Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le jeudi 18 juillet 2013

  2   [Audience publique]

  3   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 9 heures 33.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes.

  6   Madame la Greffière, veuillez, je vous prie, citer le numéro de l'affaire.

  7   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges.

  8   Il s'agit de l'affaire IT-09-92-T, le Procureur contre Ratko Mladic.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière, je vous remercie.

 10   La Chambre a été informée du fait que l'Accusation souhaiterait évoquer un

 11   point à titre préliminaire.

 12   M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président, bonjour.

 13   Bonjour, Messieurs les Juges.

 14   Comme vous le savez, nous avons terminé hier sans pour autant proposer un

 15   versement au dossier de pièces connexes pour ce qui est du Témoin M.

 16   Obradovic, et si vous le souhaitez je pourrais le faire à présent.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

 18   M. McCLOSKEY : [interprétation] L'enregistrement audio que nous avons

 19   écouté est la pièce 1711A, on m'a informé du fait que la version sous-

 20   titrée n'avait pas été révisée. Et il y a une meilleure version au prétoire

 21   électronique qui accompagne cette pièce à conviction, ce qui fait que vous

 22   allez avoir un enregistrement audio ainsi qu'une transcription révisée.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et le numéro c'est le même ou c'est un

 24   autre numéro ?

 25   M. McCLOSKEY : [interprétation] C'est le 1711A.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] C'est celui-là que vous voulez verser au

 27   dossier.

 28   M. McCLOSKEY : [interprétation] En effet.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y a-t-il des objections ?

  2   [Le conseil de la Défense se concerte]

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si ce n'est pas le cas, je vais demander

  4   à Mme la Greffière de nous donner une cote.

  5   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce document 1711A recevra la référence

  6   P1789, Messieurs les Juges.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En tant que tel sera admis au dossier.

  8   M. McCLOSKEY : [interprétation] Si maintenant je descends du regard le long

  9   de la liste, je constate qu'il y a des pièces connexes qui ont été versées,

 10   d'autres qui ont été présentées pour versement par la Défense, et il en

 11   reste quelques-uns.

 12   D'abord, le premier document à mentionner c'est le 29084.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Suivant.

 14   M. McCLOSKEY : [interprétation] 29085.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 16   M. McCLOSKEY : [interprétation] 29086.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 18   M. McCLOSKEY : [interprétation] 29087.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 20   M. McCLOSKEY : [interprétation] 04170.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 22   M. McCLOSKEY : [interprétation] 05407.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 24   M. McCLOSKEY : [interprétation] 19003.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 26   M. McCLOSKEY : [interprétation] 24767.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

 28   M. McCLOSKEY : [interprétation] 24880.


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Suivant.

  2   M. McCLOSKEY : [interprétation] Et le dernier, 25168.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Y a-t-il des objections ?

  4   M. LUKIC : [interprétation] Monsieur le Juge, je n'ai pas sur moi ce

  5   classeur avec les documents. Donc…

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais alors suggérer la chose

  7   suivante. Vous allez vous pencher sur le fait de savoir s'il y a des

  8   objections ou pas; et entre-temps, Mme la Greffière va peut-être nous

  9   préparer une liste de cotes à affecter, et ces dix numéros seront d'ores et

 10   déjà réservés pour cela, et nous allons entendre M. Lukic pour décider du

 11   versement.

 12   [La Chambre de première instance et la Greffière se concertent]

 13   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Messieurs les Juges, les numéros

 14   réservés seront P1790 jusqu'à P1799 inclus.

 15   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Ces cotes-là sont réservées pour les

 16   pièces connexes.

 17   Y a-t-il d'autres questions à soulever ? Si vous avez autre chose, et si je

 18   me penche sur les estimations de temps, il sera nécessaire, il me semble,

 19   que le témoin suivant devra terminer son témoignage dès aujourd'hui.

 20   Est-ce que votre témoin suivant est déjà disponible ?

 21   M. McCLOSKEY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président. Je me suis

 22   entretenu avec hier et ce témoin est prêt.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. L'Accusation va donc citer à

 24   comparaître, me semble-t-il, Mme Ibrahimefendic ?

 25   Mme HASAN : [interprétation] Oui. Bonjour, Messieurs les Juges. Bonjour à

 26   tous et à toutes dans le prétoire. Je confirme que le témoin est prêt.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Faites donc entrer le témoin dans le

 28   prétoire.


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  1   [La Chambre de première instance se concerte]

  2   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Madame.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que vous ne commenciez à

  6   témoigner, je vous informe que le Règlement demande ou nécessite une

  7   déclaration solennelle, dont le texte vous est tendu par l'huissière de la

  8   Chambre.

  9   Alors, je vous demande d'en donner lecture.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 11   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 12   LE TÉMOIN : TEUFIKA IBRAHIMEFENDIC [Assermentée]

 13   [Le témoin répond par l'interprète]

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir.

 15   Madame, vous allez d'abord être interrogée par Mme Hasan qui est la

 16   représentante du bureau du Procureur, elle est à votre droite.

 17   Veuillez commencer, Madame Hasan.

 18   Interrogatoire principal par Mme Hasan :

 19   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame. Bonjour à nouveau au Tribunal pénal

 20   international. Je vous demande de nous dire votre nom et prénom pour le

 21   compte rendu.

 22   R.  Teufika Ibrahimefendic.

 23   Q.  Est-il exact de dire que vous avez déjà témoigné devant ce Tribunal à

 24   l'occasion de quatre procès précédents : l'affaire Krstic, le 27 juillet

 25   2000; l'affaire Plavsic en décembre 2002; et dans l'affaire Tolimir en

 26   février 2011; et en dernier, dans l'affaire Karadzic, le 22 mars 2012. Est-

 27   ce que tout ceci est exact ?

 28   R.  Oui.


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  1   Q.  Est-ce que vous pouvez nous confirmez que vous avez récemment eu

  2   l'occasion de réécouter votre témoignage dans l'affaire Krstic ?

  3   R.  Oui, je l'ai réécouté.

  4   Q.  Et vous souvenez-vous du fait de vous être entretenue avec moi pour ce

  5   qui est du souhait formulé par vous portant sur un rectificatif que vous

  6   souhaitiez apporter à la page 5 830 du compte rendu d'audience, où l'on a

  7   consigné que vous avez déclaré, aux lignes 7 et 8, je cite :

  8   "Mais il n'y a pas une seule famille à Zvornik, par exemple, qui n'aurait

  9   pas eu 20 hommes de la famille à être disparus."

 10   Vous vouliez dire, en fait, que vous avez donné un exemple de familles où

 11   20 hommes étaient considérés comme étant disparus, mais que ça ne se

 12   rapporte pas à la totalité des familles de Zvornik, et ça ne veut pas dire

 13   que dans chaque famille de Zvornik, il y a 20 hommes qui sont considérés

 14   comme étant disparus.

 15   Est-ce que c'est la correction que vous souhaiteriez apporter ?

 16   R.  Oui, et lorsque j'ai réécouté hier, il y a eu une autre phrase qui

 17   disait que dans une famille il y avait 20 personnes disparues.

 18   Mais le contexte de la question était celui-ci; l'un des Juges m'avait

 19   demandé s'il y avait eu des traumatismes de vécus par d'autres familles en

 20   Bosnie-Herzégovine, et j'ai dit qu'il y en avait. Et j'ai parlé de Zvornik,

 21   et j'ai dit que dans une famille il y avait 20 disparus, mais que ce

 22   n'était pas comme, par exemple, pour ce qui est du cas des familles de

 23   Srebrenica. C'est ce que je voudrais ajouter. Autrement, je suis d'accord

 24   avec le rectificatif qui a été apporté.

 25   Q.  Merci. Si l'on prend en considération les rectificatifs que vous venez

 26   de nous dire, et gardant à l'esprit le fait que votre témoignage dans cette

 27   affaire Krstic se rapportait aux connaissances qui étaient les vôtres

 28   concernant les conditions dans lesquelles se trouvaient les femmes et les


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  1   enfants qui ont survécu aux événements de Srebrenica, et que tout ceci

  2   aussi, ça se rapportait à ce que vous saviez en l'an 2000, peut-être

  3   pourriez-vous nous confirmer que votre déposition dans l'affaire Krstic se

  4   trouve être conforme à la vérité et précis aux meilleures de vos

  5   connaissances ?

  6   R.  Oui. C'est ce que je savais au sujet de mes patients en l'an 2000,

  7   enfin de mes clients en l'an 2000. Et c'est ce que j'ai raconté.

  8   Q.  Si aujourd'hui on venait à vous poser les mêmes questions sur les mêmes

  9   sujets, est-ce que vous diriez aux Juges de cette Chambre-ci la même chose,

 10   compte tenu du fait aussi que ce que vous avez raconté c'est ce que vous

 11   saviez en l'an 2000, n'est-ce pas ?

 12   R.  Oui.

 13   Mme HASAN : [interprétation] Messieurs les Juges, il serait habituel que de

 14   demander un versement au dossier du témoignage préalable du témoin dans

 15   l'affaire Krstic, qui est la pièce 65 ter 29099. Mais je garde à l'esprit

 16   votre décision datée du 1er juillet, où instruction est donnée de remettre à

 17   plus tard le versement au dossier d'un témoignage jusqu'à l'achèvement du

 18   témoignage du témoin dont il s'agit.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, c'est clair, et c'est consigné au

 20   compte rendu.

 21   Vous pouvez maintenant continuer.

 22   Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, je vais d'abord donner

 23   lecture d'un petit résumé de son témoignage antérieur.

 24   [La Chambre de première instance se concerte]

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, mais avant que de le faire, Madame

 26   Ibrahimefendic, est-ce que vous êtes bien installée dans le siège où vous

 27   vous trouvez ? J'ai l'impression que vous ne vous êtes pas installée de

 28   façon confortable ?


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  1   LE TÉMOIN : [interprétation] Ecoutez, je vais essayer de m'installer pour

  2   de mon mieux. Ça va maintenant.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous avez des difficultés

  4   pour ce qui est de garder votre siège à la même position ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, pas à présent.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maintenant, on peut commencer.

  7   Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, je vais donc donner

  8   lecture d'un bref résumé.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

 10   Mme HASAN : [interprétation] Mme Teufika Ibrahimefendic est une

 11   psychothérapeute qui a traité des femmes et enfants traumatisés par la

 12   guerre. A partir de 1994, elle a travaillé pour le compte d'une

 13   organisation multidisciplinaire s'appelant Vive Zene, spécialisée en

 14   matière de traitement des victimes de la guerre, et qui s'est penchée sur

 15   les cas de centaines de femmes et enfants traumatisés par les événements de

 16   juillet 1995 à Srebrenica. Le témoin en question a déjà témoigné au sujet

 17   des effets de ces traumatismes sur les victimes de Srebrenica.

 18   Ceci met un terme à mon résumé.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci. Vous pouvez poser d'autres

 20   questions si vous le souhaitez.

 21   Mme HASAN : [interprétation]

 22   Q.  Madame Ibrahimefendic, j'aimerais que nous couvrions un peu le contexte

 23   des choses depuis 2000.

 24   Depuis que vous avez témoigné dans cette affaire Krstic, est-il exact de

 25   dire que vous avez continué à exercer votre métier de psychothérapeute ?

 26   R.  Oui.

 27   Q.  Et lorsque vous étiez coordinateur psychosocial dans cette organisation

 28   Vive Zene, est-ce que vous sauriez nous dire quelles sont les fonctions que


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  1   vous accomplissez dans cette organisation ?

  2   R.  En sus des activités en matière de psychothérapie, je suis aussi

  3   coordinateur en matière de formation et d'éducation du personnel qui

  4   travaille avec ces femmes. Et il y a formation d'autres professionnels, des

  5   intervenants sociaux, des psychologues, des policiers, et ainsi de suite.

  6   Q.  Alors, cette organisation Vive Zene, est-ce que ça continue à toucher

  7   un financement de la part de la Commission européenne et du ministère

  8   néerlandais des Affaires étrangères ?

  9   R.  Oui. La Communauté européenne; le ministère néerlandais a cessé de

 10   financer. Mais nous recevons un financement de la part d'une organisation

 11   suisse, puis une autre organisation en Norvège, le PNUD pour ce qui est des

 12   victimes des tortures. Ce sont, pour l'essentiel, des donations qui nous

 13   parviennent de la part de ces organisations et de ces pays-là.

 14   Q.  Bien. Est-ce que cette organisation Vive Zene depuis l'an 2000 est

 15   devenue plus active pour ce qui est de son travail en matière de soins à

 16   apporter aux personnes touchées par ces traumatismes, s'agissant des

 17   victimes de Srebrenica, niveau communal ?

 18   R.  Oui. A compter de 1994, depuis notre organisation, nous avons vaqué à

 19   des soins individuels pour ce qui est des patients. Mais cela fait déjà à

 20   peu près dix ans que nous travaillons de façon intense au niveau de la

 21   communauté. Parce que ce n'est pas seulement au niveau des groupes, mais

 22   aussi des familles que nous intervenons. Nous avons élargi nos activités

 23   sur des groupements autres. Il n'y a pas que des femmes qui sont victimes

 24   de violence, il y a des victimes de torture.

 25   Notre équipe s'est accrue, nous avons une équipe multidisciplinaire qui

 26   compte 16 personnes, dont six psychologues, trois pédagogues, nous avons un

 27   médecin, des infirmières et des employés en matière d'activité sociale.

 28   Et une partie de nos activités consiste à faire du lobbying pour les


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  1   activités déployées au niveau de la communauté pour ce qui est de la

  2   modification de textes de loi, et ainsi de suite.

  3   Q.  Mis à part vos tâches de coordination et de gestion, est-ce que vous

  4   avez continué à exercer votre métier de psychothérapeute, à soigner des

  5   patients ?

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais la question a déjà été posée et une

  7   réponse y a déjà été apportée.

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est…

  9   Mme HASAN : [interprétation]

 10   Q.  Excusez-moi, nous n'avons pas entendu votre réponse jusqu'au bout.

 11   Vous avez dit, "Oui…" et puis vous vous êtes interrompue.

 12   Est-ce que vous voulez bien finir votre réponse, s'il vous plaît ?

 13   R.  Mais c'est là ma tâche principale, elle consiste à soigner des

 14   patients. C'est mon rôle primordial dans l'organisation de Vive Zene.

 15   Q.  Et êtes-vous toujours un membre de l'Association européenne des

 16   psychothérapeutes ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Etes-vous toujours un membre de l'association européenne qui réunit des

 19   thérapeutes spécialisés en méthode Gestalt ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Ai-je raison d'affirmer -- excusez-moi. Je vais reformuler ma question.

 22   Est-ce que vous travaillez toujours avec des victimes d'appartenance

 23   ethnique serbe aussi bien que bosniaque ? Je parle des victimes de guerre.

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Et au cours de ces 13 dernières années, avez-vous apporté vos soins aux

 26   femmes qui souffraient du syndrome de Srebrenica ?

 27   R.  Oui, en effet.

 28   Q.  Et ces femmes que vous avez soignées et qui souffraient du syndrome de


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  1   Srebrenica, est-ce qu'elles se trouvent toujours dans cet état

  2   d'incertitude tel que vous l'avez décrit dans votre déposition précédente ?

  3   R.  Depuis ma déposition en 2013 [comme interprété], il y a eu de nombreux

  4   changements tant sur le plan des traumatismes individuels qu'au niveau des

  5   traumatismes collectifs.

  6   A partir de 1995, autrement dit dès le moment où j'ai commencé à travailler

  7   avec des femmes qui ont été hébergées à Tuzla après avoir été chassées de

  8   Srebrenica, j'ai pu relever de grandes différences entre les différents

  9   individus. Mais au fond, on peut dire que ce traumatisme de départ, qui

 10   était caractérisé par la panique, par l'angoisse, par un sentiment

 11   d'incertitude, est suivi d'un sentiment de confusion, d'un manque de

 12   compréhension vis-à-vis de ce qui s'est produit, mais entre-temps de

 13   nombreux changements ont survenu.

 14   Ce qui s'est produit à Srebrenica en 1995 était le traumatisme de départ,

 15   mais entre-temps les victimes ont traversé tout un processus tant sur le

 16   plan individuel et intime, tant sur le plan collectif, au niveau de la

 17   communauté.

 18   Depuis ma déposition en 2000, je me suis concentrée surtout sur les

 19   symptômes individuels présentés par différentes femmes parce que ce dont

 20   elles se plaignaient le plus souvent c'était justement ces symptômes

 21   qu'elles ne comprenaient pas et auxquels elles n'arrivaient pas à faire

 22   face.

 23   Q.  Madame Ibrahimefendic, permettez-moi de vous interrompre. Vous avez

 24   évoqué des femmes qui souffrent du syndrome de Srebrenica, et nous parlons

 25   des femmes qui n'ont toujours pas retrouvé leurs proches, parce que leurs

 26   restes n'ont pas encore été identifiés, alors est-ce que vous pourriez nous

 27   décrire plus particulièrement quel est l'état dans lequel ces femmes-là se

 28   trouvent ? Quelle est leur condition actuelle ?


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  1   R.  Mais justement, j'étais sur le point d'en parler. En ce moment, la

  2   caractéristique principale de leur traumatisme est le deuil et la

  3   souffrance à cause de l'absence de leurs proches dont les restes n'ont pas

  4   encore été retrouvés. Les recherches de leurs restes sont toujours en

  5   cours. Il faut dire que presque 8 000 personnes n'ont pas retrouvé les

  6   corps de leurs proches en Bosnie-Herzégovine. Donc les réactions

  7   caractéristiques pour leur traumatisme sont surtout celles du deuil et de

  8   regret, et le problème c'est que le deuil véritable ne peut pas commencer

  9   avant que les corps ne soient trouvés. Et quand je parle du "deuil

 10   véritable", je parle en fait d'une forme de rétablissement. Même s'il faut

 11   dire qu'un grand nombre de femmes ont appris à vivre avec leurs symptômes,

 12   elles se sont résignées à la vie qu'elles mènent, mais cela ne veut pas

 13   dire qu'elles ne souffrent pas au quotidien.

 14   Q.  Sur la base des observations que vous avez pu faire lors des

 15   traitements que vous avez prodigués à ces femmes, est-ce que vous pourriez

 16   nous décrire brièvement quelle est leur vision de l'avenir.

