Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 16 mai 2013

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 30.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à tous. Monsieur le Greffier,

  6   veuillez citer l'affaire, s'il vous plaît.

  7   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges. Ceci est

  8   l'affaire IT-09-92-T, le Procureur contre Ratko Mladic. Merci.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Monsieur le Greffier.

 10   La Chambre a été informée de l'existence d'une question à aborder à titre

 11   préliminaire.

 12   Mme MacGREGOR : [interprétation] Oui. Bonjour, Monsieur le Président.

 13   Après avoir rencontré le témoin ce matin avant le début de sa déposition,

 14   l'Accusation souhaite expurger deux phrases de la déclaration proposée pour

 15   ce témoin, qui se trouvent au paragraphe 9 de celle-ci. L'Accusation ne

 16   s'appuiera pas sur ces deux phrases. La déclaration en question a été

 17   chargée dans le système électronique sous le même numéro de pièce 65 ter

 18   que la déclaration originale, elle a également été fournie à la Défense.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Mais la Chambre se demande

 20   maintenant de quelles deux phrases il s'agit. Est-ce que vous pourriez nous

 21   dire les premiers mots des phrases en question. Quel paragraphe, donc ?

 22   Mme MacGREGOR : [interprétation] Paragraphe 9.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous n'avons pas de numéros de

 24   paragraphe dans le texte qui a été soumis pour déclaration sous le régime

 25   92 ter, mais je crois comprendre, d'après ce que m'indique un de mes

 26   confrères que ce paragraphe qui commence par : "Lorsque j'étais à Potocari,

 27   j'ai vu."

 28   Mme MacGREGOR : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, et la nouvelle


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  1   version a également des numéros de paragraphe.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

  3   Mme MacGREGOR : [interprétation] Je vais vous donner lecture des

  4   phrases en question.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui.

  6   Mme MacGREGOR : [interprétation] "J'étais présente lorsque Mladic a dit,"

  7   et cela se poursuit jusqu'à "J'ai également entendu dire que les hommes

  8   avaient été tués." Est-ce que cela vous donne la bonne indication pour ces

  9   deux phrases ?

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Et nous continuons ensuite avec

 11   "J'étais du côté droit."

 12   Mme MacGREGOR : [interprétation] C'est exact.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Dans ce cas-là, commençons.

 14   Mme MacGREGOR : [interprétation] Très bien.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie. C'est clair. Il n'y a

 16   rien d'autre à ce que je vois, donc faites venir le témoin, s'il vous

 17   plaît.

 18   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Madame le Témoin.

 20   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M'entendez-vous dans une langue que vous

 22   comprenez ?

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je vous entends.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si vous regardez en face de vous, vous

 25   allez voir qui s'adresse à vous en ce moment même. C'est moi-même qui vous

 26   parle, Madame le Témoin.

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 28    M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Point suivant. Avant d'entendre votre


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  1   déposition, nous devons vous faire lire une déclaration solennelle où vous

  2   vous engagerez à dire la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. Le

  3   texte vous en est remis. Je comprends que vous savez lire. Je vous invite à

  4   prononcer le texte de cette déclaration solennelle.

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci. Je déclare solennellement que je dirai

  6   la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  7   LE TÉMOIN : SALIHA OSMANOVIC [Assermentée]

  8   [Le témoin répond par l'interprète]

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Osmanovic, votre déposition va

 12   commencer par des questions qui seront posées par le Procureur. C'est Mme

 13   MacGregor qui va vous poser des questions. Elle se trouve à votre droite,

 14   juste à côté de vous.

 15   A vous, Madame MacGregor.

 16   Mme MacGREGOR : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 17   Interrogatoire principal par Mme MacGregor :

 18   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame Osmanovic.

 19   R.  Bonjour.

 20   Mme MacGREGOR : [interprétation] Je voudrais demander l'affichage du

 21   document 28891 de la liste 65 ter dans sa version anglaise.

 22   Q.  Madame Osmanovic, je viens de demander l'affichage d'un document qui va

 23   apparaître à l'écran devant vous. Pendant que ce document est en train de

 24   s'afficher, je voudrais vous demander la chose suivante : avez-vous fait

 25   une déclaration au bureau du Procureur en 2000 concernant ce qui s'est

 26   passé pendant et après la guerre ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  Hier, vous a-t-on relu votre déclaration en B/C/S ?


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  1   R.  Oui, on me l'a relue.

  2   Q.  Pourriez-vous examiner la première page du document qui s'affiche

  3   devant vous. Dans la version anglaise qui se trouve à droite sur l'écran,

  4   est-ce que vous pouvez voir le bas de la page, du côté droit ?

  5   R.  Oui, je le vois.

  6   Q.  Reconnaissez-vous votre signature ?

  7   R.  Oui, je la reconnais, c'est ma signature.

  8   Q.  Cette déclaration reflète-t-elle bien les réponses que vous avez

  9   données lors de cet entretien ?

 10   R.  Oui, c'est bien le cas.

 11   Q.  Cette déclaration était-elle véridique et reflétait-elle vos

 12   connaissances au moment où vous l'avez donnée ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Donneriez-vous les mêmes réponses aujourd'hui si l'on vous posait les

 15   mêmes questions ?

 16   R.  Pourquoi ne le ferais-je pas ? Bien sûr, oui.

 17   Q.  Maintenant que vous avez prononcé votre déclaration solennelle,

 18   confirmez-vous que cette déclaration est exacte et véridique ?

 19   R.  Oui, je le confirme.

 20   Mme MacGREGOR : [interprétation] Monsieur le Président, nous demandons le

 21   versement de la déclaration de ce témoin sous le régime de l'article 92

 22   ter.

 23   M. IVETIC : [interprétation] Pas d'objection, Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur le Greffier.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Le document reçoit la cote P1461.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et il est versé au dossier.

 27   Veuillez poursuivre, Madame le Procureur.

 28   Mme MacGREGOR : [interprétation] Merci. Je voudrais maintenant donner


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  1   lecture d'un bref résumé de la déposition du témoin.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez expliqué au témoin quelle en

  3   est la finalité ?

  4   Mme MacGREGOR : [interprétation] En effet.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous demandons un peu de patience,

  6   Madame Osmanovic. Le Procureur va maintenant lire un résumé de votre

  7   déposition.

  8   Allez-y.

  9   Mme MacGREGOR : [interprétation] Je vous remercie.

 10   Saliha Osmanovic est une musulmane de Bosnie qui vivait à Dobrak dans la

 11   municipalité de Srebrenica au moment où la guerre a éclaté. Au mois de mai

 12   1992, Mme Osmanovic a fui pour gagner la ville de Srebrenica, où elle a

 13   vécu avec son mari et ses deux fils jusqu'à la chute de Srebrenica en

 14   juillet 1995. Le 6 juillet, le fils le plus jeune de Mme Osmanovic, âgé de

 15   17 ans, Eden, a été tué par un obus de la VRS. Le 11 juillet, l'autre fils

 16   de Mme Osmanovic, Nermin, qui était âgé de 18 ans, ainsi que son mari,

 17   Ramo, se sont enfuis à travers bois vers le territoire libre. Elle ne les a

 18   jamais revus. Quatorze ans plus tard, elle a appris que les restes de leurs

 19   dépouilles mortelles avaient été retrouvées.

 20   Le 11 juillet, Mme Osmanovic est allée à Potocari. Là-bas, elle a vu M.

 21   Mladic en train de s'adresser à des foules de réfugiés. Après avoir passé

 22   la nuit là-bas, Mme Osmanovic s'est vue enjoindre de montrer à bord d'un

 23   camion. Les hommes, y compris son beau-père, ont été séparés des femmes.

 24   Certains d'entre eux ont été emmenés jusqu'à une maison inachevée le long

 25   de la route. Les restes du beau-père de Mme Osmanovic ont fini par être

 26   retrouvés.

 27   Mme Osmanovic et d'autres prisonniers, principalement des femmes, ont été

 28   emmenés à Tisca et ont marché jusqu'au territoire libre. Depuis la guerre,


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  1   Mme Osmanovic a vécu en de nombreux endroits différents. Elle dépend

  2   d'émoluments qui lui sont versés par l'Etat en compensation des membres de

  3   sa famille qu'elle a perdus. Elle ne reçoit pas la pension de réversion de

  4   son mari. Depuis la guerre, elle vit seule et considère qu'elle a perdu

  5   tout ce qui importait dans sa vie.

  6   Ceci conclut le résumé, et je propose de maintenant poser les questions.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais plutôt d'abord m'adresser au

  8   témoin.

  9   Je peux comprendre, Madame Osmanovic, que ceci réveille des émotions

 10   pénibles pour vous que d'entendre le résumé de votre déposition. Si jamais

 11   à quel que moment que ce soit, vous souhaitez faire une pause ou simplement

 12   que l'on vous apporte un verre d'eau, n'hésitez pas à me le demander. Nous

 13   poursuivons, en revanche, tant que vous vous considérerez en mesure de

 14   poursuivre, mais je le répète, si à quel que moment que ce soit vous

 15   souhaitez que nous fassions une brève pause, n'hésitez pas à me le

 16   demander.

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie. Ce n'est pas la peine.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mme MacGregor va donc maintenant vous

 19   poser les questions qu'elle a prévues.

 20   Allez-y, Madame le Procureur.

 21   Mme MacGREGOR : [interprétation] Merci.

 22   Q.   Madame Osmanovic, dans votre déclaration de 2000 - et ceci figure au

 23   paragraphe numéro 7, Messieurs les Juges - vous avez déclaré que votre

 24   mari, Ramo, et votre fils, Nermin, ont quitté Srebrenica pour essayer de

 25   gagner le territoire sûr à travers le bois. Est-ce que le cousin de Ramo,

 26   Kemal Osmanovic, les a accompagnés à travers la forêt.

 27   Mme MacGREGOR : [interprétation] Excusez-moi, Messieurs les Juges. Je crois

 28   que le témoin a répondu, mais je ne vois pas sa réponse consignée au compte


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  1   rendu.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Peut-on vérifier peut-être que le

  3   micro est suffisamment près de Mme le Témoin. Madame le Témoin, pourriez-

  4   vous peut-être répéter votre réponse à la question suivante, à savoir est-

  5   ce que le cousin de Ramo, Kemal Osmanovic, ait accompagné votre mari et

  6   votre fils à travers la forêt ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Ils sont partis ensemble, ils sont partis dans

  8   la forêt. J'ai entendu dire qu'ils étaient dans la forêt, mais après je ne

  9   sais pas ce qui s'est passé.

 10   Mme MacGREGOR : [interprétation]

 11   Q.  Merci. Est-ce que c'est Kemal qui a vous a dit avoir été dans la forêt

 12   avec Ramo et Nermin ?

 13   R.  Oui, il me l'a dit. Et il m'a dit qu'il avait vu tout cela après et que

 14   Ramo était parti en avant. Cependant, il a été capturé. Et vous savez ce

 15   qui s'est passé ensuite. Moi, je n'étais pas dans la forêt, j'étais à

 16   Potocari. Je ne sais pas ce qui s'est passé.

 17   Q.  Est-ce que Kemal vous a également dit quand Ramo et Nermin avait la

 18   dernière fois parlé l'un avec l'autre dans la forêt ?

 19   R.  Oui, le 13. Kemal m'a dit qu'il avait vu Ramo le 13 dans la forêt, et

 20   qu'il avait parlé avec lui. Et alors, il m'a dit qu'il s'était séparé, et

 21   je ne sais pas ce qui s'est passé après. Il dit que Ramo était parti en

 22   éclaireur pour voir ce qu'il y avait au-devant, et qu'il a été capturé, et

 23   que les autres ont été tués. Ils ne sont plus.

 24   Q.  Merci.

 25   Mme MacGREGOR : [interprétation] J'aimerais demander à Mme Stewart de

 26   visionner un extrait d'un enregistrement vidéo relatif à Srebrenica, pièce

 27   P0014. Excusez-moi, Messieurs les Juges. P01147 est la bonne référence, et

 28   qu'on vient de visionner à partir de la 18e minute.


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  1   Q.  Madame Osmanovic, je vous prie de suivre cette vidéo également à

  2   l'écran.

  3   Mme MacGREGOR : [interprétation] Messieurs les Juges, je crois que je dois

  4   corriger le compte rendu. L'extrait qui nous intéresse commence à 18

  5   minutes.

  6   [Diffusion de la cassette vidéo]

  7   Mme MacGREGOR : [interprétation] Messieurs les Juges, la fin de

  8   l'extrait se situe à 18 minutes, 57 secondes.

  9   Q.  Madame Osmanovic, reconnaissez-vous l'homme que l'on voit dans

 10   cet enregistrement vidéo ?

 11   R.  Oui, bien sûr. C'est mon homme. Il appelait notre fils Nermin, et il

 12   appelait tous les autres pour qu'ils viennent les rejoindre. Il était parti

 13   en éclaireur pour voir ce qu'il y avait devant. C'est ce que je sais. Donc,

 14   il dit : "Vous tous, venez." Ce n'était pas un génocide. C'était l'horreur.

 15   Q.  En 2000, lorsque vous avez fait votre déclaration, vous ne saviez pas

 16   ce qu'il était advenu de Ramo et Nermin. Avez-vous fini par découvrir ce

 17   qu'il leur est arrivé ?

 18   R.  Non.

 19   Q.  Avez-vous pu les enterrer ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Quand ?

 22   R.  C'était en 2009.

 23   Q.  Et pendant les 14 années où ils étaient portés disparus, est-ce que

 24   vous avez appris quoi que ce soit quant au sort qui avait été le leur ?

 25   R.  Oui. Je regardais la télévision, et j'ai vu également mon homme dans

 26   les journaux. C'est ce que j'ai vu.

 27   Q.  Est-ce que vous parlez d'enregistrement vidéo que nous venons de voir ?

 28   R.  Oui.


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  1   Q.  Pendant qu'ils étaient portés disparus, est-ce que vous espériez qu'ils

  2   puissent encore être en vie ?

  3   R.  Oui, j'espérais. Je ne pouvais pas imaginer que ça allait être comme

  4   ça. Je n'y croyais pas. Mon mari travaillait à Belgrade. Nous avions des

  5   amis proches, des amis de la famille. Mais voilà comment ça s'est passé.

  6   Tout le monde l'a vu. Le monde entier a pu voir comment ça s'est passé.

  7   Q.  Au paragraphe 8 de votre déclaration, vous dites que êtes allée à

  8   Potocari le 11 juillet. Etes-vous allée à Potocari depuis la ville de

  9   Srebrenica ?

 10   R.  Oui, oui.

 11   Q.  Combien de temps aviez-vous pour vous préparer à quitter votre maison à

 12   Srebrenica ?

 13   R.  Je ne vivais pas à Srebrenica, je vivais dans ma maison à Dobrak. Mais

 14   à Srebrenica, j'étais locataire. Nous avons été chassé le 8 mai, et c'est

 15   alors que nous sommes allés à Srebrenica, où nous sommes restés de 1992 à

 16   1995. Mais nous avons seulement eu le temps de sortir en courant de notre

 17   maison. Quelles préparations pouvait-on faire ? Ils ont dit : "Potocari, et

 18   bonne chance."

 19   Q.  Lorsque vous dites "ils ont dit", de qui parlez-vous ?

 20   R.  Eh bien, Mladic. C'est Mladic qui l'a dit. Il a dit : "Direction

 21   Bratunac, Potocari." Et je ne savais même pas qui était cet homme. Il a dit

 22   directement à Bratunac et Potocari, mais ma municipalité à moi, c'est

 23   Bratunac. Je me suis mariée à Srebrenica. Et je pensais que c'était encore

 24   un massacre qui allait avoir lieu au stade au Bratunac lorsque nous sommes

 25   arrêtés à Potocari.

 26   Q.  Lorsque vous dites que Mladic a dit d'aller à Bratunac et Potocari,

 27   est-ce que vous parlez de la vidéo où il apparaît et que vous avez vu qu'il

 28   était à Srebrenica ?


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  1   R.  Non.

  2   Q.  Avez-vous vu la vidéo --

  3   R.  Lorsque nous sommes arrivés à Potocari, c'est alors qu'il nous l'a dit.

  4   Q.  Jusqu'au moment où vous êtes montée à bord de l'autocar à Potocari,

  5   est-ce que vous pensiez, est-ce que vous considériez que vous auriez pu

  6   rester à Srebrenica si vous l'aviez souhaité ?

  7   R.  Mais rester. Comment ça, rester. C'était l'enfer. Il y avait l'armée

  8   serbe qui était entrée. Je connaissais un professeur de Bratunac.

  9   D'ailleurs c'était le chaos. Comment je pouvais rester alors qu'on était

 10   parqués. Mladic disait : "Partez à Bratunac. Il fallait abandonner ses

 11   biens, si on en avait. Et j'étais près de lui. Il disait : Maintenant,

 12   l'armée serbe va rentrer et distribuer des chocolats aux enfants. Il

 13   donnait de l'eau aux gens. Mais je ne suis pas idiote, quand même.

 14   Q.  Au paragraphe 10 de votre déclaration, vous avez dit qu'on a séparé

 15   votre beau-père à Potocari et qu'on l'a emmené dans une maison inachevée.

 16   Est-ce que vous savez ce qu'il lui est arrivé ?

 17   R.  Je ne peux pas savoir ce qu'il lui est arrivé. Pas seulement à lui,

 18   mais les autres Musulmans aussi. On les séparait du côté gauche vers cette

 19   maison, et je connaissais le propriétaire de cette maison. Et nous, on nous

 20   envoyait vers Bratunac et Tisca, de l'autre côté. On a été séparés. Je ne

 21   peux pas vous raconter ce qui s'est passé là. Il n'est plus là. Il y a

 22   beaucoup de gens qui ont disparu. Qu'est-ce qui s'est passé ? Mais lui, il

 23   sait ce qui s'est passé, lui, il a --

 24   Mme MacGREGOR : [interprétation] Messieurs les Juges, la traduction, je

 25   crois -- il est indiqué qu'elle était du côté gauche et je vois que dans le

 26   compte rendu, il est indiqué du côté droit, donc je ne suis pas sûre si

 27   c'est exact ou non.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Le compte rendu sera vérifié,


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  1   Madame MacGregor, avec une attention toute particulière.

  2   Mme MacGREGOR : [interprétation] Merci.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] A moins qu'une des parties ne considère

  4   que ce soit le bon moment de le faire immédiatement.

  5   Mme MacGREGOR : [interprétation]

  6   Q.  Les restes de votre beau-père ont-ils jamais été retrouvés ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Et lorsque vous avez fait votre déclaration en 2000, est-ce que vous

  9   viviez dans une maison que votre frère avait achetée pour vous, et vivez-

 10   vous là-bas maintenant ?

 11   R.  Non.

 12   Q.  Où vivez-vous maintenant ?

 13   R.  Je suis revenue dans ma maison à Dobrak.

 14   Q.  Est-ce que vous vivez avec qui que ce soit ?

 15   R.  Je vis toute seule.

 16   Q.  Est-ce que vous avez habité toute seule depuis que Ramo et Nermin sont

 17   partis en direction du bois ?

 18   R.  J'habite toute seule. Il y avait des réfugiés, mais j'ai vécu toute

 19   seule dans la maison de mon frère, et maintenant j'habite toute seule dans

 20   ma maison.

