Page 617
1 Le mardi 10 juillet 2012
2 [Audience publique]
3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 13 heures 04.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à toutes les personnes présentes
6 dans ce prétoire.
7 Madame la Greffière d'audience, veuillez citer l'affaire, je vous prie.
8 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Il s'agit
9 de l'affaire IT-09-92-T, le Procureur contre Ratko Mladic.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Madame la Greffière
11 d'audience.
12 Et avant que nous poursuivions le contre-interrogatoire du témoin, j'ai
13 l'impression, Maître Lukic, que M. Mladic a un problème, un problème
14 technique visiblement.
15 L'ACCUSE : [interprétation] Je n'entends rien du tout.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Mladic, est-ce que vous
17 entendez maintenant ?
18 Vous entendez ? Fort bien. Merci, Monsieur Mladic.
19 Maître Lukic, hier je vous ai dit que la Chambre ne comprenait pas toujours
20 les questions que vous posiez, le raisonnement qui sous-tendait ces
21 questions, et vous avez plus ou moins dit que vous pouviez nous fournir une
22 explication et je vous avais dit que je ne souhaitais pas que vous le
23 fassiez en présence du témoin. Donc, si vous souhaitez vous expliquez
24 brièvement en une ou deux minutes, certes, je vous donne la possibilité de
25 le faire maintenant. Si vous pensez que cela sera utile, fournissez-nous
26 cette explication; sinon, nous ferons entrer le témoin dans le prétoire.
27 M. LUKIC : [interprétation] Dans le cadre de ce contre-interrogatoire, nous
28 nous efforçons de montrer qu'étant donné qu'il n'y a pas de corps, il n'y a
Page 618
1 pas d'élément de preuve, à savoir ces meurtres ne se sont pas passés, ce
2 témoin ne se trouvait pas sur les lieux au moment où il l'a indiqué, et si
3 certaines choses se sont passées, ce qui s'est passé était du fait des gens
4 de la région, de civils, voilà. Voilà ce que nous visons.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Donc la Défense avance que les
6 personnes dont les noms figurent dans l'annexe de l'acte d'accusation n'ont
7 pas été tuées là-bas; c'est cela ?
8 M. LUKIC : [interprétation] Etant donné que nous avons reçu cette liste
9 seulement hier, il va falloir que nous nous penchions sur cette liste,
10 parce que nous avons pu quand même mener une enquête depuis hier, et je
11 vais lui montrer trois certificats de décès qui correspondent à des noms
12 qui figurent sur la liste --
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Bien. Bien.
14 M. LUKIC : [aucune interprétation]
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'ai bien compris maintenant pourquoi
16 vous posez ces questions, et la Chambre est plus à même de comprendre
17 maintenant.
18 M. LUKIC : [interprétation] Si vous m'y autorisez. A propos de la durée --
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, justement, j'allais en parler.
20 Voilà ce que je voulais vous dire : l'Accusation avait demandé deux heures
21 et l'Accusation a en fait utilisé deux heures et 14 minutes exactement.
22 Hier, au début du contre-interrogatoire, vous aviez indiqué votre intention
23 d'utiliser 60 % de ce temps, à savoir 80 minutes. Vous vous êtes déjà
24 exprimé pendant plus de 40 minutes. Alors il se peut que la situation
25 évolue aujourd'hui, mais au vu des questions que vous posiez au témoin,
26 nous pensions que 80 minutes devraient amplement suffire. Ceci étant dit,
27 si vous avez mené à bien votre enquête à propos de ces personnes, qui, je
28 suppose, n'étaient pas mentionnées dans la première déclaration ou dans la
Page 619
1 déclaration préalable ? Puisqu'il s'agit d'un nouvel élément, alors ? La
2 Chambre ne lit pas forcément toutes les déclarations lorsque le témoin
3 comparait dans le prétoire. Mais si les noms de ces victimes sont tout à
4 fait nouveaux, il se peut que cela change la situation.
5 Madame Bibles.
6 Mme BIBLES : [interprétation] Il se peut que certains noms soient nouveaux.
7 Un ou deux, me semble-t-il, il va falloir que je vérifie cela --
8 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
9 Mme BIBLES : [interprétation] -- mais il y en a d'autres qui figuraient
10 dans des déclarations précédentes.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc il y a des noms qui figurent déjà
12 dans certaines déclarations - je suppose que vous êtes d'accord, Maître
13 Lukic - alors que d'autres n'y figurent pas.
14 M. LUKIC : [interprétation] Alors, voilà ce dont je me
15 souviens : il a vu certes mentionner ces noms, mais il avait dit qu'il
16 s'agissait de personnes qui avaient quitté Vecici, mais il n'avait pas
17 indiqué qu'il s'agissait de personnes qui avaient été tuées.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais hier la question qui avait été
19 posée était : est-ce que vous les avez vues pour la dernière fois dans le
20 tunnel ou à l'extérieur du tunnel. Voilà ce dont il était question hier.
21 Donc, merci pour vos explications.
22 Je souhaiterais que l'on fasse maintenant entrer le témoin dans le
23 prétoire.
24 [La Chambre de première instance se concerte]
25 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, la Chambre s'est
26 interrogée, s'est demandé en fait si elle allait entendre votre réponse aux
27 quatre requêtes urgentes immédiatement au début de cette audience ou après
28 la déposition de M. Pasic. La Chambre préférerait en terminer avec la
Page 620
1 déposition de M. Pasic et ensuite nous entendrons votre réponse.
2 M. GROOME : [interprétation] Bien. Je vous remercie.
3 [Le témoin vient à la barre]
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Pasic.
5 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'aimerais vous rappeler que vous êtes
7 toujours tenu de respecter la déclaration solennelle que vous avez
8 prononcée hier au début de votre déposition, déclaration en vertu de
9 laquelle vous avez indiqué dire la vérité, toute la vérité et rien que la
10 vérité.
11 LE TÉMOIN : ELVEDIN PASIC [Reprise]
12 [Le témoin répond par l'interprète]
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Me Lukic va reprendre le fil de son
14 contre-interrogatoire.
15 Maître Lukic.
16 M. LUKIC : [aucune interprétation]
17 Contre-interrogatoire par M. Lukic : [Suite]
18 Q. [interprétation] Une fois de plus, bonjour, Monsieur.
19 R. Bonjour.
20 Q. Nous allons revenir à votre départ de Garici pour revenir à Bilice.
21 Alors, à Bilice, votre frère s'y trouve déjà, n'est-ce pas ?
22 R. Excusez-moi, mais je n'entends pas --
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est le canal numéro 4. Est-ce que vous
24 souhaitez entendre la question en B/C/S à nouveau ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors ce sera le canal 6.
27 M. LUKIC : [interprétation] Non, le témoin va suivre en anglais, c'est plus
28 facile pour lui.
Page 621
1 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous pourriez répéter votre
3 question.
4 M. LUKIC : [interprétation] Certainement.
5 Q. Vous avez quitté Garici pour aller à Bilica. A ce moment-là, à votre
6 arrivée à Bilica, votre frère s'y trouve déjà, n'est-ce pas ?
7 R. C'est exact, Maître.
8 Q. Et il vous a dit que Bilica n'allait pas tenir longtemps. Combien de
9 gens y a-t-il à participer aux combats pour Bilica ou dans Bilica ? Je ne
10 sais pas si je prononce bien le nom de la localité.
11 R. Je ne sais absolument pas combien de soldats se trouvaient là-bas.
12 Q. Bien. Mais savez-vous nous dire combien de morts ou de blessés il y a
13 eu dans ces combats ?
14 R. Non.
15 Q. Bon. Alors, vous avez dit que vous étiez dans une localité puis vous
16 êtes allé dans une autre; en somme, vous vous êtes déplacé librement,
17 n'est-ce pas ?
18 R. Oui, je pourrais répondre par l'affirmative, mais en fait, la plupart
19 du temps nous nous sommes déplacés pendant la nuit pour éviter -- pour
20 éviter tout contact avec les Serbes…
21 R. Est-ce que vous avez traversé des lignes de feu, de tir ? Parce que
22 quand vous arrivez à Bilice, puis vous êtes allé à Vecici. Comment
23 réussissez-vous à faire cela si des combats font rage ?
24 R. Lorsque nous sommes allés de Garici à Vecici, en fait, il y avait eu la
25 trêve qui avait été signée, cette trêve de cinq jours qui avait été conclue
26 entre la population de Vecici et les Serbes. Donc, là, nous étions
27 autorisés à nous déplacer, à marcher…
28 Q. Fort bien. Est-ce que vous savez nous dire : les gens de Vecici, ils
Page 622
1 font partie de quelle formation militaire ?
2 R. Les gens de Vecici, c'étaient des gens du coin qui essayaient de se
3 défendre des Serbes.
4 Q. Saviez-vous que ces gens-là faisaient partie de la Défense territoriale
5 de Kotor Varos --
6 R. Non, moi je ne me souviens pas s'il y avait une armée. Je ne me
7 souviens pas, en fait.
8 Q. Vous ne vous souvenez pas. Bon.
9 Après cela, vous êtes retourné vers Garici. Certaines personnes sont
10 restées, dites-vous, à Bilice. Est-ce que nous pouvons dire que ces gens à
11 Bilice se sont rendus aux forces serbes et se sont rendus à Travnik en
12 toute sécurité; est-ce que cela est exact ?
13 R. C'est exact. Après que mon frère nous a informés qu'il avait appris
14 qu'ils allaient se rendre, ma mère avait peur parce qu'ils avaient entendu
15 parler de convois précédents, de gens qui étaient partis de Kotor Varos, et
16 là ils avaient enlevé en fait les enfants et les garçons aux mères. Et
17 c'est là qu'il nous a proposé de revenir, de repartir à Garici. Et puis par
18 la suite, nous nous sommes rendus compte que la plupart des gens qui
19 étaient à Bilice et qui se sont rendus ont effectivement survécu. Mais il y
20 a beaucoup d'hommes qui, en fait, ont été brutalisés à Brdo Vlasici, mais
21 la plupart ont survécu, certes.
22 Q. Saviez-vous -- parce que vous dites que vous ne savez pas, mais avez-
23 vous été mis au courant de la formulation d'un ultimatum ? Avez-vous, donc,
24 ouï dire que la Croix-Rouge internationale était venue à Vecici au temps du
25 cessez-le-feu ? Est-ce que vous avez été là-bas ? Est-ce que vous avez vu
26 arriver ces gens de la Croix-Rouge ?
27 R. Non, Maître.
28 Q. Vous ne les avez pas vus ?
Page 623
1 R. Non, non, je n'ai vu personne de la Croix-Rouge lorsque je me suis
2 trouvé à Vecici.
3 Q. Vous n'avez pas assisté à des réunions des chefs militaires de Vecici
4 avec des gens qui étaient venus pour négocier; c'est bien cela ?
5 R. Non, absolument pas. Vous savez, moi j'étais juste avec mon père
6 de toute façon. Il m'avait tellement manqué lorsque nous avions été
7 séparés.
8 Q. Donc on peut tirer une conclusion qui est celle de dire : si tant est
9 qu'il y ait eu des pourparlers, un ultimatum, vous avez probablement pu en
10 avoir vent ?
11 R. Comme je vous l'ai déjà dit, lorsque nous étions à Garici, d'après mon
12 cousin Akif Pasic, il nous avait dit qu'ils avaient effectivement signé une
13 trêve avec les Serbes. Alors, de cela je suis informé parce que nous étions
14 dans la même pièce. Pour ce qui est des autres choses, le temps que je me
15 trouvais à Vecici, non, je n'en ai absolument aucune idée.
16 Q. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire qu'à Vecici il y avait environ
17 1 000 hommes armés ?
18 R. Je n'en sais rien. Je n'en sais absolument rien.
19 Q. Les gens qui ont quitté Vecici à vos côtés étaient armés, n'est-ce pas
20 ? Ils n'ont pas laissé leurs armes à Vecici pour s'en aller sans ?
21 R. Non. Je dirais que pour ce qui est du groupe que nous avons rejoint --
22 bon, il y avait beaucoup de personnes, il y avait des hommes. J'ai vu des
23 armes, c'est vrai, mais toutes les personnes du groupe n'avaient pas toutes
24 des armes.
25 Q. Est-ce que vous saviez que les combats à Vecici et autour de Vecici
26 s'étaient déroulés à partir du mois de mai et ont duré jusqu'au mois de
27 novembre 1992 ?
28 R. Oui, Maître. D'ailleurs, je dois dire que j'ai vécu cela puisque nous
Page 624
1 nous sommes déplacés, et lorsque nous nous trouvions à Cirkino Brdo, j'ai
2 assisté à des frappes aériennes sur Vecici. Lorsque nous étions à Garici,
3 nous avons vu des combats entre les gens de Vecici et les forces serbes,
4 oui. Et lorsque je me suis trouvé à Bilice, il y avait donc un quartier de
5 Bilice où il y avait des combats avec les Serbes sur la ligne de Kotor
6 Varos. Alors, oui, oui, bien sûr que je le sais, cela.
7 Q. Merci. Savez-vous qui est-ce qui a approvisionné les gens de Vecici
8 avec des armes et des uniformes ? Puisque vous nous avez dit que votre
9 frère avait œuvré en la matière, pour ce qui est de ces approvisionnements
10 ?
11 R. Mon frère -- enfin, je n'ai pas dit -- enfin, moi, ce que j'ai dit en
12 fait, c'est que mon frère devait amener l'eau et les vivres à la ligne de
13 front. Pour ce qui était de savoir qui les approvisionnait, comme nous
14 savons tous pertinemment, Vecici et Kotor Varos étaient absolument
15 encerclés par les Serbes, donc moi je ne sais pas, je ne sais pas s'ils
16 étaient approvisionnés en armes ou en quoi que ce soit à partir de Vecici
17 et vers Vecici. Tout ce que je sais, c'est que mon frère était jeune, et du
18 fait de sa jeunesse c'est lui donc qui amenait aux personnes de la ligne de
19 front de l'eau et des vivres.
20 Q. Bon. Merci. Avez-vous appris là combien de gens étaient tombés dans les
21 combats suite à des pilonnages, combien de morts il y a eu, puisque vous
22 avez passé deux jours à Vecici avant que de quitter la localité de Vecici,
23 n'est-ce pas ?
24 R. Oui, c'est exact. J'ai appris de la part de ces personnes, lorsque je
25 me trouvais à l'école à Grabovica, que lorsque -- bon, il y a un des
26 gardes, en fait, qui nous a posé la question -- ils savaient qu'il y avait
27 des frappes aériennes sur Vecici et ils voulaient savoir combien de
28 personnes avaient été tuées à la suite des frappes aériennes, et les gens
Page 625
1 qui vivaient à l'époque à Vecici ont répondu qu'il y avait environ 1 000
2 [comme interprété] personnes qui avaient été tuées. Pendant que moi je me
3 suis trouvé à Vecici, il y avait une trêve, si ce n'est que la deuxième
4 nuit les bombardements ont commencé, mais je ne sais pas en fait combien de
5 personnes sont mortes. Et je n'ai absolument aucune idée du nombre total de
6 victimes tombées.
7 Q. Est-ce que nous pouvons tirer la conclusion suivante : les gens de
8 Vecici ont décidé de ne pas se rendre aux forces serbes, mais de sortir
9 moyennant combat de cet encerclement ?
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, est-ce que vous pourriez
11 peut-être poser une question et pas des questions multiples. Alors, une
12 chose c'est de ne pas se rendre, et une autre chose c'est de combattre.
13 Est-ce que vous pourriez peut-être scinder tout cela.
14 M. LUKIC : [interprétation]
15 Q. Puisque M. le Juge Orie me le demande, je vais vous poser deux
16 questions à la place. Est-ce que ces gens de Vecici étaient encerclés par
17 des Serbes ?
18 R. Oui.
19 Q. Est-ce qu'ils ont décidé de se battre pour se sortir de cet
20 encerclement plutôt que de se rendre ?
21 R. La population civile a décidé de se rendre. Les hommes, je dirais qu'il
22 y avait environ entre 500 à 700 personnes, environ, qui ont décidé de se
23 rendre vers Travnik, là où le passage était sûr, parce qu'en fait nous
24 avions tous peur d'être détenus à Banja Luka et à Skender Vakuf.
25 Q. Donc ceux qui n'étaient pas des civils, et vous étiez en leur
26 compagnie, vous, quatre garçons et trois femmes, et ce reste des 500 à 700
27 personnes est allé se battre ?
28 R. Il y avait dix femmes, cinq à six garçons, oui, oui, et effectivement,
Page 626
1 la plupart des hommes -- en fait, nous, nous avons commencé à nous diriger
2 vers cet endroit sûr.
3 Q. Merci.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président, est-ce que
5 vous pourriez me mettre sur le canal anglais, parce que j'entends -- ce
6 n'est pas l'anglais que j'entends.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.
8 Entre-temps, j'ai remarqué que vous venez juste de refaire la même chose,
9 en fait, à savoir vous posez officiellement deux questions, mais la
10 deuxième question est exactement la même question multiple. Donc, à
11 nouveau, vous demandez au témoin : est-ce qu'ils se sont soit rendus, soit
12 est-ce qu'ils ont combattu ? Est-ce que vous pourriez peut-être éviter de
13 présenter ce genre de suggestions implicites que le témoin ne remarque
14 peut-être pas. Mais je vous ai quand même demandé de ne pas le faire, alors
15 essayez de ne pas le refaire par la petite porte comme cela dans
16 [imperceptible].
17 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.
19 M. LUKIC : [interprétation]
20 Q. Alors, vous nous avez dit que vous êtes tombé dans une embuscade, qu'il
21 y avait eu deux morts, puis vous vous sépariez les uns des autres et vous
22 regagniez un autre groupe, puis vous êtes à nouveau encerclé. Alors,
23 combien d'hommes y a-t-il eu de tués la fois où vous avez été encerclé à
24 nouveau ?
25 R. Excusez-moi, est-ce que vous pourriez répéter votre question. C'est
26 parce qu'en fait j'entends -- ce n'est pas l'anglais. Est-ce que vous
27 pourriez répéter la question.
28 Q. Certainement. Combien de gens ont été tués -- d'abord, vous êtes tombé
Page 627
1 dans une embuscade. Il y a eu deux morts. Puis, maintenant, vous vous
2 séparez en deux groupes. Vous regagnez ou vous rejoignez le deuxième
3 groupe, puisque vous vous avez rejoint les uns les autres; vous soufflez un
4 peu, vous vous reposez. Puis vous êtes à nouveau encerclé et vous tombez
5 sous les tirs. Et vous nous avez décrit les balles qui pleuvaient autour.
6 Alors, combien, cette fois-là, il y a eu de personnes à avoir été tuées, si
7 tant est que vous le savez ?
8 R. Comme je l'ai déjà indiqué, lors de la première embuscade, Zec et ses
9 deux fils sont morts; lors de la deuxième embuscade, Besim a perdu sa jambe
10 lorsqu'il a marché sur une mine. Donc il y a environ une dizaine de
11 personnes qui sont mortes. Lorsque nous nous sommes trouvés au nouveau du
12 plateau, donc, et là je dirais qu'il y avait des gens qui sont tombés, qui
13 sont morts -- bon, je ne sais pas. Après, nous, nous avons appris que Besim
14 avait fini par se tuer parce qu'il demandait que quelqu'un l'achève. Mais
15 bon, je vous dirais qu'une dizaine de personnes ont perdu la vie dans cette
16 rivière. Bon, je ne sais pas ce qui s'est passé de l'autre côté, combien de
17 victimes il y a eu.
18 Q. Bon. Merci. Alors une dizaine de personnes, d'hommes, tombent sur des
19 mines et ils sont tués là. Alors, sur votre groupe, il y a quelque 200
20 hommes qui ont traversé la rivière et ils ont continué à vos côtés. Ce
21 groupe a continué à se battre de l'autre côté. Mais où sont passés les
22 autres, c'est-à-dire le reste des 700 ? Il y en a peut-être eu 25 de tués,
23 d'après ce que vous avez pu voir vous-même.
24 R. Je sais que lorsque nous nous trouvions dans le tunnel, nous avions
25 compté environ 200 personnes, entre 150 et 200 personnes. Je ne sais pas ce
26 qui s'est passé, si ce n'est que lorsque nous étions en train de prier,
27 j'ai vu ce qui se passait de l'autre côté. Je suppose que les gens ont
28 opposé une résistance aux Serbes et ont décidé de combattre. A un moment
Page 628
1 donné, ils nous demandaient de venir, ils nous faisaient signe. Je suppose
2 qu'ils appartenaient donc à ce groupe. Mais je ne sais pas combien de
3 personnes se trouvaient là. Tout ce que je sais, c'est qu'ils nous
4 faisaient signe et que si nous avions été les rejoindre, en tout cas, au
5 lieu d'aller dans le tunnel, nous aurions peut-être eu une meilleure chance
6 de survivre.
7 Q. Merci. Vous avez parlé du groupe qui vous a emmené depuis le tunnel
8 jusqu'à Grabovica, et vous parlez d'une femme qui était soldat. C'était une
9 femme militaire qui portait un uniforme, n'est-ce pas ?
10 R. Oui, oui. Oui, il s'agissait d'un uniforme de camouflage serbe, c'était
11 une femme. Elle avait une arme. Non, elle n'était pas avec notre groupe.
12 Pour autant que je sache, il n'y avait aucune femme qui avait des armes
13 dans notre groupe, donc c'était une Serbe.
14 Q. Merci. J'ai compris. Alors, ce groupe qui vous a conduit en direction
15 de Grabovica, vers l'école, de quoi avaient-ils l'air, ces gens ?
16 Portaient-ils des uniformes différents, des uniformes identiques ? Avaient-
17 ils des armes, tous ou pas ? Que portaient-ils sur la tête ? Est-ce que
18 vous pouvez être plus précis à ce sujet ?
19 R. Oui, tout à fait. Lorsque nous sommes arrivés dans la cour -- donc nous
20 étions en train de marcher et on nous a dit de ne pas regarder à droite ou
21 à gauche. Moi je me souviens que nous étions dans la cour et que nous
22 regardions les soldats qui étaient alignés en face de nous. Moi j'ai
23 remarqué qu'ils portaient tous un uniforme de camouflage. Et puis, il y en
24 avait certains qui avaient au niveau du bras gauche ou de l'avant-bras
25 gauche un drapeau, un drapeau avec des rayures, un drapeau rayé, et ils
26 étaient tous en uniforme de camouflage. Je n'ai pas vu de couvre-chefs, si
27 ce n'est ce –- bon, le général, par exemple, le général, lui, il avait des
28 décorations, des étoiles sur l'épaule. Bon, ils ne portaient pas de
Page 629
1 masques. Ils n'avaient rien sur la tête. Ils avaient l'air d'être plutôt
2 une armée organisée.
3 Q. Bien. Alors, cet homme qui portait une espèce de chapeau s'adresse à
4 vous, il avait cette espèce de casque, en fait, qui est un casque de mineur
5 avec cette lampe d'éclairage dessus. Et il vous a dit que les hommes
6 allaient payer. Pourquoi les hommes devaient-ils payer ? Est-ce qu'il a
7 élaboré, est-ce qu'il a donné des raisons ?
8 R. Tout ce dont je me souviens, c'est qu'il nous a dit nous allions passer
9 une nuit dans cette école, et le lendemain, vous allez aller vers Travnik,
10 rien ne va vous arriver, et que les hommes vont payer pour cela.
