin, il y avait des camions, des chars,

23 mais ils ne nous ont rien dit. Lorsque nous sommes arrivés tout près de

24 Gllogoc, ils ont dit que l'UCK avait tué quelqu'un. Ils ont emmené Hashim

25 Zani [phon] qui est du village de Polac, municipalité de Skenderaj. Je

26 pense qu'on a retrouvé son corps il y a un an, mais je ne sais pas où on

27 l'a retrouvé. Mais c'est là qu'il a été emmené, à cet endroit-là.

28 Q. Revenons en arrière un instant. Vous avez dit que lorsque vous étiez

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1 sur la route vous avez vu des gens à bord de tracteurs et d'autres

2 véhicules. Qui est-ce que vous avez vu ?

3 R. Non. J'ai dit des "camions". Oui, c'était l'armée serbe qui faisait des

4 allées et venues.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Elle a dit --

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais non, ils n'étaient pas à bord de

7 tracteurs. Là on a vu que des femmes et des enfants, il n'y avait pas

8 d'hommes parce que s'ils avaient trouvé des hommes, ils les auraient tués

9 aussitôt. Même les jeunes garçons de 13 ans, ils les auraient tués. Je vous

10 ai parlé de cet homme de 28 ans qui est handicapé mental et qu'ils ont tué

11 parce qu'il criait.

12 Mme CARTER : [interprétation]

13 Q. Combien de temps avez-vous passé à Gllogoc ?

14 R. Dix jours, à Gllogoc.

15 Q. Pendant le temps que vous passez à Gllogoc, est-ce qu'on vous a laissé

16 tranquille ou est-ce que vous avez eu maille à partir avec la police ou

17 l'armée ?

18 R. Non, pendant ces dix jours-là, on n'a pas eu de problèmes. On pouvait

19 sortir pour aller chercher du pain, mais on n'a pas osé sortir pour aller

20 chercher autre chose. Mais je dois dire qu'ils ne sont pas entrés dans la

21 maison. Mais comme on était à court de pain à un moment donné et qu'on

22 avait plus d'argent pour acheter du pain, on a essayé d'aller à Kozica pour

23 trouver de la nourriture pour les enfants surtout.

24 Q. Lorsque vous êtes allés à Kozica, est-ce que vous avez vu dans ce

25 village de Kozica des forces quelles qu'elles soient ?

26 R. Non, non pas à Kozica. Mais les maisons avaient été rasées, incendiées,

27 elles étaient en cendres. Mais ils étaient encore dans le village de Cirez.

28 Q. Qui avez-vous vu dans le village de Cirez ?

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1 R. Les soldats, ces mêmes soldats qui nous avaient pilonnés et tués, les

2 mêmes.

3 Q. Est-ce que quand vous dites "soldats", vous parlez de ces fantassins

4 qui avaient des uniformes de teinte unie vert sombre ?

5 R. Oui.

6 Q. Pourriez-vous nous dire de façon approximative quand le pilonnage ou

7 les pilonnages ont repris à Cirez ?

8 R. Ce jour-là, nous étions dans la maison de Xhemajl, mais avant 7 heures,

9 nous sommes allés chez Daka parce qu'il pleuvait. Nous avons passé trois

10 nuits à cet endroit. Pendant deux jours, nous sommes allés dans une vallée

11 près de Tresnjos [phon], un village de la municipalité de Skenderaj. Mais

12 ce jour-là, comme il pleuvait, nous sommes allés dans la maison de Xhafer

13 Daka près de Cicavica, parce que nous ne voulions pas être près des soldats

14 ou tomber entre leurs mains, car on avait peur de ce qu'ils pouvaient nous

15 faire.

16 Q. Ceci s'est passé quand, Madame ? Pouvez-vous nous donner une date ?

17 R. Je ne me souviens plus de la date, malheureusement. Cela s'est passé au

18 mois d'avril, me semble-t-il.

19 Q. Est-ce qu'à un moment donné, comme vous le dites dans votre déclaration

20 préalable, on vous a emmenée dans le village de Cirez ? Est-ce exact ?

21 R. Oui. L'infanterie est venue. Nous étions dans la maison de Daka. Ils

22 ont abattu Fatlum, un jeune homme. Ils tiraient sans arrêt mais nous

23 n'avons pas quitté la maison. Ils tiraient à l'extérieur. Ce jeune homme,

24 Fatlum, a été dépêché pour venir nous voir et nous dire qu'il fallait aller

25 voir les soldats.

26 L'INTERPRÈTE : Les interprètes se corrigent. Le témoin n'a pas dit qu'ils

27 avaient abattu un jeune homme, mais qu'ils avaient envoyé un jeune homme.

28 Mme CARTER : [interprétation]

Page 1832

1 Q. Lorsque vous parlez de ces hommes en utilisant le pronom personnel

2 "ils," est-ce que vous parlez de ces mêmes fantassins en uniformes de

3 couleur unie vert sombre ou est-ce que vous parlez d'un autre groupe ?

4 R. Je pense que c'était des soldats en uniformes de couleur brun foncé et

5 noir.

6 Q. A Kozica, quels sont les uniformes que vous avez vus ?

7 R. Il y avait un groupe important qui portait l'uniforme de couleur unie

8 vert, et d'autres en uniformes brun foncé et noir. Ceux qui nous ont

9 emmenés de la maison de Daka portaient un uniforme différent. Ceux qui sont

10 restés avec nous dans la maison d'Abedin, eux, avaient un uniforme vert.

11 Q. Quel était l'uniforme porté par les hommes qui vous ont emmenés de

12 Kozica à Cirez ?

13 R. C'était un uniforme vert. Trois d'entre eux nous ont accompagnés

14 jusqu'au village de Cirez où nous avons passé trois jours.

15 Q. Quand vous dites "vert," vous parlez d'un vert uni ou d'un vert de la

16 couleur du vert de camouflage, ou est-ce que c'était un uniforme

17 différent ?

18 R. Ceux qui sont venus nous chercher à la maison de Daka, eux portaient

19 l'uniforme de camouflage, mais les autres, ils étaient à peu près une

20 trentaine, eux, ils avaient un uniforme vert uni.

21 Q. Ceux qui portaient l'uniforme vert uni et ceux qui portaient l'uniforme

22 de camouflage, est-ce qu'ils se sont parlés ? Est-ce que vous avez vu qu'il

23 y avait une interaction entre eux ?

24 R. Oui, lorsqu'ils nous ont remises, ils ont discuté entre eux. Je pense

25 qu'ils avaient déjà discuté de cela avant. Ils s'attendaient à ce qu'on

26 arrive. Ils nous attendaient. C'était presque comme s'il y avait là un

27 transfert de personnes qui avait été convenu au préalable.

28 Q. Vous parlez des soldats qui se parlaient entre eux lorsqu'ils étaient à

Page 1833

1 Kozica ou est-ce que vous parlez de soldats qui parlaient entre eux lorsque

2 vous étiez à Cirez ?

3 R. Les soldats qui nous ont emmenés de Kozica pour aller à Cirez, ceux-là,

4 je pense qu'ils s'étaient concertés avant avec les soldats qui étaient à

5 l'école de Cirez. Pourquoi ? Parce que lorsque nous sommes arrivés là, les

6 soldats, ils sont sortis de l'école. Ils ont parlé entre eux. Donc, ceux

7 qui nous ont accompagnés, eux, ils sont repartis à Kozica et ils nous ont

8 laissés entre les mains de ceux qui étaient à Cirez.

9 Q. Pour que tout soit clair, est-ce que vous nous dites que ceux qui

10 étaient en uniforme vert de camouflage, qui vous ont emmenés à Cirez, ils

11 ont parlé avec les individus qui portaient l'uniforme soit noir, soit

12 brun ?

13 R. Oui.

14 Q. Lorsque vous êtes restés avec ceux qui portaient soit un uniforme brun,

15 soit un uniforme noir, combien de temps avez-vous passé avec ces hommes ?

16 R. Ils nous ont emmenés dans cette espèce d'étable ou de grange lorsque

17 les soldats sont partis.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Où est-ce que le témoin dit que les

19 soldats de Cirez portaient des uniformes soit bruns, soit noirs ?

20 Mme CARTER : [interprétation] Je pense que c'est la page en anglais.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, dans le compte rendu d'audience,

22 pas dans la déclaration préalable. Voici la question que vous posiez :

23 "Est-ce que vous nous dites que les personnes qui portaient l'uniforme vert

24 de camouflage vous ont emmenés à Cirez où se trouvaient les hommes qui

25 portaient un uniforme soit brun, soit noir."

26 Où se trouve ceci ?

27 Mme CARTER : [interprétation] Page 31, là où elle parle des uniformes bruns

28 ou noirs, ligne 5.

Page 1834

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Page 31 ?

2 Mme CARTER : [interprétation] Oui. Cinq et 6, elle commence à parler des

3 uniformes bruns et noirs.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais ce sont les hommes qui sont

5 arrivés après que ce garçon, enfin que l'homme soit arrivé. Ils sont

6 décrits dans la déclaration préalable comme portant un uniforme vert de

7 camouflage, certains portent un uniforme vert sombre, d'autres vert clair,

8 et ici, elle a changé, je pense qu'elle a parlé d'uniforme brun et

9 d'uniforme noir.

10 Mme CARTER : [interprétation] Je vais poser la question au témoin pour

11 tirer ceci au clair.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que ce n'est pas ce que dit ce

13 passage ? Prenez la ligne 5. Elle dit qu'il y avait un grand groupe en

14 uniforme vert uni et d'autres en uniforme brun et noir. Ceux qui nous ont

15 emmenés de la maison de Daka portaient un uniforme différent, ceux qui sont

16 restés avec nous dans la maison d'Abedin portaient un uniforme différent.

17 Mme CARTER : [interprétation] Je pense qu'elle a dit qu'il y avait ceux qui

18 étaient en uniforme vert de camouflage l'ont emmenée de Kozica à Cirez.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Carter, ne soufflez pas la

20 réponse au témoin une fois de plus. Je voulais simplement que vous tiriez

21 au clair la déclaration qu'elle a déjà faite. Je ne veux pas votre résumé.

22 Mme CARTER : [interprétation] Oui. Page 31, à commencer par la ligne 9, je

23 lui ai demandée si elle pouvait décrire les uniformes des personnes qui les

24 avaient emmenés à Cirez. A ce moment-là, elle a dit: vert. Trois d'entre

25 eux les avaient accompagnés jusqu'à Cirez.

26 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est vrai.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ma question portait sur les témoins

28 qui l'avaient emmenée à cet endroit.

Page 1835

1 Enfin, poursuivez. Je suis ravi de voir que ceci tire au clair la

2 situation.

3 Mme CARTER : [interprétation]

4 Q. Mme Rrahmani, les hommes qui vous ont emmenés de Kozica à Cirez,

5 qu'est-ce qu'ils portaient comme uniforme ?

6 R. Ceux qui nous ont emmenés du Kozica à Cirez portaient un uniforme vert.

7 Il y a d'abord ceux qui sont venus nous chercher quand nous étions dans la

8 maison de Daka, ceux-là, ils portaient des uniformes bruns ou noirs, mais

9 ceux qui nous ont emmenés de Kozica à Cirez, eux, ils étaient en uniformes

10 verts.

11 Q. Ceux qui portaient les uniformes bruns ou noirs, dans quel village se

12 trouvaient-ils ?

13 R. Je ne sais pas d'où ils venaient, parce qu'ils n'étaient pas déployés à

14 Kozhice.

15 Q. Est-ce que vous avez rencontré les hommes qui portaient un uniforme

16 brun ou noir à Kozica ou à Cirez ?

17 R. J'ai vu ces gens pour la première fois à Kozhice, ce jour-là,

18 lorsqu'ils sont venus nous chercher à la maison de Daka, après nous les

19 avons vus dans le village de Cirez.

20 Q. Les gens en brun ou en noir, est-ce qu'ils sont arrivés à Kozica, est-

21 ce qu'ils sont restés là tout le temps, ou est-ce qu'ils sont arrivés à

22 Kozica et après vous les auriez revus ?

23 R. C'est seulement quand ils sont venus pour nous emmener qu'on les a vus.

24 Après on ne les a plus revus à Kozhice. Nous n'avons plus revu que seul

25 uniforme vert.

26 Q. A Kozhice, est-ce que vous avez vu des gens avoir une conversation avec

27 les hommes en camouflage vert et ceux en camouflage noir et brun ?

28 R. Ils nous ont placés dans cette maison. Je ne sais pas de quoi ils ont

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1 parlé.

2 Q. Est-ce que vous auriez vu un échange quel qu'il soit entre les

3 individus qui étaient en uniforme vert de camouflage et ceux qui portaient

4 des uniformes de camouflage brun et noir ?

5 R. Oui, cela on l'a vu. Nous avons passé trois jours à cet endroit. Ils

6 sont venus un jour. Il y a un soldat qui est venu avec une femme qui

7 s'appelait Mirdita. Elle parlait la langue. Elle nous a dit qu'on était

8 supposé aller à Cirez. Nous étions deux groupes. A l'étage, il y avait ceux

9 de Klina, municipalité de Skenderaj, et il y avait aussi ceux de Kozhice.

10 En dessous, il y avait moi et mes enfants.

11 Q. Je vous arrête. Lorsque vous arrivez à Cirez, quel genre de soldats y

12 voyez-vous ?

