Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 14 mars 2013

  2   [Audience d'appel]

  3   [Audience publique]

  4   [Les appelants sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 9 heures 29.

  6   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous.

  7   Madame la Greffière d'audience, veuillez citer l'affaire, je vous prie.

  8   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges.

  9   Il s'agit de l'affaire IT-05-87-A, le Procureur contre Nikola Sainovic,

 10   Nebojsa Pavkovic, Vladimir Lazarevic et Sreten Lukic.

 11   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 12   Comme je l'ai déjà indiqué, si l'une ou l'autre des parties n'est pas en

 13   mesure de suivre l'audience, je leur demande de bien vouloir attirer mon

 14   attention sur ce fait immédiatement. Je souhaiterais que les parties se

 15   présentent, en commençant par l'Accusation.

 16   M. KREMER : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Ce

 17   matin, je suis donc présent, je suis accompagné de Mme Daniela Kravetz et

 18   de M. Kyle Wood, et nous sommes, comme d'habitude, aidés par notre commis

 19   aux affaires, M. Colin Nawrot.

 20   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 21   Qu'en est-il de la Défense.

 22   M. FILA : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour, Madame,

 23   Messieurs les Juges. Je suis Me Toma Fila, et accompagné de Me Petrovic, je

 24   représente la Défense de M. Sainovic.

 25   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

 26   M. ACKERMAN : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Me

 27   John Ackerman, et avec Me Aleksandar Aleksic, nous représentons le général

 28   Pavkovic.

 


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  1   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

  2   M. BAKRAC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Je suis

  3   Me Mihajlo Bakrac. Pour la Défense du général Lazarevic, je suis présent

  4   ici avec mon confrère, Me Cepic, et notre stagiaire, M. Milan Petrovic.

  5   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie.

  6   M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Me Branko

  7   Lukic et Me Dan Ivetic pour représenter M. Sreten Lukic.

  8   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je vous remercie. Nous allons entendre

  9   aujourd'hui les arguments présentés par les conseils de M. Lukic.

 10   M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Je répète

 11   mon nom, Me Branko Lukic, je suis le conseil principal de M. Sreten Lukic.

 12   Et je souhaiterais en guise d'introduction vous dire que nous allons nous

 13   concentrer sur les cinq questions que vous nous avez posées, et nous allons

 14   intégrer nos réponses aux arguments que nous présentons pour étayer notre

 15   appel. Je souhaite vous indiquer que nous allons ainsi répondre aux cinq

 16   questions. J'aimerais dans un premier temps vous indiquer que ce jugement a

 17   condamné M. Lukic et lui a imposé une peine particulièrement dure de 22

 18   années, ce qui est assez surprenant lorsque le même jugement le dégage de

 19   nombreuses responsabilités.

 20   Au Volume III, par exemple, paragraphe 85, il est démontré qu'il ne faisait

 21   pas partie du cercle d'intimes de Milosevic et que, de ce fait, il n'avait

 22   pas été promu à ce cercle d'intimes.

 23   Au paragraphe 1 072 du Volume III, il est démontré en fait qu'il n'a pas

 24   participé ou qu'il n'a pas été partie prenante aux violations de accords

 25   d'octobre.

 26   Dans le paragraphe 1 015 du Volume III, il est démontré que ce n'est pas

 27   lui qui est responsable du travail effectué par la RDB, donc les éléments

 28   du MUP qui font partie de la Sûreté d'Etat, même si le document principal,


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  1   le document P1505, cité par la Chambre, document sur lequel la Chambre

  2   s'est appuyée pendant tout le jugement, lorsque vous avez la liste du

  3   personnel de la RDB, ils sont indiqués comme étant subordonnés à M. Lukic.

  4   Dans le paragraphe 1 075 du Volume III, il est démontré que M. Lukic

  5   n'avait pas l'autorité sur les postes de la police frontalière.

  6   Au paragraphe 1 051 du Volume III, il est démontré que Lukic n'a pas

  7   remplacé Obrad Stevanovic ou Vlastimir Djordjevic ou aucun des officiers

  8   supérieurs de la police.

  9   Au paragraphe 1 113 du Volume III, il est démontré que M. Lukic n'a pas

 10   participé à cette tentative clandestine visant à transporter et à

 11   dissimuler les corps et les cadavres du Kosovo.

 12   Au paragraphe 1 021 du Volume III, il est confirmé que Lukic n'a pas

 13   participé à la rédaction du plan global visant la suppression du

 14   terrorisme.

 15   Au paragraphe 1 049 du Volume III, il est conclu que Lukic ne pouvait pas

 16   entamer ou diligenter des mesures ou des actions disciplinaires contre les

 17   membres du MUP.

 18   Et au paragraphe 1 122 du Volume III, il est démontré qu'il n'y avait pas

 19   de volontaires opérant au sein du MUP.

 20   Outre ces facteurs qui ont été déterminés par la Chambre de première

 21   instance, nous souhaitons attirer votre attention sur le fait qu'il y a eu

 22   trois phases principales en 1998 et 1999, et chacune de ces phases était

 23   différente des autres. La première phase est constituée par les actions

 24   antiterroristes en 1998. Lors de cette période, à la fois le chef de la

 25   sécurité publique et le ministre adjoint Djordjevic, tout comme le ministre

 26   assistant et le commandant des PJP, Obrad Stevanovic, se trouvaient au

 27   Kosovo pendant toute cette phase. Cette phase est suivie par la phase des

 28   accords de paix en 1998 et 1999, accords de paix qui furent signés. La


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  1   troisième phase commence avec les bombardements de l'OTAN. Il faut savoir

  2   que le cadre factuel et juridique a changé. Et l'Accusation et le jugement

  3   ne prennent pas en considération ces différentes phases et aboutissent, de

  4   ce fait, à des conclusions juridiques qui ne sont pas exactes. Car tout un

  5   chacun doté de logique sait que les guerres entraînent dans leur sillage de

  6   nouvelles circonstances et de nouvelles législations.

  7   Qui plus est, pendant cette période le ministre assistant, Obrad

  8   Stevanovic, commandant des PJP, s'est rendu au Kosovo, et ce, immédiatement

  9   après le début des bombardements de l'OTAN. Il est arrivé au Kosovo avec

 10   des unités des PJP et il y est resté pendant toute la durée de cette phase.

 11   Il y a signé l'accord de Kumanovo et fut, en quelque sorte, le dernier

 12   policier à quitter le Kosovo lorsqu'ils se sont retirés.

 13   Je souhaiterais maintenant répondre à la première question que vous

 14   nous avez posée avant de donner la parole à mon co-conseil, Me Ivetic. La

 15   question était comme suit : quelle serait la conséquence pour l'appel de M.

 16   Lukic eu égard à ses déclarations de culpabilité pour la troisième

 17   catégorie de l'entreprise criminelle commune si la Chambre d'appel venait à

 18   accepter l'argument présenté par l'Accusation, à savoir que la Chambre de

 19   première instance avait utilisé un critère inexact pour la mens rea pour

 20   déterminer la responsabilité au titre de la troisième catégorie de

 21   l'entreprise criminelle commune.

 22   Donc nous n'avons pas oublié cette question, et nous savons que

 23   d'autres ont déjà répondu avant nous à cette question, et de ce fait nous

 24   serons brefs. Mais nous ne pensons pas que l'appel interjeté par

 25   l'Accusation à propos du critère utilisé pour déterminer la mens rea dans

 26   le cadre de la troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune aura

 27   une incidence sur notre appel. Nous pensons que notre client a été condamné

 28   à tort, quel que soit le critère retenu, et nous pensons que les faits qui


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  1   sous-tendent les éléments de preuve étayent une demande d'acquittement pour

  2   les deux critères.

  3   Nous avançons que lorsque vous aurez analysé notre intervention, nos

  4   arguments, vous verrez que le jugement est truffé d'erreurs et n'est

  5   absolument pas indéfendable. Ce jugement se désagrège, se désintègre, si on

  6   commence à l'analyser. C'est un jugement qui se prête à de nombreuses

  7   contestations, et nous pensons que votre intervention est absolument

  8   requise pour éviter une erreur judiciaire particulièrement grave.

  9   Et j'aimerais maintenant donner la parole à mon co-conseil.

 10   M. IVETIC : [interprétation] Bonjour, Madame, Messieurs les Juges. Et je

 11   rappelle pour le compte rendu d'audience que je suis Me Ivetic.

 12   Vous nous avez posé une question à propos des éléments de preuve et vous

 13   nous avez demandé d'analyser les éléments de preuve relatifs à la

 14   participation de Sreten Lukic pour ce qui est du désarmement de la

 15   population albanaise du Kosovo. Et, à cet égard, il faut indiquer que dans

 16   le Volume III, qui traite justement de la responsabilité individuelle de M.

 17   Lukic, la Chambre de première instance n'a pas analysé les éléments de

 18   preuve relatifs à ce désarmement. Et au lieu de cela, ce n'est qu'au

 19   paragraphe 666 du Volume III, alors qu'il s'agit d'un autre appelant, que

 20   la Chambre de première instance avance que ce processus de désarmement se

 21   faisait pour réaliser les objectifs de l'entreprise criminelle commune. Qui

 22   plus est, au paragraphe 668, le jugement indique tout simplement que :

 23   "Le MUP a effectué la tâche de désarmement des Albanais du Kosovo à

 24   l'intérieur de la province, Pavkovic a ordonné que le Corps de Pristina

 25   s'occupe de cela au niveau de la zone frontalière."

 26   Il n'y a aucune citation renvoyant aux éléments de preuve ou à l'analyse

 27   des éléments de preuve qui permettent de comprendre sur quoi se fonde cette

 28   affirmation à propos du MUP. Hormis le document P1468, qui sont des notes


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  1   prises lors d'une réunion où Pavkovic suggère que le MUP devrait justement

  2   s'occuper de cette tâche, et la réponse de M. Lukic est notée en anglais.

  3   Elle est quasiment illisible. Alors, ce n'est pas le genre d'élément de

  4   preuve qui permet d'étayer une déclaration de culpabilité. On ne peut pas

  5   en déduire que le désarmement dont il a été question lors de cette réunion

  6   ait jamais eu lieu ou que Lukic ait été partie prenante.

  7   L'original B/C/S confirme tout simplement que la réponse de Sreten Lukic

  8   vise la reddition volontaire d'armes.

  9   Il faut savoir qu'aucun élément de preuve n'est analysé pour M. Sreten

 10   Lukic, et en dépit de cela, dans le Volume III toujours, au paragraphe 1

 11   121, la Chambre conclut :

 12   "En 1998, Sreten Lukic a participé activement … au désarmement de la

 13   population albanaise du Kosovo dans des villages et des villes de la

 14   province."

 15   Mais une fois de plus, la Chambre ne cite aucun élément de preuve et

 16   ne les analyse pas non plus. Si vous prenez en considération les éléments

 17   de preuve, vous vous rendrez compte qu'il y a des distinctions importantes

 18   qui doivent être dégagées.

 19   Je commencerais par demander à la Chambre d'avoir l'amabilité de se

 20   concentrer sur le type de désarmement dont il est question. Car bien avant

 21   le début du conflit au Kosovo, et très certainement au moins depuis l'année

 22   1992, existait en Serbie, notamment également pour la province du Kosovo,

 23   une Loi relative aux armes et aux munitions. L'article 33 de cette loi

 24   interdisait aux civils de posséder des types illicites d'armes, et des

 25   sanctions étaient envisagées en cas de possession d'armes. J'en veux pour

 26   preuve le document P1016, et plus précisément, la page 119 de ce document.

 27   C'est une loi qui a été appliquée de façon absolument uniforme à

 28   toute la Serbie et il ne peut pas être dit de cette loi qu'elle était


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  1   discriminatoire. On ne peut pas non plus dire que Sreten Lukic ait eu un

  2   rôle lors de la promulgation de cette loi. De toute façon, c'est une loi

  3   qui est tout à fait raisonnable et qui a un sens. Et je me hasarde même à

  4   dire que la plupart des pays ont ce type de loi et que dans la plupart de

  5   ces pays il incombe à la police de veiller au respect de cette loi.

  6   Pour ce qui est de cette loi précise, le ministre des Affaires

  7   intérieures énonce les modalités d'application de cette loi. Ce n'est pas

  8   Sreten Lukic qui le fait. D'ailleurs, les éléments de preuve montrent qu'en

  9   1996, bien avant la période couverte par l'acte d'accusation, le ministre a

 10   donné des consignes relatives au travail des organes des affaires

 11   intérieures au sein du secteur de la sécurité publique. Qui fait l'objet du

 12   document P1239. Le chapitre II de ce document indique, et il s'agit de la

 13   dix-septième mesure : prévention et détection de possession d'armes,

 14   détection et confiscation d'armes détenues sans permis de port d'armes.

 15   Comme nous l'avons également vu dans les éléments de preuve, nous

 16   voyons que les SUP, ou encore les secrétariats du ministère de l'Intérieur,

 17   de toute la Serbie ont mis au point des plans pour leur fonctionnement, et

 18   ce, bon an, mal an, et il y avait entre autres des missions dont le but

 19   était de faire respecter cette loi, entre autres. L'exemple de ce type de

 20   plan est la pièce P1074. Il est absolument manifeste à la lecture de cette

 21   pièce que Sreten Lukic n'a eu aucun rôle, ni pour ce qui est de la mise en

 22   application de cette loi, ni pour ce qui est de la promulgation des

 23   consignes visant la mise en application cette loi, ni pour ce qui est de la

 24   planification et de la façon dont les SUP étaient censés faire en sorte que

 25   la loi soit respectée.

 26   Si nous prenons l'année 1998, nous voyons qu'à l'époque les éléments

 27   de preuve montrent que dans le cadre des efforts visant à minimiser les

 28   tensions, une amnistie avait été déclarée par les organes du gouvernement


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  1   de la Serbie et des organes provinciaux du Kosovo, où il était demandé aux

  2   citoyens qui avaient été contraints de prendre des armes illégales par

  3   l'ALK de les rendre volontairement sans pour autant pâtir des conséquences

  4   juridiques qu'ils auraient subies si la loi était appliquée. Le jugement

  5   établit un lien avec Veljko Odalovic au paragraphe 70 du Volume III, mais

  6   les éléments de preuve, plus précisément la pièce P908 et son article 5,

  7   paragraphe 3, démontre que cela avait également été décrété par l'assemblée

  8   nationale de Serbie, et ce, lors du dernier trimestre de 1998, et ce, pour

  9   tout le monde.

 10   Une fois de plus, Sreten Lukic n'a joué aucun rôle lors de la promulgation

 11   de cette amnistie.

 12   Le jugement se concentre sur des rapports qui apparemment ne mentionnent

 13   pas que les armes ont été prises par le MUP. Bon, il s'agissait d'armes

 14   illégales dans le cadre de ce programme, au Volume III, paragraphe 70. Si

 15   l'on analyse les éléments de preuve, nous voyons que les documents P1198 et

 16   P1203 sont les seuls rapports où, aux pages 4 et 5 de ces deux documents

 17   respectivement, il est question de la participation du MUP qui prend et

 18   détient les armes rendues volontairement par les citoyens. Donc, au vu de

 19   ces faits, la conclusion raisonnable qui peut être dégagée est que cela

 20   s'inscrivait dans le cadre de l'amnistie et de la loi, ce que, d'ailleurs,

 21   la Chambre de première instance n'exclut pas.

 22   Alors, il est donc logique et raisonnable que les organes de police

 23   participent à la prise et à la protection de ces armes illégales qui

 24   avaient été rendues de façon tout à fait volontaire par les citoyens. C'est

 25   une tâche tout à fait normale quel que soit le pays considéré. Si nous

 26   voyons le rôle joué par Sreten Lukic dans tout cela, nous voyons qu'il

 27   s'est contenté de présenter des rapports relatifs aux statistiques, aux

 28   nombres et aux lieux où ces armes ont été rendues. J'en veux pour preuve la


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  1   pièce P1468, où nous trouvons des références directes aux armes qui ont été

  2   récupérées et prises par le MUP, après que des civils les aient rendues

  3   volontairement. Nous voyons que cela est mentionné pour le 8 août 1998, le

  4   26 août 1998, le 6 septembre 1998, le 7 septembre 1998, le 10 septembre

  5   1998, le 12 septembre 1998, le 13 septembre 1998 et le 14 septembre 1998.

  6   Toutes ces mentions correspondant à ces dates sont du fait de Lukic qui

  7   indique quelles sont les statistiques et qui indique les cas de quelques

  8   personnes ou de quelques groupes qui ont rendu volontairement des armes,

  9   dont le chiffre s'élève à un total de 200. Une fois de plus, ce n'est pas

 10   Lukic qui met en œuvre cette tâche, ce n'est pas lui qui s'occupe de la

 11   reddition des armes illégales; il se contente tout simplement de noter les

 12   statistiques et d'en faire un rapport statistique relatif aux personnes qui

 13   avaient rendu volontairement ces armes à la police. De surcroît, nous

 14   pouvons voir que ces armes étaient des armes illégales car nous voyons, par

 15   exemple, que parmi ces armes se trouvent des lance-roquettes antichars. Par

 16   conséquent, la conclusion dégagée par la Chambre de première instance à

 17   propos de ces collectes d'armes volontaires ne se fait pas en référence à

 18   des armes illégales. Il s'agit là d'une erreur.

 19   Il faut savoir également qu'on ne peut pas dire que Sreten Lukic

 20   avait la mens rea nécessaire pour aider dans le cadre d'une entreprise

 21   criminelle commune. A cet égard, il faut savoir que non seulement cette

 22   reddition volontaire d'armes était obligatoire de par la loi, mais elle

 23   s'inscrivait dans le cadre des initiatives d'"international peace".

 24   Et plus précisément, nous avons la Résolution du Conseil de sécurité

 25   des Nations Unies, la Résolution numéro 1160, en date du 31 mars 1998, qui

 26   figure à la pièce P455 et qui identifie l'ALK comme une organisation

 27   terroriste qui empêche l'achat d'armes soit par des personnes, soit par

 28   d'autres groupes au Kosovo, et ce, afin de juguler une fois pour toutes les


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  1   activités terroristes. On ne peut pas dire de cette initiative qu'elle

  2   était discriminatoire. Qui plus est, elle date de deux mois avant l'arrivée

  3   de Sreten Lukic au Kosovo.

  4   Comme nous le voyons à la page 43 du document P1468, Shaun Byrnes, le

  5   chef de la mission de la KDOM, a participé à ce processus tout à fait

  6   légal, a établi et dressé la liste des armes et des villages en question, a

  7   demandé les statistiques et les informations à Lukic, qui a fourni lesdits

  8   renseignements. Par conséquent, le plus haut représentant de la communauté

  9   internationale au Kosovo était parfaitement informé par les rapports de

 10   Sreten Lukic de cette reddition volontaire d'armes. Et cette reddition

 11   volontaire des armes allait dans l'intérêt de toutes les personnes et de

 12   toutes les parties intéressées par la paix dans cette région. C'est la

 13   seule chose que l'on peut déduire des éléments de preuve à propos de M.

 14   Sreten Lukic. Au vu de la participation de la communauté internationale

 15   dans le cadre de ces efforts et du fait que M. Byrnes avait pris en

 16   considération les rapports de Lukic, il est illogique et tout simplement

 17   indéfendable de conclure que Lukic était informé de toute entreprise

 18   criminelle qui sous-tendait ces actions.

 19   Donc, d'après ces éléments de preuve, on ne peut absolument pas en

 20   conclure que Sreten Lukic était engagé dans ce "désarmement" de la

 21   population albanaise du Kosovo et avait l'intention de réaliser les

 22   objectifs criminels de toute entreprise criminelle.

 23   Lorsque ces conclusions ont été dégagées à la suite de l'analyse de

 24   ces éléments de preuve, il est évident que la Chambre de première instance

 25   a commis une erreur, et nous demandons l'aide de cette Chambre pour

 26   rectifier ces erreurs et pour parvenir à un résultat juste. Car nous ne

 27   voulons pas envoyer au monde le message suivant lequel un policier qui se

 28   contente de dresser des statistiques de reddition volontaire d'armes, qui


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  1   étaient justement interdites par le droit interne, soutenu par une

  2   résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies et par des diplomates

  3   internationaux, devrait être considéré coupable d'un crime. Sinon, nous

  4   allons nous retrouver avec un résultat tout à fait absurde, à savoir tout

  5   quidam souhaitant rendre volontaire ses armes sera considéré coupable

  6   d'entreprise criminelle commune, tout comme le seront les membres du

  7   Conseil de sécurité qui ont demandé que dans cette zone de conflit les

  8   armes détenues illégalement soient rendues.

  9   J'aimerais en fait aborder un autre sujet, à savoir l'armement de la

 10   population non-albanaise, car dans le jugement la Chambre a toujours établi

 11   un lien entre cette activité et le processus de désarmement. Mais il ne

 12   s'agit absolument pas de la même chose.

 13   Qu'il s'agisse de collecte d'armes rendues volontairement qui sont

 14   considérées comme des armes illégales, il faut savoir que le processus

 15   d'armement ne traite absolument pas d'armes illégales. Il s'agit tout

 16   simplement d'un processus qui est tout à fait légal et qui passe par la

 17   distribution des plus légitimes d'armes à des formations de défense de

 18   réserve de l'Etat, et ce, au vu d'une guerre imminente.

 19   Le jugement lui-même conclu au paragraphe 56 du Volume III que la Chambre

 20   n'est pas en mesure de conclure que cet armement était en soit illégal mais

 21   indique que la question principale est de savoir si cela pouvait être fait

 22   en fonction des appartenances ethniques. Une fois de plus, toute

 23   participation à une activité légale en parfaite conformité avec les lois

 24   existantes ne peut pas être utilisée comme seul fondement pour conclure

 25   qu'une personne a une intention criminelle et était au courant d'une

 26   entreprise criminelle qui sous-tendait ces activités légales. Qui plus est,

 27   le jugement s'intéresse aux appartenances ethniques, ce qui est assez

 28   curieux dans la mesure où la Chambre de première instance a conclu que les


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  1   Albanais du Kosovo avaient rejeté toute participation au travail des

  2   organes d'Etat officiels. Nous pouvons voir au paragraphe 225 du Volume

  3   III, ainsi qu'aux paragraphes 226 et 297 ce que je viens d'avancer. Et au

  4   vu des éléments de preuve, la Chambre de première instance aurait pu voir

  5   que toute coopération perçue avec les autorités d'Etat de la part des

  6   Albanais du Kosovo était dénoncée comme une collaboration par l'ALK et ces

  7   personnes faisaient l'objet de représailles de la part de ce groupe

  8   criminel, cela passait par des meurtres et des assassinats. Et cela fait

  9   l'objet des paragraphes 537 à 543 de notre appel.

 10   Alors, au vu de ce que je viens d'avancer, toute tentative de distribution

 11   d'armes à des réservistes d'appartenance ethnique albanaise n'aurait suivi

 12   aucune logique. C'est ce que la Chambre a choisi de ne pas prendre en

 13   considération et ce qui est une erreur.

 14   Bien qu'il est question dans le jugement d'un processus d'armement secret -

 15   paragraphes 52, 64, 72, entre autres, du Volume III - il n'y a aucun

 16   élément de preuve indiquant que Lukic ait participé à ce processus

 17   clandestin. Et d'ailleurs, la première et la seule fois où ce terme de

 18   secret apparaît dans le jugement, et est utilisé pour déterminer la

 19   participation de Sreten Lukic, se trouve au paragraphe 1 121 du Volume III,

 20   où il est dégagé des conclusions à propos de sa responsabilité pénale. Les

 21   paragraphes précédents, 1 060, 1 067 et 1 071, font état d'éléments de

 22   preuve qui n'ont rien à voir avec l'armement secret de civils, mais plutôt

 23   avec l'armement de formations de police de réserve, des unités de la

 24   protection civile et des réservistes de l'armée conformément à ce qui était

 25   prévu par l'Etat. L'armement de ces formations de défense doit être compris

 26   et placé dans le contexte plus général des événements de l'époque. L'ALK

 27   augmentait l'intensité de ses attaques terroristes à l'époque, et il y

 28   avait la possibilité que l'OTAN se mette à attaquer la Yougoslavie, ce qui


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  1   fait que les formations de défense de réserve devaient devenir actives. Il

  2   n'y a aucune connotation d'entreprise criminelle commune.