11 Q. Moi, ce qui m'intéresse encore, c'est ceci : quand vous étiez dans
12 cette école, à la lecture de différentes déclarations, je n'ai pas très
13 bien compris. Est-ce que votre mère est allée voir votre père à l'étage ?
14 R. Ma mère n'était pas avec moi. Je ne sais pas d'où cela sort, mais ma
15 mère, elle était à Vecici. Elle était restée à Vecici. Et, en fait, elle
16 n'était pas avec moi dans la salle de classe ou à l'école --
17 Q. Fort bien. Merci.
18 Parce que dans la déclaration cet homme aurait dit que les
19 combattants allaient payer. Non pas la totalité des "hommes", mais les
20 "combattants".
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, lorsque vous faites
22 référence à une déclaration, la Chambre aimerait savoir à quelle
23 déclaration vous faites référence, parce que, comme je vous l'ai déjà dit,
24 c'est un témoin qui vient déposer ici.
25 M. LUKIC : [interprétation] Je pense que nous avons précisé la situation.
26 Il y avait, certes, présence de combattants --
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais vous avez fait référence à une
28 déclaration. Moi je voudrais bien savoir à quelle déclaration. C'est tout
Page 630
1 ce que je voulais vous dire.
2 Poursuivez.
3 M. LUKIC : [interprétation]
4 Q. Le matin à Grabovica, vous étiez à l'école. Vous sortez et il y a des
5 civils qui vous attendent à l'extérieur. C'était pour l'essentiel des
6 femmes et des enfants, n'est-ce pas ?
7 R. Et il y avait des personnes âgées, oui, c'est exact.
8 Q. Des femmes, des enfants et des vieillards. Et vous êtes attaqués, vous
9 devez passer par une haie d'hommes, et dedans il y a des femmes, des hommes
10 et des vieillards à la composer ?
11 R. C'est exact, oui, entre l'école et l'autobus. Oui, c'est cela.
12 Q. Et une femme toute vêtue de noir vous a saisi et a essayé de vous
13 égorger avec un couteau qu'elle avait à la main ? Et un soldat vous aide,
14 il vous arrache des mains de cette femme et il vous emmène jusqu'à cet
15 autocar. Donc ce soldat vous a, en somme, sauvé la vie ?
16 R. Oui, oui, il m'a sauvé la vie. Il m'a sauvé la vie en me jetant dans
17 l'autobus. Je ne sais pas si j'aurais survécu, mais le fait est en fait
18 qu'il m'a sauvé la vie.
19 Q. Bon. Et après cela, vous ne savez ce qu'il est arrivé à Grabovica. Une
20 fois que vous vous en allez, vous avez passé un quart d'heure à bord de
21 l'autocar, là sur place, et puis vous partez. Vous ne savez pas ce qui
22 s'est passé après, n'est-ce pas ?
23 R. Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais ce dont je suis absolument sûr
24 et certain – de toute façon, j'ai appris après parce qu'ils ont retrouvé la
25 dépouille de mon oncle – ils ont tous été tués là-bas, mon père et puis
26 tous les autres.
27 Q. Mais moi je vous ai demandé et je dis que vous ne saviez pas
28 personnellement ce qui s'est passé une fois que vous êtes parti ? Mais
Page 631
1 puisque nous sommes en train de parler de cela, vous avez mentionné hier
2 Nedzad Menzil.
3 M. LUKIC : [interprétation] Et j'aimerais qu'on nous affiche au prétoire
4 électronique le 65 ter 6661, s'il vous plaît. Alors, c'est affiché, semble-
5 t-il.
6 Q. Vous avez un document en langue anglaise sous les yeux, n'est-ce pas ?
7 R. Oui.
8 M. LUKIC : [interprétation] Nous n'avons pas besoin de la version en serbe
9 puisque le témoin lit l'anglais. Alors je crois qu'il suffit de montrer la
10 version anglaise. C'est bon.
11 Q. Alors, je vais vous dire –- un, deux, trois, quatre, cinquième ligne à
12 partir du haut sous le mot "statement of reasons". A la cinquième ligne, il
13 est dit que :
14 "Muharem Menzil avait cherché à établir la mort de son fils."
15 Il a dit :
16 "'Mon fils a été tué par des extrémistes chetniks dans un endroit appelé
17 Duboko, dans la municipalité de Kotor Varos, le 3 novembre 1992.'"
18 Alors, Monsieur, est-ce que vous saviez que Nedzad Menzil a en fait été tué
19 dans une localité qui s'appelait Duboko, et non pas à Grabovica ?
20 R. Non, je ne sais pas. Je sais que son père était là et que ce Nedzad
21 avait mon âge. Je ne sais pas s'il s'agit de la même personne, mais en tout
22 cas on lui a tiré dessus au niveau de l'estomac. Donc je ne sais rien
23 d'autre.
24 Q. Bon. Document suivant, s'il vous plaît.
25 M. LUKIC : [interprétation] Oui, j'aimerais demander le versement au
26 dossier de ce document.
27 Mme BIBLES : [interprétation] Je n'ai pas d'objection, Monsieur le
28 Président.
Page 632
1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière d'audience, quelle
2 en sera la cote ?
3 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Le document 6661 deviendra le document
4 D1.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le document D1 est versé au dossier.
6 Poursuivez.
7 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
8 Document suivant maintenant, il s'agit du 6665 de la liste 65 ter.
9 Q. Ici, Munira Opakic, originaire de Hrvacini, demande à ce que son fils,
10 Sevad Opakic, soit déclaré mort. On part de la troisième ligne :
11 "Son fils était membre de la TO de Kotor Varos et il a disparu le 3
12 novembre 1992 avec un autre grand groupe de personnes…"
13 Dans l'original on dit "combattants", donc il y a une erreur de traduction.
14 Et je voudrais qu'il y ait une correction, une rectification de faite au
15 niveau de la traduction de ce document. Les gens des cabines
16 d'interprétation peuvent voir la version serbe où le mot "saboraca" a été
17 utilisé.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que ce terme pourrait être
19 vérifié - alors, bien entendu, une correction officielle devrait être faite
20 par le CLSS - mais pour juste voir si les parties sont d'accord qu'il y a
21 bel et bien eu une erreur de traduction dans le document, et j'aimerais que
22 cela soit vérifié pendant la pause.
23 Ou alors, nous pourrions peut-être inviter le témoin à lire le passage en
24 question en B/C/S, Maître Lukic.
25 M. LUKIC : [interprétation]
26 Q. Monsieur Pasic, est-ce que vous pouvez encore lire le
27 B/C/S ? Si on vous affiche la version en B/C/S, est-ce que vous seriez
28 capable de la lire, s'il vous plaît ?
Page 633
1 R. Oui.
2 M. LUKIC : [interprétation] Qu'on nous montre donc la version B/C/S sur nos
3 écrans.
4 Q. On voit au milieu "obrazlozenje", exposé des motifs en traduction. Et
5 je vous demande de commencer par la troisième ligne, "dans sa
6 proposition…," et je vous prie de donner lecture de cette phrase en entier
7 jusqu'à la fin de cette phrase.
8 R. Est-ce que vous voulez que je lise --
9 Q. Oui, oui, s'il vous plaît. A partir de la troisième ligne, à commencer
10 par "u svom prijedlogu…" --
11 R. "Dans sa proposition, la requérante indique que son fils était membre
12 de la Défense territoriale, la TO, de Kotor Varos et qu'à l'occasion d'une
13 tentative de percer en date du 3 novembre 1992 dans le secteur de
14 Grabovica, avec un groupe assez important de co-combattants, il est tombé
15 dans une embuscade tendue par des Chetniks et depuis lors on a perdu toute
16 trace de lui."
17 Q. Merci. Vous nous avez dit que vous avez vu dix personnes de tuées dans
18 une embuscade. Vous n'avez pas vu ce qui s'était passé de l'autre côté.
19 Mais est-ce que vous admettez qu'il y a possibilité que cet homme ait été
20 tué à l'occasion de cette embuscade, dans laquelle il est tombé avec des
21 co-combattants à lui ?
22 R. Absolument pas, parce que juste avant que nous n'arrivions dans le
23 tunnel il était dans le même groupe, parce que je l'entendais, il était à
24 côté de moi, il avait été blessé à Vecici lors du bombardement et donc il
25 émettait des bruits étranges. Il était là dans le tunnel, et nous sommes
26 tous allés à Grabovica. Je le vois, je le vois encore auprès de moi.
27 Q. Est-ce que vous pensez qu'Opakic Munira, sa mère, a fourni des
28 renseignements erronés au tribunal municipal à Sanski Most ?
Page 634
1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, est-ce que vous pourriez
2 peut-être demander des précisions de façon appropriée. La mère n'était pas
3 présente apparemment, visiblement, donc la première question - et cela est
4 valable pour ce document et pour les autres documents - quelles sont les
5 sources d'information ? Et poser la question ou demander à quelqu'un si
6 quelqu'un d'autre ne pas dit la vérité, pour poser ce genre de question
7 encore faudrait-il savoir si la personne a reçu elle-même les informations
8 ou si elle a été témoin oculaire passif de ce qui s'est passé, parce que
9 dire la vérité dépend de ce que vous savez lorsque vous faites une
10 déclaration. Alors, je vous demanderais de bien vouloir demander les
11 précisions idoines plutôt que de laisser entendre de façon implicite que
12 cette personne a observé ce qui s'était passé et qu'après elle ait fait une
13 déclaration en disant la vérité.
14 M. LUKIC : [interprétation] Je n'ai pas dit qu'elle n'avait pas dit la
15 vérité, mais elle a donné la mauvaise information au tribunal.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais là il y a une suggestion qui
17 se glisse là-dedans. Quelle est l'information exacte; quelle est
18 l'information inexacte ? L'information qu'elle a donnée c'est une
19 information qu'elle a peut-être obtenue d'une source quelconque.
20 Maintenant, poser cette question à ce témoin, cela n'a pas de sens, n'est-
21 ce pas ?
22 M. LUKIC : [interprétation] Oui, mais pour moi ça a un sens.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ecoutez, poursuivez --
24 M. LUKIC : [aucune interprétation]
25 M. LUKIC : [interprétation] -- et n'oubliez pas ce que je viens de vous
26 dire.
27 M. LUKIC : [interprétation]
28 Q. Je vais en terminer avec les pillages qui ont eu lieu à Vlasic. Vous
Page 635
1 dites qu'à 15 mètres quatre groupes de personnes avaient bondi d'on ne
2 s'est où et -- alors, est-ce que vous sortiez de vos autocars ou est-ce que
3 les gens qui vous ont volé vos objets, qui vous ont pillé, étaient montés à
4 bord des autocars ? Vous souvenez-vous de cela ?
5 R. Je m'en souviens très, très bien. Tous les autocars ont été garés. Bon,
6 ils étaient garés et ils laissaient les autobus les uns après les autres
7 aller vers cette allée, et je m'en souviens très bien. Ils laissaient
8 passer deux ou trois bus puis ils les arrêtaient. Et nous, nous étions dans
9 le dernier autocar qui avait rejoint ce groupe, et nous ne sommes jamais
10 revenus dans l'autocar. On nous a juste dit d'aller par là-bas et de
11 marcher lentement, et alors que nous étions en train de marcher, ces
12 soldats nous ont sauté dessus. Ils avaient le visage couvert, dissimulé, et
13 ils nous demandaient de l'argent, de l'or, et ce, à quelques mètres à
14 chaque fois. Je pense que cela nous est arrivé trois ou quatre fois. Il y
15 avait différents groupes de personnes qui nous ont demandé cela.
16 Q. A quelle distance se trouvait l'un des groupes de l'autre groupe ?
17 Quelle est la distance que vous deviez parcourir pour arriver, pour
18 rattraper le groupe précédent ?
19 R. Je ne m'en souviens pas exactement, mais ce dont je me souviens, c'est
20 que -- bon, ils nous ont fait nous déshabiller. Moi je courais et je
21 courais parce que j'essayais de rattraper ma mère qui était devant en fait.
22 Donc j'ai dépassé des gens qui avaient été délibérés avant moi, mais
23 j'essayais tout simplement de rattraper ma mère.
24 Q. Je vais poser la question autrement. Est-ce qu'un groupe pouvait voir
25 l'autre groupe ? Etaient-ils suffisamment près pour voir l'autre groupe ?
26 R. Oui. Oui, oui. Nous avons pu rattraper l'autre groupe. Bon, il y avait
27 des gens qui n'arrivaient pas à bien marcher, enfin les civils. Bon, je ne
28 sais pas pour les soldats, je ne sais pas quelle était la distance.
Page 636
1 Q. Ceux qui vous ont volé vos effets, est-ce qu'ils pouvaient se voir
2 entre eux ? Est-ce que l'un de ces groupes pouvait voir ce que faisait
3 l'autre groupe ?
4 R. Ecoutez, je n'en sais rien. J'étais terrifié, donc je n'en sais rien.
5 Je ne sais s'ils pouvaient se voir. Je n'en sais rien. En fait, ce que je
6 voulais, c'était retrouver ma mère. Voilà, c'est tout.
7 Q. Vous nous avez dit que la première fois on vous a tout pris, il ne
8 restait pas même une aiguille, au niveau du tunnel j'entends; c'est bien
9 cela ? Ensuite, un premier groupe vous a dépossédé de tous vos effets. Puis
10 vous avez continué. Puis, à nouveau, un autre groupe de pilleurs à Vlasic
11 vous vole des effets alors que vous avez déjà été dépossédés de tout ce que
12 vous aviez. Moi, je ne comprends pas. Que pouvait, donc, ce quatrième
13 groupe prendre auprès de vous ? Parce que, est-ce que vous avez pu cacher
14 la première fois, la deuxième fois et la troisième fois des objets,
15 s'agissant donc de ces groupes qui étaient venus vous déposséder de vos
16 effets ?
17 R. Mais il faudrait que je dise que nous, nous avons rejoint les autocars,
18 les civils, qui venaient de Vecici. Dans notre autocar, nous n'avions plus
19 rien. Nous avions été complètement dépouillés à Grabovica. Je sais donc que
20 ces gens réclamaient constamment de l'argent. Et moi, je me souviens
21 d'ailleurs qu'il y en avait un qui avait un couteau, il m'a dit : Est-ce
22 que tu as des sous ? J'ai dit : Non, je n'ai rien. Je me souviens de ce
23 soldat. Et tous les groupes, chaque groupe était arrêté de la même façon,
24 donc ils cherchaient dans leurs effets personnels. Donc il y a eu un moment
25 où moi, en fait, je marchais littéralement sur les vêtements des gens,
26 parce qu'en fait ce qui les intéressait, c'étaient les objets précieux. Ils
27 faisaient la même chose à chaque groupe. Moi je n'avais plus rien. Je
28 n'avais rien. Je ne sais pas si les autres dans l'autocar avaient encore
Page 637
1 des choses, mais le but de la manœuvre c'était d'obtenir le maximum de
2 choses. Moi je ne sais pas ce qu'ils ont pu obtenir. Moi je n'avais plus
3 rien.
4 Q. Merci, Monsieur Pasic.
5 M. LUKIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je voudrais demander le
6 versement au dossier du 6665 au dossier. Je sais que je m'y prends un peu
7 tard.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Bibles.
9 Mme BIBLES : [interprétation] Pas d'objection.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Madame la Greffière d'audience, le
11 document…
12 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Le document 6665 devient le document
13 D2.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le document D2 est versé au dossier.
15 Poursuivez.
16 M. LUKIC : [interprétation]
17 Q. Monsieur Pasic, merci d'avoir répondu à mes questions. C'est tout ce
18 que j'avais à vous poser comme questions. Merci encore.
19 R. Merci.
20 [La Chambre de première instance se concerte]
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Bibles, avez-vous des questions
22 supplémentaires à poser au témoin ?
23 Mme BIBLES : [interprétation] Oui, quelques questions.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je vous en prie.
25 Mme BIBLES : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
26 Nouvel interrogatoire par Mme Bibles :
27 Q. [interprétation] J'aimerais dans un premier temps, Monsieur Pasic, vous
28 poser quelques questions à propos de questions qui vous ont été posées hier
Page 638
1 lors du contre-interrogatoire.
2 Mme BIBLES : [interprétation] Il s'agit de la page 605, lignes 3 [comme
3 interprété] à 8.
4 Q. On vous a posé une question à propos de la différence entre les
5 villages -- donc il y avait les villages musulmans avec, dans ces villages
6 musulmans, certaines personnes qui opposaient une résistance, alors que
7 dans d'autres ce n'étaient pas le cas. Vous vous souvenez de cette question
8 ?
9 R. Oui.
10 Q. Est-ce que vous savez si le village de Dabovci a signé ce document
11 d'allégeance ?
12 R. Oui, absolument, et je vais vous dire pourquoi, parce qu'à un moment
13 lorsque nous nous trouvions à Garici, j'ai décidé d'aller avec ma mère
14 parce que nous avions été informés à propos de ma sœur -- non, nous
15 voulions aller la voir. Donc nous sommes allés de Garici à Dabovci pour la
16 voir. Donc nous étions très, très heureux de la voir parce que nous étions
17 très préoccupés de notre sœur mutuelle. Et ils avaient signé ce certificat
18 ou ce document d'allégeance envers les Serbes. Dabovci l'a fait, tout comme
19 Cirkino Brdo.
20 Q. Pour ce qui est des villageois de Dabovci, est-ce que vous savez
21 justement s'ils ont été –- s'ils ont connu -- si on les a laissés en paix,
22 en fait, et s'ils ont survécu pendant la guerre ?
23 R. Absolument pas. Après qu'ils ont signé ce document d'allégeance aux
24 Serbes, nous avons appris que des choses absolument épouvantables leur
25 étaient arrivées. Ma sœur, son mari, beaucoup d'hommes de Dabovci, pour ne
26 pas dire tous les hommes de Dabovci –-
27 M. LUKIC : [interprétation] Objection, parce que cela dépasse le cadre de
28 l'interrogatoire principal. Et moi, je n'en ai pas du tout parlé pendant
Page 639
1 mon contre-interrogatoire de cela.
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Bibles.
3 Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Président, hier – et je pense que
4 je vous ai donné la référence de la page et des lignes – une question a été
5 posée au témoin, on lui a demandé si son village s'était vu accordé un
6 traitement différent parce qu'il n'avait pas voulu signer le document
7 d'allégeance et il y a des questions qui ont été posées à propos des
8 villages qui avaient signé ce document d'allégeance. Donc je pense que je
9 peux tout à fait –- enfin, il me semble que je suis tout à fait autorisée à
10 poser ce genre de questions lors des questions supplémentaires, après le
11 contre-interrogatoire.
12 [La Chambre de première instance se concerte]
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Objection refusée.
14 Poursuivez, Madame Bibles.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Lorsque nous étions à Garici, nous avons
16 remarqué que les maisons étaient incendiées à Dabovci. Il y a des gens qui
17 ont été pris de Dabovci, certains ont été emmenés à Vrbanjci et puis à
18 Kozara, qui est connu. Et puis lorsque nous nous sommes rendus à Vecici,
19 nous avons appris en parlant à Elvir Lihovic qu'il avait été le seul à
20 survivre. Moi j'étais avec ma mère dans la pièce lorsqu'elle lui a posé la
21 question et qu'elle lui a dit : Qu'est-ce qui s'est passé ? Comment cela
22 fait que tu as survécu ? Il a raconté que les soldats étaient arrivés dans
23 le village et qu'ils ont donné l'ordre aux hommes de se regrouper d'abord
24 et ils les ont fait entrer dans une grange, y compris son cousin et puis un
25 de ces amis très proches. Donc ils ont tous été enfermés dans cette grange,
26 et là les soldats serbes ont criblé de balles cette grange. Son ami s'est
27 approché à lui. Donc ils sont tombés par terre, ce qui fait qu'il était en
28 dessous et les balles n'ont pas traversé, ne sont pas arrivées jusqu'à lui.
Page 640
1 Ils ont incendié tout cela, ils ont jeté des grenades. Lui, il a réussi à
2 s'échapper en cassant une fenêtre et en allant jusqu'à la rivière. Tous les
3 autres civils ont été emmenés, y compris ma sœur. Et d'ailleurs, il avait
4 dit qu'il avait été le seul survivant, que c'était son ami qui lui avait
5 sauvé la vie parce qu'en fait le corps de son ami l'avait protégé des
6 balles. Et puis, en dépit de l'incendie et des grenades, il a réussi à
7 casser la fenêtre, à sortir de la grange jusqu'à la rivière, et c'est le
8 seul qui a survécu, puis il s'est retrouvé avec nous à Grabovica.
9 Mme BIBLES : [interprétation]
10 Q. Et quand l'avez-vous vu pour la dernière fois ?
11 R. Je l'ai vu dans le tunnel, il était tout près de nous, parce que nous
12 essayions de rester regroupés, lorsque nous sommes sortis du tunnel et que
13 nous nous sommes dirigés vers ce champ. Il était là-bas avec nous.
14 Q. Et finalement, lorsque vous vous êtes retrouvé dans la salle de classe
15 dans l'école de Grabovica, vous avez vu des camions militaires, des hommes,
16 des lumières. Est-ce qu'il y avait des hommes qui résistaient, qui
17 opposaient une résistance ou qui combattaient à ce moment-là ?
18 R. Absolument pas. Ils avaient de toute façon les mains liées derrière le
19 dos. Je me souviens, je m'en souviens parfaitement, très bien. Il pleuvait
20 cette nuit-là. Il pleuvait beaucoup. Ils avaient les mains liées derrière
21 le dos. On les a emmenés au deuxième étage. Ils ne combattaient pas, ils ne
22 résistaient pas. Ils avaient les mains liées. Ils n'avaient pas d'armes,
23 ils n'avaient rien du tout. Ils marchaient avec la tête courbée.
24 Q. Et à votre connaissance, est-ce que quelqu'un a retrouvé les restes de
25 votre père ?
26 R. Monsieur le Juge, si vous m'y autorisez, puisque je suis en train de
27 revivre ce cauchemar maintenant, je dois vous dire que j'ai eu un rêve, que
28 j'ai rêvé à mon père la nuit dernière. Et pour la première fois depuis,
Page 641
1 j'ai pu revoir son visage. Enfin j'ai pu voir son visage. Hier, j'étais
2 heureux parce que j'ai vu son visage pour la première fois, parce que j'ai
3 beaucoup de rêves ou de cauchemars et je n'arrivais jamais à voir son
4 visage. Dans mes rêves, j'essaie toujours de l'attraper. Donc c'était en
5 2007, me semble-t-il, qu'ils ont retrouvé des restes mortels de mon oncle,
6 enfin, une partie de -- enfin, c'était un morceau de son doigt. Ca a été
7 retrouvé à Plitska. Vous savez, mon père me manque encore plus maintenant
8 que je suis moi-même devenu père et que j'ai moi-même mes propres enfants.
9 Parce que chaque fois, tout ce que je fais avec mes enfants, en fait, me
10 fait revivre cela, ce souvenir. Et s'il y a des gens qui m'écoutent, s'ils
11 ont des informations, qu'ils viennent, qu'ils s'adressent à moi et qu'ils
12 me permettent de retrouver la trace de mon père, la trace de mes cousins,
13 s'il vous plaît. Mon père me manque terriblement. Voilà mon appel.
14 Mme BIBLES : [interprétation] Monsieur le Juge, je n'ai plus de questions à
15 poser.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Pas de questions pour
17 l'Accusation.
18 Maître Lukic, est-ce que les questions supplémentaires qui viennent d'être
19 posées au témoin vous incitent à poser d'autres questions supplémentaires ?
20 M. LUKIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
22 [La Chambre de première instance se concerte]
23 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Monsieur Pasic --
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Pasic, le Juge Moloto va vous
25 poser une question.