13 R. La couleur, c'était brun et noir. C'est ce dont je m'en souviens. Parce

14 qu'écoutez, pour dire vrai je n'ai pas trop osé regarder pour voir ce que

15 ces hommes portaient. On voulait simplement ne pas les voir, nous éloigner

16 d'eux; c'est ce qui nous préoccupait.

17 Q. Vous et les autres femmes qui ont été amenées à Cirez, combien de temps

18 avez-vous passé avec les hommes en uniforme brun et noir ?

19 R. Deux heures, même un peu plus, je dirais. Il a fallu du temps pour nous

20 vérifier tous, pour emmener nos gamines et nos mères, qu'on n'a plus jamais

21 revues vivantes.

22 Q. Nous allons voir ceci dans un moment, mais revenons un peu en arrière.

23 Vous dites que vous aviez passé deux heures à Cirez avec les hommes en

24 uniforme noir et brun. Qu'est-ce que vous avez fait après, où est-ce que

25 vous êtes allés ?

26 R. Ils nous ont gardées dans cette grange. Ils nous ont dit de repartir

27 dans la maison de Durmishi, où on avait été avant. Ils nous ont dit de

28 quitter une à une la grange de ne jamais nous retourner; faute de quoi,

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1 ont-ils dit ils allaient nous abattre. Donc, on n'a pas osé se retourner.

2 Je n'ai pas osé demander ce qui était arrivé à ma mère et à ces filles

3 qu'ils avaient emmenées. Ils ont emmené huit femmes en tout.

4 Q. Lorsque vous êtes retournée dans le village de Kozica, est-ce que vous

5 êtes allée seule ou est-ce qu'il y a eu d'autres participations, d'autres

6 soldats ou policiers ?

7 R. Non, on est allé nous-mêmes, parce que c'est ce qu'ils nous avaient dit

8 de faire.

9 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Carter, où est-ce que ceci se

10 trouve dans la déclaration préalable ? Où, ces allées et venues entre

11 Kozica et Cirez, où est-ce que c'est mentionné ?

12 Mme CARTER : [interprétation] Paragraphe 17, page 4.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ma version n'est pas numérotée.

14 Mme CARTER : [interprétation] Quatrième page de la déclaration en

15 anglais, le sixième paragraphe complet.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que ceci ne s'est pas

17 passé beaucoup plus tard que ce dont on parlait auparavant ?

18 Mme CARTER : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maintenant, on est revenu --

20 enfin, j'ai numéroté moi-même ce paragraphe, paragraphe 12, page 3. Je

21 croyais que l'on avait dépassé ce stade-là.

22 Mme CARTER : [interprétation] La déclaration passe de la page 4, là

23 où elle dit qu'elle est allée à Cirez. C'est seulement à la page 7 qu'on

24 les voit revenir de Cirez. J'essaie de savoir du témoin qui se trouvait sur

25 ces lignes de transport. J'ai sauté la partie où elle se trouvait dans la

26 grange. J'ai seulement voulu vous donner la première partie. Je vais

27 revenir à la grange un peu plus tard.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous n'avez pas posé de

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1 questions à propos des cinq premiers paragraphes de la page 4, c'est cela.

2 Mme CARTER : [interprétation] Exact, Monsieur le Président, parce que je

3 pensais que la déclaration était claire, la déclaration préalable,

4 s'entend.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Alors, j'ai eu l'impression erronée

6 sans nul doute qu'il y avait un rapport entre les soldats qui venaient les

7 chercher, lorsque Fatlum LNU les avait avertis, un rapport entre cela et le

8 moment où ils vont à Cirez. Je pensais qu'il y avait un lien, mais vous me

9 dites que ce n'est pas le cas.

10 Mme CARTER : [interprétation] Lorsque ce jeune homme vient leur parler,

11 cela se passe entre deux maisons du même village. Il n'y a pas de transport

12 entre deux villages différents.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui. Il dit : "Aussitôt après, nous

14 sommes allés vers la maison d'Abedin Durmishi."

15 Mme CARTER : [interprétation] Oui, elle est aussi dans le village de

16 Kozica.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Or tout ceci se passe avant qu'on ne

18 vienne les rassembler pour les emmener à Cirez ?

19 Mme CARTER : [interprétation] Exact, Monsieur le Président.

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

21 Mme CARTER : [interprétation]

22 Q. Madame Rrahmani --

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Un instant. Nous allons bientôt avoir

24 une pause.

25 Mme CARTER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

26 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Nous allons faire une pause. Nous

28 reprendrons nos travaux à 16 heures 10.

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1 --- L'audience est suspendue à 15 heures 46.

2 --- L'audience est reprise à 16 heures 11.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Carter.

4 Mme CARTER : [interprétation] Avant que nous ne recommencions, je voulais

5 dire à la Chambre que les notes de récolement ont déjà été dactylographiées

6 et ont déjà été envoyées par courrier électronique à la Défense.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie. Mais vous savez ce

8 n'est pas tant les notes qui doivent être communiquées, mais il s'agit

9 plutôt des documents et des informations. Est-ce que ce sont les

10 informations obtenues de la part du témoin qui doivent être communiquées.

11 Mme CARTER : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

12 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Voilà ce que nous voulions indiquer.

13 Mme CARTER : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais poursuivez.

15 Mme CARTER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

16 M. ACKERMAN : [interprétation] Monsieur le Président.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman.

18 M. ACKERMAN : [interprétation] Je vous suis reconnaissant d'avoir envoyé

19 cela par courrier électronique, ceci étant, cela ne me sert strictement à

20 rien parce que je ne peux pas les imprimer ici en plein prétoire, je ne

21 peux pas suivre l'audience et imprimer en même temps.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je pense que cela doit être possible.

23 M. ACKERMAN : [interprétation] Bien, je ne le pense pas. Et si c'est

24 possible, je n'ai pas appris en dépit de la petite formation que j'ai

25 suivie.

26 Mme CARTER : [interprétation] Je dois vous dire que nous allons

27 fournir des documents papiers aussi rapidement que possible, mais je dirais

28 que nous n'avons pas non plus pu imprimer cela.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si vous envoyez un courrier

2 électronique à M. Sabbah, il imprimera ces documents et ainsi le conseil

3 pourra tout à fait suivre l'audience.

4 Mme CARTER : [interprétation] Je vous remercie.

5 Q. Madame Rrahmani, vous avez indiqué que lorsque vous êtes revenue à

6 Kozica, vous y avez vu des soldats. Est-ce que cela est exact ?

7 R. Revenue d'où ?

8 Q. Revenu de Cirez, lorsque vous êtes revenue à Kozica. Est-ce que vous y

9 avez vu des militaires ?

10 R. Oui. Avant que nous n'allions chez Durmishi, j'ai vu le soldat qui nous

11 avait accompagnés à Cirez.

12 Q. Outre le soldat que vous avez vu, qui vous avait escortés à Cirez, est-

13 ce que vous avez vu d'autres soldats ?

14 R. Oui. Il y avait dans les maisons là-bas des soldats. Mais j'ai reconnu

15 le soldat qui nous avait escorté à Cirez et j'ai dit aux personnes qui se

16 trouvaient dans mon groupe : Voici le soldat qui nous a accompagné à Cirez.

17 Il nous a vus, il a vu qu'on parlait de lui et il est entré à l'intérieur.

18 Q. Depuis combien de temps étiez-vous à Kozica à ce moment-là ?

19 R. Lorsque nous sommes revenus de Cirez à Kozica, avant qu'ils nous

20 envoient à Kozica pour trois jours, puis ensuite après Cirez, cela a duré

21 trois ou quatre heures.

22 Q. Après les trois ou quatre heures passées à Kozica, où êtes-vous allés

23 ensuite ?

24 R. Chez Durmishi avec ce groupe qui est resté au deuxième étage. Nous

25 sommes restés quelques trois, quatre heures au premier étage, puis après

26 ils nous ont renvoyés à Cirez.

27 Q. La deuxième fois lorsque vous êtes repartis à Cirez, est-ce que vous

28 étiez accompagnés ou non accompagnés ? Ou est-ce que des soldats vous ont

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1 accompagnés ?

2 R. Ils nous ont accompagnés.

3 Q. Est-ce que vous pourriez décrire les uniformes des personnes qui vous

4 ont raccompagnés à Cirez ?

5 R. J'utilise le mot "jaune" mais ce que je veux dire c'est vert parce que

6 nous utilisons le mot "jaune" pour dire vert.

7 Q. Ce sont des hommes qui portaient des uniformes verts qui vous ont

8 raccompagnés à Cirez. C'est exact ?

9 R. Oui, deux soldats qui nous ont renvoyés à Cirez, mais ils ne sont pas

10 restés près de nous.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Carter, de quel paragraphe

12 s'agit-il maintenant ?

13 Mme CARTER : [interprétation] Il s'agit de la page 7 pour la version

14 anglaise, page 8 de la version B/C/S, page 10 de la version albanaise.

15 C'est le deuxième paragraphe en partant du bas de page dont il s'agit.

16 Puis-je poursuivre, Monsieur le Président ?

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.

18 Mme CARTER : [interprétation] Merci.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais je dois vous dire que je n'avais

20 pas compris que nous en étions à cette page de la déclaration. Vous

21 présentez ces éléments de preuve, je dois vous dire que je suis un tant

22 soit peu perplexe, Madame Carter, je ne vois pas très bien de quelle partie

23 il s'agit dans la déclaration pendant votre interrogatoire.

24 Mme CARTER : [interprétation] Nous sommes passés de la page 4 à la page 7.

25 La page 4 c'est là où il est question de l'incident dans la grange. Comme

26 la Chambre était de toute évidence préoccupée par ce témoignage en audience

27 publique, mais je n'ai pas divulgué cette information à ce moment-là.

28 Q. Lorsque vous êtes repartis au village de Cirez, vous avez dit qu'il y

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1 avait deux soldats qui vous accompagnaient, donc est-ce qu'ils portaient

2 des uniformes de camouflage verts ou des uniformes vert uni ?

3 R. Des uniformes vert uni.

4 Q. Lorsque vous étiez dans le village Cirez, combien de temps y êtes-vous

5 restée la deuxième fois ?

6 R. La deuxième fois, nous y avons passé trois semaines.

7 Q. Lorsque vous étiez dans le village de Cirez pendant ces trois semaines,

8 est-ce qu'il y avait des soldats présents dans le village ?

9 R. Oui, oui. Il y avait des soldats.

10 Q. Les soldats qui se trouvaient dans le village, est-ce qu'ils vous ont

11 demandé une déclaration ou est-ce que vous leur avez montré la grange où

12 s'était déroulée votre tragédie ?

13 R. Avant que nous n'allions à la maison où ils nous ont placés, je leur ai

14 dit qu'il s'agissait de la grange où ils avaient emmené la mère et les

15 filles. Et ils m'ont dit : C'est bon, c'est bon, nous le savons.

16 Q. Est-ce qu'à un moment donné il y a eu une enquête de suivie de la part

17 des soldats qui se trouvaient à Cirez à propos de votre mère ?

18 R. Non.

19 Q. Après ces trois semaines passées à Cirez, où êtes-vous allés alors ?

20 R. Ils nous ont dit que nous allions aller à Gllogoc. Ils nous ont dit :

21 Nous allons vous envoyer en Macédoine. Il n'y a pas d'endroit où vous

22 pourrez rester ici.

23 Q. Lorsque vous étiez en chemin vers Glogovac, est-ce que quelqu'un est

24 allé avec vous ?

25 R. Il y avait de nombreuses personnes là, mais personne ne nous a

26 accompagnés. Nous avons vu des camions qui étaient sur cette route, mais

27 personne ne nous a accompagnés.

28 Q. Est-ce qu'on vous a proposé un choix, à savoir, partir ou rester ?

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1 R. Non. Personne ne nous a fait subir d'exactions ou de sévices. Ils nous

2 ont dit d'aller à Gllogoc.

3 [Le conseil de l'Accusation se concerte]

4 Mme CARTER : [interprétation] J'en ai terminé avec l'interrogatoire du

5 témoin.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie, Madame Carter.

7 Maître Ackerman, avant que vous ne commenciez, il y a quelque chose qu'il

8 faudrait peut-être préciser.

9 Alors pour ce qui est de la déposition de ce témoin qui est présentée par

10 écrit, j'aimerais savoir en vertu de quel article vous souhaitez verser

11 cela au dossier ?

12 Mme CARTER : [hors micro]

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais cela c'est pour le compte

14 rendu, mais qu'en est-il de la déclaration ?

15 Mme CARTER : [interprétation] D'après l'article 92 bis (D), il est indiqué

16 puisque la déclaration fait partie du compte rendu d'audience, elle est

17 considérée comme partie intégrante du compte rendu d'audience.

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que vous pourriez m'indiquer la

19 page du compte rendu d'audience dont il est question ?

20 Mme CARTER : [interprétation] Il s'agit de la page 4 582 du compte rendu

21 d'audience, et plus précisément la ligne 12 de cette page.

22 Le Greffier avait donné la cote 141 à la page 4 583, il s'agit des lignes

23 15 et 16 dans l'affaire Milosevic.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Lorsque vous avez versé au dossier la

25 pièce à conviction P2239 et que vous l'avez appelée l'ensemble des

26 documents au titre de l'article 92 bis, cela n'incluait pas le compte rendu

27 d'audience, parce que vous vous avez donné une autre cote ?

28 Mme CARTER : [interprétation] C'est exact.

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Alors, comment est-ce que nous pouvons

2 nous y retrouver lorsque vous dites que la déclaration est incluse dans le

3 compte rendu d'audience ?