 21   Q.  Et comment vous avez réussi à vous débrouiller, survivre, sur le plan

 22   financier ?

 23   R.  Bien, je reçois une pension d'invalidité, pourvu que ce ne soit pas

 24   Srebrenica. Ça va, sinon.

 25   Q.  Est-ce que vous avez jamais travaillé au cours de votre vie ?

 26   R.  Non, j'étais femme au foyer. C'est mon époux qui travaillait. Moi,

 27   j'étais femme au foyer.

 28   Mme MacGREGOR : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions pour ce


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  1   témoin, et je ne demande pas que d'autres pièces soient versées par le

  2   biais de ce témoin.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame.

  4   Avant que vous ne commenciez votre contre-interrogatoire, j'aurais une

  5   question pour le témoin.

  6   Madame Osmanovic, vous nous avez dit que vous saviez que l'on a distribué

  7   du chocolat, par M. Mladic, vous avez dit, et de l'eau, qu'on a distribué

  8   de l'eau aussi.

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez dit que vous le saviez, que

 11   vous en étiez sûre. Est-ce que vous l'avez vu vous-même ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je l'ai vu de mes propres yeux. Oui, je

 13   l'ai vu de mes propres yeux.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous l'avez vu pendant que vous étiez

 15   là-bas ou bien est-ce que vous l'avez vu sur vidéo plus tard ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] A Potocari, je l'ai vu. Je l'ai vu, moi,

 17   personnellement, à Potocari. Il a dit qu'il fallait jeter tout ce que l'on

 18   possédait parce que l'armée serbe allait entrer. C'est exact, je l'ai vu

 19   personnellement.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Merci de cette réponse.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous en prie.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. Ivetic va vous poser ses questions

 23   dans le cadre de son contre-interrogatoire. Il est sur votre gauche. M.

 24   Ivetic est membre de l'équipe de la Défense de M. Mladic.

 25   Vous pouvez poursuivre, Maître Ivetic.

 26   M. IVETIC : [interprétation] Merci.

 27   Contre-interrogatoire par M. Ivetic :

 28   Q.  [interprétation] Madame, je vais essayer de vous poser mes questions le


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  1   plus rapidement possible. Je vais vous demander de vous concentrer sur les

  2   questions posées.

  3   R.  Pas de problème.

  4   Q.  Très bien. On va commencer. Tout d'abord, je voudrais vous poser une

  5   question par rapport à votre déclaration qui a été versée en vertu de

  6   l'article 92 ter à la page --

  7   M. IVETIC : [interprétation] P1461. C'est la page 2 aussi bien en anglais

  8   qu'en B/C/S. Le paragraphe 7.

  9   Q.  Dans cette partie-là de votre déclaration, vous parlez de la façon dont

 10   votre fils et votre mari sont partis pour essayer de retrouver la sécurité

 11   avec d'autres hommes en traversant le bois. Est-ce que vous les avez vus au

 12   moment où ils sont partis ? Est-ce que vous savez à quoi ils ressemblaient,

 13   ce qu'ils avaient sur eux ?

 14   R.  [aucune interprétation]

 15   Q.  [aucune interprétation]

 16   R.  Que voulez-vous qu'ils prennent ? Ils sont partis de Srebrenica ? De

 17   Kazani. Que voulez-vous qu'ils prennent de Srebrenica ? En 1992, ils

 18   étaient réfugiés à Srebrenica. Ils n'ont rien pris, même pas de nourriture.

 19   Que voulez-vous qu'ils prennent ?

 20   Q.  Quand ils sont partis, est-ce que votre mari ou votre fils avaient des

 21   armes ou des explosifs sur eux ?

 22   R.  Non. Comment voulez-vous qu'ils aient cela à Srebrenica, la zone de

 23   protection de Srebrenica ? On nous a tout enlevés. Non, rien. Il y avait la

 24   FORPRONU. La FORPRONU était là, ils savaient très bien ce qu'il y avait à

 25   Srebrenica.

 26   Q.  Merci, Madame. Nous avons déjà entendu les témoins de la FORPRONU.

 27   Maintenant, je voudrais vous poser des questions concernant ce que vous

 28   savez, vous.


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  1   R.  Très bien. Et je suis contente que vous ayez entendu les dépositions

  2   des membres de la FORPRONU.

  3   Q.  Dites-moi qui a décidé que les hommes devaient traverser le bois alors

  4   que les femmes devaient se rendre avec les enfants à Potocari ?

  5   R.  Comment voulez-vous que je le sache ? Ce n'est pas moi qui décidais. Je

  6   n'étais pas commandant. Comment voulez-vous que je sache cela ? Je ne le

  7   sais pas. Vous me posez la question à moi ?

  8   Q.  Madame --

  9   R.  Il y avait des gens à Potocari. Il y avait des jeunes. Le peuple y

 10   était. Les gens fuyaient.

 11   Q.  Madame, aujourd'hui quand le Procureur vous a posé ses questions, au

 12   niveau du compte rendu d'audience temporaire, pages 9 à 10, on vous a

 13   demandé quels étaient les préparatifs avant de quitter Srebrenica pour

 14   aller à Potocari, et vous avez dit qu'ils vous ont dit de partir à Potocari

 15   et vous avez dit qu'ils vous ont dit bonne chance, et maintenant vous dites

 16   que c'est Mladic qui vous a dit que vous deviez partir à Potocari. Est-ce

 17   bien ce que vous dites, est-ce que c'est Mladic qui vous a dit à Srebrenica

 18   de vous rendre à Potocari, ou bien est-ce quelqu'un d'autre de Srebrenica

 19   qui vous a dit cela ?

 20   R.  Madame, Mladic nous a dit cela à Potocari, il ne nous a pas dit cela à

 21   Srebrenica. Moi, je ne l'ai vu qu'à Potocari. Ce n'est pas la même ville.

 22   D'un côté, vous avez Srebrenica, où tombaient des obus, et de l'autre côté

 23   vous avez Potocari. Mladic nous a parlé le 12 à Potocari, au peuple qui

 24   était là, rassemblé. Mais à Srebrenica, c'était différent, c'était le

 25   chaos, l'enfer, l'enfer. Des obus, des avions. Evidemment que Mladic ne

 26   pouvait pas nous parler là-bas. On était complètement perdus. Tout le

 27   peuple était là, complètement perdu. On ne savait pas quoi faire, on ne

 28   savait pas où aller. Il ne nous l'a pas dit à Srebrenica. Ce n'est pas


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  1   possible. Je sais ce que j'ai dit.

  2   Q.  Merci, Madame, d'avoir expliqué cela, expliqué où vous l'avez

  3   rencontré, M. Mladic. Maintenant, je vais vous demander de vous concentrer

  4   sur la période qui a précédé votre départ pour Potocari. Et à nouveau, je

  5   voudrais vous demander si qui que ce soit vous a dit de vous rendre à

  6   Potocari, et le cas échéant, qui ?

  7   R.  Mais je vais te le dire. Tu sais, quand la colonne se branle, quand le

  8   peuple part, vous ne savez même pas où vous allez. Vous ne savez pas où

  9   aller. C'est comme si on commençait à nous tirer dessus ici, qu'est-ce que

 10   je ferais ? Je suivrais le peuple. Personne ne nous dit rien. Personne

 11   n'est là pour nous dire quoi que ce soit. Il y avait des obus depuis la

 12   Serbie. Moi, je suis près de Drina, près de Skelani. Je ne peux pas dire

 13   avoir vu mes voisins à Skelani, à Potocari. J'ai vu Mladic. Je n'ai vu

 14   aucun de mes voisins. Je ne suis pas folle. Je n'ai vu aucun voisin tirer

 15   sur moi. La Serbie a commis un génocide. Maintenant, il peuvent s'excuser

 16   et cela ne sert à rien. Il y a que je suis toute seule. J'ai perdu mes deux

 17   fils, mon époux. Je suis seule au monde. Qu'en ai-je à faire des histoires,

 18   de ce qu'on raconte. Moi, je suis partie pour suivre le peuple.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est encore moi qui vous parle, le

 20   Président, je suis devant vous.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, très bien.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce que M. Ivetic essaie de savoir, il

 23   essaie de connaître quelques détails. Il en a besoin. Est-ce que je peux

 24   vous demander quelque chose ? Tout d'abord quelque chose : Vous avez dit

 25   que vous avez quitté Srebrenica en direction de Potocari. Est-ce que vous

 26   êtes partie de chez vous, de votre maison ? Est-ce que vous êtes partie de

 27   chez vous, de votre maison pour marcher en direction de Potocari ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Etait-ce après que le pilonnage a

  2   commencé ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Le 8 mai. Le 8 mai, on était chez nous. C'est

  4   la rivière Drina qui sépare la Serbie et la Bosnie. Mon mari travaillait à

  5   Belgrade. Il avait une entreprise. Il était en Algérie, en Tunisie, en

  6   Libye. Il travaillait à Belgrade. Il est rentré chez nous avec l'intention

  7   de retourner à Belgrade en l'espace de sept jours avec sa voiture. On était

  8   chez nous, dans notre voiture et on ne savait même pas que les choses

  9   allaient prendre le tour qu'elles ont pris.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez dit que les tirs ont commencé.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Qui était le premier à avoir quitté

 13   votre maison, vous ou votre époux avec votre fils ?

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis restée la dernière. Mes enfants sont

 15   partis. Nermin, Eden [phon], mon mari. Je suis restée la dernière. Ils sont

 16   partis pour traverser le bois et je les ai rejoints. Je les ai retrouvés

 17   dans le bois. Ensuite, on est allés de village en village jusqu'à

 18   Srebrenica. Et ensuite, on était à Srebrenica. 

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être qu'il y a un problème au sujet

 20   des périodes.

 21   Mme MacGREGOR : [aucune interprétation]

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ce qui m'intéresse en ce moment, Madame

 23   Osmanovic, c'est le dernier jour avant votre départ à Potocari. C'est là

 24   que vous dites avoir vu le général Mladic.

 25   Donc, vous viviez depuis quelques années à Srebrenica ou à un village près

 26   de Srebrenica, si je vous ai bien compris. Quand vous avez vu pour la

 27   dernière fois votre mari, était-ce au moment où il a quitté votre maison,

 28   là où vous viviez depuis un moment; c'est là que vous l'avez vu pour la


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  1   dernière fois ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Moi, j'habitais à Srebrenica dans la maison de

  3   Veselin avec mon mari et mes deux fils. Quand on est parti, ils sont partis

  4   en direction de Kazani. Un fils à moi a été tué le 6 juillet. Le 11, c'est

  5   Srebrenica qui est tombée, et beaucoup de gens sont partis à travers le

  6   bois. Moi, j'ai suivi le peuple. Et le 12, j'ai vu Mladic à Potocari. Il y

  7   avait des milliers de personnes qui partaient.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Quand votre fils et votre mari sont

  9   partis en direction de Kazani, quand est-ce que vous les avez vus pour la

 10   dernière fois ? Est-ce que vous les avez vus au moment où vous êtes sortis

 11   de chez vous, ou bien à un autre moment ?

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] On est sortis de chez nous ensemble. Ensuite,

 13   on est partis chacun de notre côté. C'était le 11. Ils ont emprunté le

 14   chemin qui traverse le bois, et moi, je suis partie en direction de

 15   Potocari. Et depuis, je ne les ai plus jamais revus.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est là que je vais vous arrêter. Donc,

 17   vous dites que vous êtes sortis de chez vous ensemble. Qui a décidé que

 18   vous deviez partir, votre époux ou -- que s'est-il passé ? C'est votre

 19   époux qui a dit "Il faut partir" ? Que s'est-il passé ?

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Mais je ne suis pas sortie toute seule de

 21   Srebrenica. Des milliers de personnes sont partis. Vous savez, même ceux

 22   qui sont restés, ils sont portés disparus. Qui voulez-vous qui décide ? De

 23   toute façon, vous êtes obligés de partir.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, vous avez décidé de partir

 25   ensemble, de quitter votre maison ensemble et vous avez rejoint un grand

 26   groupe de gens; c'est bien cela qui s'est passé ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ensuite, à un moment donné votre époux


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  1   et votre fils ont pris une autre route par rapport à la vôtre. Vous

  2   souvenez-vous à quel moment exactement et où exactement votre époux et

  3   votre fils se sont séparés de vous ? Etait-ce à Srebrenica, était-ce

  4   ailleurs ? Où exactement cela s'est-il produit? Si vous vous en souvenez,

  5   veuillez nous le dire.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] A Srebrenica même. A côté de Srebrenica. Je me

  7   souviens de cela.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous souvenez-vous de ce que votre époux

  9   vous a dit au moment où il s'est séparé de vous avec votre fils ? Est-ce

 10   qu'il vous a dit quoi que ce soit ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Il m'a dit de suivre le peuple, parce que

 12   mon fils a été tué le 6 juillet. Il a été enterré à Kazani le 11.

 13   Srebrenica est tombée, et il m'a dit : "Saliha, suit le peuple quoi qu'il

 14   arrive." C'est la dernière chose qu'il m'ait dite.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous a-t-il dit pourquoi il a pris une

 16   autre route que vous, ou bien est-ce que vous avez compris qu'il voulait

 17   partir dans la direction où se trouvait la tombe de votre fils ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas ce qui s'est passé ce jour-là.

 19   Moi, j'ai suivi le peuple.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Votre fils ne vous a pas expliqué

 21   pourquoi ils prenaient une autre route à ce moment-là ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Ivetic, j'essayais d'explorer un

 24   certain nombre de points qui vous intéressaient.

 25   M. IVETIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] M. Ivetic va poursuivre.

 27   Vous pouvez poursuivre, Me Ivetic.

 28   M. IVETIC : [interprétation]


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  1   Q.  Madame, à l'époque où votre fils et votre mari sont partis à travers le

  2   bois le 11 juillet avec d'autres hommes, est-ce que votre mari faisait

  3   toujours partie de la brigade d'Ibro de l'armée de Bosnie-Herzégovine à

  4   Srebrenica ?

  5   R.  Oui. Oui.

  6   Q.  Et pourriez-vous nous dire, pour ceux qui ne sont pas de Srebrenica,

  7   qui était ce Ibro ?

  8   R.  Je ne sais pas. J'ai entendu dire qu'ils l'appelaient Ibro, mais moi,

  9   je ne sais pas.

 10   Q.  Merci. Et votre époux, était-ce un simple soldat ou bien un officier ?

 11   R.  Un simple soldat.

 12   Q.  Maintenant, je vais vous demander de vous concentrer sur les mois qui

 13   ont précédé le 11 juillet 1995. Pendant cette période, votre époux passait-

 14   il du temps avec vous ou bien au sein de la brigade d'Ibro, ou bien les

 15   deux ?

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Ivetic, si vous aviez bien écouté

 17   le témoin, je pense que vous auriez entendu ce qu'elle a dit, ce que

 18   faisait son époux. Vous ne pouvez pas vraiment lui donner ces deux

 19   possibilités-là.

 20   Madame, pourriez-vous nous dire ce que votre époux faisait au cours du mois

 21   avant la prise de Srebrenica ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Il était dans l'armée. Il était dans la

 23   maison, mais également dans l'armée. Je ne peux pas dire le contraire,

 24   parce que c'est la vérité.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître Ivetic.

 26   M. IVETIC : [interprétation] Merci.

 27   Q.  Madame, pendant la période qui a précédé le 11 juillet 1995, votre mari

 28   était dans l'armée. Portait-il un uniforme militaire ou portait-il des


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  1   vêtements civils ?

  2   R.  Je ne sais pas. Je ne sais pas comment il était vêtu lorsqu'il était

  3   sur la ligne de front. Je sais qu'il est sorti de la maison en portant un

  4   jean, je ne sais pas ce qu'il portait. J'étais femme au foyer.

  5   Q.  Madame, je dois également vous poser une question par rapport à vos

  6   fils. Ils étaient également membres de l'armée de la BiH à Srebrenica ?

  7   R.  Non, c'étaient des enfants.

  8   Q.  Outre votre mari et votre fils Nermin, vos deux frères Salko et Safet

  9   ont également rejoint la colonne d'hommes qui avait quitté Srebrenica,

 10   emprunté la forêt ?

 11   R.  Oui, Salko est revenu deux mois plus tard. Lorsque Srebrenica est

 12   tombée, il a pris la forêt et mon frère Safet, on l'a cherché et il a été

 13   trouvé.

 14   Q.  Je vais vous poser une question, Madame, par rapport à vos frères.

 15   Dites-nous, s'il vous plaît, si l'un ou l'autre de vos frères étaient des

 16   membres de l'armée de la BiH à Srebrenica avant le 11 juillet 1995 ?

 17   R.  Je ne sais pas. Il y avait des bombardements, je ne sortais pas, il

 18   n'était pas près de moi, donc je ne sais pas. Et même s'ils avaient été

 19   membres de l'armée, ils devaient se défendre, car la Serbie était armée.

 20   Eux, ils avaient les armes et nous, nous n'avions rien. C'est la raison

 21   pour laquelle d'ailleurs, c'est la raison pour laquelle ils nous ont tués.

 22   Q.  Madame, j'aimerais vous demander afin de pouvoir terminer mon contre-

 23   interrogatoire le plus tôt possible de vous concentrer sur les questions

 24   que je vous pose. Est-ce que vous me comprenez ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Concernant Salko, suis-je en droit de dire qu'il était parmi les

 27   personnes qui avaient réussi à percer les lignes serbes pour se rendre sur

 28   le territoire musulman et il l'a fait avec succès ?


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  1   R.  Oui, parce qu'il avait été chassé, délogé de son lieu, et un Serbe l'a

  2   sauvé et l'a emmené jusqu'à Tuzla. Il l'a placé à bord d'un autocar et il

  3   l'a transporté jusqu'à Tuzla et, par la suite, en empruntant la forêt, il

  4   s'est rendu jusqu'à Srebrenica. Et ensuite Srebrenica est tombée, et

  5   ensuite il est parti en direction de Zepa. Voilà. Cela est bien vrai. C'est

  6   mon frère Salko. Oui, c'est bien cela.

  7   Je connais également cet homme qui lui est venu en aide, qui l'a sauvé.

  8   C'était un chauffeur. Il conduisait un autobus sur la ligne Srebrenica-

  9   Bratunac. Mon frère a été blessé à Srebrenica. Il a été blessé à

 10   Srebrenica. Il ne faisait pas partie de l'armée. Ce n'était pas une

 11   question de, Tu me tires dessus, je te tire dessus, non. Voilà.

 12   Q.  Je suis quelque peu perplexe, Madame. Un peu plus tôt, vous avez dit

 13   par rapport à vos frères que vous ne saviez s'ils étaient membres de

 14   l'armée ou pas, et maintenant, vous dites que votre frère Salko ne faisait

 15   pas partie de l'armée. Je vous prie de préciser ce point.

 16   R.  Je ne sais pas s'il était dans l'armée. Je sais seulement qu'il a été

 17   chassé de son village. C'est ce que je vous ai dit. Je vous ai dit qu'un

 18   Serbe qui était un collègue à lui l'a sauvé et qu'il l'a transporté jusqu'à

 19   Tuzla. Il n'a pas permis qu'on le tue. Et ensuite, à Srebrenica, il a été

 20   blessé et il s'est rendu en direction de Zepa. Et à la suite de la chute de

 21   Srebrenica, il est venu après deux mois. Mais même s'il avait été dans

 22   l'armée, et alors ? Il faut bien vivre.

