Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le vendredi 1er septembre 2006

2 [Audience publique]

3 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

4 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 02.

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Bonjour à tous et à toutes. Bonjour,

7 Monsieur. Veuillez, je vous prie, prendre le carton qu'on vous tend et

8 donnez lecture de la déclaration solennelle.

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous dis bonjour également.

10 Je déclare solennellement que je dirai la vérité, toute la vérité et rien

11 que la vérité.

12 LE TÉMOIN: STEVAN BISIC [Assermenté]

13 [Le témoin répond par l'interprète]

14 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Merci.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] A vous, Maître Domazet.

17 M. DOMAZET : [interprétation] Bonjour, Madame et Messieurs les juges.

18 Bonjour à tous et à toutes.

19 Interrogatoire principal par M. Domazet :

20 Q. [interprétation] Bonjour, Monsieur Bisic. Je vais d'abord vous

21 interroger en ma qualité de conseil de la Défense de M. Mrksic. Etant donné

22 que nous parlons la même langue, je vous serais gré, après avoir entendu

23 mes questions, de faire une petite pause et de donner lentement vos

24 réponses afin que ce soit consigné au compte rendu et traduit.

25 Monsieur Bisic, pouvez-vous nous donner vos noms, prénoms, date de

26 naissance, lieu de naissance, enfin les renseignements les plus

27 élémentaires vous concernant ?

28 R. Je m'appelle Stevo Bisic. Je suis né le 9 janvier 1953 dans la localité

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1 de Perenci, Slavonska Projega [phon], République de Croatie. A la fin de

2 mes classes primaires, j'ai fait une école secondaire de l'armée et pour

3 des besoins de service, j'ai séjourné brièvement à Knin pendant trois ans

4 et demi, et puis j'ai été muté à Belgrade dans la Brigade de la Garde,

5 c'est-à-dire, l'unité qui était à l'époque chargée d'escorter le camarade

6 Tito. Je suis resté dans cette brigade jusqu'en 1992 pour exercer des

7 fonctions plutôt subalternes.

8 Q. Pour que nous puissions suivre votre carrière militaire, veuillez nous

9 dire ce que vous avez fini comme classe et quand est-ce que vous avez

10 commencé à travailler pour la première fois dans l'armée ?

11 R. J'ai terminé une école de sous-officiers pour les transports à

12 Podgorica en 1972. En 1972, je suis entré en service d'active en qualité de

13 soldat -- ou plutôt, de sous-officier. Ma première fonction militaire avait

14 été de commander une unité de base, à savoir une section. J'ai passé trois,

15 quatre ans à Knin comme je vous l'ai déjà dit puis j'ai fait des stages de

16 formation et je suis passé faire partie de l'Unité de la Garde pour

17 escorter le président Tito et les chefs d'états étrangers, cette unité

18 d'escorte où j'ai eu l'occasion d'accueillir une quarantaine de chefs

19 d'états étrangers.

20 Après la mort de Tito, nous avons continué à être dans l'accompagnement des

21 hautes délégations militaires et de l'état qui rendaient visites à l'ex-

22 Yougoslavie, jusqu'en 1986 en fait.

23 En 1986, je suis passé faire partie d'une compagnie antiterroriste dans la

24 même brigade. Six moins avant le début de la guerre, mon mandat a pris fin

25 dans les rangs de cette unité et, au tout début de la guerre, je suis

26 retourné en faire partie et je suis resté là jusqu'en 1992.

27 En 1992, j'ai été muté depuis la Brigade de la Garde, étant donné que

28 j'étais originaire de ces régions où la guerre battait son plein, en 1993,

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1 je suis retourné pour faire mon travail à Vukovar. J'y suis resté jusqu'à

2 la signature des accords de Dayton. Ensuite, je suis revenu à Belgrade. J'y

3 ai passé un certain temps dans une petite unité auprès de l'hôpital

4 militaire et j'ai été mis à la retraite en 2002, et à présent je suis sous-

5 officier retraité de l'armée.

6 Q. Merci. Si je vous ai bien compris mis à part ces trois ou quatre années

7 que vous avez passées à Knin, tout le reste de votre carrière militaire

8 vous l'avez passée à Belgrade au sein de cette unité de la Garde, n'est-ce

9 pas ?

10 R. Oui.

11 Q. Pouvez-vous nous parler de ce peloton antiterroriste dont vous avez

12 fait partie, comme vous venez de nous l'indiquer ? Qui est-ce qui le

13 composait, y avait-il que des officiers d'actif ou y avait-il des soldats

14 qui faisaient leur service militaire, enfin, pouvez-vous étoffer votre

15 propos ?

16 R. C'est le tout début de la création des unités antiterroristes dans

17 l'ex-JNA, d'après ce que j'en sais. C'est dans les années 1970 que l'on a

18 créé des unités embryonnaires. Comme nous étions ensemble dans la même

19 enceinte, je faisais partie à l'époque d'une unité spéciale chargée des

20 transports. J'étais notamment chargé de conduire des motos et autres

21 véhicules faisant partie de l'escorte. Les autres gars étaient dans les

22 bâtiments à côté. Nous ne les contactions pas mais nous les rencontrions.

23 Dans le service on n'avait pas coutume de beaucoup parler mais on savait à

24 peu près quelle était l'espèce de formation et d'entraînement qu'ils

25 suivaient.

26 Cette unité était en gestation comme bon nombre d'autres unités de cette

27 ex-Yougoslavie, il en allait de même pour ce qui est de certaines unités du

28 ministère de l'Intérieur avec lesquelles nous coopérions au niveau des

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1 entraînements. Alors, pour ce qui est de la création de ces unités et de la

2 mise en œuvre de ces programmes d'entraînement je dirais que le programme

3 c'est au fur et à mesure développé et que les unités chargées d'escorter

4 des personnalités se sont agrandies voire l'accession d'une partie des

5 chauffeurs, des conducteur, c'est donc deux hommes, moi et un autre qui

6 avons fait partie de ce peloton antiterroriste.

7 Q. Merci. Vous avez parlé de l'école des transports et vous avez parlé de

8 véhicules. Vous avez été chauffeur ou encore quelque chose d'autre ? Qu'est

9 au juste été votre statut au sein de l'unité ?

10 R. Vous parlez de l'unité antiterroriste ou de l'autre ?

11 Q. Oui, je parle de l'unité antiterroriste.

12 R. Mon rôle a essentiellement été celui de conduire des véhicules de

13 l'escorte, mais une bonne partie du programme d'entraînement ou de

14 formation a été parcouru par mes soins, tout comme par mon collègue.

15 C'était indispensable parce qu'il ne suffisait pas d'être rien que

16 chauffeur.

17 Q. Merci. Nous parlons de cette période de 1991, qui nous intéresse du

18 point de vue de l'acte d'accusation ici présent. Avez-vous souvenance

19 s'agissant de cette unité antiterroriste des effectifs qu'elle comptait ?

20 R. J'étais le deuxième des plus âgé, il y avait un sergent chef. Un

21 Croate, mais malheureusement il est décédé de mort naturelle.

22 Je dirais que le nombre a varié, mais lorsqu'il y a eu ces conflits

23 armés à Vukovar, je crois que nous étions 32 d'officiers d'active.

24 Q. C'étaient tous des officiers d'actif ?

25 R. Oui, une autre partie des effectifs. Quelque 45 soldats faisaient

26 partie de l'autre segment de cette unité également spécialisée en matière

27 antiterroriste.

28 Q. Cette unité pour ce qui est des effectifs d'active, et je vous poserais

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1 tout à l'heure des questions sur le reste.

2 Cette unité était-elle constituée par plusieurs groupes ethniques ou par un

3 seul groupe ?

4 R. À l'époque c'était une composition typiquement hétérogène. On ne

5 regardait pas les gens de par leur appartenance au parti, mais on

6 choisissait les gens en fonction de leur profession, de leurs

7 qualifications professionnelles. Je ne serais vous parler de la structure

8 exacte pour ce qui est donc du nombre de tel ou tel autre ressortissant,

9 mais je sais que nous étions un peu devenus de partout. Il y avait deux

10 Macédoniens. Il y avait plusieurs Croates. Le commandant c'était un

11 Musulman. Il y avait plusieurs autres jeunes gens très corrects, des

12 Musulmans, également. Il y avait des gars au sujet de qui je ne savais pas

13 du tout d'où ils étaient venus, et ce n'est qu'après la fini de la guerre

14 que nous avons appris dans des conversations officieuses qui étaient venus

15 d'où, il y avait bien entendu des Serbes aussi.

16 Q. Merci.

17 M. DOMAZET : [interprétation] Je demanderais, Monsieur le Président, de

18 bien vouloir nous faire passer brièvement à huis clos partiel.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel.

20 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel, Monsieur

21 le Président.

22 [Audience à huis clos partiel]

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1 (expurgé)

2 [Audience publique]

3 M. DOMAZET : [interprétation]

4 Q. Vous nous avez parlé tout à l'heure de votre commandant et la question

5 a été : vous souveniez-vous du nom du commandant de la Brigade de la Garde

6 toute entière ?

7 R. Bien sûr. Le commandant -- mais de quelle période parlons-nous ?

8 Q. De l'époque des événements de Vukovar.

9 R. Le commandant, et la personne qui est présente ici, je le reconnais.

10 C'était notre commandant de la brigade et c'était le colonel Mile Mrksic.

11 Q. Vous souvenez-vous de la durée pendant laquelle il exercé ses fonctions

12 de commandant ? Pendant combien de temps vous êtes passés -- vous avez

13 passé sous ses ordres ?

14 R. Je me souviens encore de son arrivée. Il était -- il faisait longtemps

15 partie de la Brigade de la Garde - c'est ce que disaient les collègues plus

16 âgés - puis ensuite, il a fait différentes fonctions au sein de la JNA. Je

17 ne connais pas tout son parcours, mais s'agissant du moment de son arrivée

18 dans la Brigade de la Garde, c'est quelque chose qui me restait fraîchement

19 gravé dans la mémoire parce qu'il a dormi dans l'enceinte du palais blanc

20 et c'est là que notre unité était installée, nous avons joué au tennis de

21 table, au ping pong souvent ensemble. Alors, pour ce qui est de la date

22 exacte et de l'année, croyez-moi bien que je ne m'en souviens plus.

23 Q. Mais, bien, en tout état de cause, vous avez connu cet homme pendant un

24 certain temps en sa qualité d'officier. Alors, brièvement, comment pouvez-

25 vous le décrire en qualité d'officier ?

26 R. M. Mile Mrksic était quelqu'un qui se tenait de façon très sérieuse en

27 sa qualité d'officier. Je l'ai connu dans l'après-midi sans connaître son

28 grade ni les fonctions qu'il était censé accomplir. Nous avons spontanément

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1 commencé à jouer au ping pong et cela s'est poursuivi pendant longtemps. Je

2 n'ai pas connu son grade parce qu'il venait en survêtement sport. Je savais

3 qu'il dormait -- qu'il passait la nuit là-haut à l'étage, et je crois qu'à

4 l'époque, il était sous lieutenant-colonel. Je crois que, pendant un

5 certain temps, il a été chef d'état-major, c'était quelqu'un de très

6 respectueux des principes, d'un comportement sérieux, responsable, éduqué

7 de façon spartiate, tout d'abord, vis-à-vis de soi-même et vis-à-vis des

8 autres ensuite.

9 S'agissant de l'unité chargée d'escorter feu le président Tito, nous

10 avions eu un code de comportement très spécifique. Nous avions une

11 discipline au travail extrêmement grande, mais du point de vue militaire,

12 nous n'étions pas des soldats émérites. Nous avions une discipline au

13 travail exceptionnelle, comme je l'ai déjà dit, et avec l'arrivée du

14 colonel Mrksic, il a relevé les choses à un niveau maximum, et nous avons

15 constitué une unité d'élite qui a été reconnue en tant que telle par des

16 personnalité d'envergure mondiale. J'ai participé dans l'accompagnement de

17 43 chefs d'état, et rare ont été les cas où nous étions privés d'expression

18 de reconnaissance et d'estime.

19 Q. Merci. Vous souvenez-vous du fait qui avait été commandant de cette

20 Brigade de la Garde juste avant le colonel Mrksic ?

21 R. Je crois que c'était le colonel Coric.

22 Q. Merci. Je voudrais passer à un autre sujet, je voudrais parler du

23 départ de votre unité dans le secteur de Vukovar. Alors, vous souvenez-vous

24 de la date à peu près à laquelle cela s'est passé, nous avons ces

25 renseignements bien sûr et dites-nous où est-ce que vous êtes allés d'abord

26 en quittant Belgrade ?

27 R. Je parle d'une marche de cette unité composée de 32 officiers, 45

28 soldats faisant partie de l'unité antiterroriste. Nous avons constitué une

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1 colonne complète, un train militaire, je ne me souviens plus de la date, je

2 crois que c'était le 29 août. C'est vers Sid que notre groupe s'était

3 dissocié et nous avons passé la nuit dans un motel, dans le foret. Ensuite,

4 nous avons rejoint la colonne entière et nous avons poursuivi notre

5 déplacement en direction de Vukovar. Sur la route jusqu'à Vukovar, nous

6 avons connu notre baptême de feu d'une intensité moindre, non loin de la

7 localité d'Orolik.

8 Q. Je vais vous interrompre ici pour vous poser la question.

9 M. MOORE : [interprétation] Puis-je interrompre mon éminent collègue pour

10 un moment ? Il y a peut-être un problème d'interprétation et c'est la

11 deuxième fois que cela survient. Lorsque le mot B/C/S -- en B/C/S de Vod

12 [phon] devrait être traduit par "peloton", et on parle de "compagnie". Or,

13 une compagnie est composée de trois pelotons, et j'aimerais que mon éminent

14 confrère apporte de la lumière sur ce point-là.

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Moore.

16 M. DOMAZET : [interprétation] Merci, Monsieur Moore.

17 Q. Alors, est-ce que vous avez compris le point qui inquiète M. Moore ?

18 Voulez-vous bien expliquer s'il s'agissait d'un peloton ou d'une compagnie,

19 enfin, ce qu'il en était ?

20 R. Il s'agissait d'un peloton antiterroriste. Pour ce qui est de sa

21 composition en officiers, et pour ce qui est de la composition en soldats,

22 je ne sais pas vous dire quelles ont été toutes les formations, mais nous

23 étions 32 officiers, c'était un peloton. Pour ce qui est du segment

24 d'infanterie ou de soldats, il y avait 40 et quelques soldats, je ne sais

25 plus. Je ne sais plus si on l'appelait également peloton, il me semble que

26 c'était bien le cas. Mais ces deux segments constituaient un tout qui lui

27 était qualifié de compagnie.

28 Q. Donc, si je vous ai bien compris, une compagnie était -- cette

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1 compagnie était constituée de quelque 30 sous-officiers, comme vous nous

2 avez dit, sous-officiers et officiers. Cette quarantaine de soldats qui

3 faisaient leur service militaire, et ensemble vous faisiez partie d'une

4 compagnie antiterroriste, n'est-ce pas ?

5 R. Oui, c'est exact.

6 Q. Monsieur Bisic, revenons brièvement à cette localité d'Orolik où et

7 vous avez parlé d'un baptême de feu. Dites-nous : De quelle attaque il

8 s'agit ? Quels sont les effectifs ? Etait-ce une attaque à l'artillerie ou

9 quoi ?

10 R. Brièvement la localité s'appelle Orolik. C'est sur la route entre

11 Tovernik et Vukovar. Nous avons fait l'objet d'une attaque aux mortiers de

12 la part d'un groupe croate paramilitaire, à l'époque, de façon évidente,

13 assez petit, et nous avons fait l'objet de tirs d'un tireur isolé, et

14 quelqu'un qui était assis de moi -- enfin, j'étais au volant du camion,

15 j'étais donc du côté gauche, et une balle est passée et c'était une balle

16 qu'on appelle dumdum, et cela m'est passé sous le nez. Il y a eu des tirs

17 de mortiers intenses, puis nous nous sommes arrêtés.

18 Nous nous sommes réorganisés, nous avons résistés, ripostés et nous

19 avons continué en direction de Negoslavci qui se trouve à quelques huit

20 kilomètres avant Vukovar.

21 Q. Monsieur Bisic, je vais passer à un sujet tout à fait précis et je vais

22 passer à un point qui intéresse, notamment, la Défense de M. Mrksic. C'est

23 la journée même de la chute de Vukovar. Vous souvenez-vous de la date qui

24 est prise comme celle de la chute de Vukovar ? Dites-nous si vous vous

25 souvenez de cette journée. Ensuite, je poursuivrai avec mes questions.

26 R. Par la force des choses et des événements, j'ai lu toute une série de

27 documents auxquels j'ai eu accès, des rapports, et cetera. Certains

28 évoquent la date du 19, d'autres la date du 18. A ce moment-là, nous étions

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1 vraiment à la pointe des événements et c'est le 18 sans aucun doute qu'il y

2 a eu la chute de Vukovar, le 18 novembre.

3 Q. Très bien. Alors, relatez-moi ce dont vous vous souvenez pour ce qui

4 est de la matinée du 18 novembre; qu'avez-vous fait à ce moment-là ? Que

5 s'est-il produit ?

6 R. Donc, nous étions 32 officiers qui nous nous sommes mis en route et à

7 partir du 2 octobre, le moment où nous sommes entrés dans la ville, c'est

8 sans arrêt que nous avons mené des opérations d'attaque, de combat, et même

9 si les gars étaient au top de leur forme psychologique, physique, de leur

10 entraînement, bien entendu, il y a eu des variations, des hauts et des bas

11 comme cela peut toujours arriver. Il y a eu des blessures et, finalement,

12 il y a eu des pertes dans l'unité ce qui veut dire en d'autres termes qu'au

13 moment de la libération de Vukovar nous étions pas mal affaiblis. Donc, il

14 y a eu des re complètements de l'unité à partir de ce peloton que je viens

15 de mentionner, qui était assez près et qui pouvait prendre leurs places au

16 sein de l'unité.