4 Mme CARTER : [interprétation] Ce témoin est présentée au titre de l'article

5 92 bis (D) et le compte rendu d'audience est une partie des documents 92

6 bis.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais ce n'est plus le cas

8 maintenant. Cela ne fait plus partie de ce jeu de documents. Est-ce bien

9 exact ?

10 Mme CARTER : [hors micro] -- du fait du système électronique, nous n'avons

11 pas pu en fait prendre ces documents et leur attribuer un seul numéro "e-

12 court" et ils ont été présentés avec deux numéros séparés. Mais, ils sont

13 versés au dossier ensembles puisqu'il s'agit d'un témoin 92 bis. Il s'agit

14 d'une partie inséparable et indispensable de la déposition qui est le

15 résultat de ce qui a été trouvé dans l'affaire le Procureur contre

16 Naletilic et Martinovic et je pense notamment au numéro 9834 PT.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est deux pièces à conviction sont

18 acceptées et font partie du dossier en l'espèce, mais quelles sont les

19 dispositions qui seront utilisées lorsque la Chambre de première instance

20 va rendre une ordonnance à propos de toutes les questions laissées en

21 suspens eu égard à l'admissibilité des moyens de preuve ? Il est absolument

22 indubitable qu'ils font partie du dossier. Je dois dire que je suis un peu

23 intrigué par la référence au jeu de documents et au compte rendu

24 d'audience. Je suis votre pensée et je comprends ce que vous dites à propos

25 de ce qui est généralement considéré comme faisant partie d'un compte rendu

26 d'audience.

27 Mme CARTER : [interprétation] Le jeu de documents 92 bis comprend la

28 certification et la déclaration signées par le témoin. Etant donné que le

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1 témoin ne signe pas le compte rendu d'audience, le compte rendu d'audience

2 n'est pas considéré comme faisant partie du jeu de documents 92 bis.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais cela, c'est tout à fait différent

4 de ce que vous nous avez dit tout à l'heure. D'ailleurs, je comprends ce

5 que vous venez de nous dire. Vous me donnez deux définitions, j'accepte la

6 dernière parce que vous m'avez déjà dit que le compte rendu d'audience

7 faisait partie du jeu de documents.

8 Enfin, quoi qu'il en soit nous allons élucider tous les aspects

9 techniques; en attendant, nous allons nous concentrer sur le fond de la

10 question.

11 M. IVETIC : [interprétation] Je dirais pour le compte rendu d'audience, si

12 le document est versé, cela conformément à l'article 92 bis (D), il faut

13 que cela prouve un point autre que les actes et le comportement de

14 l'accusé. Par conséquent, les actes et le comportement de l'accusé

15 comprennent les actes allégués et le comportement allégué des unités

16 subordonnées, donc je ne pense pas que l'on puisse utiliser de cette façon

17 l'article 92 bis (D).

18 Merci.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Si vous avez l'intention d'utiliser

20 cet argument, il faut que vous l'utilisiez lorsque vous présenter votre

21 réponse à la requête 92 bis (D).

22 M. IVETIC : [interprétation] Je ne pense pas qu'ils avaient présenté cela

23 sous couvert de l'article 92 bis (D); je pensais que c'était un autre

24 article que l'article 92 (D), mais peut-être qu'il faudrait que je revoie

25 tout cela. Peut-être que nous pourrions en parler hors du prétoire, peut-

26 être qu'il faut que je revoie tout cela.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Qu'avez-vous à dire, Madame Carter ?

28 Mme CARTER : [interprétation] Cela a été présenté en fonction de l'article

Page 1847

1 92 bis (D), et il a déjà une décision qui a été rendue à ce sujet.

2 M. IVETIC : [interprétation] Alors, je m'excuse.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman.

4 M. ACKERMAN : [interprétation] Du fait de l'évolution de la situation

5 aujourd'hui, je vais peut-être passer un peu du coq à l'âne, je l'aurais

6 peut-être pas fait d'ailleurs, mais je vous demande votre indulgence car je

7 suis un peu pris au dépourvu aujourd'hui. Je ne m'y attendais pas.

8 Contre-interrogatoire par M. Ackerman :

9 Q. [interprétation] Madame Rrahmani, bonjour. Je m'appelle Maître John

10 Ackerman. Je représente le général Pavkovic dans cette affaire, et j'ai

11 plusieurs questions à vous poser.

12 R. Bonjour.

13 Q. De façon tout à fait préliminaire, vous verrez que tout se passera très

14 facilement si vous écoutez attentivement les questions que je vous pose et

15 si vous ne répondez qu'aux questions que je vous pose. Je vous demanderais

16 de ne pas dépasser le cadre des questions que je vous pose. Est-ce que vous

17 allez vous efforcer de le faire, je vous prie ?

18 R. Oui.

19 Q. Je vous en suis reconnaissant. Je pense que nous vous serons tous

20 reconnaissants si vous le faites.

21 J'aimerais vous poser une première question. Après votre arrivée ici à La

22 Haye, au cours des derniers jours, vous avez eu une réunion ou des réunions

23 avec les représentants du bureau du Procureur, n'est-ce pas ?

24 R. Oui.

25 Q. Qui sont les représentants du bureau du Procureur que vous avez

26 rencontré pour parler de votre déposition et de cette affaire ?

27 R. Je ne connais pas leurs noms.

28 Q. Est-ce que vous avez rencontré l'avocate qui vous a posé des questions

Page 1848

1 aujourd'hui ?

2 R. Oui.

3 Q. Et vous ne connaissez pas son nom ?

4 R. Non. Je l'ai oublié. Elle m'a dit son nom.

5 Q. Est-ce que vous avez rencontré des enquêteurs ?

6 R. Oui.

7 Q. En même temps que Mme Carter du bureau du Procureur ?

8 R. Oui.

9 Q. Est-ce que vous avez eu une réunion dans une salle ? Est-ce que tout

10 cela s'est passé dans l'enceinte de cette pièce ?

11 R. Oui.

12 Q. Vous et Mme Carter et un enquêteur étaient présents. Est-ce qu'il y

13 avait d'autres personnes présentes ?

14 R. Il y avait également une femme.

15 Q. Qui prenait des notes ?

16 R. La femme qui me posait des questions.

17 Q. Elle consignait par écrit ce qui vous lui disiez ou ce que vous

18 disiez ?

19 R. Oui.

20 Q. Est-ce qu'elle vous a demandé pourquoi ce que vous disiez était si

21 différent de la déclaration que vous aviez faite préalablement ?

22 R. Non. Je lui ai parlé de mon expérience et de mon vécu.

23 Q. Mais elle ne vous a pas demandé pourquoi vous apportiez des

24 modifications à la déclaration que vous aviez faite préalablement; est-ce

25 exact ?

26 R. Qu'est-ce que j'ai changé ?

27 Q. Nous allons aborder cela dans un petit moment et je vais vous montrer

28 ce que vous avez changé. Je pense qu'il y a des changements importants;

Page 1849

1 c'est ce qui me semble, bien que je n'aie pas eu le temps de voir tout cela

2 dans tous les détails.

3 J'aimerais vous poser cette question : avant que vous ne veniez ici, avez-

4 vous eu la possibilité de rencontrer des personnes ou d'avoir une réunion

5 avec des personnes qui ont parlé de la déposition que vous alliez faire

6 ici ?

7 R. Oui.

8 Q. Qui étaient ces personnes ?

9 R. Les gens dont je vous ai parlé. Parce que ma déposition elle est la

10 même déposition qu'au début.

11 Q. Je pense que vous n'avez pas compris ma question et c'est ma faute, ce

12 n'est pas la vôtre. Avant que vous ne veniez à La Haye, avez-vous eu des

13 réunions ou une réunion avec des personnes avec qui vous auriez parlé de

14 votre déposition ?

15 R. Non, non. C'est ce que je vous dis justement. Cela s'est passé après

16 mon arrivée ici, et non pas avant.

17 Q. Avez-vous eu une réunion avec d'autres personnes qui ont la même

18 nationalité que vous, avec des Albanais du Kosovo avec qui vous auriez

19 parlé de votre déposition avant de venir ici ?

20 R. Non, non. Je n'ai parlé de ma déposition à personne, à vraiment

21 personne.

22 Q. J'aimerais vous poser des questions à propos du 24 mars 1999. C'est le

23 jour du début des bombardements de l'OTAN, n'est-ce pas ?

24 R. Oui, le 26.

25 Q. Le 26 mars, vous étiez chez vous à Bukos, c'est cela, Bukos ? Vous

26 étiez chez vous à Bukos avec votre mari et vos enfants ?

27 R. Non, non, non. De Vushtrii, nous sommes passés par Bukos, mais nous ne

28 sommes pas allés chez nous. Nous sommes allés dans le village de Kozhice.

Page 1850

1 Q. C'est justement l'un des endroits pour lequel il y a une différence

2 avec votre déclaration, parce que dans votre déclaration, au deuxième

3 paragraphe, vous dites que vous résidiez dans le village de Bukos. Dans le

4 deuxième paragraphe, vous dites : "Deux jours après les bombardements de

5 l'OTAN l'année dernière, j'ai quitté mon foyer avec mon mari et mes

6 enfants, ainsi qu'avec mon beau-frère et d'autres personnes," dont vous

7 donnez les noms. Vous dites que vous vous êtes rendus au village de Kozica,

8 alors qu'aujourd'hui vous nous dites quelque chose de tout à fait

9 différent. Donc, cela est justement l'un des endroits pour lesquels il

10 existe une différence, n'est-ce pas ?

11 R. Non. Le 22 février, nous avons quitté notre foyer. Nous y sommes

12 retournés en visite après, mais ils ne nous ont pas autorisé à entrer chez

13 nous.

14 Q. Oui, mais qu'entendez-vous dans votre déclaration lorsque vous dites :

15 "Deux jours après le début des bombardements de l'OTAN, j'ai quitté mon

16 foyer avec mon mari et mes enfants." De quel foyer parliez-vous alors ?

17 R. Oui. Ce que j'ai dit c'est que nous sommes allés chez nous, mais nous

18 n'y sommes pas restés. Le 26, comme je vous l'ai dit, nous sommes revenus

19 de Vushtrii chez nous et nous avons quitté notre foyer pour aller à

20 Kozhice. De toute façon, nous ne sommes pas restés chez nous. Ils ne nous

21 ont pas laissés entrer chez nous. Vous le savez très bien.

22 Q. Le fait est que vous ne le dites pas dans votre déclaration; vous

23 l'avez dit pour la première fois aujourd'hui, donc vous l'avez ajouté. Soit

24 vous l'avez inventé ou c'est quelque chose dont vous êtes souvenue par la

25 suite --

26 R. Je vous dis que je n'ai absolument rien ajouté. Je vous relate les

27 choses comme elles se sont passées. Nous n'avons pas osé entrer chez nous.

28 Nous sommes allés jusqu'à la cour. De Vushtrii, nous sommes arrivés là le

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1 26, mais nous n'avons pas osé rester là. Nous sommes partis pour aller à

2 Kozhice. Comment est-ce que je pourrais dire autre chose ?

3 Q. Combien --

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, il y a une troisième

5 possibilité qui va falloir que vous n'oubliiez pas. Il va falloir que vous

6 en teniez compte : Peut-être que la déclaration n'a pas été consignée en

7 bonne et due forme la première fois qu'elle a été consignée, parce que vous

8 envisagez deux possibilités, mais il y en a d'autres.

9 M. ACKERMAN : [interprétation] Vous envisagez la possibilité que la

10 déclaration n'a pas été consignée d'une façon compétente ?

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui.

12 M. ACKERMAN : [interprétation] Bien sûr cela peut se passer. On nous donne

13 une déclaration, on nous donne une déclaration 92 bis et le témoin jure que

14 tout ce qui est indiqué là-dedans est exact. Si l'on dit : je jure que tout

15 ce qui était consigné est vrai, je pense que nous pourrons considérer que

16 cela est un fait acquis, est une preuve que ce qui est indiqué par le

17 témoin est ce qui a été dit. Il ne s'agit pas de consigner d'une façon

18 compétente ou non une déposition. C'est pour cela d'ailleurs que cela est

19 présenté au titre de l'article 92 bis. Monsieur le Président, je ne pense

20 pas que ce soit une possibilité dans ce cas d'espèce.

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais vous auriez dû le dire étant

22 donné que ce témoin a déjà témoigné devant le Tribunal, il y a un certain

23 nombre d'années.

24 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, et adopter la déclaration à ce moment-

25 là, aussi, et n'avez pas du tout dit devant le Tribunal dans l'affaire

26 Milosevic tous ces nouveaux événements dont on vient de nous parler

27 uniquement aujourd'hui.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vraiment c'est un chaos. On ne s'y

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1 retrouve plus.

2 Vous pouvez poursuivre.

3 M. ACKERMAN : [interprétation]

4 Q. Aujourd'hui, vous nous avez dit que -- je vais me reprendre et

5 reformuler ma question. Si on lit votre déclaration : "Deux jours après le

6 début des bombardements de l'OTAN … j'ai quitté ma maison avec mon mari et

7 mes enfants," on pourra en conclure que vous avez quitté votre maison à

8 cause des bombardements de l'OTAN. Ce serait la conclusion logique quand on

9 lit cette phrase, n'est-ce pas ?

10 R. On n'est pas parti à cause du bombardement de l'OTAN; on est parti à

11 cause du pilonnage des forces serbes sur Vushtrii -- les forces serbes de

12 Vushtrii. Les gens ont été tués. C'est pour cela qu'on est parti, pas du

13 tout à cause des attaques de l'OTAN. Je pense que vous le savez très bien,

14 d'ailleurs.

