Affaire n° : IT-95-13/1-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
3 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

MILE MRKSIC
MIROSLAV RADIC
VESELIN SLJIVANCANIN

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DÉCISION PORTANT SUR LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS D’EXAMINER LA DÉCISION DU GREFFIER RELATIVE AU DEGRÉ DE COMPLEXITÉ DE L’AFFAIRE

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Le Bureau du Procureur :

M. Jan Wubben

Le Conseil de l’Accusé Mile Mrksic :

M. Miroslav Vasic 

Les Conseils de l’Accusé Miroslav Radic :

M. Borivoje Borovic
Mme Mira Tapuskovic

Les Conseils de l’Accusé Veselin Sljivancanin :

M. Novak Lukic
M. Momcilo Bulatovic

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête aux fins d’examiner la décision du Greffier (Request for Review of Registrar’s Decision) déposée le 27 janvier 2005 par les Conseils de Mile Mrksic, Miroslav Radic et Veselin Sljivancanin (la « Défense » et la « Requęte ») en application des articles 11, 13 et 31 de la Directive relative à la commission d’office de conseils de la Défense (la « Directive »)1,

VU la décision du 11 janvier 2005 (la « Troisième Décision du Greffe »), dans laquelle le Greffier a refusé de faire passer l’affaire de la 1ère catégorie dans la catégorie supérieure, comme le lui avait demandé la Défense dans sa requête déposée le 8 septembre 2004 (Request for case level upgrade),2

ATTENDU que, dans la Requête, la Défense reprend les arguments qu’elle avait déjà présentés dans ses écritures précédentes, et qu’elle avance que le Greffier a commis une erreur en appréciant le degré de complexité de l’affaire et en prenant en considération le rang des Accusés, l’ampleur de l’affaire, sa complexité, le procès de la « ferme Ovcara » en cours devant la Chambre du Tribunal de district de Belgrade spécialisée dans les crimes de guerre, et la communication d’une grande quantité d’éléments de preuve documentaires qui avaient été produits l’affaire Milosevic,

ATTENDU qu’en application du nouveau système de paiement des conseils de la Défense pendant la phase préalable au procès et le procès, entré en vigueur le 1er janvier 2001, le Greffe alloue un contingent d’heures de travail en fonction du degré de complexité d’une affaire3,

ATTENDU qu’il revient au premier chef au Greffier de trancher les questions relatives à la rémunération des conseils, et qu’en application de l’article 22 A) de la Directive, le Greffier prend, en cas de désaccord sur le contingent d’heures, une décision, après consultation de la Chambre et, au besoin, du Conseil consultatif,

ATTENDU que l’examen judiciaire des décisions du Greffier sur le degré de complexité d’une affaire n’est prévu ni dans le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement ») ni dans la Directive,

ATTENDU cependant qu’il est constant que, lorsque la Directive ne prévoit pas expressément de droit de recours contre la décision du Greffier, la Chambre de première instance « est compétente, vu l’obligation que lui impose le Statut de veiller à l’équité du procès, pour examiner la décision du Greffier en tenant compte de son incidence sur l’équité du procès »,

ATTENDU que « [l]’examen judiciaire d’une décision administrative prise par le Greffier au sujet de l’aide juridictionnelle ne porte tout d’abord que sur la régularité de la procédure qu’il a suivie pour aboutir à cette décision particulière et la manière dont il y est parvenu4 »,

ATTENDU que la Chambre de première instance a été consultée en conséquence à ce sujet à tous les stades de la procédure,

ATTENDU que l’équité de procès est remise en cause lorsque le Greffier i) n’a pas satisfait aux exigences de la Directive, ii) a contrevenu à telle ou telle règle élémentaire de bonne justice, iii) a pris en compte des éléments non pertinents ou omis de tenir compte d’éléments pertinents, ou iv) est parvenu à une conclusion qu’aucune personne sensée étudiant correctement la question n’aurait pu tirer,

ATTENDU que parmi les facteurs qui doivent être pris en compte pour un tel classement figurent le nombre et la nature des chefs d’accusation, d’éventuelles modifications de l’acte d’accusation, la nature des exceptions préjudicielles et exceptions d’incompétence du Tribunal, le nombre des coaccusés dans une même affaire, le nombre de témoins et de documents concernés, le territoire visé par l’acte d’accusation, la place occupée auparavant par l’accusé dans la hiérarchie militaire ou politique, et les questions juridiques susceptibles d’être soulevées durant le procès5,