 17   R.  Quand on parle de leur santé psychologique et physique, ce qui présente

 18   la plus grande difficulté c'est justement les persuader à présenter leur

 19   vision de l'avenir. L'impression qui se dégage c'est qu'elles sont

 20   incapables de visualiser l'avenir parce que pour elles tout est lié au

 21   deuil, aux pertes, aux souffrances, aux maladies qui sont présentes au sein

 22   de leur famille, par exemple, il est très difficile pour elles d'établir un

 23   écart par rapport au traumatisme d'origine. Parce que quel que soit le

 24   désir des médecins ou des thérapeutes de leur permettre d'établir une

 25   certaine distance par rapport au traumatisme d'origine, c'est très

 26   difficile pour elles de s'en écarter et de s'orienter vers l'avenir, et de

 27   comprendre que l'avenir a un sens. Elles ont un sentiment qu'elles n'ont

 28   pas encore recueillies toutes les informations, qu'elles n'ont pas encore


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  1   saisi toute la vérité sur ce qui s'est passé. Elles ressentent un besoin

  2   d'être soutenue par les autres membres de la communauté, elles ressentent

  3   un besoin aigu de compréhension et de la reconnaissance de la souffrance

  4   qu'elles ont vécue. Elles ont besoin de tisser des liens de confiance.

  5   Elles ont beaucoup de problèmes dans leur rapport avec les autres. Elles ne

  6   font confiance à personne. Elles ont des problèmes dans leurs contacts avec

  7   les autres. Et un certain nombre de femmes ont du mal à survivre soi-même.

  8   Donc, tout ce processus traumatique n'est pas encore terminé, et pour

  9   elles, il est extrêmement difficile d'envisager l'avenir.

 10   Q.  Lorsque vous avez déposé dans l'affaire Krstic, vous avez expliqué que

 11   ces femmes avaient reçu des certificats de décès pour leurs parents, et

 12   qu'au moment qu'elles recevaient ces certificats, elles étaient re-

 13   traumatisées, pour ainsi dire, qu'elles faisaient des pas en arrière dans

 14   le traitement, mais qu'en même temps, à ce moment-là, elles pouvaient

 15   entamer la période du deuil proprement dit.

 16   Pourriez-vous nous expliquer si le processus du deuil est le même après le

 17   moment où le certificat de décès a été reçu, et si ce processus à partir de

 18   ce moment-là se transforme en un processus de deuil normal, normal dans le

 19   sens où il serait comparable à une situation où on perd un parent ou un

 20   proche dans la vie de tous les jours ?

 21   R.  La question des personnes portées disparues est une question difficile,

 22   non seulement en Bosnie-Herzégovine, mais dans le monde entier. Lorsqu'une

 23   personne est portée disparue et qu'il n'y a aucune information quant à

 24   l'endroit où elle se trouve, bien sûr, on se sent sur pression pour

 25   retrouver la personne disparue. Mais une fois que les restes post mortem

 26   ont été retrouvés, une fois que les analyses ADN ont été effectuées, un bon

 27   nombre de personnes ne parviennent toujours pas à croire que leurs proches

 28   ont été retrouvés, et c'est pourquoi il est difficile de dire que leur


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  1   processus de deuil est un processus normal ou habituel.

  2   Le fait est, pourtant, qu'un certain nombre de femmes, qui ont réussi à

  3   retrouver les corps de leurs proches, manifeste un certain soulagement.

  4   Donc, d'une part elles manifestent un soulagement, mais d'autre part, elles

  5   font preuve d'une immense tristesse et d'incrédulité. Elles ne parviennent

  6   pas à croire que, par exemple, ce sont les ossements de leurs enfants qui

  7   ont été retrouvés.

  8   Donc, parler d'un deuil normal comparable à une situation, par

  9   exemple, où on doit faire face à la mort d'un parent de 80 ans, n'est pas

 10   possible. Parce que dans des situations de ce type, on fait face à la perte

 11   comme faisant partie du cours normal de la vie. Or, cela est impossible à

 12   envisager dans le cas des personnes portées disparues, parce qu'il reste

 13   toujours des soupçons, il reste toujours de nombreuses questions qui se

 14   posent et auxquelles la personne traumatisée ne peut pas fournir de

 15   réponse; est-ce que leurs proches ont été torturés, est-ce qu'ils ont été

 16   seul au moment où ils ont trouvé la mort ? Est-ce qu'ils souffraient de

 17   faim ? Est-ce qu'ils souffraient de soif, et cetera. Donc les circonstances

 18   précises du décès pèsent comme un fardeau sur l'esprit des femmes

 19   traumatisées.

 20   Mais toujours est-il que dès le moment où le corps a été retrouvé,

 21   elles commencent à ressentir un soulagement parce que cela leur permet au

 22   moins d'aller au cimetière, ce qui leur donne le sentiment d'être en

 23   contact physique avec leurs proches, et elles disposent à partir du moment

 24   où les restes ont été retrouvés dans un endroit où elles peuvent se sentir

 25   physiquement proches des personnes qu'elles ont perdu, et c'est un

 26   soulagement apporté à leur tristesse.

 27   Q.  Vous avez évoqué des femmes ayant perdu des enfants, vous avez dit, en

 28   fait, que ces enfants avaient été portés disparus. Mais vous avez également


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  1   parlé des enfants qui ont survécu aux événements de Srebrenica lors de la

  2   déposition que vous avez fournie dans l'affaire Krstic.

  3   Treize ans plus tard, comment se portent ces enfants, est-ce qu'ils doivent

  4   toujours faire face à des difficultés ?

  5   R.  Ces enfants sont en voie de développement. Au cours de leur

  6   développement, ils ont pu bénéficier d'un soutien, l'occasion leur a donné

  7   d'apprendre beaucoup de choses différentes, et ces enfants ont pu

  8   développer une personnalité normale, pour une partie.

  9   Mais ces enfants ont le sentiment qu'il y a quelque chose qui manque dans

 10   leur vie, que dans leur vie il existe un gouffre qui ne peut jamais être

 11   comblé. Et ce n'est pas parce que ces enfants n'ont pas eu la chance de se

 12   développer dans des circonstances plus ou moins normales. La raison pour

 13   laquelle ces enfants ont de tels sentiments, c'est que leurs parents ont

 14   été traumatisés. Dans leur cercle de famille, on n'arrêtait pas de parler

 15   du passé, si bien que ces enfants-là, ensemble avec leurs parents, vivent

 16   dans le passé. Et si un enfant passe son temps à écouter ses parents dirent

 17   qu'ils se sentent sans ressources et incapables de faire quoi que ce soit,

 18   et impuissants, alors les enfants se sentent responsables de sortir leurs

 19   parents de ce sentiment d'impuissance.

 20   Si bien qu'ils ressentent une certaine confusion quant à leur identité. Un

 21   autre type de difficulté auquel ils doivent faire face, c'est qu'il n'est

 22   pas toujours suffisamment question des événements qui se sont produits. Les

 23   enfants sont incapables de reconstruire les événements eux-mêmes, parce

 24   qu'ils ne savent pas ce qui s'est passé au mois de juillet 1995. Mais si on

 25   parle de ces choses-là, cela leur faciliterait la situation si, par

 26   exemple, on leur disait de quelle façon on s'occupait d'eux, de quelle

 27   façon on leur donnait à manger, de quelle façon on se débrouillait pour les

 28   habiller. Mais on ne fournit même pas ces éléments les plus essentiels aux


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  1   enfants, si bien qu'ils se trouvent dans un espace vide, et ils sont

  2   incapables de comprendre la situation.

  3   Et ce qui est particulièrement visible chez des enfants de ce groupe, c'est

  4   que leurs parents les protègent beaucoup trop d'un côté, et d'autre part,

  5   les enfants manifestent un souci permanent pour leur mère, comme si c'était

  6   à eux de s'occuper de leur mère, comme si c'étaient eux des adultes alors

  7   que la mère c'était l'enfant.

  8   Et c'est un phénomène qui est particulièrement prononcé dans les

  9   familles où un fils a trouvé la mort et un autre a survécu. Donc si la mère

 10   passait tout son temps à pleurer et à parler de son fils disparu, pendant

 11   que le fils qui a survécu aux événements la regardait faire, souvent il

 12   avait un sentiment de culpabilité parce que leur mère était déprimée et

 13   triste et ne fournissait pas aux enfants le soutien dont ils avaient besoin

 14   pour se développer, le soutien qu'ils auraient reçu dans une famille

 15   normale.

 16   Q.  Madame Ibrahimefendic, je vais maintenant vous poser une question plus

 17   concrète, depuis la déposition que vous avez fournie dans l'affaire Krstic,

 18   vous avez pu suivre le développement d'un certain nombre d'enfants, vous

 19   avez pu les regarder grandir. Est-ce que l'absence de parents masculins,

 20   l'absence de leur père, de leurs oncles, de leurs frères, comme vous venez

 21   de le dire, a eu un impact sur leur développement ?

 22   R.  J'avais eu la possibilité de suivre - et je peux dire maintenant

 23   d'ailleurs que la situation traumatique de base est la même - mais je

 24   dirais qu'il y a eu un développement dans des directions différentes. Je

 25   dirais qu'on aurait eu l'impression que le développement était normal, si

 26   on regardait en tant que non-spécialiste. Mais de tels enfants ont une

 27   image de soi qui est très, très différentes ainsi qu'une vision du monde

 28   qui est très différente, en plus de leur vision des autres. En privé, ils


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  1   disent qu'ils n'ont pas énormément d'estime de soi. Ceci dit, il y a des

  2   différences. Il y en a qui sont introvertis et très, très attachés à la

  3   famille; tandis que d'autres s'éloignent du foyer et de la famille, ces

  4   derniers recherchent un soutien auprès d'autres personnes.

  5   Il y a aussi les enfants qui sont des délinquants, des enfants qui avaient

  6   perdu certains membres de leur famille. Récemment nous avons effectué des

  7   recherches et, sur un total de 33 enfants délinquants, neuf avaient déjà

  8   montré un comportement délinquant. Mais lorsque je travaillais avec eux, en

  9   fait ils m'ont dit : "Mon père avait été porté disparu" ou "Mon père a été

 10   tué." C'est vraiment la chose dont ils sont conscients en premier lieu,

 11   c'est ce qu'ils mentionnent comme problème avant même que je ne pose la

 12   question. Et, par conséquent, il est difficile de prévoir ce qui va leur

 13   arriver. Il y a certains chercheurs qui travaillent là-dessus, y compris

 14   des collègues à moi. Mais pour procéder à une évaluation, je dirais que

 15   pour l'instant c'est totalement impossible.

 16   Je peux vous donner un exemple. J'ai travaillé avec un étudiant en

 17   ingénierie électrique, il était très jeune lorsqu'il est arrivé à

 18   Srebrenica avec sa mère et ses trois sœurs. Il a demandé de l'aide. Il a un

 19   bon sens de l'humour et même face à une situation grave il trouve de

 20   l'humour, mais il a recherché de l'aide puisqu'il avait du mal à passer des

 21   examens. Il avait parfois des difficultés lors d'un examen oral, par

 22   exemple, et il se demandait pourquoi. Parfois il avait aussi des

 23   difficultés avec des examens écrits, mais il pensait que la plupart de ses

 24   pairs ne ressentaient pas la même peur face à un examen écrit. Mais lui il

 25   avait les mains qui transpiraient, des palpitations lorsqu'il était face à

 26   un examen écrit, et il a souvent échoué justement à ces examens écrits.

 27   Nous avons eu plusieurs sessions ensemble, et la dernière fois il a dit :

 28   "Je suis en état de chaos et je connais très bien la théorie du chaos."


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  1   Moi-même j'étais perturbée et il m'a donné une explication, il m'a dit :

  2   "C'était lorsque j'étais là, c'est lorsqu'on m'a poussé dans le bus et

  3   lorsque ma mère a hurlé de l'autre bout du bus, elle me cherchait."

  4   Cela veut dire que dans le cadre de mon travail je ne suis qu'au stade de

  5   l'enquête. Ça fait partie du travail psychothérapeute, chaque patient doit

  6   arriver à un moment où il a une idée de la raison pourquoi les choses lui

  7   arrivent. Et à partir du moment où il a créé ce lien avec son passé, cette

  8   image qu'il m'a décrite qui était tellement convaincante, cette image du

  9   bus, de la foule, de lui qui paniquait, il l'a appelée le chaos. Et

 10   beaucoup de mes patientes me disent la même chose, elles parlent du chaos.

 11   Donc grâce à cet exemple, je peux vous expliquer de quoi il s'agit.

 12   Je pourrais citer d'autres exemples, mais j'ai pensé à celui-ci en

 13   particulier.

 14   Q.  Que pouvez-vous nous dire en ce qui concerne le désir des enfants, des

 15   jeunes adultes, des femmes, leur désir de reprendre la vie à Srebrenica ?

 16   R.  Leur problème psychologique, de leur point de vue, eh bien, ces

 17   personnes souhaitent y retourner et reprendre leur vie d'un côté. Mais de

 18   l'autre côté, il y a un refus d'y retourner. Dans un état de traumatisme,

 19   il y a beaucoup de contradictions et il y a souvent une situation où les

 20   gens sont tirés entre deux extrêmes. D'un côté, il y a un désir très fort,

 21   et en même temps, il y a de la peur et une réticence, une résistance à

 22   l'idée d'y retourner, c'est comme s'il y avait deux personnes. On pourrait

 23   même dire, du point de vue psychologique, qu'il y a deux personnes. Une qui

 24   souhaite vraiment retourner à la vie antérieure, qui inclurait toutes les

 25   personnes avec lesquelles elles avaient passé des bons moments de la vie.

 26   Mais en même temps, elles connaissent très bien la situation, et l'autre

 27   partie d'elles-mêmes souffre énormément. Donc il y a un certain

 28   déséquilibre, il y a une interruption de la vie de Srebrenica.


Page 14657

  1   Quand on parle de traumatisme, c'est une discontinuation de la vie. On a du

  2   mal à reprendre. Et il est même dans certains cas impossible de reprendre

  3   la vie là où on l'a quittée. Elles doivent continuer à vivre en regardant

  4   l'avenir. Mais en fait, en réalité, c'est comme si leur vie s'était figée à

  5   un moment donné. Elles sont en vie, certes, mais elles n'ont pas vraiment

  6   de conscience de la vie, elles n'ont aucun plaisir dans la vie. Elles sont

  7   physiquement présentes, mais en fait elles vivent dans le passé, elles

  8   appartiennent au passé. Elles n'arrêtent pas d'y retourner. Et néanmoins on

  9   est maintenant en 2013. Comment est-ce qu'on peut voir cette situation de

 10   ce point de vue-là ? Si on repense à 1995 ou à 1992, comment est-ce qu'on

 11   peut intégrer de telles expériences pour qu'elles deviennent partie

 12   intégrante de votre vie, de votre expérience de vie, ce qui vous permet de

 13   recommencer, mais au même endroit où vous êtes né.

 14   C'est très difficile. Et beaucoup de personnes de Srebrenica se trouvent

 15   ailleurs, elles n'y retournent que pour les vacances en été, et très

 16   souvent il y a des anciens clients qui viennent nous voir. Ils nous parlent

 17   de leur vie aux Etats-Unis, en Nouvelle-Zélande. Ces personnes parlent,

 18   certes, mais je crois qu'à l'exception de ceux qui avaient vraiment suivi

 19   un traitement psychothérapeutique, car une personne ne peut pas faire face

 20   seule à ce genre de traumatisme, ce n'est possible qu'en contact avec

 21   d'autres, grâce à une communication. Donc ces émotions difficiles, ces

 22   sentiments terrifiants doivent prendre la forme de mots, de paroles, avec

 23   la personne qui écoute, qui les accepte. Et c'est seulement dans ce cas-là

 24   qu'on peut s'attendre à ce que la personne soit capable de retourner à

 25   l'endroit dont elle a été chassée.

 26   Et je rajoute quelque chose. Cela ne concerne pas que Srebrenica. Ça

 27   concerne tous les survivants qui ont laissé derrière eux leur cœur pendant

 28   la guerre.


Page 14658

  1   Q.  Madame Ibrahimefendic, j'ai quelques questions supplémentaires, dont

  2   une qui est très brève. Je vais vous demander d'y répondre de façon

  3   concise.

  4   Vous venez de nous dire qu'il y avait des femmes qui recevaient un

  5   traitement. Est-ce que vous pouvez nous confirmer s'il y a un certain

  6   nombre de femmes -- ou en fait, est-ce que votre organisation peut traiter

  7   absolument toutes les femmes qui en ont besoin suite aux événements de

  8   Srebrenica.

  9   R.  Bien sûr que non. Mais il y a de plus en plus de personnes qui sont

 10   formées à l'intérieur de la communauté pour reconnaître les symptômes de

 11   Srebrenica afin d'éviter qu'il y ait un déni de ce genre de traumatisme.

 12   Les gens savent maintenant où s'adresser pour trouver de l'aide pour ces

 13   personnes. Parce que tout le monde pense que c'est une condition médicale

 14   et qu'il faut faire appel à des médecins pour qu'il y ait un diagnostic

 15   psychiatrique du trouble de stress post-traumatique. Mais ce n'est pas le

 16   cas. Ce ne sont pas des malades. Ce sont des patients psychiatriques qui

 17   ont des problèmes, mais qu'on peut traiter. Donc notre organisation ne peut

 18   pas traiter absolument tout le monde. Néanmoins, nous augmentons notre

 19   capacité, le volume de notre travail, et nous formons et supervisons

 20   d'autres, et nous donnons instructions à certaines personnes qui peuvent

 21   ensuite s'adresser aux institutions appropriées.

 22   Il y a certaines personnes qui ne souhaitent pas qu'on les aide, donc ils

 23   n'y croient pas.

 24   Q.  Dernière question, en ce qui concerne ces femmes et ces enfants et les

 25   survivants de Srebrenica, sur la base de vos observations, comment est-ce

 26   que ces personnes ont réussi à renouer des liens à l'intérieur de leur

 27   communauté ?

 28   R.  D'après mon expérience, et d'après mes observations professionnelles,


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  1   je dirais la chose suivante : à partir de 2003, lorsqu'on a commencé à

  2   enterrer les dépouilles à Srebrenica, au fur et à mesure du temps, leur

  3   condition psychologique est passée par des hauts et des bas, du point de

  4   vue psychologique et aussi physique, en fait. Par exemple, il y a une

  5   période où il y a notification d'identification d'un cadavre, et elles sont

  6   obligées de se rendre sur place pour identifier la dépouille et accepter

  7   qu'il s'agit de la personne portée disparue. Ensuite il y a la préparation

  8   à l'enterrement, ensuite il y a la période de rituels, de rites. Lorsque

  9   ces femmes arrivent, elles commencent par leur histoire, ce qui s'est passé

 10   dans leur famille directe ou indirecte, et dans la plupart des cas, elles

 11   parlent de la mort.

 12   Et puis il y a l'autre partie qui n'est pas toujours visible, elles

 13   continuent à vivre, elles ressentent parfois du bonheur, de la joie, elles

 14   sourient, mais la mort est omniprésente. Mais tant qu'il y a un petit

 15   enfant qui naît. Il y a néanmoins un deuil parce qu'il y a ceux qui ne sont

 16   pas présents, et on a tendance à dire, Ils auraient pu le voir. Donc il y a

 17   quelque chose qui manque.