15 Q. Non, je n'étais pas là, parce que je n'en sais rien parce que je n'y

16 étais pas, mais vous y étiez. Nous comptons sur ce que vous nous dites pour

17 savoir ce qui s'est vraiment passé. C'est vous qui avez l'information,

18 c'est vous qui la détenez.

19 Poursuivons.

20 Le 2 février 1999, de quel village êtes-vous partis ? Vous êtes partis le

21 22 février d'un village qui s'appelle Bukos. Est-ce que vous habitiez à

22 Bukos ?

23 R. C'était le 22 février.

24 Q. Oui, on voit dans les notes de récolement que l'on m'a données. Il est

25 écrit le 2 février. Il est écrit, le 2, vous, votre sœur et vos enfants

26 avaient quitté le village. J'imagine que c'est Bukos, qu'il y a une erreur

27 supplémentaire; ce n'était pas le 2 février, mais le 22, n'est-ce pas ?

28 R. Oui. Cela devrait être le 22.

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1 Q. Lundi, vous avez dit au bureau du Procureur, lors du récolement, vous

2 avez dit que vous avez quitté votre maison parce que vous entendiez des

3 tirs aux alentours; c'est bien cela ?

4 R. Oui.

5 Q. Vous avez dit au Procureur que vous saviez qu'il y avait des exercices,

6 des manœuvres militaires qui avaient lieu dans les environs à l'époque ?

7 R. Oui.

8 Q. Or, Mme Carter ne vous a pas posé de question à ce propos lors de

9 l'interrogatoire, et vous n'avez pas non plus donné ces informations de

10 vous-même ?

11 R. Je réponds aux questions.

12 Q. Mais l'impression que vous avez voulu donner à cette Chambre de

13 première instance, c'est que ces tirs étaient dirigés contre votre village

14 et contre vous-même, alors qu'en fait il ne s'agissait que de manœuvre et

15 vous avez juste entendu des tirs, rien de plus ?

16 Mme CARTER : [interprétation] Je soulève une objection ici. Ici on est en

17 train de soulever des arguments. La question n'a jamais été posée, donc le

18 témoin ne peut pas donner l'impression à la Chambre qu'il y avait des

19 manœuvres en cours étant donné qu'on ne lui a jamais posé la moindre

20 question à propos des manœuvres qui auraient pu être en cours.

21 M. ACKERMAN : [aucune interprétation]

22 M. LE JUGE BONOMY : [aucune interprétation]

23 Mme CARTER : [interprétation] Quant à savoir si elle a l'intention de

24 leurrer cette Cour et de la tromper, je pense que ceci est tout à fait

25 inadéquat.

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais je me souviens que le témoin

27 a dit qu'il y avait quand même des balles qui avaient atteint sa cour, la

28 cour de sa maison.

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1 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui, mais cela est autre chose.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bon --

3 M. ACKERMAN : [interprétation] Il me semble.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien, le témoin a-t-elle déposé dans

5 des termes qui pourraient être interprétés selon vos suggestions ?

6 M. ACKERMAN : [interprétation] Je vais lire le témoignage du témoin quand

7 il répondait aux questions du Procureur --

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais il nous faut une référence.

9 M. ACKERMAN : [interprétation] Je ne peux pas vous donner une référence

10 tout de suite, parce qu'il me faut un peu de temps.

11 Quand on regarde le témoignage de ce témoin, on voit qu'elle ne

12 répond pas aux questions. Il y a une question très, très brève, et elle

13 répond par quatre ou six lignes. Elle est en train de donner des

14 informations qui sont supplémentaires et je pense qu'elle ne répond pas de

15 façon en toute bonne foi.

16 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] On verra cela plus tard.

17 M. IVETIC : [interprétation] Je vais aider mon collègue. Il s'agit ici au

18 compte rendu de la page 14, on parle de ligne 20 à 25, le Procureur et le

19 témoin parlent du 22 février, et on dit qu'il y a des pilonnages dans les

20 montagnes et que les enfants ont peur. Ensuite, on pose la question : "Qui

21 tire ?" Là, il y a une déduction selon laquelle les actions de cette -- la

22 déduction qui essaie d'être faite est que les actions qui ont eu lieu à

23 cette date impliquent le pilonnage du village.

24 Mme CARTER : [interprétation] Monsieur le Président --

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Ackerman, cette question a-t-

26 elle à voir avec le 22 février ?

27 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Très bien.

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1 Mme CARTER : [interprétation] Pour ce qui est de clarification, il faudrait

2 revoir la page 15, parce qu'on voit qu'à la ligne 8, -- non, la ligne 7,

3 je demande : "A quel moment il y a-t-il eu des balles dans votre cour ?"

4 La réponse est : "Il était 14 heures 00 et c'était pendant que l'on

5 avait dit à mon mari et à mon beau-frère de quitter les lieux. C'est

6 l'armée qui avait dit cela à mon mari; sinon, ils seraient tués."

7 C'est extrêmement clair dans cette instance puisque le témoin ici

8 nous a donné une bonne référence de temps. On ne lui avait pas donné la

9 date. C'est la date qui a été donnée plus tard en référence au 22.

10 Nous renouvelons notre objection selon laquelle le témoin n'est pas

11 de bonne foi, parce qu'elle a témoigné très clairement sur ce qui avait eu

12 lieu le 22 février.

13 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Le passage que M. Ivetic a attiré à

14 notre attention est exactement le même que celui que j'avais mentionné.

15 Donc, je ne pense que votre question ait été correctement posée à propos de

16 ce point. Je vous demande de la reformuler.

17 M. ACKERMAN : [interprétation] J'ai une autre objection à soulever,

18 Monsieur le Président, le devoir de l'Accusation n'est pas uniquement de

19 rechercher une condamnation mais de rechercher la justice. Si on n'avait

20 pas eu ces notes de récolement, vous n'auriez jamais su que ce témoin avait

21 entendu des tirs qui étaient le résultat de manœuvres qui avaient lieu dans

22 l'environnement de son village, rien de plus.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Ackerman, je ne suis pas ici

24 pour régler des comptes. J'ai pris une décision et maintenant c'est à vous

25 de vous y tenir.

26 Vous pouvez poursuivre.

27 M. ACKERMAN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

28 Q. Quand vous avez quitté votre village et vous avez quitté votre maison

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1 le 22 février, il me semble qu'aujourd'hui vous nous avez dit que vous êtes

2 allée à Vucitrn; c'est bien cela, n'est-ce

3 pas ?

4 R. [aucune interprétation]

5 Q. Quelle est la distance entre Bukos et Vucitrn ?

6 R. A peu près trois kilomètres, en gros.

7 Q. Est-ce que cela pourrait être un peu moins que trois kilomètres ?

8 R. Cela se pourrait. Je ne peux pas vous le dire.

9 Q. Tous ces villages dont vous avez parlé, Vucitrn, Bukos, Kozica, Cirez,

10 tous ces villages sont à deux ou trois kilomètres l'un de l'autre, donc ce

11 sont des hameaux avoisinants ?

12 R. Non. De Bukos à Vucitrn, il y a un peu plus que cela. Pour les autres,

13 je ne peux pas vous dire exactement.

14 Q. Ils sont très loin quand même. Ce n'est pas comme vous aviez fait le

15 tour du pays.

16 R. Non, ce n'est pas près. Ce n'est pas des villages qui sont avoisinants.

17 Il y a plus de 10 kilomètres de Vushtrii à Cirez.

18 Q. Bien sûr, si j'étais plus compétent en matière informatique, je

19 pourrais très certainement afficher une carte et vous montrez qu'en fait

20 ces villages sont très proches, mais bon.

21 Je poursuis. Dans les conversations que vous avez eues avec l'Accusation,

22 vous avez dit que de nombreux Serbes vivaient dans votre village. Il

23 s'agissait bien du village de Bukos ?

24 R. Oui.

25 Q. Vous avez dit à l'Accusation que deux Serbes avaient trouvé la mort

26 deux jours avant les bombardements de l'OTAN. Vous avez dit : "Deux Serbes

27 ont trouvé la mort," mais ils sont morts de quoi ?

28 R. Je l'ai entendu à la télévision. Je n'étais pas personnellement

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1 impliquée dans ce qui leur était arrivé.

2 Q. Vous avez entendu qu'ils étaient morts de mort violente, ils n'étaient

3 pas morts d'une cause naturelle.

4 R. C'est la télé qui disait qu'ils étaient morts. C'est ce qu'on a

5 entendu. Je ne sais pas de quoi ils sont morts.

6 Q. Enfin, s'ils étaient morts de vieillesse, je ne vois pas pourquoi cela

7 aurait été à la télévision et je ne vois pas pourquoi vous l'auriez mis

8 dans votre déclaration. Vous l'avez mis parce qu'ils ont été tués et c'est

9 important qu'ils aient été tués. On va y venir, d'ailleurs. Vous savez très

10 bien qu'ils ne sont pas morts de vieillesse. Vous savez qu'ils ont été

11 tués.

12 R. Ce qui m'intéressait, c'était ma famille et mes enfants. Je ne sais pas

13 du tout ce qui est arrivé à d'autres personnes.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Rrahmani, il y a beaucoup de

15 gens qui meurent tous les jours au Kosovo, bien plus que deux personnes. Le

16 fait que deux personnes soient mortes ne porte pas à conséquence, mais

17 c'est mentionné dans votre déclaration parce que visiblement cela a une

18 incidence sur l'affaire en l'espèce.

19 M. Ackerman a donc raison de vous demander ce que vous savez à propos de

20 ces morts. Dites-lui juste ce que vous savez sur la mort de ces deux

21 Serbes.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] On l'a entendu à la télé qu'ils avaient été

23 tués, mais je ne sais pas très bien dans quelles circonstances. Je ne peux

24 pas vous le dire.

25 M. ACKERMAN : [interprétation]

26 Q. Je vous ai demandé trois fois s'ils avaient bel et bien été tués et

27 vous m'avez dit que vous ne saviez pas. Maintenant, le Président intervient

28 et vous dites oui, en effet, ils ont été tués. Alors, pourquoi ? Vous êtes

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1 ici pour témoigner sous serment, quand même.

2 R. Je vous répète que je l'ai entendu à la télévision. Je ne sais pas du

3 tout ce qui s'est passé personnellement.

4 Q. [aucune interprétation]

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Rrahmani, pourriez-vous me dire

6 sur quelle chaîne de télévision vous avez entendu cette information ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne m'en souviens pas.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Quelles sont les possibilités ?

9 Quelles sont les chaînes que vous receviez ?

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas. Je ne m'en souviens plus.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Mais quelles étaient les chaînes que

12 vous receviez à l'époque ?

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas. C'était les hommes qui

14 regardaient la télévision, et ils nous disaient ce qui se passait dans le

15 coin et ailleurs, à Bukos et ailleurs.

16 [La Chambre de première instance se concerte]

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Ackerman, vous avez la

18 parole.

19 M. ACKERMAN : [interprétation]

20 Q. Madame Rrahmani, je tiens à vous dire une chose. Quand vous êtes entrée

21 dans ce prétoire aujourd'hui avant votre déposition, vous avez déclaré

22 devant cette Cour les mots suivants : "Je déclare de façon solennelle que

23 je dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité."

24 Vous vous souvenez quand même que vous avez dit cela ?

25 R. Oui, et je vous dis la vérité.

26 Q. Mais non, pas du tout. Puisque quand le Juge vous a demandé quelles

27 étaient les chaînes de télévision que sur laquelle vous l'aviez vu, vous

28 avez dit que ce n'était pas vous qui regardiez la télévision, mais c'était

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1 les hommes qui regardaient la télévision et qui vous disaient ensuite. Or,

2 dans la page 56, à la ligne 2 du compte rendu, vous dites : "Je l'ai

3 entendu à la télévision."

4 Maintenant, vous nous dites qu'en fait ce n'est pas vrai, vous n'avez

5 pas entendu la télévision. Vous avez quand même fait une déclaration

6 solennelle. Vous êtes censée dire la vérité. Expliquez-nous un peu pourquoi

7 vous agissez de la sorte.

8 R. On en a entendu parler à la télévision, mais c'est les hommes qui nous

9 l'ont dit que c'était à Bukos, parce qu'on ne savait pas, nous. C'est comme

10 cela que cela s'est passé.

11 Q. Quand vous dites : "Nous, on a entendu parler," vous n'êtes pas

12 comprise dans ce "nous" ?

13 R. J'en ai entendu parler, mais je ne sais pas les noms de ces hommes, ni

14 leur prénoms, ni leurs noms de famille. Les hommes le savent, eux.

15 Q. Vous ne répondez pas à mes questions.

16 R. Ce n'est pas que j'essaie de ne pas vous dire la vérité --

17 Q. [aucune interprétation]

18 M. LE JUGE BONOMY : [aucune interprétation]

19 Mme CARTER : [interprétation] Je fais une objection parce qu'il s'agit ici

20 uniquement d'un argument, parce que le témoin a été très clair. Elle a dit

21 quand même que son mari et les autres hommes l'avaient entendu à la télé et

22 ensuite en ont parlé aux femmes. Il s'agit maintenant d'un débat de

23 sémantiques. Les questions qui doivent être posées, les questions sont trop

24 compliquées --

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donnez-moi un exemple de ces questions

26 qui, selon vous, sont trop complexes.