17 La chute de Vukovar s'annonçait même avant, mais ce jour-là dans la matinée

18 - je ne peux pas vous décrire la situation avec une certitude absolue - à

19 ce moment-là, on était majoritaire -- la plupart d'entre nous ne pensait

20 pas que la chute allait se produire effectivement ce jour-là.

21 Dans la matinée, nous avons mené une action d'envergure et puis il y

22 en avait d'autres, il y avait pas mal d'activités et il n'était pas tout à

23 fait clair de savoir exactement tout ce qui se passait. Mais toujours est-

24 il qu'on a entendu dire qu'une reddition s'annonçait. Peu de temps après,

25 que la reddition était même en cours et qu'il s'agissait de leurs unités

26 d'élites, de leurs unités qui assuraient la défense des gens de Paraga, les

27 Bérets rouges de Paraga, du moins c'est comme cela qu'ils s'appelaient sur

28 les ondes radio.

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1 Si on remonte un petit peu dans le temps, reprenons les choses à partir du

2 début. Je me suis vu surnommé Caruga. Je ne sais pas comment c'est venu.

3 Dans l'unité spéciale, il y avait quelqu'un qui s'est mis à m'appeler par

4 radio et on s'est engagé dans de petites conversations dans un premier

5 temps, mais qui après se sont rallongées et puis finalement, il nous est

6 arrivé de nous parler deux ou trois fois en l'espace d'une journée et puis,

7 d'avoir des petites conversations qui portaient sur notre vie quotidienne,

8 sur ce qu'on mangeait, comment on passait la journée, enfin, dans le

9 respect de l'autre ? C'est dans la nuit du 15 au 16 que je lui ai parlé

10 pour la dernière fois, c'était leur jeune faucon, surnommé Faucon. Puis, à

11 la fin, on s'est mis à se raconter des choses qui étaient à moitié vraies.

12 Dans la nuit du 15 au 16, quand on s'est parlé pour la dernière fois, le 17

13 au matin, je l'appelle : "Jastreb, comment cela va ? Comment cela chez

14 toi ? Vous avez pris votre petit déjeuner ?", et cetera ? Mais aucune

15 réponse. Puis, dans le 17 -- le 17, donc, je ne l'ai plus entendu. Je me

16 suis dit : "Mais il se passe quelque chose." Finalement, cela a été

17 confirmé de la part des instances de commandement, à savoir que la ville

18 était en train de se rendre, que les unités s'apprêtaient à procéder à la

19 reddition.

20 Ensuite, j'ai eu la confirmation que les officiers et le commandement

21 s'apprêtaient à se rendre, le colonel Panic en fait est venu me voir. Nos

22 deux hommes de l'unité spéciale ont hissé le drapeau yougoslave sur le

23 château d'eau qui avait été détruit. Nous avons eu du mal à nous procurer

24 ce drapeau car nous étions sur un territoire occupé par les Croates. Il

25 nous a fallu pas mal de temps pour trouver le drapeau. Finalement,

26 quelqu'un a pu s'en procurer un, donc l'échiquier croate a été enlevé et le

27 drapeau yougoslave a été hissé.

28 Je sais que le colonel Panic s'est servi de la radio pour empêcher qu'ils

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1 grimpent sur le château d'eau car il y avait pas mal de risque encore, il y

2 avait des poches de résistance. Des snippers étaient encore actifs. A un

3 moment donné, on a vu le drapeau yougoslave en haut du château d'eau.

4 A ce moment-là, je n'étais pas loin de la périphérie de Vukovar, près de

5 l'hôtel Danube. Sur le pont, je me souviens, il y avait un jeune homme, un

6 de nos soldats, qui s'était blessé par hasard, en fait il tenait son fusil

7 tourné vers ses jambes ou son pied et c'est par mégarde qu'il s'est blessé

8 au pied. C'était déjà dans la zone de l'après-midi, on confirmait que la

9 reddition était en cours, la reddition définitive.

10 Q. Donc, pour être tout à fait précis, vous nous parlez maintenant de la

11 journée du 18 novembre 1991 ?

12 R. Oui.

13 Q. Est-ce qu'il y a un événement dont vous vous souviendriez au cours de

14 cette matinée ou l'après-midi au centre de Vukovar où vous étiez ?

15 R. Pour ce qui est de la matinée, c'est plutôt flou mes souvenirs, mais

16 l'après-midi, après la blessure de ce soldat, quand je suis revenu, je me

17 souviens bien qu'un groupe de nos collègues m'a appelé par la radio et ils

18 m'ont demandé de venir très, très urgemment à l'hôtel Danube. Ils m'ont dit

19 : "Caruga de revenir." C'est là que nous avons trouvé un groupe de nos

20 soldats, il y avait quatre soldats capturés qui étaient devant, et mes

21 collègues ont

22 dit : "Voici, prends-les, emmène-les." J'étais un petit peu en colère parce

23 qu'il venait de m'interrompre. Il m'a interrompu alors que j'étais en train

24 d'exécuter une mission qui était importante là où c'était le plus grave.

25 (expurgé) me l'avait demandé, mais, moi aussi, je sentais la nécessité d'être

26 là. Il y avait là des personnes âgées pour la plupart des femmes âgées

27 qu'il était très difficile de transporter et il y avait un gars qui avait

28 beaucoup d'humour qui me disait : "Mais, Caruga, tu ne choisis que des

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1 femmes qui ont plus de 90 ans -- 90 kilos."

2 On s'est employé à sortir des personnes âgées, ces femmes âgées vers

3 une sorte de dispensaire provisoire, et lors de ces va-et-vient on m'a

4 appelé pour ces quatre gars croates et j'ai dit : "Mais, enfin, qu'est-ce

5 que vous avez à m'appeler ? Remettez-là où il faut." Cependant, je les ai

6 placées à bord d'un Puch. Pour l'un d'entre eux, j'avais l'impression qu'on

7 apercevait son cerveau, sa cervelle. Il n'avait absolument pas de cheveux.

8 Il avait cette partie-là du crâne -- le haut du crâne très ridé et je ne

9 comprenais pas si c'était une infection ou si c'était une blessure si on

10 voyait à l'intérieur de son crâne.

11 On les a placés à bord de ce véhicule Puch. Le soldat était à

12 l'arrière, celui qui avait ces deux espèces de rides sur le crâne, il était

13 allongé, il y avait un homme de très forte corpulence âgé, il avait un nez

14 très proéminent, il s'est installé à côté de ce soldat et puis son fils à

15 côté de lui. Cet homme fort, corpulent qui avait des cheveux frisés, pas

16 très courts, il s'est installé à côté de moi. Je lui ai dit, en fait, je ne

17 voulais pas à le forcer à ce qu'il regarde par terre, je ne voulais pas le

18 fouiller, je ne les ai pas fouillés. C'était un Puch, GD9 bâché. Je lui ai

19 dit d'empoigner les manettes devant et de ne pas bouger la tête, de

20 regarder droit devant lui.

21 Entre-temps, nos unités avaient trouvé entre autres sur place

22 des unités noires, des hommes à Praga, donc il y avait en partie parmi nos

23 hommes ceux qui avaient enfilé ces uniformes-là, donc il y avait une

24 confusion.

25 Q. Excusez-moi. Un instant. Pouvez-vous ralentir, s'il vous plaît, pour

26 les interprètes d'une part et l'autre part lorsqu'on a parlé de la

27 nécessité d'éviter de citer des noms propres.

28 Concentrez-vous, s'il vous plaît, sur ce qui est advenu de ces hommes

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1 capturés, qu'en avez-vous fait, ou est-ce que vous les avez emmenés ?

2 R. Dans la ville on a commencé à célébrer. Des hommes qui n'avaient pas

3 fait directement partis de nos unités s'étaient rejoints à elle, et près de

4 la chapelle de Plavovic [phon] à l'une des intersection de la ville, j'ai

5 vu un de nos soldats, en fait, nos soldats de l'unité antiterroriste

6 avaient des casques un peu spéciaux, lui, il a vu le véhicule Puch lui

7 aussi et il a couru vers nous à notre rencontre pour me saluer.

8 Entre-temps, j'avais posé la question à celui qui était installé à côté de

9 moi pour savoir son nom. Il me l'a donné mais je l'ai oublié. Je me suis

10 présenté et je lui ai dit qui j'étais. Je lui ai donné mon nom et je lui ai

11 demandé d'où il était originaire. Il m'a répondu littéralement qu'il était

12 né à Vukovar et que c'est là qu'il avait vécu pendant un an, et après il

13 s'est tu. Alors, je lui ai demandé : "Par la suite. Par la suite qu'est-ce

14 qu'as fait ?" Il m'a dit : "Je suis parti en Allemagne, et après je suis

15 revenu pour défendre la patrie." Je lui ai tendu la main et je l'ai

16 félicité, je lui ai dit qu'il était un bon Oustacha. C'était dans le

17 véhicule.

18 Entre-temps, on était tombé sur cet autre soldat qui courait vers nous très

19 enthousiaste et il y a une confusion à cause de cet uniforme noir parce

20 qu'il pensait qu'il faisait partie de nos unités qui avaient enfilé cet

21 uniforme, qui s'était changé. Je ne sais pas comment s'appelle ce soldat

22 qui est un Musulman. Il s'est vu surnommé Zvaljo. J'ai demandé aux soldats,

23 aux officiers de ne pas l'appeler ainsi mais bon c'est à ce nom qui est

24 resté. C'était un homme très -- un gars très sympathique, très brave.

25 J'ai dit à celui qui était à bord du véhicule, il m'a dit, Bonjour à celui

26 qui courait les bras tendus, puis ils sont salués et embrassés après je

27 l'ai emmené à Negoslavci au commandement je l'ai transmis là-bas.

28 Q. Les quatre vous les avez transmis au commandement à Negoslavci.

Page 11420

1 R. Oui, et là, ils n'ont subi aucun mauvais traitement d'après ce que j'ai

2 vu.

3 Q. Après vous êtes revenu à Vukovar ?

4 R. Oui.

5 Q. Qu'est-ce que vous avez fait par la suite ?

6 R. On a continué à évacuer les personnes impotentes. Je ne sais pas

7 comment cela m'est parvenu mais j'ai reçu un enregistrement, des images

8 d'un moment où on voit arriver des personnes âgées. Je ne sais pas qui a

9 filmé cela.

10 Au crépuscule, un peu avant le crépuscule c'est le commandant qui m'a

11 appelé pour que je me déplace, que je vienne au lycée. A ce moment-là

12 j'avais un soldat avec moi à bord du Puch et on est arrivé au lycée et là

13 il y avait nos gars, nos officiers qui avaient capturé un cochon quelque

14 part et ils avaient préparé le cochon pour le tourner à la broche, comme on

15 le fait chez nous. C'était dans l'enceinte du lycée, le lycée était

16 détruit.

17 On était plusieurs là, il y avait le commandant, on était un groupe. Je

18 dirais peut-être on était une quinzaine, je ne sais pas exactement une

19 quinzaine.

20 Pendant qu'un groupe tournait ce cochon à la broche les autres se sont mis

21 à faire le tour de ce lycée qui est immense, ce bâtiment très vaste. Dans

22 une salle on a trouvé plein de casques, par exemple. Puis dans une autre

23 salle de classe on a trouvé des rations, puis de l'huile comestible. Alors,

24 le commandant s'est adressé à moi, il m'a dit : "Caruga, va appeler le

25 commandant Mrksic. Va l'appeler pour qu'il vienne ici. Qu'on lui trouve le

26 registre parce que c'est ici qu'il est allé au lycée lui. Je ne savais pas

27 cela. Si, c'est là qu'il est venu ici, qu'il était à l'école au lycée. On

28 va vérifier s'il était un bon élève." Mais Mrksic je ne sais plus quelle

Page 11421

1 excuse il a fourni n'est pas venu. Probablement il était très pris. On n'a

2 pas pu retrouver ce registre.

3 Pendant trois heures à peu près, on a cuit ce cochon et vers la fin à peu

4 près lorsque le cochon était déjà prêt. Le commandant s'est dressé et il a

5 dit : "C'est urgent, il faut qu'on parte pour Ovcara." "Mais pourquoi

6 Ovcara, qu'est-ce qui se passe ?" Il a dit : "Il y a des informations que

7 quelque chose est en train de se passer là-bas."

8 J'ai pris le premier, lui, il s'est mis à côté de moi et d'autres

9 gars se sont installés très rapidement dans les autres véhicules; je pense

10 qu'on avait quatre véhicules en tout.

11 On est parti à Ovcara le plus vite qu'on a pu, donc, c'était déjà au

12 crépuscule. C'est l'automne, le 18 novembre, je ne sais pas exactement

13 quelle heure il était, mais c'était le crépuscule.

14 On est arrivé à Ovcara, on s'est précipité pour dehors, on est vite

15 descendu des poufs et c'est là qu'on été accueilli par la police militaire.

16 Il faut savoir que, dans nos rangs, il n'y avait pas -- on n'avait pas

17 l'habitude de se raser. Ce n'était pas pour des raisons ethniques, mais

18 c'était simplement parce que les conditions hygiéniques étaient vraiment

19 minimales. Donc, on ne s'était pas changé depuis un mois, donc, que ce

20 soient des Croates ou des Serbes, et pratiquement tous les Musulmans, on

21 avait tous des barbes, aucun Musulman n'a pu se raser, ce n'était pas sur

22 des bases idéologiques ou en guise de protestation, c'était comme cela. Le

23 commandement nous a souvent réprimandé à cause de cela, mais nous on lui

24 répondait que cela n'avait aucune signification idéologique, c'était

25 simplement par force des choses. Il faut savoir qu'on n'avait pas

26 d'insignes de grades sur nos vêtements.

27 Donc, cet officier s'est adressé à moi probablement parce que ma

28 barbe était blanche. J'avais 38 ans, à ce moment-là, mais il a dû que

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1 j'étais l'officier le plus âgé. Il s'est approché de moi, il m'a dit :

2 "S'il vous plaît, n'y touchez pas à ces gars." Je lui ai dit : "Capitaine -

3 -" c'était un capitaine, on voyait son grade. Je lui ai dit : "Capitaine,

4 pousse-toi." Il a répété ce qu'il m'avait dit.

5 Il m'a suivi et il a dit : "On a ordonné depuis Belgrade qu'on n'y

6 touche pas." Je me suis tourné vers lui et je lui ai dit : "Pousse-toi." Je

7 l'ai pris par le pan de son chemisier, et je lui ai dit : "Je te mettrais

8 avec eux. Je te balancerai parmi eux." Lui, il s'est mis à l'écart, donc,

9 nous tous nous avons pu pénétrer à l'intérieur du hangar qui était une

10 pièce plutôt longue."

11 Sur la droite, dans cet entrepôt -- ce hangar, il y avait me semble-

12 t-il une porte coulissante et qui n'était pas entièrement ouverte. Là, on

13 voyait un véhicule, un Pinzgauer, qui avait des phares allumés, et ces

14 phares étaient dirigés sur un groupe de Croates capturés.

15 Entre nous, dans notre langage, on a dit que c'était des nôtres, nos

16 Oustachi. C'est comme cela qu'on les appelait -- pas pourquoi on disait les

17 nôtres parce qu'ils étaient sur notre ligne de Défense, parce qu'ils se

18 sont repliés, repliés, repliés et, finalement, ils se sont rendus à l'armée

19 régulière. Il y avait là une corde, mais vraiment très fine, qu'on a tendue

20 d'un bout à l'autre du hangar, et eux, ils étaient placés sur la droite

21 dans un espace qui correspondait à peu près à cet espace-ci, ici.

22 Nous sommes entrés, mais personne ne commandait, personne n'a émis

23 d'ordre. Spontanément, nous avions tourné nos fusils vers le bas, le sol.

24 Au moment où nous sommes entrés, ils se sont mis à se regrouper, à

25 s'écarter dans une direction.

26 Nous nous avons avancé lentement, nous nous sommes mis en milieu, ils

27 se sont séparés, et il y a eu une sorte d'entonnoir qui s'est créée sur la

28 gauche de cette -- donc, dans cette partie-là à gauche, il y avait des

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1 meules de foin, pas mal de foin. Un peu plus loin, plusieurs soldats armés,

2 bien sûr, et une fois arrivée en milieu, quand ils s'étaient séparés, un

3 homme très grand de taille est sorti de ce groupe.

4 Il s'est présenté comme Grand Dzo. Tout d'abord, il faut

5 savoir qu'ils étaient tous en civil et pratiquement tous étaient rasés,

6 fraîchement rasés. Je ne me souviens pas avoir vu un seul homme qui aurait

7 une barbe et pour la plupart, ils portaient des jeans. Il s'est présenté en

8 disant qu'il s'appelait Grand Dzo, et il a parlé à l'un de nos officier,

9 Memic -- Aziz Memic, un Musulman. Il lui a dit : "S'il vous plaît --" - et

10 c'était même sur un ton assez autoritaire qu'il lui a parlé - "S'il vous

11 plaît, traitez-nous conformément à la convention de Genève." Comme il était

12 grand de taille - Memic n'est pas très grand - il s'était un petit peu

13 baissé et a parlé en se tenant très près de Memic, en parlant droit au

14 visage. Memic s'est tu tout d'abord et, ensuite, il lui a dit : "Circule."

15 L'autre s'est remis dans le groupe, dans la masse.

16 Entre-temps, dans la foule, un groupe électrogène avait été apporté,

17 quelqu'un du commandement avait donné l'ordre d'éclairer le bâtiment, et il

18 a installé le câble en le passant par la fenêtre, et un circuit électrique

19 s'est trouvé à peu près à un demi-mètre de cette corde où était la partie

20 où se tenait les Croates détenus. Le sergent chef s'est mis donc à

21 connecter l'électricité, mais il n'osait pas passer par-dessous la corde et

22 il s'était mis à raccorder les fils. Je lui ai dit : "Passe là-bas, je te

23 lève la corde." Effectivement, il a réussi à le connecter et, à partir de

24 ce moment-là, il y avait l'électricité dans tout l'entrepôt, tout

25 l'intérieur, et on voyait assez bien.