 18   Je n'arrête pas de leur offrir de la vie, et leur réponse est toujours la

 19   mort, si je puis m'exprimer ainsi.

 20   Mme HASAN : [interprétation] Je n'ai plus de questions, Monsieur le

 21   Président.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Hasan.

 23   Je pense que le mieux serait de faire la pause maintenant plutôt que de

 24   démarrer immédiatement le contre-interrogatoire.

 25   Madame Ibrahimefendic, nous allons faire une pause de 20 minutes. Nous vous

 26   invitons à revenir après la pause, et à ce moment-là la Défense va procéder

 27   à son contre-interrogatoire. Je vous demande d'accompagner l'huissière.

 28   [Le témoin quitte la barre]


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous allons revenir à 10 heures 50.

  2   --- L'audience est suspendue à 10 heures 27.

  3   --- L'audience est reprise à 10 heures 52.

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-on faire entrer le témoin dans le

  5   prétoire, s'il vous plaît.

  6   [La Chambre de première instance se concerte]

  7   [Le témoin vient à la barre]

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic, vous allez

  9   maintenant être contre-interrogée par Me Lukic. Me Lukic est le conseil de

 10   M. Mladic, et il se trouve à votre gauche.

 11   Contre-interrogatoire par M. Lukic :

 12   Q.  [interprétation] Bonjour, Madame Ibrahimefendic.

 13   R.  Bonjour.

 14   Q.  Je me propose d'abord de vous demander si le bureau du Procureur de ce

 15   Tribunal vous aurait demandé de rédiger un rapport d'expert par écrit pour

 16   le besoin de cette affaire ?

 17   R.  Non.

 18   Q.  On ne vous a pas demandé de rédiger un rapport pour ce qui est des

 19   besoins de votre témoignage dans l'affaire Tolimir non plus, n'est-ce pas ?

 20   R.  Non.

 21   Q.  Est-ce que vous seriez disposé à rédiger un rapport par écrit ?

 22   R.  Pour être tout à fait sincère, je ne comprends pas quel pourrait être

 23   l'objectif d'un rapport. Je pense avoir suffisamment fourni d'éléments dans

 24   mon témoignage. Alors, pouvez-vous d'abord m'expliquer pour quelles raisons

 25   me demanderait-on de le faire, et à quelles fins, pour le compte de qui ?

 26   Q.  Bien, merci. Mais si on vous expliquait la chose, vous seriez disposée

 27   à rédiger un rapport, n'est-ce pas ?

 28   R.  C'est très volontiers que j'accepterais de rédiger un rapport de


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  1   concert avec mes collègues, faire en sorte que ce soit un rapport du centre

  2   de réhabilitation et de thérapeutique à dispenser aux patients de Vive

  3   Zene, parce que je fais partie d'une équipe multidisciplinaire, plutôt que

  4   de le faire moi-même. J'estime que tout membre de l'équipe devrait

  5   intervenir; le psychiatre, le médecin, le pédagogue. Enfin, je crois que

  6   chacun a un rôle à jouer, et ça serait ce type de rapport que je

  7   préfèrerais accepter comme mission.

  8   Q.  Merci. D'après ce que j'ai cru comprendre, partant de ce que vous nous

  9   avez dit, vous estimez que toute seule vous ne seriez pas à même

 10   d'expliquer la situation dans son intégralité.

 11   R.  Non, ce n'est pas cela. Je pourrais expliquer la situation dans son

 12   intégralité, je pourrais donner mon opinion partant de l'expérience qui est

 13   la mienne concernant mon travail. Mais, je dois dire que cela devrait être

 14   un rapport qui présenterait plusieurs dimensions différentes. Mon rôle

 15   serait probablement le plus grand, mais j'aimerais que ce soit une approche

 16   multidisciplinaire.

 17   Parce que les traumatismes qui sont survenus après ces événements

 18   catastrophiques et qui est généré par des personnes, c'est un processus

 19   très compliqué, ce qui fait qu'il faudrait intégrer le plus possible de

 20   professionnels afin de fournir une image d'ensemble, une image de la

 21   totalité des événements, des processus qui se produisent au niveau

 22   individuel, au niveau du groupe, au niveau de l'ethnie, au niveau de la

 23   communauté, ainsi de suite. Et je crois que cela aiderait grandement ce

 24   Tribunal.

 25   Q.  Bon. Merci. S'agissant de votre témoignage dans l'affaire Krstic, c'est

 26   quelque chose qui a été à la mesure et applicable à la situation d'il y a

 27   13 ans, mais on ne pourrait pas dire aujourd'hui que la situation est la

 28   même maintenant qu'il y a 13 ans de cela. Etes-vous d'accord avec moi pour


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  1   le dire ?

  2   R.  Je serais d'accord pour ce qui est des souffrances individuelles, et

  3   dans ce sens-là, mais tout à fait, parce que le temps qui s'est écoulé a

  4   donné lieu à d'autres problèmes. Vu que nous sommes en train de parler de

  5   personnes traumatisées, nous ne pouvons pas donc prendre ceci en

  6   considération comme s'il s'agissait d'un seul événement qui s'était produit

  7   à un moment donné. Ce qui importe, c'est aussi ce qui se passe après.

  8   Q.  C'est justement la question que je voulais vous poser.

  9   R.  Oui, ce qui vient après, c'est-à-dire les séquences qui suivent --

 10   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Excusez-moi, je vais vous interrompre

 11   pour un instant.

 12   Monsieur Lukic, je voudrais dire que 80 % de l'interrogatoire principal se

 13   rapportait au sujet de ce qui avait changé depuis l'an 2000. Alors quelle

 14   est la finalité de ce que vous avez demandé pour savoir si quelque chose

 15   avait changé ? Alors concentrons-nous sur la question. Mais c'est plus ou

 16   moins ignorer ce que le témoin a déjà dit à ce sujet, parce qu'il y a

 17   beaucoup de choses qui ont changé, alors comment cela a changé, et

 18   apparemment il faudrait que cela soit au centre de gravité des questions

 19   que vous avez à poser.

 20   Alors si vous vous centrez sur les questions au sujet des changements,

 21   bien. Mais si quelque chose a changé, je voudrais que ce soit une chose

 22   découlant de l'interrogatoire principal.

 23   Continuez, je vous prie.

 24   M. LUKIC : [interprétation] Mais si vous le permettez, Monsieur le

 25   Président, j'aimerais expliquer pourquoi j'ai posé cette question, parce

 26   que dans le témoignage de l'affaire Krstic il devrait y avoir une analyse

 27   d'expert et il nous appartiendra de décider pour ce qui est de l'expertise

 28   à la fin de ce témoignage. Et ce que je pose comme question, c'est le


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  1   témoignage qui a été fait dans l'affaire Krstic qui est encore valide

  2   aujourd'hui.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais vous avez demandé si quelque chose

  4   a changé, et les choses ont changé. Alors si vous avez des questions

  5   concrètes, pas de problème à évoquer, mais, Monsieur Lukic, je ne vous

  6   demande pas de poser une question que l'on a déjà entendue et où on a

  7   entendu la réponse pendant déjà 35 à 40 minutes.

  8   Veuillez continuer.

  9   M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge.

 10   Q.  Madame, dans l'affaire Krstic vous avez témoigné et dit qu'à Srebrenica

 11   et Potocari on avait mis de côté des garçons et qu'on les avait séparés des

 12   femmes. Par exemple, des garçons de l'âge de 10 ans. A votre avis, et

 13   quelles sont les informations que vous avez, combien ont-ils été, ces

 14   garçons de 10 à 16 ans que l'on a séparés de leurs mères à Potocari ?

 15   R.  Je ne sais pas, je n'ai pas ce renseignement. Je n'ai eu l'occasion de

 16   travailler qu'avec quelques-uns qui en ont parlé, mais je n'ai pas disposé

 17   de cette information-là.

 18   Q.  Est-ce que vous possédez une information qui dirait combien de garçons

 19   il y avait eu de cet âge-là à se déplacer aux côtés de cette colonne

 20   d'hommes en armes ?

 21   R.  Non, je ne le sais pas.

 22   Q.  Au procès Krstic, et même aujourd'hui vous l'avez mentionné, cette

 23   impossibilité de procéder à un retour à Srebrenica. Est-ce qu'aujourd'hui

 24   la situation est différente ?

 25   Q.  Lorsque nous parlons du retour, nous entendons par là un retour dans le

 26   sens psychologique du terme. Parce que tous ceux qui avaient souhaité

 27   retourner chez eux sont confrontés à un dilemme. Ils sont devant un

 28   carrefour. Une partie d'eux-mêmes voulait revenir, et une autre partie ne


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  1   voulait pas. Et c'est à mon avis plus un problème psychologique que cela

  2   n'est un problème de construction de maisons, de reconstruction

  3   d'agglomérations, et ainsi de suite.

  4   Q.  Oui, mais le retour c'est quand même une notion assez exacte, n'est-ce

  5   pas ? Si on retourne là-bas et si on y habite, la psychologie n'a plus

  6   grand-chose à y voir.

  7   Je vais vous poser ma question : aujourd'hui, qui est-ce qui exerce le

  8   pouvoir dans Srebrenica ?

  9   R.  Pour autant que j'ai eu l'occasion de suivre les médias, je sais que le

 10   maire de la municipalité c'est un Bosnien. Et ça confirme ce que j'ai dit

 11   tout à l'heure. Il n'est pas l'élément qui assurerait une sécurité

 12   psychologique pour les familles qui voudraient revenir. La sécurité pour ce

 13   qui est d'y résider, dans la réalité des faits, la sécurité existe peut-

 14   être, mais c'est dans leur for intérieur que ces gens-là se sentent en

 15   insécurité.

 16   Q.  Est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire que la population

 17   majoritaire de Srebrenica aujourd'hui c'est une population bosnienne ?

 18   R.  Croyez-moi bien que je ne le sais pas, je ne connais pas la composition

 19   de Srebrenica actuellement. Je ne sais même pas combien d'habitants il s'y

 20   trouve actuellement.

 21   Dans nos activités, nous n'avons pas besoin de posséder ce type

 22   d'informations pour entamer des activités au niveau d'une communauté. Nous

 23   n'avons pas besoin d'informations relatives au nombre d'habitants. Nous ne

 24   nous servons pas de données statistiques.

 25   Q.  Est-ce qu'il est normal et acceptable de considérer que la vie à Tuzla

 26   fournit plus d'opportunités pour ce qui est d'une formation scolaire ou de

 27   la recherche d'un emploi et que c'est la principale des raisons pour

 28   lesquelles certaines personnes ne rentrent pas chez elles ?


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  1   R.  Si l'on se penche sur la question sous un aspect quelque peu différent,

  2   je ne pourrais pas être d'accord avec vous pour dire que c'est la raison,

  3   il y a plus de possibilités, plus d'écoles, plus de facultés, plus de

  4   routes, et que ce genre de choses constitueraient une raison suffisante. Il

  5   ne faut pas perdre de vue que les gens n'aiment pas retourner à un endroit

  6   où ils ont ressenti la peur.

  7   Pas même les gens ordinaires. Si on a eu un accident de la circulation, on

  8   n'aime pas passer à côté de l'endroit qui nous rappelle ce moment de

  9   faiblesse, ce moment d'impuissance de faire quoi que ce soit. Et je crois

 10   que les gens voient rejaillir leurs souvenirs traumatiques. J'en connais

 11   quelques-uns qui sont rentrés, qui sont retournées chez elles, et je

 12   connais des personnes du groupe ethnique serbe qui ne résidaient pas à

 13   Srebrenica et qui y résident actuellement. Je sais quelles sont les phases

 14   qu'ils ont dû traverser pour accepter de vivre à Srebrenica. Par exemple,

 15   ils sont originaires de Sarajevo et il y a eu une phase d'adaptation, une

 16   phase d'acceptation, et cetera. C'est une très grande différence que cela

 17   constitue que d'avoir vécu à Sarajevo et de vivre, par exemple, aujourd'hui

 18   à Srebrenica.

 19   Q.  Est-il un fait que de dire que ces gens-là ont repris une vie, ils ont

 20   trouvé un logement, les enfants vont à l'école, est-ce que ceci a pu

 21   influer sur le fait de voir quelqu'un ne pas retourner à Srebrenica ?

 22   R.  Cela peut en effet être une bonne raison parce qu'il y a des gens qui

 23   sont à l'étranger, qui sont exilés, qui ne retournent pas à Srebrenica.

 24   Mais lorsque j'ai travaillé avec ces personnes - j'ai eu l'occasion de

 25   m'entretenir avec ce genre de personnes en Suède, ce sont des personnes qui

 26   résident actuellement en Suède et qui possèdent tout ce qu'il leur faut

 27   pour une vie normale - cependant une partie de leur identité est encore en

 28   train de souffrir. Ils n'arrivent pas à oublier cet élément antérieur de


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  1   leur identité, il leur est difficile de s'intégrer dans ce nouveau milieu

  2   et de se dire : Voilà, je vis désormais ici.

  3   Q.  Excusez-moi un instant, puisqu'on en est - oui, j'attends les

  4   interprètes - puisqu'on en est sur ce sujet, mais est-ce que ce n'est pas

  5   caractéristique pour toutes les personnes qui vont vivre dans un autre

  6   pays, la nostalgie ?

  7   R.  Oui, bien sûr. La nostalgie existe, mais personne ne se fait réfugier

  8   de son plein gré. Tous sont d'accord sur ce point, enfin ceux qui se sont

  9   penchés ou qui ont étudié les traumatismes. Personne ne devient réfugié de

 10   son plein gré. Et si on décide de changer leur lieu de résidence, ça tombe

 11   sous sa propre responsabilité. Il exerce un contrôle à l'égard de sa vie.

 12   Cet individu, il a fait un choix, et les autres peuvent lui dire : "Bon, tu

 13   dois faire face à ceci. C'est ta décision", et cetera. Mais ce cas concret,

 14   le traumatisme des réfugiés, ça ne peut pas être comparé à ceci parce que

 15   le choix n'a pas été un choix délibéré.

 16   Q.  Est-ce que vous procédez à des recherches pour déterminer la différence

 17   qu'il y a entre le traumatisme d'un réfugié qui serait, par exemple,

 18   originaire de Sarajevo et un autre réfugié qui serait originaire de

 19   Srebrenica, et qui habiterait l'un et l'autre en Suède ?

 20   R.  Non. Mais je suis sûre qu'ils souffrent, les uns et les autres, chacun

 21   à sa façon.

 22   Q.  Merci. Est-il exact aussi de dire que dans les familles mêmes, il y a

 23   des différences pour ce qui est de décider de retourner ou pas ? Certains

 24   sont favorables au retour; d'autres pas ?

 25   R.  Oui. Il y a de gros débats en cours au sein des familles. Les uns

 26   voudraient revenir, notamment les personnes âgées, et les jeunes, eux,

 27   refusent. Et il y a aussi des jeunes qui souhaitent revenir, et ceci est la

 28   cause de bon nombre de conflits au sein d'une seule et même famille.


Page 14667

  1   Q.  Merci. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que les problèmes

  2   sociologiques influent aussi en grande mesure sur ce retour, le manque

  3   d'emplois, l'impossibilité de travailler, de gagner de l'argent ?

  4   R.  Je suis d'accord avec vous. Mais j'aimerais compléter, parce que si

  5   l'on se penche sur le traumatisme en tant que processus, la séquence de la

  6   transition, telle que nous la qualifions actuellement, c'est caractérisé

  7   aussi par le chômage, par l'absence de ressources pour une vie normale. Et

  8   ça aussi, ça fait partie de la définition du traumatisme dans notre

  9   contexte bosno-herzégovien. Tout en fait partie, comme les expulsions, les

 10   campements, la pauvreté, le chômage, et la séparation des différents

 11   membres de la famille, tout ceci se répercute au niveau des personnes

 12   concernées.

 13   Q.  Je pense que vous devez certainement savoir que je fais des pauses afin

 14   de permettre la traduction de tous vos propos, ce n'est pas pour une autre

 15   raison.

 16   R.  Oui, oui, bien sûr.

 17   Q.  Alors, la guerre en tant que phénomène psychologique et social, c'est

 18   quelque chose qui comporte des séquelles nombreuses à bien des points de

 19   vue, n'est-ce pas ?

 20   R.  J'ajouterais, moi, que la guerre génère des expériences traumatisantes

 21   extrêmes, ce sont des peurs extrêmes que l'ont subies. Et ça sort de

 22   l'expérience qui serait l'expérience habituelle.

 23   Q.  Etes-vous d'accord avec moi pour dire que personne dans un

 24   environnement de guerre ne saurait être épargnée de souffrances

 25   psychologiques ?

 26   R.  Je suis d'accord avec vous. Parce qu'il y a des recherches qui ont été

 27   effectuées pour montrer que ceux qui ont été observateurs, mais ceux qui

 28   sont intervenus dans la guerre et ceux qui ont été les victimes et ceux qui


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  1   ont assisté, ont tous été exposés à des traumatismes. 

  2   Q.  Alors, le traumatisme psychologique à long terme, c'est une situation

  3   dans laquelle s'est trouvée la population bosno-herzégovienne tout entière

  4   pendant les années 1990. Certaines parties de la population, plus; d'autres

  5   moins. Mais est-ce que vous êtes d'accord pour le dire ?

  6   R.  Oui, je suis d'accord. Et surtout pour l'élément certains plus, et

  7   d'autres moins. Et quand on parle de Srebrenica, on peut parler de

  8   traumatisation [phon] cumulative.

  9   Q.  Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que la guerre en

 10   Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire cette période de guerre, a généré beaucoup

 11   de haine dans les trois populations en présence ?

 12   R.  Je suis d'accord.

 13   Q.  Lors des entretiens que vous avez eus avec vos patients, avez-vous pu

 14   constater que la haine représente un sol fertile pour la vengeance, pour

 15   dépenser des actes de vengeance chez vos patients ?

 16   R.  Eh bien, au départ, je ne me servais pas du terme la haine, parce que

 17   la haine, c'est une forme particulière d'expression chez les patients. Plus

 18   tôt, j'y voyais le côté passionnel. Ils présentaient un intérêt passionné

 19   pour leur groupe ethnique. Il y avait une ligne de séparation d'établie :

 20   Nous, c'est une chose, et eux, c'en est une autre.

 21   Une grande ligne de séparation était donc tracée entre les différents

 22   groupes ethniques. Et cela nourrissait la peur et l'angoisse. Or, une

 23   personne qui a peur, une personne angoissée fera facilement une chose

 24   qu'elle ne ferait jamais lors de circonstances normales.