27 Mme CARTER : [interprétation] A la page 58 : "Je vous suggère --

28 L'INTERPRÈTE : Les interprètes demandent à l'Accusation de ralentir.

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1 Mme CARTER : [interprétation] Le témoin était en train d'essayer de

2 répondre à la question du mieux qu'elle peut. Ce n'est pas acceptable selon

3 la Défense quand elle essaye de s'expliquer. On considère à nouveau que son

4 explication n'est pas correcte. Donc, je demande au Tribunal de trouver que

5 ces questions sont des questions où on argote beaucoup trop.

6 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] A mon avis, ces questions sont tout à

7 fait précises. On essaye de justifier une contestation puisque le témoin a

8 donné deux comptes rendus tout à fait contradictoires de ce qui s'est

9 passé. Elle doit clarifier un peu ce qui s'est passé. Je rejette votre

10 objection.

11 Monsieur Ackerman, vous pouvez poursuivre.

12 M. ACKERMAN : [interprétation]

13 Q. Je pense qu'on a épuisé le sujet. J'aimerais passer à autre chose.

14 M. ACKERMAN : [interprétation] J'adore vraiment le système e-court, puisque

15 le système, il vient juste de me dire que mon ordinateur est maintenant

16 verrouillé.

17 Maintenant cela marche.

18 Q. Au même paragraphe de votre -- au paragraphe où je parlais de votre

19 réunion avec l'Accusation, vous avez dit qu'il y avait des Serbes qui

20 étaient morts quelques jours avant le bombardement de l'OTAN, vous avez dit

21 à l'Accusation qu'avant les bombardements de l'OTAN, vous avez entendu

22 qu'un des voisins serbes avait dit : Si l'UCK nous attaque, tout le monde

23 dans le village sera tué. Donc, vous étiez quand même assez inquiets, vous

24 aviez peur qu'à cause de ce qui s'était passé dans le village, vous aviez

25 peur que l'UCK attaque ce même village ?

26 R. Oui, c'est ce qu'ils ont dit. Les Serbes ont été tués et, nous, on ne

27 savait pas ce qui se passait.

28 Q. Mais il y a quelques minutes, vous avez dit à cette Chambre de première

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1 instance que le 26 mars 1999, vous aviez peur parce que vous aviez des

2 craintes sur la sécurité de votre famille, de vos enfants, de votre

3 famille. Or, en fait, ce qui vous faisait vraiment peur c'était une attaque

4 de l'UCK, n'est-ce pas ? Ce n'est pas du tout une attaque des Serbes ?

5 R. Non. Nous n'avons jamais eu peur de l'UCK. Ils sont venus et ils nous

6 ont évacués, mais on n'a jamais eu peur de l'UCK.

7 Q. Vous avez dit à l'Accusation qu'on vous avez dit que si l'UCK

8 attaquait, tout le monde dans le village serait tué, mais cela ne vous a

9 pas fait peur, le fait que tout le monde serait tué s'il y avait une

10 attaque de l'UCK ? Cela ne vous a pas fait peur ? C'est ce que vous êtes en

11 train de nous dire ?

12 R. On avait peur des Serbes, et c'est pour cela qu'on est parti. C'est

13 pour cela qu'on est parti. On n'avait pas peur de l'UCK, parce qu'il n'y

14 avait pas de présence de l'UCK dans le village de Bukos.

15 Q. Oui, mais auparavant il y avait une présence de l'UCK ?

16 R. Non. Je ne l'ai pas vue, et je n'en ai pas entendu parler.

17 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Ce commentaire qui a été enregistré

18 peut-être interprété de façon complètement différente.

19 M. ACKERMAN : [aucune interprétation]

20 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Vous dites -- ce n'est pas les notes

21 qui allaient être communiquées, mais l'information qui était à propos de

22 ces notes. Disons que s'il y avait une attaque de l'UCK, tout le monde dans

23 le village serait tué, on peut très bien interpréter comme étant une

24 menace. C'est ce que le témoin est en train de vous dire.

25 M. ACKERMAN : [interprétation] Qu'est-ce que vous voulez dire ?

26 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, on peut aussi dire que s'il y a

27 une attaque de l'UCK contre les Serbes du village, il y aura des

28 représailles.

Page 1863

1 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

2 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Tout le monde sera tué.

3 M. ACKERMAN : [interprétation] Je suis d'accord cette interprétation est

4 tout à fait correcte aussi.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est très certainement ce que le

6 témoin est en train d'essayer de vous dire.

7 M. ACKERMAN : [interprétation] Peut-être. Je poursuis.

8 Q. Après que vous ayez quitté l'endroit où vous étiez le 26, je crois que

9 c'était Vucitrn, vous êtes allés à Kozica, et c'est à 500 mètres à peu

10 près, n'est-ce pas ?

11 R. Vous voulez dire de Vushtrri à Kozica il y a 500 mètres ?

12 Q. Oui, je crois qu'il y a 500 mètres, n'est-ce pas ?

13 R. Non. Bien plus que cela. Certainement pas 500 mètres. De Vucitrn à

14 Kozhice, il y a bien plus que cela. Peut-être de Kozica à Cirez, il y a 500

15 mètres, peut-être.

16 Q. On vient de me dire qu'en effet c'est entre Kozica et Cirez qu'il y a

17 500 mètres. J'en suis désolé; j'ai fait une erreur.

18 R. Oui, là, vous avez raison.

19 Q. Vous êtes allée au village de Kozica, et à votre arrivée, il y a l'UCK

20 qui était là ?

21 R. Non, je n'ai vu personne de l'UCK.

22 Q. Vous y êtes restée à peu près trois jours jusqu'à ce que vous

23 rencontriez ce que j'appellerais le premier groupe de soldats qui sont

24 arrivés et ont pilonné le village; c'est cela, n'est-ce

25 pas ?

26 R. Oui.

27 Q. Avez-vous vu les armes dont ils se servaient pour pilonner le village ?

28 R. Quand ils sont arrivés, ils sont arrivés avez des chars, et j'ai vu les

Page 1864

1 obus -- enfin, des grenades qui étaient tirées sur les maisons. Dans la

2 cour, avant d'aller à la maison de Rrahim, on a vu les grenades tomber. On

3 a vu cela sous nos yeux.

4 Q. Quand vous nous dites "grenades," vous parlez de grenades à mains ou

5 vous parlez d'obus qui sont tirés d'un canon ou d'un fusil. De quoi parlez-

6 vous, exactement ?

7 R. Pour moi, une grenade, c'est un gros obus, c'est un grand truc, un

8 grand cylindre qui a plusieurs mètres et qui est tiré d'un canon d'un char.

9 Peut-être que cela s'appelle autrement, enfin, j'appelle cela des grenades.

10 Q. C'est très clair.

11 Suite à ce pilonnage, plusieurs choses sont arrivées. D'abord, il y a eu

12 des morts, il y a eu des blessés ?

13 R. Oui.

14 Q. Les hommes de ce village ont quitté le village et se sont réfugiés dans

15 les montagnes ?

16 R. Oui.

17 Q. Comment ont-ils réussi à s'échapper sans être vus par les soldats qui

18 étaient si près du village ?

19 R. Peut-être qu'ils les ont vus et qu'ils leur ont tirés dessus, mais mon

20 mari a eu de la chance puis mon beau-frère aussi, peut-être que d'autres

21 ont été tués, je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que les hommes

22 sont partis parce qu'ils n'osaient pas rester parce qu'ils savaient qu'ils

23 seraient tués. Ils sont allés à Cicavica. Ils ont tiré sur le groupe

24 d'hommes, de femmes, ils avaient aussi tiré sur les hommes.

25 Q. Très bien. Votre mari ne vous a pas dit que les hommes qui s'étaient

26 enfuis ou si certains d'entre eux ont trouvé la mort ? Vous n'en savez rien

27 en tout cas à l'heure actuelle ?

28 R. Je n'ai aucune information quant à savoir qui aurait pu être tué ce

Page 1865

1 jour-là mis à part du jeune homme dont je vous ai parlé qui était dans

2 notre groupe. Je ne peux pas vous dire des choses dont je ne sais rien.

3 Q. Non, je parle des hommes qui se sont échappés, qui sont partis dans les

4 montagnes. Aucun de ces hommes n'a été tué. Ils ont réussi à s'échapper

5 dans les montagnes. A votre connaissance, personne ne les a poursuivis ?

6 R. Cicavica est très près de Kozica. Peut-être qu'ils ne pouvaient pas les

7 voir de la maison où on était. Enfin, ce n'est vraiment pas loin du tout de

8 la montagne, c'est à 500 mètres. On était chez Xhemajl Xhema, et Cicavica

9 est extrêmement près, à 500 mètres. Ils sont partis après que le pilonnage

10 a commencé.

11 Q. Mais le compte rendu dit 500 mètres, c'est ce que vous dites ?

12 R. Non, cinq mètres, j'ai dit cinq mètres.

13 Q. Mais cinq mètres cela fait 15 pieds, c'est très très près. C'est la

14 même distance qu'il y a entre vous et moi à l'heure actuelle dans ce

15 prétoire ?

16 R. Oui, je le sais.

17 Q. Cela veut dire que si j'étais à Vucitrn, vous seriez à Cicavica ?

18 R. Non. De la maison de Xhemajl où nous étions, Cicavica, c'est tout près

19 c'est à côté de la maison. Pas par rapport à Vushtrri. On s'est rassemblé,

20 toutes les femmes, dans la maison de Rrahim alors que les hommes ils sont

21 partis à Cicavica.

22 Q. Mais Cicavica c'était un bastion bien connu de l'UCK, n'est-ce pas ?

23 R. Je ne sais pas. Ce que je sais, c'est que les hommes sont partis dans

24 les montagnes parce qu'ils avaient peur d'être tués. Je ne sais pas comment

25 ils s'en sont tirés parce qu'ils n'ont rien eu à manger, rien à boire.

26 Q. Lorsque ces soldats sont arrivés dans le village après le pilonnage,

27 est-ce qu'ils ont commencé à soigner les blessés qui se trouvaient dans le

28 village ? C'est bien ce qu'ils ont fait, n'est-ce pas ?

Page 1866

1 R. Oui. Il y avait dix morts, trois blessés de Gjakova. Ils se sont

2 occupés de leurs plaies. Ils ont fait un bon boulot sur les trois blessés.

3 Après ils ont dit de nous assoire dans cette cour.

4 Q. Je vous demanderais, Madame, de réponde à ma question. Est-ce qu'il n'y

5 avait pas un médecin avec eux ?

6 R. Si, si, si.

7 Q. Ils ont d'abord vérifié qu'il n'y avait pas d'hommes blessés, qu'il n'y

8 avait personne qui avait des armes dans le village, qu'il n'y avait pas de

9 membre de l'UCK qui se serait caché dans les maisons, puis ils ont commencé

10 à s'occuper des blessés. C'est bien ce qui s'est passé ?

11 R. Non. Ils ont mis le feu aux maisons, et après ils sont venus panser les

12 plaies des blessés. Ils nous ont emmenés dans cette pièce qu'on appelle la

13 oda et ils nous ont dit de leur donner tous nos objets de valeur que nous

14 avions sur nous. Ils ont pris tout ce qu'on avait.

15 Q. C'est alors que vous avez quitté Kozica, et je pense que vous avez dit

16 dans votre déclaration préalable que de là vous étiez allés à Gllogoc.

17 C'est bien cela ?

18 R. Oui, nous sommes allés à Skenderaj. Ils ne nous ont pas laissés entrer

19 dans Skenderaj, nous sommes allés à Gllogoc.

20 Q. C'est là que vous avez passé dix jours dans la maison de l'oncle de

21 votre mari ?

22 R. Oui.

23 Q. Là-dessus vous êtes repartis à Kozica ?

24 R. Oui.

25 Q. Là où vous avez rencontré ces soldats, vous êtes retournés là-bas parce

26 que vous n'aviez pas de nourriture. C'est exact ?

27 R. Oui.

28 Q. Est-ce que vous saviez que vous auriez pu obtenir de la nourriture à

Page 1867

1 Kozica ?

2 R. On voulait demander aux gens s'ils étaient près à nous prêter un peu de

3 farine, à nous donner un peu de quoi manger.

4 Q. Lorsque vous êtes arrivés là, votre mari et les autres hommes qui

5 s'étaient échappés dans les montagnes, ils étaient revenus. C'est bien

6 cela ?

7 R. Oui. Ils n'avaient rien à manger à Cicavica. A la tombée de la nuit,

8 ils sont revenus.

9 Q. C'est là que vous êtes allés dormir dans la maison de Xhafer Daka à

10 Kozica, et vous êtes restés là jusqu'à vers le milieu du mois d'avril

11 lorsqu'on a entendu le bruit des pilonnages. Votre mari et les autres

12 hommes sont alors repartis dans les montagnes. Est-ce exact ?

13 R. Oui.

14 Q. C'est à ce moment-là qu'est venu ce garçon et qu'il vous a dit que vous

15 seriez mieux chez Durmishi, dans sa maison. C'est là que vous êtes allés ?

16 R. Exact.

17 Q. C'est là que vous rencontrez, c'est bien cela, un deuxième groupe de

18 soldats, des soldats qui ne sont pas les mêmes que ceux que vous avez vus

19 la première fois ?

20 R. Oui.

21 Q. Ils vérifient si vous avez des armes ?

22 R. Oui, oui. Ils nous ont fouillés.

23 Q. Ils ont découvert que vous n'aviez pas d'armes, après quoi ils vous ont

24 fort bien traités, n'est-ce pas ?