26 Questions de la Cour :
27 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] J'ai juste une question à vous poser,
28 Monsieur Pasic. Est-ce que vous avez retrouvé votre
Page 642
1 mère ?
2 R. Oui. Lorsque nous sommes arrivés à Travnik, nous nous sommes retrouvés.
3 Elle habite aux Etats-Unis. Elle vit avec ma sœur et avec mon frère
4 également.
5 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci beaucoup.
6 R. [aucune interprétation]
7 M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Pasic, étant donné que nous
9 n'avons pas d'autres questions, ni moi, ni les autres Juges, ni les autres
10 parties, je vous demande d'attendre encore quelques secondes.
11 Maître Lukic, étant donné que le témoin n'était pas présent lorsque vous
12 avez annoncé que vous alliez fournir trois certificats de décès.
13 Maintenant, mis à part le fait de savoir s'il s'agit des documents qui sont
14 des certificats de décès, est-ce qu'il y en a un qui manque… ?
15 M. LUKIC : [interprétation] J'ai vu que je n'avais plus beaucoup de temps.
16 Le troisième est le même que les deux autres.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord. C'est donc la même chose.
18 M. LUKIC : [aucune interprétation]
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez des problèmes,
20 Madame Bibles, à ce que ceci soit versé au dossier ?
21 Mme BIBLES : [interprétation] Non. Je pense que c'est en fait la référence
22 65 ter 6664 --
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, si vous souhaitez verser
24 ce document directement, la Chambre ne s'y opposera pas.
25 M. LUKIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, si cela ne vous
26 dérange pas, c'est le 6664 --
27 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
28 M. LUKIC : [aucune interprétation]
Page 643
1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est un document similaire, n'est-ce
2 pas ?
3 M. LUKIC : [interprétation] Oui, simplement un nom différent.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, très bien. J'ai bien compris.
5 Madame la Greffière d'audience, pouvez-vous donner une cote.
6 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Le document de la liste 65 ter 6664
7 recevra la cote D3.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D3 est versé au dossier.
9 Monsieur Pasic, il n'y a plus d'autres questions. Par conséquent, je
10 souhaiterais vous remercier d'être venu de si loin aujourd'hui et d'avoir
11 répondu aux questions qui, dans une certaine mesure, vous ont obligé à vous
12 remémorer une période de votre vie qui a peut-être été difficile. Nous vous
13 remercions d'être venu. Nous vous souhaitons un bon retour chez vous.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
15 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-on faire sortir le témoin du
16 prétoire.
17 [Le témoin se retire]
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Après le départ du témoin, avant de
19 donner à l'Accusation la possibilité de faire comparaître le témoin
20 suivant, je voudrais traiter de questions d'ordre procédural. Tout d'abord,
21 nous souhaiterons donner une décision orale. Il s'agit d'une décision
22 concernant les écritures de l'Accusation qui ont été déposées pour modifier
23 la liste des témoins au vu des décisions des Juges de cette Chambre de
24 première instance sur les faits jugés.
25 Le 2 mai 2012, la Chambre de première instance a rendu sa quatrième
26 décision sur les faits admis concernant la procédure de présentation des
27 éléments de preuve en réplique. Dans cette décision, les Juges de la
28 Chambre ont donné l'ordre à l'Accusation de déposer une notification dans
Page 644
1 la semaine suivant la décision pour informer les Juges de la Chambre des
2 nombres d'heures qui ne seraient pas utilisées ainsi que le nombre et les
3 identités des témoins qui ne seraient pas appelés à comparaître compte tenu
4 des décisions de la Chambre de première instance sur les faits jugés.
5 La Chambre a sciemment choisi un délai d'une semaine compte tenu du
6 fait que l'instruction en question avait déjà été mentionnée dans sa
7 première décision sur les faits jugés, qui a été déposée le 28 février
8 2012. Le 13 mars 2012, l'Accusation avait demandé que la date butoir fixée
9 au départ pour cette notification soit reportée jusqu'à ce que la quatrième
10 décision de la Chambre de première instance soit rendue. Le 29 mars 2012,
11 durant une Conférence de mise en état, la Chambre de première instance a
12 fait droit à la demande de l'Accusation. Cependant, la Chambre de première
13 instance a également précisé que cette date butoir ne pourrait pas aller
14 au-delà d'une semaine à compter du dépôt de la quatrième décision et a
15 également réitéré, et je cite la décision, "que l'Accusation devrait déjà
16 se préparer au dépôt de cette décision." Et je voudrais demander aux
17 parties de relire la page du compte rendu d'audience numéro 268.
18 Comme ceci a été mentionné dans la décision numéro 4 déposée le 2 mai
19 2012. Le 9 mai 2012, l'Accusation a déposé ses écritures en avançant qu'il
20 serait prématuré de prendre toute décision sur la non-comparution de
21 témoins tant que les demandes d'autorisation en appel de la Défense n'aient
22 été déposées en ce qui concerne les première, seconde et troisième
23 décisions sur les faits jugés de la Chambre de première instance.
24 L'Accusation avançait qu'elle aurait besoin de sept semaines pour
25 réexaminer la question avant de pouvoir apporter les modifications à la
26 liste des témoins au titre de l'article 65 ter.
27 Le 27 juin 2012, la Chambre a autorisé l'appel contre les première,
28 deuxième et troisième décisions sur les faits jugés. En ce qui concerne les
Page 645
1 écritures de l'Accusation, la Chambre tout d'abord souhaiterait préciser
2 qu'elle n'avait pas donné instruction à l'Accusation de modifier la liste
3 des témoins au titre de l'article 65 ter. La Chambre ne s'attendait pas à
4 ce que les témoins soient retirés de la liste des témoins ou soient placés
5 sur une "liste de réserve", tel que ceci avait été avancé par l'Accusation
6 dans le dépôt de ses écritures. Pour être plus clair, l'instruction de la
7 Chambre était que l'Accusation "dépose une notification indiquant le
8 nombre d'heures qui ne seraient pas utilisées ainsi que le nombre et les
9 identités des témoins qui ne seraient pas appelés à comparaître au vu du
10 fait que les Juges en première instance allaient dresser un constat
11 judiciaire sur les faits proposés, recensés dans les première, deuxième et
12 troisième décisions."
13 La Chambre souhaiterait saisir cette occasion également pour
14 expliquer les motifs associés à cette instruction. L'objectif était de
15 s'assurer que l'Accusation, en tant que partie qui demandait que ces faits
16 jugés fassent objet d'un constat judiciaire par les Juges de la Chambre,
17 puisse examiner activement ceci et réduire la masse des éléments de preuve
18 qu'elle comptait présenter dans cette affaire au vu des constats
19 judiciaires qui avaient été dressés.
20 Un des principaux motifs de l'article 94 du Règlement de procédure et
21 de preuve est l'économie judiciaire, et un des effets juridiques du fait
22 qu'une Chambre de première instance dresse un constat judiciaire concernant
23 les faits jugés par une autre Chambre de première instance est de permettre
24 à la partie qui propose de présenter ses éléments de preuve de ne pas avoir
25 à le faire. De plus, en dressant un constat judiciaire concernant des faits
26 jugés, ceci évite de présenter deux fois des éléments de preuve liés aux
27 mêmes faits en question, à moins qu'une autre partie les remette en
28 question en présentant des éléments de preuve contradictoires.
Page 646
1 Compte tenu du fait que la Chambre de première instance avait
2 autorisé l'appel contre la décision sur les faits jugés, la Chambre de
3 première instance rappelle qu'elle s'attendait pleinement à ce que
4 l'Accusation ne présente pas des éléments de preuve qui étaient déjà
5 mentionnés dans les faits jugés qui avaient fait l'objet d'un constat
6 judiciaire durant la période précédant la décision de la Chambre d'appel.
7 Ceci devrait être clair d'après l'instruction que je viens de lire, et je
8 vais répéter donc une partie. Je cite :
9 "Pour chaque témoin viva voce et pour chaque requête au titre des
10 articles 92 bis, ter, quater, et 94 bis, la Chambre de première instance
11 s'attend à que les parties examinent très soigneusement les éléments de
12 preuve qui sont associés aux faits jugés et, par conséquent, quels sont
13 ceux qui ne s'avèreraient pas nécessaires et, ainsi, de réduire le montant
14 des éléments de preuve qui seront présentés."
15 Fin de citation.
16 Par conséquent, les Juges de cette Chambre décident qu'en ce qui
17 concerne les témoins qui ont comparu durant la période transitoire, c'est-
18 à-dire avant l'arrêt de la Chambre d'appel, l'Accusation devrait examiner
19 au cas par cas les éléments de preuve qu'elle a l'intention de présenter
20 par le truchement de ces témoins conformément aux instructions figurant
21 dans la décision que nous venons de lire.
22 Une fois que l'arrêt sera prononcé par la Chambre d'appel,
23 l'Accusation devra déposer une notification dans les sept semaines qui
24 suivront la décision de la Chambre d'appel en faisant état pour tous les
25 témoins qui sont encore recensés sur leur liste de témoins le nombre
26 d'heures qui ne seront pas utilisées ainsi que le nombre et les identités
27 des témoins qui ne seront pas amenés à comparaître au vu des décisions de
28 cette Chambre de première instance sur les faits jugés.
Page 647
1 Ceci conclut la décision de cette Chambre de première instance.
2 Monsieur Groome, les Juges de cette Chambre souhaiteraient entendre
3 la réponse de l'Accusation aux quatre requêtes de la Défense qui ont été
4 déposées hier, à savoir demande d'ajournement, demande de report du contre-
5 interrogatoire de M. Dannatt, non-présentation d'un document Harland et non
6 présentation de 26 autres documents Harland. Ceci, donc, résume vos
7 requêtes.
8 M. GROOME : [interprétation] Merci. Est-ce que vous avez une préférence
9 quant à l'ordre que je dois utiliser ?
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être le report, ensuite la non-
11 présentation d'un document mentionné par Harland en troisième et les 26
12 documents en quatrième. Mais tant que c'est clair, faites-le dans l'ordre
13 que vous souhaitez.
14 M. GROOME : [interprétation] Je vais commencer par notre demande de
15 reporter le contre-interrogatoire du général Dannatt.
16 Il s'agit d'un expert de l'Accusation, un expert militaire qui devait
17 déposer aujourd'hui. L'Accusation rappelle qu'elle ne s'opposera pas à une
18 demande raisonnable de la Défense pour faire recomparaître le général
19 Dannatt pour un contre-interrogatoire supplémentaire. C'est une possibilité
20 que les Juges de la Chambre ont également envisagée dans le paragraphe 18
21 de sa décision du 5 juillet concernant la présentation du premier volet des
22 éléments à charge. Et nous pensons qu'il y a une erreur au paragraphe 13 de
23 la requête de la Défense, étant donné que celui-ci laisse penser que les
24 Juges de cette Chambre n'avaient pas envisagé que le général Dannatt
25 pouvait revenir pour un deuxième contre-interrogatoire. La décision de la
26 Chambre de première instance concernant le général Dannatt ne prend pas en
27 compte la possibilité -- ou n'envisage pas la possibilité de faire
28 recomparaître le témoin, si la Défense avait des motifs suffisants
Page 648
1 justifiant un nouveau contre-interrogatoire -- je suis désolé. La Chambre a
2 permis à la Défense de faire ceci. Et nous pensons que la possibilité de
3 faire recomparaître le général Dannatt pour un deuxième contre-
4 interrogatoire, si ceci est justifié, est suffisant pour protéger les
5 droits de l'accusé. Cependant, en ce qui concerne la possibilité de la
6 Défense de se préparer au contre-interrogatoire du général Dannatt pour le
7 premier contre-interrogatoire, je vais répondre aux trois points qui sont
8 avancés dans la requête de la Défense ainsi que dans la requête de la
9 Défense concernant le général Dannatt déposée le 2 juillet.
10 La Défense avance qu'elle n'a pas eu suffisamment de temps pour se
11 préparer au contre-interrogatoire du général Dannatt pour diverses raisons;
12 tout d'abord, parce que la Défense n'a reçu le CV du général Dannatt que
13 récemment, notamment pour sa version en B/C/S; deuxièmement, le général
14 Dannatt est le troisième témoin dans la présentation des éléments à charge,
15 alors qu'au départ il était considéré comme le 23e témoin; troisièmement,
16 la Défense a reçu certains documents concernant le général Dannatt au cours
17 de la semaine qui vient de s'écouler. Ces arguments portent à confusion.
18 Tout d'abord, le CV du général Dannatt est présenté par le menu dans son
19 rapport actuel ainsi que dans le rapport précédent qui avait été établi
20 dans le cadre du procès Krstic. La Défense a eu accès à ces documents dès
21 le mois de novembre 2011, tant dans la version originale anglaise que dans
22 sa traduction en B/C/S. La Défense a, par conséquent, eu tout le temps
23 nécessaire pour passer en revue son CV, et un des membres de l'équipe de la
24 Défense de M. Mladic est le conseil qui a procédé au contre-interrogatoire
25 du général Dannatt dans l'affaire Krstic, et je crois que c'est lui qui
26 procédera au contre-interrogatoire dans ce procès-ci. Deuxièmement, comme
27 les Juges de cette Chambre l'ont mentionné dans sa décision du 5 juillet en
28 ce qui concerne le calendrier pour le premier volet de ce procès, la date
Page 649
1 de déposition du général Dannatt n'a pas changé et a été fixée dès le 13
2 avril. Par conséquent, la Défense a eu un préavis clair et suffisant de la
3 date de déposition du général Dannatt. La seule différence c'est que moins
4 de témoins vont déposer avant que lui ne dépose.
5 Enfin, la Défense a reçu certains documents au cours de la semaine qui
6 vient de s'écouler. Il s'agit du rapport du général Dannatt qui mentionne
7 des documents importants en recensant soit leur cote 65 ter, soit leur
8 référence ERN. Au paragraphe 4 du rapport, il est également mentionné que
9 le général Dannatt a examiné d'autres documents pour se préparer à ce
10 rapport, mais ce sont des documents qu'il n'a pas cités et qu'il n'a pas
11 utilisés pour l'élaboration des conclusions dans ce rapport.
12 Par conséquent, je voudrais également revenir sur une décision prise
13 dans l'affaire Stanisic/Simatovic du 11 mars 2011, à savoir que les Juges
14 d'une Chambre évaluent la communication des éléments liés à un rapport
15 d'expert au cas par cas, et il y a également une décision qui a été prise
16 dans l'affaire Gotovina et consorts le 27 août 2009 faisant état du fait
17 que la Défense n'a aucune obligation de communiquer à l'Accusation des
18 documents ou des communications qui seraient associés à la préparation ou à
19 l'élaboration d'un rapport d'expert ou dans le cadre de la déposition d'un
20 même expert.
21 La Défense n'a pas demandé que les documents en question lui soient
22 transmis jusqu'à il y a environ deux semaines. A ce moment-là, nous sommes
23 tombés d'accord avec la Défense et nous leur avons dit que nous
24 transmettrions un exemplaire du classeur de l'Accusation que nous avions
25 préparé pour notre équipe qui reprenait toutes les pièces citées dans son
26 rapport. Ces documents ont été communiqués à la Défense dans le contexte de
27 la communication globale de documents pour cette affaire. Nous avons
28 également accepté de fournir un compendium des différents documents qui
Page 650
1 avaient été fournis au général Dannatt mais que celui-ci n'a pas utilisés
2 pour élaborer son rapport. La Défense était d'accord avec cette
3 proposition, et nous avons fourni le classeur ainsi que cette liste. La
4 Défense maintenant se plaint que ce compendium reprend des documents qui
5 n'ont pas de cotes ERN. Les documents, en fait, sont composés dans leur
6 totalité d'une version précédente de l'acte d'accusation de ce procès ainsi
7 que de trois listes de personnalités au sein de la VRS. Ces informations
8 sont tout à fait disponibles pour le grand public.
9 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'Accusation a fourni les
10 documents associés à l'élaboration du rapport du général Dannatt à la
11 Défense suite à la demande de la Défense. Comme nous avons dit, nous nous
12 engageons à ne pas nous opposer à faire recomparaître le général Dannatt
13 pour un deuxième contre-interrogatoire, mais nous pensons que la Défense a
14 eu suffisamment de temps pour se préparer à son contre-interrogatoire dès
15 la fin de l'interrogatoire principal du général Dannatt. Et, par
16 conséquent, on devrait s'attendre à ce que la Défense puisse procéder à ce
17 contre-interrogatoire immédiatement à l'issue de l'interrogatoire
18 principal.
19 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, pour ce qui est de ma
20 réponse à la demande pour un ajournement basé sur un changement dans les
21 lignes directrices. La Défense, hier, a déposé une requête demandant un
22 ajournement de six mois sur la base de la décision des Juges de la Chambre
23 modifiant ses orientations en ce qui concerne l'article 92 bis, l'article
24 92 ter et l'article 92 quater. Cette requête a été déposée à la dernière
25 heure dans le cadre de la préparation du procès. Et la Défense avance que
26 cette modification récente de l'orientation de la Chambre créé des
27 obstacles importants dans les préparatifs de la Défense et va à l'encontre
28 des droits à un procès équitable de l'accusé. La Défense n'a pas fait
Page 651
1 valoir cet argument auparavant, même si les orientations de la Chambre ont
2 été disponibles depuis plusieurs mois. La Défense n'a jamais avancé que ces
3 lignes directrices avaient des conséquences néfastes sur le droit à un
4 procès équitable et ils ne devraient, par conséquent, pas les utiliser dans
5 ce contexte.
6 De plus, les dépôts d'arguments précédents concernant les lignes
7 directrices n'ont jamais laissé penser que ces lignes directrices
8 constituaient des règles absolues auxquelles devrait se fier la Défense
9 pour la préparation de son procès, comme c'est le cas dans cette requête.
10 Au paragraphe 4 de la requête de la Défense du 16 avril 2012, il est
11 mentionné que :
12 "Il s'agit purement et simplement de lignes directrices."
13 Les Juges de la Chambre ont répété que ces modifications ne
14 s'appliqueraient que dans des circonstances exceptionnelles et qu'elle ne
15 le ferait qu'avec un énoncé des motifs très clairs. La Défense, par
16 conséquent, ne peut pas simplement se baser là-dessus pour modifier une
17 décision des Juges de la Chambre. De plus, la Défense ne semble pas pouvoir
18 prouver que ceci a un impact significatif pour la préparation de ce procès.
19 Même si les Juges de la Chambre ne prennent pas en compte cet argument, la
20 Défense essaie d'expliquer pourquoi ses préparatifs ont été minés par la
21 décision du paragraphe 9 de la requête, où elle recense cinq arguments.
22 Tout d'abord, la Défense se plaint du fait que la décision permet à
23 l'Accusation de déposer plusieurs déclarations de témoins si la deuxième
24 déclaration est une déclaration supplémentaire ou porte sur un sujet
25 différent. Deuxièmement, la Défense critique la décision des Juges de la
26 Chambre ayant adopté une approche plus souple de la présentation des
27 éléments de preuve pour des dépositions de témoins déposant au titre des
28 articles 92 bis et 92 ter. Troisièmement, les délais de l'Accusation pour
Page 652
1 les témoins relevant de l'article 92 ter ont augmenté alors que la Défense
2 n'a pas reçu de temps supplémentaire pour son contre-interrogatoire.
3 Quatrièmement, la Défense remet en question la décision des Juges de la
4 Chambre de permettre l'utilisation d'éléments de preuve du compte rendu
5 d'audience dans certains cas.
6 Enfin, la Défense se plaint que, compte tenu de cette décision,
7 l'Accusation a la possibilité de présenter des documents supplémentaires
8 dans le cadre des questions supplémentaires. Cet argument, en fait, ne
9 reflète pas exactement la décision des Juges de la Chambre, ni les
10 orientations, ni la jurisprudence du Tribunal. La décision est tout à fait
11 cohérente par rapport à la jurisprudence de ce Tribunal.
12 En ce qui concerne le fait que la Défense soit en mesure de se
13 préparer de manière générale, et ceci est plus particulièrement pertinent
14 pour les deux premiers points avancés par la Défense, l'Accusation n'a pas
15 modifié les documents qui seront utilisés pour les témoins déposant au
16 titre de l'article 92 ter. La Défense sait ce que l'Accusation déposera
17 pour chacun des témoins qui vont déposer au cours des deux prochaines
18 semaines, et dans la plupart des cas pour un mois à venir, voire plus. Ceci
19 permet à la Défense d'avoir suffisant de temps pour se préparer.
20 La Défense ne reflète pas exactement les décisions en matière
21 d'octroi de temps pour la déposition des témoins. Les Juges de la Chambre
22 avaient déjà accepté les évaluations de durées des interrogatoires
23 principaux de l'Accusation le 24 avril 2012, à la page 314 du compte rendu
24 d'audience. Même si le temps accordé au contre-interrogatoire n'était pas
25 précisément la question dans la décision, les Juges de la Chambre ont été
26 très clairs - par exemple, au paragraphe 11 de sa décision concernant le
27 Témoin Harland, au paragraphe 13 en ce qui concerne les Témoins Kingori,
28 Koster et Schmitz - que le temps octroyé à la Défense pour le contre-
Page 653
1 interrogatoire serait évalué après que le témoin ait déposé dans le cadre
2 de l'interrogatoire principal.
3 L'argument de la Défense concernant l'utilisation de comptes rendus
4 d'audience comme élément de preuve porte également à confusion. La décision
5 explique certaines circonstances qui permettront d'accepter le versement
6 comme élément de preuve de parties d'un compte rendu d'audience. Comme la
7 Défense l'a reconnu dans ses écritures déposées le 16 avril, les
8 orientations permettent également de modifier cette procédure.
9 Enfin, la Défense avance que cette décision modifie les orientations
10 qui permettent à l'Accusation de présenter des éléments de preuve durant
11 les questions supplémentaires. Ceci est incorrect. La décision, simplement,
12 reconnaît le fait que les parties peuvent, en fait, accepter de verser au
13 dossier des éléments de preuve durant le contre-interrogatoire; et si la
14 partie qui procède au contre-interrogatoire aborde un nouveau sujet, la
15 partie qui fait comparaître un témoin peut également présenter de nouveaux
16 documents durant les questions supplémentaires. Ces orientations n'ont pas
17 été abordées dans ce contexte.
18 Monsieur le Président, ceci constitue la réponse de l'Accusation à
19 cette requête. Je vois qu'il nous reste deux minutes avant la pause. Peut-
20 être que mes autres réponses seront plus brèves.
21 [La Chambre de première instance se concerte]
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous pensez que vous pouvez
23 conclure en l'espace de sept ou huit minutes ?
24 M. GROOME : [interprétation] Oui.
25 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
26 M. GROOME : [interprétation] Alors, la troisième requête que la Défense a
27 déposé hier en ce qui concerne la non-utilisation du document de la liste
28 65 ter 04472, un rapport sur Srebrenica dont M. Harland, notre témoin
Page 654
1 suivant, est l'auteur.
2 Comme je l'ai dit hier à Me Lukic et aux Juges de la Chambre, je n'ai pas
3 l'intention d'utiliser ce document ni de le verser au dossier même si M.