26 La plupart de nos gars étaient déjà sortis. J'étais resté encore à

27 l'intérieur et je regardais. Je n'avais pas de raisons particulières, je

28 savais que je n'allais reconnaître personne. Mais, il faut dire que c'était

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1 des gars vraiment d'un trait très en forme, c'était évident. Parmi eux, il

2 y avait un qui d'après mon impression n'appartenait pas à ce groupe et je

3 lui ai demandé de sorti. D'autres personnes n'arrêtaient pas de sortir,

4 mais je me suis adressé à cet homme qui était dodu, assez fort. Je lui ai

5 dit : "Toi, je veux que tu sortes." J'ai soulevé la corde et il est sorti.

6 Je me suis présenté, je lui ai dit qui j'étais et lui il m'a dit qu'il

7 s'appelait Jure. J'ai dit : "Jure, d'où viens-tu -- d'où es-tu ?" Il était

8 paralysé de peur. Il m'a dit : "De Zagreb." Je l'ai tapoté un petit peu

9 l'épaule, je lui ai dit : "Mais, enfin, pourquoi est-ce que tu as peur

10 comme cela ? Vous les gars de Zagreb vous êtes connu comme étant des hommes

11 courageux. Pourquoi est-ce que tu as peur comme cela ?" Il m'a répondu, et

12 là je reprends ses mots : "Je ne me suis pas battu. J'ai fait venir ici un

13 camion, je suis venu avec un camion. On m'a capturé ici, on m'a donné un

14 fusil et on m'a dit : 'Jure, tu vas combattre maintenant'." Il m'a répondu

15 : "Mais je n'ai pas combattu." Je lui ai demandé : "Ecoute, ne mens pas,

16 s'il te plaît. Est-ce que tu au sujet des problèmes quelconque ? Tu as un

17 problème ?" Il m'a répondu : "Non." Je lui ai reposé la question : "Est-ce

18 qu'il y a quoi que ce soit qui te pose problème ?" Il m'a répondu : "Je

19 devrais aller uriner." Je vous prie de m'excuser de parler de cela.

20 Je ne voulais pas le vexer, mais je lui ai demandé s'il voulait pisser là

21 ou dehors, parce qu'il y avait un champ de maïs juste dehors. Mais il était

22 vraiment pétrifié. Il avait sans doute que je l'abatte. Je lui ai dit :

23 "N'aie pas peur. Dis où tu veux le faire, ici ou dans le champ de maïs là-

24 bas." Mais il était vraiment pétrifié. Il n'a rien dit, il a uriné sur le

25 tas de foin.

26 A un moment donné, je me suis rendu compte qu'il avait peut-être des

27 difficultés tellement il avait peur. Je me suis aussi mis à avoir peur en

28 me disant qu'il pourrait constituer un problème pour moi, parce que je suis

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1 certain que les soldats ne les avaient pas fouillés convenablement.

2 Je ne l'ai pas vu pendant tout ce temps, donc, je n'ai pas su ce qu'il

3 faisait, puis j'ai compris qu'en dessous de ses jeans, il y avait un espèce

4 de collant noir, ce type de vêtement que portaient toutes les unités de

5 Paraga. J'ai ainsi compris que c'était un nationaliste. J'ai senti la

6 colère monter en moi. J'ai dit : "Arrête," j'ai fait le salut militaire,

7 nous sommes sortis du hangar et nous nous sommes mis à parler. C'est ainsi

8 que se termine ce récit.

9 Bon, je n'ai pas pu dire, on avait ce cochon. Mais je ne sais pas, ce jour-

10 là, où j'ai dormi.

11 M. LUKIC : [interprétation] Monsieur le Président.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Lucic.

13 M. LUKIC : [interprétation] Je ne voulais pas interrompre le témoin, mais

14 il y a eu peut-être une erreur d'interprétation, lignes 4 et 5, page 18,

15 lorsqu'il y a ce dialogue.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, effectivement, une négation a été

17 omise.

18 M. LUKIC : [interprétation] Effectivement.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, j'attendais le bon moment pour le

20 dire. Ligne 5, le témoin a dit qu'un ordre était venu de Belgrade pour dire

21 que ces personnes ne devaient -- on ne devait pas les toucher. Le terme a

22 été prononcé par le témoin et par l'interprète, mais n'a pas été

23 correctement repris au compte rendu d'audience. Merci de le signaler,

24 Maître Lukic.

25 M. DOMAZET : [interprétation] Merci bien.

26 Q. Je ne peux pas suivre le compte rendu d'audience lorsque je vous pose

27 des questions. Monsieur le Témoin, je vais vous demander de parler

28 lentement pour éviter toute erreur d'interprétation.

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1 Je pense que vous nous avez fait un récit très détaillé de ces événements,

2 mais vous avez accéléré vers la fin, parce que vous avez parlé d'un cochon,

3 vous parliez sans doute à ce moment-là du retour à Vukovar.

4 Lorsque vous avez quitté ce hangar, tous ceux qui étaient entrés en étaient

5 sortis à ce moment-là ? Attendez avant de répondre. Ou est-ce que quelqu'un

6 est parti avant les autres ? Vous êtes partis, vous êtes arrivés en groupe

7 et vous êtes repartis en groupe; c'est cela ?

8 R. Oui, en groupe, en tant qu'unité. Nous sommes entrés ensemble, nous

9 avons tout le groupe, et nous sommes ressortis ensemble et nous sommes

10 revenus.

11 Q. Vous avez parlé du capitaine avec lequel vous avez conversé. Comment

12 était son uniforme ? Y avait-il quelque chose de particulier sur son

13 uniforme qui vous permettrait de vous en souvenir ?

14 R. Ils avaient ces ceinturons blancs, ce poudrier blanc de la police.

15 Manifestement, c'était des nouveaux ceinturons. Tout près, il y avait un

16 Pinzgauer, et dans la pénombre ou dans l'ombre provoquée par les phares, il

17 ne faisais pas très, très sombre ni non plus très, très clair. Cet homme

18 était en uniforme. Nous avions des uniformes différents. Nous avions un

19 uniforme en flanelle. Ce n'était pas le tissu qu'on avait avant. Ce n'était

20 pas le tissu des anciens uniformes. Lui, il ne portait pas l'uniforme de

21 camouflage de treillis que portaient les unités spéciales. Puis c'était un

22 homme assez petit, pas très grand.

23 Q. Fort bien. Vous dites qu'il y avait des soldats armés qui gardaient,

24 qui surveillaient ce groupe, voici ce que je vais vous demander : avez-vous

25 remarqué s'il y avait d'autres hommes là, des hommes de la Défense

26 territoriale ou d'autres hommes armés ou pas d'ailleurs ?

27 R. Dans le hangar et autour du hangar, nous n'avons vu personne. En route,

28 pas en route vers Ovcara, mais en route on a peut-être rencontré quelques

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1 véhicules, mais je ne pourrais pas vous dire avec certitude si nous avons

2 rencontré un véhicule, quelqu'un ou pas, mais on n'a vu personne là-bas à

3 part la police militaire qui surveillait l'installation déployée comme il

4 se doit en formation.

5 Q. Je voulais vous demander ceci en fait : avez-vous vu d'autres individus

6 devant le hangar ou éventuellement à l'intérieur du hangar ?

7 R. Non.

8 Q. Cette fois-là, à partir de ce que disaient les gens dans le hangar ou à

9 partir de ce que disaient les hommes qui surveillaient, est-ce que vous

10 avez appris d'où venaient ces prisonniers ?

11 R. On parlait de 86. Je ne sais pas qui a donné ce chiffre, mais je m'en

12 souviens, c'est resté gravé dans ma mémoire, 86, et c'était des hommes des

13 unités spéciales de Paraga.

14 Q. Avez-vous entendu d'où venaient ces hommes, de quelle partie de Vukovar

15 ils venaient, dans quelle partie ils avaient été capturés ?

16 R. D'après ce que j'ai appris du commandant, ils s'étaient trouvés sur

17 notre axe d'attaque à nous. C'est là que ces hommes avaient été déployés.

18 Ils s'étaient repliés en traversant Mitnica et ils s'étaient rendus aux

19 jeunes soldats. C'est pour cela cette rumeur s'est répandue, qui disait

20 c'était les hommes à nous, ces nos hommes.

21 Q. C'est ce que vous avez entendu dire ce jour-là, n'est-ce pas ? Je pense

22 que vous avez dit que c'était un commandant qui vous l'avait dit; était-ce

23 le vôtre ?

24 R. Mais c'était l'homme avec lequel j'étais en communication. Je ne sais

25 pas si c'était un chef de section, mais je pense que c'est lui qui me l'a

26 dit, parce que c'est surtout à lui que j'ai parlé et c'est avec lui que je

27 passais le plus de temps.

28 Q. Vous êtes venus dans quatre Pinzgauer, vous êtes arrivés, avez-vous

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1 dit, de façon organisée et c'est aussi de cette façon-là que vous êtes

2 partis. Lorsque vous êtes partis d'Ovcara, est-ce que vous avez vu ou

3 entendu ou remarqué quelque chose de particulier, d'inusité,

4 d'intéressant ?

5 R. Non, rien de particulier. Lorsque nous sommes arrivés à l'école

6 secondaire, le commandant et moi-même, nous avons vu un obus d'obusier qui

7 n'avait pas explosé, et c'est comme cela que nous avons rencontré cet obus.

8 Cela nous a vraiment secoué. Mais il n'avait rien d'extraordinaire. Ces

9 jours-là, vous savez il n'avait rien qui était ordinaire. Toute la ville

10 était tombée, s'était effondrée. Il y avait des morts et des blessés

11 partout. Mais, en fait, c'était assez ordinaire. C'était l'ordinaire, le

12 quotidien à l'époque.

13 Q. Vous vous souvenez de ce détail vous en êtes souvenu déjà de retour à

14 Vukovar, mais ma question concernait la période précédente lorsque vous

15 êtes parti d'Ovcara. Lorsque vous étiez toujours dans la zone d'Ovcara,

16 est-ce que vous avez, par exemple, entendu le bruit de coups de feu et de

17 tirs ?

18 R. Non, rien d'extraordinaire. Vous savez, il y avait le grondement de

19 tirs au lointain mais rien qui nous aurait frappé comme étant des choses

20 qui se passaient tout près. Rien de remarquable.

21 Q. Si je vous comprends bien, vous êtes reparti à l'endroit d'où vous

22 étiez parti, là où on était en train de faire rôtir le porc, n'est-ce pas ?

23 Qu'est-ce que vous avez fait ? Combien de temps vous êtes resté ? Vous avez

24 mangé là ?

25 R. Nous sommes restés jusqu'aux petites heures du matin. Nous sommes

26 restés là. Nous avons mangé. Nous nous sommes racontés ce que nous avions

27 vécu. Nous étions assis là. J'ai insisté pour que ces tunnels -- ce

28 labyrinthe de tunnels soit vérifié, mais on a rien trouvé. Cette nuit-là,

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1 il n'y a rien de particulier, rien de spécial qui s'est passé. Nous étions

2 tout à fait prêt à un engagement s'il avait été nécessaire, mais il n'y a

3 rien eu d'autre.

4 Q. Au début vous avez parlé de ces événements survenus à Vukovar. Vous

5 avez parlé de blessures. Vous avez parlé de tireurs embusqués. Est-ce que

6 la partie adverse, les Croates, avaient des tireurs embusqués ? Est-ce

7 qu'ils posaient de gros problèmes ?

8 R. Oui, oui, oui, oui. Leurs tireurs embusqués sont en fait ceux qui nous

9 ont donné le plus de fil à retordre, causé le plus problème surtout à la

10 fin. Il y avait cette rue verte, Zelena Ulice, il y a d'ailleurs des

11 journalistes de SkyNews qui ont filmé cela. Je pense qu'il y a un

12 journaliste hollandais. Je pense qu'il s'appelle Lynden. Srdjan Kusavac a

13 été l'interprète de ce monsieur. Il était de la radio Radio Free Europe. Le

14 commandement - le QG, en fait - nous a dit ceci -- nous l'avons envoyé --

15 je pense qu'ils ont passé deux ou trois nuits, deux ou trois jours, ou

16 trois jours et deux nuits. Ils ont pu filmé tout ce qu'il voulait. Ils ont

17 été très braves, ils sont allés jusqu'à l'avant même des lignes de front.

18 Personnellement, j'ai demandé au caméraman de l'équipe, je l'ai enlevé mon

19 gilet par balle. Il est allé à l'église ruthène et je l'ai supplié de ne

20 pas y aller parce que je lui ai dit que là il y avait vraiment des échanges

21 de tirs très nourris. J'ai enlevé mon gilet par balle et M. Van Lynden me

22 connaissait bien parce qu'il avait passé beaucoup de temps avec nous, et le

23 caméraman n'a pas voulu prendre mon gilet par balle. Il est allé dans

24 l'église ruthène et je crois qu'il était touché par une balle de tireur

25 embusqué. Je pense qu'il a dû subir une opération d'ablation du rein à

26 cause de la blessure qu'il avait subie. Un de nos soldats l'a conduit à

27 l'hôpital de Negoslavci M. Lynden, qui était le chef de leur équipe, et

28 moi-même, je crois qu'on s'est un peu lié d'amitié, enfin, c'est peut-être

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1 un peu exagéré. J'étais vraiment étonné -- épaté par sa bravoure parce

2 qu'il se déplaçait sans gilet par balle, c'était un homme de grande taille,

3 et il traversait en courant la rue verte alors qu'il y avait sans arrêt des

4 tirs de tireurs embusqués.

5 Moi-même, si j'étais plus petit que lui, je ne cessais de lui dire :

6 "Lynden, écoute, laisse-moi de protéger un peu." C'est ainsi que nous

7 traversions cette route, on l'a traversée au moins dix fois par jour, il a

8 toujours refusé de porter un gilet par balle.

9 Sur cette rue, nous avons eu beaucoup de pertes, il y a eu des événements

10 horribles qui se sont déroulés à cet endroit.

11 Q. Ces questions concernaient donc les tireurs embusqués. Mais, le 18, il

12 y en avait plus de tireurs embusqués; est-ce que vous aviez peur qu'il y

13 ait des mines ? Est-ce que cela vous a posé problème ?

14 R. Oui. Il y en avait beaucoup de mines. Il y avait des poches où il y

15 avait des mines et cela nous a posé problèmes. Il y avait des zones assez

16 grandes où il n'y avait pas de mine et puis il y avait une maison ou deux

17 remplies de mines.

18 Q. Vous avez décrit de façon détaillée votre départ et le temps que vous

19 avez passé à Ovcara. Ceci c'était le 18, après cela et jusqu'à la fin de

20 votre séjour à Vukovar, est-ce qu'à un moment donné vous êtes reparti à

21 Ovcara ?

22 R. Non. Ce qui restait de l'unité et moi-même, nous ne sommes plus

23 retournés à Ovcara.

24 Q. Personnellement, vous n'êtes pas retourné à Ovcara, mais est-ce que

25 vous savez si votre commandant ou l'unité y est allé ?

26 R. Non. Là, je ne peux pas vous le dire en toute certitude, mais j'aurais

27 tendance à penser qu'elles n'y sont pas allées. Cela me semble plus

28 probable qu'elles n'y soient pas allées.

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1 Q. Est-ce que vous vous souvenez du temps que vous avez passé à Vukovar ?

2 Jusque quand êtes-vous resté à Vukovar ?

3 R. Oui, je me souviens c'était ce jour-là -- ou plutôt, le lendemain. Nous

4 avons demandé à ce qu'on nous précise la situation. La ville était tombée.

5 Physiquement, nous étions épuisés, nous n'en pouvions plus.

6 J'ai souvent conduit le commandant pour des consultations au QG pour qu'il

7 aille prendre ses ordres, il m'a dit que le commandant allait sans doute

8 recevoir les ordres suivants, mais il n'était pas capable de nous dire

9 jusque quand. Il fallait rester à Vukovar. Il allait à Belgrade, le

10 commandant on s'entend, et c'est seulement quand il reviendrait que nous

11 aurions des détails. Nous sommes repartis le 24 novembre.

12 Q. A votre connaissance, le colonel Mrksic jusqu'à la fin de votre séjour

13 à Vukovar est-il venu à Vukovar de Negoslavci ?

14 R. J'ai vu le colonel Mrksic très rarement. J'avais coutume d'aller à

15 Negoslavci parce que nous y avions beaucoup de blessés. Mais, à ma

16 connaissance, il n'est jamais, jamais venu à Vukovar. Son chef d'état-major

17 est venu une paire de fois, des officiers d'état-major aussi, mais je n'ai

18 pas vu le colonel Mrksic.

19 J'étais dans la zone qui partait de la caserne. J'étais là avec un officier

20 croate, un sous lieutenant, et nous nous sommes souvent demandé comment il

21 se faisait que nous ayons plus de pertes à l'arrière que sur les lignes de

22 front. Il y avait ce Croate, ce sous lieutenant, un sous-officier que nous

23 avons dû aider. Nous nous sommes beaucoup déplacé entre Vukovar et

24 Negoslavci. Nous savions à peu près combien il y avait des gens qui

25 arrivaient et combien il y avait des gens qui partaient de cette zone, de

26 ce secteur. Mais vraiment, franchement, je n'ai pas vu le colonel Mrksic.

27 Q. Oui, à l'époque il était colonel. Mais vous avez dit qu'il y avait

28 d'autres officiers, notamment le chef d'état-major. Vous parliez de Panic,

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1 le chef d'état-major de la Brigade des Gardes ?