  3   La Chambre n'a pas considéré les éléments de preuve suivant lesquels

  4   le Conseil suprême de la Défense a donné un ordre le 21 mai 1998 pour que

  5   les réservistes soient armés justement et que Lukic n'a eu aucun rôle lors

  6   de cette prise de décision, décision qui émanait du plus haut organe de

  7   l'Etat, mais Lukic était tenu de respecter cette décision, de la mettre en

  8   œuvre à partir du moment où le ministre Stojiljkovic a donné des consignes

  9   pour engager les forces de réserve de la police en juillet [comme

 10   interprété] 1998. Ce type d'action était tout à fait conforme à la Loi

 11   relative à la défense, pièce P985, ainsi qu'à la Loi sur les affaires

 12   intérieures, article 28 de la pièce P1737. Par conséquent, la Chambre de

 13   première instance a commis une erreur en concluant que la seule conclusion

 14   raisonnable que l'on pouvait dégager des éléments de preuve était que Lukic

 15   était informé de l'intention criminelle qui sous-tendait l'armement des

 16   réservistes et qu'il partageait cette intention criminelle.

 17   J'aimerais maintenant répondre à la troisième question posée par la

 18   Chambre, à savoir la question si l'actus reus et la mens rea pour une

 19   membre de l'entreprise criminelle commune peuvent préexister à l'objectif

 20   commun de l'entreprise criminelle commune. Bref, notre réponse serait par

 21   la négative. La jurisprudence du Tribunal est claire, elle affirme de

 22   manière continue que l'objectif commun de l'entreprise criminelle commune

 23   ne doit pas nécessairement être articulée précédemment, mais peut se

 24   matérialiser en même temps. Toutefois, la réserve logique de cette

 25   conclusion consiste à dire que la matérialisation de l'objectif commun, à

 26   savoir sa manifestation dans la sphère publique, n'est pas la même chose

 27   que sa préexistence, qui reste la condition préalable de l'existence de

 28   l'entreprise criminelle de la première catégorie.


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  1   Une personne qui a été accusée de participer à l'entreprise

  2   criminelle commune de catégorie I doit agir dans la mise en œuvre de

  3   l'objectif commun, et ce, par le biais des actes qui sont dirigés vers la

  4   réalisation de cette même entreprise criminelle commune. Je vous renvoie

  5   aux arrêts Kvocka et Vasiljevic, paragraphe 187 pour le premier, et 102

  6   pour le second.

  7   La Défense ne peut pas accepter que tant l'actus reus que la mens rea

  8   de l'entreprise criminelle commune de première catégorie peuvent se

  9   réaliser avant l'existence de l'objectif commun puisque cela reviendrait à

 10   accepter que l'entreprise criminelle commune de première catégorie

 11   s'appliquerait de manière étendue et abusive à toute personne qui aurait

 12   agi sans aucune connaissance et sans aucune intention de réaliser quelque

 13   chose qui simplement n'a pas existé au moment où la personne a agi. 

 14   Si l'Accusation ne présente pas d'éléments de preuve qui peuvent

 15   uniquement être interprétés par la Chambre comme démontrant l'existence de

 16   l'objectif commun de l'entreprise criminelle commune, alors la Chambre de

 17   première instance ne doit pas interpréter le reste des éléments de preuve à

 18   des fins de construire l'existence de l'objectif commun, puisque cela

 19   donnerait lieu à une erreur de la part de la Chambre dans la détermination

 20   des faits au préjudice de l'accusé.

 21   La Défense attire l'attention de la Chambre aux conclusions de la

 22   Chambre d'appel dans l'arrêt d'appel Gotovina lorsqu'il s'agit de

 23   déterminer que la Chambre de première instance a commis une erreur en

 24   constatant l'existence de l'entreprise criminelle commune de première

 25   catégorie par l'interprétation des éléments de preuve concernant la phase

 26   de planification de l'attaque à la lumière des événements qui se sont

 27   produits par la suite après l'attaque et la caractérisation de cela par la

 28   Chambre comme ayant été illégal. Je vous renvoie au paragraphe 93 de cet


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  1   arrêt. Eh bien, dans ce cas, la Chambre d'appel s'est penchée sur une

  2   erreur commise par la Chambre de première instance et a conclu que hors

  3   contexte rétroactif erroné, il n'était pas raisonnable de constater que la

  4   seule interprétation possible des transcriptions de Brioni impliquait

  5   l'entreprise criminelle commune visant à déplacer par la force les civils

  6   serbes. La Chambre d'appel a souligné de nombreuses raisons légitimes pour

  7   lesquelles les civils auraient pu quitter une zone de combat, y compris un

  8   consensus légal visant à aider les civils à quitter une zone de conflits

  9   pour réduire les pertes et un avantage militaire légitime ainsi que des

 10   opérations de combat légitimes. L'erreur dans Gotovina a été réparée par le

 11   prononcé de l'acquittement. Nous affirmons qu'une analyse analogue doit

 12   s'appliquer ici, ainsi qu'un remède analogue.

 13   Je passe maintenant à la quatrième question posée par la Chambre, où

 14   vous avez demandé dans quelles circonstances la mens rea au titre de

 15   l'entreprise criminelle commune de la première catégorie pour expulsion et

 16   transfert forcé peut être déduite de la connaissance de l'accusé des crimes

 17   commis en 1998, y compris les crimes autres qu'expulsions et transferts

 18   forcés.

 19   Notre réponse, en bref, serait que la mens rea ne peut pas être

 20   déduite de la connaissance d'autres crimes en 1998, qui ne sont pas les

 21   mêmes que ceux de 1999 pour lesquels l'appelant a été déclaré coupable.

 22   Premièrement, je me pencherai sur notre argument juridique, et puis

 23   j'appliquerai cela aux faits pertinents pour démontrer l'erreur commise par

 24   une telle attitude, au moins pour ce qui est de M. Lukic.

 25   La jurisprudence de la Chambre est tout à fait claire sur le fait que

 26   les membres d'une entreprise criminelle commune de première catégorie

 27   doivent partager la même intention criminelle - je vous renvoie au

 28   paragraphe 84 de Brdjanin [comme interprété], ainsi qu'au paragraphe 101 du


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  1   jugement Vasiljevic - le plan commun a été exécuté avec l'intention de

  2   commettre un crime spécifique. Et nous voyons dans l'arrêt Stakic,

  3   paragraphe 65, et dans le paragraphe 101 de l'arrêt Vasiljevic cette

  4   approche. Entre autres, dans ces paragraphes-là.

  5   Dans ce sens, la Défense estime que la simple connaissance des crimes

  6   précédents ne suffit pas à déduire la mens rea au titre de l'entreprise

  7   criminelle commune de première catégorie, puisque cette connaissance du

  8   transfert forcé et des expulsions n'a pas été démontré comme ayant été la

  9   seule conclusion raisonnable pour constater l'existence de l'intention

 10   criminelle afin de réaliser l'objectif criminel commun.

 11   Aucun poids n'a été donné au fait qu'en tant qu'agent de la police du

 12   MUP, les allégations des crimes potentiels qui auraient été commis par des

 13   auteurs connus ou pas connus faisaient partie des fonctions de Lukic en

 14   tant que policier, mais simplement demander son attention pour vérifier si

 15   d'autres organes étaient en train d'enquêter conformément à la loi. La

 16   simple connaissance des crimes non confirmés ne mène pas nécessairement à

 17   la conclusion que Lukic savait qu'il y avait un objectif criminel commun

 18   qui a présidé à ces crimes, que leur commission avait pour intention de

 19   réaliser l'objectif criminel commun et que c'est de manière délibérée qu'il

 20   a décidé de rejoindre cette entreprise criminelle commune en partageant cet

 21   objectif à l'avenir.

 22   La connaissance d'autres types de crimes qui n'ont pas de lien

 23   apparent avec le plan allégué serbe de contrôler le Kosovo par le biais du

 24   déplacement forcé de la population albanaise, tels qu'assassinat, agression

 25   sexuelle, et cetera, faisait partie de l'enquête dans le cadre des

 26   fonctions normales de la police, comme c'est le cas de par le monde, et ne

 27   montre pas l'intention de réaliser un crime autre, à savoir le transfert

 28   forcé, ni de prendre part à cette politique criminelle de contrôle. Cela


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  1   est particulièrement vrai lorsque la connaissance de l'accusé s'accompagne

  2   d'assurance que les autorités pertinentes et compétentes sont en train de

  3   mener des enquêtes afin de préserver les éléments de preuve, identifier et

  4   appréhender les auteurs.

  5   Nous pensons que la connaissance d'un policier que certains crimes

  6   ont été commis ne peut pas constituer le seul fondement pour conclure qu'il

  7   y a mens rea au titre de l'entreprise criminelle commune, parce que dans ce

  8   cas-là tout policier où que ce soit au monde, ipso facto, serait coupable

  9   de prendre part à l'entreprise criminelle commune simplement en faisant son

 10   travail en tant que policier qui participe à l'enquête portant sur des

 11   crimes commis.

 12   En l'espèce, les éléments de preuve sont clairs, il n'y a pas de mens

 13   rea qui peut être déduite des incidents et des crimes de 1998 qui

 14   imposerait comme seule conclusion raisonnable le fait que le crime

 15   d'expulsion et le transfert forcé ont constitué partie intégrante de

 16   l'entreprise criminelle commune, qu'ils étaient en cours et que Lukic avait

 17   l'intention de participer à cela en 1999.

 18   La seule instance de meurtre sur laquelle s'est appuyé le jugement

 19   date de 1998 comme ayant été la notification à l'appelant, eh bien, c'était

 20   Gornje Obrinje, paragraphe 1 134, Volume III, et la Chambre a déclaré que

 21   c'était l'élément-clé montrant que Lukic savait que la police allait

 22   commettre des crimes si on l'employait de nouveau en 1999.

 23   Mais pas un seul élément de preuve ne démontre qu'il y a eu meurtre à

 24   Gornje Obrinje ou que Lukic, en tant que policier, aurait pu considérer que

 25   ce meurtre a été avéré ainsi que l'identité des auteurs avait été constaté.

 26   "Human Rights Watch" a publié son travail sur Gornje Obrinje en 1999

 27   uniquement - paragraphe 900 du Volume I du jugement - et il n'y a pas

 28   d'élément de preuve démontrant que cela a été envoyé à Lukic avant ou


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  1   pendant la guerre. De même, on ne peut pas considérer que cela constitue

  2   une preuve de la commission d'un crime; il s'agit plutôt d'indice de ce

  3   qu'il aurait fallu vérifier. Alors, le rapport de Pavkovic maintenant, il

  4   s'agit d'un rapport qui se fonde sur un récit non confirmé fourni par ces

  5   organes de sécurité, P1440, pour ce qui est de Gornji Obrinje. Là encore,

  6   il s'agit d'un rapport interne à la VJ qui n'a pas été porté à la

  7   connaissance de Lukic.

  8   Ce que Lukic savait a été démontré par la réunion qui fait l'objet du

  9   document 6D803, qui parle de rumeurs d'un crime à Gornje Obrinje et des

 10   difficultés qui ont été rencontrées lorsqu'on a essayé de confirmer les

 11   éléments d'information et de mener à bien une enquête. Au titre de cette

 12   réunion d'octobre 1998, nous voyons que Lukic a été informé par la sécurité

 13   d'Etat de la presse albanaise qui était en train de publier des récits très

 14   fracassants sur Gornje Obrinje, ce qui a été caractérisé par la sécurité

 15   d'Etat comme constituant une propagande sans fondement. Et c'est au titre

 16   de ce même scénario que l'on a prononcé l'acquittement du président

 17   Milutinovic.

 18   La police mène des enquêtes sur des faits et elle ne s'intéresse pas aux

 19   rumeurs, il est donc important de se pencher sur ce qui a été constaté pour

 20   Gornje Obrinje. Des diplomates internationaux ont essayé d'enquêter, comme

 21   Jan Kickert, et n'ont pas pu confirmer qu'un crime s'est produit. Au

 22   paragraphe 910 du jugement du Volume I, c'est ce qui se trouve confirmé.

 23   Kickert a déposé au procès, il a parlé de ses connaissances directes des

 24   efforts déployés pour mener à bien une enquête sur les lieux par la juge

 25   d'instruction serbe; même paragraphe. Nous avons les éléments de preuve

 26   démontrant que la juge d'instruction, le Témoin Marinkovic, page du compte

 27   rendu d'audience 23 526, confirme que le MUP serbe a essayé de sécuriser

 28   les lieux pour lui apporter son aide dans le cadre de l'enquête, mais que


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  1   l'enquête a été empêchée par des menaces venues de l'ALK. Donc, il n'y a

  2   pas eu de conclusion au titre du droit national sur le fait qu'un homicide

  3   aurait eu lieu. Alors, est-ce qu'il y a eu meurtre, est-ce que ce meurtre

  4   peut être attribué à un auteur connu, et encore moins, est-ce que cet

  5   auteur était membre des forces de sécurité serbes, est-ce que c'était un

  6   professionnel de la police ? Comment est-ce que Lukic aurait pu arriver à

  7   cette conclusion sur la base de ces éléments de preuve si rares et si

  8   défaillants ?

  9   Alors, il faudrait constater qu'aucun témoin de la MVK ou de la KDOM n'a

 10   confirmé qu'un crime aurait été avéré à Gornje Obrinje, pas Shaun Byrnes,

 11   pas le colonel Crosland, pas le général DZ, pas colonel Ciaglinksi.

 12   Alors, laissons de côté Gornji Obrinje. Prenons maintenant les événements

 13   de 1998 qui ont été analysés par la Chambre de première instance. Elle

 14   prend en compte neuf actions antiterroristes qui ont été conduites de

 15   manière conjointe par la police et la VJ en 1998, y compris Gornji

 16   Dobrinje; paragraphes 848 jusqu'à 912 du premier volume du jugement.

 17   La Chambre arrive à la conclusion que pas une seule de ces neuf opérations

 18   ne présente des éléments de preuve démontrant que des civils auraient été

 19   tués, et pour Gornje Obrinje, il y a si peu d'éléments de preuve que nous

 20   en avons déjà parlé. Cela signifierait que dans les huit autres actions il

 21   n'y a pas d'éléments qui auraient été présentés et qui auraient fourni une

 22   notification à Lukic ou à qui que ce soit d'autre comme quoi des meurtres

 23   se seraient produits qui pourraient être imputés à l'entreprise criminelle

 24   commune au titre de crime d'expulsion. Le jugement constate que dans cinq

 25   sur huit actions, il n'y a pas eu d'indice d'autres crimes ou de recours

 26   excessif à la force. Paragraphes 853, 860, 869, 873 et 898 du premier

 27   volume.

 28   Alors, compte tenu de ces éléments factuels, il n'est pas logique qu'une


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  1   Chambre de première instance en déduise la conclusion que des meurtres ou

  2   assassinats ainsi que d'autres crimes, tels qu'expulsion et transfert

  3   forcé, auraient été des résultats en 1999 en tant que partie d'une future

  4   entreprise criminelle commune lorsque, de nouveau, des actions

  5   antiterroristes allaient être menées.

  6   Alors, quelle aurait été la conclusion de Lukic sur la base du fait que

  7   dans l'une des neuf opérations antiterroristes il y a eu des rumeurs non

  8   vérifiées de morts de civils que les autorités ont essayé d'élucider mais

  9   ont été empêchées de le faire par l'ALK ? Donc, certainement, la seule

 10   conclusion raisonnable compte tenu de ces éléments de preuve n'est pas

 11   l'existence d'une entreprise criminelle commune généralisée et systématique

 12   visant à expulser la population albanaise kosovare.

 13   Puisque cela n'est pas la seule conclusion raisonnable, toute approche qui

 14   assume automatiquement qu'il y a mens rea pour une future entreprise

 15   criminelle commune sur la base des crimes passés d'une nature différente

 16   est erronée.

 17   Quant à votre cinquième question portant sur l'incident de Tusilje, la

 18   question est de savoir s'il aurait dû être exposé dans l'acte d'accusation,

 19   est-ce que le vice a été purgé ou y a-t-il eu préjudice pour l'accusé,

 20   voici notre position.

 21   La jurisprudence est tout à fait claire, à savoir lorsqu'une Chambre de

 22   première instance a commis une erreur en déclarant une culpabilité en

 23   fonction de faits essentiels non exposés dans l'acte d'accusation, voici ce

 24   qu'affirme la -- enfin, la jurisprudence est tout à fait claire.

 25   Le jugement en l'espèce se réfère en de multiples endroits à Tusilje au

 26   Volume II, et la Chambre tire plusieurs conclusions attribuant à Tusilje le

 27   même statut que d'autres incidents dans l'acte d'accusation, voir Volume

 28   II, paragraphe 1 219. Elle s'appuie ensuite sur ces mêmes conclusions pour


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  1   conclure qu'il y avait attaque sur la population civile dans ces secteurs,

  2   y compris à Tusilje. Par conséquent, il est manifeste que les déclarations

  3   de culpabilité prononcées par la Chambre de première instance sont fondées

  4   sur des faits essentiels dont la Défense n'a pas reçu notification par le

  5   truchement de l'acte d'accusation. Par conséquent, la Chambre de première

  6   instance a commis une erreur à cause de laquelle le jugement est

  7   injustifié.

  8   D'après la Défense, ce vice de forme n'a pas pu être purgé et la

  9   Défense n'a pas pu être correctement avertie que les événements de Tusilje

 10   allaient être pris en considération pour déclarer l'accusé coupable. En

 11   effet, si cela avait été le cas, l'accusé et sa Défense auraient présenté

 12   des éléments à décharge concernant Tusilje, ce qu'elle n'a pas pu faire

 13   puisque Tusilje ne figurait pas à l'acte d'accusation.

 14   J'aimerais maintenant mettre en avant brièvement quelques-uns des

 15   points essentiels de notre appel. Dès le début, je dois souligner à

 16   l'intention des Juges de la Chambre d'appel que les constatations de la

 17   Chambre de première instance sont entachées de nombreuses erreurs de droit

 18   et de fait. Et conformément à l'arrêt Kordic et Cerkez, paragraphes 18 à

 19   19, ainsi que -- d'ailleurs, la Chambre d'appel l'a également réaffirmé

 20   dans deux arrêts récents - Gotovina, au paragraphe 93, et Mugenzi, aux

 21   paragraphe 91 et 136 - là où la Chambre de première instance n'a pas

 22   raisonnablement conclu que la seule interprétation possible des événements

 23   était de considérer qu'il y avait but criminel et entreprise criminelle

 24   commune, une seule issue est possible, à savoir l'annulation et

 25   l'acquittement. Nous avançons que les erreurs de fait dans le jugement sont

 26   à ce point nombreuses et au cœur même de ce jugement qu'un réexamen partiel

 27   est approprié, et aucune Chambre de première instance raisonnable n'aurait

 28   pu exclure les interprétations alternatives possibles des événements au vu


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  1   des éléments de preuve. Par conséquent, M. Lukic n'aurait pas dû être

  2   déclaré coupable pour participation à une entreprise criminelle commune. Si

  3   un tel réexamen n'était pas effectué, il en résulterait une erreur

  4   judiciaire.

  5   Nous avançons qu'au vu des erreurs mises en avant par nous dans notre

  6   mémoire en appel, il apparaît clairement que la Chambre de première

  7   instance a systématiquement tiré des conclusions quant à l'existence d'une

  8   entreprise criminelle commune quant à la connaissance qu'en avait M. Lukic,

  9   quant à son intention d'y participer et quant à son adhésion volontaire à

 10   un tel but criminel commun; alors qu'en réalité des conclusions

 11   raisonnables alternatives existent au vu des éléments de preuve qui

 12   démontrent le contraire, à savoir que Sreten Lukic essayait de maintenir

 13   l'ordre et la loi et non pas de commettre des crimes.

 14   Quant à l'élément moral, il est raisonnable de conclure au vu des

 15   éléments de preuve que Lukic participait à des actions qui étaient tout à

 16   fait appropriées pour un officier de police lorsqu'il essayait de maintenir

 17   l'ordre dans une situation difficile, lorsqu'il faisait face à une

 18   insurrection terroriste ou frappes aériennes de l'OTAN, et tout cela en

 19   étant investi d'une autorité limitée. Le jugement oublie tout à fait qu'en

 20   1999 des appareils de l'OTAN larguaient des bombes sur tout le Kosovo, ce

 21   que l'on ne saurait ignorer en tant que facteur.

 22   Afin d'évaluer les erreurs dont est entaché le jugement, il est

 23   nécessaire de prendre en considération le fait que l'arrivée de Lukic au

 24   Kosovo, tout comme d'ailleurs tous ses actes, était dictée par la loi à

 25   laquelle il devait se conformer. Son arrivée n'était pas volontaire, et

 26   encore moins marquée par une intention de commettre des crimes. Lukic a été

 27   déployé au Kosovo en vertu de la loi qui permettait à un membre du MUP

 28   d'être affecté par le ministère à tout poste sur toute partie du territoire


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  1   de la Serbie. Cette disposition de la loi a été versée au dossier comme

  2   pièce P1737, article 72. Le dossier démontre également que l'ensemble des

  3   trois décisions portant affectation de Lukic au Kosovo, à savoir P1252,

  4   P1505 et P1811, se réfèrent toutes trois à l'article 72 de cette même loi.

  5   L'article 33 de la loi en question dispose qu'un employé du ministère a

  6   l'obligation d'exécuter les ordres de son ministre de tutelle ou de tout

  7   autre supérieur dans la mesure où leur exécution ne revient pas à commettre

  8   à première vue un crime. Le texte des décisions susmentionnées montre

  9   clairement que ce qui était exigé de Lukic était l'accomplissement régulier

 10   et normal des tâches de police, et non pas quoi que ce soit que l'on

 11   pourrait considérer comme des actes criminels.

 12   De plus, il importe de relever que le président Milutinovic, qui a

 13   été acquitté de toutes les accusations relatives à son rôle supposé dans

 14   l'entreprise criminelle commune, a émis une directive sur les affaires

 15   intérieures en temps de guerre, versée en tant que pièce P993, l'article 7

 16   de cette même directive faisait obligation à Lukic d'exécuter les missions

 17   qui lui étaient confiées par ses supérieurs au sein de la police à moins

 18   que cela n'implique clairement la commission d'un crime et lui faisait

 19   également obligation d'engager des procédures disciplinaires contre ceux

 20   qui refuseraient d'exécuter des ordres légitimes. Par conséquent, il était

 21   tout à fait raisonnable pour Lukic, comme pour Milutinovic, d'avoir un état

 22   d'esprit qui n'avait rien à voir avec un état d'esprit criminel lorsqu'il

 23   accomplissait ses obligations au Kosovo en application des ordres reçus et

 24   de la loi en vigueur, ordres qui étaient légitimes à première vue.

 25   La Chambre de première instance, au Volume II [comme interprété],

 26   paragraphe 92, reconnaît que les problèmes liés à l'ALK étaient censés être

 27   résolus par l'Etat dans le cadre du système judiciaire et de police. Par

 28   conséquent, à l'opposé de cette conclusion selon laquelle le fait même pour


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  1   Lukic d'accepter ce poste de chef d'état-major impliquait une intention

  2   criminelle, une autre conclusion raisonnable est possible au vu des

  3   éléments de preuve, à savoir qu'il se conformait à la loi, qu'il

  4   s'efforçait de s'acquitter légalement et normalement de ses obligations de

  5   policier et qu'il faisait des efforts pour maintenir l'ordre au bénéfice de

  6   tous les citoyens et dans la mesure de ses moyens, ce que la Chambre de

  7   première instance elle-même qualifiait de manière d'agir appropriée.