 23   Q.  Madame, nous essayons simplement d'en arriver à la vérité. Je suis

 24   vraiment désolé si vous êtes perplexe par rapport à mes questions, mais

 25   j'essaie simplement de préciser certains éléments afin que l'on puisse

 26   avoir une image précise. Pourriez-vous, je vous prie, nous donner le nom du

 27   chauffeur qui a sauvé votre frère ?

 28   R.  Je ne sais pas son nom. J'ai oublié son nom. Je ne sais pas son nom.


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  1   Q.  Très bien, merci. Madame, Kemo Osmanovic, votre cousin, suis-je en

  2   droit de dire qu'il était également l'une des personnes qui a fait partie

  3   de la colonne qui a quitté le 11 juillet 1995 et qui est passée par la

  4   forêt ?

  5   R.  Lorsque je l'ai vu, lorsque je me suis trouvée sur le territoire à

  6   Tuzla, il m'a dit qu'il l'a vu dans la forêt et que Ramo était allé pour

  7   voir où ils allaient passer. C'est ce qu'il m'a raconté, mais je ne sais

  8   pas s'ils étaient ensemble dans la forêt. Je ne sais pas ce qui s'y

  9   passait. Comment puis-je le savoir ? C'était à l'extérieur de ma maison.

 10   Q.  Quant à votre frère Kemo, est-ce que vous savez s'il était membre de

 11   l'armée de la BiH à Srebrenica le 11 juillet alors que la colonne est

 12   partie, le 11 juillet 1995 ?

 13   R.  Je ne le sais pas.

 14   Q.  Très bien. Madame, j'aimerais maintenant, très brièvement, passer à un

 15   autre sujet. Je voudrais vous demander une question concernant la situation

 16   qui prévalait dans l'enclave de Srebrenica dans les mois précédant le 11

 17   juillet 1995. J'aimerais vous poser une question par rapport à l'aide

 18   humanitaire qui était acheminée. Suis-je en droit de dire que le marché

 19   noir existait et qu'on vendait l'aide humanitaire sur le marché noir, qui

 20   avait été établie par les autorités musulmanes de Bosnie et par le

 21   gouvernement civil ?

 22   R.  Je ne le sais pas. Je n'étais pas du tout au courant de cela. Je n'en

 23   ai aucune idée. Les camions arrivaient et avaient été acheminés, mais les

 24   camions étaient retournés depuis un pont jaune, et je ne sais pas ce que

 25   les gens faisaient, ce qu'ils faisaient, je ne sais pas ce qu'il s'est

 26   passé. Je ne me suis pas intéressée à la politique. Je ne veux rien savoir

 27   de la politique, de toute façon.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Témoin, j'aimerais vous poser une


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  1   question. Vous avez dit que les camions avaient été renvoyés depuis le pont

  2   jaune. Est-ce que c'est quelque chose que vous aviez entendu dire ou est-ce

  3   quelque chose que vous avez pu constater vous-même et vu vous-même ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, on en avait entendu parler. Les gens

  5   disaient les camions avec de la nourriture étaient renvoyés, retournés.

  6   Donc, je n'ai pas pu voir les camions et le pont jaune. Je ne pouvais pas

  7   les voir depuis l'endroit où j'étais, Srebrenica.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Vous avez répondu à ma

  9   question.

 10   Veuillez poursuivre, Maître Ivetic.

 11   M. IVETIC : [interprétation]

 12   Q.  Juste une autre petite question de précision. Est-ce que vous avez

 13   entendu parler ou est-ce que vous saviez qu'il existait un marché noir dans

 14   Srebrenica ?

 15   R.  Je ne sais pas ce que c'est. Je l'entends ici. C'est quoi un marché

 16   noir, le marché noir ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Expliquez-le-moi un peu

 17   mieux, s'il vous plaît.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Ivetic, il y a peut-être d'autres

 19   sources qui permettent de nous pencher sur la question d'existence du

 20   marché noir eu égard à la réponse du témoin.

 21   M. IVETIC : [interprétation] Merci. Je suis d'accord avec vous, Monsieur le

 22   Président.

 23   Q.  Bien. Maintenant, j'aimerais passer encore une fois à la déclaration 92

 24   ter, page 10, paragraphe 3 dans les deux langues. Et vous parlez dans ce

 25   paragraphe du fait qu'il y a eu une rencontre avec le général Mladic.

 26   J'aimerais vous demander à quelle proximité vous trouviez-vous de Mladic

 27   cette fois-là ?

 28   R.  J'étais peut-être de 10 à 5 mètres de lui. J'étais tout près de lui. Il


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  1   y avait des milliers de personnes, toutes les personnes ne pouvaient pas se

  2   rapprocher de lui et le voir, l'entendre. Mais moi, oui, et puis on disait

  3   c'est Mladic.

  4   Q.  Et cette rencontre qui est décrite dans ce paragraphe de votre

  5   déclaration 92 ter, est-ce la première rencontre que vous avez eue avec le

  6   général Ratko Mladic ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Et suis-je en droit de dire que c'était le 12 juillet 1995 ?

  9   R.  Oui, c'est exact. C'était le 12. Je l'ai vu le 12, et je suis sorti de

 10   Srebrenica le 12 à bord d'un camion, et nous sommes allés en direction de

 11   Tisca. On m'a dit que c'était Tisca. Moi, je pensais que c'était Tisca,

 12   mais Mladic a dit c'est Bratunac. Il a dit : "Rien ne vous arrivera." Mais

 13   j'étais stressée, j'étais traumatisée. Sur la route, nous rencontrions leur

 14   armée.

 15   Q.  Vous dites avoir quitté Srebrenica dans la soirée à bord d'un camion.

 16   Est-ce que la rencontre avec le général Mladic a eu lieu dans la soirée ou

 17   pendant la journée ?

 18   R.  C'était la journée, pendant la journée du 12. Il y avait des chocolats.

 19   Il donnait de l'eau et des chocolats au peuple. Je le sais, car dans la

 20   soirée, en début de soirée, je me suis assise à bord d'un camion. Non pas

 21   seule, il y avait un groupe. On était séparés. Il y avait deux groupes; un

 22   groupe qui était séparé à gauche, et l'autre à droite. Donc un groupe qui

 23   est allé à Bratunac.

 24   Q.  Je vous remercie.

 25   M. IVETIC : [interprétation] Monsieur le Président, je voudrais montrer un

 26   extrait vidéo qui dure environ une minute. Mais je vois l'heure, et donc je

 27   me demandais si vous souhaiteriez que l'on prenne une pause maintenant.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] De combien de temps avez-vous besoin


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  1   encore ?

  2   M. IVETIC : [interprétation] Entre 10 et 15 minutes, environ.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dix à 15 minutes. Bien, en fait, je me

  4   demandais la question, à savoir s'il ne serait peut-être pas mieux de

  5   prendre une pause un peu tardive, mais vous pouvez consulter M. Mladic si

  6   vous le souhaitez pour cela.

  7   [Le conseil de la Défense et l'Accusé se concertent]

  8   M. IVETIC : [interprétation] Monsieur le Président, mon client est

  9   favorable à ce que l'on reporte la pause afin de pouvoir terminer le

 10   contre-interrogatoire du témoin.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien. Donc, je propose que vous

 12   finissiez au plus tard à 11 moins quart. Veuillez poursuivre.

 13   M. IVETIC : [interprétation]

 14   Q.  Madame, tout d'abord, vous avez mentionné que l'eau et le chocolat

 15   avaient été distribués. Y avait-il également du pain qui a été distribué

 16   par les soldats de la VRS aux civils musulmans de Bosnie qui étaient

 17   rassemblés à Potocari le 12 juillet 1995 ?

 18   R.  Oui, probablement que oui. Oui, ils ont distribué tout cela. Ils les

 19   ont nourris, ensuite ils les ont tués. C'était pour faire semblant. Ils

 20   auraient dû dire : Voilà, passez, nous sommes voisins. Voilà.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame, je pense qu'il serait mieux, et

 22   il est tout à fait clair qu'il vous est difficile de parler de ce que vous

 23   avez vécu, bien évidemment. Mais en même temps, nous aimerions pouvoir

 24   obtenir des réponses aux questions qui vous sont posées. Et la question qui

 25   vous est posée maintenant, c'est de savoir si lorsqu'on a distribué du

 26   chocolat et de l'eau, si en même temps on a distribué du pain ? Si vous

 27   pourriez répondre à cette question.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Cela répond à votre question.

  2   Maître Ivetic, veuillez, je vous prie, poser votre prochaine question au

  3   témoin.

  4   M. IVETIC : [interprétation] Certainement, Monsieur le Président.

  5   Q.  Avec l'aide de l'Accusation, je souhaite que l'on visionne un extrait

  6   vidéo pour voir si ces événements décrivent adéquatement ce dont vous nous

  7   parlez.

  8   M. IVETIC : [interprétation] Il s'agit d'un extrait vidéo du procès

  9   Srebrenica, P1147. Il s'agit d'une section vidéo qui porte le numéro 9266,

 10   et c'est une partie de cette vidéo, et la première partie que j'ai

 11   identifiée pour l'Accusation, commence à 23 minutes, 52 secondes, et

 12   s'arrête à 24 minutes, 31 secondes.

 13   Q.  Madame, je vais vous demander de bien regarder cette vidéo, et ensuite

 14   je vais vous poser un certain nombre de questions.

 15   [Diffusion de la cassette vidéo]

 16   M. IVETIC : [interprétation] Arrêtons-nous ici. C'est à 24 minutes et 31

 17   secondes.

 18   Q.  Madame, est-ce que c'est l'incident que vous décrivez au paragraphe 10

 19   de votre déclaration 92 ter s'agissant du moment où vous avez rencontré le

 20   général Mladic  ?

 21   R.  Je n'étais pas là. Il y avait un très grand nombre de personnes

 22   lorsqu'il s'est adressé au peuple. C'était une route goudronnée, et moi, je

 23   n'étais pas là encore lorsqu'il a dit cela. J'étais dans le pré. Je ne l'ai

 24   pas entendu dire ces propos. Il les a probablement dits, mais à ce moment-

 25   là je n'étais pas là. Il a simplement dit que nous irions sur le territoire

 26   d'Alija, que nous serions transférés sur le territoire d'Alija. Mais je

 27   n'étais pas là.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame le Témoin, ce que Me Ivetic


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  1   voudrait savoir, c'est la chose suivante : ce que vous avez décrit lorsque

  2   vous avez dit vous vous trouviez relativement près de M. Mladic, et Me

  3   Ivetic voudrait savoir si ce que vous voyez à l'écran c'est le même moment,

  4   ou bien s'agit-il d'autre un autre moment où vous n'étiez pas présente.

  5   Donc, lorsqu'il s'entretient ici, lorsqu'il parle au peuple ici, étiez-vous

  6   présente ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Vous savez, ici, il n'y a pas d'eau, il

  8   n'y a pas de chocolat, il n'y a pas de pain ici. On ne le voit pas

  9   distribuer ces denrées. Alors que lorsque nous nous trouvions sur le pré,

 10   dans la prairie, c'est à ce moment-là qu'il a distribué tout cela. Donc,

 11   mais moi je n'étais arrivée, je n'étais pas là au moment où on le voit

 12   parler au peuple ici.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez poursuivre, Maître Ivetic.

 14   M. IVETIC : [interprétation]

 15   Q.  J'aimerais savoir, est-ce que les propos qui sont proférés par le

 16   général Mladic ici, dans cet extrait vidéo, correspondent aux propos tels

 17   que vous vous en souvenez, à savoir de ce qu'a dit le général Mladic, est-

 18   ce que c'est ce que vous avez entendu ?

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le témoin nous a expliqué qu'elle

 20   n'était pas présente à ce moment-là. Maintenant, si cela correspond ou pas,

 21   nous avons des éléments de preuve de témoins, nous avons la vidéo.

 22   Veuillez poursuivre, je vous prie.

 23   M. IVETIC : [interprétation] Très bien.

 24   Q.  Je voudrais maintenant que l'on visionne un autre extrait, qui commence

 25   à 27 minutes, 19 secondes et s'arrête à 28 minutes et 3 secondes, et

 26   j'aimerais vous demander de nouveau, Madame, de bien vouloir regarder

 27   attentivement cet extrait vidéo, et je vais vous poser un certain nombre de

 28   questions par la suite.


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  1   M. IVETIC : [aucune interprétation]

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

  3   [Diffusion de la cassette vidéo]

  4   M. IVETIC : [interprétation]

  5   Q.  Madame, reconnaissez-vous cet événement ? Est-ce que ceci correspond

  6   peut-être à ce que vous avez décrit dans votre déposition antérieure ?

  7   R.  Je vais te dire, ce qu'il a dit là, ce n'est pas ce que j'ai entendu.

  8   Tu vois combien il y a de personnes ici avec lui ? Peut-être que ça n'a pas

  9   été filmé, ce qu'il nous a dit à l'autre endroit. A l'autre endroit, il est

 10   allé au milieu des gens. Ce n'est pas seulement à moi qu'il l'a dit, même

 11   si j'étais tout près.

 12   Q.  Madame, ai-je raison de dire qu'il y avait des soldats de la FORPRONU

 13   et qu'il y avait un cordon qui séparait les réfugiés de la VRS ?

 14   R.  Oui. Oui, oui. Oui, c'est vrai. Mais moi, j'ai vu la FORPRONU. Je

 15   savais qui était la FORPRONU. J'ai vu qu'il y en avait un qui pleurait et

 16   j'étais arrivée jusque-là. Il y avait des milliers de personnes.

 17   Q.  Madame, ce que vous nous dites, c'est que le général Mladic a traversé

 18   le cordon qui séparait la VRS des réfugiés et qu'il est allé parmi les

 19   réfugiés lui-même, au-delà de là où se trouvaient les soldats de la

 20   FORPRONU ?

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Ivetic, si vous souhaitez obtenir

 22   une réponse, vous devez adapter la façon de formuler vos questions.

 23   D'abord, vous posez maintenant une question tout à fait différente et peut-

 24   être que -- alors, je ne sais pas si vous souhaitez toujours obtenir une

 25   réponse à la première question, puisque ce n'était pas tout à fait clair.

 26   Madame Osmanovic, est-ce que vous pourriez nous dire si à quel que moment

 27   que ce soit vous avez vu le ruban de couleur rouge et blanche qui séparait

 28   le groupe dont vous faisiez partie d'une autre zone ? Est-ce que vous avez


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  1   jamais vu ce ruban ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Non, moi, dans tout cet enfer et ce

  3   chaos, je n'ai pas vu ça, mais l'armée serbe, elle séparait les enfants et

  4   les hommes du côté gauche, et nous, nous étions assises là où il y avait

  5   les autocars, les camions. Certains sont restés, certains ont survécu.

  6   C'était l'enfer, vraiment.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais vous interrompre. Je comprends

  8   comment vous avez pu vous sentir à l'époque, mais vous n'avez pas vu de

  9   ruban rouge et blanc qui séparait le groupe dont vous faisiez partie des

 10   autres; ai-je bien compris ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, je ne l'ai pas vu. J'ai simplement

 12   entendu des cris le soir, quelque chose d'infernal, des pleurs. Personne ne

 13   pouvait dormir, personne ne dormait. Moi, j'ai vu et j'ai reconnu des gens,

 14   des voisins qui étaient des voisins à moi de Bratunac. Ils étaient à pied,

 15   ils marchaient à côté de moi et l'un d'entre eux m'a dit - il s'appelait

 16   Salihad - il m'a dit qu'il n'avait peur de rien.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Osmanovic, c'est Me Ivetic qui va

 18   poursuivre avec les questions.

 19   Maître, à vous.

 20   M. IVETIC : [interprétation]

 21   Q.  Est-ce que les soldats de la FORPRONU séparaient les réfugiés, la foule

 22   des réfugiés des soldats de la VRS au moment où vous avez rencontré le

 23   général Mladic ?

 24   R.  Non. Je ne sais pas. Moi, j'ai seulement entendu le général Mladic dire

 25   ce que je vous ai dit la dernière fois. Ceux qui ont quelque chose doivent

 26   le laisser là. Maintenant l'armée serbe va entrer. Moi, je l'ai entendu

 27   personnellement. Je l'ai vu. C'est ce qu'il a dit. Peut-être que ça a été

 28   filmé. Je le répète déjà dix fois. Je ne comprends pas à quoi ça sert.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Osmanovic, je crois que vous avez

  2   répondu à la question. Veuillez écouter attentivement la question suivante

  3   que Me Ivetic va vous poser.

  4   M. IVETIC : [interprétation]

  5   Q.  Le général Mladic est-il lui-même entré pour se mêler à la foule des

  6   réfugiés ?

  7   R.  Je vais te dire, je ne sais pas. S'il était seul ou -- dans ce chaos,

  8   dans cet enfer, je ne me souviens pas s'il était seul. C'étaient des

  9   moments où on ne savait pas, on ne se rendait pas compte, on ne comprenait

 10   pas ce qui se passait, mais je peux vous dire que c'était -- ils m'ont

 11   juste dit, c'est Mladic, c'est Mladic. Moi, je ne le connaissais pas

 12   d'avant. Ils disaient que c'était Mladic. Je ne peux pas vous dire que j'ai

 13   vu Karadzic ou Tadic ou Nikolic, c'est en fuyant, mais j'ai vu Mladic.

 14   Q.  D'abord, revenons aux deux vidéos que nous avons visionnées. Est-ce que

 15   la tenue du général Mladic dans ces enregistrements vidéo était la même que

 16   celle dont vous vous souvenez lorsque vous l'avez vu ou était-elle

 17   différente ?

 18   R.  C'était l'enfer là où il a parlé, c'est ce que j'ai dit. Après, le

 19   reste, je ne sais pas.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Osmanovic, Me Ivetic voudrait

 21   savoir si le comportement de M. Mladic tel que vous avez pu l'observer à

 22   l'écran dans la vidéo il y a quelques minutes était le même genre de

 23   comportement que ce que vous avez vu, ou bien est-ce qu'il se comportait de

 24   façon différente ? Est-ce qu'il se comportait à peu près de la même façon

 25   sur cette vidéo, ou bien était-ce différent ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Il est passé et puis il a dit ce qu'il a dit.

 27   Il est passé à côté de nous, et là, dans cette vidéo, c'est mieux, ce qu'il

 28   a dit; que les enfants allaient partir et qu'on allait partir vers Kladanj.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que je comprends bien si je dis

  2   que d'après vous, ce qu'on l'entend dire à l'écran dans la vidéo que nous

  3   avons visionnée semble être un petit peu plus amical de sa part comme

  4   attitude que ce que vous avez entendu et vu vous-même ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Vous savez quoi, c'était l'enfer à Srebrenica.

  6   Je ne sais même pas comment vous l'expliquer, comment vous le dire. C'est

  7   facile de regarder ça maintenant, à l'écran, mais c'était l'enfer à

  8   Srebrenica, et je ne peux pas vous l'expliquer. Je ne comprends pas.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Question suivante, Maître.