ATTENDU que, pour déterminer le degré de complexité de l’affaire, le Greffe a pris en compte la portée temporelle et matérielle de l’affaire, la nouveauté des questions soulevées, le nombre de documents déjà communiqués et une estimation du nombre de témoins que l’Accusation souhaite citer, et le fait que le procès de la ferme Ovcara soit en cours,

ATTENDU en outre que le Greffier peut, s’il le juge bon, décider de relever le montant de l’aide juridictionnelle sans opérer un reclassement de l’affaire, et qu’il a ainsi usé le 6 octobre 2003 de la possibilité qui lui était donnée d’allouer à titre exceptionnel un contingent d’heures de travail supplémentaires au Conseil de Mile Mrksic et à son personnel d’appui6,

ATTENDU que, puisque la Défense n’a pas établi en quoi le Greffier i) n’avait pas satisfait aux exigences de la Directive, ii) avait contrevenu à telle ou telle règle élémentaire de bonne justice, iii) avait pris en compte des éléments non pertinents ou omis de tenir compte d’éléments pertinents, ou iv) était parvenu à une conclusion qu’aucune personne n’aurait pu raisonnablement tirer, et donc qu’elle n’a pas établi en quoi l’équité de procès est remise en cause, la Chambre de première instance n’examinera pas plus avant les arguments de la Défense,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION de l’article 21 du Statut du Tribunal, de l’article 54 du Règlement et de l’article 22 de la Directive,

REJETTE la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 3 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance II
______________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1. Directive relative à la commission d’office de conseils de la Défense, N° 1/94, IT/73/REV.10, (la « Directive »).
2. Le 12 septembre 2003, Mile Mrksic a présenté au Greffier une demande tendant à ce que son affaire soit réévaluée et classée en troisième catégorie (« catégorie III »). Le 17 octobre 2003, Mile Mrksic a déposé à titre confidentiel et ex parte une requête aux fins d’examen de la décision du Greffier (Defence Request for Review of the Registrar’s Decision), demandant à la Chambre de première instance d’examiner la lettre datée du 6 octobre 2003 par laquelle, au nom du Greffier, le Chef adjoint du Bureau chargé de l’aide juridictionnelle et des questions relatives à la détention alloue des fonds couvrant 350 heures de travail supplémentaires pour les Conseils et 1 500 heures de travail pour le personnel d’appui, et de faire passer l’affaire Mrksic, pour son degré de complexité, dans la catégorie III (la « Premicre Décision du Greffe »). Le 30 mars 2004, la Chambre de première instance a ordonné à Mile Mrksic de préciser s’il demande le reclassement de son affaire dans la deuxième ou troisième catégorie et, en conséquence, enjoint au Greffier de consulter la Chambre de première instance en vue de prendre une décision en application de l’article 22 A) de la Directive. Mile Mrksic a donc déposé le 14 avril 2004 des écritures apportant des précisions sur sa requęte aux fins d’examen de la décision du Greffier (Defence Motion to Clarify Request for Review of the Registrar’s Decision). Au nom du Greffier, le Chef par intérim du Bureau chargé de l’aide juridictionnelle et des questions relatives à la détention a rendu une décision le 18 juin 2004, dans laquelle le Greffe a décidé que l’affaire Mrksic serait maintenue, pour son degré de complexité, dans la catégorie I (la « Deuxième Décision du Greffe »). Le 8 septembre 2004, les trois Accusés ont déposé en commun une deuxième requête.
3. Report of the International Tribunal for the Former Yugoslavia to the United Nations General Assembly on the Structure and Functioning of the Legal Aid System, 31 mai 2003 (le « Rapport du TPIY sur l’aide juridictionnelle »).
4. Le Procureur c/ Miroslav Kvocka, Mladjo Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac, Affaire n° IT-98-30/1-A, Décision relative à la demande d’examen de la décision du Greffier de suspendre l’aide juridictionnelle accordée à Zoran Zigic, 7 février 2003, par. 13.
5. Rapport du TPIY sur l’aide juridictionnelle, par.25.
6. Le Procureur c/ Milan Martic, affaire IT-95-11-AR73.1, Décision relative à l’examen de la décision du Greffier de ne pas classer l’affaire, pour son degré de complexité, dans la catégorie III, décision rendue à titre confidentiel et ex parte le 3 décembre 2004.