Affaire n° : IT-95-13/1-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Wolfgang Schomburg, Président

Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba
M. le Juge Carmel Agius

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
29 mai 2003

LE PROCUREUR

c/

MILE MRKSIC

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DÉCISION CERTIFIANT LA NÉCESSITÉ DE FORMER APPEL

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Le Bureau du Procureur :

M. Jan Wubben
M. Mark J. McKeon

Le Conseil de l’accusé :

M. Miroslav Vasic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

SAISIE de la requête de la Défense aux fins de certification d’un appel interlocutoire contre la décision rendue par la Chambre de première instance au sujet de la requête de la Défense aux fins de la détermination de règles de communication avec des témoins potentiels de la partie adverse (Defence Request for Certification for Filing an Interlocutory Appeal on Trial Chamber’s Decision on Defence Motion Requesting the Determination of Rules for Communicating with Potential Witnesses of the Opposing Party) (la « Requête »), déposée le 14 mai 2003 par le Conseil de Mile Mrkšic (la « Défense »),

ATTENDU que la Défense sollicite une certification en vertu de l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») afin d’interjeter appel de la « Décision relative à la requête de la Défense aux fins de la détermination de règles de communication avec des témoins potentiels de la partie adverse » (la « Décision contestée »), rendue le 7 mai 2003, par laquelle la Chambre de première instance a rejeté une requête de la Défense aux fins susvisées,

ATTENDU que la Défense fait valoir que le critère de certification est rempli puisque la Décision contestée fait obstacle à la résolution d’une question importante susceptible d’avoir un retentissement profond sur la capacité de la Défense de présenter un dossier solide, et que l’équité et la rapidité du procès pourraient s’en trouver compromises1,

VU les arguments suivants de la Défense :

i) Les prétendus « témoins de la Défense », c’est-à-dire ceux qui ont déjà accepté de fournir une déclaration à la Défense et de déposer à décharge au procès, ne sont pas tenus de communiquer avec l’Accusation2,

ii) Les « témoins de la Défense », s’ils refusent d’être entendus par l’Accusation et que cette dernière les contacte à nouveau par l’intermédiaire des autorités serbes et monténégrines, se sentent intimidés et ne souhaitent plus coopérer avec la Défense qui, par suite, éprouve un surcroît de difficultés à trouver de nouveaux témoins  ; en outre, la Défense ne peut user des mêmes moyens de contrainte et contacter des « témoins de l’Accusation » par le biais des autorités compétentes3,

iii) La Défense se voit alors obligée d’avoir recours à des ordonnances de la Chambre pour contraindre les témoins à coopérer avec elle, ce qui entraîne des retards inopportuns 4,

VU, en outre, l’argument selon lequel cette question nécessite une solution immédiate afin de permettre à la Défense de préparer efficacement son dossier : c’est en effet au stade actuel de la procédure que la Défense rassemble la majorité de ses moyens de preuve et, partant, c’est à ce stade que les « témoins de la Défense  » doivent être à l’abri de pressions indues de la part de l’Accusation5,

VU l’opposition de l’Accusation à la requête de la Défense aux fins de certification d’un appel interlocutoire contre la décision rendue par la Chambre de première instance au sujet de la requête de la Défense aux fins de la détermination de règles de communication avec des témoins potentiels de la partie adverse (Prosecution’s Opposition to Defence Motion Requesting the Certification for Filing an Interlocutory Appeal on the Trial Chamber’s Decision on Defence Motion Requesting the Determination of Rules of Communication with Potential Witnesses of the Opposing Party) (la « Réponse  »), déposée le 21 mai 2003 par le Bureau du Procureur (l’« Accusation »),

ATTENDU que l’Accusation soutient que la Défense n’a pas démontré en quoi la Décision contestée soulève une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue ; et, en outre, que la Défense n’a pas démontré en quoi la résolution immédiate de cette question par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire avancer la procédure6,

VU, en outre, l’argument selon lequel l’Accusation se trouve lésée par l’engagement qu’elle a pris de cesser tout contact avec les témoins concernés tant que cette question n’aura pas été tranchée, et que tout nouveau retard dans la décision de la Chambre d’appel aggraverait le préjudice ainsi subi et ralentirait sensiblement les préparatifs de l’Accusation en vue du procès7,

ATTENDU que la question considérée compromettrait sensiblement l’équité et la rapidité du procès dans la mesure où la capacité de la Défense de communiquer avec des témoins potentiels et de préparer son dossier pourrait être affaiblie par l’absence des règles sollicitées,

VU l’argument de la Défense selon lequel cette question devrait être tranchée dans les meilleurs délais, compte tenu en particulier du désaccord entre les parties ,

ATTENDU qu’un témoin peut être cité à comparaître par la Défense dans une affaire et par l’Accusation dans une autre8, et que les questions suivantes se sont posées à maintes reprises lors de procédures en première instance : i) les témoins sont-ils liés à l’une des parties au procès, ii) dans l’affirmative, à quel moment le lien s’établit-il, et iii) quelles sont les conséquences de ce lien s’agissant d’entrer en relation avec les témoins de la partie adverse,

ATTENDU, par conséquent, qu’une décision immédiate de la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure, et pas seulement dans le cadre de l’espèce,

ATTENDU qu’une date n’a pas encore été fixée pour le procès et, partant, les préoccupations de la Défense quant à sa capacité d’établir son dossier l’emportent sur tout retard minime que pourrait subir l’Accusation dans la préparation de son dossier en attendant la résolution de cette question,

ATTENDU, par conséquent, que le critère de certification envisagé à l’article 73 B) du Règlement est rempli,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 73 B) du Règlement,

FAIT DROIT à la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 29 mai 2003
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
____________
Wolfgang Schomburg

[Sceau du Tribunal]


1 - Requête, par. 4.
2 - Requête, par. 9 et 15.
3 - Requête, par. 13 et 19.
4 - Requête, par. 11.
5 - Requête, par. 15, 18 et 19.
6 - Réponse, p. 3.
7 - Réponse, note de bas de page 7.
8 - Voir par exemple Le Procureur c/ Milorad Stakic, affaire n° IT-97-24, compte rendu d’audience du 20 février 2003, p. 12475.