 10   M. IVETIC : [interprétation]

 11   Q.  Vous avez dit qu'à cette occasion le général Mladic vous avait dit de

 12   laisser sur place vos propres biens, vos affaires. Qu'est-ce que vous aviez

 13   en votre possession ?

 14   R.  Il a dit que le peuple musulman devait laisser sur place ce qui lui

 15   appartenait, de quoi qu'il s'agisse, et que l'armée serbe allait entrer.

 16   C'est ce qu'il a dit. Il ne peut pas ne pas l'avoir dit. C'est ce qu'il

 17   nous a dit.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Un instant.

 19   Madame Osmanovic. Un instant, Maître.

 20   Est-ce que vous aviez quoi que ce soit sur vous que vous auriez laisser sur

 21   place après que le général Mladic a dit aux gens de laisser sur place ce

 22   qu'ils avaient sur eux ?

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] J'avais deux albums de photos de mes enfants.

 24   Je les ai laissés à Potocari. Qu'est-ce que j'aurais fait ? Le 8 mai, je

 25   suis sortie de ma maison, et moi, je n'avais rien qui m'appartenait comme

 26   femme au foyer. J'étais dans un appartement qui n'était pas le mien. Les

 27   albums de photos de mes enfants, je les ai laissés à Potocari.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous pourriez nous dire où


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  1   vous les avait laissés ? Est-ce que vous les avez laissés à même le sol ?

  2   Est-ce qu'on vous les a pris ? Est-ce que vous vous en souvenez ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Par terre, par terre.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vous remercie.

  5   Question suivante, Maître.

  6   M. IVETIC : [interprétation]

  7   Q.  En page 32 du compte rendu d'aujourd'hui, ligne 1, dans la pagination

  8   temporaire, vous avez dit :

  9   "Il a dit que nous devions laisser sur place toutes les affaires que nous

 10   avions, nous, les Musulmans, de quoi qu'il s'agit, cela dit que l'armée

 11   serbe était sur le point d'entrer. C'est ce qu'il a dit. Il ne peut pas ne

 12   pas l'avoir dit. C'est ce qu'il nous a dit."

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Dans ce cas-là, voilà la question que je souhaite vous poser : cet

 15   individu que vous identifiez comme étant Mladic, est-il venu dire ceci aux

 16   gens avant l'entrée de l'armée serbe à Potocari ?

 17   R.  Oui. Oui. Enfin, je ne sais pas. Moi, j'ai reconnu mes voisins de

 18   Bratunac, de Kalimanic, de Bajina Basta, de Hranca. Je les ai reconnus

 19   quand j'étais assise par terre. Je les connaissais personnellement.

 20   Q.  Madame, j'ai peu de temps. Je voudrais que nous regardions ensemble un

 21   autre enregistrement vidéo, c'est le même enregistrement, mais l'extrait

 22   commence à 24 minutes 35, et jusqu'à 26 minutes, 56 secondes. Je voudrais

 23   que nous visionnions cet extrait.

 24   [Diffusion de la cassette vidéo]

 25   M. IVETIC : [interprétation]

 26   Q.  Madame, avez-vous entendu dire par d'autres réfugiés qu'une délégation

 27   de représentants civils de Srebrenica avait demandé au général Mladic

 28   d'évacuer la population civile, en tout cas ceux qui souhaitaient partir,


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  1   de Srebrenica ? Est-ce quelque chose dont on parlait ?

  2   R.  Non, je ne sais pas. Je n'ai pas entendu dire ça.

  3   Q.  Une autre question semblable. Avez-vous pu entendre d'autre réfugiés

  4   parler de la dernière partie de ce que nous avons entendu le général Mladic

  5   dire, à savoir qu'ils avaient dit qu'ils regrettaient de ne pas avoir

  6   accepté la solution à la crise qui avait été avancée en 1993, la solution

  7   pacifique ? Est-ce que c'est quelque chose dont vous parliez ?

  8   R.  Non, non, je n'ai pas entendu dire ça. Moi, je ne mêlais pas de

  9   politiques. Comment est-ce que je saurais ce qui se passait ?

 10   Q.  Merci, Madame. Merci d'avoir répondu à mes questions.

 11   M. IVETIC : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions pour ce témoin.

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci à vous.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame MacGregor, avez-vous des

 14   questions supplémentaires ?

 15   Mme MacGREGOR : [interprétation] Non, pas de questions supplémentaires.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Osmanovic, ceci met un terme à

 17   votre déposition dans ce procès. Je souhaite vous remercier vivement pour

 18   avoir fait tout ce chemin afin de venir à La Haye. Les Juges de la Chambre

 19   comprennent, croyez-nous, que d'être ainsi transporté des années en arrière

 20   au cœur des événements survenus dans les années 1990 est quelque chose de

 21   très éprouvant pour vous. Nous apprécions beaucoup que vous ayez bien voulu

 22   venir répondre aux questions qui vous ont été posées, et nous vous

 23   souhaitons un bon retour chez vous.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, merci à vous de m'avoir fait venir.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez maintenant suivre Mme

 26   l'Huissière.

 27   [Le témoin se retire]

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame MacGregor.


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  1   Mme MacGREGOR : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Juste un

  2   commentaire. Je crois qu'on voit assez clairement que ce témoin a un peu de

  3   difficulté à distinguer ce qu'elle a pu voir personnellement de ce qu'elle

  4   a vu dans un enregistrement vidéo. Elle est un peu confuse. Les seuls

  5   éléments sur lesquels l'Accusation compte s'appuyer au sujet du général

  6   Mladic sont ceux qui figurent dans le paragraphe 10 de sa déclaration, où

  7   elle se réfère au général Mladic et à la partie de sa déposition qu'elle a

  8   faite aujourd'hui et qui est cohérente avec cette déclaration. Je dispose

  9   également des références au compte rendu correspondantes, les références

 10   aux extraits du compte rendu où elle fait des commentaires sur l'accusé sur

 11   lesquels nous ne nous appuierons pas.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. La Chambre se penchera sur la

 13   question de savoir comment aborder la déposition de ce témoin, ce que vous

 14   avez signalé figure au compte rendu, à savoir que vous ne vous appuierez

 15   pas sur tout, et notamment où l'Accusation considère que le témoin s'est

 16   peut-être référée à ce qu'elle a vu sur les enregistrements vidéo plutôt

 17   que ce qu'elle a vu de ses propres yeux.

 18   Nous allons faire une pause, et reprendre à 11 heures 15.

 19   --- L'audience est suspendue à 10 heures 52.

 20   --- L'audience est reprise à 11 heures 18.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le Procureur est-il prêt pour citer le

 22   témoin suivant ?

 23   Mme HARBOUR : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Je vais demander que l'on

 25   introduise le témoin.

 26   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Madame Malagic. Avant de

 28   commencer votre déposition, en vertu du Règlement de procédure et de


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  1   preuve, vous devez faire la déclaration solennelle. Le texte de cette

  2   déclaration va vous être donné, et je vais vous demander de le lire.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  4   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  5   LE TÉMOIN : MIRSADA MALAGIC [Assermentée]

  6   [Le témoin répond par l'interprète]

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Vous pouvez vous asseoir. Madame

  8   Malagic, c'est d'abord Mme Harbour qui va vous interroger. Elle représente

  9   le bureau du Procureur. Elle est sur votre droite.

 10   Vous pouvez poursuivre, Madame.

 11   Interrogatoire principal par Mme Harbour :

 12   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame Malagic. Vous avez déposé dans ce

 13   Tribunal dans les affaires Krstic, Tolimir et Karadzic; est-ce exact ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Est-ce que vous avez eu la possibilité d'entendre votre interrogatoire

 16   principal dans l'affaire Tolimir avant de venir déposer ici aujourd'hui ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Si on vous posait les mêmes questions que les questions que l'on vous a

 19   posées dans l'affaire Tolimir, est-ce que vous répondriez de la même façon

 20   au fond ?

 21   R.  Oui.

 22   Mme HARBOUR : [interprétation] Le compte rendu de l'interrogatoire

 23   principal du témoin dans l'affaire Tolimir est consigné dans le document 65

 24   ter 28892, et je voudrais le verser au dossier.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Une question supplémentaire avant de

 26   poursuivre. Je suppose que votre déposition dans l'affaire Tolimir a été la

 27   déposition qui, d'après ce que vous savez, correspondait à la vérité.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il n'y a pas d'objection. Monsieur le

  2   Greffier ?

  3   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il s'agira de la pièce P1462.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Qui est versée au dossier.

  5   Mme HARBOUR : [interprétation] Je vais lire le résumé de la déclaration du

  6   témoin.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous lui avez expliqué pourquoi vous

  8   faites cela ?

  9   Mme HARBOUR : [interprétation] Oui.

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Mme Harbour va lire le résumé

 11   de votre déposition dans les autres affaires.

 12   Vous pouvez poursuivre.

 13   Mme HARBOUR : [interprétation] Au mois de mai 1992, les dirigeants serbes

 14   du cru dans le village de Mirsada Malagic, à proximité de Bratunac, ont

 15   posé un ultimatum aux Musulmans leur demandant de partir. Mme Malagic et sa

 16   famille ont fui dans le bois aux alentours. Entre 1992 à 1995, elle a vécu

 17   dans un certain nombre de villages à proximité de Srebrenica et de

 18   Potocari. Pendant cette période, elle et sa famille ont subi des privations

 19   que subissent les réfugiés qui habitaient dans l'enclave. Plus précisément,

 20   il y a eu des pilonnages constants en 1992 et au début de 1993, et il n'y a

 21   jamais eu suffisamment de nourriture pour satisfaire les besoins de la

 22   population surpeuplée dans la ville.

 23   Le 11 juillet 1995, le témoin et sa famille ont été obligés à fuir

 24   Srebrenica. Son époux, ses deux fils les plus âgés et son frère ont fui

 25   vers le bois pour essayer d'arriver à Tuzla à pied. Mme Malagic a été

 26   blessée par éclats d'obus au moment où les forces serbes ont pilonné autour

 27   de la base de la FORPRONU à Srebrenica. Elle a réussi à arriver à pied avec

 28   son fils cadet et son beau-père pour arriver à Potocari. Pendant la soirée


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  1   du 11 au 12 juillet, ils sont restés dans la fabrique du zinc à Potocari.

  2   Elle pouvait entendre des cris et des gémissements des installations aux

  3   alentours.

  4   Le 13 juillet, Mme Malagic a vu Mladic, qui s'est adressé à la foule, aux

  5   réfugiés à Potocari, qui les a rassurés en leur disant que rien n'allait

  6   leur arriver. Elle a réussi à monter à bord des autocars avec son fils et

  7   son beau-frère [comme interprété]. Les soldats serbes ont séparé son beau-

  8   père, qui avait 70 ans à l'époque, et les autres hommes. Elle et son fils

  9   cadet ont réussi à monter dans l'autocar et à être évacués. Mme Malagic n'a

 10   plus jamais revu son époux, ses deux fils aînés ou son beau-père.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. Madame Malagic, maintenant,

 12   on va vous poser quelques questions.

 13   Mme HARBOUR : [interprétation]

 14   Q.  Madame Malagic, je vais vous poser quelques questions au sujet de la

 15   période qui se situe autour du début de l'année 1992. Dans vos dépositions

 16   précédentes, vous avez dit que vous avez été forcée à quitter votre village

 17   de Voljavica et que vous avez traversé le bois en direction de Srebrenica.

 18   Vous avez dit au niveau du compte rendu d'audience T 110 :

 19   "Srebrenica était désertée de sa population. Les maisons de particuliers

 20   ont été brûlées et pillées."

 21   Quand vous êtes arrivée à Srebrenica, quand vous avez vu cette scène, quel

 22   impact cela a eu sur vous ?

 23   R.  Quand nous sommes arrivés à Srebrenica, à peu près 18 jours après avoir

 24   quitté ma maison, j'ai été très, très déçue. Pour moi, c'était une journée

 25   difficile. C'était le moment bien plus difficile que quand j'ai quitté ma

 26   maison, parce que quand vous voyez toutes ces maisons en train de brûler,

 27   des maisons appartenant aux gens notables de Srebrenica, et tout ce qu'on

 28   entendait et tout ce qu'on sentait, c'était l'odeur du brûlé. De temps en


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  1   temps, on voyait un chien errant. Il n'y avait personne là-bas. C'était un

  2   grand désert, tout était gris, il n'y avait pas de gens, la population n'y

  3   était pas. Quand vous voyez votre ville sous ces aspects, parce que moi

  4   j'ai travaillé dans la direction de la mine du zinc et du plomb, et quand

  5   vous voyez votre ville dans cet état-là, eh bien, les larmes partent toutes

  6   seules. J'ai été devant le foyer culturel.

  7   Et j'ai compris qu'on était dans un cercle enchanté et qu'il n'y

  8   avait plus de sortie. On n'avait pas où aller. On savait qu'on ne pouvait

  9   pas poursuivre, parce que les soldats serbes étaient en contrebas au niveau

 10   de Potocari. Tous les autres villages étaient placés sous le contrôle des

 11   Serbes, la mine de Spat, et cetera. Même mon village, je l'ai quitté. A

 12   cause de la présence serbe, mon village avait déjà été encerclé à l'époque.

 13   Je ne sais pas comment vous expliquer cela, mais je me suis posée la

 14   question de savoir, mais pourquoi je suis arrivée ici et pourquoi j'ai

 15   emmené mes enfants ici.

 16   Et pour la première fois, j'ai eu véritablement peur. J'étais

 17   inquiète devant notre avenir, car l'on a témoigné de nombreux incidents

 18   tragiques de meurtres alors qu'on était encore chez nous. Mais on n'avait

 19   pas d'autre sortie, on ne pouvait pas revenir en arrière. A l'époque, on

 20   était déjà encerclé. Il n'y avait que la Drina qui, d'après moi, a toujours

 21   été la frontière, à mes yeux en tout cas, donc on ne pouvait pas partir en

 22   Serbie. Ceux qui sont sortis sont sortis, mais ceux qui sont restés, il y

 23   en a qui sont restés dans les villages. Mais nous, on est arrivés à

 24   Srebrenica. Mais comme je vous l'ai déjà dit, Srebrenica était une ville

 25   déserte. Toutes les maisons étaient brûlées, tous les appartements étaient

 26   ouverts. Vous pouviez vous abriter où vous vouliez.

 27   Nous, on est allés dans un appartement puisqu'un de mes fils, celui

 28   du milieu, était malade. Il avait de la température pendant plusieurs


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  1   jours, donc on a passé quatre ou cinq jours là-bas et on ne savait pas

  2   comment faire par la suite. Et au bout de cinq ou six jours, j'ai rencontré

  3   un de mes frères qui a survécu à Potocari et donc, on a déménagé dans leur

  4   maison de famille qui était encore en bon état.

  5   Et tout l'été, je l'ai passé chez eux l'année 1992, jusqu'à l'hiver,

  6   décembre 1992. C'est là qu'on est restés. A ce moment-là, on a été obligés

  7   de partir, parce que les pilonnages étaient incessants, notre maison de

  8   famille était touchée par de nombreux obus, on bougeait d'une pièce à une

  9   autre jusqu'au garage. Et à ce moment-là, mes frères ont décidé que moi

 10   avec mes enfants, il fallait que je passe à Srebrenica. C'est là qu'on a

 11   trouvé un hébergement --

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi de vous interrompre un

 13   instant. Ce que Mme Harbour voulait vous demander, ce ne sont peut-être pas

 14   tous les détails, mais tout simplement, elle voulait apprendre à quel point

 15   c'était désolant de voir la ville et l'état où elle était, la dévastation,

 16   dégâts, de voir cette ville vidée de sa population.

 17   Madame Harbour, c'est à vous de choisir comment vous allez utiliser votre

 18   temps. Vous avez demandé une heure et demie par rapport au témoin

 19   précédent, c'est trois fois plus. Je vais vous demander d'essayer de

 20   contrôler votre interrogatoire.

 21   Madame le Témoin, j'espère que vous comprenez. Nous entendons beaucoup de

 22   dépositions de nombreuses personnes. Parfois, ce sont des informations très

 23   détaillées. Parfois, elles sont moins détaillées. Mme Harbour va vous dire

 24   exactement à quel moment elle a besoin de détails et à quel moment vous

 25   n'avez pas besoin d'entrer en détail.

 26   Vous pouvez poursuivre, Madame Harbour.

 27   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Une correction. Madame Harbour, vous

 28   avez parlé du compte rendu d'audience 110. C'est ce qui est écrit dans le


Page 11209

  1   compte rendu d'audience. Il s'agit de la page 110 du compte rendu

  2   d'audience de l'affaire Tolimir, mais en réalité, il faudrait lire 10 010.

  3   C'est à la ligne 11 du compte rendu d'audience d'aujourd'hui à la page 28.

  4   Mme HARBOUR : [interprétation]

  5   Q.  Madame Malagic, vous avez répondu à beaucoup de questions que j'ai

  6   voulu vous poser. Voici la question que j'ai à vous poser à présent.

  7   Pendant que vous habitiez à Potocari et à Srebrenica en 1992 et en 1993,

  8   est-ce qu'il vous est arrivé d'avoir faim, vous ou votre famille, pendant

  9   cette période-là ?

 10   R.  Oui. A partir de la première journée où on a quitté notre maison, tout

 11   à coup on n'avait plus assez à manger. Le troisième jour après avoir quitté

 12   la maison, mon époux avec mes deux fils les plus âgés et quelques cousins,

 13   il a été obligé de retourner chez nous pour prendre ce qu'il pouvait

 14   prendre de la nourriture, parce que déjà à l'époque, on n'avait pas

 15   suffisamment de nourriture. Et cela s'est poursuivi, la recherche de la

 16   nourriture. On se rendait dans mon village la nuit pour chercher de la

 17   nourriture, et c'était la seule source de nourriture, parce qu'on ne

 18   pouvait pas prendre quoi que ce soit en partant de chez nous.

 19   Q.  Pour donner un exemple, est-ce qu'il est arrivé à un moment donné au

 20   mois de janvier 1993, un moment où cette famine vous a frappée, vous

 21   particulièrement ?

 22   R.  Oui. Au début du mois de janvier 1993, fin décembre 1992, les gens

 23   crevaient de la dalle, littéralement. Et moi, c'était pareil avec ma

 24   famille. Et si vous réussissiez à trouver quelque chose à manger, il

 25   fallait le garder pour ses enfants. Moi, j'ai été tellement affamée que je

 26   suis tombée malade. Mon médecin qui était à Srebrenica, celui qui est

 27   resté, qui n'a pas fui, on est allés le voir, ce médecin. On lui a demandé

 28   de l'aide. Il a réussi à me donner quatre applications de vitamines,


Page 11210

  1   injections intraveineuses. Il m'a dit : "Mirsada, vous avez faim." Il ne

  2   pouvait pas me donner d'autres médicaments parce que mon organisme ne

  3   pouvait plus absorber des médicaments, donc il a essayé de me donner ces

  4   injections intraveineuses pour essayer de m'aider, mais quand j'ai reçu la

  5   troisième application le matin à 9 heures, ce même jour, le médecin en

  6   question s'est fait tuer à cause d'un bombardement. La bombe est tombée

  7   sous la mosquée et sa maison était juste à côté. Ce jour-là, il a été tué,

  8   ainsi que de nombreux citoyens de Srebrenica qui habitaient à proximité.

