Affaire n° : IT-95-13/1-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
9 mars 2005

LE PROCUREUR

c/

MILE MRKSIC
MIROSLAV RADIC
VESELIN SLJIVANCANIN

_____________________________________________

DÉCISION RELATIVE AU TROISIÈME ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ CONSOLIDÉ

_____________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Jan Wubben

Les Conseils de l’Accusé Veselin Sljivancanin :

M. Novak Lukic
M. Momcilo Bulatovic

I. REQUÊTES ET CONTEXTE

1. La CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance  ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal ») est saisie de la requête préliminaire relative au Troisième Acte d’accusation modifié consolidé (Preliminary Motion in Respect to the Third Modified Consolidated Amended Indictment) (la « Requête Sljivancanin »), déposée par la Défense de Veselin Sljivancanin (l’« Accusé ») le 13 décembre 2004 en application de l’article 72 A) ii) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), qui allègue la présence de vices de forme dans le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé dressé à l’encontre des Accusés.

2. Le contexte des différents actes d’accusation de l’espèce a été longuement exposé dans des décisions antérieures, et la Chambre de première instance ne voit pas la nécessité de le rappeler ici1. Il suffit de faire remarquer que, le 29 octobre 2004, la Chambre de première instance a ordonné à l’Accusation d’apporter des modifications au Deuxième Acte d’accusation modifié consolidé et de le déposer une fois les modifications effectuées2. En conséquence, l’Accusation a déposé sa proposition de Troisième Acte d’accusation modifié consolidé le 15 novembre 2004 (la « Proposition de l’Accusation »)3, suite à quoi l’Accusé a déposé son exception préjudicielle la plus récente. Le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») a déposé sa réponse le 13 janvier 2005 (la « Réponse  »)4.

II. TROISIÈME ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ CONSOLIDÉ

3. Dans le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé, les trois Accusés sont mis en cause, en application des articles 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal (le « Statut »), pour diverses infractions qui auraient été commises après la prise, par les Serbes, de la ville de Vukovar (République de Croatie), spécifiquement pour les huit chefs suivants :

a) persécutions5, extermination6 et actes inhumains7, en tant que crimes contre l’humanité,

b) traitement cruel8, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre,

c) assassinat, en tant que crime contre l’humanité9 et violation des lois ou coutumes de la guerre10, et

d) torture, en tant que crime contre l’humanité11 et violation des lois ou coutumes de la guerre12.

III. PRINCIPES GÉNÉRAUX CONCERNANT LA PRÉSENTATION DES ACCUSATIONS

4. La Chambre de première instance reconnaît qu’en ce qui concerne la présentation des accusations, les principes généraux exposés dans la Première Décision relative à la forme de l’Acte d’accusation, même s’ils se limitaient à Mrksic, ont été rappelés dans les deuxième et troisième décisions relatives à la forme de l’acte d’accusation et s’appliquent à la présente décision, mais la Chambre n’estime pas nécessaire de les répéter ici13.

IV. OBJECTIONS RELATIVES À LA FORME DU TROISIÈME ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ CONSOLIDÉ

5. La Chambre de première instance rappelle que les exceptions préjudicielles pour vices de forme d’un acte d’accusation modifié concernent les éléments ajoutés lors de la modification, et non ceux qui étaient présents dans l’acte d’accusation initial et qui n’ont précédemment fait l’objet d’aucune contestation14. Dans la Requête Sljivancanin, la Défense soutient que l’Accusation ne s’est à nouveau pas conformée à la Quatrième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation et a, de surcroît, introduit de nouvelles accusations dans le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé. L’Accusation répond qu’elle a suivi les ordres de la Chambre de première instance en clarifiant le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé et que, ce faisant, elle n’y a ajouté aucune nouvelle accusation. La Chambre de première instance examine ci-après les différentes objections soulevées par la Défense, lesquelles ont toutes trait à la nature de la responsabilité de l’Accusé.

6. La Défense soutient que, dans le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé, la responsabilité de supérieur hiérarchique de l’Accusé n’est toujours pas clairement définie, s’agissant : i) des faits compris dans l’« opération d’évacuation »15  ; ii) de l’identification des ces forces sur lesquelles l’Accusé aurait exercé une responsabilité de supérieur hiérarchique16 et iii) de l’identification des forces qui auraient pris part à la commission des crimes visés dans le Troisième Acte d’accusation modifié17.