4 Harland est l'auteur de ce rapport. J'ai également dit à Me Lukic que
5 j'avais des difficultés à envisager certaines circonstances qui
6 justifieraient que je demande le versement de ce dossier durant les
7 questions supplémentaires de M. Harland. M. Lukic a informé les Juges de la
8 Chambre et l'Accusation ce matin qu'il avait en fait d'autres intentions,
9 c'est-à-dire qu'il souhaitait un engagement de la part de l'Accusation que
10 celle-ci ne verse jamais ce rapport au dossier quelle que ce soit
11 l'évolution du procès. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il
12 s'agit d'une demande en abstraction. Le moment voulu viendra peut-être si
13 l'Accusation demande le versement de ce rapport. On ne peut pas demander à
14 l'Accusation de répondre en théorie à ce type de question. Mais je m'engage
15 si le moment se faisait, si le moment survenait, que l'Accusation avertira
16 la Défense dès que cela sera possible de façon à ce qu'elle puisse trouver
17 des remèdes auprès des Juges de la Chambre le moment voulu et compte tenu
18 du contexte qui justifiera ou pas le versement de ce rapport.
19 Et enfin, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, pour ce qui est de la
20 demande dans le but d'obtenir un recours à la non-utilisation des pièces à
21 conviction par le truchement de M. Harland, pièces à conviction qui ne
22 figurent pas sur la liste des pièces. En application des consignes données
23 par la Chambre de première instance, le 6 juillet 2012, l'Accusation a
24 déposé un corrigendum à sa demande au titre de l'article 92 ter pour M.
25 Harland. Et en annexe, il y avait la déclaration expurgée du témoin ainsi
26 qu'un jeu révisé de pièces connexes. La Défense a été informée que
27 l'Accusation avait l'intention de demander le versement au dossier de la
28 déclaration de M. Harland du mois d'avril 2009 étant donné que la première
Page 655
1 requête au titre de l'article 92 ter a été déposée le 2 avril 2012. Dans
2 son corrigendum, l'Accusation a diminué le nombre de pièces qu'elle
3 souhaitait verser au dossier comme pièces connexes, toujours dans un souci
4 de respecter les consignes très explicites données par la Chambre eu égard
5 à ce témoin et conformément aux principes directeurs donnés par la Chambre.
6 L'Accusation indique qu'aucun des 26 documents énumérés au paragraphe 5 de
7 la demande de la Défense ne font partie de la liste des pièces que
8 l'Accusation a fournie à la Défense. Deux de ces documents sont la
9 déclaration expurgée du témoin ainsi qu'un corrigendum où certaines
10 coquilles moins importantes ont été rectifiées. La Défense dispose de ces
11 deux documents depuis le 11 novembre 2011.
12 Et j'aimerais indiquer à la Chambre ou rappeler, plutôt, à la Chambre,
13 qu'ils ne font pas partie de la liste des pièces à conviction du fait des
14 consignes données explicitement par la Chambre le 19 janvier 2012, page du
15 compte rendu d'audience 156, et je cite :
16 "La Chambre accepte la proposition présentée par le Procureur pour ne pas
17 inclure ces anciennes déclarations dont il n'a pas l'intention de demander
18 le versement au dossier en l'espèce. Il s'agit donc de l'écriture du 10
19 février en application de l'article 65 ter. Ces futures déclarations ont
20 été rédigées conformément aux instructions qui nous ont été données parce
21 que l'Accusation a l'intention de les verser au dossier, et cela devra être
22 donné à la Défense aussitôt qu'elles seront terminées."
23 Donc l'Accusation a parfaitement respecté cette consigne. Les deux autres
24 documents, Messieurs les Juges, sont un recueil de cartes, et nous y
25 faisons référence comme un recueil de cartes où nous trouvons des cartes et
26 des photographies de la zone de Sarajevo, et le deuxième document est tout
27 simplement une photographie prise par satellite de la zone de Sarajevo et
28 autour de Sarajevo avec les quartiers qui sont indiqués et les lignes de
Page 656
1 front et de confrontation qui sont également indiquées. Si cela nous permet
2 de faciliter ou de trouver une solution au problème, l'Accusation est tout
3 à fait disposée à poser des questions de fond à M. Harland lorsque ces
4 documents lui seront présentés, mais n'a pas l'intention de demander leur
5 versement au dossier. Une cote provisoire leur sera attribuée jusqu'au
6 moment où nous pourrons en parler plus précisément.
7 Voilà, j'en ai terminé.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur Groome. La
9 Chambre va examiner pendant la pause la façon dont elle pourra réagir à ces
10 quatre requêtes et nous verrons si les parties auront une autre possibilité
11 de présenter des arguments ou des écritures ou si la Chambre décidera sur
12 la base des demandes ou des réponses. Nous allons examiner cela pendant la
13 pause et nous vous tiendrons informés.
14 La Chambre aimerait également, avant que nous ne fassions la pause, vous
15 parler d'une question de calendrier. Car le bureau du Procureur a changé de
16 point de vue, me semble-t-il, à propos de l'audience de vendredi. Car hier
17 il me semble qu'il n'y avait pas d'objection indiquée et nous avions prévu,
18 donc, de commencer l'audience à 9 heures vendredi, mais il semblerait que
19 pour des raisons impérieuses l'Accusation nous demande de bien vouloir
20 commencer à 11 heures vendredi. Avant que la Chambre ne tranche la
21 question, j'aimerais savoir si cela poserait des problèmes à la Défense ?
22 M. LUKIC : [interprétation] Non, Monsieur le Président.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors, bien. Je vais consulter mes
24 collègues.
25 [La Chambre de première instance se concerte]
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] L'audience de vendredi commencera donc à
27 11 heures, il s'agit de l'audience de cette semaine.
28 M. GROOME : [aucune interprétation]
Page 657
1 [La Chambre de première instance se concerte]
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Lukic, je vois que vous
3 souhaitez intervenir.
4 M. LUKIC : [interprétation] Oui, oui, très brièvement.
5 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je vous en prie.
6 M. LUKIC : [interprétation] Je voulais tout simplement vous parler de la
7 requête relative à M. Dannatt. Nous avons déposé cette requête ou cette
8 demande et je vous dirais qu'il y a encore quatre documents qui font défaut
9 pour le moment. Nous avons mis à jour, ceci étant, la liste.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais est-ce que vous en avez informé
11 l'Accusation ? Est-ce que vous avez demandé à ce que les documents qui vous
12 font défaut vous soient fournis le plus rapidement possible ?
13 M. LUKIC : [interprétation] Mais il y a déjà un retard --
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce n'est pas la question que je vous ai
15 posée. Est-ce que vous leur avez demandé de fournir ces documents le plus
16 rapidement possible ?
17 M. LUKIC : [interprétation] Nous sommes en train de vérifier la question.
18 Notre stagiaire est en train d'étudier la question, car il y a encore
19 quatre documents qui nous manquent.
20 M. GROOME : [interprétation] Ecoutez, je reste ici pendant la pause avec
21 Mme Stewart et nous verrons comment trouver une solution pour Me Lukic.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Eh bien, nous verrons. Lorsque vous
23 aurez les cotes des documents, Monsieur Groome, nous verrons en fait si
24 cette question pourra être réglée après la pause.
25 Pause que nous allons prendre maintenant, et nous allons reprendre à
26 15 heures 05.
27 --- L'audience est suspendue à 14 heures 37.
28 --- L'audience est reprise à 15 heures 07.
Page 658
1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais d'abord informer les parties de
2 ce que nous allons faire à propos des quatre demandes qui ont été déposées
3 hier. Je vais dans un premier temps m'intéresser à la demande présentée par
4 la demande [comme interprété] aux fins de surseoir au contre-interrogatoire
5 de M. Richard Dannatt. Pour ce qui est de cette demande, la Chambre prendra
6 une décision lorsque l'interrogatoire principal de M. Dannatt sera terminé,
7 et la Chambre décidera à ce moment-là si elle donnera la possibilité aux
8 parties de présenter brièvement leurs arguments oralement.
9 La deuxième demande est la demande présentée par la Défense aux fins
10 d'ajourner le procès ou, à défaut, de reconsidérer les conseils amendés
11 relatifs au versement au dossier et à la présentation des éléments de
12 preuve. La Chambre va donner dans une petite minute aux parties la
13 possibilité de présenter d'autres arguments s'ils souhaitent le faire. Et
14 la Chambre a l'intention de rendre une décision plus tard cette semaine ou
15 au début de la semaine prochaine. Pour le moment, la Chambre ne voit pas
16 pourquoi elle devrait suspendre le procès tant que cette décision n'aura
17 pas été rendue.
18 Troisièmement, il s'agit de la décision urgente aux fins d'empêcher
19 l'Accusation d'utiliser ou de verser au dossier le document 4472 de la
20 liste 65 ter. La Chambre a décidé que cette requête ou demande avait été
21 présentée de façon un peu prématurée et, par conséquent, il n'est pas fait
22 droit à cette demande, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle ne pourra
23 pas être représentée.
24 La quatrième demande qui est une demande urgente par laquelle la Défense
25 demande à ce que l'Accusation n'ait pas la possibilité, ne soit pas
26 autorisée à utiliser ou à verser au dossier des pièces à conviction par le
27 truchement du Témoin Harland, pièces à conviction qui ne figuraient pas sur
28 la liste précédemment. Nous considérons également que cette demande est
Page 659
1 beaucoup trop prématurée, et c'est la raison pour laquelle la Chambre n'y
2 fait pas droit, ce qui ne signifie pas pour autant que ladite demande ne
3 pourra pas être représentée. Si vous avez des objections à propos du
4 versement ou de la présentation de ces documents, nous entendrons vos
5 objections. Ce qui signifie, Maître Lukic, que vous avez la possibilité de
6 répondre brièvement aux arguments avancés par l'Accusation avant la pause à
7 propos de votre demande aux fins de suspension du procès. Si vous me dites
8 vouloir le faire un peu plus tard cet après-midi, je vous en donnerais la
9 possibilité après la prochaine pause, par exemple, si tel est votre
10 souhait.
11 M. LUKIC : [interprétation] Je peux en terminer très vite avec cette
12 question maintenant.
13 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si tel est votre choix, je vous en prie,
14 Maître Lukic.
15 M. LUKIC : [interprétation] Cette demande, si je l'ai bien comprise, a été
16 présentée fondamentalement car de nouveaux documents ont été présentés ou
17 parce qu'il est envisagé de présenter de nouveaux documents lors des
18 questions supplémentaires ? Est-ce qu'il s'agit bien de la demande en
19 question ?
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il y a eu quatre demandes déposées lundi
21 : donc il s'agissait de surseoir au contre-interrogatoire de M. Richard
22 Dannatt; deuxièmement, il s'agissait du Témoin Harland, et là il s'agissait
23 du document à propos duquel vous avez informé la Chambre ce matin que vous
24 n'alliez pas le retirer en dépit du fait que l'Accusation a dit qu'elle
25 n'allait pas en demander le versement au dossier; et l'autre porte, je
26 pense, aux 26 documents. Mais je vous invite maintenant à présenter votre
27 réaction à propos de la quatrième demande.
28 M. LUKIC : [interprétation] Visiblement, il y a une certaine confusion qui
Page 660
1 règne parmi notre équipe, et je vous demande donc de bien vouloir envisager
2 la solution qui consistait à revenir sur cette question après la deuxième
3 pause.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. C'est ce que nous ferons.
5 M. LUKIC : [aucune interprétation]
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que l'Accusation est disposée à
7 faire comparaître le deuxième témoin, M. Harland ?
8 M. GROOME : [interprétation] Tout à fait, nous sommes prêts à faire rentrer
9 M. David Harland dans le prétoire.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais avant que cela ne soit fait, avant
11 que le témoin n'entre dans le prétoire, j'aimerais rappeler à l'Accusation
12 le critère qui a été énoncé pour les documents connexes, et je m'en réfère
13 à nos conseils, à nos principes directeurs : présentation claire des
14 éléments de preuve, avec une préférence pour les documents plus succincts
15 et explication des déclarations.
16 Alors, si j'ai suivi les différents arguments qui ont été présentés et les
17 différentes écritures, nous avons maintenant 15 documents associés à ce
18 témoin ?
19 M. GROOME : [interprétation] Quatorze, Monsieur le Président.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien, 14. Alors, il y en a au moins un,
21 le document 10015, il s'agit de l'évaluation politique des Nations Unies de
22 l'année 1994, pour ce document, je pense que nous y faisons référence dans
23 nos orientations. Nous nous demandons, nous, ou la Chambre se demande s'il
24 était véritablement nécessaire de présenter ce document. Alors je consulte
25 la liste - et lorsque je dis "je", j'entends la Chambre, et c'est ce que
26 nous avons fait - nous avons examiné la liste et nous avons, par exemple,
27 l'impression que le document 10030, qui est un télégramme de la FORPRONU du
28 15 août 1994, pour ce document-ci, nous comprenons parfaitement votre
Page 661
1 souhait de verser ce document au dossier. Il en va de même pour le document
2 28049, réunion avec Mladic du 29 septembre 1993; il en va également de même
3 pour la lettre de M. Harland destinée à M. Akashi, document 28058, lettre
4 du 19 octobre 1994; ou vous avez encore le document 28051, réunion avec M.
5 Mladic du 12 janvier 1995. Alors, pour ces documents qui figurent encore
6 sur la liste, nous comprenons fort bien pourquoi vous souhaitez toujours
7 les verser au dossier conformément à nos conseils ou orientations. Mais
8 pour beaucoup de ces documents sur la liste dont des extraits figurent dans
9 la déclaration du témoin ou qui sont même cités, nous nous interrogeons et
10 nous demandons s'il est bien nécessaire de les verser au dossier en dépit
11 du fait que le témoin les ait examinés et que certains passages en sont
12 soit cités, soit recopiés. Donc ne l'oubliez pas lors de l'interrogatoire
13 principal avec le témoin lorsque vous demanderez le versement au dossier
14 des documents connexes.
15 M. GROOME : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Et
16 permettez-moi de vous présenter une suggestion. En fait, je n'allais pas
17 demander le versement au dossier des pièces connexes avant la fin de
18 l'interrogatoire principal. Neuf de ces pièces, je vais poser des questions
19 bien précises au témoin, et je suis tout à fait disposé à respecter et à
20 reprendre à mon compte les conseils et orientations de la Chambre ainsi que
21 les raisons qui ont été présentées et qui expliquent pourquoi l'Accusation
22 souhaite demander le versement au dossier de ces 14 pièces. Je suis préparé
23 à le faire. Je pense que cela est beaucoup plus logique, d'ailleurs, que la
24 Chambre entende d'abord ce que M. Harland a à dire à propos de neuf de ces
25 documents, mais bon, je suis tout à fait disposé à faire ce que la Chambre
26 voudrait que je fasse.
27 [La Chambre de première instance se concerte]
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La Chambre n'a absolument aucune
Page 662
1 objection à cette façon de procéder.
2 Est-ce que le témoin pourrait entrer dans le prétoire.
3 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président --
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
5 M. GROOME : [interprétation] -- en attendant qu'il n'arrive dans le
6 prétoire, il faut savoir que dans votre décision du 3 juillet, au
7 paragraphe 6, vous demandez une information mise à jour quant aux pièces
8 connexes, ce que nous avons fait, et vous demandez également une mise à
9 jour pour ce qui est des faits déjà jugés. Et je suis disposé à vous
10 fournir un rapport à ce sujet, je vous parle maintenant des faits déjà
11 jugés, et indiquer à la Chambre comment je me propose de procéder.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si vous pouvez le faire avant que le
13 témoin n'entre dans le prétoire.
14 M. GROOME : [interprétation] Oui, tout à fait.
15 Donc l'Accusation a examiné les décisions prises par la Chambre eu égard
16 aux faits déjà jugés et a identifié les faits pour lesquels il y avait
17 recoupement avec ou des doublons avec la déposition de M. Harland ou encore
18 lorsqu'il s'agit d'éléments qui sont extrêmement proches. Dans les cas où
19 il y a un recoupement avec la déposition de M. Harland, je ne vais pas
20 demander des éléments de preuve et j'indiquerai à la Chambre qu'il s'agit
21 de tel fait précis. Mais il y a des exemples où même s'il n'y a pas de
22 recoupement, le lien est très, très proche, en fait, entre les deux, et il
23 se peut qu'il soit utile à la Chambre que l'Accusation indique, d'après
24 elle, quels faits sont très, très proches dans l'ensemble des éléments de
25 preuve qui vont être abordés avec le témoin. Et j'espère, d'ailleurs, que
26 cela est conforme à ce qu'attend la Chambre quant à notre façon d'utiliser
27 les faits déjà jugés.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous avons entendu votre explication. Je
Page 663
1 ne pense pas que Me Lukic souhaite intervenir à ce sujet. Pour le moment,
2 nous allons laisser cela en l'état et voir comment vous allez procéder.
3 M. GROOME : [interprétation] En dernier lieu, Monsieur le Président, pour
4 ce qui est de l'élément Sarajevo de l'affaire, nous avons préparé un
5 recueil de cartes et les photographies où les lieux sont cités. J'espère
6 que cela sera utile à la Chambre. J'en ai des exemplaires pour la Chambre.
7 Nous les avons fournis à la Défense de M. Mladic. Et je pense qu'il serait
8 approprié de demander à Me Lukic s'il a des objections à ce que la Chambre
9 reçoive ce recueil de cartes.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, vous avez des objections à
11 ce que la Chambre reçoive ce recueil de cartes ?
12 M. LUKIC : [interprétation] Absolument pas.
13 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Harland. Monsieur
15 Harland, je suppose, pour reprendre la formule classique, s'il en fut.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui, tout à fait.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Harland, avant que vous ne
18 commenciez votre déposition, le Règlement de procédure et de preuve stipule
19 que vous devez prononcer une déclaration solennelle dont le texte vous est
20 maintenant donné par M. l'Huissier. Je vous invite à la prononcer.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, tout à fait.
22 Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et
23 rien que la vérité.
24 LE TÉMOIN : DAVID HARLAND [Assermenté]
25 [Le témoin répond par l'interprète]
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Harland. Veuillez vous
27 asseoir.
28 Vous allez dans un premier temps répondre aux questions qui vous
Page 664
1 seront posées par M. Groome.
2 M. GROOME : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. Groome qui représente le bureau du
4 Procureur.
5 Monsieur Groome, je vous en prie.
6 M. GROOME : [interprétation] Merci beaucoup.
7 Interrogatoire principal par M. Groome :
8 Q. [interprétation] Est-ce que vous pourriez décliner votre identité pour
9 le compte rendu d'audience ?
10 R. David John Harland.
11 Q. Monsieur Harland, avez-vous jamais travaillé pour les Nations Unies,
12 avez-vous été basé en Bosnie-Herzégovine ?
13 R. Oui.
14 Q. Pendant quelle période ?
15 R. A partir du printemps de l'année 1993 jusqu'en 1999.
16 Q. Et est-ce qu'il y a eu un lieu précis où vous avez été basé en Bosnie ?
17 R. J'ai passé le plus clair de mon temps à Sarajevo.
18 Q. Monsieur Harland, est-il vrai que vous avez fourni des dépositions ou
19 que vous avez fourni des éléments d'information au bureau du Procureur et
20 que vous avez déjà témoigné devant ce Tribunal dans d'autres affaires à
21 propos de votre travail en Bosnie ?
22 R. Oui, c'est exact.
23 Q. Avez-vous fourni ces éléments sous forme, en partie, d'une déclaration
24 écrite ?
25 R. Oui, tout à fait.
26 M. GROOME : [interprétation] J'aimerais que M. l'Huissier affiche le
27 document de la liste 65 ter 28315. Il s'agit d'une déclaration de M.
28 Harland qui a été prise pendant plusieurs jours et qui est signée le 4
Page 665
1 septembre 2009, me semble-t-il, mais il va falloir que je vérifie en fait.
2 Il s'agit bel et bien du 4 septembre 2009.
3 Q. Monsieur Harland, lorsque ce document sera affiché sur votre écran,
4 j'aimerais vous demander d'examiner la première page, notamment la
5 signature au bas de la page, et est-ce que vous pouvez nous dire si vous
6 reconnaissez cette signature.
7 [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, il semblerait qu'il y
9 ait un petit problème technique, que le document ne soit toujours pas
10 affiché sur nos écrans, donc je vous demande une petite minute de patience.
11 M. GROOME : [interprétation] Et en attenant que le problème technique ne
12 soit réglé, je vous dirais que j'ai un document sans annotation si cela
13 peut nous être utile.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons dans un premier temps
15 essayer de voir combien de temps il va falloir attendre pour que le
16 problème technique soit réglé.
17 M. GROOME : [interprétation] Nous pouvons donc demander l'affichage du
18 document.
19 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il est maintenant sur nos écrans.
20 M. GROOME : [interprétation]
21 Q. Monsieur Harland, regardez donc cette première page, notamment la
22 signature.
23 R. Mais le document n'est pas encore affiché sur mon écran.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur l'Huissier, pourriez-vous, je
25 vous prie, voir quel est le problème. Est-ce que vous pourriez aider --
26 non, c'est le témoin, Monsieur l'Huissier, qui n'a pas le document sur son
27 écran. Je pense qu'il se peut qu'il y ait différentes explications.
28 Maître Lukic, est-ce que vous avez des problèmes à ce qu'un document papier
Page 666
1 soit remis au témoin entre-temps ?
2 M. LUKIC : [interprétation] Non, non, pas du tout, Monsieur le Président.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, nous allons remettre ce document
4 papier au témoin en attendant que le problème technique soit réglé.
5 [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le problème technique ne semble pas
7 avoir été réglé, mais je pense que nous pouvons utiliser le document
8 papier. Nous, de toute façon, nous avons ce document sur nos écrans.
9 M. GROOME : [interprétation]
10 Q. Vous avez maintenant le document 28315 de la liste 65 ter. Est-ce que
11 vous pouvez regarder la première page et la signature.
12 R. Oui, il s'agit de ma signature.
13 Q. J'aimerais vous demander maintenant de vous reporter à la dernière
14 page. Le document est signé à nouveau, et est-ce que vous pouvez nous
15 indiquer s'il s'agit de votre signature ?
16 R. Oui.
17 Q. Alors, mettez de côté ce document.
18 M. GROOME : [interprétation] Et j'aimerais maintenant que le document 28318
19 de la liste 65 ter soit présenté au témoin. Il s'agit d'un document signé
20 par M. Harland le 4 mai 2010. C'est un document dont le titre est comme
21 suit : "Précisions et corrections apportées à la déclaration." Donc, une
22 fois de plus, M. l'Huissier en a un document papier, et je souhaiterais que
23 ce document soit remis à M. Harland.
24 Q. Monsieur Harland, le 4 mai 2010, avez-vous signé un document intitulé :
25 "Précisions et corrections à la déclaration" ?
26 R. Oui.
27 Q. Et est-ce que ce document apporte des modifications secondaires à la
28 déclaration qui fait l'objet de la cote 28315 ?
Page 667
1 R. Oui.
2 Q. Et si la Chambre venait à examiner votre déclaration de pair avec les
3 précisions et les corrections apportées à la déclaration que vous avez
4 fait, est-ce que cela correspondrait à un document fidèle pour ce qui est
5 de votre déposition ?
6 R. Oui.
7 Q. Et aujourd'hui, si je vous posais des questions semblables à celles qui
8 vous ont été posées lorsque vous avez fait votre déclaration, est-ce que
9 vous y répondriez de la même façon ?
10 R. Oui.
11 Q. Alors, vous avez maintenant prononcé la déclaration solennelle, est-ce
12 que vous confirmez la véracité et l'exactitude de cette déclaration ?
13 R. Oui.
14 M. GROOME : [interprétation] Donc je ne vais pas demander le versement au
15 dossier de ce document tant que le problème technique n'est pas réglé pour
16 que tout le monde puisse voir le document. Je vois que le technicien est
17 dans le prétoire, donc visiblement le problème n'a pas toujours été réglé.