  9   Après cela --

 10   Q.  Je vais vous interrompre. Cela nous suffit pour comprendre dans quelle

 11   situation vous étiez.

 12   Maintenant, je vais vous demander de vous concentrer sur le début de

 13   l'année 1995, avant la chute de Srebrenica. Autour du mois de janvier 1995,

 14   y avait-il suffisamment de nourriture à Srebrenica à cette période-là ?

 15   R.  Non. En janvier 1995, cet hiver-là et surtout au printemps, à nouveau,

 16   on allait chercher la nourriture à pied à Zepa pour apporter de la farine.

 17   Vous étiez content si vous aviez un morceau de pain. A Zepa, j'avais une

 18   sœur et on allait la voir et elle nous a proposé -- ils avaient plus de

 19   nourriture que nous. Je ne sais pas comment, mais c'est un fait, donc on

 20   est allés chercher de la nourriture et ensuite on se la partageait. On

 21   mangeait une fois par jour. Vous donnez un morceau de pain aux enfants,

 22   peut-être deux fois par jour. On essayait de garder quelque chose pour le

 23   lendemain. Et la situation était comme cela pendant tout le printemps 1995.

 24   C'est pour cela que l'on a semé chaque morceau libre de la terre. On a semé

 25   chaque surface verte qu'il y avait, les parcs, les canaux à côté du bitume,

 26   partout où on pensait que l'on pouvait semer quelque chose, on l'a semé, on

 27   a planté.

 28   Q.  Maintenant, je voudrais parler des événements qui se sont déroulés au


Page 11211

  1   début du mois de juillet, à partir du 11 juillet 1995. Dans l'affaire

  2   Tolimir, vous avez dit que votre famille est partie ensemble en direction

  3   de la base de la FORPRONU à Srebrenica et, qu'après cela, votre frère aîné,

  4   votre époux et vos fils aînés, Elvir et Adnan, se sont séparés de vous pour

  5   essayer d'arriver à Tuzla à pied. C'est quelque chose qui figure dans le

  6   compte rendu d'audience 10 014 et 10 017 à 18. A quel moment vous leur avez

  7   dit au revoir ?

  8   R.  C'était entre la base de la FORPRONU et l'hôpital de Srebrenica, à côté

  9   de la station d'essence. Vous avez dit Elvir et Adnan, non. C'était Admir

 10   et Elvir. Adnan est resté avec moi. C'était mon fils cadet.

 11   On est tous arrivés ensemble jusqu'à ce point et, comme je l'ai déjà

 12   dit, les obus ont commencé à pleuvoir. Il y avait beaucoup de gens là-bas.

 13   Il n'y avait pas d'espace vide. Et quand les obus ont commencé à tomber à

 14   nouveau, une grande confusion a commencé à régner. Moi, je ne réussis même

 15   pas à dire au revoir aux miens. Chacun est parti dans la direction qu'il

 16   pensait devoir prendre. Moi et Adnan, mon fils cadet, et mon beau-père, en

 17   estimant que nous ne serions pas en mesure de traverser le bois, nous nous

 18   sommes dirigés vers la base de la FORPRONU à Srebrenica alors qu'eux sont

 19   partis dans la direction de Kutlici.

 20   Q.  Très bien, merci. Pourquoi votre beau-père est-il resté avec vous et

 21   votre fils cadet plutôt que d'aller rejoindre les hommes qui étaient partis

 22   à Tuzla ?

 23   R.  Pour la simple raison qu'il n'était pas en bonne santé. C'était un

 24   homme âgé, il avait déjà 70 ans et il estimait qu'il n'était pas en mesure

 25   de faire un si long voyage et il estimait que la FORPRONU allait lui

 26   assurer une sécurité à lui, aux femmes et aux enfants et que personne

 27   n'allait toucher aux femmes, aux enfants et aux personnes âgées et qu'aucun

 28   mauvais traitement ne leur serait accordé.


Page 11212

  1   Q.  Avez-vous pris quelque chose avec vous lorsque vous avez quitté

  2   Srebrenica pour aller à Potocari ?

  3   R.  Oui. Lorsque nous sommes partis, j'ai pris un sac dans lequel il y

  4   avait un bout de pain que j'avais fait la veille et l'un de mes fils

  5   portait également un sac, mais lorsque j'ai été blessée par un obus, je

  6   n'étais plus en mesure de porter quoi que ce soit. Lorsque nous sommes

  7   arrivés à Potocari, je n'avais plus rien.

  8   Q.  Vous avez dit que lorsque vous êtes arrivée à Potocari, un camion de la

  9   FORPRONU est passé à côté de vous et que vous avez vu votre fils aîné,

 10   Elvir, et un ami à lui dans le camion et qu'ils vous ont fait un geste de

 11   la main, vous ont salué de la main. C'est ce que vous avez déclaré à la

 12   page 10 022 dans votre déposition de l'affaire Tolimir.

 13   Mme HARBOUR : [interprétation] J'aimerais demander au greffier d'audience

 14   d'afficher la pièce P1137. Nous allons nous pencher sur la page 4.

 15   Q.  Madame Malagic, un témoin qui se trouvait à Potocari à la base de la

 16   FORPRONU a déposé et a dit que le document qui sera affiché sous peu à

 17   l'écran était une liste qui avait été dressée faisant état de la population

 18   musulmane à Potocari, qui s'y trouvait le 12 juillet 1995. C'est une liste

 19   qu'ils ont remise plus tard au Bataillon néerlandais. C'est au compte rendu

 20   d'audience page 9 893 dans cette affaire.

 21   Est-ce que nous avons la page 4 devant nous. Oui, très bien. Est-ce que

 22   vous reconnaissez les informations concernant votre fils Elvir sur cette

 23   page ?

 24   R.  Oui, au numéro 22, on peut lire Malagic, Elvir. Voljavica.

 25   Mme HARBOUR : [interprétation] Je vous remercie. J'en ai terminé avec ce

 26   document.

 27   Q.  Vous avez déposé au préalable que dans la matinée du 13 juillet 1995,

 28   vous avez entendu le général Mladic s'adresser à la foule en disant que


Page 11213

  1   rien n'allait arriver à personne. Et c'est ce que nous pouvons voir à la

  2   page 10 034 du compte rendu d'audience dans l'affaire Tolimir.

  3   Pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, lorsque Mladic a prononcé

  4   ces paroles, à qui s'adressait-il ?

  5   R.  Vous savez, la foule était énorme et ce matin-là tout particulièrement,

  6   je ne sais plus quelle heure il était, mais après la nuit du 11 juillet,

  7   tout le monde voulait sortir de Potocari et tout ce que ces personnes

  8   avaient vécu pendant la nuit, je pense que tout comme moi, personnellement,

  9   on a été d'une certaine façon contraints de nous presser. Lorsque vous

 10   sortiez dans la rue, il y avait tellement de personnes que l'on s'étouffait

 11   presque dans la rue. Il faisait très chaud, c'était la canicule, il y avait

 12   un très grand nombre de personnes, une foule s'entassait et il était

 13   impossible de s'approcher de l'endroit où les soldats serbes étaient

 14   arrivés et de l'endroit où le général Mladic était venu.

 15   Lorsque Mladic s'est adressé à la foule, ainsi que ses soldats, un

 16   très grand nombre de personnes qui se trouvaient à un endroit, plus

 17   spécifiquement il s'agissait de l'enceinte de l'ancienne usine, et juste à

 18   côté, il y avait la compagnie de transport de Srebrenica, il y avait

 19   également une barricade tout près de là, et nous avions traversé de l'autre

 20   côté pour monter à bord des autocars, et il a dit aux femmes, aux hommes,

 21   qui étaient le plus près de lui, de ne pas avoir peur, que rien n'allait

 22   nous arriver.

 23   Les personnes qui se trouvaient auprès de lui l'ont applaudi et

 24   toutes les personnes pensaient qu'elles pouvaient le croire sur parole,

 25   mais ce n'était que pour les caméras. Par la suite, la réalité en était

 26   tout autre. Ce n'était plus du tout comme cela. Et lorsque moi je suis

 27   arrivée sur les barricades, personne n'a pu passer de Potocari.

 28   Q.  Mladic se trouvait-il à Potocari également le 12 juillet ?


Page 11214

  1   R.  Oui. Je ne pouvais pas le voir, parce que je me trouvais dans

  2   l'enceinte de l'usine de zinc, mais ma sœur, qui était allée raccompagner

  3   ses filles -- et c'était lorsqu'ils ont dit qu'il fallait d'abord évacuer

  4   les femmes avec les bébés. Sa fille avait un bébé et donc, le général

  5   Mladic et l'armée serbe étaient arrivés de Bratunac et, par la suite, j'ai

  6   vu les autocars et les camions. Ils étaient assez loin. Je n'étais pas en

  7   mesure de voir à qui ils appartenaient jusqu'au lendemain, lorsque nous

  8   avons franchi les barricades et lorsque nous sommes montés à bord.

  9   Q.  Votre sœur vous a dit avoir vu le général Mladic le 12; est-ce exact ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  J'aimerais revenir très brièvement pour parler des hommes de votre

 12   famille qui ont fui en empruntant la forêt pour se rendre de Srebrenica à

 13   Tuzla. Vous avez déposé dans l'affaire Tolimir en disant que le 11 juillet,

 14   votre frère cadet s'est dirigé en direction de Potocari pour trouver de la

 15   nourriture. Et plus tard, votre frère aîné, vos fils et votre mari ont

 16   traversé la forêt à pied. C'est ce que vous avez déclaré à la page 10 014

 17   dans cette affaire-là.

 18   Est-ce que votre frère cadet a réussi à rejoindre le groupe qui

 19   s'était dirigé dans la forêt et a-t-il réussi à rejoindre votre frère aîné,

 20   votre mari et vos fils ?

 21   R.  Oui. Ils se sont retrouvés à Buljim, je crois, ou peut-être un autre

 22   village là-haut, parce que depuis cet endroit-là, ils ont fait un voyage

 23   jusqu'à Tuzla.

 24   Q.  Est-ce que votre frère a survécu ce voyage en direction de Tuzla ?

 25   R.  Oui. Mon frère cadet et mon frère aîné ont eu la chance d'arriver sur

 26   le territoire - comme on l'appelait - libre, mais lorsqu'ils ont été

 27   embusqués à Kamenica, ils se sont perdus de vue, et à partir de ce moment-

 28   là personne n'était plus ensemble. Ils n'étaient plus ensemble, et ce n'est


Page 11215

  1   que lorsqu'ils sont sortis de Nezuci, en sortant de la forêt, mes frères

  2   étaient là alors que mon mari et mes fils ne sont plus ressortis. On ne les

  3   a plus revus.

  4   Q.  Après votre évacuation de Potocari, qu'avez-vous fait pour essayer de

  5   retrouver votre mari et vos fils, Elvir et Admir ?

  6   R.  Les premières personnes qui étaient sorties du bois ont été emmenées à

  7   un endroit qui s'appelait Zivinice. C'était un lieu qui ressemblait à une

  8   prairie où les personnes avaient été emmenées à bord de minibus. J'y suis

  9   allée pour essayer de retrouver quelqu'un, mais malheureusement, je n'ai

 10   pas pu retrouver mes frères non plus, parce qu'ils n'étaient pas à cet

 11   endroit-là. On a trouvé le beau-frère de l'un de mes frères, qui, avant,

 12   était à Tuzla et ils les ont transportés à Banovici, chez son père, parce

 13   que mon frère cadet ne pouvait plus marcher. Ils l'ont emmené et il a dû

 14   aller au dispensaire pour avoir des soins médicaux. Et par la suite, ce

 15   n'est que quelques jours plus tard, lorsqu'il a retrouvé un peu de force,

 16   qu'ils m'ont trouvée, parce que moi aussi, j'étais dans une école à

 17   Zivinice et j'y ai été emmenée depuis l'aéroport de Tuzla, et c'est à ce

 18   moment-là que j'ai retrouvé mes frères.

 19   Q.  Vous nous avez dit un peu plus tôt que vous n'avez jamais eu la

 20   possibilité de retrouver votre mari ou vos fils. Comment vous sentiez-vous

 21   alors que vous ne saviez pas où votre mari ou vos fils se trouvaient ?

 22   R.  J'étais vraiment en état de choc. J'y ai attendu chacun de ces hommes

 23   pour arriver à cet endroit-là, comme je vous ai expliqué un peu plus tôt,

 24   lorsque vous partez, vous pouvez déjà pressentir que ce n'est pas ce qui va

 25   arriver, que vous ne retrouverez jamais les personnes que vous attendez.

 26   Lorsque j'ai vu mes frères, j'étais vraiment heureuse de voir qu'ils

 27   avaient survécu, mais j'étais vraiment très déçue et vraiment désolée. Je

 28   pressentais quelque chose. J'avais l'impression que le pire leur était


Page 11216

  1   arrivé, à mon mari et à mes fils, et que je ne les reverrais plus jamais,

  2   mais j'espérais. Il y avait un espoir, néanmoins une lueur d'espoir. Je

  3   pensais que peut-être qu'ils allaient revenir. Ils étaient peut-être fait

  4   prisonniers quelque part et ils allaient revenir. C'est ainsi que les

  5   journées passaient et tous les jours, j'avais de moins en moins d'espoir et

  6   en fin de compte, il a été confirmé que le pire leur est arrivé.

  7   Q.  Dans l'affaire Tolimir, compte rendu d'audience, page 2 040, vous avez

  8   déclaré à la Chambre que votre beau-père, votre mari et votre fils Admir

  9   ont été retrouvés et enterrés. Est-ce que vous savez où leurs dépouilles

 10   ont-elles été trouvées ?

 11   R.  Oui. Mon beau-père a été trouvé dans une fosse à Snagovo près de

 12   Zvornik. C'était dans la municipalité de Zvornik. Alors que mon mari et mon

 13   fils Admir ont été trouvés à Zvornicka Kamenica. Un an plus tard, mon fils

 14   aîné Admir a également été trouvé à Zvorkicka Kamenica et il a été enterré

 15   le 11 juillet 2012, et nous avons également enterré mon mari et mon fils

 16   aîné en novembre 2010, qui était 15 ans après la chute de Srebrenica.

 17   Q.  Pour être plus précis, vous venez de faire référence à votre fils aîné,

 18   Elvir -- ou Admir, en fait. Vous vouliez parler d'Elvir, n'est-ce pas ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Je n'ai que quelques questions encore à vous poser, Madame. Au cours de

 21   votre déposition dans l'affaire Krstic, vous avez déclaré aux Juges de la

 22   Chambre qu'il existait une statue ou un monument que vous avez vu alors que

 23   vous marchiez pendant que vous visitiez La Haye, et vous avez expliqué aux

 24   Juges de la Chambre que cette statue revêtait une importance particulière

 25   pour vous. Avant de décrire la statue, pourriez-vous d'abord nous expliquer

 26   où l'avez-vous vue ?

 27   R.  En l'an 2000, lorsque je suis venue déposer contre Krstic, nous avions

 28   un peu de temps dans l'après-midi et nous nous promenions dans la ville. Je


Page 11217

  1   séjournais dans un hôtel tout près de la plage. J'ai rencontré quelques

  2   personnes aussi. Et nous sommes tombés sur ce monument. Il y avait donc une

  3   statue qui a éveillé quelque chose en moi. Lorsque je l'ai vue, il

  4   s'agissait d'une femme qui regardait de façon pensive et je ne savais pas

  5   de quoi il s'agissait, donc j'ai demandé à notre guide, que représente ce

  6   monument et qu'est-ce que c'est exactement. Il nous a expliqué, le guide

  7   nous a expliqué qu'il s'agissait d'un monument érigé en mémoire des

  8   pêcheurs qui avaient trouvé la mort, car ils trouvaient la mort, et leurs

  9   femmes et leurs sœurs les attendaient pendant des années et des années, et

 10   ces pêcheurs ne sont plus jamais revenus. Il y avait beaucoup de bateaux

 11   qui s'échouaient, ainsi de suite.

 12   Ce monument a éveillé quelque chose en moi. Je me suis vue dans cette femme

 13   qui a ce regard perdu, car un très grand nombre de femmes ne savaient pas

 14   non plus parmi nous quel était le sort de leur mari et de leur fils. J'ai

 15   souhaité obtenir ce monument, bien sûr, en miniature. J'ai essayé de le

 16   retrouver. Je pensais que d'une certaine façon, je m'identifiais à ce

 17   monument, à cette femme qui elle aussi avait un regard perdu. Notre regard

 18   allait dans une autre direction, en direction d'une forêt où nous avons

 19   perdu nos maris et nos fils. Ce monument éveille ce sentiment. Et

 20   d'ailleurs, ce monument a éveillé ou a fait en sorte qu'il existait

 21   maintenant une lueur d'espoir chez moi. Malheureusement, j'ai reçu en 2009

 22   un premier rapport me disant qu'on a identifié la dépouille de mon mari, et

 23   quelques mois plus tard, j'ai reçu un rapport me disant que mon fils Elvir

 24   a également été trouvé. J'ai dû aller les identifier, les enterrer, comme

 25   je l'ai dit, en 2010. C'était à l'occasion du 15e anniversaire de la chute

 26   de Srebrenica. Ensuite, en 2011, j'ai reçu une autre invitation à me

 27   présenter pour identifier mon fils aîné. Et c'est à ce moment-là que j'ai

 28   enterré mon dernier espoir et toute ma famille. Tous mes parents les plus


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  1   proches avaient été enterrés. Je n'avais plus personne. Je n'espérais plus

  2   revoir personne. Il n'y avait plus personne que je pouvais attendre. La

  3   vérité s'était faite, et cette vérité est la pire des choses. Je suis

  4   restée seule.

  5   Je garde ce monument. J'ai conservé cette statue en souvenir, celle que

  6   j'ai achetée dans cette ville que je visite pour la quatrième fois. Je suis

  7   désolée que cela se passe ainsi, mais je voudrais remercier tout un chacun

  8   pour m'avoir donné l'occasion de revenir ici et de m'exprimer, ne serait-ce

  9   qu'en fournissant peut-être un petit fragment de la vérité qu'ont vécue mes

 10   concitoyennes.

 11   Q.  Merci pour votre déposition.

 12   Mme HARBOUR : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser à ce

 13   témoin, Monsieur le Président.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Harbour.

 15   Madame Malagic, vous allez maintenant être contre-interrogatoire par Me

 16   Stojanovic, qui se trouve à votre gauche et qui fait partie de l'équipe de

 17   la Défense de M. Mladic.

 18   Contre-interrogatoire par M. Stojanovic :

 19   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame. Je vous exprime mes sincères

 20   condoléances pour les membres de votre famille que vous avez perdus.

 21   Je souhaite simplement attirer votre attention sur la nécessité de

 22   ménager de courtes pauses entre mes questions et vos réponses, puisque nous

 23   parlons la même langue et que celle-ci doit être interprétée et consignée.  

 24   Je ne vais pas vous retenir très longtemps. Je vous prierais simplement de

 25   bien vouloir nous dire ce qu'il en est de ce fait que vous avez évoqué lors

 26   de l'interrogatoire principal, à savoir que vous avez quitté le village de

 27   Voljavica. Est-ce que vous pourriez dire aux Juges de la Chambre quand cela

 28   s'est passé ?


Page 11219

  1   R.  Le 12 mai 1992 à 19 heures 30. J'ai alors quitté non seulement ma

  2   maison, mais également mon village.