2 R. Oui.

3 Q. Ou est-ce que vous pensez à quelqu'un ?

4 R. C'était juste avant la fin. Il est venu à la caserne, en fait il m'a

5 demandé -- il m'a donné son véhicule combat blindé, nous nous n'avions pas

6 de véhicule pour transporter les armes et les munitions. Donc, il m'a donné

7 son véhicule et son chauffeur. Nos véhicules, nos équipes, là nous avions

8 deux véhicules. Il y avait eu des blessés parmi les soldats, il y avait

9 notamment un Croate de Bosnie qui avait été tiré -- blessé par un tir de

10 tireur embusqué dans la zone mais il ne voulait pas aller à l'hôpital. Nous

11 avons insisté quelques uns d'entre nous et nous l'avons forcé à aller à

12 l'hôpital. Mais, comme on n'avait pas de véhicules, Panic m'a donné un

13 véhicule et un chauffeur. Nous avons eu des problèmes, ils ont été coincés

14 quelque part, mais c'était juste avant la fin. Il est venu nous voir à

15 pied, il est venu voir à pied les effectifs qui n'étaient pas engagés

16 directement, ceux qui se reposaient un peu après les combats et j'ai vu M.

17 Sljivancanin quelquefois.

18 Q. Vous avez dit qu'il y avait un soldat croate originaire de Bosnie qui

19 avait été blessé. Est-ce que c'était un soldat à vous, ou était-ce un

20 soldat appartenant à la partie croate ?

21 R. C'était un membre de l'équipage d'un véhicule de combat et c'était un

22 canonnier. Ils apportaient des vivres aux soldats se trouvant sur la ligne

23 de front, j'étais dans ce véhicule et il a été touché par une balle dumdum

24 d'un tireur embusqué. Je l'ai vu parce qu'il était au-dessus de moi et il y

25 avait du sang qui dégoulinait d'en dessus de ses yeux sur son visage. Je

26 l'ai pris dans le véhicule, je l'ai fait rentrer dans le véhicule, nous

27 avons jeté toute la nourriture et j'ai donné l'ordre au chauffeur du

28 véhicule de faire demi-tour et de partir aussitôt.

Page 11433

1 La caserne n'était pas loin, donc nous avons placé ce soldat dans ce

2 véhicule. Il ne voulait pas aller à l'hôpital, mais nous l'avons forcé à

3 aller et après, finalement, j'ai appris qu'il avait subi des blessures très

4 graves et qu'on avait vraiment dû faire énormément de travail pour essayer

5 de sauver ses yeux.

6 Q. Vous avez expliqué les souvenirs que vous avez des événements du 18.

7 Vous dites que vous avez conduit les quatre soldats capturés à Negoslavci.

8 Je vous demande maintenant si vous avez été à d'autres occasions à

9 Negoslavci et si vous vous êtes rendu à Negoslavci, quand l'avez-vous

10 fait ?

11 R. Ce qui m'a amené dans cette unité c'est l'amour parce qu'avec la

12 plupart des hommes du commandement, avec tous ces hommes et surtout avec le

13 commandement, on s'entendait vraiment très bien. Ce n'est pas qu'on était

14 des amis, mais on s'entendait vraiment très, très bien. Ce sont ces

15 sentiments qui m'ont poussé à les joindre et à repartir à Vukovar avec eux.

16 Ils ont essayé de me persuader.

17 Je n'étais pas combattant brave, mais il est arrivé, en fait, que

18 nous nous complétions bien. On se complétait, on se complémentait bien, et

19 là, je pense même au commandant. Parce que, si on vous dit

20 -- si quelqu'un vous dit qu'il n'a pas peur, c'est un menteur. Tout le

21 monde utilisait des tranquillisants, tout le monde avait peur. Chacun avait

22 ses propres peurs, nous avions nos propres pensées, nos réflexions, nos

23 drames personnels. Quelquefois, quelqu'un devenait la proie de ses

24 émotions.

25 J'ai continué à avoir des fréquentations avec le commandement. Il

26 croyait en moi, jamais je l'aurais déserté, jamais je ne lui aurais fait,

27 et lui non plus envers moi. C'est ainsi que nous sommes allés à des

28 briefings lorsqu'il fallait aller prendre des ordres à Negoslavci.

Page 11434

1 C'était une ville assez petite. Il y avait des endroits assez

2 dangereux, donc, chaque fois qu'on s'est placé, c'était assez risqué. Nous

3 avions parfaitement confiance l'un en l'autre. C'est pour cela qu'en

4 général, il m'emmenait avec lui lorsqu'il allait chercher ses ordres.

5 Q. Donc vous l'avez conduit de Vukovar à Negoslavci lorsqu'il devait aller

6 faire rapport ?

7 R. Oui.

8 Q. D'après ce que vous savez, est-ce que votre commandant a assisté à

9 toutes les réunions d'officiers à Negoslavci ?

10 R. Oui, c'était le commandement de la Brigade des gardes, Groupe opération

11 sud, le commandant c'était le colonel Mrksic. Puis, il y avait les

12 officiers supérieurs.

13 Je n'ai pas assisté aux réunions, je suis bien entré dans les locaux

14 une fois ou deux, mais en règle générale je restais dehors.

15 Q. Vous avez emmené votre commandant là-bas. Savez-vous s'il y allait tous

16 les jours ou est-ce que de temps en temps il y allait un jour sur deux ?

17 R. Non, on n'y est pas allé tous les jours. Je ne me souviens pas de la

18 fréquence exacte, mais je crois qu'il y allait quand il était convoqué ou

19 lorsqu'il avait un problème qu'il avait à résoudre. A ce moment-là, il

20 allait voir le colonel Mrksic ou un autre officier supérieur. Il avait un

21 accès illimité, il pouvait consulter ces gens quand il voulait.

22 Q. Donc, vous dites qu'il n'y allait pas toujours les jours, et que vous

23 n'êtes pas sûr de la fréquence à laquelle il se rendait à Negoslavci. Vous

24 pensez qu'il y allait quand il était invité à le faire.

25 M. DOMAZET : [interprétation] Je pense que le moment est venu de faire

26 notre première pause, Monsieur le Président; est-ce exact ?

27 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Maître Domazet, est-ce que vous

28 arrivez à la fin de votre interrogatoire ?

Page 11435

1 M. DOMAZET : [interprétation] Oui, oui. J'ai presque terminé, Monsieur le

2 Président.

3 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Fort bien. Il y a une expurgation

4 qu'il faut faire, ce qui veut dire que nous allons reprendre à 11 heures.

5 --- L'audience est suspendue à 10 heures 28.

6 --- L'audience est reprise à 11 heures 01.

7 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Domazet, à vous.

8 M. DOMAZET : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

9 Q. Monsieur Bisic, pendant les réponses que vous avez apportées, à un

10 moment donné vous avez mentionné les conventions de Genève. Alors, est-ce

11 qu'à l'occasion de votre formation ou dans le courant de vos activités vous

12 avez eu connaissance des conventions de Genève et, si oui, pouvez-vous nous

13 en dire quelque chose ?

14 R. Il est normal que tout militaire professionnel, non seulement d'avoir

15 pris connaissance mais de mettre en œuvre les conventions de Genève dans le

16 comportement qui est le sien. Conformément à cela, nous avons eu ce type

17 d'obligations professionnelles.

18 En sus d'avoir pris connaissance, il y a longtemps, des dispositions

19 des conventions de Genève et de les avoir appliquées à l'occasion des

20 événements à Vukovar, nous avons, dirais-je même, eu par excès, une

21 diffusion d'un petit bloc. Je crois qu'à trois reprises, cela nous a été

22 distribué à Vukovar, et à Negoslavci, deux fois, je crois. Je crois avoir

23 même -- qu'on a même eu à signer une liste pour certifier que nous en avons

24 bel et bien pris connaissance.

25 Q. Quand vous montrez cela et que vous faites des signes de la main, je

26 crois pouvoir en conclure qu'il s'agissait d'une espèce de brochure qui

27 parlait de l'application des conventions de Genève.

28 R. Oui, justement. Cela avait la forme d'une petite brochure, c'est ce que

Page 11436

1 l'on pourrait dire, un petit fascicule.

2 Q. Merci. Alors, c'est cette brochure que vous avez reçue, non pas une

3 fois, mais trois fois d'après ce que vous nous avez dit, que vous l'avez

4 donc reçue pendant votre séjour là-bas, n'est-ce pas ?

5 R. Oui, c'est exact.

6 Q. Merci, Monsieur Bisic, des réponses que vous avez apportées.

7 M. DOMAZET : [interprétation] Monsieur le Président, je n'ai plus de

8 questions à poser à ce témoin-ci.

9 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Maître Domazet.

10 M. BOROVIC : [interprétation] Je n'ai pas de questions pour ce témoin non

11 plus.

12 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci, Monsieur Borovic.

13 Maître Lukic.

14 M. LUKIC : [interprétation] Pas de questions pour ce témoin non plus.

15 Merci.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] C'est moi qui vous remercie.

17 Monsieur Moore.

18 Contre-interrogatoire par M. Moore :

19 Q. [interprétation] Monsieur Bisic, j'aurais une ou deux questions à vous

20 poser pour ma part. Vous nous avez dit que vous vous souveniez du numéro ou

21 du chiffre 86, à savoir, le chiffre ou le nombre de personnes qui se

22 trouvaient à Ovcara, n'est-ce pas ?

23 R. Oui. D'après ce souvenir vague que j'ai gardé, quelqu'un avait en effet

24 parlé du chiffre 86.

25 Q. Etant donné que vous avez été dans le hangar, serait-il juste de dire

26 que le nombre de personnes que vous avez vues dans le hangar correspondrait

27 au chiffre que vous venez de donner ?

28 R. C'est par reconstruction simple que la chose pourrait être déterminée.

Page 11437

1 C'est un espace qui est un peu plus grand que celui où nous nous trouvons

2 actuellement et la profondeur va jusqu'aux vitres ici; c'était plein de

3 personnes. Cela correspondrait à peu près à ce chiffre.

4 Q. Vous parlez des gens dans le hangar.

5 R. Oui, des gens dans le hangar.

6 Q. Merci. Vous vous êtes servi du mot "commandant" pour l'homme dont vous

7 ne donneriez pas le nom à présent, mais c'est à son sujet que j'aimerais

8 poser des questions. Nous allons nous référer à lui en disant que c'est

9 001, n'est-ce pas ? Alors on va l'appeler 001 pour dire que c'était votre

10 commandant. Vous compreniez bien ? Nous n'allons pas mentionner son nom.

11 R. Si vous le permettez, je dirais que j'ai eu plusieurs niveaux de

12 commandements. Il y a eu le commandant du groupe qui avait huit hommes sous

13 lui et il y a eu -- oui, je suppose que vous êtes dans le vrai.

14 Q. Alors, pour que nous sachions exactement de qui nous sommes en train de

15 parler, je vais demander un petit huis clos partiel, nous allons donner son

16 nom et nous allons ensuite nous référer à lui en disant le commandant;

17 êtes-vous d'accord ?

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Huis clos partiel

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, oui.

20 M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel.

21 [Audience à huis clos partiel]

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7 (expurgé)

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9 [Audience publique]

10 M. MOORE : [interprétation]

11 Q. Vous avez décrit au tout début votre commandant en disant que c'était

12 quelqu'un d'extrêmement capable comme officier. Pourquoi l'avez-vous décrit

13 de cette façon-là ? Quelles sont ses caractéristiques qui vous ont fait

14 conclure de ces aptitudes exceptionnelles ?

15 R. Tout d'abord, je dirais que c'était quelqu'un de très apte sur le plan

16 psycho physique - psychologie et physique, à savoir quelqu'un qui était au-

17 dessus de la moyenne. C'était aussi quelqu'un avec des caractéristiques

18 morales exceptionnelles, on l'a pu le constater dans bien des opportunités,

19 à l'occasion des missions accomplies. Même en temps de paix, nous avons eu

20 des missions à accomplir de façon très fréquentes.

21 C'est non seulement mon opinion. C'était une opinion qui prévalait et qui

22 était généralement celle de tous les membres de l'unité. Ce n'était pas un

23 respect imposé par la peur, mais c'était quelque chose de -- c'était tout

24 simplement comme cela.

25 Q. Aurais-je raison de dire que c'était un homme honnête, un homme droit ?

26 R. Absolument.

27 Q. C'est un homme intelligent ?

28 R. Nous sommes plus ou moins intelligents. Je ne connais pas le

Page 11439

1 coefficient d'intelligence de cet homme-là mais c'était quelqu'un de

2 raisonnable.

3 Q. Oui. Merci pour le compliment que vous avez adressé à tout un chacun.

4 Était-ce quelqu'un de prudent à votre avis, un officier prudent ?

5 R. Oui.

6 Q. Je crois que nous pourrions donc dire que vous vous entendiez très bien

7 tous les deux ?

8 R. Oui. Tout à fait.

9 Q. Je crois que nous pourrions également dire que vous l'avez accompagné

10 en Bosnie à deux reprises si mes souvenirs sont bons et que vous êtes allés

11 prendre des membres à votre famille à vous ou à sa famille à lui; ai-je

12 raison ?

13 R. Je ne connais pas vos sources de renseignement, mais vous avez tout à

14 fait raison.

15 Q. Nous pourrions qualifier ces déplacements d'extrêmement dangereux,

16 n'est-ce pas, et vous y êtes allés ensemble ?

17 R. Oui.

18 Q. Serait-il juste de dire qu'en fait c'était quelqu'un de tout à fait

19 prêt à risquer sa vie pour ses soldats ou ses sous-officiers ?

20 R. Oui, je suis justement l'un de ceux qui lui a pleinement rendu cette

21 affection.

22 Q. Oui. Quoi qu'aux yeux des autres cela ne pourrait avoir tant

23 d'importance mais je crois que c'était quelqu'un qui était notamment connu

24 comme étant un grand sportif à l'époque ?

25 R. Oui. Pour ce qui est du sport et pour ce qui est des compétitions

26 disciplinaires militaires, je crois que ses records n'ont pas encore été

27 battus. Parmi les sportifs plus jeunes ou plus âgés je dirais que la JNA

28 avait des sportifs d'excellence. Je crois que c'était l'un des champions

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1 militaires dans les disciplines multiples dans compétions militaires en

2 décathlon, notamment.

3 Q. Merci pour cela. Dites-nous quelle est la tâche de ce peloton

4 antiterroriste, et je me réfère, notamment, au compte rendu d'audience,

5 page 10076. J'aimerais que vous écoutiez attentivement et que vous me

6 disiez si vous êtes d'accord. Ma question qui a été posée est celle de

7 savoir ce qui suit : quelle est la fonction d'un peloton antiterroriste ?

8 La réponse a été la suivante : "Le peloton antiterroriste avait au

9 quotidien des exercices à faire pour les combats antiterroristes. Il a

10 également fourni des services -- des prestations au niveau de la sécurité

11 et de l'accompagnement des hauts gradés militaires et pour assurer la

12 sécurité des bâtiments à grande importance stratégique. Nos entraînements

13 au quotidien étaient intenses. Il y a eu des modèles, des situations de

14 reproduites pour ce qui est du combat antiterroriste. Il s'agissait, par

15 exemple, de libération d'otages avec utilisation de véhicules spécifiques,

16 avec tirs -- avec exercices de tir avec différentes armes, et usage

17 d'équipements variés, y compris des équipements électroniques."

18 C'est la définition qui nous a été donnée. Bien qu'elle soit plutôt longue,

19 dites-nous, s'il y aurait là un élément sur lequel vous ne seriez pas

20 d'accord ?

21 R. D'une façon générale, cela se situe dans ce cadre-là. Oui.

22 Q. Si je puis utiliser une façon plutôt vulgaire de s'exprimer ce qui

23 figure dans la substance même des membres de la Garde, cela revient tout

24 simplement à dire que c'étaient les meilleurs des meilleurs des gars,

25 n'est-ce pas ?

26 R. Oui. La méthodologie de sélection était ainsi faite et tout

27 naturellement l'on mettait de côté les jeunes hommes qui avaient des

28 résultats moins bons. Ils allaient dans d'autres unités. Il y avait cette

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1 approche sélective qui faisait que l'on faisait accéder au haut de la

2 pyramide de l'unité de la Garde et de cette unité antiterroriste, et en

3 bonne partie cette unité a été chargée d'assurer la sécurité. Le peloton

4 antiterroriste avait été synonyme du top des tops.

5 Q. Je peux bien que cette compagnie antiterroriste ou unité antiterroriste

6 ait, en réalité, constitué une élite des membres de la Garde et je pense

7 que vous serez d'accord pour dire que c'étaient les meilleurs des soldats

8 sélectionnés ?

9 R. Oui.

10 Q. Votre commandant avait été l'un des meilleurs d'entre eux ?

11 R. Non pas l'un des meilleurs mais le meilleur. Ce n'était pas l'un mais

12 le meilleur. Il y avait des relations tout à fait équitables sportives et

13 c'était un représentant typique de cet esprit spartiate, du "fair play" en

14 sus de l'esprit purement militaire.

15 Q. L'un des devoirs qui ont été les vôtres comme je l'ai mentionné aurait

16 consisté à libérer des otages. Vous avez fait un entraînement particulier à

17 cet effet, n'est-ce pas ?

18 R. Oui.

19 Q. Quand on parle de situations avec implication d'otages, je dirais qu'il

20 y aurait deux conditions essentielles. L'une des conditions c'est ce que

21 l'on qualifierait de patience ou de préparation et le deuxième volet se

22 traduirait par une action décisive. Seriez-vous d'accord avec moi pour le

23 dire ? Je n'affirme pas que ce soit absolument exact, mais ce sont deux

24 principes généraux.

25 R. Oui.

26 Q. Pouvons-nous maintenant parler d'une situation où vous vous seriez

27 trouvé à savoir lorsqu'une information vous serait communiquée disant qu'un

28 groupe de volontaires de la Défense territoriale aurait refusé d'aller se

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1 battre et qu'il se trouverait sur la route entre Vukovar et Negoslavci. Ce

2 que je voudrais dire, c'est que vous-mêmes, votre commandant et plusieurs

3 autres personnes, êtes allés les intercepter dans leur déplacement; vous

4 souvenez-vous de cette situation ?