25 R. Oui. Pendant trois jours, dans la maison de Durmishi, ma fille faisait

26 de la fièvre, ils m'ont donné des médicaments. Mais trois jours plus tard

27 lorsqu'ils nous ont emmenés à Cirez, ils ont tué la mère et ces filles, ces

28 filles.

Page 1868

1 Q. Mais ce ne sont pas les mêmes soldats, n'est-ce pas ?

2 R. Non.

3 Q. Lorsque vous étiez dans la maison de Durmishi, ces soldats, ils vous

4 ont obtenu de la nourriture, ils ont fourni des vêtements secs, n'est-ce

5 pas ?

6 R. Oui, exact.

7 Q. Je crois que vous avez conclu que cela devait être des soldats de

8 l'armée régulière yougoslave, pas seulement en raison de l'uniforme qu'ils

9 portaient mais en raison de la gentillesse qu'ils ont manifesté envers

10 vous ?

11 R. Oui.

12 Q. Un soldat est alors venu, il vous a dit qu'il fallait vous préparer à

13 aller à Cirez. Ces soldats qui vous avaient si bien traités vous ont

14 escortés jusqu'à Cirez, n'est-ce pas ?

15 R. Oui.

16 Q. Vous avez au cours de cette marche été fort bien traités, il s'est rien

17 passé de mauvais ?

18 R. Exact.

19 Q. Au cours de cette marche vous avez appris que s'ils vous déplaçaient

20 c'était pour assurer votre propre sécurité. Ils vous ont dit qu'ils

21 s'attendaient à ce qu'il y ait une offensive à Kozica, n'est-ce pas ?

22 R. C'est ce qu'ils nous ont dit. Mais cela n'a pas été la vérité, enfin de

23 compte.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] A quoi voulez-vous en venir, sur quoi

25 vous appuyez-vous pour poser ces questions ?

26 M. ACKERMAN : [interprétation] Sur la déclaration préalable.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] La déclaration que nous avons nous ?

28 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

Page 1869

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Fort bien. Continuez.

2 M. ACKERMAN : [interprétation]

3 Q. Lorsque vous êtes arrivés à Cirez, là vous avez trouvé des gens d'une

4 espèce tout à fait différente. C'étaient des hommes plus âgés, ils

5 portaient cette espèce d'uniforme brun ou noir. Il y en avait un qui

6 portait une étoile à cinq branches à l'épaule, certains étaient barbus, je

7 pense. Ils avaient les cheveux longs, c'est bien cela ?

8 R. Oui.

9 Q. Je pense même que quelqu'un vous a laissé entendre plus tard que

10 c'était peut-être des membres d'un groupe militaire appelé la Main noire ?

11 R. Oui.

12 Q. Comme vous l'avez dit aux Juges de la Chambre, ce groupe d'hommes a

13 fait preuve de brutalité, et horrible. Ne vous a pas du tout bien traités,

14 ni vous ni vos compagnons ?

15 R. C'est vrai. C'est ce que je leur ai dit, et c'est bien ce qui s'est

16 passé.

17 Q. Un certain temps s'est écoulé, après quoi un de ces soldats, un de ces

18 hommes de la Main noire, un de ces paramilitaires vous a dit que vous

19 devriez retourner chez Durmishi à Kozica ?

20 R. Oui. Après nous avoir tous fouillés, après avoir emmené les cinq

21 filles, les cinq jeunes filles et trois femmes, un soldat est entré et a

22 dit : Repartez d'où vous êtes venus à Kozica.

23 Q. Nous comprenons que ces choses épouvantables se sont passées et quels

24 ont été les faits de ces hommes de la Main noire. Nous voulions vous dire à

25 quel point nous sommes navrés de ce qui vous est arrivé. Je voudrais que

26 vous compreniez bien.

27 Est-ce que vous aviez déjà entendu parler de ces hommes de la Main noire,

28 avant ce jour-là ? Est-ce que vous saviez peut-être qui c'était ?

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1 R. A Likoshane dans ce village, un an après que certaines choses

2 épouvantables se soient passées dans ce village de Likoshane, j'ai entendu

3 dire qu'ils avaient tué une femme enceinte. Ce genre de chose, c'était la

4 première fois que j'avais entendu parler des hommes de la Main noire, avant

5 je n'en savais rien.

6 Q. Fort bien. Vous êtes repartie à Cirez. Vous avez vu les soldats que

7 vous y aviez déjà vus, et là vous vous êtes sentis à l'aise avec eux pour

8 leur dire ce qui vous était arrivé à Cirez ?

9 R. Oui.

10 Q. Ils se sont montrés fort préoccupés, fort compatissants, ils ont

11 partagé votre douleur après ce qui s'était passé, n'est-ce pas ?

12 R. C'est ce qu'ils nous ont dit. Mais quand on est allé à Kozica j'ai revu

13 le même soldat. Il savait ce qui s'était passé. Il s'est bien comporté

14 envers nous même s'il savait fort bien où il nous emmenait. Parce quand on

15 est reparti à Kozica avant d'entrer dans la maison de Durmishi, il y avait

16 une maison à 50 mètres de là. J'ai vu le soldat qui nous avait emmenés à

17 Cirez et je l'ai dit à mon groupe qui était avec moi et je l'ai indiqué

18 parce que je ne parle pas le serbo-croate. Lorsqu'il m'a vu le montrer du

19 doigt il est entré à l'intérieur de la maison parce qu'il avait peur qu'on

20 aille vers lui et qu'on lui demande ce qu'il nous faisait ?

21 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Prenez le compte rendu d'audience,

22 ligne 9, page 69, où lorsque vous avez dit lorsque vous êtes entrée à

23 Cirez, est-ce qu'il faudrait que ce soit Kozica ?

24 M. ACKERMAN : [interprétation] Non, cela devrait être Cirez.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Bien.

26 M. ACKERMAN : [interprétation] Mais enfin je vais vérifier.

27 Q. Lorsque vous êtes entrés à Kozica, est-ce que vous avez dit aux soldats

28 ce qui s'est passé à Cirez ? Ils vous ont ramenés à Cirez pour essayer de

Page 1871

1 trouver les femmes et les jeunes filles qui avaient disparues, c'est bien

2 ce qu'ils ont dit ? Qu'ils allaient vous ramener là pour essayer de

3 découvrir ce qui s'était passé.

4 R. Après qu'ils ont amené les jeunes filles et qu'ils nous ont dit de

5 repartir à Kozica, c'est à ce moment-là que j'ai vu le soldat, avant

6 d'entrer dans la maison de Durmishi. J'ai dit aux gens de mon groupe :

7 C'est lui le soldat qui nous a escortés jusqu'à Cirez. Mais je le répète,

8 lorsqu'il a vu que je le montrais du doigt il est rentré à l'intérieur et

9 il n'est plus sorti de la maison tant que nous ne l'avions pas dépassé.

10 Q. Vous l'avez dit trois fois au moins, ce n'est pas ce que je vous ai

11 demandé.

12 Lorsque vous avez expliqué aux soldats qui étaient à Kozica ce qui

13 s'était passé à Cirez, ils sont allés avec vous à Cirez pour savoir ce

14 qu'il était devenu des femmes et des jeunes filles qu'on avait emmenées.

15 C'est bien cela, n'est-ce pas ?

16 R. Oui, oui. Ils sont venus avec nous. Mais quand je leur ai montré

17 la grange d'où ils avaient emmené les jeunes filles, ils m'ont dit :

18 Continue, je sais, je sais. Ils nous ont fait continuer notre chemin.

19 Q. Mais à Cirez, vous êtes allés dans une maison différente, n'est-ce pas

20 ?

21 R. Oui.

22 Q. Dans cette maison vous avez découvert un nouveau groupe, un quatrième

23 groupe de soldats, dirais-je. Est-ce exact ?

24 R. Oui.

25 Q. Ces soldats-là vous ont aussi bien traités. Ils vous ont apporté de

26 quoi manger et de la farine pour faire du pain ?

27 R. Oui. Je ne peux pas dire ce qu'ils n'ont pas fait. Je ne peux que vous

28 dire ce qu'ils ont fait, ce qui nous est arrivé. Je vous ai dit qu'ils

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1 s'étaient bien comportés à Kozica et aussi lorsqu'ils nous ont envoyés à

2 Cirez. Il se peut qu'il y ait eu de braves gens parmi eux.

3 Q. Par souci d'équité envers vous et la Chambre, je tiens à demander ceci,

4 lorsque vous vous trouviez dans cette deuxième maison à Cirez, là où on

5 vous a amené de quoi manger, de la farine où on vous a bien traitées, vous

6 dites qu'à un moment donné deux soldats sont venus exiger de l'argent. Dans

7 votre déclaration préalable, vous dites que les autres soldats ne le

8 savaient sans doute pas. Les autres soldats ne savaient pas, vous vouliez

9 dire que ces deux soldats faisaient cavalier seul, pour ainsi dire, qu'ils

10 avaient pris cette décision eux-mêmes sans permission. Est-ce exact ?

11 R. Oui. Je vous l'ai dit, c'est vrai qu'ils s'étaient bien comportés mais

12 à un moment donné deux soldats sont entrés et ils ont exigé de l'argent. On

13 a réussi à rassembler 400 deutsche marks. Ils nous ont dit : Si votre

14 groupe ne nous donne pas 200 deutsche marks, on va vous tuer. Ils ont

15 demandé à Hajrije de l'argent, elle a dit qu'elle n'en avait pas. A ce

16 moment-là, il a tiré en l'air pour nous effrayer.

17 Q. Ce qui s'est passé ensuite, ces soldats sont venus vous dire qu'il

18 fallait aller à Glogovac parce qu'ils pensaient qu'il allait y avoir une

19 offensive à Cirez et qu'ils pensaient que vous seriez plus en sécurité à

20 Glogovac. Est-ce exact ?

21 R. Oui.

22 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, est-ce que le moment

23 se prête bien pour une pause ?

24 M. ACKERMAN : [interprétation] Oui.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Fort bien. Nous reprendrons à 18

26 heures.

27 --- L'audience est suspendue à 17 heures 27.

28 --- L'audience est reprise à 17 heures 59.

Page 1873

1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, Monsieur Ackerman.

2 M. ACKERMAN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

3 Q. Madame Rrahmani, revenons en remontons dans le temps à ces journées

4 d'automne 2000 lors desquelles vous avez fourni votre déclaration aux

5 représentants du bureau du Procureur. Annette Murtagh était la personne qui

6 vous a interrogée. Il y avait aussi quelques interprètes qui ont travaillé

7 avec elle ce jour-là, ces trois jours-là en fait. Vous vous souvenez de ces

8 trois journées au cours desquelles vous avez fourni cette première

9 déclaration préalable au bureau du Procureur ?

10 R. Oui.

11 Q. Je suis sûr que ces personnes vous ont donné l'occasion de raconter ce

12 que vous aviez à dire sans vous poser de questions, vous ont donné

13 l'occasion de relater les choses importantes qui, selon vous, s'étaient

14 passées au cours de cette période. C'est bien ce qui s'est passé ?

15 R. Oui.

16 Q. Après ces trois jours, ces personnes ont établi une déclaration

17 préalable, et avant la fin de votre entretien, ceci vous a été lu, traduit

18 dans votre langue et vous avez confirmé que cette déclaration était bien

19 conforme à la vérité et vous avez signé chacune des pages de cette

20 déclaration préalable, n'est-ce pas ?

21 R. Oui.

22 Q. Ces personnes vous ont donné toute latitude pour relater ce qui vous

23 semblait important s'agissant de ces journées que vous aviez vécues ?

24 R. Oui.

25 Q. Aujourd'hui, au cours de votre audition - je pense qu'il s'agit de la

26 page 22 du compte rendu d'audience d'aujourd'hui - vous parliez du moment

27 où ce premier groupe de soldats est venu dans le village où vous étiez, où

28 vous avez dit que des chars tiraient sur le village et pilonnaient le

Page 1874

1 village. Aujourd'hui, vous avez déclaré qu'il y avait cette personne, ce

2 jeune homme de 28 ou 30 ans qui était handicapé mental qui criait et qui

3 pleurait. Vous avez dit qu'ils l'ont abattu sur la place même, et que cela

4 s'était passé dans cette maison-là du village de Kozica. C'est bien ce que

5 vous avez déclaré aujourd'hui ?

6 R. Oui.

7 Q. Je ne parviens pas à trouver ce passage dans votre déclaration

8 préalable, qui est le résultat de ces trois journées d'entretien avec le

9 bureau du Procureur en 2000 lorsque vous avez eu amplement le temps de leur

10 faire part de tous vos souvenirs. Est-ce que vous avez dit cela à ce

11 moment-là au représentant du bureau du Procureur ?

12 R. Non. Je ne le leur ai pas dit. Je n'en ai pas parlé. J'ai oublié d'en

13 parler mais je l'ai dit aujourd'hui.

14 Q. A la page 29 du projet de compte rendu d'aujourd'hui, je pense que vous

15 parliez du moment où vous êtes allée, je crois, de Cirez à Glogovac, vous

16 avez dit avoir vu des camions sur la route dans lesquels se trouvaient des

17 soldats. Voici ce que vous avez déclaré : "Vous n'avez vu que des femmes et

18 des enfants. Il n'y avait pas d'hommes, parce que" avez-vous dit : "S'ils

19 avaient trouvé des hommes, ils les auraient trouvés immédiatement, même des

20 jeunes garçon de 13 ans, ils les auraient tués."