  3   Q.  Pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre, pour autant que vous le

  4   sachiez, quelle était cette unité et quels étaient ces hommes qui vous ont

  5   donné cet ordre de partir ?

  6   R.  Je ne peux pas vraiment vous le dire. Je vais peut-être mal m'exprimer,

  7   mais je ne peux pas vraiment vous dire quelle unité c'était. Nous avions

  8   des gens -- plutôt, nos propres représentants à la commune locale, et le

  9   village voisin, Pobrdje, qui était entre nous et Bratunac, formait une

 10   commune locale avec nous. Nos délégués qui allaient là-bas pour discuter

 11   avec eux avant cela -- en fait, je dois dire qu'ils s'étaient postés à

 12   Pobrdje déjà auparavant, donc nous ne pouvions pas aller à Bratunac. Ils

 13   avaient des uniformes, des tenues camouflées. Nous ne savions pas qui ils

 14   étaient et nous avons ensuite reçu la visite des représentants de cette

 15   commune locale ce jour-là. Ils étaient déjà venus précédemment, lorsque

 16   nous étions en train d'être désarmés. Nous les connaissions, ces gens-là.

 17   Q.  Je vais être un peu plus direct : est-il exact de dire que l'un de ces

 18   hommes qui sont venus et qui est resté dans votre mémoire dans le cadre de

 19   ce désarmement et des armes qui vous étaient prises s'appelait Miladin

 20   Jokic ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Est-il exact qu'à l'époque il est resté gravé dans votre mémoire comme

 23   quelqu'un qui était employé au poste de police de Bratunac ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Merci. Je voudrais maintenant vous demander quelques précisions très

 26   brièvement au sujet de votre vie à Srebrenica entre 1993 et 1995. Veuillez,

 27   s'il vous plaît, dire aux Juges de la Chambre qui était celui qui allait

 28   chercher des vivres à Zepa et Srebrenica, parmi les personnes qui vivaient


Page 11220

  1   dans votre foyer ?

  2   R.  Mon mari, mon fils aîné allaient à Zepa. Ils n'y allaient jamais tous

  3   ensemble. C'était un long voyage. Aussi bien l'un que l'autre de mes deux

  4   frères y allaient, et le dernier hiver -- non pas le dernier, mais en 1993,

  5   l'hiver 1992-1993, mon frère aîné y allait. Il a eu des problèmes sur cette

  6   route. Il y avait beaucoup de neige et malheureusement il a eu des

  7   engelures aux jambes. Il a fallu le ramener de Zepa parce qu'il ne pouvait

  8   plus marcher.

  9   Q.  Vous les avez entendus décrire le passage entre Zepa et Srebrenica.

 10   Est-ce que l'on pouvait passer sans entrave ou est-ce qu'il fallait passer

 11   par un territoire contrôlé par la VRS qui était à l'extérieur de la zone

 12   démilitarisée ?

 13   R.  Je ne connais pas cette route. Je n'y suis pas passée personnellement,

 14   mais je sais qu'ils devaient passer avec quelqu'un qui connaissait le

 15   chemin. J'avais un beau-frère qui était originaire de Zepa, et il

 16   connaissait le chemin à prendre. Donc la plupart du temps, ils y allaient

 17   la nuit. Et je ne sais pas quels étaient les différents endroits par

 18   lesquels ils passaient en prenant cette route, parce que je n'y suis jamais

 19   allée à pied.

 20   Q.  Si je vous comprends bien, votre sœur vivait à Zepa ou dans un village

 21   proche de Zepa ?

 22   R.  Elle vivait à Zepa à l'époque, mais avant la guerre elle vivait à

 23   Glodjani, qui était un village à une vingtaine de kilomètres de Han

 24   Pijesak. Cependant, il avait été incendié à l'époque et elle s'était enfuie

 25   à Zepa.

 26   Q.  Pendant que vous étiez à Srebrenica, est-ce que votre mari faisait

 27   partie des rangs de l'armée ?

 28   R.  Au début de la guerre, tous nos hommes, si on peut voir les choses


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  1   ainsi, montaient la garde sur les lignes de séparation. Où que nous allions

  2   dans les villages, on nous considérait comme des réfugiés, et, en tant que

  3   tels, il fallait aller monter la garde, sans armes, sans rien, et je

  4   l'affirme en toute certitude que ça s'est passé comme ça.

  5   Mais au tout début de la guerre, à peine deux mois après que j'avais quitté

  6   ma maison, mon mari a perdu un de ses frères. Fin 1992, un autre de ses

  7   frères a été tué alors qu'il allait chercher des vivres. Et après cela,

  8   personne n'a essayé d'inciter mon mari à y aller, parce qu'il était le

  9   dernier à être encore en vie dans la famille. Donc, il se contentait

 10   d'aller chercher des vivres. Il allait du côté de la rivière Drina, à

 11   Voljavica, vers Pavkovici, parce qu'il y avait là-bas des champs de maïs

 12   sous la neige.

 13   Q.  Est-ce que ses frères avaient été enregistrés ? Est-ce qu'ils ont été

 14   considérés comme des "shaheed" et est-ce que leurs familles ont eu droit

 15   aux prestations qui accompagnent ce statut ?

 16   R.  Eh bien l'une de ces deux familles, en tout cas sa femme, était

 17   réfugiée en Slovénie, puis maintenant elle est aux Pays-Bas, alors que leur

 18   fils a été tué pendant l'attaque de Srebrenica. Quant aux plus jeunes, ils

 19   ont quitté la Slovénie et ils se trouvent également aux Pays-Bas.

 20   Q.  Et qu'en est-il de ceux qui ont été tués et qui ont péri comme des

 21   "shaheed" ?

 22   R.  C'est difficile de répondre à cette question.

 23   Q.  Mais si vous ne pouvez pas, essayez peut-être, quand même.

 24   R.  Eh bien, ils ont été tués au tout début de la guerre, et le plus jeune

 25   de mes beaux-frères a été tué par une bombe aérienne alors qu'il

 26   transportait un sac de maïs sur son dos. Il ne participait à aucune

 27   opération militaire. Il ramassait du maïs.

 28   Q.  Est-ce que vous connaissez le sort des civils serbes, de la population


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  1   serbe de la vallée de la Drina, à Skelani, et à Kravica, en 1992 et 1993 ?

  2   R.  Non. En 1992 et 1993, je l'ai déjà expliqué aux Juges de la Chambre,

  3   j'étais tellement malade que j'étais alitée en permanence. Mon mari était

  4   auprès de moi, donc il n'allait pas à cet endroit, Kravica. Et mes enfants

  5   non plus, évidemment. Nous nous battions pour notre survie.

  6   Q.  On me signale que ce qui a été consigné au compte rendu est le terme de

  7   "shaheed". Nous venons de la même région. Est-ce qu'il serait correct de

  8   dire en B/C/S que le terme de "shaheed" signifie en fait "soldat", ou peut-

  9   on expliquer autrement ce que signifie le terme de "shaheed" ?

 10   R.  Si je peux peut-être le préciser -- cela dépend, en fait. Pour moi,

 11   c'est une erreur d'utiliser ce terme sans distinction. Parce que, par

 12   exemple, mon beau-père, qui avait 70 ans, est considéré comme un "shaheed",

 13   d'après l'administration, cette malheureuse administration de la Bosnie-

 14   Herzégovine. Alors si un homme de 70 et quelques années peut être considéré

 15   comme un soldat, qu'est-ce qu'on peut dire ? Qui doit être considéré comme

 16   soldat et qui n'est pas soldat ?

 17   Q.  Merci. Est-ce qu'on vous a, à quelque moment que ce soit, informée de

 18   l'unité à laquelle appartenait feu votre mari ? Est-ce que lui-même vous

 19   l'a dit à quelle unité il appartenait lorsqu'il montait la garde, comme

 20   vous l'avez dit ?

 21   R.  Les premiers tours de garde qui ont été organisés l'ont été après que

 22   nous avons quitté notre village, c'était dans le village de Brezovica,

 23   avant que nous n'arrivions à Srebrenica. Et quand nous avons passé

 24   Potocari, les tours de garde étaient organisés à Likari, à Caus.

 25   Q.  Vous a-t-il jamais dit de quelle unité il s'agissait et qui commandait

 26   cette unité ?

 27   R.  Je sais qu'on disait à Srebrenica, y compris après la chute de

 28   Srebrenica, que les gens l'appelaient la 20e Division. C'est comme ça


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  1   qu'ils l'appelaient, et c'est tout ce que je sais sur ces soldats.

  2   Q.  Est-ce que pendant ces années 1992 à 1995, vous savez qu'il y a eu

  3   beaucoup de personnes qui, à cause de la situation à Srebrenica,

  4   cherchaient des moyens de quitter ce secteur pour se rendre à Tuzla ou à

  5   Sarajevo, ou encore vers une autre destination contrôlée par l'ABiH ?

  6   R.  Oui. Ce que je sais s'est passé pendant le printemps de cette année. En

  7   1995, donc, seulement. C'était la première fois que j'entendais des gens

  8   dire qu'ils souhaitaient quitter Srebrenica, que quelque chose d'horrible

  9   allait s'y passer, qu'il fallait, de toute façon, quitter Srebrenica. Et je

 10   sais qu'il y a eu quelques groupes qui ont pris le chemin de la forêt ou

 11   qui ont emprunté des raccourcis. Je ne sais pas lesquels parce que ce

 12   n'était pas des gens qui étaient proches de moi. Je sais qu'il y en a qui

 13   sont passés ainsi. Je ne sais pas quel chemin. D'autres ont perdu la vie

 14   dans ces tentatives. Je ne sais pas ce qu'il est advenu de ces personnes.

 15   Est-ce qu'on a peut-être retrouvé leurs corps sans que je le sache.

 16   Q.  Est-ce que votre famille et vous-même, pendant cette période de 1993 à

 17   1995, vous cherchiez un moyen de quitter le secteur de Srebrenica ?

 18   R.  Non.

 19   Q.  Excusez-moi. Est-ce que vous savez qu'il y avait des habitants de

 20   l'enclave qui prenaient le chemin de la Macédoine ?

 21   R.  J'en ai entendu parler, mais moi, personnellement, je ne sais rien à ce

 22   sujet. J'ai entendu raconter que certains sont allés à Zepa, puis, à partir

 23   de Zepa, essayaient de passer en Serbie ou au-delà, même. Je ne sais pas,

 24   je ne connais pas ces différents itinéraires. Mais ce sont des choses que

 25   j'ai entendu raconter, donc je n'irais pas jusqu'à affirmer que c'est

 26   exact. J'ai entendu dire cela par d'autres, mais il y avait énormément de

 27   personnes et on pouvait toujours entendre des choses et d'autres. Mais ce

 28   ne sont pas là des informations fiables pour lesquelles je peux affirmer en


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  1   toute certitude que c'est la vérité.

  2   Q.  Merci. Avant la pause, je vais finir en vous posant encore juste une

  3   question. Est-ce que pendant ces années de 1993 à 1995 le marché noir

  4   fonctionnait ? Est-ce qu'il y avait de la contrebande de vivres, de

  5   cigarettes, de carburant à Srebrenica ?

  6   R.  Comme je l'ai déjà dit, est-ce que c'est par excès d'honnêteté ou par

  7   ignorance de la situation telle qu'elle était, moi et ma famille, nous ne

  8   savions rien à ce sujet. Nous n'avions pas d'argent, donc nous pouvions

  9   rien acheter. Nous n'avion aucun revenu. Par ailleurs, je sais que les gens

 10   allaient à Zepa et qu'ils en revenaient avec du sel, du café. Donc là-bas

 11   on pouvait acheter ce genre de chose. Les cigarettes, personne n'en fumait,

 12   donc on n'y pensait même pas. Quant à savoir si on pouvait acheter ça sur

 13   notre marché à Srebrenica, le marché qui s'était réduit au strict minimum,

 14   un kilogramme de sel coûtait 70 marks allemands, donc je ne pouvais même

 15   pas imaginer un jour acheter cela. Je n'avais pas de marks allemands, je

 16   n'avais pas d'argent. Nous avons marché pieds nus et nous sommes restés

 17   affamés pendant trois ans.

 18   Q.  Vous êtes, par ailleurs, originaires du secteur de Potocari, n'est-ce

 19   pas ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  La maison de vos frères et celle de votre famille se trouve à Potocari;

 22   est-ce exact ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Pendant toute la guerre, de 1993 à 1995, lorsque l'enclave a été créée,

 25   vos frères ont habité dans le secteur de Potocari, n'est-ce pas ?

 26   R.  Non. Seulement en 1992. Jusqu'à la fin de 1992, ils ont vécu ensemble à

 27   Potocari. Et moi, je l'ai dit, je suis allée à Srebrenica. Et eux aussi, à

 28   peine un mois après moi, ils ont été obligés de quitter Potocari, avant


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  1   l'entrée du général Morillon à Srebrenica. Alors moi, je ne comprends pas

  2   très bien les questions d'armement, mais il y avait des roquettes ou des

  3   missiles, je crois, et je crois que leurs maisons avaient été démolies et

  4   détruites par ce type d'arme, donc ils ont dû aller à Srebrenica où ils ont

  5   vécu dans un appartement.

  6   Q.  A qui appartenait cet appartement ?

  7   R.  Je ne sais pas.

  8   Q.  Est-ce que c'était un appartement serbe ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  A qui appartenait votre appartement jusqu'à la guerre ?

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître, on vous invite à ralentir et à

 12   ménager des pauses entre les questions et les réponses.

 13   Le témoin a répondu à une de vos dernières questions en disant qu'elle

 14   ignorait à qui appartenait cet appartement.

 15   Maître Stojanovic --

 16   M. STOJANOVIC : [interprétation] Je vais terminer, puisque c'est le moment

 17   de prendre la pause, avec cette question que je vais simplement reposer.

 18   Q.  Madame le Témoin, est-ce que vous saviez à qui appartenait cet

 19   appartement dans lequel vous avez vécu jusqu'à la guerre ?

 20   R.  Oui. Il y avait un immeuble derrière la maison de la culture. C'était

 21   un immeuble qui appartenait à la municipalité, et dans cet appartement

 22   habitait un homme, un Musulman, qui travaillait à Banja Guber à Srebrenica.

 23   C'était à lui.

 24   M. STOJANOVIC : [hors micro]

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allumez votre micro.

 26   M. STOJANOVIC : [interprétation] C'est le moment de faire notre pause, et

 27   je passerai à la reprise des débats à d'autres sujets.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous nous indiquer de combien


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  1   de temps vous pensez encore avoir besoin ?

  2   M. STOJANOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. D'après nos

  3   prévisions, ce sera un peu plus court, en fait, que ce que nous avions

  4   prévu, et nous aurons terminé au cours du volet d'audience suivant.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc, au cours du volet d'audience

  6   suivant, en une heure, maximum, vous aurez terminé, ce qui soulève

  7   également la question de l'Accusation et des questions supplémentaires dont

  8   pourra bénéficier Mme Harbour. Ce sera un temps limité, mais il y aura

  9   peut-être des questions supplémentaires. Nous allons, donc pour le moment,

 10   faire la pause. Dans un premier temps, je demande à Madame l'Huissière de

 11   raccompagner le témoin hors du prétoire, et nous prendrons alors une pause

 12   de 20 minutes.

 13   [Le témoin quitte la barre]

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous faisons une pause, et nous

 15   reprendrons à 12 heures 40.

 16   --- L'audience est suspendue à 12 heures 20.

 17   --- L'audience est reprise à 12 heures 45.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-on faire entrer le témoin, s'il

 19   vous plaît.

 20   [Le témoin vient à la barre]

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stojanovic, si vous êtes

 22   prêt, vous pouvez poursuivre.

 23   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci.

 24   Q.  Madame, maintenant je voudrais aborder les événements concernant les

 25   11, 12 et 13 juillet 1995. Je vais vous demander s'il est exact que déjà le

 26   10 juillet, vous étiez devant la base de l'ONU à Srebrenica, en voulant que

 27   l'on établisse ce que vous alliez faire par la suite, par où vous alliez

 28   passer, et cetera ?


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  1   R.  Oui.

  2   Q.  On vous a dit de rentrer chez vous, et vous avez passé la nuit du 10 au

  3   11 dans l'appartement où vous habitiez à l'époque ?

  4   R.  C'est exact.

  5   Q.  Le 11 juillet, vous êtes arrivée à nouveau devant la base de la

  6   FORPRONU à Srebrenica, et là vous vous êtes dirigée vers Potocari.

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Qui vous a dit de partir à Potocari ? Qui a eu cette idée ?

  9   R.  Tout d'abord, tous ces gens qui étaient là - je n'étais pas là seule -

 10   nous avons passé une heure, peut-être même deux heures, dans l'enceinte de

 11   la base de la FORPRONU à Srebrenica, dans cette ancienne manufacture. Nous

 12   ne pouvions pas communiquer avec eux parce que nous ne parlions pas la

 13   langue. Il y avait des gens qui sont montés sur des camions. On pensait

 14   qu'on allait évacuer les femmes et les enfants. Il y avait des blessés. Il

 15   faisait beaucoup trop chaud. A un moment donné, quand on a entendu le bruit

 16   des avions, deux soldats hollandais, je ne sais pas qui étaient ces

 17   soldats, nous ont fait un geste de la main en nous montrant la direction de

 18   Potocari. Et ils nous ont montré les avions, ils nous ont dit qu'il ne

 19   fallait pas avoir peur, que l'OTAN allait bombarder. C'est comme cela qu'on

 20   a compris. On avait l'impression qu'ils parlaient de la possibilité de

 21   frappes de l'OTAN.

 22   Mais en tout cas, ils nous ont fait ce geste de la main et ils nous

 23   ont montré qu'il fallait qu'on parte tous vers Potocari.

 24   Q.  Et à aucun moment le 11, au moment du bombardement -- vous n'avez pas

 25   vu l'armée serbe, n'est-ce pas, le 11 ?

 26   R.  A Srebrenica, non.

 27   Q.  Merci. Et votre feu époux --

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Pourriez-vous répéter la réponse. La


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  1   question était de savoir si vous étiez en mesure de voir ou ne pas voir

  2   l'armée serbe.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Non.

  4   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci.

  5   Q.  Ma question suivante : le 11 juillet, votre époux et vos fils, est-ce

  6   qu'ils étaient partis dans une autre direction, vers les bois, comme vous

  7   l'avez dit ?

  8   R.  Sans doute que oui. Quand nous nous sommes dirigés vers la base de la

  9   FORPRONU, eux, ils sont partis en direction de Kutlici et Susnjari. C'est

 10   ce qu'ils nous ont dit. Moi je suis partie. Je ne sais pas ce qui s'est

 11   passé avec eux.

 12   Q.  Est-ce que vous pouvez nous dire est-ce que vous avez une quelconque

 13   information quant à celui qui leur a dit de partir en direction de Susnjari

 14   ?

 15   R.  Non.

 16   Q.  Est-ce qu'à aucun moment vous avez eu l'information qu'il fallait que

 17   les hommes aptes à combattre partent en direction de Jaglic et Susnjari ?

 18   R.  Non.

 19   Q.  Est-ce que vous avez appris de façon directe ou indirecte que les

 20   autorités civiles et militaires de Srebrenica ont demandé quelques jours

 21   avant le 11 de permettre à la population civile de quitter Srebrenica, ils

 22   ont demandé cela au cours de négociations ?