  8   Quant à l'accomplissement de ses devoirs, et au fait que Lukic a

  9   participé à des réunions tant à Belgrade qu'au Kosovo, eh bien, le jugement

 10   établit un lien tout à fait erroné entre la présence de Lukic à ces

 11   réunions à Belgrade et l'intention criminelle qu'il aurait partagée au

 12   titre de l'entreprise criminelle commune. Volume III, paragraphes 1 019 à 1

 13   022, 1 024 et 1 040. Cependant, ceci est contraire aux conclusions du

 14   jugement concernant Milutinovic, dont la présence aux mêmes réunions a été

 15   considéré comme démontrant qu'il ne partageait pas l'intention criminelle.

 16   Il s'agit des paragraphes 132 à 143 du Volume III. De plus, la Chambre

 17   d'appel dans un arrêt récent dans l'affaire Mugenzi a conclu que :

 18   "Aucun Juge du fait raisonnable n'aurait pu exclure la possibilité

 19   raisonnable que Mugenzi et Mugiraneza aient été présents à la cérémonie

 20   d'entrée en fonction pour des raisons autres que l'adhésion à un but

 21   criminel commun."

 22   Dans ce cas précis, l'alternative raisonnable signifie qu'ils étaient

 23   présents à la cérémonie par suite des obligations qui leur incombaient en

 24   leur qualité de ministres. Madame et Messieurs les Juges, la présence de

 25   Lukic à ces réunions est également le résultat pur et simple de ses

 26   obligations, les obligations qui lui incombaient du fait du poste qu'il

 27   occupait, et non pas le résultat de la connaissance ou de l'acceptation par

 28   lui de quelle que intention criminelle que ce soit.


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  1   Au lieu de se concentrer sur sa présence lors de ces réunions, la

  2   Chambre de première instance aurait dû prêter attention aux éléments de

  3   preuve directs indiquant que les intentions de Lukic allaient à l'encontre

  4   de tout but criminel commun.

  5   La Chambre de première instance qualifie de façon erronée ce but

  6   criminel comme visant à maintenir le contrôle de la Yougoslavie et de la

  7   Serbie sur la Kosovo par des moyens criminels, y compris en expulsant la

  8   population albanaise. Ceci figure au Volume III, paragraphe 95. Mais aucun

  9   Juge du fait raisonnable ne peut exclure ici la possibilité que le maintien

 10   d'une souveraineté sur le Kosovo ait été envisagé comme l'exercice d'une

 11   fonction légitime et légale de l'Etat. Aucun élément de preuve ne peut

 12   davantage démontrer que Lukic ait été au courant de tout élément illégal

 13   dans ce cadre tel que le fait de chasser les Albanais.

 14   Concernant le maintien de la souveraineté sur le Kosovo, il s'agit d'un

 15   principe reconnu de la constitution de Serbie, plutôt que d'un but ou d'un

 16   objectif criminel. Ce principe a été réitéré et confirmé par tous les

 17   instruments internationaux rédigés pendant la période pertinente, y compris

 18   par les Résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies, pièces P455,

 19   P456 et P433; y compris d'ailleurs par la proposition du Groupe de contact,

 20   tel que cela est discuté au paragraphe numéro 314 du Volume I du jugement;

 21   y compris dans les principes du Groupe de contact, paragraphe 354 du même

 22   volume; dans le déclaration Gelbard, pièce 6D1491; dans l'accord entre

 23   Milosevic et Holbrooke, versé sous la cote 1D204; dans l'accord entre

 24   Jovanovic et Cermak, versé sous la cote P432; et l'accord entre Perisic et

 25   Clark, versé sous la cote P454; tout comme dans les accords de Kumanovo,

 26   versés sous la cote 6D611. Au vu de tout cela, on ne voit pas comment et

 27   pourquoi Lukic aurait logiquement dû comprendre un tel principe comme

 28   exigeant une intention ou un objectif criminel et le recours à des moyens


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  1   criminels pour le réaliser alors même que la communauté internationale,

  2   elle-même, préconisait la souveraineté de la Serbie et de la Yougoslavie

  3   sur le Kosovo.

  4   Lundi dernier, l'Accusation a de nouveau identifié Slobodan Milosevic comme

  5   ayant été l'un des acteurs-clés de l'entreprise criminelle commune, ayant

  6   joué un rôle central. Quant à la conclusion selon laquelle Lukic aurait

  7   partagé l'intention de Milosevic et d'autres membres allégués de

  8   l'entreprise criminelle commune, la Chambre de première instance, au Volume

  9   III, paragraphe 1 115 du jugement, n'a pas avancé le moindre élément de

 10   preuve à l'appui. En effet, les éléments de preuve démontrent à l'inverse

 11   que Lukic se démarque des autres membres nommément cités de l'entreprise

 12   criminelle commune alléguée. Il n'était pas quelqu'un de proche ni un homme

 13   de confiance du président Milosevic, pas plus qu'il ne l'était auprès du

 14   ministre Stojiljkovic. Les éléments de preuve sont tout à fait clairs dans

 15   la matière.

 16   Et, en effet, la Chambre de première instance elle-même confirme au Volume

 17   III, paragraphe 85, que Lukic ne correspondait pas au profil de ces

 18   personnes qui ont été soigneusement nommées à de hauts postes par

 19   Milosevic. Il est tout à fait clair au vu des éléments de preuve que Lukic,

 20   plutôt que d'avoir été promu par Milosevic, a, en réalité, été rétrogradé

 21   en 1991. Et nous pouvons le voir au vu de la pièce P948, de la pièce 6D1360

 22   et 1D680. Ceci est également confirmé au paragraphe 937 du jugement, Volume

 23   III.

 24   Au mois de mai 1997, Stojiljkovic, après avoir probablement consulté

 25   Milosevic, a nommé un commandant en qualité de chef du SUP et supérieur

 26   hiérarchique direct de Lukic. Il faut noter qu'à ce moment-là Lukic était

 27   général. Nous pouvons le voir dans la déposition du Témoin Golubovic, page

 28   numéro 7 426 du compte rendu d'audience, ainsi que dans les pièces 6D1458


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  1   et 6D1457.

  2   Même lorsque Lukic a été déployé au Kosovo, les éléments de preuve nous

  3   montrent très clairement que deux assistants haut placés de Stojiljkovic

  4   étaient présents eux aussi au Kosovo : l'assistant du ministre, Obrad

  5   Stevanovic, qui était également commandant des PJP; et Vlastimir

  6   Djordjevic, le chef du département de la sécurité publique et ministre

  7   adjoint du MUP. Le jugement a conclu que la nomination de Lukic n'avait pas

  8   consisté à remplacer les structures de commandement existantes au sein du

  9   MUP. Ceci figure au paragraphe 1 012 du Volume III. De plus, nous avons des

 10   éléments de preuve émanant d'un autre collaborateur proche de Milosevic, le

 11   général Ojdanic, chef d'état-major de la VJ, pour lequel le jugement

 12   confirme qu'il a été soigneusement nommé par Milosevic pour remplacer le

 13   général Perisic, qui s'était avéré moins facile à manier; paragraphe 85,

 14   Volume III. Et le compte rendu d'une réunion tenue le 11 avril 1999,

 15   présidée par Ojdanic, se réfère au général Lukic comme à un adjudant,

 16   démontrant que Lukic n'était pas pris au sérieux, n'était pas considéré

 17   comme un acteur majeur par les proches de Milosevic. Ceci figure dans la

 18   pièce 3D728.

 19   De plus, nous avons un témoin à charge clé, le général Vasiljevic, de la

 20   VJ, qui a décrit le rôle de Lukic lors d'une réunion de ce qu'il qualifie

 21   comme ayant été le commandement conjoint -- le rôle de Lukic, donc, comme

 22   étant "la cinquième roue du carrosse." Alors, cela figure en page 9 066 du

 23   compte rendu d'audience. Au vu de la totalité des éléments de preuve, aucun

 24   Juge raisonnable du fait n'aurait pu conclure que Lukic avait quelle que

 25   autorité de commandement que ce soit ou que ces réunions tenues à Pristina

 26   étaient l'occasion pour Lukic d'exercer quelle que autorité que ce soit.

 27   Après la guerre, Lukic n'a pas été promu à une position de choix au sein du

 28   MUP, mais plutôt nommé en tant que chef de l'administration de la police


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  1   des frontières qui, à l'époque, se situait dans les bas étages de ce

  2   quatrième département dans la hiérarchie du MUP.

  3   Par la suite, nous entendrons parler de ce qu'a fait Lukic à ce poste, ce

  4   qui va tout à fait à l'encontre de toute tentative de réaliser l'entreprise

  5   criminelle commune alléguée en l'espèce.

  6   Lukic a été promu et nommé à un poste plus important après, en 2001, au

  7   sein du MUP, et ce, après que les forces démocratiques aient renversé

  8   Milosevic. Et nous le voyons, cela, au paragraphe 4 de la pièce 6D1607,

  9   déclaration 92 ter du premier ministre Zivkovic. Par conséquent, ce n'est

 10   qu'après le départ de Milosevic, lorsque son ministre du MUP Stojiljkovic

 11   et les assistants Djordjevic et Stevanovic ont été écartés, que Lukic a été

 12   promu et est devenu chef de la sécurité publique. Par la suite, nous vous

 13   expliquerons ce que Lukic a fait lorsqu'il se trouvait à ce poste. La

 14   coopération avec le TPIY et le transfert des accusés de Serbie devant ce

 15   Tribunal s'est dans un premier temps passé lors du mandat de Sreten Lukic,

 16   et il a fait beaucoup d'autres choses pour diligenter des enquêtes à propos

 17   des crimes commis contre les Albanais et d'autres pendant le mandat de

 18   Milosevic.

 19   Mais ce que je voudrais savoir, et d'aucuns peuvent se poser la question,

 20   au vu de ces éléments de preuve, serait-il logique que les officiers du MUP

 21   Stojiljkovic, Djordjevic et Stevanovic, qui ont été nommés comme autant de

 22   participants à une entreprise criminelle commune, aurait-il été logique

 23   qu'ils incluent et qu'ils s'appuient sur une personne qu'ils n'avaient pas

 24   choisie, à qui ils ne faisaient pas confiance, qui ne leur était redevable

 25   de rien et qui, de toute façon, n'avait pas de poste lui permettant d'avoir

 26   un contrôle véritable sur les unités ? Ou est-ce qu'il aurait été plus

 27   logique que ces membres de l'entreprise criminelle commune excluent Lukic

 28   de tout plan criminel et se livrent à ces activités en utilisant leurs


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  1   propres postes dans le cadre du MUP sans avoir pour autant besoin de Lukic.

  2   Les éléments de preuve présentés en première instance montrent que l'état-

  3   major du MUP de Lukic à tout moment était composé de seulement huit à dix

  4   personnes. J'en veux pour preuve la pièce P1505, la déposition de M.

  5   Mijatovic, aux pages du compte rendu d'audience 22 167 à 22 172, qui

  6   confirme cela.

  7   La Chambre de première instance n'a pas effectué cette analyse, et c'est

  8   une erreur parce qu'elle n'a pas envisagé l'exclusion de cette possibilité.

  9   Par ailleurs, aurait-il été logique que Sreten Lukic, qui avait consacré

 10   toute sa vie au maintien de l'ordre public, abandonne cela pour se rallier

 11   à des personnes qui l'avaient non seulement rétrogradé et qui ne l'avaient

 12   pas promu ? Nous avançons que cela défie toute logique. Serait-il logique

 13   que Sreten Lukic soit promu à la tête du MUP après la chute de Milosevic et

 14   aurait-il été logique qu'il entame cette coopération avec le TPIY et qu'il

 15   se lance dans des enquêtes sur les crimes si, en fait, il avait participé

 16   lui-même à ces crimes ? Nous avançons que cela défie tout logique.

 17   Il faut savoir qu'au paragraphe 918 du Volume III, le jugement, à raison,

 18   accorde quelque crédit à Lazarevic pour un nombre d'efforts limités qu'il a

 19   déployés par le biais de déclaration écrite pour assurer que l'armée

 20   agissait en bonne et due forme dans l'exercice de ses fonctions. Pour ce

 21   qui est de Lukic, la Chambre de première instance a dans un premier temps

 22   reconnu que Lukic avait donné ce qu'elle a choisi d'appeler des ordres pour

 23   indiquer à la police qu'elle devait empêcher les crimes et empêcher le

 24   départ des civils du Kosovo et les compare à des ordres de la VJ. Mais les

 25   rapports écrits de Lukic destinés à la police à laquelle il demande de

 26   respecter la loi et de traiter les civils en bonne et due forme ont été

 27   considérés de façon négative. Regardez les paragraphes 1 124 et 1 129 du

 28   Volume III.


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  1   Les mesures prises par Sreten Lukic, même s'il disposait d'une autorité

  2   très limitée, démontrent qu'il n'a jamais partagé l'intention de commettre

  3   des crimes contre les Albanais. Au contraire, Lukic s'est engagé à demander

  4   des mesures, mesures qui devaient être prises pour empêcher les crimes et

  5   les mauvais traitements contre les Albanais et pour que soient punies

  6   toutes les personnes pour lesquelles il avait été conclu qu'elles avaient

  7   commis des crimes, y compris les membres de la police.

  8   Il a été avancé que 12 éléments de preuve très importants ont été analysés

  9   de façon erronée par la Chambre de première instance, et ces documents

 10   démontrent quelles étaient les véritables intentions de Sreten Lukic et

 11   quelle était sa personnalité. Toutes ces pièces sont des pièces émanant de

 12   Lukic qui indiquent donc ce qu'il a écrit ou ce qu'il a dit.

 13   Et si nous analysons, même de façon brève, ces éléments de preuve, nous

 14   voyons que ces 12 dépêches et rapports de réunions ou rappels de Lukic

 15   exhortent la police à prendre des mesures énergiques pour empêcher que les

 16   Albanais du Kosovo fassent l'objet de mauvais traitement, pour faire en

 17   sorte que la police empêche les personnes d'expulser de leurs foyers les

 18   Albanais du Kosovo, il s'agit d'autant de mesures qui doivent être prises

 19   pour appréhender les criminels et les terroristes et de mesures également

 20   pour que l'on essaie de persuader les citoyens de ne pas quitter leurs

 21   villages en leur garantissant des mesures de sécurité conformément à la

 22   loi.

 23   Voici ces éléments de preuve dont je vais maintenant vous donner la liste :

 24   6D768, en date du 7 août 1998; 6D872, en date du 23 février 1999; 6D666, en

 25   date du 3 avril 1999; P1989, en date du 4 avril 1999; 6D778, en date du 15

 26   avril 1999; 6D874, en date du 6 mai 1999; P1996, en date du 7 mai 1999;

 27   6D773, en date du 8 mai 1999; P1993, en date du 11 mai 1999; 5D1423, en

 28   date du 12 mai 1999; 5D1418, en date du 26 mai 1999; 5D1421, en date du 11


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  1   juin 1999; et finalement, P1468, qui comporte plusieurs dates.

  2   Au paragraphe 1 129 du Volume III, la Chambre de première instance essaie

  3   d'étiqueter ou de cataloguer ces ordres donnés par Lukic comme n'étant pas

  4   authentiques. Toutefois, dans d'autres paragraphes du Volume III, tels que

  5   les paragraphes 92, 173, 1 001, la même Chambre de première instance

  6   s'appuie sur ces éléments et les considère comme des ordres authentiques

  7   qui démontrent que Lukic avait un rôle de commandement et l'autorité sur

  8   les unités du MUP. Avec tout le respect dont je fais preuve, j'avance quand

  9   même que l'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre. Alors, de

 10   deux choses l'une : soit ces ordres étaient des ordres authentiques et

 11   prouvent que Lukic n'avait pas l'intention que les crimes soient commis

 12   mais n'avait pas l'autorité nécessaire pour faire en sorte que ces ordres

 13   soient obéis; ou alors, ils ne sont pas authentiques et, dans ce cas, ils

 14   ne peuvent absolument pas démontrer une quelconque autorité de commander

 15   pour Sreten Lukic. La Chambre de première instance n'a pas analysé ou a

 16   exclu l'alternative raisonnable, à savoir il s'agissait d'ordres bel et

 17   bien authentiques mais Lukic n'avait pas l'autorité sur les forces du MUP.

 18   J'aimerais maintenant, en fait, revenir sur un élément auquel vous avez

 19   fait allusion, à savoir l'autorité limitée de Lukic en tant que chef de

 20   l'état-major du MUP du Kosovo.

 21   Ces 12 documents sont importants car ils nous permettent de comprendre

 22   pourquoi il était impossible que Lukic apporte une contribution

 23   considérable et permette de réaliser tout objectif criminel commun, et

 24   pourquoi également la Chambre de première instance a commis une erreur en

 25   les écartant, ces documents, et en les déclarant non authentiques.

 26   Au paragraphe 1 129 du Volume III, le jugement avance que Lukic, même s'il

 27   était au courant des événements sur le terrain, a toutefois continué à

 28   donner l'ordre au MUP de s'engager dans des opérations conjointes avec la


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  1   VJ et a utilisé cela pour avancer que ses ordres pour prévenir le mauvais

  2   traitement des civils n'étaient pas authentiques. Il n'y a aucun élément de

  3   preuve cité corroborant que Lukic avait bel et bien l'autorité pour donner

  4   des ordres au MUP et pour lui ordonner de continuer à être engagé dans des

  5   opérations conjointes. Bien au contraire, il y a de nombreux éléments de

  6   preuve au dossier qui indiquent que Lukic n'avait pas cette autorité du

  7   commandement supérieur ou le contrôle effectif.

  8   Lukic n'avait pas cette autorité lui permettant de punir ou de prendre des

  9   mesures disciplinaires contre tout membre du MUP directement. Cela est

 10   accepté dans le jugement au paragraphe 1 049 du Volume III. Il est, par

 11   conséquent, inconcevable qu'il soit dit que Lukic avait l'autorité du

 12   commandement sur le MUP alors que le jugement confirme qu'il n'avait pas le

 13   pouvoir pour sanctionner, pour punir. Sans ce pouvoir, il ne pouvait

 14   absolument pas avoir un contrôle effectif.

 15   Par conséquent, les éléments de preuve indiquent que Lukic ne pouvait pas

 16   diligenter ou lancer des procédures criminelles contre les membres de la

 17   police, paragraphe 3 [comme interprété] du document 6D1613.

 18   Les éléments de preuve indiquent que Lukic n'était pas autorisé à prendre

 19   des décisions dans le cadre de procédures disciplinaires contre les membres

 20   de la police, pièces 6D1613, 6D1340, ainsi que la déposition du Témoin

 21   Cvetic, pages 8 152 et 8 153 du compte rendu d'audience.

 22   Les éléments de preuve que nous venons de citer démontrent que les

 23   supérieurs au sein de la police n'avaient pas l'obligation d'informer

 24   Lukic, ne devaient pas demander son approbation pour diligenter des

 25   procédures disciplinaires contre leurs officiers de police subordonnés.

 26   Donc, Lukic n'avait aucun rôle quel qu'il soit, et nous voyons qu'il a été

 27   exclu, et cela a été avéré par les pièces 6D133 et 6D1342, le MUP au niveau

 28   de la république avait énoncé les réglementations en vigueur pour que


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  1   soient diligentées des poursuites disciplinaires en temps de guerre, et il

  2   n'avait pas été prévu qu'il soit informé.

  3   Il y a un autre facteur qu'il faut prendre en considération, Lukic n'avait

  4   même pas l'autorité pour réaffecter un membre de la police ou pour

  5   l'écarter, et il s'agissait même des membres de son propre état-major; la

  6   pièce P1884 le démontre. Et les pièces P1885 et P1886 démontrent que même

  7   lorsque des officiers des SUP étaient remplacés et de nouvelles personnes

  8   nommées, ces décisions émanaient non pas de Lukic mais du ministre adjoint

  9   et du chef de la sécurité publique, Djordjevic.

 10   Il faut savoir également que la Chambre n'a pas fait de différence entre la

 11   période précédant la campagne de bombardement de l'OTAN et la période de la

 12   campagne de bombardement, elle n'a pas pris en considération le fait que

 13   Lukic n'avait aucune marge de manœuvre pour avoir une autorité de

 14   commandement étant donné que pendant la guerre l'assistant du ministre et

 15   le commandant de toutes les PJP, à savoir le général Obrad Stevanovic, qui

 16   était également le chef de l'administration de la police, était sur le

 17   terrain au Kosovo pendant toute la durée de la guerre et était sur le

 18   terrain avec ces unités PJP. Cela peut être vu dans le document P948, la

 19   déposition de Mijatovic, page 22 255; la déposition de Vucurevic, 23 064;

 20   nous avons également le témoignage d'Ilic, page 24 418, entre autres.

 21   Et cette erreur a été commise en dépit du fait que le jugement reconnaît

 22   qu'Obrad Stevanovic et Vlastimir Djordjevic étaient les seuls officiers du

 23   MUP présents en matière lorsqu'il était question de la resubordination ou

 24   du rattachement du MUP à la VJ lorsque cela était en jeu, ce n'était pas

 25   Lukic dont il s'agissait. Prenez le paragraphe 1 170 du Volume I.

 26   Les éléments de preuve sont très clairs et déterminent que Lukic n'a

 27   absolument pas participé à la rédaction de ce plan global, plan visant la

 28   suppression du terrorisme. La Chambre de première instance le confirme au


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  1   paragraphe 1 021 du Volume III. Après avoir conclu cela, la Chambre de

  2   première instance a commis une erreur en attribuant à Lukic un rôle de

  3   commandement dans le cadre de ce plan global, paragraphes 985, 1 058 et 1

  4   051 du Volume III.

  5   Toutes les activités antiterroristes en 1998 ont été exécutées dans

  6   le cadre du plan global et c'est un modus operandi qui a également été

  7   utilisé en 1995 [comme interprété].

  8   Donc, Lukic n'avait pas de rôle lors de la planification de ces

  9   actions antiterroristes de la VJ ou de la police. Cela a été confirmé par

 10   de nombreux témoins de la police, de la VJ également, mais de façon plus

 11   importante par le témoin, le colonel Djakovic, pages 26 536 à 26 538 du

 12   compte rendu d'audience; 26 522 et 26 523. Pour ce qui est de la déposition

 13   de M. Mijatovic, pages 22 197 et 22 198, et pour la déposition de M.

 14   Adamovic, pages 24 976 et 24 977.

 15   Lorsque l'on prend la globalité des éléments de preuve, il faut se

 16   rappeler que la Loi relative à la Défense, et notamment l'article 16,

 17   dispose qu'en temps de guerre l'armée commande toutes les activités de

 18   combat. Il n'y avait aucune marge de manœuvre pour Lukic tout simplement.

 19   Pièce P985.

 20   Et, en dernier lieu à propos de ce sujet, j'aimerais mettre en

 21   exergue le fait que le jugement attribue de façon tout à fait erronée un

 22   rôle absolument capital à Lukic en matière de communication entre Belgrade

 23   et Kosovo, paragraphe 1 059 du Volume III. Toutefois, cela contredit

 24   parfaitement les autres conclusions qui résument les éléments de preuve.

 25   Par exemple, le paragraphe 1 090 du Volume III, confirme que vous aviez les

 26   règles du MUP - cela est expliqué à la pièce P1044 - et que les sept SUP

 27   qui se trouvaient sur le territoire du Kosovo devaient envoyer leurs

 28   rapports et leurs détails directement à Belgrade et à l'état-major du MUP.


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  1   Il est donc absolument clair à la lecture de ceci que l'état-major de Lukic

  2   ne recevait ces rapports que parallèlement et que, de toute façon, il

  3   n'avait aucune information dont Belgrade ne disposait pas.