18 Donc il faut savoir en fait, Messieurs les Juges, que certaines
19 Chambres de première instance ont pour pratique d'entendre un résumé de la
20 déposition écrite du témoin, résumé qui est lu et versé au dossier à partir
21 du moment où les critères posés à l'article 92 ter ont bel et bien été
22 déterminés. Est-ce que vous souhaitez que je le fasse ?
23 [La Chambre de première instance se concerte]
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
25 M. GROOME : [interprétation] David Harland était responsable des affaires
26 civiles et conseiller politique auprès du commandant de la FORPRONU en
27 Bosnie-Herzégovine à partir du mois de juin 1993 jusqu'à la fin du conflit.
28 Il était cantonné à Sarajevo et est resté à Sarajevo au service des Nations
Page 668
1 Unies jusqu'en 1999. M. Harland est arrivé à Sarajevo un an environ après
2 le début des hostilités et a fréquemment participé à des réunions avec les
3 dirigeants de toutes les parties au conflit, notamment avec M. Karadzic et
4 M. Mladic. Il a participé aux négociations portant notamment sur la liberté
5 de mouvement pour les civils et la FORPRONU ainsi que la reprise des
6 services de base à Sarajevo. M. Harland a été la personne qui a rédigé les
7 grands documents politiques pour la FORPRONU et il a rédigé de nombreux
8 rapports hebdomadaires et des rapports spéciaux. Le Secrétaire général des
9 Nations Unies lui avait également demandé de rédiger un rapport relatif aux
10 événements à Srebrenica pendant l'été de l'année 1995, rapport qu'il a
11 déposé en 1997.
12 La déposition de M. Harland porte sur les événements qui se sont
13 déroulés à Sarajevo. Il a indiqué qu'un grand nombre d'obus tombaient sur
14 Sarajevo la plupart des jours, avec des périodes d'accalmie importantes
15 pendant le cessez-le-feu de l'année 1994. Ces bombardements tombaient de
16 façon tout à fait aléatoire sur une ville densément peuplée et n'avaient
17 pas d'objectif militaire visible. Il faut savoir également que les services
18 de base et les vivres, les services de base étant l'approvisionnement en
19 eau, en électricité et en gaz, étaient essentiellement contrôlés par les
20 Serbes de Bosnie, et ces services ont été très médiocres et ont parfois été
21 interrompus par les actes intentionnels de l'un ou des deux camps. M.
22 Harland a rencontré M. Mladic une vingtaine de fois entre l'année 1993 et
23 l'année 1995. Il décrit ses observations, les observations qu'il a faites
24 de M. Mladic et les observations qui l'ont incité à considérer M. Mladic
25 comme un commandant ayant parfaitement le contrôle et le commandement sur
26 ses subordonnés militaires.
27 J'en suis arrivé à la fin du résumé. Je pense que le problème
28 technique a été réglé, et M. Harland semble indiquer qu'il a maintenant sa
Page 669
1 déclaration devant lui.
2 Q. Donc, est-ce que je peux vous demander de confirmer cela, Monsieur
3 Harland ? Est-ce que cette déclaration correspond au document papier qui
4 vous a été remis ?
5 R. Oui.
6 M. GROOME : [interprétation] Alors je pense que nous allons maintenant
7 demander le versement au dossier de la déclaration de M. Harland ainsi que
8 ses corrections. Il s'agit des documents 28315 et 28318 de la liste 65 ter.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, M. Groome a demandé le
10 versement de la déclaration de M. Harland.
11 M. LUKIC : [interprétation] Nous n'avons pas d'objection.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il y avait également un document
13 modifiant le précédent qui va être versé au dossier.
14 Dans ce cas-là, Madame la Greffière d'audience, pouvez-vous donner les
15 cotes.
16 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Le document 28315 deviendra la pièce
17 P1, et le document 28318 deviendra la pièce P2.
18 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les pièces P1 et P2 vont donc être
19 versées au dossier.
20 Monsieur Groome, veuillez continuer.
21 M. GROOME : [interprétation]
22 Q. Monsieur Harland, les paragraphes 3 à 6 de votre déclaration résument
23 votre parcours professionnel. Etant donné que ces informations ont changé
24 depuis que vous avez signé cette déclaration, est-ce que vous pourriez
25 rapidement nous dire quel a été votre parcours depuis ce document.
26 R. Je suis à l'heure actuelle directeur d'une fondation suisse qui assure
27 la promotion de la médiation et du dialogue dans le contexte des conflits
28 armés.
Page 670
1 Q. Et après avoir signé cette déclaration, mais avant d'avoir pris ce
2 poste que vous venez de décrire, pourriez-vous nous décrire les postes que
3 vous avez occupés et les endroits où vous avez travaillé ?
4 R. Entre ma déposition -- ou du moins durant ma déposition dans l'affaire
5 Karadzic en 2010, j'étais chef adjoint par intérim de la mission des
6 Nations Unies en Haïti, et avant cela j'étais directeur pour l'Europe et
7 l'Amérique latine du Département européen des opérations de maintien de la
8 paix, et je pense que le reste figure dans le document.
9 Q. Monsieur Harland, dans le paragraphe 30 de votre déclaration, vous
10 parlez des connaissances que vous aviez de la ligne de confrontation autour
11 de Sarajevo. Etant donné que vous avez vécu et que vous avez travaillé à
12 Sarajevo pendant aussi longtemps que vous l'avez fait, est-ce que de
13 manière générale vous connaissez bien les quartiers et le grand Sarajevo ?
14 R. Oui.
15 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,
16 est-ce que je pourrais demander au représentant du Greffe d'afficher le
17 document de la liste 65 ter 28319 sur nos écrans. Il s'agit d'une carte qui
18 reprend différents éléments d'image satellite de la zone de Sarajevo et du
19 grand Sarajevo avec certaines annotations.
20 [Le conseil de l'Accusation se concerte]
21 M. GROOME : [interprétation] Compte tenu de la résolution de la carte, cela
22 prendra peut-être une minute ou deux, mais j'ai quelques éléments à
23 présenter. Une version de cette carte figure dans le livret de cartes à la
24 page 2. Avant de poser des questions au témoin concernant cette pièce, je
25 voudrais rappeler que cette Chambre de première instance a dressé un long
26 constat judiciaire sur les faits précédemment jugés en ce qui concerne les
27 lignes de confrontation autour de Sarajevo. A savoir, 1919 à 1922, 1948 et
28 1949, 1954 à 1959, 1961 à 1964, 1966 et 1967, 1975, 1986 et 2020 à 2021.
Page 671
1 L'Accusation ne va pas poser des questions à M. Harland sur la ligne de
2 confrontation et n'utilise cette carte que pour donner une représentation
3 graphique aux Juges de la Chambre de ces différents éléments.
4 Q. Monsieur Harland, en préparation à votre déposition aujourd'hui, est-ce
5 que je vous ai demandé de consulter plusieurs cartes ?
6 R. Oui.
7 Q. Est-ce que la carte que nous voyons sur nos écrans, c'est-à-dire la
8 carte qui porte la référence 65 ter 28319, est une des cartes que je vous
9 ai demandé de consulter ?
10 R. Oui.
11 Q. Qu'est-ce qui est représenté sur cette carte ?
12 R. Eh bien, la zone métropolitaine de Sarajevo et ses environs.
13 Q. Et compte tenu du fait que vous travaillez à Sarajevo et que vous
14 connaissez la ville, à quoi correspondent les lignes rouges? R. Il s'agit
15 des positions avancées des forces serbes à un moment donné.
16 Q. Qu'en est-il des lignes bleues ?
17 R. Elles représentent les positions avancées de l'armée de Bosnie à
18 l'époque.
19 Q. Au paragraphe 30 de votre déclaration, vous expliquez pourquoi vous
20 connaissez bien tout cela. Vous avez dit que ces lignes de confrontation ne
21 sont qu'une évaluation. D'après vous, est-ce qu'il s'agit d'une bonne
22 évaluation des lignes de confrontation dans les environs de Sarajevo ?
23 R. Oui.
24 Q. La carte a des localités qui sont en jaune. J'aimerais savoir si ces
25 localités représentent fidèlement les endroits où se trouvaient ces
26 localités sur le terrain ?
27 R. Oui.
28 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président --
Page 672
1 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, vous parlez des lignes
2 bleues et des lignes rouges, est-ce que vous pourriez, s'il vous plaît,
3 relire les réponses et re-consulter la carte et essayer de voir si ceci ne
4 peut pas peut-être porter à confusion. Vous avez donc dans les zones
5 urbaines une première série de lignes rouges. Nous n'avons pas encore
6 entendu de déposition à ce sujet, mais d'après l'acte d'accusation je crois
7 que la thèse de l'Accusation est que les Serbes se trouvaient dans les
8 environs de Sarajevo et que les troupes de la présidence se trouvaient à
9 l'intérieur de Sarajevo. Or, je vois pour commencer les lignes rouges.
10 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, peut-être que je n'ai
11 pas été clair.
12 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
13 [La Chambre de première instance se concerte]
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] A l'écran il y a une carte qui ressemble
15 beaucoup à la carte numéro 2 -- la page 2 de notre recueil de cartes, mais
16 apparemment ce n'est pas la même. Et d'ailleurs, les couleurs sont
17 totalement inversées à celles qu'on trouve.
18 M. GROOME : [interprétation] C'est exact, Monsieur le Président. Je
19 comprends que ceci puisse semer la confusion dans votre esprit, et il n'est
20 peut-être pas judicieux d'utiliser les deux cartes.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et surtout si vous avez interverti les
22 couleurs.
23 M. GROOME : [interprétation] L'Accusation va utiliser la carte qui est sur
24 le système de prétoire électronique, et je m'assurerai que la version
25 papier soit corrigée dès que possible.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous attendrons la version finale. Mais
27 en attendant donc, nous essaierons de nous débrouiller avec ce que nous
28 avons.
Page 673
1 M. GROOME : [interprétation] Je crois avoir versé cette pièce au dossier --
2 mais c'est lié donc à la requête qu'a déposée Me Lukic hier. Donc je ne
3 sais pas s'il est toujours opposé au versement de cette carte maintenant
4 qu'il a entendu la déposition du témoin.
5 M. LUKIC : [interprétation] Est-ce que nous pourrions répondre à cette
6 question à l'issue de la déposition, parce que pour l'instant nous ne
7 savons pas vraiment ce qui est représenté par cette carte.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je ne sais pas si vous avez une copie
9 papier. Mais je crois que cette carte représente les lignes de
10 confrontation de 1995 et qu'elles sont restées inchangées pendant cette
11 année. Si j'ai bien compris, Monsieur Groome ? A moins que le témoin puisse
12 confirmer --
13 M. GROOME : [interprétation]
14 Q. Monsieur Harland, est-ce que vous pourriez rapidement nous expliquer
15 comment fonctionnaient les lignes de confrontation et dans quelle mesure
16 elles ont changé durant votre séjour à Sarajevo ?
17 R. Elles ont très peu changé durant ma période sur place, c'est-à-dire du
18 printemps 1993 à la fin 1995.
19 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
20 M. GROOME : [aucune interprétation]
21 LE TÉMOIN : [interprétation] C'était plus ou moins la représentation.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais en 1995 il y a eu des légères
23 différences, n'est-ce pas ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] De petites différences s'opéraient lorsqu'il y
25 avait l'armée de Bosnie qui, après une offensive, gagnait un peu de
26 terrain, mais c'était peu significatif.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Continuez, Monsieur Groome.
28 M. GROOME : [interprétation] Au paragraphe 30 de la déclaration, M. Harland
Page 674
1 parle d'une autre carte concernant des lignes de confrontation. Il s'agit
2 d'une carte de la VRS qui porte la référence ERN 05059848 dans la
3 déclaration. Je fais remarquer pour les besoins des Juges de la Chambre que
4 cela figure aux pages 56 et 57 du livret de carte que vous avez devant
5 vous.
6 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, pourrait-on afficher maintenant
7 sur les écrans le document de la liste 65 ter 28316. Il s'agit d'une
8 version électronique de la carte que vous avez devant vous dans votre
9 recueil de carte. J'aimerais que l'on passe maintenant à la page sur le
10 système du prétoire électronique numéro 65. Cette page, Monsieur le
11 Président, Messieurs les Juges, est une carte plus détaillée des lignes de
12 confrontation qui vont permettre à cette Chambre de première instance au
13 fur et à mesure que nous avons la déposition concernant Sarajevo. La carte
14 récapitulative est ensuite assortie d'une série de cartes qui sont des
15 versions élargies de la première carte divisée en 16 parties égales. Ces
16 cartes en version agrandie figurent aux pages 65 à 81 sur le système de
17 prétoire électronique et dans le recueil de cartes aux pages 58 à 74.
18 Q. Monsieur Harland, dans le cadre de la préparation à votre déposition,
19 est-ce que je vous ai demandé de consulter cette série de cartes qui
20 représentent une carte récapitulative de Sarajevo ainsi que 16
21 agrandissements ?
22 R. Oui.
23 Q. Est-ce que vous avez déjà vu ces cartes ?
24 R. Oui.
25 Q. Est-ce que je vous ai demandé de vous concentrer plus particulièrement
26 sur les lignes qui étaient tracées sur cette carte et est-ce que je vous ai
27 demandé de vérifier si cela représentait fidèlement et exactement les
28 lignes de confrontation dans les environs de Sarajevo ?
Page 675
1 R. Oui.
2 Q. Est-ce que vous avez étudié ces lignes et, selon vous, est-ce qu'elles
3 représentent fidèlement les lignes de confrontation ?
4 R. Oui, effectivement, c'est une représentation fidèle de ces lignes de
5 confrontation.
6 M. GROOME : [interprétation] J'aimerais que le document de la liste 65 ter
7 28316 reçoive une cote provisoire aux fins d'identification, c'est un
8 recueil donc de cartes de Sarajevo. Ce recueil sera utilisé par toute une
9 série de témoins durant la présentation des éléments à charge et ceci
10 constituera la base également pour les contenus qui seront identifiés par
11 toute une série de témoins. L'Accusation versera cette pièce une fois que
12 tous les éléments constitutifs de son contenu auront été obtenus par les
13 différents témoins.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous parlez d'un recueil de cartes, est-
15 ce que c'est celui que vous nous avez fourni ?
16 M. GROOME : [interprétation] Oui.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En fait, il s'agit de cartes et de
18 photos, n'est-ce pas ?
19 M. GROOME : [interprétation] Oui.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord, c'est très clair. Et je
21 suppose que vous remplacerez la carte de la page 2 avec d'autres couleurs,
22 et vous donnerez donc la permission à Mme la Greffière d'audience de
23 changer cette page dans le livret.
24 Madame la Greffière d'audience, pourrions-nous réserver une cote aux fins
25 d'identification ?
26 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Le document portant la référence 28316
27 recevra la cote P3 aux fins d'identification.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.
Page 676
1 Poursuivez.
2 M. GROOME : [interprétation]
3 Q. Monsieur Harland, selon vous, est-ce que la topographie de la ville de
4 Sarajevo a eu un impact sur les événements qui s'y sont déroulés entre 1992
5 et 1995 ?
6 R. Oui, et dans une grande mesure.
7 Q. Veuillez nous expliquer.
8 R. Le centre-ville de Sarajevo se trouve dans une vallée très escarpée et
9 assez longue, comme on le voit sur la carte. Et de manière générale, la
10 population civile dans la ville et ceux qui défendaient la ville pour le
11 compte de l'armée de Bosnie se trouvaient dans une zone à forte densité de
12 population dans la vallée. Et de manière générale, les forces serbes qui
13 assiégeaient la ville contrôlaient les zones qui étaient plus élevées.
14 M. GROOME : [interprétation] Est-ce que l'on pourrait passer au paragraphe
15 276 de la pièce P1, il s'agit de la déclaration de M. Harland. C'est à la
16 page 83 en version originale en anglais et à la page 59 en version B/C/S.
17 Q. Monsieur Harland, les deux premières phrases du paragraphe 276 se
18 lisent comme suit, et je vous cite :
19 "Les Serbes avançaient souvent avant le début de la guerre que 65 % du
20 territoire de Bosnie-Herzégovine étaient détenus par les Bosno-Serbes, par
21 exemple, si l'on s'en tient aux titres de propriété. Mon propre service a
22 fait des recherches en la matière et nous ne sommes pas d'accord avec cette
23 conclusion."
24 Pourrais-je vous demander de donner plus de détails sur les études que vous
25 avez faites et ce que vous avez trouvé.
26 R. Eh bien, nous avions accès aux cadastres pour Sarajevo. Dans nos
27 bureaux nous avons également recruté un statisticien de profession afin de
28 déterminer si ce qu'avançaient les uns et les autres était vrai ou pas. Et
Page 677
1 pour la question de la propriété terrienne, le Pr Koljevic, un des vice-
2 présidents de la Republika Srpska, avançait souvent que 65 % des terres en
3 Bosnie-Herzégovine étaient serbes et que, par conséquent, c'était le
4 territoire que devrait recevoir les Serbes. Nous nous sommes penchés sur
5 ces chiffres et il s'en est avéré qu'une grande partie du territoire non
6 habité ou que des terres qui étaient la propriété de l'Etat étaient en fait
7 alloués aux Serbes sur les cartes ou dans les déclarations provenant des
8 autorités de Pale.
9 Q. Est-ce que vous avez vérifié ce qui était avancé ici ?
10 R. Oui. Les données du cadastre n'ont pas confirmé que les Serbes
11 contrôlaient ou détenaient 65 % du territoire de Bosnie-Herzégovine. Bien
12 au contraire, de grandes parties du territoire étaient des territoires
13 nationalisés ou qui n'étaient pas habités.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puis-je poser une question pour obtenir
15 de la précision.
16 Vous avez dit que vous aviez accès à certains documents du cadastre.
17 Ensuite, vous avez mentionné le cadastre. Vous avez dit quelquefois. Donc
18 vous avez dit au départ que vous avez accès à "certains" documents du
19 cadastre, ensuite vous avez eu accès au cadastre.
20 Alors, pourriez-vous nous dire si vous avez vraiment eu accès à tous les
21 documents vous permettant d'étayer votre thèse ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je parle de toutes les archives du cadastre
23 qui n'ont pas été mises à la disposition de mes services. Certaines de ces
24 archives étaient disponibles, et pour le reste du territoire pour lequel
25 nous n'avions pas ces archives, nous disposions de données secondaires
26 comme, par exemple, les résultats du recensement de 1990. Mais nous
27 n'avions pas la totalité des archives du cadastre.
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que les données issues du
Page 678
1 recensement permettent de déterminer qui est propriétaire des terres ou
2 simplement qui les occupe ? Est-ce qu'il est mentionné qui est propriétaire
3 ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Il est mentionné votre lieu de résidence
5 et votre appartenance ethnique, si vous avez décidé de la renseigner, parce
6 que vous pouviez en fait choisir parmi diverses catégories comme, par
7 exemple, Musulman, Serbe, Croate, Yougoslave, et cetera.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Alors comment cela a pu vous aider à
9 déterminer qui était propriétaire de quoi ?
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Eh bien, ce qui était avancé par le Pr
11 Koljevic et les autorités serbes laissait penser que 65 % de la Bosnie-
12 Herzégovine leur appartenait. Soit parce qu'on était propriétaire ou parce
13 que historiquement ça appartenait aux Bosno-Serbes. Une fois que nous nous
14 sommes penchés sur la question et compte tenu des documents que nous avions
15 à notre disposition, ceci n'a pas été confirmé.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Harland, vous critiquez les
17 méthodes utilisées par M. Koljevic plutôt que de répondre à ma question. Ma
18 question était la suivante : comment avez-vous pu savoir, d'après les
19 résultats du recensement, qui était propriétaire ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non, vous ne pouvez pas le savoir par le
21 recensement.
22 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc ma question reste entière :
23 comment, d'après les données du recensement, pouvez-vous savoir qui était
24 propriétaire ?
25 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, ce n'était pas possible, sauf que cela me
26 permettait de savoir qui vivait à quel endroit, que ce soit une parcelle
27 privée ou une parcelle sociale, ou une parcelle nationalisée ou appartenant
28 à l'Etat. Je crois que c'étaient les trois catégories dans le système
Page 679
1 d'avant-guerre. Ceci ne figurait pas dans le recensement de 1991. Vous avez
2 raison.
3 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc le résultat du recensement ne vous
4 permet pas de savoir qui était propriétaire de tel ou tel pourcentage des
5 terres ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact.
7 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et vous avez dit que vous aviez des
8 données secondaires telles que le recensement de 1990, qui permettait, en
9 fait, de combler les archives que l'on ne vous avait pas fournies, archives
10 du cadastre, par exemple ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais, par exemple, il y avait des grandes
12 parties du territoire qui n'étaient pas peuplées et qui avaient été
13 attribuées par Pale aux Serbes, mais qui figuraient dans le recensement
14 comme étant des parcelles non habitées et, par conséquent, nous avons jugé
15 qu'il n'était pas exact de les attribuer à une ou l'autre des communautés.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais vous dites "nous sommes partis du
17 principe" qu'on ne pouvait pas les attribuer à l'une ou l'autre des
18 communautés. Est-ce que vous êtes d'accord pour dire qu'une partie de vos
19 vérifications était basée sur des postulats plutôt que sur des faits ?
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez continuer, Monsieur Groome.
22 M. GROOME : [interprétation] Pourrais-je demander qu'on passe au paragraphe
23 260 de la déclaration de M. Harland, qu'on trouve à la page 79 dans la
24 version originale et 56 en B/C/S.
25 Q. Monsieur Harland, dans ce paragraphe vous mentionnez que vous avez eu
26 la possibilité de consulter différents documents qui, d'après l'Accusation,
27 ont été rédigés par M. Mladic, et vous avez conclu qu'il semblait,
28 effectivement, que ces documents avaient été écrits de la main de la même
Page 680
1 personne. Je voudrais qu'il soit très clair qu'il s'agit de votre opinion
2 que vous avez exprimée ici, qui n'est pas basée sur une expertise
3 particulière que vous possèderiez, mais qu'il s'agit simplement d'une
4 observation, comme tout profane pourrait le faire; est-ce exact ?
5 R. Oui. J'ai simplement comparé le texte que l'on m'avait donné avec un
6 échantillon authentique. En fait, il s'agissait d'inscriptions que le
7 général Mladic avait apposées derrière une photo, et j'avais vu que c'était
8 lui qui l'avait apposée. Mais je n'ai pas d'expertise en graphologie.
9 M. GROOME : [interprétation] Pourrais-je maintenant demander que l'on passe
10 aux paragraphes 32 et 33 de la déclaration de M. Harland. Il s'agit des
11 paragraphes que l'on trouve aux pages 9 en version originale et 7 pour la
12 traduction.
13 Q. Monsieur Harland, les paragraphes 32 et 32 présentent les trois
14 catégories de bombardement dont étaient victimes les habitants de Sarajevo,
15 c'est-à-dire bombardement tactique en réponse à des opérations militaires;
16 et ce que vous avez décrit comme des réponses œil pour œil, dent pour dent,
17 c'est-à-dire des échanges de tirs d'obus entre les positions de l'ABiH et
18 les positions bosno-serbes; et ensuite, vous avez décrit des bombardements
19 qui permettaient d'insuffler un sentiment de terreur, et vous avez dit que
20 ceci avait pour objectif "de s'assurer que la population éprouve un
21 sentiment de peur d'isolement et d'isolation." Ma question est donc de
22 savoir si vous avez une idée de la répartition entre ces trois catégories
23 de bombardement ?