21 Mais vous n'avez jamais vu des soldats tuer des jeunes garçons de 13 ans ?

22 R. Non.

23 Q. Beaucoup de questions répétitives d'ailleurs, soit dit en passant, vous

24 ont été posées à propos de la couleur de l'uniforme que portaient ces

25 soldats. Vous avez parlé d'uniforme vert, vert de camouflage, brun et noir,

26 je ne sais pas combien d'autres couleurs vous avez mentionnées. Mais quand

27 on voit la couleur de l'uniforme que porte quelqu'un, on ne peut pas

28 déterminer de quelle unité ils font partie, n'est-ce pas ?

Page 1875

1 R. J'ai dit vert. Enfin, c'est ce qu'on dit chez nous, au village, on dit

2 vert.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est un commentaire, Maître Ackerman.

4 Je ne pense pas que le témoin soit en mesure de répondre à votre question.

5 Elle n'a pas essayé de faire un lien quelconque.

6 M. ACKERMAN : [interprétation] Fort bien. J'abandonne. Je crois que vos

7 paroles sont empreintes de sagesse.

8 Q. Je n'ai plus qu'une question à vous poser, Madame. Vers la fin de la

9 déclaration que vous avez fournie au bureau du Procureur, lorsqu'en

10 l'espace de trois semaines, vous vous retrouvez la deuxième fois à Cirez,

11 on vous dit qu'il faut aller à Glogovac parce qu'il va y avoir une

12 offensive sur Cirez. Les soldats pensaient que vous risquiez d'être en

13 danger à Cirez et ils vous ont proposé d'aller à Glogovac. Voici ce que

14 vous avez dit : "Nous sommes allés à Glogovac et que de là, on partirait en

15 autocar ou bus vers la Macédoine."

16 Aujourd'hui, à la page 42, à partir de la ligne 9, on vous demande ceci :

17 "Après ces trois semaines passées à Cirez, où êtes-vous allée ?"

18 Réponse : "Ils nous ont dit que vous allez aller à Glogovac - ici on dit

19 Gllogoc - et qu'on va vous envoyer en Macédoine, parce qu'ici vous n'avez

20 pas de place."

21 R. Oui.

22 Q. Mais c'est tout à fait différent de ce que vous avez dit dans votre

23 déclaration préalable où vous dites qu'ils voulaient vous envoyer là pour

24 votre sécurité. Et c'est bien là la vérité, n'est-ce pas ?

25 R. Il y avait 11 autocars qui avaient été envoyés dans cette direction-là.

26 Les gens disaient qu'on avait fait s'arrêter certains de ces autocars,

27 qu'on en avait fait descendre les occupants et je sais que ces autocars,

28 ils étaient bondés, ils étaient remplis de gens et qu'ils avaient pris la

Page 1876

1 direction de la Macédoine. Mais je ne sais pas exactement où ils sont

2 allés.

3 Q. Vous n'avez pas du tout compris ma question, Madame. C'est sans doute

4 de ma faute, une fois de plus. Dans votre déclaration préalable, vous le

5 dites directement. Les soldats vous ont dit qu'ils vous envoyaient à

6 Glogovac parce qu'il allait y avoir une offensive d'après eux à Cirez et

7 qu'il serait dangereux que vous y restiez. C'est ce que vous avez déclaré

8 dans votre déclaration préalable, n'est-ce pas ?

9 R. Non, ce n'est pas cela. A Cirez, ils ont dit que c'est à cause de cela.

10 Mais quand les autocars se sont approchés de Gllogoc, ils ont dit : Ici, ce

11 n'est pas votre place. Vous devez aller en Macédoine. Mais là où nous

12 étions avant, à Cirez, on nous avait dit qu'il était préférable que nous

13 allions ailleurs parce que c'était dangereux là où on était.

14 Q. Mais cela semble logique, parce qu'une fois que vous êtes montés dans

15 les autocars et que vous êtes partis vers Glogovac, ceux qui vous ont tenu

16 ces propos, ce n'était pas les soldats qui essayaient de vous envoyer en

17 lieu sûr, de vous faire quitter Cirez, n'est-ce pas ? C'est un groupe

18 différent.

19 R. Ils portaient le même uniforme. Je ne sais pas si c'était les mêmes

20 hommes ou pas.

21 Q. Fort bien. Merci d'avoir répondu à ma question. Je vous en remercie,

22 Madame. Je n'ai pas d'autres questions à vous poser.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Ackerman, vous avez posé une

24 question qui a engendré la réponse que vous avez qualifiée de

25 contradictoire, donc le troisième paragraphe, à partir de la fin de la

26 déclaration. Est-ce qu'elle s'appuyait sur les notes de récolement que vous

27 avez reçues ou est-ce que c'est quelque chose qui découle spontanément,

28 naturellement de la déposition d'aujourd'hui ?

Page 1877

1 M. ACKERMAN : [interprétation] Je ne pense pas que ceci se trouvait dans

2 les notes de récolement.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

4 M. ACKERMAN : [interprétation] Je ne pense pas.

5 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci.

6 Maître O'Sullivan, vous avez la parole.

7 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Voici l'ordre que nous avons retenu après

8 avoir entendu le conseil du général Pavkovic : nous allons avoir le conseil

9 de M. Milutinovic, puis celui de Sainovic, celui d'Ojdanic, celui du

10 général Lazarevic, pour finir par le conseil du général Lukic.

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Donc là, on reprend l'ordre qui est

12 celui de l'acte d'accusation.

13 M. O'SULLIVAN : [interprétation] Je n'ai pas de questions.

14 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Hannis.

15 M. HANNIS : [interprétation] La Défense pourrait-elle nous dire si on

16 terminera le contre-interrogatoire à 19 heures, parce que si c'est le cas,

17 on peut dire au témoin suivant de rentrer à l'hôtel s'il ne va pas

18 commencer son audition aujourd'hui.

19 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vais vérifier cela dans un instant.

20 Maître Fila, quelle est votre position ?

21 M. FILA : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Je n'ai pas de

22 questions à poser au témoin.

23 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Sepenuk.

24 M. SEPENUK : [interprétation] Pas de questions, Monsieur le Président.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Maître Cepic.

26 M. CEPIC : [interprétation] Pas de questions non plus, Monsieur le

27 Président. Merci.

28 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Merci. Maître Ivetic.

Page 1878

1 M. IVETIC : [interprétation] Nous aimerions poser quelques questions à ce

2 témoin, si tout va bien, une trentaine de minutes, ce qui laissera une

3 quinzaine de minutes aujourd'hui.

4 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, je pense qu'on peut faire rentrer

5 ce témoin à l'hôtel.

6 M. HANNIS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

7 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Veuillez commencer, Maître Ivetic.

8 M. IVETIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

9 Contre-interrogatoire par M. Ivetic :

10 Q. [interprétation] Bonjour, Madame. Je m'appelle Dan Ivetic, et en

11 compagnie de Me Branko Lukic et de M. Ozren Ogrizovic, notre commis à

12 l'audience, nous représentons M. Lukic. Je vous demande de faire preuve de

13 patience parce que nous avons quelques questions à vous poser s'agissant

14 des choses dont vous avez été le témoin au Kosovo.

15 Première question, elle concerne la période du mois de mars 1999. Dans

16 votre déclaration préalable, en albanais, c'est la page 2, paragraphe 3, je

17 pense que c'est le même endroit dans les trois versions. Vous faites

18 référence au fait que les bombardements de l'OTAN ont commencé en mars

19 1999. Voici ma première question : est-il exact de dire que les avions de

20 l'OTAN ont survolé notamment Vucitrn, la municipalité et les villages que

21 vous avez décrits ici aujourd'hui en mars 1999 et que ceci s'est passé très

22 fréquemment ?

23 R. Quels avions ?

24 Q. Les avions de l'OTAN.

25 R. Vous voulez dire avant le 26 mars ? Je n'ai pas bien compris la

26 question. Je suis désolée.

27 Q. Permettez-moi de la reformuler. Après le 24 mars 1999, je pense que

28 vous avez indiqué que les bombes de l'OTAN avaient commencé, avez-vous dit.

Page 1879

1 Ce qui m'intéresse, c'est la période qui suit cette date. Est-on en droit

2 de dire que les avions de l'OTAN ont fréquemment survolé la municipalité de

3 Vucitrn et beaucoup des villages de cette municipalité dont nous avons

4 parlé ici aujourd'hui ?

5 R. Je n'en ai pas vu. Je ne sais pas.

6 Q. Fort bien. Je voudrais faire la clarté sur certains points. Votre

7 village natal ou le village où vous habitez, c'est le village de Bukos,

8 n'est-ce pas ?

9 R. Oui.

10 Q. Quelle est la taille de ce village de Bukos ? Je veux dire, il compte

11 combien d'habitants ?

12 R. Je ne sais pas.

13 Q. Est-ce que Bukos est si petit qu'on connaît pratiquement toutes les

14 personnes qui y habitent ?

15 R. Non, non. Je ne connais pas tout le monde. C'est un village assez

16 important. Un gros village, mais je ne sais pas combien il y a d'habitants.

17 Q. Fort bien. Je pense que vous avez déclaré qu'il y avait beaucoup de

18 Serbes qui habitaient à Bukos; est-ce exact ?

19 R. Oui.

20 Q. Est-ce que vous saviez que certaines de ces familles serbes ont

21 commencé à partir de Bukos en 1998 et en 1999 ?

22 R. Il y avait deux familles qui vivaient tout près de chez nous, ils y

23 sont restés tout le temps. Je ne sais pas s'il y en avait d'autres qui

24 vivaient plus loin de chez moi.

25 Q. Fort bien, Madame. En 1998 et en 1999, n'est-ce pas un fait, est-ce que

26 certaines de ces familles serbes n'ont pas fait l'objet de menaces venant

27 de ce qu'on appelle l'UCK à Bukos ?

28 R. Non. Jusqu'au moment où ces deux Serbes ont été tués, jamais je n'avais

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1 entendu dire que quelqu'un aurait reçu des menaces de l'UCK. Je ne sais pas

2 qui a tué ces deux Serbes. Je n'en suis pas sûre. C'est tout ce que je peux

3 vous dire.

4 Q. Avant de vivre dans le village de Bukos, vous, vous êtes née dans le

5 village de Dubovac, n'est-ce pas ?

6 R. Dubovc.

7 Q. Oui, Dubovc. En Serbe, est-ce Dubovac ?

8 R. Oui.

9 Q. En 1999, est-ce que vous aviez encore des amis ou des parents qui

10 habitaient à Dubovc ?

11 R. Non. Quand j'étais petite, je ne me souviens pas qu'il y avait des

12 Serbes qui habitaient dans ce village quand j'étais petite.

13 Q. Excusez-moi, Madame, sans doute, mais je n'ai pas bien posé ma

14 question. En 1999, est-ce que vous aviez encore des amis ou des parents qui

15 habitaient à Dubovc ?

16 R. Oui, oui.

17 Q. Tout d'abord, revenons à Bukos. Est-ce que vous aviez connaissance du

18 fait qu'il y aurait eu des membres de l'UCK dans ce village à un moment

19 donné en 1998 ou en 1999 ?

20 R. C'est bien possible, mais je n'en ai pas vus.

21 Q. Bien. Et dans votre village natal de Dubovc ?

22 R. C'est ce que je vous dis. Il y en avait peut-être, mais je n'en ai pas

23 vus. J'ai quelquefois fait des visites de quelques heures, et puis je suis

24 retournée auprès de mes enfants, mais je ne suis pas restée si longtemps

25 dans ce village que pour voir s'il y en avait dans le village. C'était bien

26 possible.

27 Q. N'est-il pas vrai que l'UCK - c'est comme cela qu'ils s'appellent -

28 s'est livré à des actes de violence dans le village de Bukos; et je pense,

Page 1881

1 plus particulièrement, au début de l'année 1999 ?

2 R. C'est la première fois que j'en entends parler. Je ne sais pas.

3 Q. Je pense qu'aujourd'hui, en début de journée, vous avez parlé de deux

4 Serbes qui ont été tués. Est-ce que vous pouvez vous concentrer sur ce

5 moment-là ?

6 M. Ackerman, mon confrère, vous a demandé si en fait vous aviez quitté

7 votre village et que si vous l'avez quitté c'était à cause de cette attaque

8 qu'avaient subi les civils serbes. Je pense sa question portait sur le mois

9 de mars 1999. Je vous pose la question à propos du mois de février, et,

10 plus précisément, du 22 février. Vous avez déclaré que vous aviez quitté à

11 ce moment-là, ce jour-là, votre village de Bukos la première fois. Le 22

12 février 1999, n'est-ce pas un fait, est-ce qu'il n'y a pas eu une fusillade

13 dans le village de Bukos et l'UCK a tué un civil serbe et en a blessé deux

14 autres et qu'on en a beaucoup parlé. Est-ce que vous vous en souvenez ?

15 R. Je ne sais pas qui a tiré dans ma cour. Nous avons quitté notre maison

16 à cause de tous ces coups de feu. C'était l'armée serbe qui avait tiré sur

17 notre maison ou nos maisons. Il y a d'autres choses qui ne sont pas dans ma

18 déclaration préalable que je peux ajouter. On a forcé des gens à sortir de

19 leurs maisons en leur plaçant des fusils automatiques sur la gorge --

20 Q. Je parle du 22 février et d'un incident qui a été mentionné, et je

21 pense que vous en avez vu un reportage à la télévision. Cela portait sur

22 une attaque menée par l'UCK et dirigée sur des habitants serbes du village

23 de Bukos; M. Milan Milosevic,

24 M. Prodanovic et aussi une troisième personne, Mirko Milosevic. N'est-ce

25 pas un fait, est-ce que cette attaque ne s'est pas produite le jour même où

26 vous affirmez avoir quitté votre village, à savoir, le 22 février 1999 ?