  4   A propos de l'information relative aux crimes commis par le MUP et la

  5   VJ, la Chambre dans son paragraphe 1 134 du Volume III s'est appuyée sur

  6   une dépêche qui porte la date du 6 mai 1999, il est question d'un article

  7   de presse qui a été envoyé au chef du SUP par l'état-major du MUP à la

  8   suite d'une réunion qui eut lieu à Belgrade où, entre autres, étaient

  9   présents Milosevic ainsi que Lukic. Toutefois, l'article en question ne

 10   porte pas sur des allégations de crimes commis par le MUP, et il n'en a pas

 11   été question lors de cette réunion avec Milosevic. Qui plus est, les crimes

 12   en question faisaient déjà l'objet d'enquêtes tout à fait appropriées de la

 13   part des autorités. Cette dépêche exhorte la police à agir dans le respect

 14   absolu de la loi et de façon professionnelle à empêcher les personnes à

 15   commettre ce type de crimes. Par conséquent, nous pouvons remettre en

 16   question l'objectivité de la Chambre de première instance qui n'a pas

 17   appliqué ou utilisé de façon idoine ce document.

 18   La Chambre de première instance essaie également d'accorder une

 19   importance considérable aux rapports quotidiens qui étaient envoyés par

 20   l'état-major du MUP. Il ne s'agissait que de résumés des plus classiques

 21   tout à fait routiniers qui s'inscrivent dans le cadre du travail tout à

 22   fait normal de la police et qui reprenaient les rapports émis par les SUP,

 23   et il est important de constater qu'ils ne contiennent aucune référence aux

 24   crimes reprochés par l'acte d'accusation. De même, ces résumés, dans le

 25   meilleur des cas, informaient Lukic d'enquêtes qui étaient déjà en cours

 26   dont le but était de repérer les auteurs de crimes, ce qui n'est pas ce qui

 27   est indiqué dans le jugement. Par conséquent, ces résumés ne pouvaient

 28   fournir à Lukic qu'exactement le même type d'informations sur lesquelles


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  1   s'est reposée la Chambre de première instance pour prononcer l'acquittement

  2   du président Milutinovic.

  3   En dernier lieu, au paragraphe 40 du Volume III, la Chambre de

  4   première instance dit :

  5   "…la confiscation et la destruction des documents d'identité

  6   représentent les éléments de preuve les plus solides en l'espèce qui

  7   montrent que les événements du printemps 1999 au Kosovo s'inscrivaient dans

  8   un objectif commun."

  9   Eu égard à la confiscation alléguée de ces documents d'identité, la Chambre

 10   a commis une erreur en considérant que ces éléments de preuve étaient

 11   importants. N'oublions surtout pas que le jugement confirme qu'une majorité

 12   de témoins ont avancé que ces confiscations avaient lieu à la frontière -

 13   paragraphe 32 du Volume III - et qu'il s'agissait d'une "majorité de

 14   témoins", ce qui ne signifie pas pour autant la majorité des personnes qui

 15   ont témoigné, parce que, comme nous le savons, seulement 26 témoins

 16   albanais du Kosovo sur 62 ont indiqué qu'ils avaient assisté à ce type de

 17   confiscation, et ils sont encore moins nombreux à avancer qu'ils ont eux-

 18   mêmes été victimes de ce type de confiscation. Nous pouvons voir ces

 19   éléments de preuve résumés dans le même paragraphe du jugement.

 20   Cela n'est pas suffisant pour conclure un objectif criminel commun, et cela

 21   n'est pas non plus suffisant pour avancer qu'il s'agit d'éléments de preuve

 22   solides justifiant un objectif commun, comme le conclut la Chambre dans son

 23   paragraphe 40. Quoi qu'il en soit, cette erreur pour Lukic est aggravée par

 24   le fait que la Chambre a accepté qu'il n'avait absolument pas d'autorité

 25   sur les postes de police frontaliers, où apparemment se sont déroulés ce

 26   type de confiscation, conclusion du paragraphe 1 075 du Volume III.

 27   Il faut également savoir que les éléments de preuve font état d'allégations

 28   de ce type de confiscations qui se sont produits à l'un des postes


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  1   frontaliers alors qu'il y en avait en tout six.

  2   La Chambre de première instance a commis une erreur, car, en fait, il faut

  3   savoir - et cela se trouve à la pièce 1D226 - que la Loi relative à la

  4   citoyenneté yougoslave stipule qu'en cas de perte des documents d'identité,

  5   cela ne signifie pas qu'il y a destruction ou annulation de la citoyenneté

  6   de l'individu qui a perdu ses documents. Et vous entendrez comment Lukic a

  7   fait des efforts pour délivrer de nouveaux passeports à quelque 220 000

  8   Albanais du Kosovo après la période de l'acte d'accusation.

  9   Je voudrais maintenant aborder nos arguments qui portent sur les

 10   circonstances atténuantes au titre de l'article 101(B)(ii). Les arguments

 11   relatifs à cette partie de notre appel se trouvent dans notre mémoire, et

 12   je précise que le jugement prononce une conclusion erronée de culpabilité à

 13   laquelle s'ajoute l'erreur dans le cadre de l'application des critères sur

 14   les circonstances atténuantes. Donc, nous estimons que Lukic a le droit, au

 15   moins, de se voir réduire de manière considérable la peine. Trois facteurs

 16   pourraient s'appliquer au niveau des circonstances atténuantes. Et ces

 17   facteurs sont : tout d'abord, que Lukic s'est rendu volontairement et qu'il

 18   a accordé son entretien; ensuite il a contribué à l'enquête et à l'ordre

 19   public dans nombre de cas qui sont liés aux crimes commis contre des civils

 20   albanais, y compris certains crimes visés à l'acte d'accusation; et,

 21   troisièmement, il s'agit de son état de santé détérioré et de ses

 22   circonstances personnelles.

 23   A ce stade, je voudrais souligner l'erreur la plus frappante de la Chambre

 24   de première instance dans son Volume III, à savoir que Lukic se voit

 25   attribuer des circonstances atténuantes dont il n'est pas tenu compte dans

 26   le cadre de la peine par rapport à ce qui est prononcé contre les autres

 27   co-accusés, Volume III, paragraphe 1 275 [comme interprété]. Cela enfreint

 28   la raison même de l'article 101(B)(ii).


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  1   Le jugement au paragraphe 115 [comme interprété] Volume III reconnaît qu'au

  2   titre de la jurisprudence une coopération volontaire doit être reconnue en

  3   tant que circonstance atténuante. La Chambre de première instance, à notre

  4   sens, a commis une erreur et a agi de manière injuste vis-à-vis de Lukic en

  5   le privant de reconnaissance de circonstances atténuantes pour sa reddition

  6   volontaire et l'audition qu'il a accordée à l'Accusation. Pendant qu'il est

  7   reconnu de manière correcte que le co-accusé Lazarevic avait droit à des

  8   circonstances atténuantes pour sa reconnaissance volontaire, Volume III,

  9   paragraphe 1 200, la Chambre de première instance, Volume III, 1 204,

 10   considère que Lukic ne doit pas se faire reconnaître les circonstances

 11   atténuantes pour sa reddition volontaire. La seule raison qui est citée par

 12   la Chambre sont ses décisions précédentes sur la mise en liberté

 13   provisoire, qui ne prennent pas en compte l'ensemble des éléments de preuve

 14   ni la jurisprudence dominante.

 15   De manière analogue, tout comme l'entretien accordé par Lazarevic, la

 16   Chambre correctement qualifie cela comme constituant une coopération

 17   importante, et elle est reconnue au Volume III, paragraphe 1 198. Pour ce

 18   qui est de Sreten Lukic, qui a accordé son entretien même avant que l'acte

 19   d'accusation ne soit dressé contre lui pour quel que crime que ce soit et

 20   sans quelle que réserve que ce soit, sans aucune limitation, sans être

 21   représenté par un conseil, Volume III, paragraphe 1 202, la Chambre ne

 22   reconnaît pas cela comme constituant un cas de contribution importante et

 23   ne reconnaît pas cela comme circonstance atténuante.

 24   Je voudrais maintenant parler de contribution de Sreten Lukic à l'ordre

 25   public. Volume III, paragraphe 1 205, la Chambre constate qu'indépendamment

 26   des circonstances atténuantes personnelles constatées pour M. Lukic, eh

 27   bien, qu'il devait se voir prononcée à son encontre la même peine que les

 28   autres co-accusés pour lesquels il a été constaté qu'ils ont été membres de


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  1   la même entreprise criminelle commune.

  2   Pour ce qui est de Lukic, des éléments de preuve importants montrent qu'il

  3   a travaillé dans le cadre de son mandat à différents postes au sein du MUP

  4   après 1999 pour contribuer à la paix et à la réconciliation, pour rétablir

  5   l'ordre et faire régner la loi, ainsi que d'apporter la justice à

  6   l'ensemble des victimes des crimes, y compris les Albanais. Même si le MUP

  7   serbe s'est retiré du Kosovo, après sa nomination à la tête du département

  8   chargé d'émettre des pièces d'identité, Lukic a cherché à faciliter la

  9   délivrance de nouveaux documents d'identité aux Albanais kosovars par le

 10   biais d'un bureau à Pristina jusqu'à ce que le chef de ce bureau ne soit

 11   assassiné par l'ALK. Nous avons la déposition de Dujkovic, 23 367 du compte

 12   rendu d'audience. Lukic a ensuite ouvert une antenne de ce bureau pour

 13   continuer ce travail à Nis, la ville la plus importante proche de Pristina.

 14   Les éléments de preuve montrent que la plupart de ces personnes qui se sont

 15   fait délivrer des documents étaient des Albanais. Et nous savons cela grâce

 16   à la déposition de Dujkovic, pages 23 367 jusqu'à 23 368 du compte rendu

 17   d'audience. Comme je l'ai déjà dit, de cette manière, plus de 220 000

 18   nouveaux passeports ont été délivrés aux Albanais kosovars très rapidement

 19   après la guerre pendant que Lukic travaillait dans ce département. Et nous

 20   avons cela aux pages du compte rendu d'audience 14 447 jusqu'à 48.

 21   Après l'éviction de Milosevic, Lukic a été nommé par les autorités

 22   démocratiques en qualité de chef du département de la sécurité publique et

 23   a ainsi obtenu davantage de pouvoirs. A l'époque, se fondant sur des

 24   rapports des médias, Lukic a été le fer de lance de ce processus au cours

 25   duquel des enquêtes de grande échelle et sans restriction ont été demandées

 26   au MUP quant aux charniers et aux crimes de guerre datant de la guerre du

 27   Kosovo. Et je renvoie les Juges de la Chambre d'appel aux paragraphes 1 464

 28   à 1 485 de notre mémoire en clôture qui résume notre position sur ce sujet.


Page 521

  1   Lukic a également promu et facilité la coopération entre le MUP et le TPIY

  2   dans les enquêtes déjà en cours. Ceci figure aux paragraphes 1 486 à 1 507

  3   de notre mémoire en clôture. Tout ce qui concerne ce sujet y est résumé.

  4   Ceci, Lukic l'a fait malgré l'impopularité de telles actions alors que des

  5   menaces intentées à sa vie et sa sécurité aient été proférées, notamment

  6   lorsqu'il a mis en place un Groupe de travail chargé d'enquêter sur les

  7   allégations de dissimulation d'atrocités perpétrées contre des Albanais. Je

  8   renvoie à la page 5 228 du compte rendu, déposition du Témoin K84. En

  9   effet, des témoins tant à charge qu'à décharge ont dit que Lukic avait joué

 10   un rôle à part entière dans les efforts déployés afin de mettre au jour les

 11   crimes commis au Kosovo et afin de promouvoir la justice, y compris au

 12   moyen de la coopération avec le TPIY; déposition du Témoin K84, pièce 6D2,

 13   Zivkovic, Kostic et Furdulovic.

 14   Lukic a lancé un projet dont l'objectif était de rassembler toute la

 15   documentation du Kosovo afin de sauvegarder les informations et d'apporter

 16   ainsi un concours aux procès des auteurs de crimes qui seraient menés même

 17   après la guerre. Témoin Kostic, page numéro 24 104 du compte rendu

 18   d'audience.

 19   De plus, Lukic s'est efforcé ou a au moins essayé de résoudre les tensions

 20   existant au sud de la Serbie en mettant au pied une nouvelle police

 21   multiethnique comprenant des Albanais. Témoin Dujkovic à la page numéro 23

 22   369 du compte rendu, et Témoin Zivkovic à la page 24 685 du compte rendu

 23   d'audience, ces deux témoins ont déposé à ce sujet. Et la Chambre de

 24   première instance, en effet, a reconnu tout cela. Au Volume III, paragraphe

 25   1 202, elle a conclu que :

 26   "…Lukic a contribué au maintien de l'ordre public dans toute une série de

 27   cas liés aux crimes reprochés dans l'acte d'accusation, et la Chambre, par

 28   conséquent, prendra ceci en considération au titre de circonstances


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  1   atténuantes dans la détermination de sa peine."

  2   Cependant, la Chambre n'a pas été jusqu'au bout de son propre raisonnement

  3   et de sa propre conclusion. Sa négation de certaines circonstances

  4   atténuantes est inadéquate. Cela n'envoie pas non plus le bon message et

  5   risque d'étouffer dès le départ les efforts d'autres personnes envisageant

  6   de sacrifier leur intérêt propre à la promotion de la loi et de l'ordre. Si

  7   un individu qui met sa vie en jeu afin d'enquêter sur des crimes et de

  8   traduire en justice les auteurs ne se voit pas accorder de circonstances

  9   atténuantes et s'il est puni de la même façon que d'autres qui n'ont pas

 10   fait de tels efforts, où dans ce cas est la justice et quel est le sens de

 11   l'article 101(B)(ii) ?

 12   En l'espèce, Sreten Lukic a personnellement pris l'initiative lorsqu'il est

 13   arrivé à un poste au sein de la police où il pouvait le faire, de faire

 14   diligenter des enquêtes sur les crimes, y compris ceux reprochés dans

 15   l'acte d'accusation en l'espèce, et il a été le fer de lance de la

 16   coopération entre la Serbie et le Tribunal dans ses premières étapes. Il

 17   convient de noter que c'est sous la direction de Lukic que le MUP de Serbie

 18   a procédé aux premiers arrestations et transfèrements d'accusés du TPIY -

 19   en tout, il y en a eu huit - et que sept autres accusés ont été transférés

 20   au Tribunal après leur reddition volontaire.

 21   Je voudrais maintenant passer à l'état de santé de M. Lukic qui est

 22   diminué. Premièrement, il apparaît au vu du jugement que la Chambre de

 23   première instance n'a pas examiné toutes les écritures pertinentes

 24   lorsqu'au paragraphe 1 202 du Volume III, elle a indiqué :

 25   "La Chambre a réexaminé la documentation pertinente versée au dossier

 26   du procès mais ne considère pas que l'état de santé de Sreten Lukic soit

 27   tel qu'il puisse constituer une circonstance atténuante dans la

 28   détermination de sa peine."


Page 523

  1   L'examen auquel la Chambre de première instance s'est livrée s'est limité à

  2   des complications de faible gravité de son état de santé. Je vous renvoie

  3   aux écritures citées en note de bas de page. La Chambre a porté son

  4   attention aux problèmes de dos et aux problèmes dentaires de M. Lukic, mais

  5   a ignoré des problèmes de santé très graves qui ont nécessité deux

  6   interventions de chirurgie cardiaque avant la reddition de M. Lukic. L'une

  7   de ces interventions consistait en la résection d'un anévrisme de l'aorte

  8   ascendante avec insertion de greffon; et l'autre, le remplacement de la

  9   valvule aortique en 2002 [comme interprété], considéré comme l'une des

 10   interventions invasives les plus lourdes en chirurgie cardiaque.

 11   La gravité de l'erreur commise par la Chambre de première instance

 12   est illustrée de façon éclatante par les informations que la présente

 13   Chambre d'appel a maintenant devant elle. L'annexe B à notre mémoire en

 14   appel montre quel était l'état médical de l'accusé et les problèmes graves

 15   qui ont affecté son traitement depuis son arrivée au Tribunal. Vous avez

 16   maintenant au dossier les écritures aux fins de mise en liberté provisoire

 17   émanant de professionnels médicaux de la Serbie en date des 13 février et

 18   21 janvier 2013, respectivement, où il apparaît clairement que :

 19   "Le taux de survie des patients souffrant d'isolement social et de

 20   maladie coronarienne est deux fois moins élevé que celui des patients

 21   socialement intégrés à court terme … des étudies suédoises ont démontré que

 22   le taux de survie à dix ans des patients souffrant de maladie coronarienne

 23   était trois fois plus important chez les patients intégrés socialement que

 24   chez ceux souffrant d'isolement."

 25   La Chambre d'appel devrait donc conclure que cette peine

 26   d'emprisonnement de 22 ans prononcée contre M. Lukic est, de fait, une

 27   peine d'emprisonnement en vie au vu des statistiques épidémiologiques mises

 28   en avant par les professionnels médicaux. Ceci devrait être envisagé comme


Page 524

  1   une circonstance atténuante et pris en compte.

  2   A ce stade, Madame et Messieurs les Juges, je ne sais pas si vous

  3   souhaitez faire une pause anticipée ou si je dois passer la parole à mon

  4   confrère.

  5   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Eh bien, je crois qu'il est

  6   préférable de faire la pause dès maintenant et de reprendre nos débats à 12

  7   heures moins le quart.

  8   --- L'audience est suspendue à 11 heures 11.

  9   --- L'audience est reprise à 11 heures 45.

 10   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui, conseil de M. Lukic. Vous pouvez

 11   reprendre.

 12   M. LUKIC : [interprétation] Merci, Madame, Messieurs les Juges.

 13   Je vais vous épargner mon lourd accent en anglais, et je vais continuer en

 14   B/C/S. Vous allez recevoir une interprétation que j'estime appropriée.

 15   Tout d'abord, je voudrais aborder ou faire une petite digression. Mon

 16   confrère, Me Ivetic, a mentionné entre autres deux personnes : Obrad

 17   Stevanovic et M. Djordjevic. Nous voudrions indiquer à l'intention des

 18   Juges de cette Chambre que les deux personnes en question, pendant toute

 19   cette période en 1998 et 1999, avaient été les supérieurs hiérarchiques de

 20   M. Sreten Lukic.

 21   Et, à présent, je me propose d'aborder certaines des erreurs de faits

 22   qui se situent au niveau du jugement rendu s'agissant de notre client. Vous

 23   avez déjà entendu parler de ce même sujet par les autres conseils de la

 24   Défense s'agissant des autres appelants.

 25   La Défense estime que le pratique établie devant ce Tribunal est celle de

 26   voir la Chambre d'appel intervenir lorsqu'il est clair que la Chambre de

 27   première instance a commis bon nombre d'erreurs de faits et de droit. Nous

 28   n'allons pas seulement mentionner l'opinion dissidente du Juge Morrison


Page 525

  1   pour ce qui est de l'arrêt dans l'affaire Milan et Sredoje Lukic,

  2   paragraphe 8, mais nous allons mentionner également l'arrêt dans l'affaire

  3   Kordic et Cerkez, paragraphes 18 et 19, tout comme le jugement rendu dans

  4   l'affaire Blaskic.

  5   Dans notre mémoire en appel, nous n'avons fait que mentionner

  6   partiellement certaines des erreurs parce qu'il a fallu tenir compte du

  7   nombre de mots limités pour ce qui est donc de mentionner des moyens

  8   d'appel autres que la Défense a considéré importants. Donc, la taille des

  9   erreurs commises dans notre mémoire en appel n'indique pas l'envergure

 10   réelle des erreurs commises. Et nous allons maintenant faire état des

 11   erreurs constatées au Volume III du jugement. Et nous indiquerions que les

 12   constatations et conclusions dans 45 paragraphes de ce Volume III, ce qui

 13   constitue pratiquement le quart des paragraphes qui se rapportent à mon

 14   client, se fondent sur des citations erronées, inexactes, inconséquentes,

 15   et incomplètes de pièces à conviction, et plus précisément, il s'agirait de

 16   194 pièces à conviction erronément analysées de cette façon. Alors, ce fait

 17   ne peut et ne doit être ignoré. Le jugement rendu ne reflète pas la

 18   situation de faits, et c'est la raison pour laquelle il apparaît avec

 19   évidence que la Chambre de première instance, du fait de ces erreurs, a

 20   tiré des conclusions erronées en matière de droit pour ce qui est du rôle

 21   joué par Sreten Lukic et des erreurs erronées, par conséquent, sur sa

 22   responsabilité.

 23   Le caractère massif et la teneur desdites erreurs placent hors

 24   vigueur en grande mesure les conclusions tirées par cette Chambre de

 25   première instance.

 26   Cette Chambre pullule de constatations et de conclusions qui

 27   renvoient le lecteur vers des notes de bas de page, et à la lecture des

 28   éléments de preuve de ces notes de bas de page, en termes simples, cela


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  1   n'étaye guère les constatations et conclusions figurant dans les

  2   paragraphes du jugement rendu.

  3   A la lecture de ce jugement en tant que tel, cela fait sens; mais

  4   cela ne fait pas sens si l'on indique les constatations et conclusions des

  5   Juges de la Chambre par procédé de vérification, au vu de la teneur des

  6   notes de bas de page. Ceci s'est donc soldé par une grande injustice à

  7   l'égard de mon client parce que compte tenu du fait de ces erreurs aussi

  8   nombreuses, il y a des erreurs de droit de commises pour ce qui est de la

  9   responsabilité de mon client. Et nous avons réparti aujourd'hui ces erreurs

 10   en plusieurs groupes. Le premier groupe, ce sont les erreurs qui se

 11   rapportent aux aperçus des événements au quotidien établis par l'état-major

 12   du MUP au Kosovo. Ces aperçus ont été faits partant des rapports qui ont

 13   été communiqués par les différents SUP au Kosovo, et comme on a pu

 14   l'entendre dire, ces mêmes rapports, en parallèle et en premier lieu,

 15   avaient été envoyés au siège du MUP à Belgrade, alors que l'état-major du

 16   MUP à Pristina ne les recevait que pour information en parallèle.

 17   Et bien que dans la source d'origine on dit bien qu'il s'agit d'un

 18   aperçu, les Juges de la Chambre de première instance persiste à les appeler

 19   rapports, et la différence est substantielle. Les rapports des SUP étaient

 20   déjà partis au siège du MUP à Belgrade. Le QG du MUP, c'est un organe

 21   auxiliaire. On peut le voir dans bon nombre de documents, cela, où l'on a

 22   indiqué quels sont les documents émanant de ce QG ou état-major. Alors, ces

 23   aperçus sont utilisés par les Juges de la Chambre comme pièces à conviction

 24   pour ce qui est des conclusions à tirer au sujet de différentes questions

 25   et attributions et rôle de Lukic en sa qualité de chef d'état-major.

 26   Mais de règle, la Chambre de première instance tente de prouver le

 27   contraire de ce que ces rapports montrent, en fait. Parce que dans sa

 28   constatation ou conclusion de ces aperçus, au paragraphe 1 059 du Volume


Page 527

  1   III, la Chambre se réfère à la note de bas de page 2657 pour constater :

  2   "Le nom de Lukic se trouve être imprimé à la fin de chaque rapport, mais

  3   ces rapports, il ne les a pas signés physiquement parlant."

  4   Et en dépit des conclusions de cette nature, dans son paragraphe en

  5   clôture et en conclusion, la Chambre de première instance - et je vous

  6   renvoie au paragraphe 1 123 du Volume III - on indique comment ces rapports

  7   ont été rédigés et ce que Lukic savait au sujet des événements au Kosovo.

  8   Et on y dit :

  9   "Ils ont par la suite été rassemblés pour faire un rapport général que

 10   Lukic signait et envoyait vers le MUP à Belgrade."

 11   La constatation au terme de laquelle Lukic avait signé et envoyé se trouve

 12   être directement opposée à la constatation antérieure des Juges de la

 13   Chambre, où il a été dit que Lukic n'avait pas physiquement signé ces

 14   rapports.