24 R. Eh bien, en moyenne nous recensions environ mille impacts d'armes
25 lourdes dans la partie contrôlée par le gouvernement de Sarajevo, et ceci
26 chaque jour pendant toute la période de la guerre durant laquelle j'ai
27 séjourné à Sarajevo, ce qui représente pratiquement la totalité de la
28 guerre. De manière générale, au quotidien, la plupart des bombardements, je
Page 681
1 dirais plus de la moitié, étaient des bombardements globaux visant à
2 terroriser la population sans pour autant avoir de cibles militaires. Nous
3 consultions les cartes des observateurs militaires des Nations Unies tous
4 les soirs, et nous notions la répartition relativement aléatoire des points
5 d'impact de ces bombardements dans les zones civiles. Et puis, vous aviez,
6 bien sûr, lorsqu'il y avait des opérations tactiques, lorsque l'armée de
7 Bosnie essayait de percer les lignes de confrontation à un endroit donné,
8 dans ce cas-là il y avait une plus forte concentration d'un nombre
9 important d'obus dans cette région. Et ces obus, donc, tombaient
10 principalement dans la catégorie de campagne tactique.
11 Q. Au paragraphe 38 dans votre déclaration, que l'on trouve à la page 10
12 dans la version originale et à page 8 dans la version traduite, vous
13 décrivez huit leviers qu'utilisait M. Karadzic pour exercer une pression
14 sur le gouvernement. Pour les sept de ces huit leviers, vous décrivez le
15 bombardement, les tireurs embusqués contre les civils, la restriction de
16 l'accès à ce dont on avait besoin pour vivre normalement, et ceci, donc,
17 dirigé contre la population civile. Dans le paragraphe 39, vous mentionnez
18 que tout ceci était utilisé de concert. Vous en concluez qu'en utilisant
19 ces leviers de manière uniforme, et en même temps, il y avait donc un degré
20 de contrôle central important. Est-ce qu'il y avait autre chose, mis à part
21 l'application de ces leviers de pression qui vous laissait penser que ce
22 contrôle était centralisé ?
23 R. Oui. De temps en temps, les dirigeants serbes disaient très directement
24 qu'ils allaient fermer Sarajevo ou qu'ils allaient exercer une certaine
25 pression, comme ils le disaient, sur Sarajevo afin d'encourager le
26 gouvernement à négocier un accord de paix avec des critères qu'eux avaient
27 fixés. Par exemple, au début de l'année 1995, ils étaient très explicites à
28 notre endroit au sujet de la fermeture de l'aéroport, et pourquoi ils
Page 682
1 avaient coupé l'eau, par exemple, pourquoi l'approvisionnement en
2 nourriture avait été bloqué et pourquoi les bombardements montaient.
3 Q. Vous décrivez ensuite l'utilisation de ces huit leviers comme en fait
4 "un robinet qui permettait de réguler la terreur," et que vous pourriez
5 donc en moduler le débit ?
6 R. Eh bien, le même jour, par exemple, vous aviez des restrictions en eau,
7 en approvisionnement en gaz, en électricité, vous aviez les tireurs
8 embusqués, vous aviez l'artillerie, mais de temps en temps ils avaient peur
9 également que l'OTAN intervienne d'un point de vue militaire, et ne le
10 cachait pas. Donc par exemple, en août 1993, durant la crise du mont Igman,
11 ils avaient très peur que l'OTAN intervienne. Et il en a été de même en
12 février 1994, après l'incident de Markale I, et il en a été de même vers la
13 fin de la guerre lors d'un autre incident. Et puis ensuite, en février
14 1994, lorsqu'ils ont accepté de donner un peu plus de mou autour de
15 Sarajevo, eh bien, on pouvait observer que le même jour les tirs embusqués
16 s'arrêtaient, les bombardements s'arrêtaient, et l'eau commençait à nouveau
17 à couler à flot.
18 M. GROOME : [interprétation] Est-ce que je pourrais demander que l'on
19 affiche le document de la liste 65 ter 10630, et je voudrais que M. Harland
20 ait la possibilité de s'orienter.
21 Q. Monsieur Harland, pourriez-vous nous dire quand vous aurez eu la
22 possibilité de parcourir ce document qui porte la date du 15 octobre 1993,
23 et dont vous semblez être l'auteur. Et il est
24 intitulé : "Réunion avec Karadzic et Krajisnik"; est-ce exact ?
25 R. Oui.
26 Q. Est-ce que je peux vous demander maintenant de vous pencher sur le
27 paragraphe numéro 3, et de le lire en votre for intérieur.
28 R. J'ai lu.
Page 683
1 Q. Ma question est celle de savoir si vous avez été physiquement présent à
2 l'occasion de cette réunion ?
3 R. Oui.
4 Q. Ce paragraphe fait un résumé de la conversation entre le général
5 Briquemont et M. Karadzic. Et je voudrais vous demander de nous expliquer
6 la deuxième phrase de ce paragraphe qui commence par "il", et ça se
7 rapporte au général Briquemont, ce "il". Alors il dit:
8 "Il a insisté pour dire qu'il n'y avait aucune finalité militaire, mais que
9 ça causait beaucoup de dégâts politiques aux Serbes."
10 Alors est-ce que vous pouvez élaborer cette déclaration de façon plus
11 étoffée ?
12 R. Oui. Le général Briquemont et les commandants de la FORPRONU qui
13 l'accompagnaient ont très souvent indiqué la chose auprès de la direction
14 Pale, parce que ce modèle de pilonnage de la ville ne servait qu'à
15 terroriser la population et ne portait ou n'occasionnait que des pertes
16 civiles. Or, ça n'améliorait pas matériellement parlant les positions
17 militaires serbes, et c'était le point de vue des officiers militaires.
18 Alors cela se soldait par des pertes civiles tout à fait superflues, qui
19 étaient préjudiciables à la façon dont on percevait les Serbes. Et c'était
20 un argument qui a été souvent présenté. C'est ce qui apparaît dans le
21 document, et il semblerait qu'il n'y a rien d'exceptionnel dans ces propos.
22 C'est un point qui a été très souvent évoqué.
23 Q. Le général Mladic, était-il présent à l'occasion de ces présentations
24 de propos de ce type ?
25 R. Oui.
26 Q. La troisième phrase de ce paragraphe dit :
27 "Le Dr Karadzic a déclaré qu'il a donné des ordres pour ce qui était de
28 faire stopper les pilonnages et les tirs des tireurs embusqués."
Page 684
1 Alors vous souvenez-vous s'il y a eu des conditions de posées à cet effet ?
2 En d'autres termes, est-ce qu'il a exprimé des réserves pour ce qui est de
3 son aptitude à donner des ordres visant à faire cesser les pilonnages et
4 les tirs des tireurs isolés ?
5 R. Je ne peux pas vous le dire avec une certitude à 100 % pour savoir si
6 ça s'est passé à cette réunion-ci ou à une autre, mais ce que je puis vous
7 dire c'est que le Dr Karadzic très souvent a dit : Oui, j'ai été d'accord
8 pour que X ou telle chose soit faite, et puis il y a eu des individus, des
9 renégats qui ont continué à tirer. Et lorsque nous apportions des éléments
10 de preuve de la part de la FORPRONU, pour ce qui est d'une poursuite des
11 tirs ou de violations de ce qui avait été convenu, il disait que c'étaient
12 des individus désobéissants qui l'avaient fait. Mais de notre avis, ce
13 n'était probablement pas vrai.
14 Q. La dernière phrase de ce paragraphe fournit un commentaire au sujet de
15 ce que Karadzic a dit. Je cite :
16 "Il a dit que le principal problème c'étaient les tirs et les pilonnages de
17 la part des Musulmans, et qu'il serait probablement 'forcé de s'emparer de
18 la partie musulmane de Sarajevo si ces tirs de tireurs isolés ne
19 s'arrêtaient.'"
20 Alors, d'abord, d'après votre rapport, il aurait dit que "si les Musulmans
21 n'arrêtaient pas de pilonner Sarajevo", et vous mettez cela entre
22 guillemets, ainsi que les tirs des tireurs isolés. Est-ce que c'est bien ce
23 que Karadzic a dit verbatim ?
24 R. Oui.
25 Q. Est-ce que vous vous souvenez s'il a parlé anglais ou B/C/S?
26 R. A ce moment-là, il a parlé en anglais.
27 Q. Est-ce que vous pouvez placer cette déclaration de la part de M.
28 Karadzic dans un contexte déterminé ?
Page 685
1 R. Eh bien, le Dr Karadzic, lorsqu'il était confronté à des protestations
2 en raison de morts de civils du fait de tirs de tireurs isolés ou de
3 pilonnage, en général, il prenait une position offensive, il adoptait une
4 position offensive, et il disait qu'il était arrivé quelque chose à la
5 population serbe autour de la ville, et il cherchait à faire tourner le
6 débat ou évoluer le débat le plus loin possible de l'élément qui a suscité
7 l'entretien à l'origine. Il a présenté d'abord le fait que c'était
8 généralement des individus qui échappaient à son contrôle.
9 Q. Est-ce que vous avez pu vérifier ce type d'information, telle que
10 fournies par le Dr Karadzic ?
11 R. Oui. Ce qui est particulier au sujet de la position, et j'imagine que
12 c'est la raison pour laquelle je suis ici, c'est que j'ai pris des notes à
13 l'occasion de ces réunions et je vivais dans la ville même de Sarajevo.
14 Donc ces réunions se tenaient à Pale, et je revenais dans mon appartement à
15 Sarajevo. Donc je pouvais tout d'abord, au petit (a), voir ce qui se
16 passait au niveau des tirs, des pilonnages, s'il y avait de l'eau ou pas,
17 ou s'il y avait continuation des attaques; et puis, nous avions des
18 briefings au quotidien à l'intention de la totalité des officiers
19 militaires, des officiers du niveau des bataillons, des observateurs
20 militaires et autres niveaux d'activité militaire qui étaient contrôlés par
21 les Serbes. Donc oui, j'ai été capable de vérifier la chose de tout à fait
22 près.
23 M. GROOME : [interprétation] Messieurs les Juges, les faits jugés 1731 à
24 1737 posent des bases factuelles pour ce qui est de ce que les observateurs
25 militaires ont consigné dans leurs écrits, et l'Accusation va limiter sa
26 présentation des éléments de preuve à ce que M. Harland a dit à cet effet.
27 Q. Alors, en sus -- à part les observateurs militaires des Nations Unies,
28 est-ce que votre bureau recevait des informations de la part de sources
Page 686
1 autres, exception faite des sources militaires ?
2 R. Oui. Les "UNMO" n'étaient qu'un seul élément de l'appareil qui était en
3 place. La majeure partie de l'appareil d'observation, c'étaient les
4 bataillons - et à Sarajevo, c'étaient pour l'essentiel des bataillons
5 français - qui tenaient des positions d'observation au niveau des lignes de
6 front. Et d'une façon générale, les informations précises pour ce qui est
7 de la situation militaire venaient de deux parts. Cela venait des
8 observateurs militaires des Nations Unies qui étaient des effectifs
9 plurinationaux, et il y avait les observateurs militaires et des bataillons
10 nationaux qui venaient de plusieurs pays. Donc nous obtenions des
11 informations en provenance de sources autres, ce qui nous a permis de
12 vérifier et de confirmer les différents incidents pour constater si cela
13 était vrai ou pas.
14 Q. Monsieur Harland, dans votre déclaration et dans certains rapports
15 contemporains que vous avez rédigés vous-même, il est fait état d'un
16 certain nombre de menaces explicites ou implicites faites par le général
17 Mladic. Alors, avant que d'attirer votre attention sur certains de ces
18 documents concrets et de vous poser des questions concrètes, je voudrais
19 vous demander de décrire à l'intention des Juges de la Chambre en termes
20 généraux la façon dont le général Mladic avait coutume de recourir à des
21 menaces lors des négociations.
22 R. Très bien. En fait, les rencontres avec le général Mladic ou les
23 réunions avec le général Mladic avaient quelque chose de tout à fait
24 caractéristique; d'abord il avait coutume d'inviter un visiteur,
25 primordialement c'était mon chef, le commandant de la FORPRONU, et il
26 organisait une présentation. D'habitude nous présentions des protestations
27 et nous proposions des actions, et le général Mladic restait assis de façon
28 tout à fait tranquille pendant une période relativement longue et il
Page 687
1 prenait des notes dans son journal. Et très souvent, il laissait les
2 interlocuteurs parler longtemps, dix, 15, 20 minutes. Et alors, il prenait
3 la parole et, de façon tout à fait agressive, il avait coutume de présenter
4 des éléments qui n'étaient pas souvent logiquement bien connectés, c'était
5 un mélange de menaces, d'aperçu historique et de commentaires au sujet de
6 la situation telle qu'elle se présentait sur le moment même. Alors, en
7 fait, ces documents représentent des résumés. On n'a pas consigné la
8 totalité des menaces proférées par le général Mladic. Parce qu'à la plupart
9 de ces réunions, lorsqu'il exposait des choses, il y avait souvent des
10 menaces de proférées soit contre la population bosnienne ou contre les
11 Nations Unies ou les deux.
12 M. GROOME : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre maintenant le
13 document 10007 de la liste 65 ter. Il s'agit d'un document daté du 9
14 février 1994. L'auteur de ce document est M. Harland, et c'est intitulé :
15 "Evaluation hebdomadaire de situation politique en Bosnie-Herzégovine." Je
16 voudrais que le témoin ait l'opportunité de prendre connaissance de ce
17 document pour s'y retrouver, et ce, en voyant d'abord la première page.
18 Q. Une fois que vous aurez cette première page, je vais vous demander si
19 vous reconnaissez le document en question.
20 R. Oui.
21 Q. Le document comporte plusieurs pages. Est-ce que vous avez eu
22 l'opportunité de vous pencher dessus avant que de venir aujourd'hui dans le
23 prétoire ?
24 R. Oui.
25 Q. Est-ce que ce document est l'une des évaluations hebdomadaires que vous
26 aviez élaborées pour informer vos supérieurs hiérarchiques aux Nations
27 Unies pour ce qui est des événements de la semaine en Bosnie ?
28 R. Oui.
Page 688
1 Q. Avant que je ne vous demande quoi que ce soit au sujet des menaces dont
2 vous faites état dans ce document, je voudrais demander que nous nous
3 penchions sur quelque chose d'autre. Et à cet effet, je voudrais qu'on se
4 penche sur le bas de la page 4 dans l'original --
5 [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez continuer, Monsieur Groome.
7 M. GROOME : [interprétation] Je voudrais qu'on se penche sur le bas de la
8 page 4 de la version originale, et pour ce qui est de la traduction ça se
9 trouve en bas de page numéro 6.
10 Q. Je voudrais attirer votre attention sur le paragraphe qui commence par,
11 je cite :
12 "Les Serbes de Bosnie ont accepté un accord de cessez-le-feu avec le
13 gouvernement de la Bosnie-Herzégovine en date (9 février 1994)."
14 Vous souvenez-vous de ce cessez-le-feu ?
15 R. Oui.
16 Q. Est-ce que cet accord a été mis en œuvre tel qu'indiqué dans l'énoncé
17 de ce texte pour ce qui est de la date du 10 février 1994 ?
18 R. Oui, il a été mis en œuvre de façon tout à fait bonne.
19 Q. Ce rapport fait état d'un premier pilonnage du marché de Markale à la
20 date du 5 février 1994, et il est dit, je cite :
21 "Les Serbes de Bosnie ont agi de façon très mauvaise pour ce qui est de ce
22 massacre de la place du marché.
23 "La première réaction de l'armée serbe a été de bloquer la totalité de
24 l'aide à la Bosnie-Herzégovine si l'enquête internationale n'exonérait pas
25 les Serbes de toute responsabilité à cet effet.
26 "Le jour d'après, suite à la forte réaction internationale, les Serbes ont
27 modifié leurs positions de 180 degrés."
28 Alors, ma question au sujet de ce paragraphe est celle-ci : vous souvenez-
Page 689
1 vous de la façon dont cette menace initiale de couper toute arrivée d'aide
2 avait été formulée ?
3 R. Non.
4 Q. Vous souvenez-vous de la façon dont vous avez eu vent de ce qui avait
5 été fourni comme réaction de la part de l'armée des Serbes de Bosnie et de
6 leur QG ?
7 R. D'abord, quand cela venait du QG de l'armée serbe, cela normalement
8 nous avait été présenté de façon orale par le chef d'état-major de l'armée
9 serbe, à savoir le général Milovanovic, et il avait coutume de communiquer
10 la chose à l'officier de liaison de l'UNMO qui se trouvait installé dans
11 son QG. Et les messages de l'armée des Serbes venaient normalement de cette
12 façon. Parfois ils venaient directement à nous. Parfois c'était le
13 téléphone qu'on faisait fonctionner, parfois c'était le général Mladic qui
14 appelait le commandement pour la Bosnie-Herzégovine. Et je dois reconnaître
15 que dans ce cas concret je ne me souviens pas du tout comment cela nous est
16 arrivé.
17 Q. J'attire votre attention sur le premier paragraphe entier
18 de la page 5. La traduction se trouve en haut de la page 7. La première
19 phrase de ce paragraphe se lit comme suit :
20 "Le 7 février 1994, Karadzic a fait une menace à peine voilée pour ce qui
21 est d'attaquer les effectifs de la FORPRONU si l'OTAN lançait des frappes
22 aériennes pour faire cesser le siège de Sarajevo."
23 Puis-je vous demander d'abord de nous dire de façon plus concrète ce qui
24 était contenu dans cette menace.
25 R. Une fois de plus, je n'arrive pas à me souvenir de la façon concrète
26 dont cette menace a été faite. D'habitude je me trouvais dans la pièce où
27 le Dr Karadzic proférait des menaces de ce type, mais j'ai l'impression que
28 ceci avait, dans ce cas concret, été une déclaration publique faite après
Page 690
1 une réunion que nous avions eue avec lui. Les médias attendaient. Et il me
2 semble que cela avait été une menace proférée de façon publique, mais je ne
3 m'en souviens pas de façon nette.
4 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, l'Accusation voudrait
5 demander le versement au dossier de la pièce 65 ter 10007.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En l'absence d'objection, Madame la
7 Greffière, quelle sera la référence, la cote ?
8 Mme LA GREFFIERE : [interprétation] Le document 10007 deviendra la pièce à
9 conviction P4, Messieurs les Juges.
10 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, P4 sera versé au dossier.
11 Veuillez continuer.
12 M. GROOME : [interprétation] Messieurs les Juges, je voudrais qu'on nous
13 montre sur nos écrans de la liste 65 ter qui porte la référence 28049.
14 C'est un document dont l'auteur est M. Harland et il est daté du 29
15 septembre 1993. Son titre est celui-ci : "Réunion avec la direction des
16 Serbes de Bosnie." Il s'agit d'un document contemporain et qui constitue en
17 fait des notes de réunion rédigées par M. Harland, cela est évoqué dans la
18 déclaration aux paragraphes 57 à 59, et l'Accusation va demander que ce
19 soit versé au dossier comme pièce associée.
20 Q. Alors, Monsieur Harland, une fois de plus, je vous demande de vous
21 pencher sur la première page et nous dire si c'est vous qui avez rédigé la
22 chose ?
23 R. Ca, c'est un document dont je me souviens bien mieux que de celui qu'on
24 a vu tout à l'heure.
25 Q. Au premier paragraphe, le document identifie les participants en disant
26 le général Briquemont et d'autres personnes des Nations Unies qui avaient
27 été présentées, et du côté des Serbes de Bosnie on dit qu'étaient présents
28 Radovan Karadzic et Ratko Mladic. Au paragraphe 59 de votre déclaration,
Page 691
1 vous identifiez Mladic comme étant l'un des interlocuteurs principaux à
2 l'occasion de cette réunion. Puis-je vous demander de nous décrire son
3 comportement et le ton qu'avait pris cette réunion ?
4 R. Il était très sûr de soi, belliqueux -- mais la raison pour laquelle je
5 me souviens de cette réunion, c'est le fait qu'en plein milieu de la
6 réunion, un jeune homme est entré, un jeune officier serbe est entré en
7 apportant des nouvelles en provenance de Sarajevo où les Bosniens avaient
8 voté au sujet du plan de paix Owen-Stoltenberg. Et le général Mladic a
9 demandé au jeune homme s'ils avaient accepté le plan de paix. Et le jeune
10 homme a dit : Non. Et Alija - ils appelaient le président Izetbegovic par
11 Alija, ils le désignaient ainsi - il demandait plus de territoire. Et le
12 général Mladic a ri et répondu qu'il aurait bien aimé être plus jeune et
13 plus beau, mais ça n'allait pas se produire.
14 Alors, le ton de la réunion montrait qu'il était sûr de soi, mais il
15 n'était pas satisfait du fait d'apprendre que le gouvernement bosnien avait
16 rejeté le plan de paix Owen-Stoltenberg, et il a évoqué une série de
17 mesures très strictes qu'il avait l'intention de prendre pour accroître les
18 pressions exercées à l'encontre du gouvernement de Bosnie.
19 Q. Je voudrais maintenant qu'on se penche sur le paragraphe numéro 3. Il
20 est dit, je cite :
21 "Il n'était pas très porté sur la coopération pour ce qui est de
22 l'évacuation des soldats blessés."
23 Vous souvenez-vous du contexte de cette déclaration ?
24 R. Le contexte était le suivant : des soldats des Nations Unies qui
25 avaient été blessés ou qui se trouvaient être malades, ils nécessitaient
26 des garanties de toutes les parties pour pouvoir se déplacer en toute
27 sécurité à bord d'ambulances pour être évacués par les lignes de
28 confrontation jusqu'à l'aéroport de Sarajevo. Alors, quels étaient les
Page 692
1 soldats qui se trouvaient être blessés à l'époque, ça, je ne m'en souviens
2 pas.
3 Q. Est-ce qu'on vous a expliqué pourquoi l'évacuation des soldats blessés
4 des Nations Unies se trouvait être liée ou connectée avec la signature de
5 certains accords de paix par les soins du gouvernement bosnien ?
6 R. Non, ce n'était pas le cas, mais c'était un comportement habituel.
7 Lorsque le gouvernement bosnien faisait quelque chose qu'ils n'appréciaient
8 pas, la direction de Pale proférait des menaces de représailles, soit à
9 l'égard de la population bosnienne, soit à l'égard de la direction
10 bosnienne, voire encore des Nations Unies.
11 M. GROOME : [interprétation] Est-ce qu'on peut passer à la page 2 de ce
12 document, je vous prie. La traduction peut être retrouvée au prétoire
13 électronique, page 2.
14 Q. La première ligne du paragraphe 61 [comme interprété] se trouve être
15 illisible, mais on peut lire le reste. A partir de la deuxième phrase :
16 "Le général Mladic a proféré un certain nombre de menaces à peine voilées
17 contre la FORPRONU. Par exemple, s'il n'y avait sous pression de l'embargo
18 sur les carburants, il disait qu'il s'emparait du carburant là où il le
19 trouverait. Et il a dit qu'il allait mettre en place une nouvelle
20 politique, 'ce que les Serbes n'allaient pas obtenir, n'appartiendrait à
21 personne.'"
22 Alors, ma première question est celle de savoir si les parties du
23 paragraphe qui viennent d'être citées, c'est bien ce qu'a dit le général
24 Mladic, et est-ce qu'on vous a bien traduit la chose à l'occasion de la
25 réunion ?