 25   Q.  Merci. Lors des entretiens que vous avez eus avec vos patients, vous

 26   ont-il parlé justement des actes de vengeance engagés par des Serbes contre

 27   la population musulmane de Srebrenica ?

 28   R.  Non. Il est, par ailleurs, très intéressant de constater que le mot


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  1   même de vengeance n'a été utilisé que très rarement. Est-ce que parce que

  2   les gens n'osent pas prononcer ce mot, ou est-ce que c'est parce qu'ils

  3   pensent que ce sont des sentiments qu'il faut taire et qui font partie de

  4   leur intimité, je ne le sais pas.

  5   Q.  Lors des entretiens que vous avez eus avec vos patients - et je pense

  6   notamment aux femmes et aux enfants - est-ce que vous avez appris pour

  7   quelle raison les hommes avaient décidé de faire une percée pour sortir de

  8   Srebrenica au lieu de se rendre ? Pour quelle raison avaient-ils décidé de

  9   traverser un territoire assez important qui se trouvait sous le contrôle de

 10   la VRS ? Est-ce que c'est une certaine peur qui les y a poussés ?

 11   R.  Je pense que, justement, c'est une des questions qui pèsent très

 12   lourdement sur les épaules des femmes avec qui j'ai pu m'entretenir. C'est

 13   la confusion qui régnait à l'époque, un chaos total, une incapacité de se

 14   débrouiller. Les gens fuyaient vers la base de la FORPRONU, en s'attendant

 15   à ce que la FORPRONU les protège. Or, aucune aide ne leur a été apportée,

 16   ils n'ont pas été protégés. Et ce sont des questions qui pèsent toujours

 17   très lourdement sur leur esprit.

 18   Comment toutes ces choses-là se sont-elles passées, aucune femme n'a pu

 19   fournir une réponse à cette question quand vous lui posez la question, elle

 20   a répondu : "Nous sommes allés là-bas, puis nous sommes repartis par là."

 21   Je pense que dans des situations pareilles, les gens sont simplement

 22   paniqués et les solutions qu'ils choisissent, ils ne sont pas capables de

 23   s'expliquer pour quelle raison ils les ont choisies. Mais au moment donné,

 24   ces solutions-là leur paraissaient les plus acceptables.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous poser une

 26   question.

 27   La question qui vous a été posée était la suivante : Est-ce qu'au cours des

 28   entretiens que vous avez eus avec les femmes et les enfants, vous avez


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  1   appris pour quelle raison les hommes avaient décidé de faire une percée

  2   plutôt que de se rendre.

  3   Et dans votre réponse, je n'ai pas tout à fait compris si vous parlez des

  4   décisions qui ont été prises par les femmes et les enfants, ou si vous vous

  5   concentrez sur la question posée qui, elle, porte sur les hommes et leur

  6   décision.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne peux pas me prononcer de façon décisive,

  8   voilà comment la décision a été adoptée, la plupart des femmes répétaient

  9   les propos suivants : "Allez vers Potocari, et nous allons traverser la

 10   forêt. Nous nous retrouverons à Tuzla." Donc il y a des façons différentes

 11   pour interpréter ces propos, je ne sais pas quelle est l'interprétation

 12   qu'en font les autres; c'était comme une façon de ne pas prendre de

 13   décision, ou plutôt, c'était une décision prise au pied levé. "Allez vers

 14   Potocari, nous, nous allons traverser la forêt, puis nous nous retrouverons

 15   tous à Tuzla."

 16   Voilà, c'est une phrase qui revient tout le temps et qui s'est gravée dans

 17   mon esprit. Parce que Tuzla était la ville où ils croyaient pouvoir se

 18   retrouver tous, et au moment où il fallait dire au revoir, un certain

 19   nombre d'hommes ont décidé d'accompagner les femmes vers Potocari. Mais

 20   leur femme leur disait : "Mais qu'est-ce que tu fais ? Pourquoi viens-tu

 21   avec nous ? Tu n'es pas une femme. Retourne à la forêt."

 22   Voilà, c'est tout ce que je peux vous dire à ce sujet.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Donc vous n'avez pas une réponse à

 24   fournir. Vous ne savez pas pour quelle raison les hommes ont adopté cette

 25   décision. Vous n'êtes même pas sûre si ce sont les hommes qui avaient

 26   adopté cette décision.

 27   Vous pouvez poursuivre, Maître Lukic.

 28   M. LUKIC : [interprétation]


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  1   Q.  Je vous remercie.

  2   R.  Permettez-moi d'ajouter un autre point. Toutes les femmes disent que

  3   leur mari avait très peur et qu'ils ne souhaitaient pas rester à

  4   Srebrenica. Tout ce qu'ils souhaitaient, c'était de s'enfuir.

  5   Q.  Vous venez d'ajouter que les hommes ressentaient une grande crainte,

  6   qu'ils avaient très peur, cela m'incite à revenir à ma question précédente

  7   relative à la vengeance.

  8   Pour quelle raison ces hommes avaient-ils peur ?

  9   R.  Oui, les femmes disaient que les hommes avaient très peur. Et une autre

 10   phrase qu'il convient de souligner parce qu'elles la répètent

 11   régulièrement, c'est que les hommes ne souhaitaient pas tomber entre les

 12   mains des Serbes.

 13   Q.  Lors des entretiens que vous avez eus et lorsque vous vous êtes

 14   efforcée à comprendre cette crainte ressentie par les hommes et les raisons

 15   pour lesquelles ils ne souhaitaient surtout pas tomber entre les mains de

 16   Serbes, est-ce que vous avez abordé le sujet de la 28e Division et le sujet

 17   des massacres commis à l'encontre des civils serbes sur le bord de

 18   Srebrenica ? Est-ce que vous avez abordé ce sujet en essayant de comprendre

 19   la situation ?

 20   R.  Non, je n'ai jamais abordé le sujet. Le seul sujet que j'ai abordé

 21   personnellement, et cela s'est passé lorsque je travaillais avec un groupe

 22   de femmes dont les maris se trouvaient à Srebrenica et à Tuzla. Dès 1993,

 23   c'était la FORPRONU ou quelqu'un d'autre qui les avait transportées vers

 24   Tuzla, elles se trouvaient donc à Tuzla alors que les hommes se trouvaient

 25   à Srebrenica. Et au cours de cette période, j'organisais des débats de

 26   groupe avec ces femmes deux fois par semaine. Or, moi je n'étais jamais

 27   allée à Srebrenica auparavant. J'écoutais les nouvelles qu'elles recevaient

 28   grâce aux radios amateurs, et à un moment donné on a dit que la zone de


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  1   Zeleni Jadar est tombée entre les mains des Serbes, puis que le Bataillon

  2   néerlandais s'est replié de la zone de Jadar, puis qu'il ne restait plus

  3   que 5 kilomètres entre Jadar et Srebrenica. Puis qu'il ne restait plus

  4   qu'un seul point de contrôle des Néerlandais. Puis on a annoncé la chute de

  5   Srebrenica.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Permettez-moi de vous interrompre.

  7   La question qui vous a été posée se présentait comme suit : Lors des

  8   entretiens que vous avez eus, est-ce que vous abordiez le sujet de la 28e

  9   Division et le sujet des massacres perpétrés à l'encontre des civils

 10   serbes. Et vous avez répondu : "Non, je n'ai jamais abordé ce sujet."

 11   Alors, pour commencer, est-ce que vous savez ce que c'est que la 28e

 12   Division ?

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] Croyez-moi, je n'en sais rien. J'ai appris que

 14   la 28e Division portait cette appellation, c'est un élément que j'ai appris

 15   je ne sais plus exactement à quel moment, mais tout récemment. Jusqu'à ce

 16   moment-là je ne savais pas que cette unité militaire s'appelait la 28e

 17   Divion.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre, Maître Lukic.

 19   Nous aimerions recevoir des réponses qui se rapportent aux questions

 20   posées. La question posée ne concernait pas les territoires contrôlés par

 21   les Néerlandais ou la chute de Srebrenica, mais les connaissances que vous

 22   aviez sur la 28e Division et les massacres commis à l'encontre des Serbes

 23   sur la base des entretiens que vous avez menés.

 24   Alors vous avez déjà répondu à la question dans le sens où vous avez

 25   indiqué ne rien savoir au sujet de la 28e Division. Est-ce que vous savez

 26   quelque chose au sujet des massacres perpétrés contre les Serbes ?

 27   Non loin de Srebrenica, Maître Lukic, j'imagine que c'est ça qui vous

 28   intéresse.


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  1   Donc étiez-vous au courant des massacres perpétrés contre la

  2   population serbe dans les villages non loin de Srebrenica avant la chute de

  3   Srebrenica ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Non. Je sais ce qui s'est produit après la

  5   chute de Srebrenica, mais je ne sais pas ce qui s'est produit avant.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et ces événements n'ont joué aucun rôle

  7   dans les conversations que vous avez menées avec les femmes et les enfants

  8   ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Si. Parce que j'ai posé des questions

 10   relatives à ces massacres qui ont été perpétrés parce que je voulais me

 11   faire une idée générale de tous les événements qui se sont produits dans la

 12   région pour que je puisse intervenir et permettre aux femmes de faire face

 13   à la réalité et de se faire une idée réaliste des événements qui se sont

 14   produits. Mais ces éléments, je ne les ai appris qu'après la chute de

 15   Srebrenica et après les discussions que j'ai eues avec les femmes.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et que vous ont-elles dit au sujet de

 17   ces massacres ?

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Si mes souvenirs sont bons, en parlant des

 19   massacres, elles ont expliqué qu'en fait elles se rendaient dans ces

 20   villages pour chercher de la nourriture, c'était la raison principale pour

 21   laquelle elles allaient dans ces villages voisins, et notamment à Kravica.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais cela veut-il dire qu'ils reniaient

 23   le fait que le massacre ait eu lieu ? Parce que si on va tout simplement

 24   chercher de la nourriture quelque part, ceci ne représente pas une

 25   explication suffisante, si effectivement des massacres ont survenu.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Les femmes ne pouvaient rien préciser dans les

 27   entretiens que j'ai eus avec elles. Elles disaient que des massacres

 28   avaient eu lieu mais qu'elles ne pouvaient rien préciser, qu'elles ne


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  1   savaient pas combien de personnes ont été tuées. Il y a eu des personnes de

  2   tuées, oui, mais combien, elles ne le savaient pas.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous pouvez poursuivre, Maître Lukic.

  4   M. LUKIC : [interprétation] Merci.

  5   Q.  Je vais maintenant laisser de côté ce sujet, Madame, pour vous poser

  6   une question relative aux soins que vous prodiguez.

  7   Etes-vous d'accord avec moi pour dire que vos thérapies ont été très utiles

  8   aux personnes qui se sont adressées à vous pour obtenir votre aide ?

  9   R.  Oui. Les thérapies ont été très utiles pour que les gens puissent

 10   s'apaiser, pour qu'ils s'acceptent, pour qu'ils puissent s'adapter à de

 11   nouvelles circonstances et pour devenir plus forts.

 12   Q.  Est-il vrai que vous avez aussi connu un grand succès dans le

 13   traitement des enfants ?

 14   R.  Oui. Mais j'ai une collègue qui a elle aussi passé beaucoup de temps à

 15   travailler avec des enfants et, par ailleurs, nous avons aussi des

 16   pédagogues chargés du travail en groupe avec des enfants.

 17   Q.  Les personnes qui ont demandé votre aide et qui se sont vues accorder

 18   votre aide se trouvent aujourd'hui dans une situation bien meilleure que

 19   cela n'a été le cas il y a dix ans ou 13 ans ?

 20   R.  Je suis d'accord avec vous. De nombreuses femmes ont développé de

 21   nouvelles compétences pour pouvoir faire face aux problèmes qui s'imposent

 22   au cours de la vie.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, votre question invitait le

 24   témoin à procéder à une comparaison entre quoi, entre la situation telle

 25   qu'elle était immédiatement après les événements et la situation telle

 26   qu'elle est maintenant, ou la situation telle qu'elle était avant les

 27   événements et telle qu'elle est maintenant ?

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] En fait, mon point de référence, c'est


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  1   le moment où Mme le Témoin a déposé dans l'affaire Krstic.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Bon, alors nous venons de le tirer

  3   au clair. Dans ce contexte-là, je comprends mieux la question.

  4   Vous pouvez poursuivre.

  5   M. LUKIC : [interprétation] Merci.

  6   Q.  Madame Ibrahimefendic, vous avez évoqué des problèmes auxquels ces

  7   femmes doivent faire face pendant leur vie quotidienne. Etes-vous d'accord

  8   avec moi pour dire que la communauté elle-même doit assurer des emplois,

  9   que la situation politique doit se stabiliser ? Qu'en d'autres mots, les

 10   problèmes auxquels doit faire face la population de Srebrenica sont rendus

 11   plus ardus par les conditions sociales ? Vous avez abordé le sujet il y a

 12   quelques instants mais je ne pense pas que vous ayez développé pleinement

 13   votre réponse.

 14   R.  Je suis d'accord avec vous parce que le traitement des personnes

 15   traumatisées ne commence pas et ne se finit pas dans la salle de thérapie.

 16   Si on renforce un individu et que cet individu doit ensuite s'intégrer dans

 17   une communauté où on manque les ressources de base pour vivre, alors

 18   l'assistance psychologique ne compte pas autant parce qu'il y a d'autres

 19   besoins aussi qui doivent être satisfaits : des besoins sociaux, matériels,

 20   financiers et autres. Le traitement d'un traumatisme, malheureusement, en

 21   plus, n'est pas perçu comme un problème de santé proprement dit dans notre

 22   région. Et en effet, c'est un problème qui est aussi un problème social,

 23   juridique et économique. Toutes ces conditions doivent être réunies pour

 24   assurer un rétablissement complet.

 25   Q.  Seriez-vous d'accord pour dire que la souffrance de ces femmes est

 26   aggravée par le milieu patriarchique dont elles proviennent et si elles

 27   avaient été originaires de zones urbaines où souvent les femmes se trouvent

 28   dans des contextes différents et ont un emploi, elles auraient pu y faire


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  1   face différemment et mieux ?

  2   R.  Le traumatisme affecte tout le monde de la même façon. Il s'agit d'une

  3   désintégration psychologique, et la récupération et la guérison sont

  4   individuelles. Tout dépend des ressources à l'intérieur de chaque individu.

  5   Cela dépend de ce qu'elles ont vécu avant la guerre, cela dépend de leur

  6   capacité acquise avant le traumatisme.

  7   La guérison même de personnes avec un bon niveau d'éducation peut

  8   s'avérer difficile si la capacité individuelle de chacun ne suffit pas pour

  9   s'adapter ou pour faire face à ces expériences traumatiques si difficiles.

 10   Bien sûr, c'est plus facile si on a un emploi, si on a une profession et si

 11   cette partie de la personnalité arrive à se rétablir et si on peut recréer

 12   des lieux sociaux. C'est plus facile. Néanmoins, il y a des personnes

 13   éduquées qui ont toujours des difficultés à établir des liens sociaux avec

 14   d'autres étant donné la perturbation, l'interruption qui est intervenue.

 15   Ces personnes sont toujours méfiantes, suspicieuses, sur leurs gardes,

 16   malgré leur niveau d'éducation, et ces personnes partagent des symptômes

 17   avec d'autres qui les empêchent de se sentir libres et détendues.

 18   Q.  Dans votre témoignage, vous avez également parlé de l'incapacité de ces

 19   femmes de se remarier. Est-il exact de dire que le contexte patriarchique

 20   dans lequel elles vivent exerce une certaine influence par rapport à cette

 21   question ? Et peut-on dire également qu'en Bosnie, après la guerre, il y a

 22   une véritable carence en ce qui concerne les hommes puisqu'il y en a

 23   beaucoup qui étaient décédés pendant la guerre ou qui avaient quitté la

 24   Bosnie après la guerre ?

 25   R.  Oui, c'est exact. Je l'avais déjà dit en 2000. La question du remariage

 26   est un problème qui peut exister en dehors d'une situation de guerre. La

 27   guerre ne fait qu'aggraver la situation, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas

 28   suffisamment d'hommes. Quand il y a des femmes dont des membres de la


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  1   famille sont portés disparus, ces femmes avaient du mal à trouver un mari

  2   parce qu'elles se demandent "Je suis quoi ? Je suis veuve, mais je n'ai pas

  3   été divorcée. Je suis quoi ? Quel est mon statut ?"

  4   Donc, jusqu'à ce qu'on trouve les hommes portés disparus, jusqu'à ce qu'on

  5   puisse les identifier, il y avait un problème lié au fait que la communauté

  6   patriarchique n'avait pas beaucoup d'égards pour ces femmes si elles

  7   essayaient de se remarier ou si elles essayaient de recréer un lien

  8   affectif avec quelqu'un.

  9   Q.  En fait, j'avais posé deux questions à la fois et je n'ai toujours pas

 10   eu de réponse à la deuxième partie. J'aurais dû les différencier. Donc,

 11   est-il exact de dire qu'il y a une véritable carence en hommes, soit parce

 12   qu'ils étaient décédés pendant la guerre, soit parce qu'ils avaient quitté

 13   la Bosnie ?

 14   R.  D'après les statistiques, il y a beaucoup plus de femmes que d'hommes,

 15   oui.

 16   Q.  Etes-vous d'accord lorsque je dis que le deuil suite à la perte d'un

 17   membre de la famille est un phénomène universel et s'applique à tout le

 18   pays, toute personne en Bosnie-Herzégovine ?

 19   R.  Oui. Je suis tout à fait d'accord.

 20   Q.  Vous nous avez parlé de la perte traumatisante, et vous avez dit que

 21   c'était différent par rapport à une perte prévue ou normale, par exemple,

 22   suite au décès naturel d'un parent. Seriez-vous d'accord pour dire que la

 23   perte d'un enfant en temps de paix est aussi traumatisante ?

 24   R.  Oui, oui. La perte d'un enfant en temps de paix est aussi

 25   traumatisante.

 26   Q.  Seriez-vous d'accord avec moi quand je dis que même de telles pertes

 27   traumatisantes produisent des effets post-traumatiques qui peuvent se

 28   poursuivre pendant la durée de vie d'un individu ?


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  1   R.  Oui. Certes, les conséquences de la perte d'un enfant, que ce soit en

  2   temps de guerre ou en temps de paix, peuvent provoquer des grandes

  3   différences dans la vie d'un ou des deux parents, parce que les hommes et

  4   les femmes font face à la perte de façons différentes. C'est ce qu'on a pu

  5   observer pendant la guerre aussi. Les deux passent par une période de

  6   deuil, mais la façon de montrer la souffrance et le deuil est différente.

  7   La perte d'un enfant en temps de guerre et en temps de paix peut

  8   effectivement provoquer des problèmes aussi en ce qui concerne les

  9   relations entre époux.