 15   Dans plusieurs paragraphes, les Juges de la Chambre indiquent ces

 16   rapports comme éléments de preuve pour dire que Lukic avait des

 17   connaissances à ce sujet et qu'il avait constitué un maillon important dans

 18   la rédaction de ces rapports en indiquant que les rapports avaient été

 19   signés par lui. Mais le fait est qu'aucun de ces rapports n'a été signé de

 20   la main de Lukic pour une bonne raison, qui est celle de préciser que ces

 21   rapports n'avaient pas tous été en possession de Lukic; ça avait été une

 22   tâche routinière de l'analyste au QG de Pristina. Il s'agissait de Desimir

 23   Slovic jusqu'au bombardement, et suite à blessure de ce dernier lors du

 24   bombardement de Pristina par le pacte de l'OTAN à la fin du mois, il a été

 25   remplacé, lui, par Vojislav Gucic. Les rapports que Sreten Lukic a pu voir

 26   n'ont pu que l'informer du fait que des délits au pénal avaient été décelés

 27   et poursuivis en justice de façon convenable, et ceci se rapporte à des

 28   rapports qui n'ont pas tous été présentés dans cette affaire, bien que nous


Page 528

  1   les ayons confiés au Procureur, du premier au dernier, et nous avons une

  2   trentaine de rapports de ce type. Et dans chacun des rapports, il est dit

  3   que des délits au pénal ont été constatés et poursuivis en justice.

  4   Alors, le jugement se fonde sur une interprétation erronée de ces

  5   aperçus dans un grand nombre de paragraphes. Tout ceci se rapporte au

  6   Volume III, paragraphe 1 053; 48 rapports en note de bas de page 2639; 26

  7   rapports dans la note de bas de page 2640; 22 rapports à la note de bas de

  8   page 2641; le paragraphe 1 054, quatre rapports dans des notes de bas de

  9   page allant de 2654 à 2648; puis le paragraphe 1 090, qui précise qu'il

 10   s'agit de la pièce 6D1246; puis le paragraphe  1091, qui se réfère au

 11   6D1239 à trois reprises; le 1 094 se réfère au 6D1242 et à la pièce P1693;

 12   le paragraphe 1 096 cite 16 rapports indiqués en note de bas de page 2751;

 13   puis le paragraphe 1 123 fait référence à huit rapports en note de bas de

 14   page 2824; et le paragraphe 1 124 cite 16 rapports en note de bas de page

 15   2826.

 16   On voit que dans huit paragraphes, on a cité 146 rapports au sujet

 17   desquels les Juges de la Chambre de première instance indiquent que c'est

 18   Lukic qui les a signés, et ce qui n'est confirmé par aucun des rapports.

 19   Alors, cette quantité massive fournit une fausse image du rôle joué par

 20   Lukic pour ce qui est de ses attributions, de sa connaissance des crimes

 21   commis, et cetera. Et il est question de délits au pénal qui ont été

 22   poursuivis en justice, les auteurs ont été arrêtés, il y a des enquêtes de

 23   diligentées, et cetera.

 24   Le groupe suivant, ce sont des erreurs pour ce qui est des conclusions

 25   tirées par les Juges de la Chambre, où il est dit que Lukic avait donné des

 26   ordres, des instructions, et cetera, et qu'il les avait signés en personne,

 27   chose qui est démentie par les éléments de preuve pris à la source auxquels

 28   les Juges de la Chambre se réfèrent. Aucun de ces documents n'a été


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  1   physiquement signé par Lukic, mais par quelques membres du QG ou par

  2   certains généraux de Belgrade qui sont venus au Kosovo pour utiliser les

  3   locaux du QG et l'en-tête du chef de ce QG.

  4   Avec la pièce à conviction 6D874 indiquée à la note de bas de page

  5   2528, paragraphe 1 005 du Volume III, la Chambre de première instance

  6   indique ce qui suit :

  7   "La Chambre constate que la dépêche, quand bien même ce n'est pas

  8   Lukic qui l'a signée, a quand même été envoyée du QG en son nom. Il n'y a

  9   aucune précision qui indiquerait que la dépêche n'avait pas été approuvée."

 10   Contrairement à ceci, il y a un témoignage de Gvozden Gagic qui a

 11   expliqué la totalité de la procédure de rédaction et d'expédition de ce

 12   document pour indiquer clairement que Sreten Lukic, non seulement n'a pas

 13   participé à la rédaction de celui-ci, mais n'a pas été même informé de

 14   l'expédition de ce document depuis l'adresse du QG, et on ne lui a pas non

 15   plus demandé son approbation pour ce qui était de l'envoyer. On lui a

 16   expliqué qu'une autre personne avait signé le document en question, bien

 17   qu'à la fin du document on ait mis le nom de Sreten Lukic. On peut voir

 18   ceci au compte rendu d'audience, page 24 476, ligne 24, et ceci, jusqu'à la

 19   page du compte rendu 24 478, ligne 13.

 20   Donc, il ne fallait aucune décision ou approbation de Sreten Lukic

 21   pour que quelque chose soit envoyé du QG du MUP. C'était la seule adresse à

 22   partir de laquelle son supérieur hiérarchique s'adressait ailleurs, à

 23   savoir Obrad Stevanovic, lorsqu'il était à Pristina et lorsqu'il n'était

 24   pas sur le terrain aux côtés des unités de la PJP.

 25   Des erreurs similaires dans les conclusions de la Chambre peuvent

 26   être retrouvées dans les paragraphes suivants et pièces à conviction : je

 27   parle encore du Volume III, paragraphe 988, pièces à conviction 6D690 et

 28   P2528; ensuite, paragraphe 1 004, pièce à conviction 6D237; paragraphe 1


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  1   005, pièce à conviction 5D1289; paragraphe 1 093, pièce à conviction 6D874;

  2   paragraphe 1 093, pièces à conviction 6D874 et 6D876; ensuite, paragraphe 1

  3   095, pièce à conviction 5D1289. Par conséquent, dans ces six paragraphes,

  4   la Chambre adopte des conclusions erronées pour ce qui est de neuf pièces à

  5   conviction.

  6   Le groupe suivant d'exemples de preuves pour ce qui est de citation

  7   inexacte, incomplète ou inconséquente, ou d'interprétation inexacte,

  8   incomplète et inconséquente, c'est la chose suivante : du fait du nombre

  9   massif de ces erreurs, la Chambre a tiré des constations et conclusions

 10   erronées, et la règle veut que ces constatations et conclusions se sont

 11   faites au détriment de Sreten Lukic. Parce que si la Chambre avait à juste

 12   titre utilisé les preuves en question, on pourrait raisonnablement

 13   s'attendre à des conclusions qui iraient à l'avantage de la Défense de

 14   Lukic.

 15   Par exemple, au 1 031 du Volume III, la Chambre dit que Lukic avait

 16   mentionné que prétendument dans le secteur de Jablanica, il y avait des

 17   fosses communes, et on cite à ce titre la pièce P1468, page 134. Au

 18   paragraphe suivant, le 1 032, on dit que l'exemple précédent a bien montré

 19   que Lukic était informé des activités du MUP, ce qui devrait signifier que

 20   cette fosse commune était le résultat des interventions effectuées par les

 21   effectifs de l'Etat. Or, la preuve à laquelle se réfère la Chambre ne

 22   prouve pas chose pareille. Au contraire. Bon nombre de pièces à conviction

 23   montrent que Jablanica était sur un territoire contrôlé par l'UCK, et qu'à

 24   Jablanica il y avait un QG de l'UCK. Lukic, donc, démontre qu'il s'agit de

 25   crimes commis par l'UCK. Le 5D1307, puis le 4D137, le 4D140.

 26   Devant ce Tribunal, on a même condamné Brahimaj pour certains crimes

 27   commis à Jablanica, du reste. Puis, au paragraphe 1 056, la Chambre

 28   indique, et je précise qu'il s'agit du 6D1239, on parle de corps de civils


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  1   non identifiés qu'on a retrouvés, mais ce qui est tout à fait contraire à

  2   la pièce à conviction originale, où il est dit que dans la zone des

  3   activités des forces terroristes siptar, on a retrouvé des corps non

  4   identifiés d'hommes et qu'on a informé de la chose le juge d'instruction.

  5   Donc la Chambre a omis la définition principale qui est celle, dans la zone

  6   des activités des forces terroristes siptar, qui parle de la connaissance

  7   qu'avait eue Lukic du fait qu'il s'agissait de corps de personnes qui

  8   avaient péri au combat. Le terme d'hommes non identifiés est modifié pour

  9   parler de corps de personnes civiles.

 10   Au paragraphe 1 054 du Volume III, la Chambre indique qu'à la pièce à

 11   conviction 6D808, il est dit que l'on avait tenu à jour un registre

 12   concernant le nombre des Albanais qui quittaient le Kosovo. Mais si on lit

 13   le document et ce qu'il dit, on peut voir qu'on demande dans ce document la

 14   communication de bon nombre de renseignements, et, entre autres, la

 15   communication de renseignements relatifs à des personnes du groupe ethnique

 16   albanais et autres communautés ethniques qui ont quitté le Kosovo. Donc la

 17   Chambre, sciemment, fait une citation erronée des éléments de preuve pour

 18   montrer que Lukic avait demandé un registre qui ne se rapporterait qu'aux

 19   Albanais, alors qu'il n'est pas exact puisqu'il a demandé des

 20   renseignements au sujet des personnes qui avaient quitté le Kosovo.

 21   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Monsieur Lukic, je crois que le

 22   temps qui vous a été alloué vient de prendre fin.

 23   M. LUKIC : [interprétation] Si c'est cela, je vais vous demander juste une

 24   minute pour avoir la possibilité de remercier Mme et Messieurs les Juges.

 25   Pour tout ce qui vient d'être énoncé dans notre mémoire en appel ou dans ce

 26   qui a été dit en réponse au mémoire de l'Accusation, en plus de ce que nous

 27   avons souligné dans nos propos en clôture, nous allons demander aux Juges

 28   de la Chambre de prononcer un arrêt d'acquittement. Nous tenons à remercier


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  1   les Juges de la Chambre d'avoir prêté une oreille attentive à nos propos,

  2   et de bien vouloir aussi prendre en considération ce que nous avons dit.

  3   Nous espérons donc que vous allez remédier aux erreurs que nous avons

  4   indiquées et que vous allez rendre un jugement d'acquittement pour ce qui

  5   est de notre client. Merci.

  6   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Grand merci.

  7   Une chose seulement que je voudrais vous demander à titre

  8   d'éclaircissement, c'est ce qui figure en page 47, ligne 5, vous y parlez

  9   d'un cas de figure où il a été procédé à l'identification de corps de

 10   civils. Je me demande si c'est bien ce que vous avez dit s'agissant de 287

 11   individus qui ont été tués à Djakovica ?

 12   M. LUKIC : [interprétation] Je m'excuse, je me suis peut-être mal exprimé.

 13   Je ne pense pas qu'il s'agisse de Djakovica. C'est de Jablanica qu'il

 14   s'agit.

 15   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Grand merci.

 16   Oui, le Juge Tuzmukhamedov a une question à poser.

 17   M. LUKIC : [interprétation] Non -- enfin, j'allais m'asseoir, mais allez-y.

 18   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Vous savez, vous pouvez vous

 19   asseoir ou rester debout. Je vous parle maintenant de la partie que vous

 20   avez présentée en oral où vous avez évoqué des documents qui avaient servi

 21   de base pour ce qui est de la pièce à conviction 6D614 et des affirmations

 22   qui ont été faites concernant la valeur cruciale de ces documents. Est-ce

 23   que vous pouvez expliquer davantage de quels documents vous avez parlé ici

 24   ? Me suivez-vous, Monsieur l'Avocat ?

 25   M. LUKIC : [interprétation] Oui, mais je crois que c'est mon co-conseil qui

 26   pourra répondre à cette question.

 27   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Je crois, oui, que c'est plus

 28   approprié parce que c'est lui qui a parlé de ces éléments dans sa


Page 533

  1   présentation.

  2   M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  3   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Eh bien, je voudrais savoir de

  4   quels documents vous avez parlé, et pourquoi, de votre avis, ces documents

  5   se trouveraient être cruciaux pour ce qui est de la défense présentée par

  6   vous ? Vous avez également indiqué dans votre mémoire que du fait d'avoir

  7   rejeté ces documents, les Juges de la Chambre de première instance ont

  8   commis une erreur. Et j'aimerais que vous élaboriez en quoi consiste

  9   l'erreur des Juges de la Chambre qui, de votre avis, serait survenue dans

 10   leurs travaux. Merci.

 11   M. IVETIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. Je vais très

 12   volontiers vous en parler. Le 6D614 est un ensemble de documents où Sreten

 13   Lukic, en sa qualité de chef du MUP, après la guerre, avait demandé à ce

 14   que ces documents soient rassemblés pour ce qui est des preuves existantes

 15   au sujet des crimes commis, et on avait englobé là tous les témoignages

 16   recueillis par les autorités pour aider les procureurs. Le 6D614 procède à

 17   une catégorisation de cette documentation et montre que les crimes commis

 18   avaient été investigués par les autorités et qu'il y avait eu des

 19   préparatifs de faits pour le compte de l'accusation. Cela montre que, donc,

 20   pendant la période de temps où il y a eu les frappes aériennes de l'OTAN au

 21   Kosovo, le MUP de Serbie avait bel et bien enquêté et indiqué les noms des

 22   membres de la police, de l'armée ou des citoyens ordinaires qui avaient

 23   commis des crimes, y compris les crimes commis contre des Albanais. Alors,

 24   ces documents -- le document 6D614 est un résumé. Ceci évoque les documents

 25   qui ont été récupérés par notre client dans le cadre d'un projet qu'il

 26   avait présidé pour montrer que le MUP avait fait son travail, que les

 27   autorités avaient fait leur travail, que les tâches policières et les

 28   enquêtes au sujet de crimes avaient été réalisées indépendamment de

 


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  1   l'appartenance ethnique des victimes pour rassembler des éléments de preuve

  2   susceptibles d'aider la poursuite en justice de ces individus.

  3   Les témoins qui ont témoigné pour ce qui est de cette pièce 6D614, et

  4   partant de la documentation utilisée, je dirais que les Juges de la Chambre

  5   de première instance nous ont autorisés seulement à intégrer des références

  6   émanant de la pièce 6D614 où les témoins ont parlé de connaissance

  7   personnelle à ce sujet, sans autoriser les éléments de preuve documentaires

  8   au complet qui montreraient la situation dans son ensemble, et cela

  9   fournirait une image tout à fait différente. Une fois de plus, étant donné

 10   les limitations du nombre d'heures et du nombre de témoins, nous n'avons

 11   pas pu faire venir des témoins qui auraient eu des connaissances au sujet

 12   de chacun des incidents qui ont fait l'objet d'investigation au Kosovo

 13   pendant la période de temps des frappes aériennes de l'OTAN. Et je crois

 14   que c'est là un élément critique de l'erreur qui a été commise.

 15   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Merci.

 16   M. IVETIC : [interprétation] Merci de ma part.

 17   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bon, je ne vois pas qu'il y ait d'autres

 18   questions posées par les Juges de la Chambre. Je voudrais vous remercier,

 19   Monsieur Lukic.

 20   Nous allons maintenant entendre la réplique de l'Accusation.

 21   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Bonjour à tout

 22   un chacun.

 23   Le général Lukic a été un membre important de l'entreprise criminelle

 24   commune. En tant que chef de l'état-major du MUP, il a commandé les unités

 25   du MUP qui ont commis des crimes à une grande échelle au Kosovo en 1999. Il

 26   a planifié et coordonné l'engagement des forces du MUP dans le cadre des

 27   opérations conjointes avec la VJ partout sur le territoire de la province,

 28   qui ont donné lieu à des crimes reprochés en l'espèce. Sur la base de cela


Page 535

  1   et d'autres éléments de preuve, la Chambre a eu raison de constater que

  2   Lukic a contribué de manière importante à l'entreprise criminelle commune,

  3   qu'il a partagé l'intention des autres membres de la même entreprise

  4   criminelle commune, à savoir Pavkovic et Sainovic.

  5   Aujourd'hui, mon collègue M. Wood et moi-même, nous nous pencherons sur vos

  6   questions portant sur l'actus reus et sur la mens rea au titre de la

  7   responsabilité de l'entreprise criminelle commune. Moi, je me pencherai sur

  8   la question 10 sur l'actus reus pour l'entreprise criminelle commune de la

  9   première catégorie, et aussi je me pencherai sur votre question portant sur

 10   la participation de Lukic au processus de désarmement. Mon collègue, M.

 11   Wood, se penchera sur les questions de la Chambre portant sur la mens rea

 12   pour les entreprises de première et de troisième catégories eu égard à

 13   Lukic. Et nous allons également aborder quelques questions qui ont été

 14   soulevées aujourd'hui par nos collègues de la Défense.

 15   Pour tout le reste, nous nous appuyons sur ce qui a déjà été exposé

 16   dans notre mémoire. Alors, un petit commentaire, si vous le permettez,

 17   avant que je ne me penche sur vos questions. Alors, un commentaire sur le

 18   critère d'examen en appel et sur l'appel de M. Lukic. Nous estimons,

 19   Madame, Messieurs les Juges, que Lukic n'a pas contribué à ce processus en

 20   appel par la teneur de son appel ou par son mémoire en réponse, ni par ses

 21   arguments exposés aujourd'hui. Comme nous l'avons déjà présenté de manière

 22   plus détaillée dans notre mémoire en réponse, de nombreuses questions qu'il

 23   soulève ici constituent en fait les mêmes arguments qu'il a exposés pendant

 24   le procès de première instance qui ont été examinés et rejetés par la

 25   Chambre de première instance, rejetés dans son jugement. Faisant cela, il

 26   ne démontre pas où se situent les erreurs de la Chambre. Il se contente de

 27   prendre ce qui lui convient au niveau des éléments de preuve du dossier,

 28   mais il ne tient pas compte de l'ensemble des éléments de preuve qui ont


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  1   été examinés par la Chambre de première instance. Il souligne des

  2   conclusions qui manquent de pertinence, il les prend hors contexte, et je

  3   reparlerai de cela plus tard.

  4   Il interprète de manière erronée le jugement, il l'a fait également dans

  5   son mémoire en appel et il l'a refait aujourd'hui dans le prétoire. A titre

  6   d'exemple, le paragraphe 1 049 du Volume III du jugement qui a été cité.

  7   L'équipe de la Défense Lukic a fait valoir que dans ce paragraphe la

  8   Chambre est arrivée à la conclusion que Lukic n'avait pas la possibilité de

  9   discipliner les membres du MUP. En fait, ce n'est pas ce que nous dit le

 10   paragraphe cité, le paragraphe 1 049. La conclusion de la Chambre, en fait,

 11   est que les consignes données par Lukic en août 1998 et en février 1999

 12   montrent qu'il avait de fait l'autorité de demander aux chefs des SUP, aux

 13   secrétariats aux affaires intérieures, de mener à bien des enquêtes portant

 14   sur les crimes commis, même si ce n'était pas lui qui avait amorcé les

 15   procédures. Donc c'est une conclusion tout à fait différente de ce qui a

 16   été présenté par mes confrères de la Défense ce matin.

 17   Dans le mémoire de Lukic, nous voyons qu'il ne comprend pas les critères

 18   d'examen en appel appliqués par le Tribunal. Cela montre aussi qu'il ne

 19   comprend pas bien les conclusions qui figurent au jugement de la Chambre de

 20   premier appel. Il ne s'agit pas ici de dire que la Chambre n'a pas pris en

 21   compte les éléments de preuve de l'espèce, comme le fait valoir Lukic. En

 22   fait, non seulement la Chambre a-t-elle pris en considération de manière

 23   très attentive tous les éléments de preuve, mais elle a aussi examiné les

 24   arguments en première instance de Lukic de manière très attentive, elle a

 25   fourni des opinions motivées, des conclusions motivées, et s'est appuyée

 26   sur l'ensemble des éléments de preuve.

 27   Je vais maintenant me pencher sur la question numéro 10 :

 28   "D'un point de vue de droit et eu égard aux conclusions spécifiques de la


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  1   Chambre pour chaque appelant déclaré coupable au titre de l'entreprise

  2   criminelle commune I, si l'actus reus et la mens rea d'un membre de

  3   l'entreprise criminelle commune peuvent préexister à l'objectif commun…"

  4   Vous avez entendu lundi les arguments présentés par ma collègue, Mme Martin

  5   Salgado, portant sur notre approche aux questions de droit, et je précise

  6   que je ne me pencherai que sur la composante actus reus de cette question,

  7   puisque mon collègue abordera la question de la mens rea.

  8   Alors, nous comprenons que la Chambre d'appel demande si on a conclu que

  9   Lukic a contribué à l'entreprise criminelle commune avant l'existence de

 10   l'objectif commun. Et notre réponse est par la négative.

 11   La contribution de Lukic se fonde sur la conduite qui a existé avant cette

 12   période là où les crimes ont été commis. En tant que chef de l'état-major

 13   du MUP, Lukic a contribué de manière importante à l'entreprise criminelle

 14   commune par la planification, l'organisation et le contrôle des unités du

 15   MUP et encore dans les actions conjointes avec la VJ tout au long de la

 16   période couverte par l'acte d'accusation.

 17   Pendant les mois qui ont précédé la campagne de 1999, donc la campagne de

 18   laquelle traite l'espèce, Lukic a commencé les préparatifs qui ont permis

 19   la mise en œuvre de l'objectif commun. Ces préparatifs, y compris

 20   l'armement de la population non-albanaise et le désarmement de la

 21   population albanaise, constituent partie intégrante de sa contribution à

 22   l'entreprise criminelle commune dans l'objectif de la mise en œuvre du plan

 23   criminel.

 24   Alors, je vais préciser un petit peu d'abord quel a été le rôle joué

 25   par Lukic en tant que chef de l'état-major du MUP, et deuxièmement, sa

 26   contribution pour la période où les crimes ont été commis, donc pour

 27   expliquer sa contribution à l'entreprise criminelle commune. Et en exposant

 28   mes arguments, je répondrai aux questions que vous avez posées.


Page 538

  1   Alors, premièrement, prenons le rôle qu'il a joué en tant que chef de

  2   l'état-major du MUP. Aux paragraphes 945 et 1 050 du Volume III du

  3   jugement, la Chambre a constaté qu'il a occupé ce poste de la mi-juin 1998

  4   à juin 1999. L'état-major du MUP a été l'instance qui avait la charge

  5   d'organiser, de planifier, de contrôler et de diriger les activités des

  6   forces du MUP au Kosovo, Volume III, paragraphe 1012, basées à Pristina.

  7   La Chambre a eu raison de conclure qu'en tant que chef de l'état-

  8   major du MUP, Lukic a été le commandant de jure et de facto des forces du

  9   MUP déployées au Kosovo, y compris les unités qui ont pris part aux

 10   activités de combat, Volume III, paragraphe 1 131. En cette capacité, Lukic

 11   a directement participé au processus de planification, a été la personne

 12   responsable de l'emploi et de l'engagement des forces du MUP dans la

 13   province, Volume III, paragraphe --

 14   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Nous semblons avoir un problème

 15   technique. Madame la Juge Ramaroson ne semble n'avoir aucune

 16   interprétation.

 17   Le problème a-t-il été résolu ? Oui. Excusez-moi, vous pouvez continuer.

 18   C'est à vous.

 19   Mme KRAVETZ : [interprétation] Aucun problème, je continue.

 20   Donc, je parlais du rôle joué par Lukic à la tête de l'état-major du MUP,

 21   et je disais qu'en cette qualité, il a pris part directement au processus

 22   de planification et c'était lui aussi qui était responsable de l'emploi de

 23   l'engagement des forces du MUP dans la province. Je vous renvoie aux

 24   paragraphes 1 051 et 1 131 du Volume III du jugement. C'était lui également

 25   qui était responsable de faire en sorte que les opérations des forces du

 26   MUP, de manière quotidienne, soient menées au Kosovo conformément aux

 27   politiques globales et les projets qui ont été conçus par la direction du

 28   MUP de Belgrade et par Milosevic, paragraphe 1 131, Volume III. Il a


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  1   coordonné, planifié les opérations conjointes avec la VJ, en particulier

  2   avec Pavkovic, donc son homologue au sein de la VJ, et ce, à partir du mois

  3   de mars 1999. Je vous renvoie aux paragraphes 1 118 et 1 132 du Volume III.