5 R. Il y a eu plusieurs situations de cette nature, je ne sais pas de

6 laquelle de celle-ci vous êtes en train de parler.

7 Q. Voyons si je peux vous aider à cet effet. Il s'agissait de membres de

8 la TO entre Negoslavci et Vukovar. Ils se dirigeaient vers la Serbie.

9 C'était vous qui étiez au volant. Il y avait deux jeeps et je crois qu'il y

10 avait un homme qui s'appelait Sinikovic et qu'il y avait des armes.

11 R. Vous avez dit quoi ?

12 Q. Je crois que c'était Sinikovic. Il y avait donc deux jeeps, il y a eu

13 votre commandant, vous avez stoppé ces volontaires de la TO et vous étiez

14 fermes mais équitables. Votre commandant s'est emparées des armes de ces

15 membres de la TO et les a laissés partir ?

16 R. Si vous le permettez, Madame, Messieurs les Juges, je dirais que la

17 situation doit être expliquée plus amplement. Le commandant lui vaquait aux

18 tâches d'un commandant et nous, nous nous occupions des micros événements,

19 des événements à la petite échelle. Il y a eu des situations avec des

20 soldats -- avec plusieurs soldats musulmans entre un soldat appelé --

21 répondant au nom de Fazlic et un soldat répondant au nom d'Ibrahimovic. Le

22 dénommé Ibrahimovic était quelqu'un qui se comportait plus librement que

23 les autres, et Fazlic était quelqu'un d'un peu poétique. J'ai été surpris

24 de le voir avoir le courage de fonctionner dans ces situations

25 exceptionnelles. Je dirais même que son service militaire avait déjà pris

26 fin, il était censé partir chez lui. Le commandant avait expressément dit

27 qu'il fallait le relâcher, mais il ne voulait pas rentrer chez lui. Il a

28 dit : "Non, je ne veux pas m'en aller." Le problème est survenu. Alors,

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1 j'ai dit à (expurgé) : "A toi de voir."

2 J'ai aussi appris qu'il y avait des amis qui ne savaient pas --qui

3 n'avaient pas contacté leurs familles à ce sujet. Je les ai donc mis à bord

4 d'un véhicule et je les ai emmenés au commandement pour qu'ils puissent

5 appeler leurs parents. Ibrahimovic a appelé en premier lieu, la

6 conversation a duré peu de temps. C'était assez en d'émotions.

7 Mais que Fazlic a appelé, cela été dramatique. La mère a pleuré, et

8 il a m'a demandé : "Est-ce que je peux dire à ma mère où je me trouve ?" Je

9 lui ai dit : "Dis-lui." Il a dit à sa mère qu'il se trouvait à Vukovar.

10 Alors, la pauvre a commencé à gémir et elle a demandé si elle pouvait lui

11 envoyer un colis. Lorsqu'ils étaient en train de parler de ce qu'il

12 convenait ou ce qu'il fallait envoyer, la conversation a pris fin, la mère

13 a repris courage et nous nous sommes dirigés vers Vukovar et c'est là que

14 nous avons rencontrés ces gens-là.

15 Au retour, il y avait le commandant et ce jeune homme que vous avez

16 mentionné et c'est donc à ce moment-là que nous avons rencontré le groupe

17 qui était en train de fuir. Alors, j'avais insisté pour que les soldats

18 disent leurs noms, et qu'ils disent donc leurs noms, prénoms et leur

19 appartenance ethnique. Le soldat -- un soldat a dit ce qu'il était et j'ai

20 posé la question à l'autre, et je leur même proposé d'aller avec eux. Je

21 leur ai dit : "Voilà, ceux-la vont à Belgrade, vous pouvez y aller avec

22 eux." Sans hésiter, ils ont accepté. Une partie des soldats voulait monter

23 à bord avec nous. Le commandant les a dépossédé de leurs armes et ils sont

24 partis.

25 Q. Alors, vous avez eu la chance d'être originaire des Balkans et moi je

26 viens d'Irlande. Nous parlons -- nous avons tendance à parler longuement

27 tous les deux. Je vais essayer de faire en sorte que mes questions soient

28 courtes, et j'aimerais que vous essayiez vous-mêmes d'être plus concis.

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1 R. Ce serait mon devoir.

2 Q. Merci. Alors, pouvons-nous dire en l'occurrence que votre unité était

3 utilisée dans des cas d'urgence ?

4 R. Oui.

5 Q. Donc, au cas où soudain il y aurait une détérioration de la situation,

6 vous et votre unité étiez envoyés pour résoudre le problème, n'est-ce pas ?

7 R. Oui, en effet.

8 Q. Donc, lorsque votre -- lorsque vous étiez en train de vous reposer à

9 Vukovar et de tourner un cochon sur -- à la broche votre commandant a dit :

10 "Nous, nous allons à Ovcara." Vous en souvenez-vous ?

11 R. Oui.

12 Q. Alors, j'aimerais si vous le permettez que nous en parlions quelque peu

13 plus en détail. Vous avez parlé du fait qu'il s'était dressé sur ses

14 jambes. Est-ce que vous avez voulu dire qu'il y avait urgence, comme vous

15 l'avez dit ?

16 R. Non. Dans toutes les autres situations il n'y a pas eu de questions à

17 poser. Lorsqu'il se levait il disait : "On y va." C'était -- cela se

18 passait ainsi. Donc, quand il claquait des mains c'était vraiment urgent.

19 Il claquait deux fois des mains et cela voulait dire que c'était vraiment,

20 vraiment urgent. Le reste des situations était disons moins ou moyennement

21 urgent -- moyennement urgente.

22 Q. Oui, cela c'est -- c'est un truc -- c'est une chose que je vais essayer

23 avec mes enfants. Donc, vous claquez deux des mains pour indiquer urgence.

24 Bon, mais, parlons maintenant de cette situation. Vous avez dit que la

25 rumeur avait couru pour ce qui était de ce qui se passait à Ovcara. C'est

26 ce que vous nous avez dit ?

27 R. Monsieur le Procureur, non, non, ce n'est pas nous qu'ils tapaient.

28 J'ai cru comprendre, je vais vois si, avec mes enfants, cela marcherait de

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1 claquer deux fois, de les claquer deux fois. Alors, c'est les deux paumes

2 de la main qui claquaient. Je disais cela pour dire qu'il y avait vraiment

3 urgence. Très bien. Alors, peut-être que j'aie mal compris.

4 Donc, lorsque lui s'était référé à Ovcara, il avait coutume -- enfin, il

5 avait également précisé que quelque chose était en train de s'y passer.

6 R. Il a dit littéralement : "Il semblerait que quelque chose est en train

7 de s'y passer." C'est à peu près dans ce sens-là qu'il l'a dit.

8 Q. Dans quel sens a-t-il dit qu'il se passait quelque chose à Ovcara ?

9 R. Non, c'était plutôt indéfini. Il se passait quelque chose, de là à

10 savoir si quelqu'un était attaqué ou autre chose, non. Il n'a pas été plus

11 concret.

12 Q. Est-ce que cela voulait dire qu'il y avait un problème là-bas ?

13 R. Franchement, je ne peux pas vous dire maintenant dans quel but il a

14 fait ce commentaire où il a cette conversation. Franchement, je ne peux pas

15 vous dire maintenant dans quel but il a fait ce commentaire où il a cette

16 conversation. Sur le plan militaire, il y avait quelques indices qui

17 montraient qu'il se passait quelque chose. Il fallait qu'on y aille pour

18 voir ce qui se passait. Était-ce un groupe qui était en train de se

19 replier ? Cela devait être plutôt cela. Il y avait des groupes qui

20 erraient, qui ne voulaient pas se rendre et qui causaient problème, nos

21 soldats. Donc concrètement, on ne savait pas là sur le moment.

22 Q. Qu'entendez-vous lorsque vous dites : "On commence à dire qu'il se

23 passe quelque chose, on dit…" ?

24 R. (expurgé) s'est dressé, ce n'était rien de spécial, il a dit : "On part,

25 on part à Ovcara. Il y a certains indices montrant qu'il s'y passe quelque

26 chose." Donc, on ne s'est pas posé trop la question et on ne lui a pas posé

27 la question non plus. On s'est mis à bord des véhicules, on a démarré, on

28 est parti pour Ovcara.

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1 Q. Non. Je voudrais qu'on reparle de l'expression : "On raconte, on dit

2 que…" C'est ce que vous avez dit dans votre réponse. Est-ce que cela

3 signifie qu'il se produit quelque chose, qu'il se passe quelque chose ?

4 R. Mais, à ce stade-là, ce n'était pas quelque chose qui aurait causé

5 vraiment la plus grande préoccupation. On allait aller à Ovcara juste pour

6 vérifier ce qui s'y passait.

7 Q. Bon, très bien. Avançons dans le temps. Vous êtes à Ovcara et il ne s'y

8 passe rien, d'après ce que vous avez dit. N'avez-vous pas dit à votre

9 commandant : "Pourquoi est-ce qu'on nous a fait venir à Ovcara alors qu'il

10 ne se passe rien ici, rien du tout ? Mon cher commandant, on perd notre

11 temps. Ces rumeurs, ces dit-on, ils n'ont pas de substance."

12 R. Mais sans aucun doute il s'y passait quelque chose, c'était la fin des

13 opérations de combats et ce qui s'est passé c'est que nous avons vu à un

14 endroit un grand groupe. C'était la première fois que l'on voyait cela. Un

15 grand groupe de soldats de l'autre partie qui étaient entre nos mains. Donc

16 là en soit c'est un événement. Comme j'ai déjà dit, on s'y est attardé

17 quelques temps et je vous ai raconté chronologiquement comment notre séjour

18 s'est déroulé ce qui s'est passé.

19 Q. Mais absolument rien ne s'y passait, d'après ce que vous avez dit. Donc

20 est-ce que vous avez posé la question à votre ami, c'était un ami proche ?

21 Vous ne lui avez pas demandé : mais finalement pourquoi est-ce qu'on nous a

22 fait venir ici ? Pourquoi il ne s'y passe rien d'inhabituel ici ?

23 R. Franchement, notre étonnement, notre analyse de la situation consistait

24 à dire : mais pourquoi ils ne se sont pas rendus à nous ? Ils étaient prêts

25 de nous. C'était inhabituel qu'ils se rendent à de jeunes soldats réguliers

26 en parcourant une distance bien plus longue. En fait, c'était cela le genre

27 de réflexions qu'on se faisait surtout.

28 Q. Très bien. Alors je vais vous poser la question autrement : est-ce que

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1 vous avez combattu dans le secteur de Mitnica ?

2 R. Non. Nous, nous ce n'était pas à Mitnica. Peut-être dans la dernière

3 phase, je ne sais pas exactement géographiquement par quelle rue commence

4 la Mitnica, mais non. Nous, on ne s'est pas battu dans la partie de

5 Mitnica, enfin la partie centrale, non.

6 Q. Mais à l'époque, vous étiez au courant de l'existence de Mitnica. Vous

7 saviez que c'était un endroit où les Croates étaient particulièrement

8 forts.

9 R. Oui.

10 Q. Ces 86 personnes, étaient-elles de Mitnica ? Est-il exact de le dire ?

11 R. Savez-vous, voyez-vous, était-ce un groupe de Mitnica ou pas ? Ce que

12 je vais vous dire c'est que le premier jour d'entrée, de la pénétration,

13 j'ai entendu le petit Jastreb, le petit Faucon demandé au grand d'envoyer

14 des Mongos parce que nous n'étions pas un groupe habituel. Donc, il y a eu

15 une flexibilité, il y a eu des déplacements de groupes. Sous le pseudonyme

16 Mongos, il désignait les unités spéciales des hommes à Paraga.

17 Q. Mais est-ce que vous nous dites là que ce groupe venait de Mitnica ?

18 Avez-vous posé la question d'ailleurs ?

19 R. Je ne sais pas d'où venait ce groupe. Je ne sais pas où ce groupe a

20 combattu. En passant par Mitnica, ils seraient passés pour se rendre à nos

21 soldats et c'est ainsi qu'ils seraient venus à Ovcara.

22 Q. Alors, voyons ce que vous en savez. Vous n'avez pas demandé d'où est

23 venu ce groupe. Vous vous êtes contenté de le supposer; c'est exact ?

24 R. Mais personne d'entre nous n'a posé la question. Encore une fois, ces

25 groupes se déplaçaient sur le terrain.

26 Q. Très bien. Est-ce que vous saviez qui était de par son nom l'officier

27 le plus connu de Mitnica, Filip Karaula ?

28 R. Karaula, j'en ai entendu parler, mais je ne le connais pas.

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1 Q. Merci. Donc, vous connaissiez son nom, le 18 novembre; c'est exact ?

2 R. C'est sur les ondes radio que j'ai eu l'occasion d'entendre ce nom,

3 mais personnellement je ne l'ai pas connu, je ne l'ai pas croisé. C'est par

4 radio que j'ai appris son existence.

5 Q. Donc, vous connaissiez le nom Filip Karaula, le 18, oui ou non, s'il

6 vous plaît ?

7 R. Croyez-moi ce n'était pas un nom particulièrement important chez nous.

8 Pour moi, c'était vaguement connu, oui. Mais ce jour-là je n'y ai pas

9 attaché particulièrement de l'importance.

10 Q. Dans ce groupe personne ne semblait être le commandant, donc personne

11 dans ce groupe de prisonniers croates il n'y avait pas de commandant dans

12 ce groupe; est-ce vrai ?

13 R. Du moins d'après ce que j'ai vu aucun d'entre eux ne s'est présenté

14 comme tel. Il y a en un qui est sorti de ce groupe qui s'est présenté en

15 disant qu'il était le grand Dzo, et c'est lui qui a prononcé ce petit laïus

16 et c'est lui que j'ai fait sortir, mais qui était de toute évidence un

17 combattant régulier.

18 Q. C'est une question très simple que je vous pose. Pendant que vous étiez

19 là personne ne s'est présenté parmi les membres de ce groupe pour dire

20 qu'il était le chef des forces croates; c'est bien cela ?

21 R. Mais l'espace n'était pas très en ordre, je suppose que, si ceci

22 s'était produit, je l'aurais vu. Or je ne l'ai pas vu.

23 Q. Je vous remercie. Alors, les lumières, parlons-en. Les phares qui ont

24 été utilisés pour éclairer le hangar. Or je suppose qu'on les a dirigé sur

25 ce hangar parce qu'il faisait nuit dehors ?

26 R. Oui. C'était au début du crépuscule.

27 Q. Non. C'est au début du crépuscule que vous avez reçu l'appel mais une

28 fois que vous êtes arrivé là-bas ne faisait-il pas déjà nuit ?

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1 R. Oui. Enfin, le trajet n'a pu prendre plus de dix à 15 minutes entre le

2 départ et l'arrivée.

3 Q. Ils étaient tous en civil ?

4 R. Je ne peux pas vous le dire d'une manière catégorique mais je n'en ai

5 vu aucun en uniforme.

6 Q. Pour ce qui est des prisonniers ?

7 R. Oui, oui.

8 Q. Merci. Cependant, vous avez vu des uniformes de la JNA dans l'hangar et

9 dans les parages; est-ce exact ?

10 R. Oui.

11 Q. Serait-il exact de dire que vous n'avez vu personne dressé une liste

12 des personnes présentes à ce moment-là? C'est exact, n'est-ce pas ?

13 R. Je n'ai pas vraiment prêté attention à ce qui se passait sur le côté

14 gauche du hangar. Est-ce que quelqu'un aurait pris des notes ? Cela je ne

15 l'ai pas remarqué.

16 Q. Vous avez décrit un homme comme ayant été paralysé de peur. Vous avez

17 utilisé cette phrase pour parler de l'un d'entre eux. Alors, qu'entendiez-

18 vous par là ? Est-ce que vous pouvez nous décrire ses symptômes ?

19 R. J'avais les meilleures intentions lorsque je l'ai fait sortir de la

20 foule, du groupe, j'ai vu qu'il n'appartenait pas au groupe. J'avais cette

21 sensation-là. Quand il est sorti tout simplement il regardait à travers

22 moi. Il ne me regardait pas moi, et à ce moment-là, j'ai éprouvé des

23 regrets de l'avoir fait sur son visage, d'après son regard, son corps. Il

24 était complètement raidi. Il s'était raidi. Je voulais tout simplement

25 qu'il se détente un petit peu, qu'il reprenne ses esprits. C'est

26 spontanément je -- sincèrement je lui ai demandé qui il était et s'il avait

27 un problème ?

28 Ensuite, quand il m'a répondu, j'ai dit : "Mais enfin, est-ce que

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1 c'est un problème ? Est-ce que cela doit un problème ?" C'est tout. Enfin,

2 il a probablement eu peur de me voir, le faire sortir du groupe. Les autres

3 avaient l'air aussi un petit peu effrayé, mais lui c'était la totale,

4 probablement qu'il redoutait ce que j'allais lui faire, je ne sais pas.

5 Q. Il paraît qu'on peut sentir l'odeur de la peur. Est-ce que vous êtes

6 d'accord avec cela ?

7 R. Bien sûr que si.

8 Q. Merci.

9 R. Je ne dirais pas l'odeur en parlant du sens de l'odorat. C'est

10 lorsqu'un individu est complètement paralysé quand il se tient comme cela

11 tout raidi. Cela se voit, bien sûr, bien entendu.

12 Q. Seriez-vous d'accord pour dire que lorsque vous êtes entré dans ce

13 hangar c'est la sensation qui se dégageait de ces prisonniers, c'est

14 l'impression que vous avez eue ?

15 R. Oui. Cela se voyait. Attendez. A un moment j'ai dit qu'ils étaient

16 d'une certaine façon les nôtres.

17 Q. Merci. Non, je ne parle pas des nôtres. Je parle de cette sensation de

18 peur. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi ?

19 R. Mais, bien entendu, ils étaient conscients de la situation, et ils

20 étaient entre nos mains, ils redoutaient l'issu comme tout être normalement

21 constitué qui attend de voir ce qui va advenir de lui.