 23   R.  Non, je ne le savais pas.

 24   Q.  Merci. Pendant combien de temps a duré la traversée entre la base de la

 25   FORPRONU à Srebrenica et le complexe industriel de Potocari ?

 26   R.  Eh bien, je ne suis pas sûre. Il s'agit d'une distance de 4 kilomètres.

 27   Donc il faut combien de temps à un homme de passer ce trajet ? Mais vous

 28   savez, il faut tenir compte de la situation. Il y avait beaucoup de gens


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  1   qui étaient là, des femmes, des enfants et même des blessés, moi aussi

  2   j'étais blessée. Je ne sais pas combien de temps il nous a fallu pour

  3   arriver à Potocari.

  4   Q.  Pourriez-vous nous dire, d'après votre meilleure évaluation, à quel

  5   moment de l'après-midi du 11 juillet vous y êtes arrivés ?

  6   R.  Je dirais qu'on est arrivés à Potocari vers 4 heures de l'après-midi, 4

  7   heures et demie peut-être.

  8   Q.  Est-ce que vous vous rappelez qu'à un carrefour avant Potocari, en

  9   partant de Srebrenica, que les membres de l'ABiH avaient dirigé les hommes

 10   aptes à combattre de prendre cette route sur la gauche en direction de

 11   Jaglic et Susnjari ?

 12   R.  Non. Moi, je ne l'ai pas vu.

 13   Q.  D'après votre meilleure évaluation, est-ce que vous avez vu le général

 14   Mladic après la première nuit passée à Potocari ou bien après la deuxième

 15   nuit passée à Potocari ? Essayez de vous rappeler cela.

 16   R.  La première nuit, la nuit du 11 au 12 juillet, donc cette première nuit

 17   je l'ai passée à Potocari, et ce n'est que le 12 que les soldats serbes

 18   sont entrés à Potocari. Après cela, vu que j'étais blessée, je ne me

 19   déplaçais pas beaucoup. Je ne sais pas quelle heure il était, 11 heures, 12

 20   heures. Vers midi, peut-être une heure plus tôt, mais autour de minuit, ma

 21   sœur est venue et elle m'a dit que les soldats serbes étaient arrivés,

 22   qu'ils étaient arrivés de Bratunac, et que Mladic était arrivé aussi. Il y

 23   avait des milliers de personnes autour de moi, mais à cause de tous ces

 24   gens je ne voyais pas la section dont elle parlait en direction de

 25   Bratunac. Mais je n'étais pas dans la rue. J'étais donc sur le plateau dans

 26   l'enceinte de la fabrique du zinc avec d'autres personnes. On entendait des

 27   histoires. Moi personnellement, je ne pouvais pas le voir, pas de près. Je

 28   ne peux pas dire je l'ai vu, je n'ai pas pu le voir de près.


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  1   Q.  D'après vous, est-ce que vous savez pour sûr si vous avez passé une ou

  2   deux nuits à Potocari avant de voir le général Mladic à Potocari ?

  3   R.  Monsieur, la deuxième nuit à Potocari, c'était une nuit chaotique.

  4   Après la deuxième nuit, je pense que personnellement ni vous ni personne

  5   d'autre se trouvant à Potocari ne saurait même pas dire son nom le matin --

  6   les choses qui se sont produites cette nuit-là, cet après-midi-là, ce

  7   matin-là.

  8   Q.  Je vous comprends. C'est pour ça que je vous pose la question. Mais je

  9   vais essayer d'aller plus lentement.

 10   Donc, est-ce que vous vous souvenez qu'à un moment donné, et je dirais que

 11   c'était le 20 juillet 1995, donc peu de temps après être arrivée à

 12   Zivinice, que vous avez fait une déclaration à la commission d'Etat chargée

 13   de recueillir les informations au sujet de ces événements ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Est-ce que vous vous souvenez si cette fois-là, si vous avez mentionné

 16   la date ou l'heure où vous avez vu le général Mladic à Potocari ?

 17   R.  Un de ces jours quand il disait qu'il n'allait rien arriver ni aux

 18   femmes ni aux enfants, que tout le monde allait être évacué là où ils

 19   souhaitent partir, qu'ils pouvaient partir s'ils souhaitaient partir, c'est

 20   le général Mladic qui nous a parlé en personne à Potocari.

 21   Q.  Merci. Et là je vais vous poser une question : est-ce que vous, vous

 22   avez pu le voir, l'entendre ?

 23   R.  Entendre, oui; mais le voir, non, parce que je n'étais pas suffisamment

 24   près.

 25   Q.  Est-ce que vous vous souvenez --

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il y a une correction. Vous pouvez

 27   poursuivre.

 28   M. STOJANOVIC : [interprétation]


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  1   Q.  Il y a une correction pour le compte rendu d'audience, c'est pour ça

  2   qu'on s'est arrêté.

  3   Donc, est-ce que vous vous souvenez qu'il y avait des caméras présentes qui

  4   avaient enregistré ce que disait le général Mladic ?

  5   R.  Non, je n'étais pas en mesure de voir cela.

  6   Q.  Est-ce que vous avez entendu dire qu'une caméra était présente ?

  7   R.  Oui.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Stojanovic, la correction que

  9   vient d'apporter l'interprète apporte encore plus de confusion au compte

 10   rendu d'audience.

 11   Ce que j'ai entendu, c'est que le témoin dit qu'elle pouvait entendre M.

 12   Mladic, mais ne pouvait pas le voir.

 13   C'est bien cela que vous avez, n'est-ce pas ? Est-ce que vous avez dit cela

 14   ?

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 16   M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]

 17   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci bien, Monsieur le Président.

 18   Q.  Vous souvenez-vous si au cours de ces deux journées de votre séjour à

 19   Potocari l'on a distribué du pain et de l'eau en quantités limitées ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Etait-ce le premier et le deuxième jour de votre séjour à Potocari ?

 22   R.  C'était le deuxième jour de mon séjour, c'était le 13 juillet.

 23   Q.  D'après vous, quelle heure était-il, du meilleur de votre souvenir,

 24   lorsque vous avez réussi à monter à bord du véhicule pour vous rendre à

 25   Tisca et Kladanj ?

 26   R.  Je ne suis pas sûre de l'heure qu'il était, je crois que c'était dans

 27   l'après-midi. Peut-être dans l'après-midi, d'après le soleil, la position

 28   du soleil dans le ciel. Je n'avais pas de montre, je n'avais pas d'autre


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  1   manière de m'orienter, mais il faisait très chaud, mais je suivais la

  2   course du soleil. Et donc, d'après une évaluation personnelle, je pense

  3   qu'il était peut-être 13 heures ou 14 heures lorsque nous sommes montés à

  4   bord des autocars.

  5   Q.  Les membres de la FORPRONU, dans tout ceci, que faisaient-ils ?

  6   Pourriez-vous décrire aux Juges de la Chambre ce qu'ils faisaient ?

  7   R.  Vous voulez dire, pendant que nous prenions place à bord des autocars ?

  8   Q.  Avant cela et lors de l'entrée dans les véhicules.

  9   R.  Pendant toute la durée de mon séjour à Potocari, j'étais sur la route

 10   devant l'usine "Le 11 mars", usine dans laquelle je travaillais. Il y avait

 11   un blindé de transport de troupes lorsque nous sommes arrivés à Potocari,

 12   mais en réalité, lorsque nous étions déjà arrivés, les soldats de la

 13   FORPRONU nous ont dit de rebrousser chemin. Ce n'était pas, en réalité, une

 14   barricade ou un barrage. Mais c'était plutôt un ruban qu'ils tenaient,

 15   qu'ils avaient mis à cet endroit-là, et ils nous ont montré d'un geste de

 16   la main qu'il nous fallait revenir sur nos pas parce qu'il n'y avait plus

 17   de place. Il y avait beaucoup trop de réfugiés. Donc, avec mon beau-père et

 18   mon enfant, j'ai décidé de retourner dans l'une de ces usines.

 19   C'est à ce moment-là que j'ai vu un soldat qui était attaché à un

 20   blindé de transport de troupes et il y avait un soldat qui était allongé

 21   sur le blindé de transport de troupes. Je ne savais pas ce qui se passait,

 22   mais en réalité, au cours des journées qui ont suivi, j'ai vu un soldat qui

 23   enlevait sa chemise pour la remettre à un soldat serbe. Je ne sais pas s'il

 24   était contraint de le faire ou pas, donc il enlevait son uniforme et le

 25   remettait au soldat serbe.

 26   Donc, en voyant ces images, j'ai très vite compris que ces personnes

 27   ne pouvaient pas faire grand-chose pour nous.

 28   Q.  Je vais vous interrompre quelques instants. Avez-vous reçu à quel que


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  1   moment que ce soit de la nourriture, de l'eau, des médicaments des membres

  2   de la FORPRONU ?

  3   R.  Non. Dans la partie où je me trouvais, non. Je n'ai pas vu cela. Peut-

  4   être dans l'enceinte de la FORPRONU, car il y avait des réfugiés à cet

  5   endroit-là également; mais nous, non. Dans la rue et dans les usines, non.

  6   Q.  Est-ce que vous vous souvenez si à un moment donné, s'agissant de

  7   l'endroit où vous étiez jusqu'à l'entrée dans le véhicule, vous a-t-il

  8   fallu passer entre les véhicules de la FORPRONU qui étaient là, placés

  9   presque en entonnoir sur la route ?

 10   R.  Non. S'agissant de cette foule qui se déplaçait à ce moment-là, et moi

 11   je suivais la foule alors que je me trouvais dans la rue, j'étais donc

 12   entre l'usine de zinc et le transport qui se trouvait à la droite de

 13   Srebrenica. Il y avait tellement de personnes que l'on ne pouvait rien

 14   voir. Car toutes les personnes voulaient passer ensemble, et toutes ces

 15   personnes voulaient franchir la barricade et arriver jusqu'aux autocars

 16   pour être transportés. Une panique régnait, tout le monde voulait partir.

 17   Toutes les personnes voulaient sortir de là et traverser la barricade,

 18   comme on l'appelait.

 19   Q.  Est-il exact de dire que s'agissant de ces journées de canicule -

 20   c'était l'été - donc, pratiquement parlant, est-il exact de dire que ces

 21   personnes ne pouvaient pas rester à cet endroit-là, dans ce secteur, car il

 22   y avait une menace d'épidémie à la suite de la famine et de la soif ?

 23   R.  Eh bien, vous savez, la température était très élevée, il faisait plus

 24   de 40 degrés. Je vous parle maintenant de mon expérience personnelle, et je

 25   ne sais pas si vous allez me croire, mais à aucun moment, ni moi, ni mon

 26   fils et ni mon beau-père n'avions pensé à manger. Nous n'avions pas pris

 27   l'eau, la nourriture ou les médicaments que les soldats serbes auraient pu

 28   distribuer. Nous avions simplement pris quelques gorgées d'eau d'une pompe


Page 11235

  1   que nous avons trouvée tout près d'une station d'essence. C'est ainsi que

  2   nous avons survécu.

  3   Q.  Dans le cadre d'une déposition précédente, vous avez parlé de Gavric,

  4   c'était une personne que vous connaissiez auparavant, et vous avez

  5   également évoqué un policier concernant l'année 1992. Vous rappelez-vous de

  6   cette partie-là de votre déposition ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Où avez-vous vu précisément Gavric, et qu'a-t-il fait lorsque vous

  9   l'avez vu ?

 10   R.  J'ai vu Milisav Gavric au portail de l'usine "Le 11 mars" et de l'usine

 11   de zinc. Et il n'y avait qu'une seule clôture entre les deux. C'était dans

 12   l'après-midi du 12 juillet. Il était là, debout, avec un groupe d'hommes

 13   parmi lesquels se trouvait également un oncle de mon mari. Ils se

 14   connaissaient auparavant. Il y avait également trois frères de Potocari que

 15   je connaissais et un homme de Tegari qui était chauffeur de taxi à Bratunac

 16   en temps de paix. Il y avait également - comment dirais-je ? - un entretien

 17   entre eux. Je ne sais pas de quoi ils parlaient. Je n'ai pas entendu les

 18   propos qui étaient échangés. J'étais en route pour aller chercher de l'eau.

 19   Q.  Dans le cadre de ce processus qui consistait à évacuer la population et

 20   à faire monter les personnes à bord des autocars, dans le cadre de la

 21   séparation des hommes et des femmes, est-ce que vous savez si c'était

 22   l'armée ou la police qui était là ? Est-ce que vous l'avez jamais appris ?

 23   R.  Non. Je ne crois pas qu'il s'agissait de la police, d'après ma

 24   perception personnelle. Parce que Jokic, l'homme dont j'ai parlé un peu

 25   plus tôt, lorsque j'ai vu Jokic en date du 13 juillet, lorsque je me suis

 26   dirigée vers les autobus et lorsque j'ai voulu monter à bord des autobus,

 27   il n'était pas là. Avant il était là, debout, sur la route goudronnée. Il

 28   ne parlait à personne. Il était vêtu d'une chemise bleu ciel et il portait


Page 11236

  1   un pantalon gris. Je pense que c'était un uniforme de police.

  2   Mais il y avait d'autres personnes, et les autres personnes qui étaient là

  3   lorsque l'on a procédé à la séparation des hommes et des femmes, ils

  4   portaient tous des uniformes de camouflage, donc il s'agissait là

  5   d'uniformes militaires. Qui étaient ces personnes, à qui appartenaient-

  6   elles, s'agissait-il de l'armée serbe de la VRS, s'agissait-il d'autre

  7   chose, je ne le sais pas. Nous ne pouvions pas le savoir à l'époque. Mais

  8   il s'agissait de jeunes hommes qui auraient pu être soldats. Ils étaient

  9   très jeunes. Selon certains accents en les entendant parler, nous pouvions

 10   conclure qu'ils étaient originaires de Serbie parce qu'ils parlaient

 11   l'ékavien, et personne en Bosnie ne parle de cette manière-là. C'était

 12   facile à entendre.

 13   Et lorsque je suis allée chercher de l'eau, il y a eu des jeunes

 14   hommes avec des uniformes de camouflage qui nous ont dit qu'ils étaient

 15   originaires de Valjevo. Je ne sais pas si ces données sont exactes ou pas,

 16   mais c'est ce que j'ai entendu.

 17   Q.  Et ces derniers, ils parlaient également l'ékavien ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Fort bien. J'aimerais vous demander de me dire si à quelque moment que

 20   ce soit au cours de ces deux journées lors desquelles vous avez séjourné à

 21   Potocari, si vous avez reçu des informations selon lesquelles une

 22   délégation de la population réfugiée avait pris part aux entretiens avec

 23   les dirigeants politico-militaires, discussions sur l'évacuation de la

 24   population ? Avez-vous jamais obtenu de telles informations ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Pourriez-vous nous dire, si vous le savez -- si je vous disais Camila

 27   Purkovic, Nesib Mandzic, Ibro Nuhanovic, si vous connaissiez ces personnes

 28   d'auparavant ?


Page 11237

  1   R.  La première personne que vous avez mentionnée, oui, effectivement.

  2   Cette personne travaillait à Srebrenica en temps de paix lorsque je

  3   travaillais là également. Nesib Mandzic, je le connaissais d'avant la

  4   guerre. Je pense qu'il était directeur de l'école pendant le cessez-le-feu.

  5   Et Nuhanovic était interprète dans la FORPRONU, d'après ce que j'en savais.

  6   Q.  Est-ce que vous savez ou vous a-t-on dit qu'un accord avait été conclu

  7   entre les autorités serbes et la FORPRONU selon lequel la population de

  8   Potocari serait évacuée ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Est-ce que l'on vous a dit à quelque moment que ce soit que des membres

 11   de la FORPRONU qui participaient à l'évacuation ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Je vous demanderais de regarder avec nous un extrait vidéo tourné le 13

 14   juillet.

 15   M. STOJANOVIC : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, Monsieur

 16   le Président, Messieurs les Juges, je demanderais que l'on affiche la pièce

 17   P1147. Et je vais demander à notre chère Janet de bien vouloir nous montrer

 18   notre deuxième extrait qui commence à 5 heures 46 jusqu'à 6 heures 30. Donc

 19   P46 et 6 heures 30. Il s'agit de V000-9267.

 20   [Diffusion de la cassette vidéo]

 21   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci bien. Et merci, Janet.

 22   Q.  Comme vous avez eu l'occasion de le voir à l'instant, Madame, il s'agit

 23   du 13 juillet, peu de temps après votre départ, d'après votre évaluation,

 24   de Potocari. Le policier serbe ou le soldat, ce n'est pas tellement

 25   important pour cette affaire, mais en tous les cas, il s'adresse au soldat

 26   de la FORPRONU et il dit à l'interprète :

 27   "Miki, on devrait leur d'aller - Miki - d'aller voir là-bas pour voir si

 28   quelqu'un voulait partir encore. C'est leur travail."


Page 11238

  1   Donc, Madame, j'aimerais vous demander si à quelque moment que ce soit

  2   après avoir vu cet extrait vidéo, si vous vous souvenez, si vous saviez si

  3   les membres de la FORPRONU étaient censés participer à l'organisation de

  4   l'évacuation de la population de Potocari ?

  5   R.  Non.

  6   Q.  Très bien. Merci bien. Et je demanderais que l'on visionne un extrait

  7   de la même vidéo, qui porte la cote P1147. Vidéo V000-9267, qui débute à 3

  8   minutes et qui se termine à 4 minutes, 26 secondes.

  9   Je vous demanderais de bien vouloir regarder cet extrait, et je vais vous

 10   poser quelques questions par la suite.

 11   [Diffusion de la cassette vidéo]

 12   M. STOJANOVIC : [interprétation]

 13   Q.  Je présume que vous avez eu l'occasion de voir cet extrait vidéo à

 14   plusieurs reprises jusqu'à maintenant; est-ce exact ?

 15   R.  Oui.

 16   Q.  D'après les informations que nous avons reçues de l'Accusation, il

 17   s'agit de la date du 13 juillet, tôt dans l'après-midi.

 18   Et étant donné l'endroit d'où vous êtes originaire, est-ce que vous avez

 19   reconnu l'endroit où cet extrait a été tourné, le secteur de Potocari où

 20   l'on a tourné cette vidéo ?

 21   R.  Monsieur, je connais Potocari aussi bien que moi-même. Mais je vous en

 22   prie, toutes ces vidéos qui ont été tournées ont été tournées devant

 23   l'usine du 11 mars, puis jusqu'à l'usine de batterie, la fabrique de zinc

 24   et la base de la FORPRONU. On est tous à bord de ces véhicules pour

 25   l'évacuation.

 26   Q.  Ce que je voulais vous présenter dans cette vidéo, c'est que dans cette

 27   colonne que l'on voit sur la vidéo, il y a aussi bien des femmes que des

 28   hommes, des personnes âgées que des personnes plus jeunes, des hommes et


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  1   des femmes, donc, avec leurs effets personnels, leurs affaires, des

  2   paquets. Alors, cette séquence, elle correspond à quel moment dans

  3   l'enchaînement des événements ?