26 R. Oui.
27 Q. Ma question suivante est celle-ci : quand vous avez dit des "menaces à
28 peine voilées" --
Page 693
1 R. Le général Mladic établissait une corrélation entre différentes choses.
2 Par exemple, s'il n'y avait pas d'accès à du carburant, la FORPRONU n'en
3 aurait pas non plus, l'UNHCR n'en aurait pas non plus, donc ils avaient
4 recours à des menaces à peine déguisées. Ils procédaient à un blocage vis-
5 à-vis de ceux qui représentaient la communauté internationale.
6 Q. Et quel est l'impact que cela avait sur la FORPRONU pour ce qui est de
7 l'obtention du carburant ?
8 R. Eh bien, si la FORPRONU ne recevait pas de carburant, ils ne pouvaient
9 pas se déplacer et voir ce qui se passait sur les lignes de front, et
10 j'imagine que c'est ce qu'ils voulaient. Et donc, il n'aurait pas été
11 possible pour eux d'escorter les convois de vivres destinés à la population
12 civile dans les secteurs contrôlés par le gouvernement de Bosnie.
13 M. GROOME : [interprétation] Messieurs les Juges, je voudrais maintenant
14 qu'on nous montre le 65 ter 09986 sur nos écrans. Alors, il s'agit d'un
15 document dont l'auteur est M. Harland qui est daté du 3 novembre 1993 et
16 son titre est : "Evaluation hebdomadaire de la situation politique en
17 Bosnie-Herzégovine." Et ce qui m'intéresse en particulier dans ce texte de
18 M. Harland, c'est les paragraphes 66 à 71. Je demanderais également que
19 ceci soit versé au dossier comme une pièce de l'Accusation associée à celle
20 qui a été versée au dossier.
21 Q. Monsieur Harland, est-ce que le document qui apparaît sous vos yeux sur
22 l'écran vous l'avez déjà vu avant votre témoignage ?
23 R. Oui.
24 M. GROOME : [interprétation] Je voudrais qu'on nous montre le bas de la
25 page 5 dans la version originale et la page 6 de la version traduite, de la
26 traduction.
27 Q. Le paragraphe commence par ceci :
28 "Les Serbes ont également exercé des pressions à l'égard de Gorazde et le
Page 694
1 commandant de l'armée serbe, Mladic, avait proféré de fortes menaces à leur
2 encontre."
3 Est-ce que vous pouvez décrire avec plus de détails, si possible, ce que
4 vous vouliez dire par cette phrase, en particulier pour ce qui est du
5 timing des menaces que vous attribuez à M. Mladic.
6 R. De quel paragraphe êtes-vous en train de parler ?
7 Q. Il s'agit du bas de la page 5, le paragraphe qui commence par, je cite
8 :
9 "Les Serbes ont commencé à exercer des pressions à l'égard de Gorazde…"
10 R. Oui.
11 Q. Vous le voyez ?
12 R. Oui, oui. Eh bien, il s'agit d'une période où les Serbes s'étaient plus
13 centrés sur Gorazde et ils ont commencé à limiter l'accès à ce secteur, et
14 c'est ce qui a précédé à une attaque qui a été lancée au début du printemps
15 qui suivait.
16 M. GROOME : [interprétation] Je voudrais qu'on se penche vers la moitié
17 inférieure de la page 6 dans l'original, et il s'agit de la page 2 de la
18 version traduite.
19 Q. Les paragraphes en question sont particulièrement pertinents pour ce
20 qui est de l'avis de l'Accusation dans ce procès, et nous allons poser
21 plusieurs questions complémentaires à ce sujet. Je cite :
22 "Mladic est dangereux. Il est frustré en tant que commandant militaire et
23 en tant qu'individu. En sa qualité de commandant militaire, il a été très
24 efficace, mais pour ce qui est de ses efficacités sur le champ de bataille,
25 ça n'a pas été confirmé au niveau des activités politiques. Alors, il
26 semble blâmer la direction politique de s'emparer. En sa qualité
27 d'individu, Mladic se trouve marginalisé. Lorsque la guerre faisait rage,
28 était à son apogée, il était en position centrale. Et il disait que le
Page 695
1 général Cot et le général Briquemont étaient en train de l'ignorer" --
2 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, j'ai remarqué que votre
3 rapidité de lecture perturbe le travail des interprètes. Je vous prie de
4 ralentir.
5 M. GROOME : [interprétation] Oui, je vais faire une halte et je réajusterai
6 ma vitesse d'élocution. Merci.
7 Alors :
8 "A l'occasion d'une réunion avec le chef d'état-major de la FORPRONU
9 qui a reçu des menaces, entre autres, il a été dit qu'il tuerait tout un
10 chacun dans les enclaves orientales (exception faite des enfants) si les
11 prisonniers de guerre n'étaient pas relâchés avant le 10 novembre."
12 Q. Que vouliez-vous dire, que Mladic se faisait de plus en plus dangereux
13 ?
14 R. Eh bien, il était plus belliqueux dans ses propos, lorsqu'il faisait
15 ces menaces, plus belliqueux qu'avant.
16 Q. Et quelle est votre évaluation et sur quoi se basent votre évaluation
17 et vos dires au terme desquels il était plus dangereux, tel que vous venez
18 de l'énoncer ?
19 R. Eh bien, à l'occasion des réunions avec lui, il disait et ses collègues
20 autour de lui, ses collègues militaires autour de lui, étaient tout à fait
21 clairs pour ce qui est d'affirmer que la direction politique civile n'avait
22 pas fait son travail de façon appropriée et qu'il s'agissait de prendre
23 d'autres activités militaires, s'emparer de deux villes de plus à ne plus
24 restituer par la suite.
25 Q. Et pour ce qui est de cette menace consistant à éliminer des civils
26 dans les enclaves orientales, étiez-vous physiquement présent lorsqu'il a
27 proféré ces menaces ?
28 R. Oui. En fait, il a proféré ce type de menaces à plusieurs reprises
Page 696
1 devant d'autres personnes encore, et moi j'ai consigné ce qu'il a dit à
2 l'occasion des réunions où j'étais présent. Ce n'était pas la première fois
3 qu'il proférait ce type de menaces.
4 Q. Alors, si on prend cela au pied de la lettre, il semblerait que cette
5 déclaration est plutôt préoccupante. Est-ce que vous ou d'autres
6 responsables des Nations Unies étaient préoccupés par cette déclaration de
7 M. Mladic ?
8 R. Oui.
9 Q. Est-ce que cela a été perçu comme une menace lancée comme cela, ou est-
10 ce que cela a été symptomatique ou vous paraissait peut-être symptomatique
11 d'un autre phénomène ?
12 R. Vous savez, lorsque vous parliez avec le général Mladic, ça ne relevait
13 pas vraiment du cadre d'un discours rationnel. Ce n'était pas une
14 conversation ou une discussion comme celle que nous avons maintenant. Nous
15 avions protesté, par exemple. Nous protestions, puis ensuite il se lançait
16 dans une attaque verbale. Je pense en fait qu'il faut savoir -- bon, il se
17 lançait dans ce genre de déclarations. S'il avait l'occasion justement de
18 proférer ces menaces, il le faisait, mais il ne s'agissait pas
19 véritablement de déclarations ou de plans.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome.
21 M. GROOME : [interprétation] Oui. Est-ce que vous pensez que le moment
22 serait peut-être venu de faire la pause ?
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, je pense que vous m'avez très bien
24 compris.
25 Nous allons faire une pause et nous reprendrons à 17 heures 52 exactement -
26 - 17 heures 55 alors, puisque mes collègues sont plus généreux. Donc 17
27 heures -– ou plutôt, non, non, 16 heures 55. Et est-ce que vous pourriez
28 vous assurer, Monsieur Groome, que nous ayons deux fois cinq minutes qui
Page 697
1 seront disponibles à la fin de l'audience pour que les parties puissent en
2 fait présenter leurs réactions après ce que la Chambre a dit. Très bien.
3 M. GROOME : [interprétation] Oui.
4 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons faire une pause.
5 --- L'audience est suspendue à 16 heures 33.
6 [Le témoin quitte la barre]
7 --- L'audience est reprise à 17 heures 04.
8 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce qu'on pourrait faire entrer
9 le témoin dans le prétoire.
10 Et je m'excuse car nous commençons avec un certain retard. Je pense
11 que je vais profiter de ce petit moment pour consigner certaines choses au
12 compte rendu d'audience. Je dirai, dans un premier temps que le 9 mai 2012,
13 l'Accusation a déposé une demande urgente par laquelle elle demande une
14 prorogation jusqu'au 30 juin 2012, la date butoir pour sa liste 65 ter
15 révisée. Le 9 mai, puisqu'il faut savoir qu'à l'époque ou qu'à ce moment-là
16 la date butoir était le jour suivant, à savoir le 10 mai 2012, la Chambre,
17 par le biais d'une communication informelle, a fait droit à cette
18 prorogation temporaire jusqu'à ce qu'une décision définitive relative à la
19 demande soit rendue et que cette décision soit versée au compte rendu
20 d'audience ou au dossier.
21 Le 14 mai 2012, la Défense a répondu en indiquant qu'elle ne
22 s'opposait pas à ladite demande. Le 7 juin 2012, par le biais d'une
23 communication informelle, la Chambre a fait droit à la prorogation demandée
24 pour le dépôt de la liste des témoins en application de l'article 65 ter,
25 et ce, jusqu'au 30 juin 2012, et cette décision est devenue maintenant
26 officielle.
27 [Le témoin vient à la barre]
28 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Harland, si vous m'autorisez
Page 698
1 juste une petite seconde de plus.
2 Je souhaiterais dire que le 30 juin 2012, qui d'ailleurs était un
3 samedi, l'Accusation a déposé sa liste révisée en application de l'article
4 65 ter. Le 4 juillet 2012, la Chambre a demandé, par le biais d'une
5 communication informelle, que l'Accusation dépose un addendum à sa liste de
6 témoins révisée pour que certains résumés de témoins qui faisaient encore
7 défaut soient inclus. Et cette demande est maintenant officielle.
8 Je m'excuse, Monsieur Harland, nous vous avons fait attendre.
9 Et, Monsieur Groome, vous êtes prêt à continuer votre interrogatoire
10 principal ?
11 M. GROOME : [interprétation] Oui, tout à fait.
12 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre.
13 M. GROOME : [interprétation]
14 Q. Monsieur Harland, j'aimerais maintenant attirer votre attention sur le
15 mois de février 1994. Car le 5 février 1994, le marché de Markale a été
16 bombardé pour la première fois et cela s'est soldé par un nombre
17 considérable de victimes. Au cours des journées et des semaines suivantes,
18 il y a eu un changement considérable pour ce qui était de la quantité de
19 bombardements et des activités des tireurs embusqués contre Sarajevo ?
20 R. Oui.
21 Q. Est-ce que vous pouvez expliquer de façon succincte ce qui a abouti à
22 la diminution des activités des tireurs embusqués et des bombardements et à
23 quoi est-ce que l'on peut attribuer cela ?
24 R. Oui. L'OTAN a lancé un certain nombre de menaces suivant lesquelles
25 l'OTAN allait s'engager du point de vue militaire, et il était question
26 éventuellement de frappes aériennes. Je pense que les dirigeants serbes ont
27 considéré que ces menaces étaient tout à fait crédibles, ce qui fait que
28 les Serbes ont coopéré relativement, et je pense qu'il y a même eu
Page 699
1 lorsqu'on a appelé cette zone d'exclusion pour les armes lourdes ou quelque
2 chose de ce goût-là, et en vertu de cela ils ont accepté d'évacuer les
3 armes ou de les déposer dans certaines zones. Et puis, ils ont mis en
4 application l'accord assez vite jusqu'à, je pense, ce qu'ils aient commencé
5 à penser que la menace était révolue.
6 Q. Monsieur Harland, est-ce que pendant les négociations il a été question
7 des négociations, puisqu'il était question des endroits où les civils
8 étaient ciblés par les tireurs embusqués, est-ce qu'à un moment donné vous
9 avez considéré le rôle et l'objectif des tireurs embusqués ?
10 R. Oui. Il y a eu de longues négociations qui ont commencé en 1994 –-
11 Q. Monsieur Harland, avant que vous ne continuiez. Est-ce que vous pouvez
12 nous expliquer ce qu'est un paravent contre les tireurs embusqués, peut-
13 être à l'intention des personnes qui ne connaissent pas ou qui ne sont pas
14 familiers avec ce terme ?
15 R. Oui, tout à fait. Les tireurs embusqués opéraient des deux côtés de la
16 ligne de confrontation et ils essayaient de tuer des cibles qu'ils
17 pouvaient identifier. Alors, il y a eu des techniques qui étaient utilisées
18 pour limiter le nombre de victimes qui tombent sous les balles des tireurs
19 embusqués. C'est qu'en fait, vous mettez des espèces d'écrans en plastique
20 qui faisaient office en quelque sorte –- qui étaient utilisés comme des
21 rideaux, ce qui fait que les tireurs embusqués ne pouvaient pas voir les
22 civils ou les cibles qui se trouvaient de l'autre côté de la ligne. Il y a
23 eu des autres techniques qui consistent à utiliser un [inaudible], et à les
24 empiler à raison de deux ou trois pour qu'une fois de plus les tireurs
25 embusqués n'aient pas une ligne de visée absolument claire par rapport aux
26 cibles. Donc il y a eu de longues négociations en 1994 avec les deux camps
27 à propos des mesures qui pourraient être prises justement pour minimiser
28 les activités des tireurs embusqués. Alors, les Serbes ont indiqué pendant
Page 700
1 la plupart des négociations qu'ils ne voulaient pas que ces types de
2 barrières soient érigées, et ils ne voulaient pas autoriser la FORPRONU à
3 poursuivre les équipes des tireurs embusqués lorsqu'ils avaient été
4 reconnus et identifiés.
5 Q. Et, en fait, le but de ces négociations était de limiter ces tireurs
6 embusqués ?
7 R. Oui. En fait, ils ne cachaient pas du tout le fait que dans la ville de
8 Sarajevo, cibler les civils – et c'étaient les tireurs embusqués qui le
9 faisaient – était une des méthodes retenues pour justement terroriser la
10 ville, pour exercer des pressions sur le gouvernement de la Bosnie, et ce,
11 de faire en sorte d'obtenir une résolution du conflit à des conditions qui
12 leur auraient été beaucoup plus favorables.
13 Q. Monsieur Harland, alors j'aimerais maintenant que nous nous
14 intéressions à la période de l'été 1994. C'est aux paragraphes 134 à 178 de
15 votre déclaration que vous évoquez cela. Et j'aimerais vous poser quelques
16 questions précises à propos de certains des documents que vous décrivez
17 dans ces paragraphes de votre déclaration.
18 M. GROOME : [interprétation] J'aimerais demander que le document 03485 de
19 la liste 65 ter soit affiché. Il s'agit d'un rapport rédigé par M. Harland,
20 rapport qui porte la date du 10 octobre 1994 et qui est intitulé : "Réunion
21 avec le général Mladic à Jahorina." L'Accusation, d'ailleurs, demandera le
22 versement au dossier de cette pièce connexe.
23 Q. Alors, une fois de plus, Monsieur Harland, j'aimerais vous demander de
24 bien vouloir examiner ce document et de nous indiquer si vous êtes en
25 mesure de le reconnaître comme un document que vous avez rédigé et est-ce
26 que vous avez eu la possibilité de l'examiner avant votre déposition
27 aujourd'hui ?
28 R. Oui.
Page 701
1 Q. Alors, ce rapport a trait à une réunion entre le général Rose et le
2 général Mladic. Et j'aimerais vous poser une question précise à propos d'un
3 passage du document qui figure à la page 2 du document d'origine, qui se
4 trouve à la page 3 dans le système e-court pour la traduction en B/C/S.
5 Donc, en fait, j'aimerais vous demander de vous intéresser au paragraphe 8,
6 et la partie du paragraphe qui m'intéresse et à propos de laquelle je vais
7 vous poser une question commence par les mots suivants, je cite :
8 "Il est manifeste que le général Mladic ne sait pas véritablement
9 clairement comment mettre un terme à la guerre, mais le plan du Groupe de
10 contact ne peut absolument pas être accepté par lui."
11 Alors, en quelques phrases, est-ce que vous pourriez nous dire, nous
12 résumer le plan du Groupe de contact ?
13 R. Oui. Le Groupe de contact était un groupe composé des Etats-Unis, du
14 Royaume-Uni, de la France, de l'Allemagne et de la Russie. C'était une
15 tentative qui avait été faite pour faire en sorte que les parties acceptent
16 plus aisément l'accord de paix parce que tous leurs amis, en fait, avaient
17 un dénominateur commun et une position commune. Parce qu'il y a eu des
18 plans précédents, le plan Vance-Owen, le plan Owen-Stoltenberg, auxquels se
19 ralliaient certains, mais pas tout le monde, et là il s'agissait d'avoir un
20 plan auquel se ralliaient les grands protagonistes -– enfin, plutôt les
21 grandes puissances et les amis des factions belligérantes. Alors, le plan
22 du Groupe de contact a été mis au point en 1994 et sa caractéristique
23 principale était qu'il s'agissait du premier plan qui envisage une division
24 de la Bosnie en une Republika Srpska et une Fédération, et c'est la
25 première fois qu'un plan est envisagé comme hypothèse de travail, le fait
26 que la Fédération se verrait octroyée 51 % du territoire et la Republika
27 Srpska 49 %.
28 Q. Que voulez-vous dire lorsque vous avez dit que Mladic ne savait pas
Page 702
1 clairement comment mettre un terme à la guerre ?
2 R. D'après les discussions que nous avons eues avec le général Mladic, il
3 semble qu'ils n'avaient vraiment aucune stratégie mis à part celle de semer
4 la terreur au sein de la population civile. Ils allaient s'emparer de
5 terres, de villes ou de faire quitter les populations, de les cantonner
6 dans des zones de plus en plus exiguës, et ensuite ils couperaient l'eau,
7 le gaz, l'électricité. Ils ouvriraient le feu contre eux, ils leur feraient
8 subir les bombardements, et ils attendaient que le gouvernement prenne une
9 position qui était plus proche de leurs objectifs de guerre. Et ils ont été
10 très frustrés de voir que le gouvernement de Bosnie, d'une certaine
11 manière, a refusé de jouer le jeu. Et, en fait, ils n'ont jamais eu
12 d'autres plans pour gagner la guerre, malgré cet avantage énorme qu'ils
13 avaient en terme de matériel militaire.
14 Q. J'aimerais maintenant attirer votre attention sur les zones de sécurité
15 des Nations Unies, les enclaves orientales, donc Srebrenica, Zepa et
16 Gorazde.
17 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant cela, j'aimerais avoir une
18 précision, tant du niveau des questions que des réponses d'ailleurs.
19 Lorsque vous avez dit qu'il était évident que le général Mladic ne savait
20 pas clairement comment mettre un terme à la guerre. Compte tenu de votre
21 réponse, est-ce que vous parliez uniquement de ce qui s'est passé à
22 Sarajevo à l'époque, ou est-ce que vous parliez de la guerre en général,
23 c'est-à-dire sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, je parlais de la
25 guerre sur tout le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
26 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] D'accord. Et vous avez dit qu'ils
27 allaient s'emparer de terre, de villes, ils allaient tuer ou obliger la
28 population à quitter tel ou tel endroit, qu'ils allaient les cantonner dans
Page 703
1 des zones de plus en plus exiguës et qu'ils allaient couper l'eau, le gaz
2 et l'électricité. Est-ce que vous pourriez nous donner des exemples
3 d'autres localités où l'eau était coupée, le gaz, l'électricité ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Eh bien, dans la poche de Bihac –- enfin, pour
5 ce qui est du gaz, il n'allait que jusqu'à Sarajevo. Le gazoduc vient de
6 Russie, puis passe par la Hongrie, puis la Serbie et traverse Zvornik et
7 couvre ensuite deux petites localités, Kladanj et Olovo, mais le gaz était
8 vraiment pour Sarajevo. Mais dans d'autres zones, ils pouvaient en fait
9 réguler l'approvisionnement en eau, en électricité. Lorsqu'ils étaient
10 proches de la ligne de confrontation, ils pouvaient le faire de partout.
11 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous pouvez nous donner trois
12 exemples de localités où l'eau était coupée ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Eh bien, je dirais que l'exemple le plus
14 facile à citer, ce sont les enclaves à l'est. Dans ces enclaves,
15 l'électricité était toujours contrôlée par les Serbes -- ou principalement
16 par les Serbes. Peut-être qu'ils contrôlaient également une partie de
17 l'approvisionnement en eau, mais je ne pourrais pas être plus précis pour
18 ce qui est de l'eau. Donc l'exemple le plus simple c'est les aliments et
19 l'électricité.
20 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc vous nous dites qu'il est possible
21 qu'ils aient coupé l'eau ?
22 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais quand je vous demande d'être plus
24 précis, et je vous demande trois exemples, vous nous donnez simplement des
25 zones assez vagues. Est-ce que je vous ai bien compris ?
26 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est exact. Je ne confirmerais pas qu'ils
27 contrôlaient l'approvisionnement en eau comme ils le faisaient à Sarajevo.
28 Sarajevo était un cas spécial parce que l'eau était pompée à partir d'une
Page 704
1 localité qui s'appelait Bacevo, qui était juste de l'autre côté de la ligne
2 de confrontation. Lorsqu'il y avait une possibilité, je pense qu'ils l'ont
3 fait ailleurs. Mais je ne sais pas s'ils avaient autant de possibilité
4 ailleurs. Je ne sais pas parce que j'étais, moi, principalement basé à
5 Sarajevo.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez parlé de l'électricité et de
7 l'eau et du gaz, mais à part Sarajevo, il n'y a plus que l'électricité.
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.
9 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, sans les autres exemples, il
10 s'agit d'une déclaration assez globale, alors que vous n'avez pas vraiment
11 de connaissance de ce qui s'est passé à l'extérieur de Sarajevo ?
12 LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Le gaz -- il n'y a qu'un seul gazoduc,
13 donc lorsqu'ils pouvaient couper l'approvisionnement ils le faisaient.
14 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]
15 LE TÉMOIN : [interprétation] A Kladanj et à Olovo, ils coupaient souvent
16 les vannes. Je pense que c'était un Mali Zvornik, qui la dernière ville où
17 il y avait une vanne. Donc, lorsqu'ils avaient la possibilité, ils le
18 faisaient. Mais maintenant, pour ce qui est de l'eau, qui est un système
19 beaucoup plus réparti sur le territoire, je ne pourrais pas me prononcer
20 plus en détails.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, continuez.
22 M. GROOME : [interprétation]
23 Q. Monsieur Harland, est-ce que la stratégie que vous venez de décrire
24 avait un impact sur la capacité de la FORPRONU à distribuer l'aide
25 humanitaire ?
26 R. Oui. Il existait une politique délibérée rendant la distribution de
27 l'aide humanitaire plus difficile. Les convois étaient bloqués. Des
28 restrictions de mouvement très strictes étaient imposées. Par exemple, à un
Page 705
1 moment donné, il était interdit de faire voyager des convois le vendredi.
2 La distribution de l'aide alimentaire ne pouvait se faire, par exemple,
3 qu'à partir de points de distribution en Republika Srpska, et cetera. Donc
4 il s'agissait d'une politique très délibérée et ouvertement reconnue de la
5 part des dirigeants serbes et d'autres également du côté des Serbes visant
6 à restreindre la marge de manœuvre des Nations Unies pour répondre aux
7 besoins humanitaires de la population.