  4   Et si je puis répondre brièvement à ce qui a été dit par mon confrère

  5   ce matin sur les constatations de la Chambre de première instance sur son

  6   rôle et l'autorité donc de Lukic. D'après ce que nous avons entendu

  7   aujourd'hui, il semblerait que rien n'a changé. Puisque pendant le procès

  8   de première instance, l'argument de Lukic était qu'il était en fait un

  9   général de la police qui n'avait aucune autorité sur les unités du MUP

 10   déployées au Kosovo et qu'il était à la tête d'une instance très faible,

 11   appelée l'état-major du MUP. Toutefois, la Chambre est arrivée à des

 12   conclusions que je viens de présenter et qui se fondent sur un examen très

 13   attentif des éléments de preuve portant sur le rôle joué par Lukic et par

 14   son autorité ou plutôt sur le rôle et l'autorité de l'état-major du MUP aux

 15   paragraphes 947 jusqu'à 1 051 du Volume III.

 16   Alors, l'un des éléments de preuve examiné par la Chambre est

 17   l'explication donnée par Lukic lui-même de son rôle et de ses

 18   responsabilités. En fait, il a été le mieux placé pour expliquer le rôle de

 19   l'état-major du MUP, au Volume III, paragraphe 1 013, la Chambre se réfère

 20   à son explication donnée pendant son audition avec les responsables du

 21   bureau du Procureur où il explique que le rôle de l'état-major du MUP

 22   consistait à coordonner, à planifier et à diriger les unités

 23   organisationnelles du MUP avant tout, afin de combattre le terrorisme.

 24   Et dans ce même paragraphe, la Chambre s'est référée au rôle joué par

 25   Lukic vis-à-vis les unités spéciales de la police, les PJP dans le

 26   jugement, et la Chambre constate que Lukic a dit lui-même que ces unités

 27   avaient une double responsabilité vis-à-vis d'Obrad Stevanovic, également

 28   vis-à-vis de l'état-major du MUP.


Page 540

  1   Et la Chambre a constaté également que le fait de recommander Lukic

  2   pour qu'il puisse bénéficier d'une promotion, le ministre Stojiljkovic, le

  3   ministre de l'Intérieur, eh bien, l'a félicité de son succès sur le plan du

  4   commandement et du contrôle des unités du MUP engagées dans la prévention

  5   du terrorisme au Kosovo et le ministre du MUP Stojiljkovic clairement

  6   savait, avait l'impression que c'était bien les rôles et les

  7   responsabilités du général Lukic au Kosovo.

  8   Alors, en contestant les conclusions de la Chambre de première

  9   instance portant sur son rôle et son autorité en appel, Lukic, en fait, se

 10   contente de répéter les mêmes arguments qu'il avait déjà avancés en

 11   première instance, mais il ne démontre pas où réside les erreurs de la

 12   Chambre. Donc il convient de rejeter ses contestations.

 13   Alors, je voudrais maintenant parler de la contribution de Lukic à

 14   l'entreprise criminelle commune et, premièrement, sa participation à la

 15   planification, à la coordination des opérations du MUP. Ensuite, je

 16   parlerai de son rôle, du processus d'armement et de désarmement.

 17   Lukic a pris part activement à la planification et à la coordination

 18   des opérations du MUP pendant la campagne de 1999, confer paragraphe 1 131

 19   et 1 132 du Volume III. La Chambre a constaté que les bombardements de

 20   l'OTAN ont fourni aux membres de l'entreprise criminelle commune une

 21   opportunité, celle qu'ils avaient attendue et à laquelle ils s'étaient

 22   préparés, à savoir leur permettant de mener à bien leur plan commun, Volume

 23   III, paragraphe 92. Le MUP se préparait pour une offensive à une grande

 24   échelle au printemps 1999. La preuve : les entretiens, les conversations au

 25   niveau de l'état-major du MUP du 17 février 1999. Cette réunion fait

 26   l'objet du paragraphe 996 du Volume III. Ce jour-là, Lukic a présidé une

 27   réunion, la direction du MUP de Belgrade représentée par ses membres les

 28   plus importants, et là, il s'agit du ministre Stojiljkovic, le chef des


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  1   deux branches du MUP, Vlastimir Djordjevic et Radomir Markovic, ainsi que

  2   par les commandants du MUP au Kosovo. Est-ce que nous pouvons montrer la

  3   planche numéro 1, s'il vous plaît.

  4   Nous avons à l'écran maintenant le procès-verbal de cette réunion,

  5   Volume III, paragraphe 996, et nous voyons ici les propos de Lukic qui ont

  6   été mis en exergue en haut de la page, nous voyons que Lukic présente la

  7   situation au Kosovo et il rend compte sur les plans de l'état-major du MUP

  8   consistant à prévoir trois opérations de ratissage dans les zones qui sont

  9   décrites dans la planche, et il se réfère aussi au personnel qui a été

 10   affecté à ces opérations.

 11   Et en plus, il rend compte que dans les jours qui viennent, une

 12   réunion de l'état-major du MUP sera organisée avec l'ensemble des

 13   commandants des détachements des unités de la police pour une nouvelle

 14   consultation portant sur leur engagement.

 15   Lors de cette même réunion, le ministre du MUP Stojiljkovic s'adresse

 16   aux personnes présentes, et dans ses conclusions il se réfère à une

 17   éventuelle attaque par l'OTAN. Que dit-il ? Il dit :

 18   "En l'espace de deux ou trois jours du début d'une attaque, il nous

 19   faut activer nos plans et utiliser le temps que nous avons pour nettoyer le

 20   territoire des terroristes."

 21   Et je vous renvoie à la pièce P1990, ces commentaires figurent en

 22   page 3, il a continué en présentant les missions à venir, que nous pouvons

 23   voir en bas. Vous pouvez enlever la planche.

 24   La Chambre a conclu que dans les secteurs identifiés par Lukic pour ces

 25   actions, lors de la réunion du 17 février 1999, étaient les mêmes qu'avait

 26   envisagé l'ordre pour Grom 3 de Lazarevic, l'ordre du 16 février 1999, ce

 27   qui confirme la planification et la coordination conjointe entre la VJ et

 28   la direction du MUP; Volume I, paragraphes 1 015 et 1 039.


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  1   Les plans de grande échelle préparés par la VJ et le MUP au mois de février

  2   1999 ont été mis en œuvre suivant les deux chaînes de commandement à la fin

  3   du mois de mars 1999 par le truchement de toute une série d'ordres du

  4   commandement conjoint, Volume I du jugement, paragraphe 1 017.

  5   Pendant la mise en œuvre de ces opérations, Lukic a coopéré étroitement

  6   avec les membres suivants du commandement conjoint, Pavkovic et Sainovic,

  7   aux fins de coordination des actions du MUP et de la VJ, Volume III du

  8   jugement, paragraphes 1 118 et 1 132. Ces opérations conjointes du MUP et

  9   de la VJ n'auraient pas pu avoir lieu sans la participation directe de

 10   Lukic, chef de l'état-major du MUP. Recourant à cet état-major du MUP,

 11   Lukic a mis en œuvre les décisions et tâches du commandement conjoint

 12   impliquant des unités du MUP, et ce, en suivant la chaîne de commandement

 13   du MUP vers le bas, Volume I du jugement, paragraphes 1 033 à 1 042; et

 14   Volume III, paragraphes 973 à 975 ainsi que 1 132. Le rôle de Lukic était

 15   de s'assurer de la participation des unités du MUP dans les opérations

 16   conjointes, Volume III, paragraphes 1 118 et 1 132. C'est pourquoi la

 17   Chambre a conclu que Lukic était un membre important de l'entreprise

 18   criminelle commune, voir paragraphe 1 131 du Volume III.

 19   Comme M. Kremer l'a expliqué lundi, les opérations conjointes du MUP et de

 20   la VJ qui se sont déroulées à partir de la fin mars 1999 se sont traduites

 21   par une campagne de terreur et de violence dirigée contre la population

 22   albanaise du Kosovo.

 23   Pendant toute la durée de cette campagne, Lukic était sur le terrain

 24   à Pristina, ceci lui a permis de superviser de près les activités du MUP; à

 25   titre de référence, je renvoie les Juges de la Chambre d'appel au Volume

 26   III du jugement, paragraphes 999 à 1 001, 1 004, 1 006, 1 009, 1 010 et 1

 27   040. De par sa présence constante sur le terrain, Lukic était également

 28   informé des mauvais traitements et du déplacement forcé infligé par les


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  1   forces serbes à un très grand nombre de civils, Volume III, paragraphe 1

  2   124.

  3   Les opérations du MUP et de la VJ se sont poursuivies jusqu'en avril

  4   et mai 1999. Les interventions de Lukic lors de réunions de l'état-major du

  5   MUP et les instructions qu'il donnait aux commandants du MUP pendant cette

  6   période apportent la démonstration du fait qu'il supervisait activement ces

  7   opérations, et pour plus de détails, je renvoie les Juges de la Chambre

  8   d'appel au Volume III, paragraphes 999 à 1 011.

  9   Conjointement avec des forces de la VJ, des unités du MUP, que

 10   commandait Lukic, ont exécuté le plan de l'entreprise criminelle commune

 11   avec une efficacité brutale, déplaçant plus de 700 000 civils Albanais du

 12   Kosovo en l'espace de deux mois. Les unités de la VJ et du MUP ont agi en

 13   étroite coordination lorsqu'elles ont chassé la population albanaise du

 14   Kosovo, Volume I, paragraphes 1 033 à 1 043. En dépit de la connaissance

 15   qui était la sienne de la nature systématique de ces crimes, Lukic a

 16   continué à engager les unités du MUP dans des opérations conjointes avec la

 17   VJ pendant la campagne de 1999, d'où ressort clairement son intention de

 18   voir ces crimes commis, Volume III, paragraphe 1 129.

 19   Je passe à présent au rôle de Lukic dans l'armement des civils non-

 20   albanais.

 21   Oui, Monsieur le Président.

 22   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Je crois que vous abordez l'armement et

 23   le désarmement en même temps. Est-ce que vous pourriez, lorsque vous

 24   parlerez de la participation de M. Lukic au désarmement, citer les

 25   paragraphes précis du jugement ainsi que les éléments de preuve

 26   particuliers versés au dossier pendant le procès qui se rapportent à ce

 27   sujet. Je vous remercie.

 28   Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je vous


Page 544

  1   remercie. J'ai bien l'intention de le faire.

  2   Donc je passe d'abord au rôle de Sreten Lukic dans le processus d'armement,

  3   et je passerai ensuite au désarmement. Des mois à l'avance de la campagne

  4   de 1999, Sreten Lukic a armé, entraîné et organisé des civils non-albanais.

  5   Il a ensuite recouru à des habitants du cru armés pendant les attaques

  6   survenues à partir du mois de mars 1999.

  7   Comme mon collègue M. Menon l'a expliqué mardi, entre juillet 1998 et mars

  8   1999, la population non-albanaise au Kosovo a été armée et organisée pour

  9   constituer ce qu'il est convenu d'appeler les détachements de la police de

 10   réserve ou unités de défense locale; je vous renvoie au Volume I,

 11   paragraphe 787. La Chambre de première instance a conclu que ces unités

 12   étaient placées sous le commandement général et le contrôle du MUP et de

 13   Lukic, confer paragraphe 777 du Volume I et paragraphe 1 067 du Volume III.

 14   La participation de Sreten Lukic au processus d'armement pendant toute la

 15   durée de cette période est abordée au Volume III du jugement, paragraphes 1

 16   061 à 1 067.

 17   Mes confrères, ce matin, se sont référés au processus d'armement et l'ont

 18   qualifié d'une distribution légale d'armes, tout en qualifiant le

 19   désarmement comme un processus consistant à remettre volontairement des

 20   armes détenues illégalement. La Chambre de première instance s'est penchée

 21   sur la légalité du processus d'armement. Elle a relevé que la question

 22   principale relative tant à l'armement qu'au désarmement était que ce

 23   processus a été conduit sur la base de critères ethniques avant toute

 24   chose, et les conclusions pertinentes de la Chambre en la matière figurent

 25   au paragraphe 72 du Volume III. Alors, qu'entend-on lorsqu'on dit que cela

 26   a été effectué sur des critères ethniques ? La Chambre a conclu que des

 27   armes ont été distribuées à un seul groupe ethnique, celui des non-

 28   Albanais, avant tout des Serbes, et que la majorité de la population serbe


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  1   s'est venue fournir des armes. La Chambre a également conclu que le

  2   désarmement n'a concerné que les membres du groupe ethnique albanais et que

  3   la majorité de la population albanaise du Kosovo ne faisait pas partie de

  4   l'ALK. Un facteur supplémentaire considéré par la Chambre est le caractère

  5   secret du processus en question, et mes collègues, ce matin, ont

  6   caractérisé ce dernier en disant que tout le monde en était au courant, que

  7   c'était quelque chose de public.

  8   Au paragraphe 65 du Volume III, la Chambre de première instance a fait

  9   référence à certains commentaires de Sreten Lukic lui-même au sujet du

 10   processus d'armement. Il s'agit de commentaires faits à la réunion du 2

 11   novembre 1992 [comme interprété]. Lors de cette réunion, Lukic a donné pour

 12   instruction aux chefs de SUP et aux commandants du MUP de dissimuler le

 13   fait que la population serbe avait été armée aux yeux des membres de la

 14   Mission de vérification au Kosovo. De plus, il a donné pour instruction aux

 15   présents qui avaient armé des Serbes de nier que les Serbes avaient été

 16   armés dans les villages si jamais des membres de la MVK leur demandaient ce

 17   qu'il en était et d'utiliser l'excuse selon laquelle seuls les membres de

 18   la garde du village avaient été armés. De façon très claire, par ces

 19   remarques, Lukic lui-même ne considérait pas que l'armement de cette

 20   population s'était déroulé dans le cadre d'un processus public,

 21   contrairement à ce que la Défense de M. Lukic suggère.

 22   Lors de la réunion de l'état-major du MUP du 17 février 1999, lorsque

 23   des préparatifs en vue d'une offensive à grande échelle ont été discutés,

 24   Lukic a fait état du fait que des membres de l'état-major avaient tenu des

 25   réunions avec tous les détachements de la police de réserve et que les

 26   détachements en question étaient très actifs dans pratiquement tous les

 27   villages habités par des Serbes, page 1 de la pièce P1990.

 28   Lorsqu'en 1999 la campagne a commencé, Lukic a fait recours aux


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  1   habitants du cru armés dans les opérations du MUP. Ses interventions lors

  2   des réunions de l'état-major du MUP en avril et en mai 1999 confirment la

  3   participation des détachements de la police de réserve dans ces opérations,

  4   paragraphe 1 066 du Volume III. Et comme les Juges de la Chambre d'appel

  5   l'ont déjà entendu de la bouche de mes collègues plus tôt cette semaine, au

  6   Volume II du même jugement, la Chambre de première instance a conclu que

  7   dans certaines municipalités les habitants du cru armés ont participé à des

  8   actions conjointement avec le MUP et la VJ, opérations qui visaient à

  9   chasser les civils albanais du Kosovo de leurs foyers, Volume II,

 10   paragraphes 48, 432, 888 et 944.

 11   Je voudrais maintenant passer au désarmement de la population

 12   albanaise du Kosovo. A cette fin, j'ai fait distribuer un tableau dont je

 13   demande qu'il soit également remis aux Juges de Chambre d'appel. Alors,

 14   juste une correction pour le compte rendu d'audience, la référence que je

 15   viens de faire concerne non pas le "Volume III", mais le "Volume II". Je

 16   relève qu'à la ligne 14 de la page 62, le compte rendu d'audience fait de

 17   façon erronée état du "Volume III". Il s'agit du "Volume II".

 18   Je passe à présent au désarmement des membres du groupe ethnique

 19   albanais. Tout comme il avait participé au processus d'armement, Lukic a

 20   également pris part au désarmement de la population albanaise du Kosovo.

 21   Cette constatation figure au paragraphe 1 121 du Volume III. En désarmant

 22   les membres du groupe ethnique albanais au cours des mois précédant la

 23   campagne de 1999, Lukic a fait en sorte qu'il se retrouve sans défense face

 24   aux attaques des Serbes qui devaient survenir à partir de la fin du mois de

 25   mars 1999.

 26   Les Juges de la Chambre d'appel ont posé des questions relatives au

 27   rôle de Lukic dans le processus de désarmement. Avant de passer à ce sujet,

 28   et je vais revenir aux éléments du dossier un peu plus tard avec plus de


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  1   détails, mais la question était la suivante :

  2   "Prendre position quant aux éléments du dossier, s'il y en a,

  3   indiquant la participation de Lukic au processus de désarmement de la

  4   population albanaise du Kosovo."

  5   La constatation de la Chambre selon laquelle Lukic a participé au

  6   processus de désarmement est appuyée par les documents du commandement

  7   conjoint et de l'état-major du MUP versés au dossier. Ces documents

  8   montrent que les unités du MUP placés sous le commandement du Lukic ont

  9   procédé au désarmement en 1998 et que Lukic a supervisé de très près ce

 10   processus.

 11   Madame et Messieurs les Juges, on vous a remis un tableau de pièces à

 12   conviction relatives à la participation de Lukic au processus de

 13   désarmement, et je vous prie maintenant de vous pencher sur ce tableau. Il

 14   s'y trouve des références à plusieurs pièces à conviction, et j'ai

 15   l'intention de me pencher brièvement sur ces éléments de preuve. La

 16   première catégorie d'éléments de preuve figurant dans ce tableau comporte

 17   11 pièces à partir de P1468, qui sont les notes de réunions du commandement

 18   conjoint et figurent tous en première page de ce tableau. Au contraire de

 19   ce qui a été avancé par la Défense, ces extraits de notes montrent que

 20   pendant la période pertinente s'étendant d'août à octobre 1998, Lukic a

 21   régulièrement informé lors des réunions du commandement conjoint des

 22   progrès réalisés par les unités du MUP dans le processus de désarmement

 23   conduit dans les villages habités par des Albanais du Kosovo. Et si je peux

 24   référer les Juges de la Chambre à l'un des exemples concernés, par exemple,

 25   à la date du 10 septembre 1998, c'est vers le milieu de la première page du

 26   tableau. La pièce concernée est le P1468, page 100. Cet extrait fait

 27   également l'objet d'une référence au paragraphe 1 029 du jugement, Volume

 28   III.


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  1   Nous voyons à partir des extraits pertinents dans ce tableau que

  2   Lukic fait état du désarmement de six villages habités par des membres du

  3   groupe ethnique albanais et qu'il relève :

  4   "Mais cela n'est pas suffisant et cela se poursuivra demain…"

  5   Alors, pour que tout soit clair, Madame et Messieurs les Juges, je

  6   souhaite relever qu'au paragraphe 1 029, il y a une erreur quant à la date

  7   qui est citée comme étant celle de cette réunion. Le 1er septembre 1998

  8   devrait être lu comme le 10 septembre.

  9   Je voudrais maintenant passer au reste des pièces à partir de P1468,

 10   qui figure dans ce tableau. Je vais donc donner lecture des références :

 11   P1468, pages 48, 49, 52, 77, 92, 97, 100, 106, 110, 131 et 139.

 12   Et je passe maintenant à la deuxième catégorie de documents

 13   synthétisés dans ce tableau, il s'agit des rapports d'opération du

 14   commandement conjoint à partir d'octobre et novembre 1998. Ils figurent

 15   dans les deux pages du tableau fourni aux Juges de la Chambre d'appel. Ces

 16   rapports montrent que les unités du MUP participaient activement au

 17   désarmement des villages et que ce processus de désarmement devait de

 18   poursuivre. Et je voudrais attirer l'attention des Juges sur un exemple qui

 19   se trouve en bas de la première page du tableau, le numéro de la pièce à

 20   conviction concerné est P1203, daté du 15 octobre 1998. Ceci fait l'objet

 21   d'une référence au paragraphe numéro 58 du jugement, Volume III.

 22   Dans ces extrait figurant dans le tableau, nous voyons qu'à

 23   l'intitulé numéro III (b), engagement des unités du MUP, il est indiqué que

 24   les unités du MUP collectent des armes dans les villages siptar disposés à

 25   remettre leurs armes. A l'intitulé IV, proposition pour la poursuite de

 26   l'engagement, il est indiqué que la collecte des armes se poursuivra.

 27   Je ne me référerai pas à tous les rapports d'opérations du

 28   commandement conjoint qui figurent dans ce tableau, mais je voudrais lire


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  1   pour le compte rendu les numéros de référence pertinents, numéros de pièces

  2   à convictions. Il s'agit de P1203, pages 5 et 8; P1206, pages 4 et 7;

  3   P1204, pages 5 et 7; et P1197, pages 3 et 6.

  4   Alors, la dernière pièce à conviction à laquelle je souhaite me

  5   référer qui figure dans ce tableau est la P2166. Il s'agit d'une pièce à

  6   conviction datée du 29 octobre 1998. Dans cette pièce à conviction, nous

  7   avons, en fait, affaire à un procès-verbal d'une réunion tenue à Belgrade à

  8   la date en question. Je renvoie également au paragraphe 997 du Volume I du

  9   jugement. Nous trouvons une autre référence à cette pièce à conviction aux

 10   paragraphes 1 097 à 1 195 du Volume I.

 11   Cette réunion a vu se rassembler les membres les plus haut placés de

 12   la direction politique et militaire serbe, ainsi que de la direction de la

 13   police. Les trois membres de l'entreprise criminelle commune en l'espèce

 14   étaient également présents. Et l'extrait que nous avons dans le tableau est

 15   celui d'un rapport fourni par le général Pavkovic lors de cette réunion

 16   dans le cadre duquel il a fait un survol de ce plan visant à la suppression

 17   des activités terroristes mises en œuvre lors de l'été 1998. Comme nous

 18   pouvons le voir dans cet extrait, l'une des tâches que met en avant le

 19   général Pavkovic comme étant faisant partie du plan était le point numéro

 20   7, désarmer tous les villages albanais ou siptar dont on savait qu'ils

 21   étaient armés.

 22   Alors, je voudrais continuer à parler de cette réunion, mais passons dans

 23   un premier temps à la diapositive suivante qui présente également un

 24   procès-verbal de cette même réunion. Nous voyons que c'est là la suite des

 25   commentaires faits par Pavkovic lors de la réunion en question. En pages 4

 26   et 5, il fournit une vue d'ensemble un peu plus détaillée de la mise en

 27   œuvre du même plan. En page 5, au point numéro 8, il se réfère aux armes

 28   collectées dans les localités où il y a eu collecte d'armes. Si je peux


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  1   attirer votre attention sur les extraits qui figurent en rouge, que je vais

  2   lire, je cite :

  3   "Soixante six villages doivent encore être désarmés, et près de 4 000 à 5

  4   000 armes seront ainsi saisies. Les villages en question n'ont pas

  5   participé aux opérations terroristes."

  6   Aujourd'hui, mes confrères ont suggéré que le processus de désarmement

  7   aurait principalement pris pour cible des villages contrôlés par l'ALK, et

  8   que ce processus aurait été volontaire; cependant, ce que ces remarques

  9   nous montrent, c'est que des villages qui n'ont pas participé aux

 10   opérations terroristes ont eux aussi été désarmés par le MUP.

 11   En réponse à la question posée par les Juges au sujet de la participation

 12   de Lukic au processus de désarmement, c'était là les références pertinentes

 13   au dossier.

 14   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci.

 15   Mme KRAVETZ : [interprétation] Pour conclure et pour revenir à la question

 16   numéro 10, Lukic a planifié et coordonné les opérations du MUP, y compris

 17   des opérations conjointes avec la VJ, qui ont conduites à la commission des

 18   crimes reprochés. Par là même, Lukic a contribué de façon significative à

 19   l'entreprise criminelle commune.