 10   Et cela concerne tous les enfants qui naissent et qui vivent dans une

 11   famille, et c'est quelque chose qui peut concerner toute la durée d'une

 12   vie.

 13   Q.  Les cas de rupture d'une famille après une telle perte ne sont pas des

 14   cas exceptionnels, n'est-ce pas ?

 15   R.  Non.

 16   Q.  Je vais maintenant passer aux conclusions de vos recherches.

 17   Est-il vrai de dire que les résultats de vos recherches sont plutôt d'ordre

 18   qualitatif que quantitatif ?

 19   R.  Oui. Mais nous nous appuyons aussi sur la recherche de nos collègues,

 20   les travaux de recherche coûtent cher et prennent beaucoup de temps, et

 21   c'est pour ça que nous nous appuyons également sur des recherches

 22   quantitatives effectuées par nos collègues psychiatres de la Bosnie-

 23   Herzégovine ainsi que d'autres pays.

 24   Q.  En ce qui concerne vos recherches quantifiées, il s'agit principalement

 25   de travaux sur la délinquance juvénile, n'est-ce pas ?

 26   R.  Non, non, cela n'est qu'une partie des recherches. Les recherches

 27   s'approchent de leur fin. Nous travaillons avec trois universités de Tuzla

 28   ainsi qu'avec l'Université de Basel. Il s'agit de recherches sur la


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  1   fréquence de délinquances juvéniles liées aux événements de guerre.

  2   Q.  Je pense que vous connaissez le modèle Keilson de traumatisme

  3   séquentiel tel que développé par le Dr Baker, n'est-ce pas ?

  4   R.  Oui.

  5   Q.  Pour le compte rendu d'audience, il s'agit de trauma séquentiel.

  6   R.  Oui. Il a développé un modèle pour la Bosnie-Herzégovine, et c'est lui

  7   notre superviseur.

  8   Q.  La première séquence est la situation avant le traumatisme, donc avant

  9   d'avoir le statut de réfugié, donc en vie normale, avant la guerre ?

 10   R.  Oui.

 11   Q.  Ceci est nécessaire pour nous afin que nous puissions comprendre les

 12   différences par rapport aux périodes suivantes.

 13   R.  Oui. Puisque si les gens avaient été exposés à des événements

 14   traumatisants avant la guerre, on peut s'imaginer que leur comportement

 15   sera différent en temps de guerre que s'ils n'avaient pas été exposés à de

 16   tels traumatismes, et cela peut les rendre soit plus forts, soit plus

 17   faibles.

 18   Q.  Est-ce que vous aviez des contacts professionnels avec la population de

 19   Srebrenica avant juillet 1995 ?

 20   R.  Non. Il est néanmoins important de connaître toutes les étapes de la

 21   vie d'un patient, à commencer par l'enfance, jusqu'à l'événement ou aux

 22   événements traumatisants qui ont laissé l'empreinte sur le patient, ou dans

 23   certains cas qui ont cassé ou rompu la vie du patient. Il faut avoir une

 24   image complète de la vie de cet individu, et il faut que cette personne

 25   puisse se voir aussi dans un contexte de continuité.

 26   Q.  Est-il vrai de dire que vous n'aviez pas de groupe témoin qui aurait

 27   permis d'établir les perturbations individuelles, psychiques, cognitives,

 28   chez les traumatisés par rapport à ceux qui ne sont pas traumatisés ?


Page 14680

  1   R.  Non, nous ne l'avons pas fait, mais nous nous sommes appuyés sur les

  2   recherches d'autres collègues qui avaient comparé des personnes dont un

  3   membre de la famille est porté disparu et des personnes qui n'étaient pas

  4   dans une telle situation. Il y avait aussi des personnes qui avaient

  5   retrouvé un membre de la famille décédé et qui ont pu l'enterrer, il y

  6   avait des personnes qui n'ont pas réussi à le faire. Ces derniers

  7   montraient beaucoup plus d'angoisse, avaient tendance à paniquer, étaient

  8   obsessionnels, et cetera. Ces recherches ont été effectuées l'année

  9   dernière par un collègue psychiatre, et nous y avons joué un rôle d'une

 10   certaine façon. Nous avons procédé au traitement de ces informations, mais

 11   c'est cette collègue-là qui a effectué les recherches.

 12   Q.  Je pense que nous sommes allés peut-être un peu trop loin dans votre

 13   domaine d'expertise, mais je vais essayer de m'en sortir car je ne me sens

 14   pas vraiment à l'aise. Mais le moment est venu de la pause, donc nous

 15   allons poursuivre après la pause.

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant la pause, Maître Lukic, dans votre

 17   dernière question vous avez parlé des personnes traumatisées à comparer à

 18   des personnes non traumatisées.

 19   Nous avons parlé de traumatisme avant les événements de 1995, et nous avons

 20   parlé des traumatismes qui se sont produits suite à cela. J'ai compris la

 21   réponse de la façon suivante, le témoin a compris que vous parliez de

 22   traumatisme suite aux événements, c'est-à-dire avec ou sans des membres de

 23   famille portés disparus.

 24   Est-ce que c'était cela votre intention, c'est-à-dire de comparer les

 25   différents niveaux de traumatisme suite aux événements de 1995; ou est-ce

 26   que votre question portait plutôt sur des traumatismes éventuels qui

 27   existaient déjà à ce moment-là suite à d'autres événements ?

 28   M. LUKIC : [interprétation] Nous avons déjà établi qu'à l'époque en Bosnie


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  1   il n'y avait personne qui n'était pas traumatisé, que ce soit des personnes

  2   directement impliquées dans le conflit ou non.

  3   Je pense que Mme Ibrahimefendic m'a très bien compris. Et j'ai essayé de

  4   procéder à une comparaison, ou de poser une question sur deux groupes, donc

  5   sur le groupe de Srebrenica qui avait été traumatisé, et de savoir est-ce

  6   qu'elle avait comparé ces traumatismes avec l'état de la population

  7   générale à Tuzla.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais relire.

  9   En même temps, vous dites que tout le monde en Bosnie avait subi des

 10   traumatismes. Donc poser une question ensuite en ce qui concerne la

 11   comparaison entre ceux qui avaient traumatisé et ceux qui ne l'avaient pas

 12   été, apparemment --

 13   M. LUKIC : [interprétation] Moins traumatisés.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] -- moins traumatisés par les événements

 15   de guerre.

 16   C'est de cette façon, Madame Ibrahimefendic, que vous avez compris la

 17   question ?

 18   Oui. Eh bien, c'est très clair pour moi maintenant aussi.

 19   Nous allons faire la pause. Madame Ibrahimefendic, si vous voulez bien

 20   suivre l'huissière qui vous accompagnera en dehors du prétoire.

 21   [Le témoin quitte la barre]

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic, quelle est la situation en

 23   ce qui concerne le temps qui vous reste.

 24   M. LUKIC : [interprétation] J'avance plus vite que prévu. Il me faudrait

 25   encore dix minutes --

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Dix minutes de plus.

 27   Nous allons donc faire la pause jusqu'à midi 15.

 28   --- L'audience est suspendue à 11 heures 53.


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  1   --- L'audience est reprise à 12 heures 20.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur McCloskey, la Chambre a cru

  3   comprendre que vous souhaitiez évoquer une question préliminaire. Est-il

  4   préférable de le faire maintenant ou une fois que l'on en aura terminé avec

  5   l'audition du témoignage de Mme Ibrahimefendic ?

  6   M. McCLOSKEY : [interprétation] Très brièvement, Monsieur le Président.

  7   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

  8   M. McCLOSKEY : [interprétation] On s'est entretenus avec la Défense pendant

  9   la pause et il me semble que nous allons peut-être finir avant que prévu

 10   demain, et il serait peut-être bon de nous réunir pour nous pencher sur la

 11   liste des documents marqués à des fins d'identification pour essayer de

 12   l'écourter à des fins d'activités à venir.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, et quand est-ce que vous suggérez

 14   que cela se fasse ?

 15   M. McCLOSKEY : [interprétation] Eh bien, nous imaginons que nous allons

 16   finir aujourd'hui avant 2 heures et quart, et nous pourrions nous re-

 17   réunir. Parce que nous n'avons pas de témoin, à moins que vous n'ayez autre

 18   chose à l'esprit.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Laissez-moi voir. Nous parlons de la

 20   journée d'aujourd'hui, n'est-ce pas ?

 21   M. McCLOSKEY : [interprétation] Non, non, je m'excuse, demain.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Demain. Alors, si vous parcourez

 23   ensemble la liste des documents marqués à des fins d'identification, ce

 24   sera grandement apprécié. Nous allons avoir notre liste à nous et nous

 25   allons voir ce qui pourra être biffé dès que faire se pourra.

 26   M. McCLOSKEY : [interprétation] Une dernière chose encore. Nous nous sommes

 27   entretenus avec M. Maxime Marcus pour lui demander de nous aider à résoudre

 28   le problème. On s'est entretenus avec le Département chargé des Victimes et


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  1   des Témoins, et je crois que nous arrivés à un accord. Et Mme Marcus

  2   voudrait avoir cinq minutes avant la fin de l'audition de ce jour.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais peut-être pourrions-nous le faire

  4   tout de suite, après le témoignage de Mme Ibrahimefendic, dès qu'on aura

  5   terminé son audition.

  6   M. McCLOSKEY : [interprétation] C'est bon pour nous. Je crois que ça

  7   arrange tout le monde.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, alors vous pouvez la convier ici

  9   pour une dizaine de minutes une fois qu'on aura fini.

 10   Madame Hasan, de combien de temps pensez-vous avoir besoin ?

 11   Mme HASAN : [interprétation] En ce moment-ci, je n'ai pas de questions

 12   supplémentaires.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bien, alors vous pouvez demander à Mme

 14   Marcus de venir dans à peu près dix minutes à partir du moment présent.

 15   M. McCLOSKEY : [interprétation] Je crois qu'elle est en train de nous

 16   écouter et je vais lui faire savoir la chose aussi.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Qu'on fasse entrer le témoin dans

 18   le prétoire.

 19   Entre-temps, je voudrais m'enquérir auprès de la Défense pour savoir s'il y

 20   a déjà eu des décisions au sujet des objections éventuelles s'agissant des

 21   pièces P1790 à P1799. A moins que vous ne l'ayez pas fait.

 22   M. LUKIC : [interprétation] Je n'ai pas eu le temps, Monsieur le Président.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon, alors on vous entendra sur ce point

 24   demain ?

 25   M. LUKIC : [interprétation] Certainement, oui.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, demain.

 27   [Le témoin vient à la barre]

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Monsieur Lukic, vous pouvez continuer.


Page 14684

  1   M. LUKIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  2   Q.  Lorsque nous avons parlé tout à l'heure de ce groupe de comparaison, ce

  3   groupe étalon, je pense que les choses ne sont pas tout à fait claires. Je

  4   vais donner lecture de ce qui a été consigné et je vous poserai la question

  5   pour savoir si ça a été bien compris. En page 39, lignes 18 à 21, vous avez

  6   dit, et je donnerai lecture en anglais pour que vous obteniez une

  7   traduction correcte :

  8   "Cette recherche a été faite l'année dernière par un psychiatre qui est

  9   l'un de nos collègues, et nous avons été impliqués d'une certaine façon.

 10   Nous avons étudié l'information entrante et c'est elle qui a en fait

 11   conduit ces recherches-là."

 12   Mais avant l'an dernier, vous n'aviez eu aucun groupe de comparaison ou de

 13   groupe de contrôle, étalon.

 14   R.  Non, pas nous et -- enfin, moi et mon organisation, mais d'autres

 15   psychiatres avaient eu des groupes de contrôle, des enfants de Tuzla, des

 16   enfants qui étaient de l'extérieur de Tuzla, des enfants qui avaient

 17   souffert des pertes, d'autres qui n'en avaient pas eu, de pertes j'entends,

 18   et ainsi de suite, ce qui fait que j'ai été mise au courant des divergences

 19   qu'il y avait entre les groupes de contrôle et les groupes qui avaient

 20   survécu à des situations traumatisantes.

 21   Q.  Merci.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que je peux poser une question.

 23   Ce groupe de contrôle, ça dépend de ce que vous êtes en train de

 24   rechercher, parce que pendant que vous effectuez des traitements ou

 25   procédez à des traitements, vous avez besoin d'un groupe, d'un paramètre de

 26   personnes qui sont dans une situation parallèle, qui ont été dans une

 27   situation similaire avant le traitement ou après ?

 28   Alors, est-ce que vous pouvez nous dire, Monsieur Lukic, à quoi pensez-vous


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  1   lorsque vous parlez de groupes de contrôle ?

  2   M. LUKIC : [interprétation] Oui, peut-être suis-je allé trop en largeur et

  3   peut-être devrais-je resserrer un peu mes questions au sujet de différents

  4   groupes.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Mais est-ce que quand vous parlez

  6   d'étude comparative, c'est ce que vous aviez à l'esprit ?

  7   M. LUKIC : [interprétation] Oui, beaucoup d'enfants à étudier.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon. Alors, un groupe de contrôle, mais

  9   vous n'aviez pas un concept scientifique concret à l'esprit. Est-ce que

 10   vous avez parlé de personnes qui étaient dans des situations différentes ou

 11   est-ce que vous parlez de personnes qui étaient à un âge différent au

 12   moment des événements traumatisants ? Enfin, les choses ne sont pas

 13   claires.

 14   M. LUKIC : [interprétation] Merci. Je vais essayer d'apporter des

 15   éclaircissements.

 16   Q.  Je ne voudrais pas vous déterminer les choses. Est-ce que vous pouvez,

 17   vous, nous dire quels sont les groupes de contrôle que vous avez utilisés

 18   pour les différents domaines d'intervention et quels sont les domaines

 19   d'intervention du ou de la collègue qui avait pris un groupe de contrôle il

 20   y a un an ?

 21   R.  Elle a fait des recherches pour ce qui est des symptômes -- enfin,

 22   l'objectif de ses recherches, c'était de voir quel était le niveau des

 23   différents symptômes qui se manifestent chez des personnes qui ont des

 24   membres de la famille qui ont disparu. On a pris un groupe de contrôle

 25   d'enfants qui n'avaient pas de membres de la famille qui avaient disparu,

 26   et l'autre, c'était le cas contraire. Et on a pu voir que par rapport au

 27   groupe de contrôle, il y avait plus d'états dépressifs, d'états d'anxiété

 28   et autres symptômes. C'est de cela qu'il s'agissait. C'étaient ces deux


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  1   groupes-là.

  2   Il y avait donc ce deuxième groupe où il y avait des membres de la

  3   famille qui avaient disparu qui étaient plus affectés.

  4   Q.  Merci. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi pour dire que dans vos

  5   activités vous avez ressenti de la compassion à l'égard de vos patients ?

  6   R.  Mais tout thérapeute doit avoir de la compassion et de la compréhension

  7   pour ce qui est des patients. Pas entrer dans le rôle du patient ou la

  8   situation, mais adopter une attitude rationnelle et émotionnelle pour

  9   comprendre comment la personne en question se sent. Parce que sans cela,

 10   vous ne pouvez pas intervenir et faire votre travail.

 11   Q.  Je vais vous demander la chose suivante, est-ce que vos constatations

 12   et conclusions, vous les avez fondées uniquement sur ce qu'il vous a été

 13   donné l'occasion d'entendre de la part de vos patients ? Les éléments

 14   matériels n'ont pas été vérifiés par vous, parce que vous nous avez déjà

 15   précisé que vous ne saviez pas combien de garçons on avait séparés des

 16   leurs entre -- enfin, pour ce qui est de la zone d'âge ou du groupe de

 17   garçons âgés de 10 à 15 ans.

 18   R.  Bien, écoutez, nous sommes censés faire confiance à ces gens. Nous ne

 19   sommes pas là pour déterminer les faits. Nous ne sommes pas -- moi, je n'ai

 20   pas vaqué à la détermination des faits. Je me suis penchée sur la situation

 21   psychoémotionnelle des personnes, sur les modalités suivant lesquelles ces

 22   personnes fonctionnent, à quoi elles pensent, quelles sont leurs

 23   observations, quelles sont leurs croyances, qu'est-ce qui a été modifié

 24   chez elles, qu'est-ce qui a été perturbé comme elles le disent. C'est cela

 25   l'objectif de mon travail. Ce n'est pas la détermination des faits.

 26   Q.  Je vais encore juste vous demander si parmi les femmes ou les enfants

 27   avec qui vous avez travaillé, est-ce que vous avez eu des femmes et enfants

 28   originaires de Zepa ?


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  1   R.  Oui, il y a eu plusieurs femmes originaires de Zepa. Parce que pour

  2   l'essentiel, ce sont des personnes que l'on a évacuées vers Zenica, et non

  3   pas vers Tuzla.

  4   Q.  Merci, Madame, d'avoir répondu à nos questions. C'est tout ce que

  5   j'avais à vous poser comme questions. Merci.

  6   R.  Je vous en prie.

  7   Questions de la Cour : 

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant que de demander une fois de plus à

  9   Mme Hasan si elle a des questions complémentaires, je souhaiterais poser

 10   une question de suivi s'agissant l'élément de l'établissement des faits,

 11   savoir si il y a des résultats de vos recherches qui se sont uniquement

 12   fondés sur ce que vous avez ouïe dire de la part de vos patients. Mais la

 13   question que je poserais est plus générale.

 14   En votre qualité de thérapeute, est-ce qu'il a pu se produire que ce que le

 15   patient vous a raconté suscite des doutes du point de vue de la véracité du

 16   récit du patient ?

 17   R.  Une thérapie, c'est quelque chose qui se fait à long terme. Il est un

 18   fait que les patients ont tendance à manipuler, ils racontent ce qu'ils

 19   pensent être la vérité, mais ce n'est pas forcément cela la vérité vraie.

 20   C'est leur vérité subjective.

 21   Et pour aboutir à un moment où l'on serait en mesure de se pencher de

 22   façon réaliste sur tout ce qui s'est passé, cela signifie qu'il faut pas

 23   mal de temps, et il faut que l'individu, la personne en question accepte sa

 24   responsabilité pour tout ce que cette personne a fait concernant la période

 25   dont il est question et concernant les problèmes qui sont les siens. Il

 26   faut que l'individu devienne conscient, qu'il ait un aperçu de son propre

 27   comportement afin que sa vérité subjective puisse se muer en vérité

 28   objective. Et ce n'est que de cette façon-là, si cette personne entre en


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  1   contact avec soi-même, avec ses sentiments, ses réflexions, sa perception

  2   des choses, c'est là qu'elle est à même d'établir des contacts avec les

  3   autres et établir des liens, parce que tant qu'une personne est dans son

  4   monde à soi, son monde traumatisé de peurs, d'incertitudes et de

  5   perceptions des événements propres à elles, parce qu'on dit chez nous,

  6   quand on a peur, les yeux se dilatent.