7. L’Accusation répond que le paragraphe 17 du Troisième Acte d’accusation modifié consolidé (le « paragraphe 17 ») définit clairement l’« opération d’évacuation » et les forces sur lesquelles l’Accusé aurait exercé une responsabilité de supérieur hiérarchique et qui auraient pris part à la commission des crimes reprochés dans l’Acte d’accusation18.

8. Premièrement, le paragraphe 17 précise que l’« opération d’évacuation » 

a commencé à l’hôpital de Vukovar ; a continué avec le maintien des détenus en captivité à la caserne de la JNA ; et s’est poursuivie avec le transfert des détenus à la ferme d’Ovcara où ceux-ci ont été maltraités par les forces serbes qui les ont finalement tués par balle au bord d’un ravin situé à proximité.

La Chambre de première instance considère qu’au paragraphe 17, son ordre de préciser plus avant l’« opération d’évacuation » a été correctement appliqué19.

9. Deuxièmement, dans le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé, les subordonnés présumés de l’Accusé sont définis comme les « forces serbes », par référence au paragraphe 7, et comprennent les « membres de la JNA, de la Défense territoriale ("TO") de l’entité dite "Région serbe autonome /Srpska autonomna oblast/ de Slavonie, de la Baranja et du Srem occidental" (la "SAO SBSO"), de la TO de la République de Serbie (la "Serbie"), et des unités de volontaires et de paramilitaires, notamment celles qui étaient organisées par Vojislav Seselj, tous placés sous le commandement de la JNA ». L’Accusation allègue que l’Accusé exerçait tout d’abord une autorité de facto sur un « bataillon de la police militaire subordonné à la 1re brigade motorisée de la Garde », puis une autorité de facto et de jure sur les forces serbes telles que définies au paragraphe 7. La Chambre de première instance considère que le paragraphe 17, lu à la lumière du paragraphe  7, définit de manière suffisamment détaillée la totalité des forces sur lesquelles l’Accusé aurait exercé une autorité de supérieur hiérarchique et est donc en conformité avec la Quatrième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation.

10. Troisièmement, s’agissant des crimes reprochés aux subordonnés présumés de l’Accusé, le paragraphe 17 accuse clairement toutes les forces serbes sur lesquelles l’Accusé exerçait une autorité de supérieur hiérarchique de tous les crimes commis durant l’opération d’évacuation. La Chambre de première instance considère donc que l’Accusation a identifié les crimes allégués avec suffisamment de détails pour que l’Accusé soit informé de la nature et des fondements de l’espèce avant l’ouverture du procès.

11. La Chambre de première instance rejette également l’argument de la Défense selon lequel l’Accusation aurait rajouté de nouvelles accusations dans le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé. En réalité, celui-ci n’ouvre pas « la possibilité de déclarer l’accusé coupable sur la base d’éléments factuels ou juridiques qui n’étaient pas exposés dans l’acte d’accusation »20, mais clarifie simplement les accusations contenues dans les actes d’accusation précédents et se conforme à la Quatrième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation.

12. En outre, la Chambre de première instance fait remarquer que l’Accusation, en application de l’ordonnance rendue par la Chambre le 29 octobre 2004, a fourni suffisamment de preuves pour justifier à première vue la modification précisant que des discussions sur l’évacuation de l’hôpital de Vukovar ont eu lieu entre Mile Mrksic, Veselin Sljivancanin et le personnel de l’hôpital21.