  4   R.  Je sais qu'après la barrière de la FORPRONU -- je peux vous le dire,

  5   cela. Lorsque nous, nous sommes arrivés jusqu'à ce barrage, lorsque nous

  6   nous sommes assis, cette masse de personnes qui nous accompagnaient -- nous

  7   nous sommes assis de l'autre côté. Du côté gauche, il y avait ce qu'on

  8   appelait la "maison blanche". Avant la "maison blanche", il y avait le

  9   barrage. Et du côté droit, il y avait l'usine Feros et l'ancien abattoir.

 10   Et là, lorsqu'on a passé le barrage, nous sommes allés du côté droit pour

 11   monter dans les autocars, alors que tous les hommes sans exception, mon

 12   beau-père, mon beau-frère, et cetera, ont été séparés, emmenés de l'autre

 13   côté. Ils ont dit qu'ils allaient les mettre à bord d'autres autocars. Ils

 14   ont été escortés de l'autre côté d'un canal par un pont jusqu'à une maison.

 15   Donc ils ont jeté leurs sacs à dos le long de la route. Et je ne sais pas

 16   ce qu'ils leur ont dit, mais ça, j'ai pu le voir. Et les hommes ont été

 17   emmenés jusqu'à cette maison, à l'intérieur. Et ensuite, on les a emmenés

 18   ailleurs, je ne sais pas où. A ce moment-là, nous étions déjà tous à bord

 19   des autocars, et les autres étaient dans la cour de la maison ou derrière.

 20   Q.  Est-ce qu'à ce moment-là vous avez pu observer, à la date du 12

 21   juillet, donc votre premier jour à Potocari, quelle procédure avait été

 22   appliquée ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Dans la mesure où vous l'avez vu, est-ce que tous ces gens, et vous

 25   avez pu les voir sur la vidéo, ont pu emmener à bord des camions et des

 26   autocars leurs affaires, leurs effets personnels ?

 27   R.  Je ne sais pas. D'après ce que d'autres savaient, puisque je ne l'ai

 28   donc pas vu, ceux qui sont montés à bord des véhicules dans la matinée du


Page 11240

  1   13 juillet - peut-être que cette vidéo concerne cela et c'est pour ça que

  2   je ne suis pas sûre - eh bien, il est possible qu'il y ait eu des hommes

  3   âgés qui soient passés, qu'on n'a pas séparés, et il est possible qu'ils

  4   aient emmené leurs affaires. Mais nous et notre groupe, lorsqu'on est

  5   passé, ils nous ont ordonné littéralement que nous devions jeter tout cela,

  6   que nous n'en aurions pas besoin, que nous allons rejoindre notre Alija,

  7   que des lits nous attendaient.

  8   Q.  Est-ce qu'à quelque moment que ce soit vous avez vu que l'un de ces

  9   hommes qui avaient passé le barrage, comme vous l'avez dit, jetait à terre

 10   son passeport ou d'autres documents d'identité ?

 11   R.  Non. J'ai vu qu'ils jetaient leurs sacs, leurs sacs à dos, et cetera.

 12   Mais est-ce qu'il y avait des papiers, des documents d'identité, je ne sais

 13   pas.

 14   Q.  Merci. Dites-moi à présent au sujet de ce que vous avez déjà abordé

 15   dans les procès antérieurs au cours desquels vous avez déposé. Est-ce que

 16   vous vous souvenez de ce qui s'est passé lorsque cette colonne était en

 17   route, cette colonne de réfugiés, et qu'elle passait à travers Bratunac ?

 18   Est-ce que vous vous rappelez si la population locale vous menaçait, vous

 19   adressait des menaces, des insultes ? Est-ce qu'on sentait que ces gens

 20   éprouvaient de la haine envers vous, ceux qui étaient dans la rue ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Est-ce que cela s'est répété lorsque vous êtes passée par Milici ?

 23   R.  Non.

 24   Q.  Est-ce que vous vous souvenez si ceci s'est également produit lorsque

 25   vous traversiez Vlasenica ?

 26   R.  Lorsque j'ai traversé Vlasenica, l'autocar s'est arrêté à un moment

 27   donné. Nous ne savions pas ce qui était en train de se passer. Il y avait

 28   une panne, il fallait en fait remplacer un pneu. Et pendant que nous étions


Page 11241

  1   à l'arrêt à cet endroit-là, personne ne s'est approché de nous. Il y a deux

  2   personnes qui sont venues. Je ne sais pas de qui il s'agissait, mais l'un

  3   d'entre eux est entré par la porte de l'autocar et a donné à un enfant

  4   trois pommes qui n'étaient même pas arrivées à maturité, elles n'étaient

  5   pas de taille normale, elles n'étaient pas mûres. Mais ils ne nous ont rien

  6   fait à cet endroit, à Vlasenica. Lorsque la panne a été réparée, nous avons

  7   poursuivi en direction de Kladanj.

  8   Q.  Est-ce que dans les véhicules ou autour de ces véhicules, il y avait

  9   des représentants et des membres de la FORPRONU qui l'escortaient, ce

 10   convoi ?

 11   R.  Eh bien, il y avait une grande colonne devant notre autocar, un long

 12   convoi. Il n'y avait personne en face de notre autocar. Je dirais donc

 13   qu'il y avait de très nombreux autocars. En tout cas, lorsque moi j'ai été

 14   à bord de l'un d'entre eux, il n'y avait aucune escorte à bord de notre

 15   autocar. Et j'ai même dit qu'à deux ou trois endroits, ils nous ont

 16   arrêtés, que les soldats serbes nous ont arrêtés, qu'ils sont montés à bord

 17   de l'autocar en exigeant des devises, ils nous menaçaient de nous égorger,

 18   de nous tuer. Les femmes qui avaient encore quelque chose leur ont donné ce

 19   qu'ils demandaient. La première fois qu'ils nous ont arrêtés, c'était à

 20   Kravica. Et plus tard, ils nous ont arrêtés encore une fois. La troisième

 21   fois lorsqu'ils ont essayé de nous arrêter, le chauffeur s'est arrêté et il

 22   a dit aux soldats : "Ecoutez, c'est déjà la troisième fois qu'on est

 23   arrêté. Ces gens n'ont plus rien à vous donner."

 24   Q.  Et à quel moment ou à quelle heure vous êtes-vous arrêté à Kravica, si

 25   vous vous en souvenez ?

 26   R.  Eh bien, je ne sais pas. Kravica n'est pas très loin, mais je ne suis

 27   pas sûre de l'heure que cela pouvait être. Je ne sais pas combien de temps

 28   cela a pris de Potocari à Kravica.


Page 11242

  1   Q.  Mais vous seriez peut-être d'accord pour dire que c'était pendant

  2   l'après-midi du 13 juillet ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Compte tenu de tout ce que vous aviez vécu pendant ce trajet, est-ce

  5   que vous étiez vraiment en mesure de percevoir que l'état d'esprit de la

  6   population de Bratunac à l'égard des réfugiés du convoi était animé

  7   vraiment par une très grande haine et un désir de vengeance ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Lorsque vous êtes arrivée au-delà Tisca, que vous êtes sortie des

 10   véhicules et que vous vous êtes mise en route à pied vers Kladanj, est-ce

 11   que vous avez remarqué le moindre véhicule de la FORPRONU sur place ?

 12   R.  Non, je n'en ai pas vu. J'ai simplement vu de part et d'autre de la

 13   route des soldats qui nous montraient la direction à suivre. Ils nous ont

 14   dit de ne pas quitter la route. Ils nous ont forcés à porter ceux qui ne

 15   pouvaient pas marcher, à porter les vieillards et les personnes épuisées ou

 16   qui étaient trop faibles, alors que nous étions tous déjà tellement épuisés

 17   que nous pouvions à peine tenir sur nos jambes.

 18   Q.  Je voudrais maintenant -- merci. Je voudrais -- et nous nous approchons

 19   de la fin. Je voudrais demander l'affichage du document numéro 1D84. C'est

 20   un extrait de l'ouvrage "Chaos planifié" rédigé par Ibran Mustafic. Nous

 21   allons en voir un passage.

 22   M. STOJANOVIC : [interprétation] Je voudrais que nous affichions la page

 23   suivante tant en B/C/S qu'en anglais. C'est le dernier paragraphe qui nous

 24   intéresse.

 25   Q.  Pendant que nous en attendons l'affichage, voici ma question : savez-

 26   vous qui est Ibran Mustafic ?

 27   R.  Oui.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Stojanovic, nous avons une bonne


Page 11243

  1   habitude ici qui consiste à d'abord explorer s'il y a de la part du témoin

  2   la moindre connaissance du sujet qui vous intéresse avant de lui présenter

  3   un document. Donc vous devriez d'abord demander au témoin si elle est

  4   familière de ce que vous entendez lui présenter, parce que si ce n'est pas

  5   le cas, il n'y a absolument pas lieu de lui présenter quoi que ce soit. Je

  6   vous prie de vous conformer à cette instruction.

  7   M. STOJANOVIC : [interprétation] Je le ferai, Monsieur le Président, et je

  8   crois que j'ai commencé en posant la question de savoir qui était Ibran

  9   Mustafic.

 10   Q.  Je vais essayer d'abréger et je vais vous demander, Madame le Témoin,

 11   s'il serait exact de dire qu'il était député lors de la première

 12   législature de cette assemblée législative de ce Parlement de la Bosnie-

 13   Herzégovine avant la guerre et après les premières élections multipartites,

 14   et ceci, pour le SDA, le Parti de l'Action démocratique ? Est-ce que vous

 15   le savez ?

 16   R.  J'ai entendu dire qu'il avait été député à l'assemblée, mais je ne sais

 17   pas. Parce que je ne sais rien sur les autorités. C'est quelque chose que

 18   j'ai entendu dire.

 19   Q.  Est-ce que vous savez que ces jours-là, il se trouvait également à

 20   Potocari ?

 21   R.  Oui.

 22   Q.  Avez-vous eu l'occasion de le voir à Potocari ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Je vais maintenant vous donner lecture de ce passage tout à fait

 25   significatif, puis je vais vous demander --

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Non, Maître. Vous devez d'abord poser au

 27   témoin la question de savoir si le témoin a la moindre connaissance du

 28   sujet que vous souhaitez aborder, et ce n'est que si elle vous répond par


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  1   l'affirmative qu'il est approprié de présenter un texte au témoin. Peut-

  2   être que ce sera même nécessaire si le témoin sait beaucoup de choses à ce

  3   sujet.

  4   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci pour ce rappel.

  5   Q.  Madame le Témoin, est-ce que vous savez que lors de ce processus de

  6   séparation des hommes en âge de porter les armes à Potocari, est-ce que

  7   vous savez, donc, s'il y a eu à quelque moment que ce soit de ce processus

  8   présence de Camila, Nesib Mandzic et Nuhanovic ?

  9   R.  Non.

 10   Q.  Est-ce qu'à quelque moment que ce soit pendant la journée du 13

 11   juillet, vous les avez vus, l'un d'entre eux, à proximité de l'endroit où

 12   l'on procédait à la séparation des hommes en état de porter les armes ?

 13   R.  Non.

 14   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci. Monsieur le Président, dans ce cas-

 15   là, je crois que je n'ai pas besoin de présenter ce document au témoin. Il

 16   est toujours affiché dans le prétoire électronique en tant que document

 17   avec une cote 1D.

 18   Q.  Je vais maintenant me contenter de conclure ma déposition. Madame le

 19   Témoin, après tous ces événements tragiques, est-ce que vous êtes revenue

 20   vivre dans la localité où vous viviez avant la guerre ?

 21   R.  Non.

 22   Q.  Est-ce que le département chargé des personnes réfugiées et déplacées

 23   vous a apporté une solution et a permis que vos biens vous soient restitués

 24   ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Avez-vous réussi, au moins partiellement, à remettre en état vos biens

 27   immobiliers ?

 28   R.  Oui.


Page 11245

  1   Q.  Est-ce que vous avez fait l'objet de dons à cet effet qui vous ont

  2   aidée à remettre en état vos biens, vos propriétés ?

  3   R.  Oui.

  4   Q.  Et actuellement, vous vivez avec votre famille hors de Srebrenica,

  5   n'est-ce pas ? Vous ne vivez pas à Srebrenica, mais à l'extérieur de la

  6   ville ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Est-ce que vous vous êtes inscrite comme résidente à Bratunac, et est-

  9   ce qu'aux dernières élections, vous avez été inscrite sur la liste

 10   électorale de Bratunac ?

 11   R.  Non.

 12   Q.  Où avez-vous exercé votre droit de vote ?

 13   R.  A Sarajevo -- plus précisément, à Vogosca.

 14   Q.  Est-ce que la population, les habitants de votre village, tels qu'ils y

 15   habitaient avant la guerre, ont recouvré leurs biens ?

 16   R.  Oui.

 17   M. STOJANOVIC : [interprétation] Merci, Madame le Témoin. Je n'ai pas

 18   d'autres questions à vous poser. Encore une fois, excusez-moi si par l'une

 19   ou l'autre de mes questions, je vous ai amenée à vous remémorer tous ces

 20   événements.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Harbour, est-ce qu'il y a des

 22   questions supplémentaires ?

 23   Mme HARBOUR : [interprétation] Non, Monsieur le Président.

 24   [La Chambre de première instance se concerte]

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Puisque les Juges de la Chambre non plus

 26   n'ont pas de questions à vous poser, Madame Malagic, je souhaiterais à ce

 27   stade vous remercier vivement d'avoir fait un aussi long chemin pour venir

 28   jusqu'à La Haye et répondre à toutes les questions qui vous ont été posées


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  1   par les parties. Les Juges de la Chambre sont tout à fait conscients de la

  2   difficulté qu'il y a à devoir se remémorer les événements survenus au mois

  3   de juillet 1995. La Chambre en est pleinement consciente. Par conséquent,

  4   je vous renouvelle mes remerciements encore une fois et vous souhaite un

  5   bon retour chez vous.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Je voudrais profiter de cette occasion pour

  7   vous remercier, pour remercier cette Chambre de première instance et le

  8   Tribunal de La Haye dans son ensemble, ainsi que cet Etat qui nous a donné

  9   la possibilité d'exprimer au moins en partie ce qui nous est véritablement

 10   arrivé, qui nous a permis de présenter dans une certaine mesure la

 11   situation dans laquelle non seulement ma famille, mais des milliers

 12   d'autres personnes se sont retrouvées, des personnes qui ont perdu tous

 13   leurs biens, leurs familles, leurs enfants, les personnes qui sont restées

 14   seules, qui sont restées sans le moindre espoir ni la moindre volonté de

 15   vivre.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Vous avez été citée à la barre pour

 17   apporter votre concours aux Juges de la Chambre dans l'élucidation de la

 18   vérité. Je vous remercie encore une fois. Vous pouvez suivre Mme

 19   l'Huissière.

 20   [Le témoin se retire]

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Il n'est peut-être pas nécessaire de

 22   faire une pause, parce que je crois savoir qu'il n'y a pas d'autre témoin

 23   prévu. Avant de lever l'audience, je souhaiterais consigner au compte rendu

 24   d'audience deux points.

 25   Premièrement, la requête de la Défense du 13 mai portait sur l'octroi d'un

 26   délai de 18 jours avant de répondre à la 26e requête de l'Accusation en

 27   application de l'article 92 bis, ce qui reviendrait à proroger le délai en

 28   question jusqu'à demain, 17 mai. Il est, par conséquent, fait droit à cette


Page 11247

  1   requête.

  2   Deuxièmement, je souhaitais consigner au compte rendu d'audience le fait

  3   que les Juges de la Chambre ont relevé ce qui suit : à partir du 1er juin

  4   2013, la présente Chambre de première instance siégera cinq jours par

  5   semaine en attendant qu'il soit statué quant à la requête de la Défense aux

  6   fins d'un réaménagement du calendrier des audiences.

  7   Monsieur Groome.

  8   M. GROOME : [interprétation] Concernant le commentaire de la Chambre qui

  9   vient d'être fait, à savoir d'un régime de cinq jours d'audience par

 10   semaine, cela aura des conséquences sur le calendrier, et l'Accusation

 11   apprécierait grandement d'être informée dès que possible si cela entraîne

 12   des modifications dans le calendrier des audiences.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. La Chambre est en train de se

 14   pencher sur la requête de la Défense aux fins d'aménagement du calendrier

 15   des audiences, et dès que nous aurons pris une décision finale ou que nous

 16   aurons opté pour une décision interlocutoire, nous vous le ferons savoir

 17   immédiatement.

 18   M. GROOME : [interprétation] Merci.

 19   Concernant la déposition du Témoin Zlatan Celanovic, en page 11 109 du

 20   compte rendu d'audience, la Chambre a demandé ce qu'il en était de ce qui

 21   semblait être une erreur dans le compte rendu pendant la déposition du

 22   témoin au cours du procès Popovic, déposition dont la transcription a été

 23   versée sous la cote P1451 en l'espèce. La Chambre a posé la question au

 24   sujet d'une phrase apparaissant dans l'original de cette transcription, en

 25   page 6 635, correspondant à la page 11 du compte rendu d'audience en

 26   question, ligne 23, et cela se lit comme suit, je cite :

 27   "Je pensais qu'il s'agissait d'une mention de la 28e Division, mais je ne

 28   savais pas où il y avait une 28e Division."


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  1   L'Accusation a vérifié l'enregistrement en B/C/S de cette transcription, et

  2   informe par la présente la Chambre que la transcription anglaise juste de

  3   ces propos devrait se lire comme suit, je cite :

  4   "Je n'ai pas mentionné de 28e Division, et je ne savais pas qu'il y avait

  5   même une 28e Division." Alors, je ne sais pas si les Juges de la Chambre se

  6   satisferont de la façon dont les choses sont présentées par l'Accusation,

  7   ou si la Chambre souhaiterait qu'une vérification soit faite.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si la Défense veut bien donner son

  9   accord quant à la juste compréhension de cette transcription de la

 10   déposition du témoin, s'il y a là une erreur et que les parties sont

 11   d'accord au sujet de cet accord, si elles sont d'accord pour dire que

 12   c'était la lecture qu'il convenait d'en avoir, la Chambre sera tout à fait

 13   disposée à entendre la confirmation de la part des parties et acceptera la

 14   chose en l'état. En tout cas, ceci rétablit la logique de la phrase. Quant

 15   à savoir si c'est absolument exact ou non, c'est une autre question. Au

 16   moins, c'est logique.

 17   M. STOJANOVIC : [interprétation] Je pense que c'est bien le cas, mais

 18   permettez-moi, puisque c'est mon confrère Me Lukic qui posait les questions

 19   à ce témoin, permettez-moi peut-être de lui en faire part et de nous mettre

 20   d'accord avec l'Accusation afin de vérifier ceci, et je vous informerai du

 21   résultat rapidement.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. La Chambre peut-elle avoir un

 23   retour de la part des parties sous sept jours.

 24   Nous ne siégerons pas demain. Nous allons donc lever l'audience

 25   d'aujourd'hui. Et nous reprendrons nos débats mardi, 21 mai, à 9 heures 30

 26   du matin, et franchement, je ne sais pas si ce sera en salle d'audience

 27   numéro I ou numéro III. On m'informe que ce sera en salle d'audience numéro

 28   III. L'audience est donc levée.


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  1   --- L'audience est levée à 13 heures 45 et reprendra le mardi 21 mai 2013,

  2   à 9 heures 30.

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