  7   Oui, les choses peuvent rester telles qu'elles chez certains

  8   patients, et ça continue à être leur réalité à elles, mais il faut les

  9   faire revenir vers la réalité vraie pour qu'ils puissent commencer à

 10   réfléchir d'une façon autre.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vais vous poser alors la question

 12   suivante. Dans l'expérience qui est la vôtre s'agissant des personnes pour

 13   lesquelles vous avez dit qu'elles ont été traumatisées par les événements

 14   de Srebrenica, est-ce que c'était chose rare ou chose fréquente que de

 15   voir, au fil du traitement, ces personnes reconnaître que les faits de base

 16   ont été perçus de façon erronées par elles, par exemple, lorsqu'il s'agit

 17   de membres de la famille qui sont considérés comme étant disparus et puis,

 18   ça s'avère être faux, qu'elles ne sont pas disparues et, par exemple, on

 19   dit qu'ils ont été transportés dans des autocars, et pendant le traitement,

 20   il s'avère que c'est une perception subjective non réaliste des choses.

 21   Alors, est-ce que ça s'est passé souvent, ou est-ce que ce sont des

 22   événements fondamentaux pour ce qui est de ces situations de traumatisme,

 23   et est-ce que ça s'est maintenu au film du traitement ? Je parle des

 24   événements au principal de ce qu'ils ont vécu.

 25   R.  Ces expériences traumatisantes, c'est quelque chose de fort pénible

 26   pour ce qui est d'être exprimé. Il est très difficile pour les individus de

 27   parler de la douleur et de la souffrance, les gens évitent de le faire. Et

 28   quand vous avez un contact avec les personnes traumatisées, vous avez des


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  1   récits qui sont partiels, qui sont interrompus par moments, intermittents.

  2   Il n'y a pas de continuité dans le récit pour refléter l'événement en tant

  3   que tel, pour ce qui est de savoir comment l'événement s'est produit

  4   vraiment.

  5   Ici, vous avez une personne qui, verbalement, arrive à exprimer sa

  6   souffrance et sa douleur, et si cette personne réussit à raconter un récit

  7   dans la continuité, nous estimons que cette personne est à même de faire

  8   face à la situation présente.

  9   Mais si l'on a que des fragments, des bribes de récits, on ne peut

 10   pas reconstituer le récit entier. Une fois que le récit est reconstitué, ce

 11   récit n'est plus si traumatisant. La personne n'a plus peur de raconter les

 12   événements tels qu'elle les a vécus.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-être n'avez-vous pas parfaitement

 14   bien compris ma question. Je ne suis pas en train de parler de la nécessité

 15   d'avoir un récit en continuité, je parle de fragments de récits qui se

 16   seraient avérés par la suite être non conformes à ce qui s'est passé

 17   vraiment, à la vérité. Je vais vous donner un exemple, si quelqu'un - ça

 18   n'a rien à voir avec ce cadre de figure - si quelqu'un a un traumatisme et

 19   si on vous dit que c'est dû parce que cette personne a été violée,

 20   j'imagine qu'il se peut qu'au fil du traitement, on en vienne à remettre en

 21   doute sérieusement ses propos ou que la personne admette elle-même qu'elle

 22   n'a pas été en réalité violée.

 23   Alors, je vous entendre nous dire si de tels événements tels que le

 24   transport en autocar de certains individus ou le fait d'avoir perdu trois

 25   membres de sa famille, est-ce qu'il vous est arrivé au fil du traitement,

 26   est-ce que c'est arrivé rarement ou est-ce que ça n'est jamais arrivé ou

 27   est-ce que ça s'est produit souvent de voir, au bout d'un certain temps,

 28   telle personne dire : "Ma nouvelle réalité, c'est que je n'ai jamais été


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  1   transporté à bord d'un autocar" ou "La nouvelle réalité, c'est que des

  2   membres de ma famille sont encore vivants; ils ne sont donc pas disparus."

  3   C'est ma question. Je ne parle pas de la continuité ou discontinuité d'un

  4   récit. Je parle d'éléments factuels concrets dont nous avons souvent

  5   entendu parler à l'occasion de ce procès. Est-ce que votre expérience est

  6   de nature à montrer que la véracité du récit au départ, de ce qu'on vous a

  7   dit au départ du traitement, s'avère être par la suite inventé par ladite

  8   personne et que c'est tout à fait étranger à la réalité des événements.

  9   R.  De par mon expérience, ça ne s'est pas produit. Les gens, en termes

 10   simples, n'avaient guère besoin de cela. Il y a eu trop de souffrances pour

 11   en rajouter par-dessus. Il ne nous est pas arrivé de voir quelqu'un

 12   raconter une chose qui leur serait arrivée pour que, par la suite, il soit

 13   avéré que ça ne s'est pas passé. Il y a beaucoup de choses, au contraire,

 14   qu'ils n'ont pas raconté dès le départ, parce que ces personnes ne

 15   pouvaient pas s'en souvenir. On avait oublié certains éléments, ils ont été

 16   complètement dissociés d'eux mêmes. C'était comme si c'était quelque chose

 17   qui s'était produit de façon dissociée d'elle même. Et il ne s'est pas

 18   produit d'avoir eu, par exemple, des personnes qui ont raconté des choses

 19   qui, par la suite, se seraient avérés être fausses ou non conformes à la

 20   vérité.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci de votre réponse.

 22   Madame Hasan, avez-vous des questions supplémentaires à poser ?

 23   Mme HASAN : [interprétation] Non, je n'ai pas de questions supplémentaires

 24   à poser, mais j'aimerais demander le versement au dossier des extraits de

 25   sa déposition précédente.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Avant de le faire, Maître Lukic,

 27   avez-vous des questions à poser qui découlent des questions posées par les

 28   Juges de la Chambre ? Non.


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  1   Alors, Madame Hasan, allez-y.

  2   Mme HASAN : [interprétation] Je souhaite demander le versement au dossier

  3   du document 29099 de la liste 65 ter, c'est la déposition fournie par Mme

  4   Ibrahimefendic dans l'affaire Krstic.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Maître Lukic.

  6   M. LUKIC : [interprétation] Je veux soulever une objection quant au

  7   versement au dossier de ce document.

  8   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et pour quel motif ?

  9   M. LUKIC : [interprétation] Eh bien, quelle est la modalité sous laquelle

 10   on demande le versement au dossier de ce document en vertu de l'article 94

 11   ou en vertu de l'article 92 ter ?

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je pense qu'on demande le versement au

 13   dossier de ce document en vertu de l'article 92 ter. Parce que si j'ai bien

 14   compris Mme Hasan, elle a demandé au témoin de confirmer la teneur de sa

 15   déposition précédente.

 16   Mme HASAN : [interprétation] Oui. En effet, c'est en vertu de l'article 92

 17   ter que nous demandons le versement au dossier de sa déposition précédente

 18   à titre de témoin expert.

 19   [Le conseil de l'Accusation se concerte]

 20   M. LUKIC : [interprétation] Eh bien, les objections que nous avons déjà

 21   soulevées par le passé tiennent toujours.

 22   [La Chambre de première instance se concerte]

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les Juges de la Chambre décideront en

 24   temps voulu. Ils statueront sur l'objection qui a été soulevée et sur une

 25   éventuelle admission au dossier du document.

 26   Mme HASAN : [interprétation] Messieurs les Juges, en fonction de la

 27   décision rendue pas les Juges, il se peut que nous souhaitions poser des

 28   questions supplémentaires à Mme Ibrahimefendic si sa déposition précédente


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  1   n'est pas admise au dossier.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je comprends qu'une telle possibilité se

  3   présente. Quand j'ai dit "en temps voulu", bien évidemment je n'ai pas

  4   précisé s'il nous faudra plus ou moins de temps. Mais donnez-nous au moins

  5   jusqu'à la pause suivante et nous allons voir si nous pouvons dès

  6   maintenant rendue une décision ou non. Ou peut-être rendrons-nous notre

  7   décision immédiatement et remettrons nos motifs pas la suite.

  8   Mme HASAN : [interprétation] Merci.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic, vous avez suivi

 10   les débats qui viennent d'être menés entre les parties. Donc la question se

 11   pose de savoir si les Juges de la Chambre admettront au dossier la

 12   déposition que vous avez faite précédemment dans une autre affaire. Si nous

 13   n'admettons pas au dossier votre déposition précédente, il se peut que vous

 14   soyez rappelée par l'Accusation. Nous allons essayer de statuer sur la

 15   question dès que possible, mais je ne peux rien vous garantir. Il se peut

 16   que nous rendions notre décision dans une heure, et à ce moment-là

 17   l'Accusation vous fera savoir si elle a l'intention de vous rappeler au

 18   non.

 19   Dans les circonstances données, je suis obligé de vous demander de ne

 20   communiquer avec personne au sujet de la déposition que vous avez faite

 21   aujourd'hui. Donc je ne me prononce pas sur la possibilité de vous

 22   rappeler, je ne vais pas vous dire si c'est sûr à 1 % ou à 99 %, que nous

 23   allons vous rappeler, mais toujours est-il que cette consigne est en

 24   vigueur. Vous ne devriez discuter avec personne de votre déposition.

 25   L'avez-vous compris ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien.

 28   [La Chambre de première instance se concerte]


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  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les Juges de la Chambre en fait

  2   considère la possibilité de prendre une pause dès maintenant pour voir si

  3   nous pouvons statuer sur la question dans les 20 minutes suivantes, ce qui

  4   nous laisse quelque 65 minutes avant de lever l'audience d'aujourd'hui.

  5   Mais, Madame Ibrahimefendic, j'imagine que vous n'allez pas repartir

  6   chez vous sous une heure, ou avez-vous l'intention de quitter La Haye sur-

  7   le-champ ?

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, non. Je reste.

  9   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Très bien. A ce moment-là, il serait

 10   peut-être intelligent de demander à Mme Ibrahimefendic de revenir dans la

 11   salle d'audience après la pause de façon à ce qu'elle puisse prendre

 12   connaissance de la décision rendue par les Juges de la Chambre.

 13   Donc une fois Mme Ibrahimefendic sortie sur prétoire…

 14   [Le témoin quitte la barre]

 15   [La Chambre de première instance se concerte]

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Marcus, je vous ai complètement

 17   oubliée et vous avez pourtant indiqué qu'il ne vous fallait que quelques

 18   minutes. Il serait peut-être bon d'en profiter dès maintenant. Est-ce que

 19   nous pouvons en parler en audience publique ou faut-il passer à huis clos

 20   partiel…

 21   M. McCLOSKEY : [interprétation] Je pense que la question abordée doit être

 22   traitée à huis clos partiel.

 23   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Huis clos partiel, s'il vous plaît.

 24   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,

 25   Messieurs les Juges.

 26   [Audience à huis clos partiel]

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 13  Page 14694 expurgée. Audience à huis clos partiel.

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 23   [Audience publique]

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.

 25   Nous allons faire une pause, et reprendre nos travaux à 13 heures moins 15.

 26   --- L'audience est suspendue à 12 heures 52.

 27   --- L'audience est reprise à 13 heures 17.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Peut-on faire entrer, s'il vous plaît,


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  1   Madame Ibrahimefendic dans la salle d'audience.

  2   [Le témoin vient à la barre]

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Ibrahimefendic, nous n'avons plus

  4   de questions à vous poser, mais les Juges de la Chambre souhaitent rendre

  5   leur décision concernant le document 29099 de la liste 65 ter.

  6   La Chambre a décidé d'admettre au dossier la déposition précédente fournie

  7   par le témoin dans l'affaire Krstic en vertu de l'article 92 ter. Et nous

  8   ferons savoir nos motifs par la suite.

  9   Madame la Greffière, veuillez attribuer une cote, s'il vous plaît.

 10   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document 29099 recevra la cote

 11   P1800, Messieurs les Juges.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La pièce P1800 est versée au dossier.

 13   Madame Ibrahimefendic, cela veut dire automatiquement que Mme Hasan n'est

 14   plus obligée de contempler la possibilité de vous rappeler, donc ceci met

 15   un terme à votre déposition. Nous vous remercions chaleureusement d'avoir

 16   répondu à toutes les questions qui vous ont été posées par les parties au

 17   procès et par les Juges de la Chambre et nous souhaitons un bon retour chez

 18   vous.

 19   Vous pouvez suivre l'huissière.

 20   Et l'huissière peut faire venir le témoin suivant dans la salle d'audience.

 21   Mme HASAN : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je disposer ?

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Faites.

 23   Mme HASAN : [interprétation] Merci.

 24   [Le témoin se retire]

 25   Mme HASAN : [interprétation] M. McCloskey souhaite lui aussi partir.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Eh bien, du moment où il reste au moins

 27   un substitut du Procureur dans la salle d'audience, il peut se retirer,

 28   bien sûr.


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  1   Madame Lee, est-ce vous qui allez interroger le témoin suivant ? Et êtes-

  2   vous prête à entendre la déposition de M. Lawrence ?

  3   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  4   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bonjour, Monsieur Lawrence.

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Le Dr Lawrence. Oui, Monsieur le Président.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de commencer votre déposition, en

  7   vertu du Règlement vous êtes tenu de prononcer une déclaration solennelle.

  8   Veuillez le faire maintenant. L'huissière vous remettra le texte que vous

  9   avez à prononcer.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

 11   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

 12   LE TÉMOIN : CHRISTOPHER LAWRENCE [Assermenté]

 13   [Le témoin répond par l'interprète]

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Lorsque vous dites que vous n'êtes pas

 15   M. Lawrence mais plutôt le Dr Lawrence, je tiens à vous signaler que nous

 16   nous adressons à tous les témoins en disant Monsieur ou Madame. Ce n'est

 17   pas une façon de faire fi de grades ou de titres.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] Je comprends.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Lee, si vous êtes prête, vous

 20   pouvez y aller.

 21   Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous allez maintenant être interrogé par

 23   Mme Lee. Mme Lee est un substitut du Procureur.

 24   Interrogatoire principal par Mme Lee :

 25   Q.  [interprétation] Bonjour.

 26   R.  Bonjour.

 27   Q.  Si j'ai bien compris, nous nous exprimons dans une même langue. C'est

 28   pourquoi j'aimerais que vous ménagiez une pause entre les questions et les


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  1   réponses pour attendre l'interprétation.

  2   R.  Oui.

  3   Q.  Docteur Lawrence, veuillez, s'il vous plaît, nous décliner votre

  4   identité aux fins du compte rendu d'audience.

  5   R.  Je m'appelle Christopher Hamilton Lawrence. Cela s'épelle

  6   L-a-w-r-e-n-c-e.

  7   Q.  Et quelle est votre profession actuelle ?

  8   R.  Je suis pathologiste spécialisé en médecine légale.

  9   Q.  Vous souvenez-vous d'avoir déposé dans l'affaire Krstic devant ce

 10   Tribunal ?

 11   R.  Oui, je m'en souviens.

 12   Q.  Et dans l'affaire Karadzic aussi ?

 13   R.  En effet.

 14   Q.  Avez-vous eu l'occasion de revoir votre déposition dans ces deux

 15   affaires ?

 16   R.  Oui.

 17   Q.  Au moment ou vous avez déposé, avez-vous témoigné d'après vos

 18   connaissances et de façon véridique ?

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Et si les mêmes questions vous étaient posées aujourd'hui, est-ce que

 21   vous fourniriez, au fond, les mêmes réponses ?

 22   R.  Oui.

 23   Mme LEE : [interprétation] Je souhaite demander le versement au dossier de

 24   la transcription de la déposition faite par le Dr Lawrence en vertu de

 25   l'article 92 ter et les pièces associées.

 26   M. IVETIC : [interprétation] Pas d'objection.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame la Greffière.

 28   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Puis-je avoir la cote 65 ter, s'il vous


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  1   plaît.

  2   Mme LEE : [interprétation] Oui. La cote 65 ter, c'est 29100. Ceci est

  3   l'extrait de la déposition faite par le Dr Lawrence dans l'affaire Krstic.

  4   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document reçoit la cote P1801,

  5   Messieurs les Juges.

  6   Mme LEE : [interprétation] Nous avons aussi le document 29101 de la liste

  7   65 ter. Ceci est un extrait de la déposition faite par le témoin dans

  8   l'affaire Karadzic.

  9   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Ce sera la pièce P1802, Messieurs les

 10   Juges.

 11   Mme LEE : [interprétation] Messieurs les Juges, nous avons aussi deux

 12   pièces associées dont je souhaite demander le versement au dossier.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Eh bien, statuons d'abord sur

 14   l'admission au dossier des deux documents précédents.

 15   [La Chambre de première instance se concerte]

 16   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Les pièces P1801 et P1802 sont admises

 17   au dossier.

 18   Qu'en est-il des pièces associées, Madame Lee ?

 19   Mme LEE : [interprétation] Nous avons le document qui porte la cote 04574

 20   de la liste 65 ter. C'est le curriculum vitae du Dr Lawrence.

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] J'imagine qu'il n'y a pas d'objection.

 22   Le document suivant.

 23   Mme LEE : [interprétation] C'est le document qui porte la cote 04575. Ceci

 24   est un tableau qui montre quelles sont les fosses primaires et secondaires

 25   examinées par le Dr Lawrence.

 26   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Je vois qu'il n'y a pas d'objection.

 27   Quelle est la cote 65 ter ?

 28    Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Le document recevra la cote P1803,


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  1   Messieurs les Juges.

  2   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le document est admis au dossier. Et

  3   qu'en est-il du document 04575 ?

  4   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il recevra la cote P1804, Messieurs les

  5   Juges.

  6   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Le document est admis au dossier.

  7   Vous pouvez poursuivre, Madame Lee.

  8   Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges. Je souhaite

  9   maintenant donner lecture d'un résumé de la déposition faite par le Dr

 10   Lawrence. Les raisons pour lesquelles le résumé est lu ont été expliquées

 11   au témoin.

 12   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Allez-y.

 13   Mme LEE : [interprétation] Le Dr Christopher Lawrence est un pathologiste

 14   spécialisé en médecine légale attesté. Du mois de mai au mois d'octobre

 15   1998, il a été le médecin légal en chef qui a travaillé pour le bureau du

 16   Procureur du TPIY. Le Dr Lawrence se trouvait à la tête d'une équipe qui a

 17   procédé à des autopsies sur des restes humains exhumés de plusieurs fosses

 18   communes associées à la chute de l'enclave de Srebrenica, y compris le site

 19   sur le barrage non loin de Petkovci, et sept fosses secondaires qui se

 20   trouvent le long de la route de Cancari, la route d'Hodzici non loin de

 21   Zeleni Jadar, et à Liplje. Les autopsies ont été effectuées dans une morgue

 22   de Visoko en Bosnie.