22 Q. Merci. Je pense qu'il est exact de dire que tout d'abord vous avez été

23 stationné à Negoslavci et qu'il est également exact de dire qu'il y avait

24 neuf jeeps à Negoslavci; est-ce exact ou non ? Il y avait à peu près ce

25 nombre-là de véhicules.

26 R. Huit jeeps.

27 Q. Excusez-moi. Vous, vous étiez chauffeur; c'est exact ou non ?

28 R. Si c'est exact.

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1 Q. Souvent vous deviez conduire des officiers de haut rang, des officiers

2 du commandement pendant leurs déplacements sur le terrain.

3 R. Pendant les événements de Vukovar ou quelle est la période qui vous

4 intéresse ?

5 Q. Merci de m'avoir signalé que ma question n'était pas précise. Parlons

6 d'une part du temps de paix et d'autre part du temps de guerre. En temps de

7 paix, pendant que vous étiez à Belgrade au sein de la Garde, est-il exact

8 de dire qu'occasionnellement ou voire même plus souvent vous emmeniez les

9 officiers dans votre véhicule dans le cadre de leur déplacement; est-ce

10 exact ou non ?

11 R. Cette unité était chargée de l'escorte, comme je vous l'ai déjà dit.

12 C'était l'escorte des chefs de gouvernement et d'Etat étranger. C'était

13 cela la priorité. Ensuite, il fallait assurer la sécurité des ministres de

14 la Défense étrangers lorsqu'ils se rendaient en visite en Yougoslavie et ce

15 sur le territoire de toute la Yougoslavie et ensuite des groupes d'envoyés

16 militaires étrangers lorsqu'ils venaient en Yougoslavie pour se déplacer

17 sur notre territoire. Les officiers, il était très rare qu'on les emmène,

18 qu'on les conduise en temps de paix. Le secrétaire fédéral à la Défense, à

19 savoir le ministre de la Défense, oui, cela nous est arrivé, éventuellement

20 le chef du Grand état-major, éventuellement des -- quelques officiers, mais

21 c'était rare, très rare.

22 Q. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que dans une unité, telle Unité

23 de la Garde, on fini par connaître les officiers de l'unité, et cela pour

24 des raisons qui sont tout à fait évidente.

25 R. La nature de notre travail était de garder nos missions plutôt

26 confidentielles. Donc on se connaissait peut-être de vision mais on ne

27 cherchait pas trop à savoir quelle était la composition des autres unités

28 et les autres non plus ne se mêlaient pas, ne s'intéressaient pas à nos

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1 affaires.

2 Q. Mais c'est l'Unité de la Garde qui m'intéresse pour le moment. Vous

3 connaissiez les officiers, soit dans la Garde, soit rattaché, et vous

4 connaissiez généralement leurs noms; est-ce que Sarajevo seriez d'accord

5 avec cela ?

6 R. Oui, à ce niveau-là, oui.

7 Q. Très bien. Voyons maintenant quelle est la situation en temps de

8 guerre. Serait-il exact de dire que lorsque vous êtes arrivés à Negoslavci,

9 et dans les arrières, il vous est arrivé de revoir ces officiers, ces mêmes

10 officiers occasionnellement ou de temps à autre ?

11 R. Oui, oui. On se croisait.

12 Q. Seriez-vous d'accord avec moi pour dire que vous saviez qui était

13 l'officier Vukasinovic ?

14 R. Oui, je connaissais M. Ljubisa Vukasinovic.

15 Q. Pouvez-vous nous en parler de ce monsieur. Que saviez-vous de lui

16 pendant que vous étiez à Vukovar ?

17 R. Mais Vukasinovic est quelqu'un que j'ai connu avant Vukovar. C'est un

18 officier membre de la Brigade de la Garde, il était l'un des chargés

19 d'affaire en matière de sécurité, je ne sais pas exactement quelle était

20 l'appellation de son poste. Pour d'autres détails plus personnels, non, je

21 ne les savais pas, je ne les connaissais pas. C'était quelqu'un de plutôt

22 ouvert, un homme, un officier qui était extraverti. Il était plutôt

23 respecté par un bon nombre d'hommes, c'est cela que je savais de lui.

24 Q. Je suppose donc que par loi de conséquence votre commandant lui aussi

25 connaissait Vukasinovic ?

26 R. Logiquement, il devrait le connaître, oui.

27 Q. Merci. Karanfilov est-ce un homme que vous connaissez ?

28 R. Oui.

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1 Q. Que saviez-vous de Karanfilov ?

2 R. Oui, oui. Lui aussi, c'était l'un des membres de cette section de -

3 comment on appelait cela - chargé de la Sécurité. Il était au commandement

4 à Negoslavci. Quand j'ai fait venir ces quatre, là, j'ai eu l'idée de lui

5 amener ces quatre pour qu'il voie des spécimens vivants, quelle était leur

6 allure, et quels étaient leurs vêtements.

7 Q. Mais pourquoi est-ce que vous emmeniez des prisonniers, prisonniers de

8 guerre à l'organe chargé de la sécurité. Vous pouvez me l'expliquer, s'il

9 vous plaît ?

10 R. Mais je n'avais pas où les amener si ce n'était pas là-bas, c'était mon

11 commandement, notre commandement. Je me suis dit que c'était le seul

12 endroit approprié pour que je les remette à des officiers supérieurs.

13 Véritablement, c'est la seule fois où cela s'est produit du moins pour

14 autant que je le sache, on n'a pas eu d'autres situations de ce genre.

15 Q. Vous n'avez jamais servi dans les rangs de la police militaire ?

16 R. Oui.

17 Q. L'organe chargé de la Sécurité pour tous les officiers, chargé de la

18 sécurité peuvent donner des ordres à la police militaire; est-ce exact,

19 n'est-ce pas ? C'est exact, n'est-ce pas ?

20 R. Je connais très bien la filière de commandement même si ma position est

21 très en bas de l'échelle. Il y a la filière de commandement militaire, et

22 puis il y a aussi -- il y a des instructions techniques pour -- qui vont

23 pour eux. Je reçois des ordres de la part du commandement, je suis au

24 niveau le plus bas -- l'unité la plus bas -- la plus bas placée. Je pense

25 qu'il commande -- quelqu'un de l'organe de Sécurité commande sur le plan

26 technique, or, mon commandant supérieur me donne des ordres sur le plan

27 militaire. Ce n'était pas habituel de sauter des échelons ou d'intervenir

28 en dehors de la filière établie.

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1 Q. Mais occasionnellement cela a dû se produire, est-ce vrai ?

2 R. Je ne veux pas tomber dans le piège. Peut-être que, sur le plan d'un

3 détail technique, on peut accepter une suggestion. Mais, là, en nous

4 parlant du temps de paix, lorsqu'on parlait des différents techniques

5 d'escortes, de surveillance d'assurer la sécurité lorsque le commandant

6 n'était pas là, si quelqu'un de l'organe chargé se trouvait sur place,

7 d'une certaine manière, il était responsable d'une partie de la mission.

8 Effectivement, dans ce cas de figure, on pourrait dire que cela se

9 produisait parfois; mais, pour ce qui est de décisions de taille, non.

10 Q. Bien sûr que non. Mais, lorsque cela leur arrivait, vous, vous vous

11 exécutiez, vous obéissiez à l'ordre puisque vous étiez un militaire

12 discipliné ?

13 R. Naturellement.

14 Q. Merci. Un ou deux petits points qui me restent à aborder, s'il vous

15 plaît.

16 Votre commandant ---

17 M. MOORE : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît. Je voudrais

18 vérifier quelque chose dans mes notes.

19 Q. Je voudrais parler de votre commandant, vous savez de qui je parle.

20 Je pense qu'on pourrait aborder cela brièvement. Je pense qu'il est

21 exact de dire qu'à un moment donné, il y a eu un refus qui s'est produit à

22 Negoslavci. Je pense que 20 ou 30 sous-officiers et officiers ont refusé

23 d'aller se battre ou on dit qu'ils refusaient d'aller se battre; c'est

24 exact, n'est-ce pas ?

25 R. Il y a deux notions différentes, là, d'un point de vue militaire, ne

26 pas souhaiter faire quelque chose et refuser de faire quelque chose. En

27 fait, c'est cela qui s'est produit : refuser, alors là, pour un refus, il y

28 a des sanctions rigoureuses. Nous, on ne refusait pas.

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1 Q. Alors, disons qu'ils ne souhaitaient pas, qu'ils étaient réticents à le

2 faire.

3 R. Oui, tout à fait.

4 Q. Donc, je pense que c'est à Negoslavci que 20 ou 30 sous-officiers et

5 officiers ont fait savoir qu'ils étaient réticents à aller se battre. Est-

6 ce que vous pouvez nous en parler, s'il vous plaît ? Que s'est-il passé ?

7 R. Mais bien qu'est-ce qui s'est passé ? Ce qui s'est passé c'est ceci :

8 un nombre assez faible de soldats a été déployé sur la ligne de front,

9 mais, si on voit la force numérique globale, elle était assez considérable.

10 Je parle ici d'un assez petit nombre de soldats de métier. Il y a eu des

11 attaques qui ont été déclenchées à plusieurs reprises et qui avaient à leur

12 tête un groupe qu'on appelait les Careni [phon], unités spéciales. L'appui

13 venant de l'arrière s'amenuisait sans cesse, il était de moins en moins

14 fréquent. A un moment donné, nous avons demandé à ce que tout ceci soit

15 réorganisé. Cela c'est un volet, un aspect de la situation.

16 Il y en a un autre. Je ne me souviens pas de la date exacte. Mais cela

17 faisait déjà un bout de temps qu'on n'avait pas reçu des vêtements propres.

18 Nous l'avions -- normalement, c'est le service du QG qui fournissait les

19 vêtements propres. C'est une réaction naturelle. Les gens voulaient se

20 laver, prendre une douche. Cela a été une première demande, ce n'était pas

21 une réticence. Soyons francs, on voulait simplement se laver. Lorsque nous

22 avons fait cette demande, on nous a retiré des combats, nous avons été

23 ramenés à Negoslavci et c'est une autre unité qui est intervenue.

24 Donc, c'était quelque chose de mental. C'est difficile à comprendre je

25 suppose. C'est cela qui s'est véritablement passé. Nous avons fini par ne

26 pas nous laver, nous sommes simplement assis par terre à méditer, ceci

27 montre notre degré de stress et d'épuisement. Le commandant a dit : "Vous

28 vouliez vous laver et, maintenant, vous ne vous lavez pas; alors, qu'est-ce

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1 que vous vouliez faire ?" A ce moment-là, les rapports étaient un peu

2 tendus. Bon, c'est peut-être exagéré de dire qu'ils étaient tendus, mais il

3 y avait sans doute un certain malentendu, mais qui a été dissipé assez

4 rapidement et nous sommes remontés sur nos positions initiales.

5 Q. Ecoutez, ce n'est pas du tout une critique que j'émets. Je ne dis pas

6 ici qu'il y a eu de la lâcheté, loin de moi cette idée. J'essaie simplement

7 d'établir qu'il y a eu une réunion à Negoslavci d'officiers et de sous-

8 officiers où ceux-ci ont dit qu'ils n'étaient pas très chauds à l'idée

9 d'aller combattre.

10 Je vous présente cette hypothèse-ci. Est-il vrai de dire que vous avez

11 certains officiers supérieurs qui sont venus vous voir pour essayer de vous

12 convaincre de la nécessité de repartir au front ?

13 R. Vous voulez dire à Negoslavci ?

14 Q. Oui, oui.

15 R. Oui, oui. Oui, oui. Mais ils ne l'ont pas fait.

16 Q. Est-ce que Sljivancanin n'est pas venu vous parler ?

17 R. J'ai vraiment fait tous les efforts possibles, et croyez-moi -- et

18 maintenant, je ne me souviens plus si c'était Sljivancanin ou pas. Je sais

19 qu'il y en a d'autres qui sont venus, mais je ne me souviens pas s'il est

20 venu Sljivancanin.

21 Q. Mrksic, il est venu ?

22 R. Oui.

23 Q. Est-ce que Vasiljevic est venu ?

24 R. Oui, oui. Le général Vasiljevic est venu. En réalité --

25 Q. Vous disiez : "En réalité…" Je ne vous ai pas interrompu, vous avez dit

26 que : "Oui, le général Vasiljevic est venu," mais est-ce que vous vouliez

27 ajouter quelque chose d'autre ?

28 R. Oui. Je vous ai dit que le général Vasiljevic, un officier supérieur,

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1 je pense qu'il était déjà général à l'époque, il jouissait d'énormément

2 d'autorité auprès de l'unité, et le colonel Mile Mrksic, notre commandant,

3 c'était deux personnes d'autorité qui avaient le pouvoir nécessaire pour

4 nous faire bouger. Effectivement, il y avait eu des demandes de

5 complètement parce qu'il y avait eu des postes vacants et certains de nos

6 soldats blessés ont été remplacés. Donc, il y a eu un groupe de

7 volontaires, je pense que c'était six ou huit soldats, et nous sommes

8 repartis sur l'initiative prise par notre commandant.

9 Q. Avançons un peu dans le temps, en janvier, février 1992. Acceptez-vous

10 l'idée selon laquelle votre commandant a bénéficié d'une promotion au début

11 de l'année 1992 ?

12 R. L'année 1992, c'est l'année de notre échec, malheureusement, des choses

13 se sont passées au niveau des désignations, des licenciements, pour ce qui

14 est des effectifs militaires. Sur le plan militaire, cela n'avait aucun

15 sens. Bon, peut-être que oui, effectivement, il a bénéficié d'une

16 promotion.

17 Q. Le fait d'être soldat de métier, de carrière, était-ce quelque chose

18 d'important pour vous à l'époque ?

19 R. Pour moi, personnellement ?

20 Q. Oui.

21 R. Oui, oui.

22 Q. Est-ce que vous connaissiez un homme connu sous le nom d'Arkan à

23 l'époque ?

24 R. Non, non.

25 Q. Vous n'aviez jamais entendu parler d'Arkan ?

26 R. A l'époque, si, si, j'avais bien entendu mentionné ce nom, mais ce

27 n'était pas un nom qui avait beaucoup d'écho à l'époque. Ce n'est pas comme

28 si les gens avaient eu peur de lui ou étaient impressionnés par lui, en

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1 tout cas, pas dans mon milieu. Je ne sais pas ce qu'il en est de la

2 situation générale, dans l'environnement général, mais ceci ne s'applique à

3 moi en tout cas. Vous voyez, je ne pouvais pas suivre ce qui se passait à

4 la télé ou dans les médias. On était dans une certaine mesure isolé de ce

5 que disaient les médias, ceci est sans doute une des raisons.

6 Q. N'est-il pas vrai de dire qu'à l'époque Arkan était réputé pour son

7 côté impitoyable ?

8 R. On a entendu dire de façon générale que les hommes d'Arkan venaient de

9 la gauche de Borovo et de Luzac, et c'est à cela que se résumait en tout

10 cas pour nous. Vu ce qui se passait exactement nous ne pensions pas

11 vraiment qu'il y avait des combats féroces de ce côté-là, mais c'est

12 difficile de le dire parce que ce sont là deux extrémités opposées de

13 Vukovar. Donc, difficile à dire. Nous ne nous sommes jamais rencontrés, et

14 je ne pense pas avoir jamais vu un seul de ces soldats qui aurait été un

15 des hommes d'Arkan.

16 Q. Vous n'avez jamais entendu dire que lui et ses soldats auraient commis

17 des atrocités ou qu'ils auraient été l'auteur d'actes douteux,

18 répréhensibles ? Vous n'avez jamais entendu dire cela ?

19 R. J'essaie de m'en tenir à la période concernée. Je ne peux pas dire que

20 j'en n'ai pas entendu parler, mais si nous nous concentrons sur Vukovar, et

21 l'année 1991, je dirais que non. À l'époque, je n'en avais pas entendu

22 parler. Après, bien, évidemment c'est devenu d'une notoriété publique. Des

23 rumeurs on en a entendu, des rumeurs ont commencé à se propager.

24 Q. Quel genre de rumeurs à propos d'Arkan et de ses hommes ? Je vous

25 rappelle, Monsieur, que vous avez juré de dire la vérité.

26 R. J'ai juré de dire la vérité. C'est pour cela que je suis ici. C'est la

27 raison principale de ma présence ici.

28 Beaucoup de membres de mon unité, moi-même y compris, nous n'avons pas eu

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1 beaucoup de respect pour ce genre d'unités, je parle ici des hommes

2 d'Arkan. Il nous ait arrivé de nous rencontrer, de nous croiser, c'était

3 inévitable. Je ne veux pas m'appesantir sur des rumeurs les interpréter. La

4 presse en parlait beaucoup. On voyait beaucoup de choses à la télévision.

5 Q. Fort bien. Je vais laisser ce sujet de côté. Parlons de la Défense

6 territoriale, TO. Serait-il exact de dire que les hommes de la TO ont

7 souvent fait preuve de bravoure dans les engagements qu'ils ont eus,

8 engagements nombreux, je parle ici des paramilitaires ?

9 R. Je n'ai pas grand-chose avec des formations paramilitaires. Nous avions

10 des soldats de métier, professionnels dans notre unité.

11 Q. S'agissant des paramilitaires voici mon hypothèse. Il y en a beaucoup

12 qui ont combattu avec bravoure mais ces hommes avaient la réputation de ne

13 pas avoir assez de discipline, qu'il fallait les contrôler car ils

14 manquaient de discipline. Est-ce que vous acceptez cette hypothèse ?

15 M. LUKIC : [interprétation] Monsieur le Président, puis-je intervenir ?

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui, Maître Lukic.