V. DISPOSITIF

Par ces motifs,

EN APPLICATION de l’article 72 du Règlement,

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II FAIT DROIT à la Requête de l’Accusation et ORDONNE que le Troisième Acte d’accusation modifié consolidé, déposé par l’Accusation le 15 novembre 2004, soit considéré comme l’acte d’accusation en vigueur contre Mile Mrksic, Miroslav Radic et Veselin Sljivancanin.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 9 mars 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1 - L’acte d’accusation initial dressé à l’encontre de l’Accusé a été confirmé en 1995 : Le Procureur c/ Mrksic, Radic et Sljivancanin, affaire n° IT-95-13-I, Acte d’accusation, 7 novembre 1995. Mrksic s’est livré au Tribunal le 15 mai 2002, et l’Accusation a été autorisée à déposer ce qu’elle a appelé le Deuxième Acte d’accusation modifié uniquement à son encontre : Le Procureur c/ Mrksic, affaire n° IT-95-13/1, Deuxième Acte d’accusation modifié, 29 août 2002. La Chambre de première instance a décidé, sur la base des allégations de Mrksic, qu’il était vicié, et elle a ordonné à l’Accusation de le modifier : Le Procureur c/ Mrksic, affaire n° IT-95-13/1-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation, 19 juin 2003 (« Première Décision relative à la forme de l’acte d’accusation »). Radic et Sljivancanin ont finalement été remis à la garde du Tribunal, et l’Accusation a demandé l’autorisation de déposer un acte d’accusation unique à l’encontre des trois accusés. Ceux-ci ont à leur tour allégué que l’acte d’accusation modifié consolidé était vicié, et la Chambre de première instance a ordonné à l’Accusation d’y apporter des modifications : Décision relative aux exceptions préjudicielles pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié consolidé et à la requête de l’Accusation aux fins de modifications, 23 janvier 2004 (« Deuxième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation ») ; voir également le Corrigendum à la Décision relative aux exceptions préjudicielles pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié consolidé et à la requête de l’Accusation aux fins de modifications, 26 janvier 2004. Mrksic et Sljivancanin ont ensuite déposé des exceptions préjudicielles pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié consolidé. La Chambre de première instance a ordonné à l’Accusation de modifier ledit acte d’accusation puis de le déposer : Décision relative à la forme de l’acte d’accusation consolidé à nouveau modifié, 20 juillet 2004 (« Troisième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation »). L’Accusation a donc déposé le Deuxième Acte d’accusation modifié consolidé à nouveau modifié le 26 août 2004, suite à quoi Mrksic et Sljivancanin ont déposé deux exceptions préjudicielles pour vices de forme du dernier acte d’accusation proposé.
2 - Décision relative à la forme du Deuxième Acte d’accusation modifié consolidé (« Quatrième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation »).
3 - Prosecution Submission of the Proposed Third Modified Consolidated Amended Indictment Pursuant to the Trial Chamber Decision of 29 October 2004.
4 - La Chambre de première instance fait remarquer que l’Accusation n’a pas respecté le délai de quatorze jours énoncé à l’article 126 bis du Règlement pour déposer sa réponse, mais qu’elle la prendra néanmoins en considération lorsqu’elle examinera la requête de Sljivancanin.
5 - Chef 1, article 5 h) du Statut.
6 - Chef 2, article 5 b) du Statut.
7 - Chef 6, article 5 i) du Statut.
8 - Chef 8, article 3 du Statut.
9 - Chef 3, article 5 a) du Statut.
10 - Chef 4, article 3 du Statut.
11 - Chef 5, article 5 f) du Statut.
12 - Chef 7, article 3 du Statut.
13 - Première Décision relative à la forme de l’Acte d’accusation, par. 7 à 14 ; Voir également les deuxième, troisième et quatrième décisions relatives à la forme de l’acte d’accusation.
14 - Troisième Décision relative à la forme de l’Acte d’accusation, par. 25 ; Quatrième Décision relative à la forme de l’Acte d’accusation, par. 5 et 6 ; voir également Le Procureur c/ Krnojelac, affaire n° IT-95-25-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle pour vices de forme de l’acte d’accusation modifié, 11 février 2000, par. 15.
15 - Requête Sljivancanin, par. 16.
16 - Requête Sljivancanin, par. 8 à 11.
17 - Requête Sljivancanin, par. 12.
18 - Réponse, par. 13 et 15.
19 - Quatrième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation, par. 11.
20 - Le Procureur c/ Sefer Halilovic, affaire n° IT-01-48-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de modifier l’acte d’accusation, 17 décembre 2004, par. 30.
21 - Dans sa Quatrième Décision relative à la forme de l’acte d’accusation, la Chambre de première instance avait enjoint à l’Accusation de lui communiquer les déclarations des témoins Vesna Bosanac, Vlado Franic et Neda Friber, de telle sorte qu’elle puisse vérifier qu’il existe des preuves justifiant cette modification à première vue.