 23   Les housses mortuaires données au Dr Lawrence et à son équipe à la

 24   morgue contenaient des cadavres dans un certain nombre de cas, et des

 25   fragments de cadavres dans d'autres cas. Après avoir photographié le

 26   contenu de ces os, les pathologistes ont procédé à un examen fluoroscopique

 27   des restes humains pour trouver les traces de balles, de fractures et

 28   d'anomalies osseuses. Ils ont également reçu les effets personnels et


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  1   enlevé les vêtements des restes humains qui ont été remis à la police

  2   scientifique. Le Dr Lawrence et son équipe ont alors procédé à un examen

  3   des corps et des os et ils ont photographié toutes les traces de blessures.

  4   Les ossatures qui avaient subi des dommages ont été remises aux

  5   anthropologistes pour être reconstruits, et ensuite ils ont été examinés

  6   par les pathologistes pour vérifier si des blessures peuvent être relevées.

  7   Dans des cas de blessures par balle visible, on a essayé de reconstruire la

  8   trajectoire de la balle. Dans la plupart des cas, les pathologistes ont

  9   également examiné les vêtements pour établir si les dommages infligés aux

 10   vêtements concordaient avec les blessures qui avaient été identifiées.

 11   Le Dr Lawrence a préparé un rapport pour chaque site où une fosse

 12   commune a été retrouvée. Il y a indiqué ses conclusions et son opinion

 13   quant à la cause du décès. Au total, son équipe a examiné 2 239 housses

 14   mortuaires qui contenaient au minimum les restes de 883 individus. La cause

 15   du décès, pour la majorité de ces corps, était blessures par balle. Un

 16   certain nombre de victimes ont été blessées par balle et par éclats d'obus.

 17   La plupart des blessures infligées par les éclats d'obus ont été reçues par

 18   des victimes retrouvées dans le site secondaire à Zeleni Jadar.

 19   Au cours de l'autopsie, le Dr Lawrence et son équipe ont retrouvé 83

 20   ligatures et 130 bandeaux. La plupart des ligatures ont été trouvées autour

 21   des poings et des bras de victimes. Dans la plupart des cas, les bandeaux

 22   étaient placés sous les yeux des victimes.

 23   Ceci est la fin de mon résumé.

 24   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci.

 25   Si vous avez d'autres questions à poser au témoin, vous pouvez y aller.

 26   Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.

 27   Q.  Avant de commencer avec mes questions, je vois que vous avez apporté

 28   quelques documents avec vous. Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit ?


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  1   R.  Oui. Ce sont des exemplaires de rapports que j'ai préparés pour le TPIY

  2   au sujet de huit sites qui ont été examinés et un document, qui est une

  3   synthèse de toutes les conclusions, que j'ai préparé pour l'affaire Krstic.

  4   Q.  Si vous souhaitez vous référer à ces documents, faites-le, s'il vous

  5   plaît, mais faites-nous savoir et dites-nous quel est le document que vous

  6   consultez.

  7   R.  Merci.

  8   Q.  Docteur Lawrence, depuis votre dernière déposition dans l'affaire

  9   Karadzic en décembre 2011, est-ce que vous occupez toujours le même poste ?

 10   R.  Oui, je suis toujours le pathologiste d'Etat en Australie.

 11   Q.  Et pendant combien de temps occupez-vous ce poste ?

 12   R.  Depuis 2002.

 13   Q.  Est-ce que vous pourriez nous décrire brièvement quelles sont vos

 14   responsabilités ?

 15   R.  Mes responsabilités en tant que médecin légiste de l'Etat concernent la

 16   responsabilité du service d'autopsie pour les médecins légistes nationaux

 17   concernant le besoin d'être présent sur le site quand il s'agit de morts

 18   suspicieuses, les forces de la police, en ce qui concerne les enquêtes dans

 19   des cas de décès, préparer des rapports sur les décès pour le médecin

 20   légiste national, préparer des rapports pour les cours et tribunaux, et

 21   travailler aussi dans des cas de décès qui se produisent dans des hôpitaux.

 22   Q.  Il y a quelques minutes nous avons déjà dit que vous avez témoigné

 23   devant ce Tribunal dans les affaires Krstic et Karadzic.

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Est-ce que vous avez déjà témoigné en tant qu'expert dans d'autres

 26   affaires ?

 27   R.  Oui, dans les affaires Popovic et Tolimir.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et que vous fassiez une pause entre les


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  1   questions et réponses et vice versa.

  2   Mme LEE : [interprétation] Oui, Messieurs les Juges.

  3   Q.  Est-ce que vous avez déjà témoigné en tant que témoin expert dans

  4   d'autres cours ?

  5   R.  J'ai témoigné. Oui, excusez-moi. J'ai témoigné en tant que témoin

  6   expert en Australie et aux Etats-Unis.

  7   Q.  Et dans quel domaine ou discipline d'expertise est-ce que vous avez

  8   témoigné ?

  9   R.  Comme médecin légiste.

 10   Q.  Et à combien de reprises à peu près est-ce que vous avez témoigné en

 11   tant qu'expert ?

 12   R.  Je dirais quelque part entre 50 et 100 fois.

 13   Q.  Je vais maintenant vous poser une question spécifique en ce qui

 14   concerne une affaire particulière, qui est R. contre Jeffrey Gilham.

 15   Quel rôle est-ce vous avez joué là-dedans ?

 16   R.  C'est une affaire que j'ai examinée en 1993. En fait, c'était un triple

 17   homicide, trois personnes avaient été poignardées, avaient été tuées, et la

 18   maison avait été brûlée.

 19   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Avant de poursuivre, Madame Lee, les

 20   Juges se posent la question de savoir pourquoi de tels détails sont

 21   pertinents. Bien sûr, nous n'avons aucune connaissance en ce qui concerne

 22   cette affaire.

 23   Mme LEE : [interprétation] Je vais poser des questions à ce témoin, qui a

 24   témoigné en tant qu'expert, et nous allons y arriver très rapidement.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, certes. Mais il ne suffit pas de

 26   dire qu'il y a eu entre 50 et 100 témoignages. Pourquoi est-ce qu'on a

 27   besoin de rentrer dans les détails d'une seule affaire ? Si vous avez des

 28   raisons de le faire, allez-y directement, s'il vous plaît. Mais je ne pense


Page 14704

  1   pas que les circonstances de l'affaire sont particulièrement pertinentes.

  2   Peut-être que votre question va montrer le contraire, peut-être que ça a

  3   une pertinence.

  4   Mme LEE : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.

  5   Q.  Docteur Lawrence, dans cette affaire, est-ce qu'il y a eu des problèmes

  6   en ce qui concerne votre témoignage dans cette affaire ?

  7   R.  Oui. C'est une affaire complexe. Il y avait déjà eu deux enquêtes, deux

  8   procès et un procès en appel. Le procès en appel a eu lieu peu de temps

  9   avant que je ne fasse mon témoignage dans l'affaire Karadzic. Ce qui est

 10   important pour le Tribunal de savoir est que lors de l'appel, j'ai compris

 11   que j'avais fait une erreur dans mon évaluation de l'importance de

 12   certaines preuves concernant un niveau peu élevé de monoxyde de carbone.

 13   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Si vous êtes en train de nous montrer

 14   que le témoin expert est un homme qui a eu aussi des échecs dans sa vie,

 15   nous l'avons bien compris.

 16   Mme LEE : [interprétation] Très bien. Merci, Monsieur le Président.

 17   Q.  Nous allons passer à un autre domaine, et je souhaite vous poser des

 18   questions concernant votre implication en Bosnie en 1998.

 19   R.  Oui.

 20   Q.  Vous étiez médecin légiste en chef pour le bureau du Procureur du TPIY,

 21   n'est-ce pas ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Et qu'est-ce qu'on vous a demandé de faire ?

 24   R.  J'étais chargé de l'organisation d'une mortuaire, d'une morgue, pour

 25   procéder à des autopsies sur les corps, les cadavres qui avaient été

 26   exhumés par l'équipe d'exhumation en 1998, afin de déterminer la cause du

 27   décès, et si possible de collecter les preuves qui permettraient par la

 28   suite d'identifier les individus concernés.


Page 14705

  1   Q.  Et quelles étaient vos principales responsabilités ? Est-ce que vous

  2   avez joué un rôle de superviseur ?

  3   R.  Oui, j'ai supervisé l'équipe de la morgue. J'ai donné instruction aux

  4   médecins légistes. J'ai passé en revue les rapports et j'ai préparé des

  5   résumés de rapports en ce qui concerne un certain nombre de cas. En plus,

  6   j'ai procédé moi-même à un certain nombre d'autopsies.

  7   Q.  Vous venez de dire que vous avez procédé à l'examen de rapports. Il

  8   s'agit des rapports de qui ?

  9   R.  J'ai examiné un certain nombre de rapports, des rapports des médecins,

 10   et d'une certaine façon des rapports des anthropologues.

 11   Q.  Et quand vous dites "médecin", vous voulez dire les autres médecins

 12   légistes, n'est-ce pas ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Vous venez de parler des rapports. J'aimerais savoir si vous-même vous

 15   avez rédigé des rapports ?

 16   R.  Oui. J'ai préparé les huit rapports que j'ai avec moi aujourd'hui.

 17   Q.  Et ces huit rapports concernent chacune des fosses, n'est-ce pas ?

 18   R.  Oui.

 19   Q.  Il s'agit donc du barrage, la route de Cancari 3; la route de Cancari

 20   12; la route de Hodzici 3, 4, 5; Zeleni Jadar 5; et Liplje 2, n'est-ce pas

 21   ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Est-ce que vous avez rédigé d'autres rapports concernant ces sites ?

 24   R.  Suite à notre travail, à la route de Cancari 3, nous avons eu

 25   connaissance de l'existence probable ou possible d'un site primaire à

 26   Kozluk. Fin septembre, ou c'était peut-être début octobre, je me suis rendu

 27   sur le site de Kozluk et nous avons récupéré deux housses mortuaires

 28   contenant des restes de squelette. J'ai préparé un rapport suite à cela, un


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  1   rapport d'une page. J'ai également préparé un rapport sur des liens, des

  2   ligatures qui avaient été récupérées des fosses, qui avaient été envoyées à

  3   La Haye et qui n'avaient pas été examinées à la morgue.

  4   Q.  Avez-vous eu la possibilité d'examiner chacun de ces rapports que vous

  5   avez préparés par rapport à Srebrenica avant de venir déposer aujourd'hui ?

  6   R.  Oui.

  7   Q.  Est-ce que vous maintenez votre analyse et vos conclusions dans ces

  8   rapports ?

  9   R.  Oui.

 10   Mme LEE : [interprétation] Messieurs les Juges, je souhaite demander le

 11   versement de ces 11 rapports au dossier, conformément à l'article 92 [comme

 12   interprété] bis.

 13   M. IVETIC : [interprétation] Pas d'objection.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que Madame la Greffière, vous

 15   voulez bien réserver les 11 cotes et faire une note en ce qui concerne la

 16   description des 65 ter, le nom abrégé du rapport, les cotes à assigner, et

 17   tous les 11 sont admis et versés au dossier.

 18   Mme LEE : [interprétation] Est-ce que je peux vous lire les cotes 65 ter

 19   pour le compte rendu d'audience ?

 20   [La Chambre de première instance se concerte]

 21   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Est-ce que vous voulez bien vérifier la

 22   liste préparée par la greffière, parce que je pense que ces documents

 23   figurent déjà sur notre liste. Donc, on n'a pas besoin de les relire encore

 24   une fois. Enfin, c'est en ordre séquentiel, donc il suffit de dire le

 25   premier et le dernier.

 26   Mme LEE : [interprétation] Cela commence à 04576 à 04584.

 27   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et cela apparaît comme ça sur la liste ?

 28   Mme LEE : [interprétation] Oui, sur la liste.


Page 14707

  1   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Et les deux supplémentaires ?

  2   Mme LEE : [interprétation] 11038 et 11039.

  3   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, ce sont les deux premiers sur la

  4   liste non associée. La greffière va préparer le mémo.

  5   Veuillez poursuivre.

  6   Mme LEE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  7   Q.  Docteur Lawrence, dans vos rapports, vous avez déterminé la cause du

  8   décès pour chaque housse mortuaire, plutôt que sur chaque corps. Est-ce que

  9   vous voulez bien nous expliquer rapidement pourquoi vous l'avez fait pour

 10   les housses mortuaires ?

 11   R.  Oui. Les corps, les cadavres avaient été pris principalement dans des

 12   fosses secondaires, et dans certaines fosses les corps n'étaient pas

 13   seulement en état avancé de décomposition mais avaient été disloqués. Par

 14   conséquent, il n'a pas été possible d'examiner des corps entiers dans

 15   beaucoup de cas. Sur certains sites, par exemple, Hodzici 5, les corps

 16   étaient assez bien préservés, mais dans d'autres, par exemple au barrage ou

 17   à Liplje, les corps avaient été terriblement déchiquetés. Il nous a fallu

 18   donc procéder à une évaluation quant à savoir si on ne faisait rapport

 19   quand il s'agissait d'un corps entier ou est-ce qu'on devait faire des

 20   rapports pour des corps entiers, ainsi que pour des housses mortuaires.

 21   J'ai pris ma décision, la décision d'examiner les housses mortuaires,

 22   ainsi que les corps entiers, afin de récolter un maximum d'informations.

 23   Cette décision a donné lieu à quelques problèmes, évidemment des corps

 24   partiels, où on ne peut pas établir un lien entre les différentes parties,

 25   soulèvent la possibilité qu'il y ait, pour un seul corps, plusieurs causes

 26   de décès. Mais je pensais, vu les circonstances, qu'il était très important

 27   de documenter autant de cas de blessures provoquées par balle que possible,

 28   étant donné que les preuves que l'on obtenait par les vêtements, qu'il y


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  1   avait probablement eu plus de blessures par balle que ce qu'on voyait de

  2   nos propres yeux.

  3   En fin de compte, nous nous sommes concentrés principalement sur les

  4   corps entiers, parce que c'est là où on trouvait le plus d'informations

  5   utiles, et les causes de décès pour ces 254 corps entiers nous donnaient

  6   probablement les éléments d'information les plus utiles. Mais il y avait un

  7   problème sur pas mal de ces sites, y compris au barrage et à Liplje en

  8   particulier, il y avait eu tellement de dommage causé qu'on n'avait presque

  9   pas de corps entiers du tout.

 10   Q.  Merci. Je passe maintenant à un autre domaine. Dans vos rapports, vous

 11   parlez de bandeaux et de liens.

 12   R.  Oui.

 13   Mme LEE : [interprétation] Est-ce que nous pouvons afficher de la liste 65

 14   ter le numéro 04581, à la page 18. Il s'agit du rapport du Dr Lawrence en

 15   ce qui concerne la route Hodzici 4, la route de Hodzici 4.

 16   Il semble qu'il y ait des difficultés techniques.

 17   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui, effectivement.

 18   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Il faut un certain temps pour

 19   télécharger les photographies.

 20   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Surtout s'il y a un nombre important de

 21   ces photos.

 22   Et la greffière me dit que l'ordinateur aujourd'hui est de toute façon au

 23   ralenti, peut-être à cause des conditions météorologiques.

 24   [La Chambre de première instance se concerte]

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] On y arrive lentement.

 26   Mme LEE : [interprétation]

 27   Q.  Docteur Lawrence, est-ce que vous voulez bien nous décrire ce que l'on

 28   voit à l'écran.


Page 14709

  1   R.  Ce que l'on voit sont la main et la partie supérieure d'un crâne, avec

  2   un bandeau autour du crâne.

  3   Je devrais dire que ce crâne a été reconstruit et le bandeau y a été

  4   positionné après reconstruction du crâne. Mais vous voyez la flèche qui

  5   indique une blessure par balle, aux alentours de la tempe gauche et il y a

  6   un défaut correspondant dans le bandeau, qui indique que le bandeau se

  7   trouvait dans cette position lorsque la balle a été tirée.

  8   Q.  Et lorsque vous dites que le crâne a été reconstruit, qui a reconstruit

  9   le crâne ?

 10   R.  Cela a été fait par les anthropologues en utilisant les fragments d'os.

 11   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] La reconstruction et la colle, tout est

 12   déjà versé au dossier, Madame Lee.

 13   Mme LEE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 14   Q.  Docteur Lawrence, vous avez déjà témoigné en ce qui concerne la

 15   différence entre des blessures par balle probables, possibles, et

 16   définitives. Et je fais référence à des blessures par balle, je fais

 17   référence à la pièce P1802, pages 6 à 9 du prétoire électronique.

 18   Alors, comment définiriez-vous les blessures que l'on voit ici.

 19   R.  Vous parlez des blessures qu'on voit ici ? Je dirais qu'ici il s'agit

 20   pour sûr d'une blessure par balle.

 21   Mme LEE : [interprétation] J'aimerais qu'on nous affiche maintenant la

 22   pièce 65 ter 04582, page 18, s'il vous plaît.

 23   Q.  Et en attendant que cela soit téléchargé, j'aimerais vous poser des

 24   questions au sujet des ligatures que l'on a retrouvées sur les sites des

 25   fosses communes.

 26   R.  Certes.

 27   Q.  Quel type de ligatures a-t-on retrouvé ?

 28   R.  Eh bien, il y a eu plusieurs types de ligatures qu'on a retrouvées et


Page 14710

  1   il est arrivé que dans certaines fosses communes, on ait retrouvé des

  2   ligatures tout à fait caractéristiques. Et parmi le tout, il y avait eu des

  3   ligatures faites de tissu, puis d'un tissu de couleur blanche avec des

  4   fleurs brodées dessus, puis il y a eu des pièces de textile de couleur

  5   blanche avec des lignes de couleur dessus.

  6   Mme LEE : [interprétation] J'aimerais qu'on se penche sur la page 16 de ce

  7   document.

  8   Q.  Docteur, veuillez nous décrire ce que l'on voit sur notre écran.

  9   R.  Certes. On peut voir sur l'écran un corps plutôt intact qui se trouve

 10   être placé sur le dos. Au bas, vous pouvez voir une ceinture qui est

 11   quelque peu tirée vers le bas, et par-dessus -- enfin, au-dessus de cela,

 12   on peut voir les mains. Ces mains ont été ligotées avec une espèce de

 13   corde. Et aux poignets, vous pouvez voir une montre, une Seiko.

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Mais cette description ne coïncide pas

 15   avec le texte en dessous. Est-ce que vous pouvez lire et nous dire de quoi

 16   il en retourne au juste ?

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi.

 18   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Vous avez dit que ce corps était couché

 19   sur le dos.

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, excusez-moi. Ce corps est en fait couché

 21   sur l'estomac, sur le ventre, et on voit le dos. Excusez-moi.

 22   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Bon.