27 R. Je ne sais pas si c'est l'UCK qui les a tués. Je l'ai simplement vu à

28 la télévision. J'ai vu que des gens avaient été tués, mais je ne savais pas

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1 qui c'était. J'ai simplement entendu dire qu'ils étaient de Bukos.

2 Q. N'avez-vous pas déclaré aujourd'hui auparavant que vous n'avez pas

3 vraiment fait attention à ce que vous avez vu à la télévision; est-ce bien

4 cela ?

5 R. Je ne savais pas ce qu'ils disaient à cause de la langue, et mon mari

6 m'a expliqué que c'était un incident dans le village -- dans notre village

7 à Bukos.

8 Q. Mais, cela va plus loin que cela, Madame. N'est-ce pas un fait avant de

9 rentrer à Bukos, et avant de se livrer à ces actes qui ont engendré la mort

10 d'une personne et qui en ont blessé deux autres, est-ce que cet incident ne

11 s'est pas aussi produit dans votre village natal à Dubovc, à savoir que

12 l'UCK avait enlevé ces personnes, les avait ramenées dans votre village

13 natal, et puis les avait ramenées dans le village où vous habitiez pour les

14 abattre dans ce village. Est-ce que vous le saviez ?

15 R. Non, je ne sais pas qui les a tuées. Tout ce que je sais, c'est ce que

16 j'ai entendu dire à l'époque, mais je ne les connaissais pas. Mon mari m'a

17 dit que cela s'était passé dans le village de Bukos. C'est tout ce que je

18 sais.

19 Q. Mais je suis un peu perdu, Madame, pourquoi est-ce que vous vous ne

20 vous êtes pas intéressée à un événement qui concernait les deux villages,

21 celui où vous habitiez et celui où vous étiez née, et c'était des meurtres.

22 Je me dirais que cela devrait être quand même être un fait très préoccupant

23 si vous appreniez cela ? Cela ne vous a pas du tout préoccupé de savoir ce

24 qui s'était passé ?

25 R. On a entendu parler de cela au journal télévisé et cela s'était passé le

26 jour d'avant. Nous, on est resté au village même après.

27 Q. Après cet événement, après cet incident survenu le 22 février 1999,

28 lorsque Mirko Milosevic a été tué, n'est-il pas vrai que la police serbe,

Page 1883

1 accompagnée de la mission MVK de l'OSCE, est venue dans le village de Bukos

2 et qu'eux aussi, ces personnalités, ces personnes, ont essuyé, elles aussi,

3 des tirs de l'UCK ? Est-ce que vous le saviez ?

4 R. Est-ce que vous dites qu'ils ont tiré sur l'OSCE ? Je n'ai pas compris.

5 Q. Oui, Madame. N'est-ce pas un fait le lendemain de cet incident dont

6 nous avons parlé, la police serbe et la mission MVK de l'OSCE sont allées

7 dans votre village à Bukos pour mener une enquête, et ce jour-là, le

8 lendemain donc, l'UCK, à l'aide de mortiers et d'armes d'infanterie, a tiré

9 sur, d'abord, la police serbe, a blessé cinq membres de la police serbe et

10 un journaliste de l'Associated Press, et après a tiré sur un véhicule de

11 l'OSCE qui se trouvait dans le village de Bukos ?

12 R. Je ne sais pas.

13 Q. Bien. N'est-ce pas un fait, Madame, vous dites que vous avez quitté

14 votre village de Bukos dans la nuit du 22, mais, en fait, lors du procès

15 Milosevic, n'avez-vous pas déclaré à la page 4 584 du compte rendu

16 d'audience, lignes 19 [comme interprété] à 25, et là je vous cite d'abord

17 la question :

18 "Cela s'est passé le 22 février. C'est ce jour-là que ces deux

19 hommes, la mort des deux, et les villageois, le lendemain, c'est-à-dire que

20 la Mission de vérification de Kosovo était dans le village le lendemain et

21 l'UCK a tiré aussi sur ces gens-là. Est-ce que vous avez entendu cela ?

22 Est-ce que vous avez entendu le bruit de ces tirs dans votre village, le 22

23 et le 23 février ?"

24 Voici votre réponse : "Le 22 février dans la soirée, nous avons quitté la

25 maison parce qu'il y avait des combats dans le village. Il y avait des

26 forces dans le village, mais on ne savait pas ce qui se passait."

27 Je vous demande ceci : est-ce qu'en fait vous avez quitté votre village de

28 Bukos le 22 février à cause des activités de l'UCK, activités dirigées

Page 1884

1 contre d'abord des civils le 22, le 23, la police serbe, le journaliste de

2 l'Associated Press et l'OSCE ? Est-ce que ce n'est pas pour cela que vous

3 êtes partie le 22 février, à cause de l'anarchie, du chaos qui régnait

4 suite à l'attaque de l'UCK ?

5 R. Nous ne savions pas qui tirait sur qui ce jour-là. Nous sommes partis

6 avec les enfants. Les hommes sont restés, mais le lendemain, l'armée serbe

7 a forcé les hommes à partir.

8 Q. J'aimerais vous poser une autre question : avant ce jour-là, n'est-il

9 pas vrai qu'il y a de nombreux Albanais de souche qui sont restés dans le

10 village de Bukos ?

11 R. Les gens qui vivaient près de l'endroit où je vivais sont partis. Je ne

12 sais pas ce qu'il en est des personnes qui habitaient un peu plus loin.

13 Q. Est-ce que vous connaissez un homme qui répond au nom de Hamil Pllana,

14 qui était un résident du village de Bukos en 1999 ?

15 R. Hamil Pllana; non, non, je ne le connais pas. Je n'ai jamais entendu ce

16 prénom auparavant; Hamil.

17 Q. Très bien. Est-ce que vous savez que le 4 avril 1999, il a été indiqué

18 - et cela fait l'objet d'un rapport - que cette personne qui était albanais

19 de souche a été tuée par l'UCK dans votre village de Bukos ?

20 R. Il se peut qu'il ait été tué. Je ne sais absolument rien à ce sujet.

21 Q. Est-ce que dans la zone où vous habitez il n'était pas de notoriété

22 publique que l'UCK participait à des attaques violentes menées à la fois

23 contre les civils serbes et contre les civils albanais ?

24 R. Nos maisons n'ont pas été attaquées. Je ne sais pas ce qu'il en est

25 d'autres maisons et d'autres personnes.

26 Q. Est-ce que vous n'avez jamais été informée d'actes de représailles

27 menés à bien par l'UCK contre des résidents albanais de souche du Kosovo

28 qui avaient coopéré avec le gouvernement serbe ou qui rejetaient la voie

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1 militante empruntée par l'UCK ?

2 R. Peut-être qu'ils les ont attaqués. Je ne le réfute pas. Je vous ai dit

3 que je n'en sais rien. Mais même s'ils les avaient attaqués, je pense

4 qu'ils le méritaient, parce que pourquoi est-ce qu'ils devaient nous

5 espionner ? Pourquoi est-ce qu'ils devaient donner des informations, des

6 renseignements à l'ennemi alors que nous, nous étions tués ?

7 Q. Est-ce que cela signifie, Madame, que vous avez une impression négative

8 des Albanais de souche qui rejetaient la voie militante empruntée par l'UCK

9 et qui ont choisi de coopérer avec l'Etat du pays dans lequel ils

10 habitaient ?

11 R. Ils nous tuaient tous, et là vous ne parlez d'une personne qui a été

12 tuée. Ce que vous mentionnez ici, il se peut que cela se soit passé, mais

13 c'est à cause d'eux que nous avons été tués, à cause des gens qui

14 espionnaient.

15 Q. Est-ce qu'il y a eu un retour de bâton contre ces Albanais, les

16 Albanais qui respectaient le droit de l'Etat serbe et qui coopéraient avec

17 le droit qui respectait les législations de l'Etat serbe ? Je pense à ce

18 retour de bâton de la part -- ou plutôt, contre les Albanais du Kosovo qui

19 se trouvaient dans votre région, puisque c'est -- si ce n'est pas vraiment

20 le seul endroit ou la seule région à propos de laquelle je peux vous poser

21 une question.

22 R. Je ne sais pas s'il y a eu des conséquences.

23 Q. Très bien.

24 M. IVETIC : [interprétation] Mesdames, Messieurs les Juges, je pense que

25 j'ai épuisé toutes les questions que j'avais l'intention de poser beaucoup

26 plus rapidement que prévu, d'ailleurs.

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Je vous remercie, Maître Ivetic.

28 [La Chambre de première instance se concerte]

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1 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame Carter.

2 Mme CARTER : [interprétation] Je serai très brève, Monsieur le Président.

3 Je voulais juste attirer l'attention de la Chambre sur le fait qu'il y a eu

4 pendant mon interrogatoire une question qui a été posée, une discussion qui

5 s'en est suivie à propos de ce qui s'est passé le 22 février 1999. D'aucuns

6 se sont demandés si ce témoin apporte de nouveaux éléments de preuve dont

7 n'étaient pas au courant les conseils de la Défense. Comme cela a été

8 indiqué, à juste titre, par Me Lukic aujourd'hui, le 22 février était

9 mentionné par les documents qui étaient détenus par les conseils de la

10 Défense. Le conseil a indiqué à tort qu'il en avait entendu pour la

11 première fois parler lors de la séance de récolement ou à propos de la

12 séance de récolement. Toutefois, le conseil de la Défense ne peut pas dire

13 qu'il a été pris au dépourvu parce que cela faisait partie des

14 renseignements donnés par ce témoin.

15 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] C'est à Me Ivetic que vous faites

16 référence. De quelle page s'agit-il ? Parce qu'il s'agit d'une référence

17 qui a été faite au compte rendu d'audience de l'affaire Milosevic pour le

18 22 février.

19 Mme CARTER : [interprétation] Oui, il s'agit de la page 4 584. La question

20 commence à la page 18. M. Milosevic est en train d'indiquer qu'il y avait

21 des combats de l'UCK dans le village à ce moment-là. Le témoin a indiqué à

22 ce moment-là : "Nous avons quitté notre maison parce qu'il y avait des

23 combats dans le village et qu'il y avait des forces là, mais nous, nous ne

24 savions pas ce qui se passait."

25 M. IVETIC : [interprétation] Est-ce qu'il s'agit de questions

26 supplémentaires ?

27 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Non, non. Il s'agit d'une précision,

28 précision par rapport à la discussion qui a eu lieu. C'est le Procureur qui

Page 1887

1 précise son point de vue à propos de la discussion que nous avons eu à

2 propos de ce qui avait été communiqué ou non communiqué.

3 Mais avez-vous d'autres questions supplémentaires ?

4 Mme CARTER : [interprétation] Non, mais je voulais prouver que nous sommes

5 tout à fait transparents et que nous avons tous les renseignements qu'on

6 nous demande, et que nous les avons fournis ces renseignements, dès que

7 nous les avons.

8 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Oui, mais ce qui me semble fort

9 fâcheux, c'est que vous avez le témoin qui amène ces éléments de preuve et

10 il n'y a aucun effort qui est fait pour compiler tous les renseignements et

11 les présenter au témoin avant que le procès ne commence. Vous savez

12 pertinemment que j'ai déployé des efforts pour essayer que cela soit fait,

13 et ces efforts ont été voués à l'échec. Le fait est que, dans cette

14 affaire, il y a maintenant deux témoins et c'est l'un des enseignements que

15 nous devons tirer parce que nous avons deux témoins -- ce que j'entends

16 c'est qu'un témoin peut avoir l'impression que ce qu'il a dit n'a pas été

17 bien présenté, ou parfois peut avoir l'impression que cela est contesté de

18 façon injuste, et seulement du fait de la façon dont les documents et les

19 renseignements ont été compilés.

20 Ceci étant dit, nous reconnaissons cela et nous devons véritablement

21 utiliser à bon escient ce que nous recevons. C'est ce que nous essayons de

22 faire. Mais il n'est pas trop tard pour que si vous le pouvez, il serait

23 judicieux de parler au témoin le plus rapidement possible pour pouvoir

24 donner à tout un chacun la toute dernière version mise à jour, et ce, le

25 plus tôt possible.

26 M. LE JUGE CHOWHAN : [interprétation] Et j'espère que vous n'allez pas

27 décevoir Lord Bonomy à ce sujet, parce que cela serait véritablement et

28 extrêmement utile parce qu'il y a de nombreuses choses que nous essayons de

Page 1888

1 comprendre, et parfois cela donne lieu à des escarmouches. Donc j'espère en

2 fait que vous n'allez pas à nouveau décevoir Lord Bonomy.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Madame, Rrahmani, votre déposition est

4 arrivée à terme. J'espère que c'est la dernière fois que vous devez venir

5 ici, et je suppose que ce sera la dernière fois. Mais je vous remercie

6 d'être revenue à La Haye pour faire votre déposition, et vous pouvez

7 maintenant disposer.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie beaucoup.

9 [La Chambre de première instance et le Juriste se concertent]

10 [Le témoin se retire]

11 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Alors, je suis en train de vérifier

12 s'il n'y pas possibilité de siéger demain matin. Mais, d'après ce que je

13 comprends, cela n'est possible, donc nous allons lever l'audience et

14 reprendrons à 14 heures 15, demain.

15 --- L'audience est levée à 18 heures 40 et reprendra le vendredi 18 août

16 2006, à 14 heures 15.

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