17 M. LUKIC : [interprétation] Je ne sais pas si je suis autorisé ici à

18 soulever une objection. C'est ma première fois que nous intervenons. Je

19 pense que mon confrère devrait définir ce qu'on entend par une unité

20 paramilitaire ou ce que le témoin entend par Défense territoriale. Je crois

21 qu'ici on est pas vraiment sur terre ferme et qu'il y a peut-être une

22 méprise entre le conseil et le témoin. Je pense que la façon dont la

23 question a été posée fait que le témoin n'a pas nécessairement compris. Ce

24 n'est pas une objection c'est simplement un éclaircissement que je

25 souhaite.

26 M. MOORE : [interprétation]

27 Q. Vous venez d'entendre ce qui vient d'être dit. Quand on parle

28 d'effectifs irréguliers et on pourra vous préciser cette idée. Ces éléments

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1 ils ont combattu avec bravoure, n'est-ce pas, mais ils avaient un problème

2 de discipline à l'époque, n'est-ce pas ?

3 R. Dans notre zone de combat il n'y avait pas d'accès possible pour les

4 unités paramilitaires. Tout ce qui était en dehors de la dotation organique

5 des éléments de la Brigade de la Garde n'étaient pas autorisés à se trouver

6 sur les lieux. Nous avions bien eu quelques affrontements verbaux avec eux,

7 ce genre de chose, il y a eu des incursions dans nos lignes. Des gens qui

8 étaient venus pour se livre aux pillages, mais en l'espace de quelques

9 jours ce genre d'individus étaient chassés de notre zone de responsabilité.

10 Aucun de ces incidents ne duraient très longtemps dans notre zone. Ce qui

11 aujourd'hui ressemble à du courage c'était peut-être simplement de la

12 quohardise [phon] il y a quelques années. J'espère que vous me comprenez.

13 Je connais la base. Je connais le fantassin. Je connais les rouages à

14 l'échelon le plus bas mais je ne connais pas les éléments plus globaux.

15 Q. Ce qui m'intéresse, ce sont effectivement les fins rouages. Alors,

16 parlez-nous du pillage qui avait.

17 R. Pillage de biens, de propriétés, je suppose.

18 Q. J'aimerais que vous me donniez une idée du genre de problème que vous

19 avez rencontré avec - et là, vous choisirez votre terme - avec des membres

20 de la Défense territoriale ou avec des paramilitaires. C'est vous qui avez

21 parlé de pillage. Je voudrais que très rapidement vous nous expliquiez quel

22 était le genre de problèmes que vous rencontriez à l'époque. Vous nous avez

23 dit que des hommes sont entrés dans votre zone de responsabilité, c'est

24 quelque chose qui n'aurait pas dû faire, n'est-ce pas ?

25 R. Tout ce que j'ai dit c'est que si quelqu'un entrait dans notre zone de

26 responsabilité animait de ce genre d'intention, bien, son entreprise allait

27 sans doute rester futile dans notre zone. À l'époque les combats faisaient

28 rage et il y avait des combats très intenses tout le temps. Vous utilisiez

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1 toutes vos compétences militaires sur ce que vous faisiez ce qu'il fallait

2 pour survivre, pour sauver le plus grand nombre de vie possible parmi vos

3 compagnons d'arme. Il aurait été ridicule de passer son temps à penser au

4 pillage franchement. La plupart d'entre nous voulaient simplement sortir de

5 cet enfer en vie. Voilà tout ce que je peux dire à propos du pillage. Je ne

6 peux que vous dire ce que je sais et je peux vous dire que cela s'est passé

7 comme cela là où nous étions. Mais si quand vous dites pillage vous dites

8 pillage, oui, il y a eu des actes de pillage. Par exemple, je n'avais pas

9 de vêtement. J'ai, personnellement, pillé un peu. Il m'est arrivé d'aller

10 dans une maison et on voyait du linge bien rangé qui séchait dehors. Bien,

11 à ce moment-là on était vraiment tout sale. Alors, effectivement, j'allais

12 chercher un peu vêtement propre. Je faisais cela tous les quatre ou cinq

13 jours.

14 Q. Maintenant, vous parlez du fait de changer de sous vêtements ou de

15 prendre des vêtements qui sèchent dehors. Ce qui m'intéresse ce n'est pas

16 cela, vous le savez. Je parle d'un comportement éventuellement irrégulier

17 de la Défense territoriale ou des paramilitaires. Je le répète. À l'époque,

18 c'étaient des soldats valeureux, braves, mais ils n'étaient pas très

19 disciplinés, n'est-ce pas ? N'était-ce pas là la réputation qu'avaient ces

20 hommes ? Est-ce que je ne dis pas la vérité ?

21 R. Monsieur le Procureur, j'ai beaucoup d'estime pour vous, ne vous

22 méprenez pas. Mais je ne vais pas mettre de gants -- là vous me forcez à

23 être brutalement honnête pour ce procès. J'ai poursuivi ma carrière de

24 soldat après Vukovar, et j'ai eu l'occasion de rencontrer des gens de tout

25 rang dans l'armée. Ce que je peux dire ici, devant les Juges et devant

26 l'opinion publique - et ceci ce n'est pas seulement moi qui le dis - je

27 m'aventurerai à dire que 99 % de mes compagnons d'armes dans leurs zones de

28 responsabilité respectives n'auraient jamais permis qu'une telle chose se

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1 passe. Vous avez raison de dire qu'il y en avait qui avaient des propension

2 dans ce sens, c'est-à-dire, à grappiller ceci ou cela comme cela en

3 passant. Mais ces hommes n'étaient pas chez nous, cela je peux vous le

4 dire. Alors, où étaient-ils lorsque -- beaucoup d'officiers de la Brigade

5 des Gardes lorsque nous sommes --- nous nous sommes un peu là éloignés ?

6 Q. Je voudrais revenir à Vukovar. Est-ce que vous avez vu Vukasinovic à

7 Vukovar ?

8 R. Pas à Vukovar, je l'ai vu à Negoslavci. A Vukovar, en ville, pendant

9 des combats, non, je ne l'ai pas vu.

10 Q. Est-ce que vous avez vu Karanfilov, dans ce que j'appelle le secteur de

11 Vukovar -- Karanfilov ?

12 R. Je l'ai vu Karanfilov le jour où il faisait sortir le Dr Bosanac.

13 Q. Est-ce que cela s'est passé avant ou après votre déplacement à Ovcara ?

14 R. Je ne sais pas. Je sais qu'il était énervé, qu'il disait qu'il avait

15 cette mission tout à fait spéciale et cela s'est arrêté là. Plus tard, nous

16 nous sommes rencontrés à Belgrade et il m'a rappelée cette rencontre que

17 nous avions eu. Il m'a dit ce qui s'était passé après -- et il a dit ce

18 qu'est-ce qui s'est passé après. A l'époque, je ne savais rien du Dr Vesna

19 et des problèmes.

20 Q. Si on n'essaie pas de situer ces événements dans le temps, c'est

21 souvent la meilleure façon de s'y prendre. Vous avez vu Karanfilov avec le

22 Dr Vesna Bosanac et c'est après cela que vous êtes allé à Ovcara; est-ce

23 bien cela ?

24 R. Non.

25 Q. J'aimerais vous faire part de quelques hypothèses. Vous dites que vous

26 êtes allé à Ovcara. Avez-vous une trace écrite de cette visite effectuée à

27 Ovcara ? Est-ce que vous avez un document quelconque ?

28 R. Monsieur le Procureur, ceux qui ont un journal ou un registre, un

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1 carnet de bord, mais ce genre de personnes, en général, à l'arrière, c'est

2 là qu'est leur position. Je ne veux pas dire que j'étais toujours à la

3 première ligne des combats, mais j'étais, effectivement, exposé à de graves

4 risques. Dans de telles circonstances, je m'intéressais surtout à sauver ma

5 peau, à survivre et à veiller de ne rien omettre qui risquerait de

6 compromettre la sécurité de mes compagnons d'armes. Franchement, à vrai

7 dire, je n'ai pas du tout de chronologie claire dans ma tête; pour moi,

8 certaines choses se sont passées plus tard que ce qui s'est passé, en

9 réalité. Donc, c'est seulement quand des gens me rappellent certaines

10 choses que je me rends compte que je me trompe.

11 Q. Puis-je vous demander quand Me Vasic sans doute ou

12 Me Domazet peut-être vous a demandé la première fois de venir déposer en

13 tant que témoin ?

14 R. J'ai vu ce monsieur hier soir pour la première fois,

15 Me Domazet.

16 Q. Oui, cela nous le savions.

17 R. Me Vasic, je l'ai vu il y a cinq ou six jours. Nous nous sommes vus

18 deux fois. Il a d'abord pris mon passeport afin d'obtenir un visa pour moi,

19 puis, je l'ai revu lorsqu'il a eu besoin d'une photo pour ce visa. Mais

20 tout s'est passé très rapidement, il s'est contenté de prendre les photos,

21 les photographies. J'étais un peu surpris. Lui -- ou plutôt, M. Lakcevic

22 m'a demandé ceci. Avant, j'étais un petit peu surpris parce que cela s'est

23 passé de façon informelle : "Stevan, est-ce que tu serais prêt à devenir

24 témoin pour parler de ce qui s'est passé à Ovcara." J'ai dit : "Oui, bien

25 sûr."

26 Ici, je ne témoigne pour personne en particulier, je témoigne pour

27 établir la vérité à propos de ces événements. C'est pour cela que j'ai

28 faite une déclaration écrite comme -- pour dire comment j'ai été voir le

Page 11465

1 commandant. Puis, on m'a dit : "Peut-être que tu vas témoigner par

2 vidéoconférence." Puis, au cours de ces quelques derniers jours, on m'a

3 demandé si j'étais prêt à venir déposer devant la Chambre pour relater ces

4 événements ici. J'ai dit que je n'avais aucune raison d'ignorer la vérité

5 ou de m'y dérober, et donc, je suis venu.

6 Q. Vous avez dit que vous étiez censé présenter une déclaration écrite.

7 Est-ce que pour faire cette déclaration -- ou plutôt, est-ce que vous vous

8 aviez rédigé quelque chose par écrit ? Est-ce que vous aviez des idées que

9 vous aviez établies sur la base de vos souvenirs avant de parler aux

10 avocats ?

11 R. Non, ce n'est pas ce que je fais d'habitude. Je ne tiens -- je ne garde

12 pas de notes, je n'ai pas de journal intime. Je le regrette peut-être que

13 j'aurais dû prendre des notes parce qu'il y a eu beaucoup d'événements

14 traumatiques et difficiles et on a tendance à oublier au fil du temps. Je

15 vous dis maintenant que je regrette le fait que je n'ai rien noté à

16 l'époque.

17 Par un hasard, je suis retourné à Vukovar en 1993, je vous l'ai dit,

18 en tant que membre de la Brigade de la Garde. Je ressentais l'obligation

19 morale parce que c'est là que je suis né. J'y suis retourné et qu'est-ce

20 que j'avais comme idée ? Je voulais que le mal ne se reproduise plus. Puis,

21 j'ai entendu dire et - c'est vrai, c'est un fait avéré - je ne sais pas si

22 cela a été consigné quelque part. Je pense que le commandant connaît les

23 détails, je pense qu'il m'a même suggéré cela, il me l'a même laissé

24 entendre. Il y avait un jeune qui était mort tout près --

25 Q. Excusez-moi de vous interrompre, je voudrais revenir au sujet que

26 j'avais abordé. Je suis sûr que Me Domazet pourra poser des questions à

27 propos de 1993. Est-ce que cela vous dérange si nous restons à examiner ce

28 même sujet ?

Page 11466

1 Vous avez dit qu'on vous avez contacté et que vous n'aviez pas fait de

2 déclaration préalable écrite, mais est-ce qu'il existe une déclaration

3 écrite que vous avez signée qui relate les événements que vous avez vécus -

4 -

5 R. Excusez-moi, mais au cours de quelle période que j'aurai signé ?

6

7 M. DOMAZET : [interprétation] Objection, Monsieur le Président.

8 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui.

9 M. DOMAZET : [interprétation] Maintenant, on laisse entendre au témoin --

10 ou plutôt, le témoin a dit qu'il n'avait pas fourni de déclaration

11 préalable, qu'une telle déclaration n'existe pas. Maintenant, on lui

12 demande s'il n'a jamais signé une déclaration. Mais sur quoi s'appuie

13 l'Accusation pour laisser entendre que le témoin aurait signé une

14 déclaration puisqu'il n'existe aucune déclaration ? Maintenant, je pense

15 que c'est la confusion la plus grande qui règne dans l'esprit du témoin.

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je ne pense pas qu'il y a des raisons

17 à être dans un état de confusion.

18 Poursuivez, Monsieur Moore.

19 M. MOORE : [interprétation]

20 Q. Si vous n'aviez pas rédigé quelque chose avant d'aller voir les

21 enquêteurs ou les avocats - parce que vous êtes arrivé et que vous les avez

22 vus, que vous avez commencé votre récit - est-ce que vous avez simplement

23 commencé à relater tout ceci ? Il y a cinq minutes, vous avez dit que :

24 "C'est naturel," vous étiez un peu perdu et que les choses se sont remises

25 en place lorsqu'on vous a rappelé certaines choses. Est-ce que vous

26 pourriez nous expliquer comment les choses se sont passées concrètement ?

27 R. Vous ne voulez pas en parler concrètement de ma réunion avec les

28 avocats ?

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1 Q. Oui, s'il vous plaît.

2 R. M. Lakcevic m'a appelé et a demandé à ce que nous nous rencontrions

3 pour parler de quelque chose. J'ai dit : "Quoi ?" Il a

4 Répondu : "Pour parler des événements de Vukovar, des événements survenus

5 en 1991 autour de Vukovar également." J'ai dit : "Volontiers." Je ne savais

6 pas qui était M. Lakcevic, si c'était l'avocat de M. Mrksic, ou

7 éventuellement, un avocat de l'Accusation. Je ne savais rien à ce propos.

8 Nous nous sommes rencontrés. Il m'a posé des questions à propos de l'unité

9 dans laquelle je servais. Je lui ai fourni mes coordonnées, je lui ai dit

10 que oui, je m'étais trouvé là à Vukovar, qu'il n'y avait rien à cacher, pas

11 de raisons de dissimuler le fait que j'avais été soldat. Il ne m'a pas

12 beaucoup posé de questions. Il m'a demandé dans quelle unité je me

13 trouvais, ce que je savais d'Ovcara, et je lui ai relaté ce que je savais

14 de cet événement. Ce que je savais à propos de ce fait. La réunion s'est

15 terminée, il est parti, il ne m'a rien dit de concret. Il ne m'a pas dit

16 spécifiquement ce que j'étais censé de faire plus tard. Il m'a simplement

17 demandé : "Est-ce que vous seriez prêt à confirmer tout ceci si c'était

18 nécessaire ?" J'ai dit : "Oui, pourquoi pas ?" Voilà, c'est tout. Plus

19 tard, il m'a dit, si c'était nécessaire --

20 Q. Je ne voulais pas vous interrompre, Monsieur. Oui, si c'était

21 nécessaire, je suppose qu'il allait vous contacter; c'est cela ?

22 R. Exact.

23 Q. Merci. Mais quelle est la partie de votre récit qui n'était pas claire

24 pour vous, pour laquelle régnait une certaine confusion dans votre esprit ?

25 R. Techniquement, je ne savais pas ce qui allait se produire. Je ne savais

26 pas comment allait se dérouler la déposition. Donc, est-ce que j'allais

27 faire une déclaration par écrit ? Est-ce qu'on s'en tiendrait là? Ou cela,

28 c'était une autre idée exprimée, si on jugeait que l'équipe n'était pas

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1 compétente, qu'on allait - je ne sais pas quelle équipe - enfin, que

2 j'allais peut-être déposer par voie de vidéoconférence. Puis, finalement,

3 c'est comme cela que cela s'est précisé. Je suis arrivé hier par avion,

4 j'ai rencontré ce monsieur. Je n'étais pas préparé. Voilà, nous sommes ici.

5 Q. Vous avez dit précédemment : "Je dois tout à fait honnête, je dois vous

6 dire qu'une partie des événements n'est absolument pas claire et

7 complètement confuse dans mon esprit. D'un point de vue chronologique, je

8 pense que certaines choses se sont produites plus tard et lorsque les gens

9 me rappellent les choses, je me rends compte à quel point cette chronologie

10 n'est pas exacte dans mon esprit."

11 Alors, est-ce que vous pouvez nous dire quelles sont ces choses dont les

12 gens vous ont parlé, que les gens vous ont rappelées pour vous rafraîchir

13 la mémoire ?

14 R. Non, croyez-moi, très honnêtement ceci n'a rien à voir avec ce sujet

15 qui nous intéresse ici. Il s'agit de points tout à fait secondaires,

16 marginaux. De temps à autre -- enfin, chez nous en Serbie, il n'y a

17 pratiquement pas de service compétent pour gérer le stress post-

18 traumatique. C'est nous qui nous entraidons mutuellement. On se raconte les

19 choses et c'est comme cela qu'on réduit le stress.

20 Q. Non, je vais reposer la question, je vais répéter ce que vous avez dit

21 : "Pour dire vrai, certains éléments chronologiques sont complètement

22 confus dans mon esprit. Lorsque les gens me rappellent cela, je me rends

23 compte, à ce moment-là, à quel point cet ordre chronologique est faux dans

24 mon esprit."

25 Tout simplement, j'aimerais savoir ce que vous avez tendance à confondre

26 dans votre esprit. Pourquoi est-ce que vous avez dit cela ?

27 R. Mais c'est par vos questions que vous m'avez amené à ce point, à ce que

28 je dise cela. Je vous dis qu'au bout d'un certain temps, il y a eu des

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1 choses qui ont pris de l'importance, par exemple, je suis au courant de

2 l'existence d'un événement, mais je ne sais plus la date, j'ai oublié le

3 nom des protagonistes, mais cela, ce n'est pas confondre les choses, c'est

4 naturellement --

5 Q. Est-ce qu'il serait tout à fait vrai de dire -- voyez-vous, votre

6 commandant, lorsqu'il est venu déposer, il a dit que ce qui s'est produit à

7 Ovcara c'était le 20 et non pas le 18; est-ce que vous admettriez que c'est

8 une possibilité ?