8 Q. J'aimerais donc revenir aux zones de sécurité des Nations Unies, et
9 plus particulièrement à Srebrenica. Et je voudrais me concentrer sur la
10 zone géographique qui était considérée comme étant la zone de sécurité de
11 Srebrenica.
12 M. GROOME : [interprétation] J'aimerais maintenant que l'on affiche le
13 document de la liste 65 ter 05726. Il s'agit d'un rapport du lieutenant-
14 colonel Baxter du 7 mars 1995 qui a pour titre : "Réunion avec le général
15 Smith et le général Mladic le 7 mars 1995."
16 Q. Monsieur Harland, ma première question à votre attention est de savoir
17 si vous reconnaissez ce document ?
18 R. Oui. Je n'en suis pas l'auteur, mais je le reconnais.
19 Q. Est-ce que vous connaissiez le lieutenant-colonel Baxter durant votre
20 séjour en Bosnie ?
21 R. Oui, très bien.
22 Q. J'aimerais maintenant me concentrer sur le paragraphe 5 de ce rapport
23 dans mes questions, que l'on peut trouver à la page 2 tant en version
24 originale qu'en version B/C/S. Ce paragraphe est intitulé, et je cite :
25 "Aspects militaires et démilitarisation des enclaves." Et il relate des
26 discussions entre Mladic et Smith en ce qui concerne Srebrenica. Durant
27 cette discussion, Mladic fait part de sa connaissance de la taille
28 géographique des trois zones de sécurité en Bosnie orientale, et en ce qui
Page 706
1 concerne Srebrenica, il dit qu'il s'agit d'une zone de 4,5 kilomètres sur 1
2 kilomètre. Ma question est la suivante : j'aimerais savoir comment les
3 Nations Unies concevaient les frontières de la zone de sécurité de
4 Srebrenica durant la période de la réunion, c'est-à-dire en mars 1995 ?
5 R. Eh bien, d'après les Nations Unies, pour ce qui est donc des zones
6 sécurisées, il s'agissait de zones qui se trouvaient à l'intérieur des
7 lignes de confrontation au moment où ces zones avaient été déclarées zones
8 de sécurité par le Conseil de sécurité.
9 Q. Et quelles étaient leur taille approximative ou leur surface
10 approximative, si vous vous en souvenez ?
11 R. De mémoire, je dirais que c'étaient en fait des surfaces de 10
12 kilomètres sur 10, peut-être que pour Srebrenica c'était un peu moins.
13 Donc, au total, une centaine de kilomètres carrés. Et le général Mladic
14 disait qu'il avait l'intention de réduire cette superficie à 4 ou 5
15 kilomètres, donc, en fait, il allait en grignoter 90 % à peu près.
16 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je
17 voudrais également attirer votre attention sur les faits jugés 1272 et 1280
18 qui sont liés à cet aspect, et je me baserai sur ces faits jugés pour
19 obtenir d'autres éléments de preuve de la part de M. Harland.
20 Q. Monsieur Harland, à la fin du paragraphe 5, nous voyons le terme
21 "commentaire" en caractères gras.
22 R. Oui.
23 Q. On peut trouver ceci en haut de la page 3 pour la traduction. Le terme
24 "commentaire" est suivi par :
25 "Une interprétation de cet échange c'est que Mladic a peut-être trahi une
26 de ses préoccupations militaires importantes, à savoir qu'il n'avait peut-
27 être pas la possibilité militaire de combattre sur deux fronts et qu'en cas
28 d'attaques contre les Serbes de Krajina et d'attaques par la BiH en Bosnie
Page 707
1 centrale, il cherchait peut-être à se concentrer sur les enclaves, du moins
2 pour commencer."
3 Est-ce que vous êtes en mesure de comprendre ce commentaire ?
4 R. Oui. Eh bien, la FORPRONU pensait que même si les Serbes étaient très
5 bien armés, ils n'avaient pas suffisamment d'hommes. Durant l'année 1995,
6 cette préoccupation est devenue encore plus prononcée puisqu'ils ont vu
7 l'armée de Bosnie s'étoffer tout comme l'armée de la République de Croatie,
8 et, par conséquent, ils avaient peur d'une contre-offensive militaire
9 venant tant des Bosniens du centre de la Bosnie que de Croates qui venaient
10 de l'autre côté de la frontière, et c'est en fait ce qui s'est produit. Et
11 Baxter pensait que Mladic semblait dire qu'afin de se préparer contre cela,
12 les Serbes devraient en fait éliminer, voire réduire de manière
13 significative les enclaves détenues par les Bosno-Musulmans à l'est, de
14 façon à libérer les troupes pour le cas où d'autres offensives ou d'autres
15 fronts s'ouvriraient.
16 Q. [aucune interprétation]
17 R. Mais moi, je n'étais pas présent à cette réunion.
18 Q. Merci. Monsieur Harland, au paragraphe 210 de votre déclaration, vous
19 parlez du fait que des bombardements lourds avaient recommencé à se
20 produire sur Sarajevo, et vous mentionnez, et je vous cite :
21 "Le 30 juin 1995, le colonel Meille a écrit au général Milosevic en se
22 plaignant d'attaques contre des cibles civiles dans la ville de Sarajevo en
23 utilisant des bombes très puissantes."
24 Je voudrais vous poser une question en ce qui concerne un rapport qui a été
25 rédigé durant cette même période.
26 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je
27 souhaiterais que l'on affiche le document de la liste 65 ter 15749 sur les
28 écrans. Il s'agit d'un rapport rédigé par M. Harland qui est intitulé :
Page 708
1 "Secteur Sarajevo, rapport de situation hebdomadaire." Il porte la date du
2 2 juillet 1995. L'Accusation va verser ceci comme pièce associée.
3 Q. Monsieur Harland, une fois que vous avez vu ce document sur les écrans,
4 est-ce que vous pourriez nous dire si vous reconnaissez ce document et si
5 vous en êtes l'auteur ?
6 R. Oui.
7 Q. Je voudrais qu'on passe maintenant à la page 2 du document, juste au
8 milieu de la page, et d'ailleurs cette phrase se retrouve au même endroit
9 sur la traduction en B/C/S. Et on peut lire, je cite :
10 "Ils semblent assez confiants et pensent qu'ils vont pouvoir contenir
11 l'offensive du gouvernement bosnien, et ils ont dit qu'ils allaient lancer
12 des contre-attaques punitives contre les zones urbaines."
13 Est-ce que je pourrais vous demander de développer cette phrase qui figure
14 dans votre rapport.
15 R. Eh bien, à cette époque, au printemps 1995, l'armée bosnienne a lancé
16 plusieurs tentatives, d'ailleurs elle le faisait ça et là, pour ce qui est
17 d'opérer une percée du siège de Sarajevo; et comme d'habitude, ils ont
18 échoué. Nos interlocuteurs de l'armée de Bosnie nous ont fait savoir qu'ils
19 allaient augmenter les pilonnages et leurs tirs de tireurs isolés ainsi que
20 les autres activités militaires le long des lignes de confrontation pour
21 les punir.
22 M. GROOME : [interprétation] Penchons-nous sur la page numéro 3 de la
23 version originale au prétoire électronique, et il s'agira de la page 2 pour
24 la traduction, vers le bas de cette page, où on voit qu'il dit qu'il y a
25 des activités de tirs de tireurs isolés d'accentuées ou d'augmentées dans
26 la vieille ville, du centre-ville.
27 Q. Est-ce que vous vous trouviez à proximité de ce centre de la ville de
28 Sarajevo ?
Page 709
1 R. Oui. Ce n'était pas un événement isolé. Ce que j'ai voulu,
2 c'était mentionner cet incident concret, parce que dans mon rapport je
3 préférais faire état des choses dont j'avais eu à connaître
4 personnellement. Et là, c'est un mineur qui a été tué dans l'une des
5 grandes rues de Sarajevo non loin de la mosquée d'Ali Pasa [comme
6 interprété]. Moi je descendais à ce moment-là le long d'une rue qui coupait
7 la rue Djure Djakovica sous angle droit, et je revenais d'une visite rendue
8 à un ami qui lui habitait à la rue Vrazova. J'ai entendu un cri, et il y a
9 eu un remue-ménage. Et quand j'ai tourné le coin, j'ai vu un vélo et ce
10 jeune blessé, qui s'est avéré être mort en fait, ainsi qu'une foule de gens
11 qui essayaient de s'approcher pour l'aider ou pour le tirer de là. Mais les
12 tirs avaient continué, ce qui fait que personne ne pouvait s'approcher. Je
13 ne peux pas affirmer que il s'agit d'un incident isolé de ce type. J'ai
14 rapporté l'incident par un concours de circonstances parce que j'en sais un
15 peu plus.
16 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Groome, vous avez encore
17 deux minutes. Mais si vous avez besoin d'une dizaine de minutes, veuillez
18 garder cette mise en garde à l'esprit.
19 M. GROOME : [interprétation] Eh bien, j'ai peut-être encore une
20 question et on pourra en finir pour la journée.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
22 M. GROOME : [interprétation]
23 Q. Au premier paragraphe de la page 3 de l'original et de la traduction,
24 vous décrivez trois explosions d'obus au niveau du bâtiment qui abritait le
25 QG de la FORPRONU à la date du 29 juin 1995. Vous dites que c'est
26 délibérément qu'on avait ciblé le QG de la FORPRONU. Pouvez-vous nous dire
27 sur quoi vous fondez cette affirmation ?
28 R. J'étais à la tête des affaires civiles dans le secteur de Sarajevo et
Page 710
1 mon bureau se trouvait dans le même bâtiment que l'endroit où se trouvait
2 le QG des soldats français. Et à côté, mon voisin d'à côté, c'était le
3 colonel Meille, qui était commandant par intérim. Et il m'a communiqué des
4 informations liées au renseignement et il m'a parlé de la nature de
5 l'événement. Et il s'est avéré, comme cela souvent a été le cas, que les
6 Serbes avaient ciblé le QG de la FORPRONU pour suivre ce qui se passait,
7 ils le faisaient régulièrement. Ils pilonnaient au mortier, par exemple,
8 des appareils qui nous permettaient de détecter les mortiers et ils
9 bombardaient les postes d'observation - dans le cas concret, le QG des
10 observateurs.
11 Q. Merci.
12 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, je vais en terminer
13 pour ce qui est de la journée d'aujourd'hui.
14 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.
15 Alors, nous avons des questions liées à la procédure à aborder. Vous êtes
16 libre de vous en aller, mais je dois au préalable vous donner instruction
17 de ne parler à personne de votre témoignage, celui que vous avez fait
18 jusqu'à présent ou celui qui va suivre demain. Alors nous allons vous
19 revoir demain matin, le 11 juillet. Veuillez suivre M. l'Huissier pour
20 quitter le prétoire.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.
22 [Le témoin quitte la barre]
23 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, vous avez cinq minutes à
24 votre disposition.
25 M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
26 Messieurs les Juges, je vous remercie de l'opportunitéé que vous m'avez
27 fournie de présenter des arguments complémentaires pour ce qui est de notre
28 requête liée à un ajournement du procès suite aux modifications survenues
Page 711
1 dans les instructions de la Chambre pour ce qui est de la présentation des
2 éléments de preuve en application des articles 92 ter et 92 bis. Je tiens
3 d'abord à souligner le fait que toutes nos requêtes devraient être prises
4 en considération sous la lumière de toute une série de circonstances. Il
5 convient de se pencher sur le contexte où il y a eu de sérieux manquements
6 à l'obligation de communiquer les pièces. Nous avons reçu des pièces après
7 bon nombre de parties de la procédure préalable au procès. Et nous sommes
8 encore en train de faire face à d'autres obstacles et vos instructions
9 constituent pour nous des difficultés complémentaires parce que nous avons
10 fondé les préparatifs de la Défense partant des lignes directrices qui ont
11 été émises par les Juges de la Chambre. Nous avions compris qu'il n'y en
12 aurait pas, mais suite à l'arrivée du premier témoin, les lignes
13 directrices ont été modifiées. Or, pour la Défense, c'est un problème
14 qu'elle ne peut pas surmonter si facilement.
15 Je voudrais évoquer un point évoqué par M. Groome. En page 35 du compte
16 rendu d'audience d'aujourd'hui, il y est dit qu'il faudrait interdire à la
17 Défense d'objecter concernant les lignes directrices parce que la Défense
18 n'a jusqu'à présent pas indiqué que les changements intervenus au niveau
19 des instructions risqueraient d'influer sur l'équité du procès. Mais avec
20 tout le respect que je vous dois, pas moins de 19 fois dans différentes
21 présentations ou différents écrits, nous avons répondu au 92 ter présenté
22 par l'Accusation. Et nous avons toujours présenté comme argument premier
23 les objections que nous évoquions pour ce qui était de la volonté de
24 l'Accusation de dévier des lignes directrices, parce que toute déviation
25 portait préjudice à la Défense à moins que la Défense ne bénéficie d'un
26 temps complémentaire pour le contre-interrogatoire, et dans bon nombre de
27 cas de figure, plusieurs heures de plus que l'Accusation. La Chambre a
28 jusqu'à présent répondu de façon favorable aux demandes de l'Accusation.
Page 712
1 En plus, le 16 avril 2012, nous avons présenté une requête pour répondre à
2 une requête de l'Accusation relative au réexamen des lignes directrices, et
3 dans ces écritures nous avons une fois de plus évoqué les problèmes
4 concrets relatifs à la position adoptée par l'Accusation et nous avons dit
5 que sans les lignes directrices en vigueur actuellement, la présentation
6 des éléments se présentera tout à fait autrement à moins que les Juges de
7 la Chambre n'en prennent conscience, et c'est la position de la Défense. Et
8 il n'est pas exact de dire que la Défense n'a pas évoqué le problème
9 jusqu'à présent. Nous avons été tout à fait conséquents jusqu'à présent et
10 nous avons le droit de demander un remède juridique auprès des Juges de la
11 Chambre comme nous le faisons dans nos écritures.
12 Et je voudrais, deuxièmement, évoquer l'argumentation présentée par M.
13 Groome aux pages 36 et 37. En effet, on dit que la Défense avait
14 connaissance depuis plus d'un mois que l'Accusation avait l'intention
15 d'entendre ces témoins et qu'elle a eu suffisamment de temps et plus que
16 suffisamment de temps. Je dois souligner comment la chose se présente dans
17 d'autres affaires similaires. Dans l'affaire Karadzic, il y a eu une
18 décision de rendue disant que 90 jours suffisaient pour que la Défense se
19 prépare une fois qu'elle aura reçu la totalité des documents. Donc je ne
20 vois aucun fondement pour ce qui est de l'affirmation avancée par M. Groome
21 pour dire que 30 jours étaient suffisants. Nous avons le droit d'être
22 traités de façon équitable comme cela a été le cas dans d'autres affaires.
23 Et nous demandons aux Juges de la Chambre d'accorder à votre client
24 l'exercice de son droit à un procès équitable.
25 Avec tout le respect que je dois, si depuis huit mois on nous dit que
26 les règles qui vont être appliquées sont telles et telles et si quelques
27 jours avant le début du procès tout à coup on nous dit de but en blanc que
28 les règles allaient être différentes, eh bien, ceci constitue un changement
Page 713
1 inéquitable et dramatique.
2 Et je voudrais également parler de l'utilisation des documents aux
3 questions complémentaires. Ceci doit être pris en considération en
4 corrélation avec la décision relative au 92 ter et les requêtes à cet effet
5 qui ont été présentées jusqu'à présent. Toutes les objections relatives à
6 des parties de déclaration doivent être prises en considération une fois
7 que le témoin sera entendu. Jusqu'à présent rien n'a été tranché, et nous
8 ne savons pas encore à ce jour ce qu'il va se passer et nous ne savons pas
9 du tout quels vont être les éléments de preuve qui vont être montrés aux
10 différents témoins. En plus nous avons bon nombre de documents qui
11 accompagnent le témoin Harland que l'Accusation a réservé pour ce qui est
12 la présentation dans ses questions complémentaires. Il est impossible pour
13 la Défense d'avoir un droit de vue sur la totalité des éléments de preuve
14 si l'Accusation a la possibilité de réserver jusqu'à la dernière minute les
15 documents qu'elle va utiliser pour ce qui est de ses questions
16 supplémentaires. Alors, nous avons fait savoir qu'il y a des documents qui
17 ne sont pas conformes aux lignes directrices, et nous soulignons que le 2
18 juillet 2012 nous avons reçu un e-mail de l'Accusation qui se trouve être
19 signé par M. Dermot Groome et où on identifie au moins 15 documents que
20 l'Accusation ne proposera pas pour versement au dossier étant donné les
21 lignes directrices formulées par la Chambre au sujet des pièces à
22 conviction associées. Alors, l'Accusation se réserve le droit de verser ces
23 documents au dossier si le témoin témoigne en ce sens et si c'est contesté.
24 Mais bien sûr que nous allons contester. Que voulez-vous que nous fassions
25 d'autre ? Alors, l'Accusation s'attend à ce que nous contestions la
26 totalité des affirmations, c'est ce que nous faisons.
27 Par conséquent, il est tout à fait clair que l'Accusation utilise les
28 lignes directrices pour nous déposséder stratégiquement parlant des pièces
Page 714
1 à conviction qu'elle se propose d'utiliser pour les sortir à l'occasion des
2 questions complémentaires et empêcher la Défense d'aborder ces documents
3 dans son contre-interrogatoire. Et nous maintenons ce que nous avons déjà
4 dit dans notre contre-interrogatoire. Nous lançons un appel à l'égard des
5 Juges de la Chambre pour que ceux-ci prennent en considération la totalité
6 des problèmes auxquels nous devons faire face, y compris la quantité énorme
7 de documents qui ont été tardivement communiqués, c'est-à-dire à moins de
8 60 jours avant le procès, et nous avons maintenant ces changements de
9 lignes directrices, ce qui nous amène en situation à devoir réexaminer des
10 déclarations faites par les témoins dans d'autres affaires précédemment
11 diligentées. Et nous devons nous pencher sur plus d'éléments de preuve dans
12 une période de temps plus courte. C'est un travail énorme pour la Défense.
13 Nous avons besoin de plus de temps pour nos préparatifs et pour le contre-
14 interrogatoire s'il y a plus de documents qui sont versés au dossier par le
15 biais de ces documents [comme interprété]. Et nous devons présenter nous
16 aussi beaucoup plus d'éléments de preuve pour réfuter les éléments de
17 preuve présentés par l'Accusation.
18 En somme, ce serait l'argumentation que nous avions à présenter pour étayer
19 les demandes ou les requêtes que nous avons présentées. Merci, Messieurs
20 les Juges.
21 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Lukic.
22 Monsieur Groome, si je puis vous dire, vous avez encore cinq minutes et je
23 vous prie de vous limiter strictement à ces quatre à cinq minutes parce que
24 nous sommes déjà à près de 6 heures moins le quart.
25 M. GROOME : [interprétation] Je crois que je vais avoir besoin de moins de
26 temps que cela.
27 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.
28 M. GROOME : [interprétation] Il y a quelques éléments que je voudrais
Page 715
1 évoquer pour ce qui est de la réfutation ou de ma réplique. Je pense que M.
2 Lukic n'a pas, de façon équitable, caractérisé les lignes directrices parce
3 qu'il en parle comme si c'étaient des règlements ou des articles du
4 règlement de présentation des éléments. Et je crois que M. Lukic, qui n'est
5 pas informé, pourrait considérer qu'il s'agit du Règlement de procédure et
6 de preuve, or ce n'est pas le cas. La Chambre a exprimé de son avis ce qui
7 serait la façon la plus sage de procéder pour ce qui est de mettre en œuvre
8 certaines des règles.
9 Je pense que l'Accusation a déjà fait la preuve qu'elle n'a pas l'intention
10 de faire objection quand les interruptions sont raisonnablement motivées
11 pour assurer l'équité. Mais nous ne voyons pas dans les écritures de la
12 Défense des éléments qui indiqueraient que la Défense subit des préjudices.
13 Et nous ne voyons aucune justification pour ce qui est d'un report aussi
14 long de six mois.
15 Et pour finir, Monsieur le Juge, nous estimons que l'utilisation de ces
16 documents aux questions complémentaires semble différer de façon
17 considérable de l'interprétation qu'en fait M. Lukic. M. Lukic interprète
18 les lignes directrices de la Chambre comme si l'Accusation avait la
19 possibilité de retenir des pièces à conviction pour des raisons tactiques
20 ou stratégiques pour les présenter à l'occasion de ses questions
21 complémentaires. Or, ce n'est pas la façon dont nous comprenons les choses.
22 L'Accusation comprend la chose de façon suivante. Nous avons l'intention de
23 présenter des documents qui n'ont pas été versés au dossier conformément
24 aux lignes directrices sous les conditions tout à fait déterminées : par
25 exemple, dans le cas de M. Harland, si M. Lukic conteste des éléments du
26 témoignage de M. Harland du type, par exemple, s'il avait eu une réunion à
27 telle date avec M. Mladic. Et si M. Lukic conteste ceci, l'Accusation
28 estimerait nécessaire de présenter des notes de prises à l'occasion de la
Page 716
1 réunion en question. Mais si M. Lukic ne conteste rien que l'interprétation
2 que M. Harland fait d'une réunion, l'Accusation ne pense pas qu'elle aurait
3 le droit de présenter des notes de prises pendant ladite réunion. C'est
4 ainsi que nous interprétons les lignes directrices.
5 Merci, Messieurs les Juges.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur Groome.
7 Nous allons lever dans une minute. Je vais faire deux observations.
8 La première des observations que je vais faire, c'est la façon dont vous
9 avez parlé des pièces à conviction associées. Monsieur Groome, vous avez
10 annoncé que vous alliez demander le versement à la fin de l'audition du
11 témoin, mais ceci ne modifie pas le fait que la Chambre se trouve être
12 préoccupée. Parce que ça fait un grand nombre de pièces associées qui sont
13 lues au témoin ou que le témoin lit lui-même, puis on lui pose des
14 questions au sujet de tel et tel paragraphe, dont il est l'auteur; on voit
15 la date du document; et on voit de quoi il s'agit. Par conséquent, la
16 Chambre se pose la question de savoir à quoi sert une demande de versement
17 au dossier et en quoi ceci va compléter le procès-verbal de l'audition en
18 sus de ce qui s'y trouve déjà. Alors, je pense qu'il faut véritablement
19 demander le versement au dossier de ce qui est nécessaire et indispensable.
20 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, j'ai présenté une
21 requête pour ce qui est de la totalité des documents que nous avons
22 préparés pour versement au dossier et nous allons informer les Juges de la
23 Chambre de ceci.
24 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, je voulais juste vous faire savoir
25 que les Juges de la Chambre ont des préoccupations dans un certain autre
26 nombre de cas de figure.
27 Et nous estimons aussi que l'Accusation a jusqu'à présent utilisé une heure
28 et demie. Alors vous avez demandé deux heures d'interrogatoire au
Page 717
1 principal, et nous nous attendons à ce que vous finissiez dans à peu près
2 une demi-heure demain.
3 M. GROOME : [interprétation] Monsieur le Président, étant donné les faits
4 jugés, jusqu'à présent je crois pouvoir en terminer dans une dizaine de
5 minutes.
6 M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Dans ce cas, nous allons lever
7 l'audience pour aujourd'hui et nous allons reprendre demain, mercredi 11
8 juillet 2012, dans cette même salle d'audience, à 9 heures du matin.
9 --- L'audience est levée à 17 heures 48 et reprendra le mercredi 11 juillet
10 2012, à 9 heures 00.
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28