 20   De plus, sa contribution repose sur un comportement survenu pendant

 21   la période durant laquelle les crimes ont été commis. Les éléments de

 22   preuve que j'ai abordés montrent clairement que Lukic participait également

 23   de façon active à la préparation de la mise en œuvre du plan criminel et

 24   que l'activité préparatoire à laquelle il a participé a permis la

 25   réalisation de l'objectif commun. Pour les raisons que j'ai mises en avant,

 26   la remise en question par la Défense des conclusions de la Chambre de

 27   première instance relatives à la contribution de Lukic à l'entreprise

 28   criminelle commune devrait être rejetée.


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  1   Ceci conclut nos arguments, Madame et Messieurs les Juges, au sujet

  2   des deux questions que je me proposais de traiter, la question de l'élément

  3   matériel ainsi que le désarmement, le processus de désarmement et la

  4   participation de Lukic à ce processus. A moins que les Juges n'aient des

  5   questions à me poser, je souhaiterais donner la parole à mon confrère, M.

  6   Wood.

  7   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Le Juge Tuzmukhamedov à une

  8   question.

  9   Mme KRAVETZ : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Oui.

 11   Madame Kravetz, oui. Je suis ici.

 12   Mme KRAVETZ : [interprétation] Je n'arrive pas à vous voir à cause du

 13   pilier entre nous, la colonne qui est dans mon champ visuel.

 14   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Oui. C'est une colonne qui joue

 15   un rôle assez important.

 16   Vous vous êtes référée dans votre présentation à ce qui m'intéresse un peu

 17   plus tôt, mais je n'ai pas voulu vous interrompre. Vous avez parlé de plus

 18   de 700 000 Albanais du Kosovo qui avaient été déplacés dans le cadre d'une

 19   campagne de terreur et de violence. Est-ce que vous pourriez nous dire à

 20   quel endroit dans le jugement la Chambre de première instance a conclu que

 21   le déplacement de plus de ces 700 000 Albanais du Kosovo était imputable

 22   entièrement à cette campagne.

 23   Et pour formuler les choses un petit peu différemment, la Chambre de

 24   première instance a-t-elle exclu de façon explicite la possibilité que

 25   d'autres facteurs pendant la guerre aient pu contribuer au déplacement d'au

 26   moins une partie de ces plus de 700 000 Albanais du Kosovo ? Je vous

 27   remercie.

 28   Mme KRAVETZ : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. La Chambre de


Page 552

  1   première instance a analysé de façon très minutieuse les éléments de preuve

  2   relatifs à ce qui s'est produit sur le terrain, et ceci figure au Volume II

  3   du jugement. C'est sur la base de cette analyse des crimes commis sur place

  4   et des raisons fournies par les différentes personnes originaires des

  5   localités concernées d'où elles ont été expulsées par les forces serbes,

  6   que la Chambre de première instance est parvenue à ses conclusions

  7   auxquelles M. Kremer s'est référé un peu plus tôt cette semaine, au sujet

  8   du caractère systématique des crimes. La Chambre a relevé, lorsqu'elle

  9   s'est penchée sur la question du caractère systématique des crimes,

 10   qu'aucun des témoins qui ont déposé et qui étaient originaires de plus de

 11   13 municipalités différentes au Kosovo, n'avaient indiqué qu'ils étaient

 12   partis, avaient quitté le foyer en raison du bombardement de l'OTAN ou

 13   parce qu'ils y auraient été contraints par l'ALK. La Chambre a relevé très

 14   précisément que les témoins en question avaient été expulsés de leurs

 15   foyers par les forces du MUP et de la VJ et d'autres forces agissant

 16   conjointement avec ces dernières. Les conclusions de la Chambre de première

 17   instance selon lesquelles c'était donc là la raison de leur déplacement se

 18   fondent sur l'analyse faite par la Chambre des éléments de preuve. Et la

 19   Chambre s'est posée la question de savoir si l'OTAN était à l'origine de ce

 20   déplacement ou si la campagne de l'ALK pouvait avoir causé elle aussi ce

 21   déplacement, mais à l'exception de deux localités au sujet desquelles la

 22   Chambre a conclu que l'ALK avait dit aux villageois de fuir avant l'arrivée

 23   des forces serbes, dans tout le reste des localités ce n'était pas là la

 24   raison du départ en masse de la population en direction de la frontière. Je

 25   ne sais pas si cela répond à votre question.

 26   M. LE JUGE TUZMUKHAMEDOV : [interprétation] Merci.

 27   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Il nous reste encore un peu moins de

 28   quatre minutes dans le volet d'audience qui est le dernier de cette


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  1   matinée. Donc, je m'en remets à vous. Est-ce que vous souhaitez continuer

  2   ou préférez-vous reprendre lors du volet d'audience de cet après-midi après

  3   la pause, et je vous garantie dans cette seconde éventualité que vous

  4   pourrez rattraper les quatre minutes en question.

  5   Mme KRAVETZ : [interprétation] Monsieur le Président, je suggérerais plutôt

  6   que nous passions la pause dès maintenant pour que M. Wood, mon collègue,

  7   puisse poursuivre sa présentation sans devoir s'interrompre.

  8   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Très bien. C'est un choix avisé.

  9   Nous allons donc maintenant faire une pause, et nous reprendrons nos

 10   débats à 14 heures 30.

 11   --- L'audience est levée pour le déjeuner à 12 heures 56.

 12   --- L'audience est reprise à 14 heures 29.

 13   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bonjour.

 14   Monsieur Wood, vous pouvez poursuivre et en terminer avec la réplique de

 15   l'Accusation.

 16   M. WOOD : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

 17   Comme Mme Kravetz vous l'a dit ce matin, je vais répondre aux

 18   questions que vous nous avez posées eu égard de la mens rea du général

 19   Lukic. Ce qui signifie que je vais répondre à votre huitième et votre

 20   onzième questions, et à l'élément relatif à la mens rea de la dixième

 21   question. Je vais également répondre ou reprendre certains éléments

 22   soulevés aujourd'hui par le conseil du général Lukic.

 23   Alors, avant de commencer, j'aimerais fournir ou vous donner

 24   certaines citations pour étayer la réponse de Mme Kravetz à votre dernière

 25   question, réponse qui fut posée avant la pause, il s'agissait en fait d'une

 26   question posée par la Chambre à propos de la campagne de terreur et de

 27   violence qui avait provoqué le déplacement contraint de 700 000 civils. Et

 28   je dirais que ces références se trouvent aux paragraphes 1 150 et 1 175 à 1


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  1   178 du Volume II, ainsi qu'aux paragraphes 45, 95 et 1 173 du Volume III.

  2   Donc, pour en venir à la dixième question, et je pense que c'est ce que Me

  3   Ivetic avait expliqué comme étant la troisième question. Et je vous le dis

  4   juste pour le compte rendu d'audience. Alors, j'ai dit que par deux fois

  5   vous avez entendu une réponse à cette question; dans un premier temps la

  6   réponse apportée par Mmes Saldago et Monchy lundi, puis par M. Schneider

  7   mardi. Vous ne serez pas surpris d'entendre qu'aujourd'hui je répondrai de

  8   la même façon. Et même si les critères de la mens rea d'une personne

  9   participant à l'entreprise criminelle commune ne peuvent pas être

 10   satisfaits avant l'existence de l'objectif commun de ladite entreprise

 11   criminelle commune, ils peuvent toutefois être déduits de sa connaissances

 12   des crimes commis avant le début de l'entreprise criminelle commune.

 13   Comme l'a expliqué Mme Salgado, et contrairement à ce qui a été dit

 14   ce matin, nous pouvons trouver les références aux paragraphes 200 à 204 de

 15   l'arrêt Krajisnik, ainsi qu'aux paragraphes 925 et 929 du jugement dans

 16   l'affaire Krajisnik.

 17   Qu'est-ce que cela signifie donc pour le général Lukic ? Car comme la

 18   Chambre l'a conclu à juste titre, s'agissant de l'intention au titre de

 19   l'entreprise criminelle commune du général Lukic, cette intention est

 20   claire si l'on prend en considération sa connaissance des crimes et sa

 21   participation continue à la campagne de terreur et de violence qui a débuté

 22   en mars 1999, et cette intention peut être déduite en bonne et due forme

 23   d'après la connaissance précise et détaillée qu'il y avait des crimes

 24   commis par ses subordonnés du MUP en 1998 et au vu d'autres éléments de

 25   preuve.

 26   Alors, je vais en fait développer un peu ce propos en répondant à la

 27   question 11, et je vous dirais qu'aujourd'hui, puisque c'est la première

 28   fois que l'Accusation répond à cette question, je vais vous redonner


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  1   lecture de cette question 11 qui est comme suit :

  2   "Analyser si et dans quels circonstances la mens rea relevant de la

  3   première catégorie de l'entreprise criminelle commune pour expulsion et

  4   autres actes inhumains (incluant notamment le transfert forcé) peut être

  5   déduit de la connaissance qu'avait l'accusé des crimes commis en 1998,

  6   notamment des crimes autres que le crime d'expulsion et d'autres actes

  7   inhumains."

  8   Comme Mme Salgado vous l'a expliqué lundi, une Chambre est tout à

  9   fait en droit de parvenir à cette déduction, et au vu des circonstances ou

 10   de la situation du général Lukic, je dirais que c'est la seule conclusion

 11   raisonnable que l'on peut dégager des éléments de preuve, comme l'a fait

 12   d'ailleurs la Chambre aux paragraphes 1 117 à 1 130 du Volume III du

 13   jugement, et c'est la seule conclusion qui peut être dégagée par rapport

 14   aux éléments de preuve correspondant à l'année 1998 et 1999.

 15   En un mot comme en cent, étant donné que M. Lukic était informé que

 16   plusieurs crimes s'étaient produits dans le cadre d'opérations conjointes

 17   entre le MUP et la VJ, et qu'ils avaient eu comme conséquences des

 18   déplacements de masse en 1998, il savait qu'ils pouvaient engager le même

 19   type d'opérations, en utilisant les mêmes troupes et en visant le même

 20   groupe ethnique pour parvenir aux mêmes résultats en 1999. Le fait qu'il a

 21   continué à travailler pour assurer la coopération des opérations conjointes

 22   du MUP et de la VJ, nous permet d'aboutir à cette conclusion raisonnable

 23   suivant laquelle il avait eu l'intention qu'ait lieu ces déplacements

 24   contraints qui ont commencé le 24 mars 1999.

 25   Que savait donc le général Lukic en 1998 ? A l'instar de mes

 26   confrères qui ont répondu aux noms de MM. Pavkovic et Lazarevic, j'ai

 27   préparé un tableau qui résume les éléments de preuve pour que vous puissiez

 28   vous y référer plus facilement, et je pense qu'ils ont été soit distribués


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  1   soit ils sont en train d'être distribués, donc il s'agit de références pour

  2   vous. Et je vais seulement faire référence à certains éléments au cours de

  3   mon intervention.

  4   Donc, la Chambre a conclu que le général Lukic était informé des

  5   allégations graves d'activités criminelles de la part des forces du MUP au

  6   Kosovo, qui visaient la population albanaise du Kosovo. Paragraphe 1 086 du

  7   Volume III. Il savait que ces crimes, crimes qui incluaient des incendies,

  8   des meurtres et assassinats, et des déplacements forcés, s'étaient produits

  9   dans le cadre d'opérations du MUP et de la VJ qu'il avait aidé à

 10   coordonner. Paragraphes 1 012, 1 080 à 1 084 du Volume III.

 11   Par exemple, lors des réunions du commandement conjoint auquel

 12   assistait M. Lukic, il était fréquemment question de ces actes d'incendie,

 13   et je pense, par exemple, notamment aux réunions du 7 et 12 août 1998.

 14   Paragraphe 1 080 du Volume III.

 15   Lukic a également été informé par des membres de la communauté

 16   internationale de ces cas d'incendie et d'autres crimes. Par exemple,

 17   l'observateur international, Shaun Byrnes, a indiqué à Lukic qu'en août et

 18   en septembre 1998 son équipe avait observé, et ce quasi quotidiennement,

 19   des unités de la police qui avaient mis le feu à des villages, qui avaient

 20   détruit des récoltes, tué du bétail, et intimidé des civils albanais du

 21   Kosovo, et les avaient chassé hors de leurs foyers. Paragraphe 1 082 du

 22   Volume III.

 23   Lukic a également été informé en septembre 1998 des meurtres commis

 24   dans la zone de Donje et Gornje Obrinje, et il a été informé qu'ils étaient

 25   les conséquences d'opérations conjointes entre le MUP et la VJ, qu'en sa

 26   capacité de chef de l'état-major du MUP il a aidé à coordonner et à

 27   planifier. Paragraphes 1 021 et 1 081 du Volume III.

 28   Je dirais plus précisément, Mesdames, Messieurs les Juges, que lors


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  1   d'une réunion du commandement conjoint à laquelle il a participé le 4

  2   octobre 1998; cet incident a été évoqué paragraphe 1 081 du Volume III. Et

  3   mon collègue a indiqué ce matin que "Human Rights Watch" avait publié un

  4   rapport détaillé à propos de cet incident. Il a tout à fait raison

  5   lorsqu'il dit que ce rapport a été publié en 1999, du moins il date plus

  6   précisément du mois de février 1999, et ce rapport avait été distribué au

  7   MUP ainsi qu'à la présidence de la Serbie, à la présidence fédérale de

  8   Yougoslavie, aux ministères fédéraux et républicains de la justice, et à la

  9   VJ. Il a également été donné aux médias serbes et albanais au Kosovo.

 10   Il faut savoir que fondamentalement, et cela a son importance, Lukic savait

 11   que de par ces crimes des centaines de milliers d'Albanais du Kosovo

 12   étaient expulsés de leurs foyers. Le 23 septembre 1998, par exemple, le

 13   Conseil de sécurité a remarqué qu'il était "extrêmement préoccupé" par "le

 14   recours disproportionné et indiscriminé à la force de la part des forces de

 15   sécurité serbes et de l'armée yougoslave", et d'après les estimations du

 16   Secrétaire-général à l'époque, cela avait causé le déplacement de plus de

 17   230 000 personnes qui avaient été chassées de leurs foyers. Paragraphe 916

 18   du Volume I; paragraphe 443 du Volume III, et paragraphe 677 du Volume III.

 19   Lukic était informé de ces allégations, comme cela est indiqué au

 20   paragraphe 1 120 du Volume III. Il était présent lors de la réunion du

 21   commandement conjoint au cours de laquelle cette résolution a été évoquée

 22   et analysée; paragraphe 677 du Volume III.

 23   Au vu des événements de l'année 1998, Lukic savait qu'il pouvait compter

 24   sur les opérations conjointes menées entre le MUP et la VJ pour expulser

 25   des centaines de milliers d'Albanais du Kosovo de leurs foyers en 1999. Et

 26   pourtant, il a continué à coordonner ces mêmes opérations en utilisant les

 27   mêmes troupes pour exécuter cette campagne de terreur et de violence en

 28   1999, campagne qui se trouve au cœur de l'entreprise criminelle commune, et


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  1   cela montre qu'il avait l'intention d'obtenir les mêmes résultats, à savoir

  2   le déplacement en masse et le transfert forcé des Albanais du Kosovo.

  3   Et pour être très clair, Madame, Messieurs les Juges, contrairement à ce

  4   qui a été indiqué par mes confrères ce matin, la Chambre ne s'est pas

  5   seulement appuyée sur des éléments de preuve remontant à l'année 1998 pour

  6   établir l'intention de Lukic en 1999. En concluant que Lukic partageait

  7   l'objectif criminel commun de l'entreprise criminelle commune, la Chambre

  8   s'est appuyée sur la totalité des éléments de preuve, notamment sur les

  9   crimes commis par le MUP et la VJ, et notamment sur la connaissance qu'il

 10   avait de ces crimes en 1999.

 11   Donc, la Chambre a conclu que l'état-major du MUP recevait régulièrement

 12   toute une série de rapports en 1999, notamment à partir du 24 mars;

 13   paragraphe 1 089 du Volume III. C'est une conclusion qui fut confirmée par

 14   des informations que l'on trouve dans les propres ordres et rapports de

 15   Lukic. Par exemple, le 15 avril 1999, Lukic a émis une dépêche en indiquant

 16   que certains de ses commandants intermédiaires du MUP "toléraient les

 17   départs en masse de la population civile". Paragraphe 1 094, Volume III,

 18   c'est là que nous trouvons cette conclusion. Le 4 mai 1999, Lukic a assisté

 19   à une réunion dans une maison à Belgrade. Au cours de cette réunion, des

 20   informations ont été présentées suivant lesquelles les forces de sécurité

 21   de la VJ avaient dû traiter de nombreux cas de violence, de tueries, de

 22   pillages et d'autres crimes. Il a inclus les informations émanant de cette

 23   réunion dans un ordre destiné à ses subordonnés; paragraphe 1 095 du Volume

 24   III. Et la Chambre se souviendra qu'en tant que membre de l'entreprise

 25   criminelle commune, les crimes de la VJ peuvent être attribués au général

 26   Lukic; paragraphe 1 132 du Volume III.

 27   Comme cela est indiqué au paragraphe 1 126 du Volume III du jugement, il

 28   faut savoir que les crimes faisaient très souvent l'objet d'analyse lors


Page 559

  1   des réunions de l'état-major du MUP en 1999.

  2   Donc, tout comme en 1998, en 1999, Lukic était informé des déplacements de

  3   masse des Albanais du Kosovo. Par exemple, le 1er mai 1999, il écrit dans

  4   un rapport que "entre le 24 mars et le 30 avril 1999, un total de 715 158

  5   personnes appartenant à la minorité nationale siptar avaient quitté le

  6   territoire…" et c'est une conclusion que nous trouvons dans une citation

  7   que j'ai mentionnée au début de mon intervention et qui fait plus

  8   précisément l'objet de la pièce P1693.

  9   Donc, au vu de ces circonstances, Madame, Messieurs les Juges, la Chambre a

 10   conclu à juste titre que Lukic, ainsi que Sainovic et Pavkovic, avaient

 11   l'intention que ces déplacements forcés aient lieu, notamment les

 12   expulsions et le transfert forcé, et ils se sont produits pendant la

 13   période couverte par l'acte d'accusation. Il est donc aussi raisonnable de

 14   conclure qu'au vu de ces circonstances, les ordres donnés par Lukic dans

 15   lesquels il indiquait à ses subordonnés qu'il ne fallait pas commettre ces

 16   crimes ne peuvent pas être considérés comme authentiques, paragraphe 1 129

 17   du Volume III.

 18   Pour en venir maintenant à votre huitième question, qui a trait à la

 19   troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune, qui est comme suit

 20   :

 21   "Analyser quelle serait l'incidence sur l'appel de Lukic relatif à ses

 22   déclarations de condamnation dans le cadre de la troisième catégorie de

 23   l'entreprise criminelle commune si la Chambre d'appel venait à accepter

 24   l'argument présenté par l'Accusation suivant lequel la Chambre de première

 25   instance a utilisé un critère inexact pour la mens rea et la responsabilité

 26   au titre de la troisième catégorie de l'entreprise criminelle commune."

 27   Pour répondre à cette question, je vous dirais que l'incidence sera nulle.

 28   Il n'y en a aura pas. Comme mes collègues l'ont déjà expliqué dans leurs


Page 560

  1   réponses aux appels Sainovic et Pavkovic, la Chambre de première instance a

  2   utilisé un critère de probabilité inexact et plus restrictif lorsqu'elle a

  3   évalué la prévisibilité de la troisième catégorie de l'entreprise

  4   criminelle commune plutôt que de choisir d'utiliser le critère de

  5   possibilité qui est exact et moins restrictif et qui figure au paragraphe

  6   365 de l'arrêt Brdjanin, ainsi qu'au paragraphe 33 de l'arrêt Blaskic, qui

  7   a été confirmé par la Chambre d'appel dans sa décision du 25 juin 2009,

  8   décision relative à la requête présentée par l'Accusation interjetant appel

  9   de la décision de la Chambre de première instance concernant la

 10   prévisibilité pour la troisième catégorie de l'entreprise criminelle

 11   commune, décision prise dans l'affaire Karadzic.

 12   En ce qui concerne M. Lukic, les mêmes conclusions indiquant que des

 13   meurtres et des destructions risquaient probablement d'être commis dans le

 14   cadre de la campagne de terreur et de violence montrent également qu'il

 15   était informé que ces meurtres et cette destruction étaient une conséquence

 16   possible de l'exécution de cette campagne. Ce sont des conclusions que vous

 17   trouverez aux paragraphes 1 134 et 1 136 du Volume III.

 18   Dans son appel, Lukic semble exhorter la Chambre d'appel à utiliser un

 19   critère de la certitude encore plus restrictif en avançant qu'il ne peut

 20   pas être condamné pour des crimes dont il n'était pas informé. Par exemple,

 21   lorsqu'il récuse sa déclaration de condamnation pour les meurtres commis à

 22   Djakovica, il soutient qu'il n'y a aucun élément de preuve suivant lequel

 23   il "était personnellement au courant" de ces meurtre ou assassinats ou des

 24   efforts déployés pour dissimuler les corps par la suite, paragraphe 700 du

 25   mémoire de Lukic. La question n'est pas de savoir s'il était au courant de

 26   ces crimes, mais plutôt s'il aurait pu prévoir que ces crimes pouvaient

 27   être une conséquence possible de l'exécution de l'entreprise criminelle

 28   commune.


Page 561

  1   Et j'en ai terminé avec ma réponse à la huitième question, et je vais

  2   maintenant aborder -- mais je vois que vous souhaitez me poser une

  3   question.

  4   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Oui. A propos des crimes de Djakovica,

  5   j'aimerais savoir si les victimes étaient des combattants ou des civils ?

  6   M. WOOD : [interprétation] La Chambre a conclu -- bon, je n'ai pas le

  7   jugement et je ne peux pas m'y référer maintenant, mais la Chambre a conclu

  8   qu'il s'agissait d'actes de persécution, que ces événements constituaient

  9   un acte de persécution qui était prévisible pour lui, d'où sa déclaration

 10   de culpabilité au titre de la troisième catégorie de l'entreprise

 11   criminelle commune. Donc, il s'ensuit que les victimes des crimes à

 12   Djakovica étaient des civils, Monsieur le Président.

 13   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bien.

 14   Vous pouvez poursuivre.

 15   M. WOOD : [interprétation] Donc pour en venir très rapidement à la pièce

 16   6D614, M. le Juge Tuzmukhamedov a posé une question à ce sujet ce matin.

 17   Alors, étant donné que c'est une question qui a été posée, j'en parlerai

 18   très, très brièvement. Je dirais que la Chambre de première instance a bien

 19   utilisé son pouvoir discrétionnaire en refusant l'admission ou le versement

 20   au dossier de ce document de 789 pages, lorsqu'elle a indiqué que dans ce

 21   document il n'y avait pas suffisamment d'indices de fiabilité qui lui

 22   aurait permis d'être versé au dossier directement comme élément de preuve

 23   par ouï-dire. Le conseil du général Lukic l'a mentionné ce matin. Il a

 24   indiqué qu'il s'agissait d'une synthèse de documents. Les documents sous-

 25   jacents n'ont pas été présentés à la Chambre de première instance, ce qui

 26   fait que la Chambre de première instance n'a pas pu évaluer l'exactitude de

 27   ces résumés. Le conseil pour le général Lukic aujourd'hui, tout comme dans

 28   son mémoire en appel, n'a pas su expliquer comment la Chambre avait abusé


Page 562

  1   de son pouvoir discrétionnaire au vu de ces circonstances, et comment cette

  2   décision a eu un impact sur le jugement ou sur sa déclaration de

  3   culpabilité. Je peux vous renvoyer à la décision à ce sujet prise le 2

  4   juillet 2008 par la Chambre de première instance, paragraphes 27 à 31. Nous

  5   en avons également parlé dans notre mémoire.