 23   LE TÉMOIN : [interprétation] Je m'excuse une fois de plus.

 24   Mme LEE : [interprétation]

 25   Q.  Est-ce que l'on a pu déterminer la cause du décès dans ce type de cas

 26   de figure ?

 27   R.  Eh bien, ici on a retrouvé des blessures par balle, et ce, dans le

 28   secteur droit, puis des fragments de balle dans la cuisse et le genou, et


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  1   je devrais réétudier le cas concret pour vous en dire plus. Peut-être

  2   pourrais-je me pencher sur ma liste, mais je crois qu'on y a fait figurer

  3   la cause du décès.

  4   Mme LEE : [interprétation] J'aimerais à ce titre que l'on nous affiche la

  5   pièce 65 ter numéro 4578, page 30 du prétoire électronique.

  6   Q.  Quand il s'agit des ligatures que vous avez énumérées, vous en avez

  7   donné toute une série de types de ligatures.

  8   Mme LEE : [interprétation] Et là, je vous renvoie vers la page 30. C'est la

  9   page d'après.

 10   Q.  Docteur Lawrence, vous avez parlé de ces différents types de ligature

 11   et vous avez mentionné le fait que vous aviez rédigé deux rapports à ce

 12   sujet.

 13   R.  C'est exact.

 14   Q.  Est-ce que vous reconnaissez cette ligature ?

 15   R.  C'est la ligature de couleur blanche avec des broderies, les fleurs et

 16   les feuilles brodés dessus, et c'est ce qu'on a vu au CR12 et CR13.

 17   Q.  Et c'est le CR13 ici ?

 18   R.  CR12 et CR3, excusez-moi.

 19   Q.  Merci.

 20   Mme LEE : [interprétation] Messieurs les Juges, pour vous faciliter la

 21   tâche, je dirai que ça se trouve en page 29, ce rapport, et c'est un

 22   rapport qui a déjà été versé au dossier. Il s'agit de la pièce P1771. Et

 23   nous avons également un rapport en matière de tissu, Mme Suzanna Maljaars,

 24   qui a déjà témoigné dans ce prétoire un peu plus tôt au cours de la

 25   semaine.

 26   J'aimerais que l'on nous affiche à présent la page 35 du même document.

 27   Q.  Et pendant que nous attendons ce téléchargement, Docteur Lawrence, je

 28   voudrais vous demander si vous avez pu voir des corps qui avaient des


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  1   ligatures et des bandeaux par-dessus les yeux.

  2   R.  Oui. Il y a eu deux corps dans le dossier CR12 qui avaient des

  3   ligatures et des bandeaux, et c'est les housses mortuaires corps 116 et

  4   121.

  5   Q.  Est-ce qu'au vu de cette image que vous avez sous les yeux, vous pouvez

  6   nous donner un descriptif ?

  7   R.  Cette photo montre la peau du côté de la tempe droite, et on voit entre

  8   les doigts un trou de fait par une balle, et on a pu retrouver le même type

  9   de trou au niveau du bandeau qui se trouvait sur les yeux.

 10   Q.  Vous avez déjà témoigné -- ou plutôt, je vais vous demander la chose

 11   suivante : quelle est la cause du décès que vous avez pu déterminer ici, si

 12   tant est que vous avez pu le faire ?

 13   R.  Oui. C'est une blessure par balle à la tête qui va certainement tuer un

 14   homme.

 15   Q.  Est-ce que c'est tout à fait certain, c'est une blessure par balle ?

 16   R.  Oui, oui.

 17   Q.  Vous avez témoigné au sujet de la cause possible et de la cause

 18   probable, ainsi qu'au sujet des causes certaines de décès. Ça se trouve à

 19   la pièce P1802, pages 9 et 10.

 20   Est-ce que dans ce cas concret vous avez pu déterminer avec certitude

 21   la cause du décès ?

 22   R.  Oui.

 23   Mme LEE : [interprétation] Je n'ai pas d'autres questions à poser,

 24   Messieurs les Juges.

 25   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Merci, Madame Lee.

 26   Monsieur Lawrence, vous allez maintenant être contre-interrogé par Me

 27   Ivetic. C'est un membre de l'équipe des conseils de la Défense de M.

 28   Mladic.


Page 14713

  1   M. IVETIC : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.

  2   Contre-interrogatoire par M. Ivetic :

  3   Q.  [interprétation] Docteur Lawrence, avant que de commencer avec mes

  4   questions en contre-interrogatoire, puisque nous parlons tous les deux la

  5   même langue, je vais vous demander de faire des pauses entre les questions

  6   et les réponses afin que les autres personnes dans ce prétoire puissent

  7   faire leur travail.

  8   Est-ce que cela vous arrange ?

  9   R.  Je vais m'efforcer de le faire.

 10   Q.  Ai-je raison de dire qu'en sus de cette formation médicale et du

 11   diplôme de médecin que vous avez obtenu, vous avez également fait des

 12   études en matière de droit pour devenir pathologiste en matière médico-

 13   légale ?

 14   R.  J'ai fait des études de droit lorsque j'étais en train de devenir

 15   pathologiste, et je n'ai pas terminé cette formation juridique.

 16   Q.  Mais pour ce qui est du témoignage que vous avez fourni ici et des

 17   rapports dont vous êtes l'auteur, pour ce qui est des activités que vous

 18   avez réalisées en Bosnie, est-ce que vous vous trouviez là à ce moment-là

 19   en fonction de juriste ou est-ce que vous n'avez fait figure que de

 20   pathologiste en matière médico-légale ?

 21   R.  Je n'ai jamais prétendu être juriste. Je suis un pathologiste en

 22   matière de médecine légale.

 23   Q.  Merci. Ai-je raison de dire qu'à un moment donné vous avez également

 24   fait deux stages en Amérique en tant qu'anthropologiste ?

 25   R.  Oui.

 26   Q.  Je suppose que vous n'avez pas obtenu de diplôme après cela ?

 27   R.  Bien, je considère moi-même que je suis un pathologiste en matière

 28   médico-légale, et je suis notamment intéressé par la médecine légale et je


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  1   ne suis pas un expert juridique.

  2   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Je vais vous interrompre. Je crois

  3   qu'il y a quelque chose de mal consigné au compte rendu. Vous avez peut-

  4   être voulu dire que vous n'êtes pas un anthropologiste mais un

  5   pathologiste. C'est bien ce que vous avez voulu dire ?

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui.

  7   M. IVETIC : [interprétation] Merci, Messieurs les Juges.

  8   Q.  Je ne voudrais pas que vous me compreniez de façon erronée. Ce n'est

  9   pas une critique. Vous avez été pathologiste en matière médico-légale pour

 10   le compte d'un tribunal en Birmanie [comme interprété]. Est-ce que vous

 11   étiez le seul ?

 12   R.  Non. Il y avait un autre pathologiste qui a été formé en matière

 13   d'enquête ou d'investigation médicale qui a fait sa formation aux Etats-

 14   Unis.

 15   Q.  Et est-ce que c'est cet individu que vous avez recruté vous-même au

 16   bout d'un certain nombre d'années ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  Ai-je raison de dire qu'en principe, dans le domaine de l'examen des

 19   dépouilles mortelles, c'est-à-dire des examens en matière de médecine

 20   légale, le pathologiste, c'est quelqu'un qui peut jouer un rôle lorsqu'il y

 21   a encore des tissus qui restent, des tissus du corps qui restent encore à

 22   être examinés ?

 23   R.  D'une façon générale, c'est cela. Il y a, en matière d'anthropologie,

 24   plus d'anthropologues qui sont censés pouvoir intervenir, et ils

 25   interviennent aux Etats-Unis ainsi qu'en Angleterre. Mais je crois qu'il

 26   serait plus exact de dire que si l'on procédait à des examens, la majeure

 27   partie de la tâche était effectuée par les anthropologistes en matière

 28   médico-légale. A l'époque, ça a été fait en consultation avec les uns et


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  1   les autres et étant donné l'état plutôt très décomposé des corps, il a

  2   fallu que l'on détermine quel a été le cheminement des balles lorsqu'elles

  3   ont atteint le corps, et c'est le travail des anthropologistes.

  4   Q.  Mais pour la finalité du travail que vous avez eu à effectuer ici,

  5   étant donné qu'il y a eu plusieurs rapports d'établis concernant les

  6   différents sites, aurais-je raison de dire que s'il y avait eu plus de

  7   pathologistes, la décision, au final, aurait été prise par ces derniers

  8   lorsqu'il s'agissait d'établir la nature des blessures ?

  9   R.  En effet.

 10   Q.  Pour ce qui est du type de consultations qui ont été effectuées avec

 11   des anthropologistes pour en aboutir à des conclusions, j'aimerais que nous

 12   nous penchions ensemble sur une pièce, qui est le 1D1042 [comme

 13   interprété].

 14   M. IVETIC : [interprétation] Je vous renvoie vers la page 34 du prétoire

 15   électronique, et c'est placé en corrélation avec la page 7 403 du compte

 16   rendu d'audience de l'affaire Tolimir.

 17   Q.  Et lorsque ce sera affiché sur nos écrans, Monsieur, je vous convierais

 18   à vous pencher avec moi sur les lignes 6 à 22, et ensuite, j'aurai des

 19   questions à vous poser.

 20   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Maître Ivetic, est-ce que vous pouvez

 21   répéter la référence 1D.

 22   M. IVETIC : [interprétation] 1D1142.

 23   M. LE JUGE MOLOTO : [interprétation] Merci. C'est bien consigné maintenant.

 24   M. IVETIC : [interprétation] C'est moi qui vous remercie, Monsieur le Juge.

 25   Q.  Monsieur, c'est un peu pâle sur l'écran que j'ai devant moi mais j'ai

 26   l'impression que c'est la bonne page. Je vous renvoie vers la ligne 6, et

 27   la question était de savoir :

 28   "Etant donné que vous avez dit que les constatations des pathologistes


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  1   étaient définitives et que c'était tout à fait autoritaire comme constat,

  2   est-ce que vous pouvez nous dire s'il y avait, par exemple, eu des cas où

  3   vous étiez en désaccord ? Et si oui, pouvez-vous nous en donner un exemple

  4   ? Est-ce qu'il y a eu une façon uniforme de procéder à la rédaction de ces

  5   rapports ou est-ce que les blessures ont pu être décrites de façon

  6   différente d'un rapport à l'autre ?

  7   "Réponse : Eh bien, ça c'est une question à plusieurs volets. Les

  8   pathologistes avaient des expériences très variées et ils se sont penchés

  9   sur les blessures au niveau des ossements. La plupart des pathologistes

 10   avaient en premier lieu donné la priorité aux opinions des anthropologistes

 11   dans ce type de cas de figure."

 12   M. LE JUGE FLUEGGE : [interprétation] Vous devriez ralentir, Maître Ivetic.

 13   M. IVETIC : [interprétation]

 14   Q.  "Je me souviens des entretiens que j'ai eus avec M. Baraybar au sujet

 15   de certaines des blessures qui ont pu être classées dans la catégorie de

 16   possible ou de blessures probablement occasionnées par balle d'arme à feu.

 17   Par exemple, lorsque vous avez constaté des détériorations qui n'avaient

 18   pas toutes les caractéristiques habituelles qui sont celles d'une blessure

 19   par arme à feu, mais il y avait des fragments de métal qu'on a retrouvés.

 20   Alors, c'est le type de chose qui se produisait. Il y avait également des

 21   questions qui ont été posées pour ce qui est de savoir s'il s'agit là d'une

 22   blessure par objet contondant ou d'une fracture. Il s'agissait donc de

 23   savoir de quoi il s'agissait -- et autres conséquences d'une blessure par

 24   arme à feu."

 25   Alors, d'abord, dites-moi si ça traduit fidèlement le témoignage dont vous

 26   avez gardé le souvenir pour ce qui est de cette affaire --

 27   R.  Certes.

 28   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Madame Lee.


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  1   Mme LEE : [interprétation] Là où on parle de blessure par objet contondant,

  2   il faut lire "si cela a été une blessure par objet contondant", parce qu'au

  3   lieu de "whatever", il fallait lire en anglais "whether".

  4   M. IVETIC : [interprétation] Je m'excuse. Vous avez raison.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Veuillez continuer.

  6   M. IVETIC : [interprétation]

  7   Q.  Et lorsque vous dites que l'expérience des pathologistes peut être

  8   différente pour ce qui est des blessures au niveau des ossements, j'imagine

  9   que vous parlez d'autres pathologistes spécialisés en médecine légale qui

 10   travaillaient avec vous au sein d'une même équipe et qui procédait à des

 11   autopsies des restes retrouvés ?

 12   R.  Oui, en effet.

 13   Q.  Et ai-je raison de dire que certaines parties de votre rapport, je

 14   pense par exemple à l'établissement du nombre minimal d'individus et à

 15   quelques autres données du même type qui font partie du même chapitre, est-

 16   ce que tous ces éléments vous ont été fournis par un anthropologistes et

 17   que vous ne présentez pas d'opinion personnelle dans ces chapitres de votre

 18   rapport ?

 19   R.  Oui. Excusez-moi. La seule raison pour laquelle ces éléments

 20   d'information sont cités, c'est parce qu'ils sont nécessaires pour

 21   comprendre des observations que je présente.

 22   Q.  Et est-il vrai, Monsieur, que vous n'avez pas joué un rôle dans

 23   l'exhumation et la levée des corps de façon continue, que cette partie du

 24   processus a été assurée par le Dr Richard Wright et son équipe ?

 25   R.  Oui, c'est le Dr Wright qui se trouvait à la tête de l'équipe chargée

 26   de l'exhumation. Moi, j'ai été présent lors des exhumations qui ont été

 27   effectuées au CR12, CR3, à Liplje et à Zeleni Jadar, mais seulement pour

 28   jeter un coup d'œil et pour voir ce qui s'y passait. C'était Richard qui


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  1   était responsable des activités qui étaient en cours.

  2   Q.  Maintenant, j'aimerais me pencher sur les autopsies qui ont été faites

  3   dans ces cas de figure particuliers. Ai-je raison de dire que vous avez en

  4   fait travaillé sur un quart de toutes les autopsies qui ont été effectuées

  5   pendant que vous exerciez les fonctions du pathologiste spécialisé en

  6   médecine légale en chef au cours de la mission du TPIY ?

  7   R.  Oui.

  8   Q.  Très bien. Et en fait, la plupart du temps, il y avait trois, voire un

  9   peu plus tard quatre pathologistes qui travaillaient simultanément à tout

 10   moment ?

 11   R.  Oui, en effet.

 12   Q.  Et vous avez parlé d'un point, vous dites que vous supervisiez le

 13   travail des autres pathologistes. Est-ce qu'en effet, vous repreniez chaque

 14   autopsie individuelle, chaque rapport d'autopsie individuel préparé par

 15   d'autres pathologistes ou est-ce que vous procédiez à un tri de rapports

 16   que vous examiniez ou réexaminiez vous-même et de quelle façon ?

 17   R.  Au départ, j'examinais chaque rapport individuel. Et vers la fin, comme

 18   l'opération prenait de l'envergure, j'ai révisé tous les rapports qui

 19   concernaient les cadavres intacts et une partie importante des rapports qui

 20   portaient sur les fragments de cadavres. Et c'est ainsi que j'ai recueilli

 21   les informations qui figurent dans mon rapport de synthèse.

 22   Q.  Et pour les révisions que vous avez faites, il fallait aussi procéder à

 23   un examen indépendant de tous les restes qui ont été étudiés par vous et

 24   sur lesquels vous avez rédigé des rapports ?

 25   R.  Pas nécessairement.

 26   Q.  Très bien. Et pour chaque rapport que vous avez autorisé, dans chaque

 27   synthèse de rapport, nous retrouvons une formulation disant que chaque

 28   pathologiste individuel est responsable des autopsies qu'il a effectuées.


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  1   Et puis à la fin du paragraphe, il y a une autre formule en disant que les

  2   opinions exprimées dans le rapport sont uniquement les opinions du

  3   pathologiste concerné.

  4   Dans ce sens, Monsieur, le rapport de synthèse, en fait, est une

  5   synthèse des conclusions avancées par d'autres pathologistes qui ont

  6   travaillé sur les autopsies, y compris les cas de figure où l'autopsie a

  7   été effectuée par vous, ou alors avez-vous fait une synthèse de vos

  8   conclusions après la révision des rapports ?

  9   R.  Je reprenais plus ou moins ce que disaient les pathologistes. Il a pu

 10   survenir à quelques occasions, après avoir réexaminé toute la

 11   documentation, tous les examens radioscopiques, que je sois en désaccord

 12   avec le pathologiste concerné, mais le rapport original dans de tels cas de

 13   figure restait le même. C'est dans mon rapport de synthèse que je

 14   l'exprimais, mon point de vue sur ce cas de figure individuel.

 15   Q.  Très bien. Et êtes-vous d'accord avec moi pour dire qu'un procureur ou

 16   un enquêteur ne doit jouer aucun rôle et ne doit pas donner des consignes à

 17   un pathologiste spécialisé en médecine légale quant à la façon dont ils

 18   doivent rédiger des rapports d'autopsie ou quant à la façon dont ils

 19   doivent indiquer la cause de décès ?

 20   R.  Oui.

 21   Q.  Et pour ce qui est des rapports que vous avez préparés, ai-je raison de

 22   dire que vous ne vous êtes plus penché sur ces rapports depuis le procès

 23   Krstic ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Et est-ce que vous permettez la possibilité qu'il y a eu des

 26   développements qui ont survenu entre-temps et qui pourraient jeter une

 27   nouvelle lumière sur les faits que vous avez étudiés à l'époque et que cela

 28   pourrait avoir un impact sur les conclusions que vous avez adoptées ?


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  1   R.  Oui, c'est possible.

  2   M. IVETIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je vois quelle heure il

  3   est et, comme je compte passer à un autre sujet, je pense que c'est le bon

  4   moment pour faire une pause.

  5   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Oui. Nous allons lever l'audience pour

  6   aujourd'hui.

  7   Monsieur Lawrence, avant de le faire, je tiens à vous indiquer que vous

  8   n'avez pas le droit de parler ou de communiquer avec qui que ce soit au

  9   sujet de la déposition que vous avez déjà faite aujourd'hui et celle que

 10   vous allez faire demain. Nous aimerions vous revoir demain matin, à 9

 11   heures 30, dans la même salle d'audience. Vous pouvez suivre l'huissière.

 12   LE TÉMOIN : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 13   [Le témoin quitte la barre]

 14   M. LE JUGE ORIE : [interprétation] Nous levons l'audience pour aujourd'hui,

 15   et nous reprenons nos travaux demain, vendredi, le 19 juillet à 9 heures 30

 16   dans la même salle d'audience, la salle d'audience numéro III.

 17   --- L'audience est levée à 14 heures 15 et reprendra le vendredi, 19

 18   juillet 2013, à 9 heures 30.

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