  6   Je dirais, en résumé, Monsieur le Président, que la Chambre a condamné à

  7   juste titre Lukic pour déportation, actes inhumains, meurtre, assassinat et

  8   persécutions. Dans son appel, il exprime son profond désaccord avec les

  9   conclusions de la Chambre de première instance, mais ne montre pas quelles

 10   sont les erreurs qui ont été commises. La Chambre d'appel devrait rejeter

 11   l'appel de Lukic, confirmer ses déclarations de culpabilité, et ajuster sa

 12   peine conformément à l'appel de l'Accusation.

 13   Et avant que je ne me rassois, Monsieur le Président, j'aimerais apporter

 14   quelques corrections et des références pour le compte rendu d'audience.

 15   Aujourd'hui, page 54, ligne 18, il peut être lu "945, 1 050." Or, il

 16   fallait entendre "945 à 1 050." Au compte rendu d'aujourd'hui, page 61 et

 17   ligne 13, on a dit : "la majorité de la population non-albanaise ne faisait

 18   pas partie de l'ALK," et il fallait dire que "la majorité de la population

 19   albanaise ne faisait pas partie des rangs de l'ALK."

 20   Madame, Messieurs les Juges, Monsieur le Président, s'agissant de la

 21   question posée au sujet de Djakovica, je vous demande de vous référer au

 22   Volume II, paragraphes 1 197 à 1 198. Il est question des meurtres commis à

 23   Djakovica. Je tiens également à mentionner brièvement que nous n'allons pas

 24   aborder aujourd'hui la question du prononcé de peine, parce que

 25   l'Accusation est d'avis que la peine prononcée à l'égard du général Lukic

 26   était trop petite. Nous l'avons indiqué dans notre mémoire en appel. Nous

 27   allons en parler davantage demain.

 28   Donc s'il n'y a pas d'autres questions, je voudrais en terminer avec mon

 


Page 563

  1   exposé, Madame, Messieurs les Juges.

  2   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Eh bien, il me semble qu'il n'y aurait

  3   pas de questions à poser de la part des Juges de la Chambre. Je vous

  4   remercie donc.

  5   M. WOOD : [interprétation] C'est moi qui vous remercie, Monsieur le

  6   Président.

  7   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bien. Ceci met un terme aux réponses

  8   apportées par l'Accusation jusqu'à présent, n'est-ce pas ?

  9   M. WOOD : [interprétation] Oui, c'est exact.

 10   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Y a-t-il des répliques de la part de la

 11   Défense ?

 12   M. IVETIC : [interprétation] Oui. C'est le cas, avec votre autorisation.

 13   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Vous pouvez y aller.

 14   M. IVETIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 15   Tout d'abord, je voudrais dire que l'Accusation dans sa réplique se fonde

 16   sur des paragraphes du jugement plutôt que sur des pièces à conviction.

 17   Dans cette phase-ci du procès, cela ne suffit pas puisque le jugement rendu

 18   est contesté. L'Accusation n'a pas apporté de réponse aux arguments que

 19   nous avons présentés, à savoir qu'il y a des éléments du jugement qui se

 20   contredisent entre eux. Quelle est donc la position qui a été présentée par

 21   l'Accusation pour ce qui est de dire que certaines pièces à conviction vont

 22   à l'avantage de l'Accusation et que d'autres sont négligées ? Quelle est

 23   leur réponse pour ce qui est de savoir si l'attitude des Juges de la

 24   Chambre de première instance était différente vis-à-vis de Lukic et

 25   d'autres accusés ? Donc, il y a des constatations qui leur sont peut-être

 26   avantageuses, mais on ne peut pas lire un jugement de cette façon quand on

 27   en procédé d'appel. Le jugement ne peut pas resté debout quand il y a des

 28   contradictions inhérentes. Donc, cela devrait être réexaminé.


Page 564

  1   L'Accusation n'a pas et ne peut pas réfuter des erreurs clairement commises

  2   lorsqu'il s'agit des éléments à décharge qui figurent dans le jugement et

  3   que nous avons fournis en résumé pour les présenter aux Juges. Le jugement

  4   devrait donc être réexaminé pour cette raison en soi.

  5   Mais je vais aller de l'avant. L'Accusation a affirmé que nous n'avons pas

  6   modifié les arguments que nous avons présentés, que nous sommes en train de

  7   répéter les choses que nous avons dit au procès. Mais comment voulez-vous

  8   que ce soit modifié ? Je ne comprends pas de quoi ils sont en train de

  9   parler. Nous ne pouvons pas changer les éléments de preuve, ni nous, ni

 10   eux. Nous maintenons nos affirmations, à savoir que les éléments de preuve

 11   présentés au procès à présent sont des éléments qui devaient être repris

 12   par le jugement d'acquittement, et que c'est la seule façon de procéder.

 13   L'Accusation a omis de fournir des références concrètes pour ce qui

 14   est de dire à quel paragraphe du jugement il est question d'éléments de

 15   preuve pour ce qui est de la participation de Sreten Lukic et de son

 16   implication au désarmement de la population. Et dans toutes leurs réponses,

 17   ils n'ont fait que citer des paragraphes qui sont ceux du jugement rendu.

 18   Une fois que vous leur avez posé la question concrète, ils n'ont pas fourni

 19   de paragraphes concrets. Donc, ceci ne fait que mettre en exergue les

 20   erreurs de jugement que je vous ai exposé plus tôt dans la journée.

 21   Ce que je voudrais vous demander d'avoir à l'esprit, c'est qu'à

 22   l'époque dont nous parlons, il était question d'une restitution volontaire

 23   des armes, et les parties en présence étaient en train de travailler sur

 24   des accords de paix. Nous sommes en train de parler des accords d'octobre

 25   où il y avait plusieurs initiatives visant à aboutir à la paix, et non pas

 26   à la guerre, tout le monde avait une idée en tête, c'était la paix et non

 27   pas la guerre. Alors, la liste des pièces qui vous a été présentée par ma

 28   consœur, Mme Kravetz, comporte les mêmes entrées que celle que je vous ai


Page 565

  1   mis en exergue lors de ma présentation, tous ces éléments se rapportent à

  2   des restitutions volontaires d'armes lorsque les gens avaient une seule

  3   idée en tête, c'est-à-dire la paix. Est-ce que maintenant les Nations Unies

  4   et les médiateurs internationaux faisaient également partie de l'entreprise

  5   criminelle commune ?

  6   Nous avons indiqué que le seul rôle de Lukic c'était de fournir des

  7   données statistiques à l'intention des représentants officiels de la Serbie

  8   d'une part, et aux représentants de la communauté internationale, tels que

  9   Shaun Byrnes de l'autre côté. C'était des données statistiques pour ce qui

 10   est de la restitution faite de plein gré au sujet des armes. Ça ne peut pas

 11   être considéré comme étant un crime de commis.

 12   Quand nous sommes en train de parler de l'armement, l'Accusation a

 13   parlé de ces détachements de la police de réserve. Alors, ce que je

 14   voudrais que nous examinions, c'est un cas concret pour savoir quel a été

 15   le rôle de Lukic à ce sujet. Il s'agit de la pièce P2166, une réunion à

 16   Belgrade qui a été mentionnée par l'Accusation. Ce document montre un fait

 17   important. Il démontre le fait que le Conseil suprême de la Défense, à la

 18   date du 9 juin 1998, a adopté une décision partant de la Loi sur la VJ,

 19   partant de la Loi sur la Défense, et partant de la réglementation interne

 20   de l'armée de Yougoslavie disant qu'il convenait de se préparer, d'élaborer

 21   un plan global pour ce qui est de contrecarrer le terrorisme, ce qui avait

 22   impliqué l'engagement de la VJ et du MUP.

 23   Penchons-nous maintenant sur les pièces à conviction qui ont été

 24   présentées à l'occasion du procès, la partie quatre de ce planning global

 25   avait établi ou prévu la mise en place de détachements de police de

 26   réserve. C'est le même planning dont j'ai déjà parlé plus tôt dans la

 27   matinée d'aujourd'hui en présentant mes arguments. C'est un plan au sujet

 28   duquel les Juges de la Chambre ont tiré une conclusion qui était tout à


Page 566

  1   fait juste, à savoir que ni le MUP ni Lukic n'avait participé à son

  2   élaboration. Il s'agit du Volume III, paragraphe 1 021.

  3   Mais qui plus est, l'Accusation n'a pas fourni quelle que citation

  4   que ce soit pour démontrer qu'il y a des éléments de preuve disant que les

  5   membres de ces effectifs de policiers -- d'officiers de réserve de la

  6   police avaient commis des crimes. Il n'y en a pas un seul.

  7   Donc, je vous convie à vous pencher sur les éléments de preuve parce

  8   qu'aucun élément de preuve n'a été présenté dans le dossier. Alors, je vous

  9   demande de vous pencher sur des différences de temps, période, parce que

 10   dans différentes périodes de temps, il y avait eu des cadres légaux

 11   différents, des situations différentes, et les choses se présentent de

 12   façon différente. Dans le jugement rendu, Volume I, paragraphe 776, on dit

 13   que lorsque la guerre a commencé et lorsque les bombardements de l'OTAN ont

 14   commencé, ces mêmes détachements de la police de réserve ont été mobilisés

 15   et ils ont été intégrés ou déployés sur des positions qui étaient des

 16   positions des structures de la défense de l'Etat, y compris VJ, MUP,

 17   protection civile, là où les affectations ont été désignées à l'intention

 18   de ces individus.

 19   Au Volume I, paragraphe 788, lorsqu'il s'agit du reste des 6 000 membres de

 20   ces détachements de police de réserve qui n'avaient pas eu d'affectation

 21   pour temps de guerre, la Chambre a tiré une conclusion qui est celle de

 22   dire qu'ils étaient tombés sous l'autorité du commandement l'armée, ce qui

 23   a inclus la réalisation de missions liées à des opérations de combat, et

 24   que c'était tout à fait conforme à la Loi régissant la Défense, articles 62

 25   et 63 et pièce à conviction P985.

 26   D'après ces conclusions qui sont celles des Juges de la Chambre de première

 27   instance, qu'est-ce qui pourrait constituer l'implication de Lukic, son

 28   autorité et son prétendu commandement à l'égard de ces détachements de la


Page 567

  1   police de réserve ? Point. L'Accusation est en train d'éviter de faire face

  2   à un fait, qu'il y a des périodes différentes avec des cadres légaux ou des

  3   régimes légaux différents pour ce qui est des faits évoqués.

  4   Quand il s'agit maintenant de ces détachements de la police de réserve, le

  5   conseil de L'Accusation a mentionné le Volume III, paragraphe 1 066, et il

  6   y a identifié trois documents - la pièce P1989, P1996, et le 6D802 - qui se

  7   rapportent à des ordres donnés par Lukic à l'intention de ces détachements

  8   de la police de réserve pour action. Alors, je fais appel aux Juges de la

  9   Chambre pour ce qui est de se pencher sur la totalité de ces documents,

 10   parce que ce que nous affirmons c'est que ni ce paragraphe du jugement, pas

 11   plus que les trois documents cités, n'ont rien à voir avec des actions

 12   antiterroristes ou des activités de combat ou quoi que ce soit de similaire

 13   pour ce qui est donc de ces détachements de la police de réserve.

 14   Partant de ceci, il peut être constaté de façon claire que l'Accusation a

 15   présenté de façon erronée la pertinence de ces détachements de la police de

 16   réserve pour ce qui est de Lukic et pour ce qui est de son autorité ou de

 17   l'autorité qu'il aurait exercée à l'égard de ces derniers.

 18   Alors, quelques mots maintenant pour ce qui est de cet entretien de Lukic

 19   avec l'Accusation, chose que l'Accusation a mentionnée dans sa réplique.

 20   Les Juges de la Chambre vont se souvenir du fait qu'il y a un moyen d'appel

 21   distinct qui se rapporte aux erreurs qui découlent de l'entretien de M.

 22   Lukic et de la façon dont ça a été utilisé pendant le procès, les problèmes

 23   de traduction, et les problèmes de ce type. Il s'agit du moyen F dans notre

 24   mémoire en appel. Je ne vais pas reprendre la totalité des arguments

 25   présentés, mais il y a des points que je voudrais souligner.

 26   L'Accusation s'est centrée sur une section concrète. Ils ont parlé d'un

 27   rôle double des PJP vis-à-vis du QG, et l'on dédaigne la prise en

 28   considération de périodes de temps différentes, comme cela a été d'ailleurs


Page 568

  1   le fait des Juges de la Chambre au paragraphe 3 de la pièce 1013. Dans ce

  2   paragraphe, la Chambre fait état justement à cet extrait de cet entretien.

  3   Mais qu'est-ce que l'on a mis de côté, on a mis de côté le fait qu'à cette

  4   époque, en 1999, Obrad Stevanovic, le commandant des unités des PJP et chef

  5   de l'administration de la police au sein du MUP, était quelqu'un qui se

  6   trouvait sur le terrain au Kosovo. Il n'avait pas possédé de bureau. Il a

  7   utilisé le bureau du QG. Ce qui fait que lorsque Lukic parle du QG du MUP,

  8   il convient de tenir compte du fait que lorsque Obrad Stevanovic est au

  9   Kosovo et lorsqu'il est à Pristina, c'est lui qui se trouve au QG du MUP.

 10   Qui plus est, s'agissant du rôle joué par Lukic lui-même, il convient de se

 11   pencher sur la pièce P948, c'est l'interview ou l'entretien dont il a été

 12   déjà question. A plusieurs endroits de cet entretien, y compris à la page

 13   4, page 66 et page 153, lorsque Lukic dit : Je voudrais vous fournir plus

 14   de détails et vous expliquer le rôle concret de ce QG du MUP. Et à chaque

 15   fois, l'homme de l'Accusation qui s'entretient avec lui : Non, non, on y

 16   viendra plus tard, finissons-en d'abord avec ceci. Donc, il n'a jamais eu

 17   l'opportunité d'expliquer à part entière ce que cela signifiait exactement,

 18   quelle était la signification des termes utilisés et quelle avait été la

 19   place du QG du MUP au sein de la hiérarchie et quelle était la place de

 20   Lukic en sa qualité de chef de ce QG. C'est ce que j'aurais à apporter

 21   comme commentaire au sujet de l'entretien.

 22   Maintenant, je vais passer à cette réunion qui s'est tenue le 17 février,

 23   dont ont parlé tant Mme Kravetz que M. Wood. Il y a là un problème

 24   fondamental -- et pour mieux m'exprimer, je dirais que l'Accusation et la

 25   Chambre ont un problème fondamental qui est répercuté vers nous tous. Ils

 26   sont en train de parler d'une traduction anglaise de ce document qui ne

 27   coïncide pas avec l'original en B/C/S. C'est la raison pour laquelle, avec

 28   l'aide des interprètes, je voudrais donner lecture de l'original en B/C/S


Page 569

  1   pour voir si nous pouvons obtenir une traduction exacte de ce qui est dit

  2   dans le PV de cette réunion. Et je vais en donner lecture en B/C/S :

  3   "Le QG a planifié d'exécuter, lorsque ordre en sera donné, trois actions :

  4   nettoyage du terrain des terroristes dans les secteurs Podujevo, Dragobilje

  5   et Drenica."

  6   Il s'agit de la pièce P1990 pour les besoins du compte rendu d'audience.

  7   Alors, qu'est-ce qui découle de façon claire du contexte de ces mots, ce

  8   n'est pas le fait que le QG ait procédé à des planifications d'action, mais

  9   plutôt que le QG est en train de planifier, de réaliser une chose une fois

 10   l'ordre reçu. Ils ont donc l'intention de faire telle chose lorsque l'ordre

 11   en sera donné. L'Accusation a mentionné pour la même période de temps en

 12   question, et je crois qu'il s'agit d'un document daté de la date d'avant,

 13   c'est-à-dire la pièce P2808, et cette pièce est un ordre émanant du Corps

 14   de Pristina où il est question des mêmes sites qui viennent d'être

 15   mentionnés tout à l'heure, où l'on parle des unités de la VJ et du MUP qui

 16   seront impliquées, et on leur répartit des tâches. Par conséquent, le rôle

 17   du QG du MUP dans tout ceci n'est pas un rôle de nature de commandement,

 18   comme l'Accusation l'a laissé entendre.

 19   Ce que je voudrais affirmer à présent, c'est que le jugement rendu et

 20   l'Accusation dédaignent les faits tels qu'ils sont présentés sur le terrain

 21   en 1999 ainsi que les pièces à conviction afférentes à ces faits, et je

 22   voudrais attirer l'attention des Juges sur plusieurs éléments que je pense

 23   être pertinents pour comprendre ce qui nous intéresse. Nous avons le

 24   témoignage du colonel Crosland, un diplomate international, disant qu'à

 25   l'époque l'ALK avait contrôlé 70 % du territoire du Kosovo; ça se trouve en

 26   page 9 910 du compte rendu d'audience. En même temps, l'OTAN avait bombardé

 27   tous les jours le Kosovo, et nous avons dans notre dossier plusieurs

 28   incidents où l'OTAN a bombardé des réfugiés albanais du Kosovo. Il y a


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  1   plusieurs incidents où l'on montre que les bombes de l'OTAN sont tombées

  2   sur des cibles civiles. Nous pouvons appeler cela de façon plutôt jolie,

  3   dire que c'est des dégâts collatéraux, mais quant aux gens, on voit que des

  4   bombes tombent sur les maisons des voisins, pour eux c'est une façon autre

  5   de raisonner qui intervient. Ça leur donne un signal, qui est celui de s'en

  6   aller avant que le tour de leur maison ne vienne.

  7   Donc pour Sandra Mitchell, aux pages du compte rendu d'audience 566 à 567,

  8   la Mission de vérification du Kosovo a des éléments de preuve disant que

  9   100 000 Serbes avaient quitté leurs maisons au Kosovo pendant le

 10   bombardement de l'OTAN. Alors, ça représenterait 40 % de la population

 11   serbe du Kosovo qui s'en est allé pendant les bombardements de l'OTAN. Et

 12   ces chiffres disent pour la population albanaise que ça faisait 30 % de

 13   cette population.

 14   Je crois qu'il faudrait que nous posions tous la question de savoir

 15   quelle est la question que la Chambre de première instance n'a pas posée :

 16   est-ce que les Serbes ont quitté leurs maisons au Kosovo pour les mêmes

 17   raisons que les Albanais ? Alors, la conclusion raisonnable et alternative

 18   partant des éléments de preuve montrés, c'est qu'ils ont tous fui des

 19   bombardements de l'OTAN, et non pas des activités déployées par la VJ ou le

 20   MUP. Si l'on ne procède pas à cette analyse pour exclure les conclusions

 21   alternatives raisonnables, alors le jugement de la Chambre de première

 22   instance s'avère être une erreur.

 23   Je vous demande de vous pencher sur des pièces à conviction qui sont

 24   évoquées dans le jugement rendu en première instance, et les paragraphes

 25   pour ce qui est des raisons de départ de la population. Je vous renvois

 26   vers le paragraphe 1 125, et où ne cite aucun élément de preuve à ce Volume

 27   II; Volume III, paragraphe 45, aucune citation d'élément de preuve;

 28   paragraphe 95, aucun chiffre non plus; paragraphe 1 123, pas de chiffres


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  1   non plus, pas de citations au dossier des éléments de preuve.

  2   La Chambre de première instance n'a donc pas pris en considération le

  3   nombre des départs qui ont résulté en raison de pièces à conviction

  4   présentées concrètes liées à des expulsions, telles qu'alléguées dans

  5   l'acte d'accusation présenté par le bureau du Procureur. Il n'y a aucun

  6   élément de preuve qui se fonderait sur des éléments de preuve pour ce qui

  7   est du nombre de personnes expulsées, et pour ce qui est des raisons pour

  8   lesquelles ces personnes sont parties. Quand on se penche sur les

  9   témoignages et les dépositions des témoins, il y a quelque 48 témoins de la

 10   base de crime. Trente trois de ces témoins, c'est-à-dire 70 %, n'ont pas

 11   dit qu'ils ont quitté leurs maisons parce qu'ils ont été chassés de leurs

 12   maisons par la VJ ou par le MUP; ils ont dit qu'ils étaient partis pour des

 13   raisons autres, parce qu'ils avaient peur des bombardements de l'OTAN. Ils

 14   avaient peur des combats entre l'ALK et les forces yougoslaves, et pour des

 15   raisons personnelles. Mais tout ça, ce sont des raisons tout à fait

 16   légitimes pour les gens de s'en aller. C'est pour des raisons légitimes,

 17   similaires, que d'autres personnes mises en accusation ont été acquittées,

 18   comme cela était le cas de l'arrêt Gotovina. Nous avons donc ici eu un

 19   témoignage direct de Bislim Zyrapi, qui est un commandant de l'ALK, et qui

 20   a témoigné ici pour ce qui est donc de la page 6 003 du compte rendu

 21   d'audience, il a confirmé que l'ALK avait donné l'ordre aux Albanais de

 22   Kosovo de s'en aller de chez eux, et que ça faisait partie intégrante de

 23   leur plan et de leur stratégie. Alors, comment voulez-vous que l'on puisse

 24   exclure cette raison du déplacement de personnes, telle que nous l'avons

 25   constaté ? Les Juges de la Chambre de première instance n'ont pas pu tirer

 26   ce type de conclusion, et c'est là que réside l'erreur.

 27   Alors, le dernier sujet que je voudrais aborder, c'est l'un des

 28   sujets qui a été traité par mon confère, M. Wood. Il est question des


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  1   connaissances que l'accusé avait eues des crimes commis. Il est fait

  2   référence à certains paragraphes du jugement rendu, on parle de Shaun

  3   Byrnes et on dit ce que Shaun Byrnes a dit au sujet de la police qui avait

  4   incendié au quotidien des maisons de gens. Mais on va voir ce qui se trouve

  5   dans les éléments de preuve, non pas ce que le jugement dit. Shaun Byrnes,

  6   page de compte rendu d'audience 12 148 :

  7   "Je n'ai vu aucun membre de la PJP en train de tirer sur la gâchette.

  8   Je n'ai pas vu un seul membre des unités de PJP incendier des maisons

  9   d'Albanais. Les Albanais avaient déjà fui des villages qui étaient déjà en

 10   flammes."

 11   Donc partant de ce type de témoignage, la seule conclusion

 12   raisonnable à tirer c'est de ne pas imputer cela au MUP. Les gens fuyaient

 13   parce que leurs maisons étaient en train de brûler, et c'est ce qui fait

 14   partie des combats. Le plus gros problème avec le bureau du Procureur et le

 15   jugement rendu, qui est développé dans le jugement en tant que tel, c'est

 16   qu'on ne met pas en œuvre le principe in dubio pro reo de façon

 17   raisonnable, et c'est la raison pour laquelle je vous demande, Madame,

 18   Messieurs les Juges, de réexaminer le jugement rendu parce que illogique,

 19   et ce jugement devrait être modifié. Et je crois que je dois vous remercier

 20   du temps que vous m'avez accordé.

 21   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Bon, il me semble qu'il n'y a pas

 22   d'autres questions à être posées par les Juges de la Chambre. Ceci met un

 23   terme à notre audience d'aujourd'hui. Nous allons siéger quelque peu plus

 24   longtemps demain. Nous allons commencer la journée à 9 heures du matin, et

 25   nous allons travailler jusqu'à 5 heures. Oui, Monsieur Wood.

 26   M. WOOD : [interprétation] Je voudrais procéder à un rectificatif au compte

 27   rendu d'audience pour que les choses soient tout à fait clairement

 28   consignées. En page 70, ligne 3 d'aujourd'hui, il est dit "78", il fallait

 


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  1   entendre "1 178." C'est tout ce que je voulais dire.

  2   M. LE JUGE LIU : [interprétation] Merci. Nous allons lever l'audience, et

  3   nous allons reprendre demain matin à 9 heures.

  4   --- L'audience est levée à 15 heures 15 et reprendra le vendredi, 15 mars

  5   2013, à 9 heures 00.

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