9 R. Non, non. Le 18, c'est une date certaine. Il y a plus de raisons à

10 cela, voilà. Je ne sais pas ce que vous voulez que je vous présente pour

11 étayer ce que je suis en train de dire. Nous, enfin ce cochon, ce n'était

12 pas vraiment pour célébrer de grandes victoires, voyez-vous, c'était

13 quelque chose qui s'est passé spontanément. On était sain et sauf après

14 tout et on allait célébrer la fin de cette agonie qui a duré, qui a duré

15 enfin le temps que cela a pris. Cela c'est un des détails. Alors, après on

16 est parti, mais on était encore en train de rôtir ce cochon, et c'est à ce

17 moment-là qu'on est parti. Après Ovcara, on est revenu, on a mangé ce qu'on

18 avait préparé.

19 Q. Mais rien ne vous permet de situer la date, si ce n'est votre mémoire,

20 et ce 15 ans après les faits; est-ce exact ?

21 R. C'est un tournant, vous le reconnaîtrez. C'est un tournant dans ces

22 événements. Cette date-là est le 2 octobre, puis il y a quelques autres

23 mémoires qui se sont bien gravées dans ma mémoire. Le 2 octobre, c'est la

24 pénétration. Le 12, on a eu pas mal de victimes, le 16 également. J'ai

25 quelques camarades tombés au combat. Ce sont les dates qui m'ont frappé.

26 Puis le 18, en particulier, parce que --

27 Q. Est-ce que je peux vous poser la question suivante ? Vous connaissez le

28 commandant Vukasinovic, et logiquement vous avez admis que votre commandant

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1 devait le connaître également. Quelle que soit la date, donc le 18 ou le

2 20, vous vous êtes rendu à Ovcara, d'après vous, vous êtes resté combien de

3 temps à Ovcara ?

4 R. J'hésite à vous le fixer. Je pense une heure, une heure et quelque.

5 Quelque chose de cet ordre.

6 Q. Très bien. Le commandant Vukasinovic vous l'avez vu sur place pendant

7 que vous y étiez ?

8 R. Moi, non, non. Je le connais. C'est quelqu'un qui est physiquement

9 frappant, mais lui, je ne l'ai pas vu. Parmi nos officiers, j'ai vu notre

10 commandant. J'ai vu ce gars-là qui m'a accueilli, ce policier, et il y en

11 avait peut-être quelques autres, enfin, je n'ai pas vérifié leur grade --

12 je n'ai pas regardé leur grade. Il y avait nous et puis les hommes qui

13 étaient sur place.

14 Q. Vous n'avez jamais vu Vukasinovic, vous n'avez jamais vu votre

15 commandant s'adresser à Vukasinovic; c'est cela que vous êtes en train de

16 dire ?

17 R. Mon commandant, il est resté dans cette première partie à l'entrée. On

18 est rentré par cette porte entrouverte jusqu'à ce premier -- cette première

19 zone. Il est resté là. Je ne l'ai pas vu plus loin à l'intérieur. Il est

20 resté près de la porte dans cette première zone. J'étais vraiment le

21 dernier à quitter le hangar puisque je m'étais occupé de cet homme enfin je

22 vous en ai parlé. Je lui ai parlé - cela m'a pris 15 ou 20 minutes peut-

23 être plus - enfin, avec cet homme que j'ai fait sortir du groupe. Je ne

24 peux pas vous dire si entre-temps pendant ce temps-là il y a eu des hommes

25 qui seraient rentrés et ressortis ou sortis. Cela je ne peux pas

26 l'affirmer.

27 Q. Est-il exact que vous n'avez pas vu Karanfilov sur place non plus ?

28 Vous n'avez vu ni Vukasinovic ni Karanfilov; est-ce exact ?

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1 R. Non, non.

2 Q. Vous le dites en toute honnêteté en tant que témoin ?

3 R. Moi, je ne l'ai vu nulle part. Je ne l'ai pas vu.

4 Q. Vous dites : "Moi, je n'ai pas vu." Est-ce que cela veut dire que vous

5 auriez entendu dire de la bouche d'autres personnes qu'elle aurait vu ?

6 R. Merci de m'avoir complimenté d'être un témoin honnête, mais je ne l'ai

7 pas vu, et d'après ce que j'ai entendu personne n'a dit qu'il était là.

8 Q. Vous n'avez jamais entendu votre commandant dire qu'il devait parler à

9 Vukasinovic, et qu'on lui a demandé de partir, c'était votre ami et vous

10 nous dites tout ceci en tant qu'un témoin honnête ?

11 R. Je ne sais pas ce qui a été déterminant qui a fait le commandant

12 prendre cette décision de repartir. Je suppose que c'était parce que nous

13 avions tous vu qu'il y avait en partie des hommes qui s'étaient rendus, que

14 des organes officiels de la police militaire assuraient leur sécurité, les

15 gardaient, qu'il n'y avait aucun comportement inhabituel, aucun événement

16 inhabituel, et que la situation suivait son chemin et qu'il n'y avait pas

17 lieu qu'on y reste donc on est reparti à bord de nos véhicules. J'ai passé

18 toute la soirée avec lui.

19 Q. Alors, est-ce que vous pouvez m'expliquer pourquoi vous avez passé

20 d'après vous à peu près une heure sur place si rien ne s'y passait et vous

21 aviez un cochon qui était en train de tourner à la broche ?

22 R. On n'a pas quitté un bal. Si on est resté un peu plus longtemps, c'est

23 parce que on entendait à ce qu'on branche l'électricité, ce groupe

24 électrogène soit branché. On n'est pas venu jeter un coup d'œil et

25 repartir. On est resté un petit peu. On s'est attardé un petit peu sur

26 place. J'ai eu une conversation avec ce Croate qui a duré au moins 20

27 minutes.

28 Q. La question que je veux vous poser et que d'autres risques de vous

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1 poser c'est la suivante : s'il ne s'y passait rien pourquoi est-ce qu'une

2 unité spéciale y reste pendant une heure ? Mais le groupe électrogène n'a

3 rien à voir puisque la police militaire est là, pourquoi est-ce que l'unité

4 spéciale y reste pendant temps de temps ? Il n'y avait pas lieu qu'elle y

5 soit. Il n'y avait pas besoin, n'est-ce pas ?

6 R. Encore une fois, ce n'est pas tout à fait précis cette heure. C'était

7 peut-être à dix minutes près en plus ou en moins vu le temps qui s'est

8 écoulé, il se peut que je fasse une petite erreur, là dans l'évaluation du

9 temps.

10 M. MOORE : [interprétation] Monsieur le Président, je sais que le moment de

11 la pause est venu. Il me reste plus que 15 minutes de contre-interrogatoire

12 à mener, mais je voudrais vraiment le faire correctement. Nous allons

13 terminer aujourd'hui. Ceci ne nous posera pas de problème. Est-ce qu'on

14 peut faire une pause maintenant ?

15 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Oui. Nous reprendrons à l'heure plus

16 15 minutes puisque nous avons des expurgations à faire.

17 --- L'audience est suspendue à 12 heures 48.

18 --- L'audience est reprise à 13 heures 20.

19 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Monsieur Moore, veuillez poursuivre.

20 M. MOORE : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

21 Q. Monsieur le Témoin, il ne nous reste plus beaucoup de questions, vous en

22 serez content. Je vais simplement aborder un ou deux sujets

23 supplémentaires. Parlons, si vous le voulez bien, du commandant

24 Sljivancanin qui était chef de l'organe de sécurit dans le secteur de

25 Vukovar; vous le saviez à l'époque, n'est-ce pas ?

26 R. Oui.

27 Q. Nous pourrions sans doute régler ceci rapidement. Serait-il exact de

28 dire qu'il était chef de la Sécurité, qu'il se déplaçait beaucoup sur la

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1 ligne de front dans le secteur en général; est-ce exact ?

2 R. Beaucoup, oui, c'est une question de formulation. Disons que je l'aie

3 vu à plusieurs reprises. S'agissant de ce niveau de gradé, on pourrait le

4 dire, oui.

5 Q. Qu'est-ce que vous voulez dire pour un gradé de ce niveau ? Pourriez-

6 vous nous expliquer ce que vous voulez dire ?

7 R. Il n'était pas habituel dans les premières lignes de front, parmi les

8 soldats, de voir des officiers -- ou c'était rare de les voir ces officiers

9 hauts gradés. C'est chose notoirement connue, plus ou moins au niveau de

10 tous les conflits. Donc il s'agissait de façon incontestable d'un officier

11 très courageux et sans hésitation il savait venir parmi les combattants

12 dans les premières lignes. C'est ce que je voulais dire.

13 Q. Serait-il exact de dire qu'il se déplaçait d'une façon qu'on attend de

14 la part d'un organe de sécurité dans un tel secteur ? Est-ce que une bonne

15 façon de le dire ?

16 R. Il faudrait peut-être revenir un peu en arrière. Le commandant

17 Sljivancanin, avant les événements de Vukovar, est devenu officier chargé

18 de la sécurité, mais il a eu un parcours antiterroriste au niveau de

19 l'unité antiterroriste et peut-être ce côté affectif qui l'a incité à le

20 faire.

21 Q. Est-ce que le commandant Sljivancanin vous a donné l'impression - vous

22 avez dit qu'il était courageux - mais qu'aussi qu'il était au courant de ce

23 qui se passait sur le terrain, que c'était un bon officer ?

24 R. Oui.

25 Q. Pourquoi tirez-vous cette conclusion ?

26 R. Comme pour tout officier, il avait ses vertus dont j'ai eu connaissance

27 avant de venir à Vukovar. Nous appartenons à la même génération, nous avons

28 ensemble fait nos premiers pas militaires, nous nous sommes rencontrés au

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1 sein de cette unité. Lui, il a fini ses études d'officer, moi, je suis

2 resté au niveau de sous-officier, mais nous nous sommes rencontrés au fil

3 des activités qui ont été les nôtres. Il a même été mon supérieur à un

4 niveau moi élevé. Je sais que c'était quelqu'un d'équitable. C'était

5 quelqu'un d'assez respecté.

6 Q. Ce n'est pas ce que je vous demandais. Je vous ai demandé : comment

7 vous en étiez à la conclusion qui était la vôtre qu'il savait ce qui se

8 passait sur le terrain à Vukovar. Est-ce que c'est parce que c'était un

9 officier efficace qui se déplaçait, qui allait voir ce qui se passait ?

10 Est-ce que cela la raison de votre réponse ?

11 R. Je ne saurais vous donner de définition à présent. Pour ce qui me

12 concerne et aux yeux de bon nombre de personnes, je dirais que nous avons

13 été surpris de voir qu'il se déplaçait avec beaucoup d'aisance sur les

14 territoires où en un jour il y avait pas mal de victimes. C'est cela qui

15 motive ma conclusion.

16 Q. Merci. Serait-il exact de dire que vous tirez cette conclusion pas

17 seulement de vos connaissances personnelles mais de ce que vous avez

18 entendu dire par d'autres soldats sur le terrain à propos de sa

19 réputation ?

20 R. Nous n'avions pas formés une commission d'appréciations, nous n'étions

21 pas non plus en position où appelés à noter les attitudes de qui que ce

22 soit. C'est une impression qui a prévalu. Je suppose que c'est cela qui est

23 exact.

24 Q. Merci. C'est exact, il a même un surnom par rapport à sa participation

25 à Vukovar, n'est-ce pas ? Est-ce qu'on ne l'appelle pas le Chien noir ou

26 le Chevalier noir de Vukovar ? Est-ce que vous avez entendu ? Franchement,

27 je ne sais plus lequel c'était, lequel des deux.

28 R. Non. Vous m'avez fait rire, excusez-moi. Dans toutes ces histoires

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1 tristes, vous m'avez fait rire. Le Chien noir de Vukovar, c'est ce que vous

2 avez dit, n'est-ce pas ?

3 Q. Non. Tout ce que je veux dire c'est qu'il était bien connu pour sa

4 participation à Vukovar; soit qu'on l'appelait le Chien noir, soit le

5 Chevalier de Vukovar, peut-être que c'est plutôt le Chevalier que le Chien.

6 Vous n'avez jamais entendu ce sobriquet, ce surnom qui l'apparentait, qui

7 l'associait à --

8 R. Qui, qui ?

9 Q. Sljivancanin.

10 R. Qui appelait Sljivancanin de la sorte ? L'adversaire à nous ?

11 Q. Vous n'avez jamais lu cela nulle part ?

12 R. Dans Vukovar, non, jamais, vraiment pas. A l'occasion des événements de

13 Vukovar, Monsieur le Procureur, vraiment pas. Non, vraiment pas.

14 Q. D'accord. Juste ultérieurement, la presse a-t-elle gonflé les choses,

15 amplifié les choses ?

16 R. Je ne sais pas. Vous parlez de la chronologie ultérieure, mais là-bas,

17 non vraiment pas.

18 Q. Parlons de ce que vous avez entendu dire à l'époque. Est-ce qu'il

19 serait exact de dire que ce que vous avez entendu dire à propos des

20 assassinats d'Ovcara -- Je reformule ma question : quand avez-vous pour la

21 première fois entendu parler des assassinats ou massacres d'Ovcara ?

22 R. Si j'avais des taches sur ma conscience, je chercherais certainement

23 des modalités pour les dissimuler, je n'aurais pas le courage, ou la valeur

24 ou l'ambition morale de comparaître devant ce Tribunal et je demanderais

25 aux Juges de bien me croire. S'agissant des ces actes criminels commis à

26 Ovcara, je ne les ai jamais entendu parler, lorsque la presse a commencé à

27 faire couler de l'encre à ce sujet.

28 Q. C'était quand, un an plus tard, six mois plus tard ?

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1 R. Bien des années après. J'étais revenu même en 1993 à Vukovar. A Vukovar

2 même, s'agissant des personnes que je connaissais, personne ne m'a laissé

3 entendre que tel événement a eu lieu.

4 Q. Vous, vous n'avez jamais entendu dire par qui que ce soit qu'il y avait

5 des rumeurs qui circulaient à propos d'atrocités, attendez, je pense qu'on

6 peut dire que d'autres ont entendu dès le lendemain parler d'atrocités, que

7 des rumeurs ont circulé, et vous vous n'avez rien entendu ?

8 R. Je vous disais que nous faisions partie de cette unité, nous étions

9 plutôt respectés, nous étions extrêmement respectés, considérés par la

10 totalité des structures. S'agissant de nous, on ne venait pas nous raconter

11 d'histoires, histoires de l'autre côté de la loi sachant parfaitement bien

12 que chacun d'entre nous était très professionnel et que, de ce côté-là, il

13 est sûr que nous prendrions des mesures. Je vous assure que je n'en ai

14 absolument pas entendu parler.

15 Q. N'avez-vous jamais fournie une déclaration ? N'avez-vous jamais parlé à

16 qui que ce soit dans le cadre d'une enquête portant sur le massacre

17 d'Ovcara avant que la Défense ne vous contacte ?

18 R. Non, jamais avec personne. S'agissant de ces particularités, vraiment

19 rien. Je sais qu'elles sont les personnes qui ont été condamnées au

20 tribunal de Belgrade. Parmi ces personnes-là, il y en a que j'ai connues,

21 plusieurs. Mais, dans le comportement, dans les indices, dans les moindres

22 détails révélateurs, je n'ai pu me douter que choses pareilles, choses de

23 cet envergure se seraient produites jusqu'au moment où la presse a commencé

24 à publier les détails. J'ai pensé qu'il y a eu sûrement des rumeurs avec

25 les conflits armés et que l'on y avait tendance à amplifier les choses à

26 l'extrême. Mais, par la suite, lorsque j'ai eu connaissance de certains

27 faits, j'ai, effectivement, appris que certains événements ont eu lieu.

28 Lorsque la presse a commencé à en parler j'ai été vraiment surpris lorsque

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1 le procès a commencé.

2 Q. Est-ce que vous avez participé au nettoyage -- au ramassage de corps

3 dans les alentours de Vukovar, à quelque moment que ce soit ?

4 R. Non.

5 Q. Je vous remercie. Connaissez-vous un soldat qui s'appelle Aziz Memic ?

6 Selon moi, il a servi avec vous ?

7 R. Oui.

8 Q. Est-il exact de dire qu'Aziz Memic est allé avec vous à Ovcara, ce

9 soir-là ?

10 R. Monsieur le Procureur, Memic c'est celui que j'ai mentionné en disant

11 que le Grand Dzo était venu lui dire --

12 Q. Je ne vous avais pas entendu. Donc, c'est Memic qui s'est vu contacté

13 là ?

14 R. Oui.

15 Q. Est-ce que vous savez où il est Memic ?

16 R. Non, non vraiment pas.

17 Q. Un Régiment de la Garde dans certains endroits a souvent des

18 associations d'anciens combattants, d'anciens officiers, d'anciens soldats.

19 Est-ce que la Brigade de la Garde -- le Régiment de la Garde a une espèce

20 de club ou d'association qui permet aux anciens membres de cette formation

21 de se réunir ?

22 R. Il y a eu chez nous des processus politiques assez abrupts qui se sont

23 produits qui ont fait en sorte que ces associations ont été plutôt

24 désorientées, déboussolés. Nous avions eu, effectivement, une riche

25 tradition en ex-Yougoslavie de voir les membres des différentes unités se

26 rassembler à des dates précises. Mon unité avait pour coutume, à la date où

27 Tito est mort, de se réunir pour lui rendre hommage et se séparer ensuite.

28 De part la nature de sa composition, cette unité-ci avait avancé des idées

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1 pour préciser une date de ce genre, mais nous n'avons jamais eu de

2 réunions. Pour la raison principale qui ne voulait pas semer le trouble, ne

3 pas perturber les tendances nouvelles qui prévalaient, et pour des raisons

4 de ce type il n'y pas eu de tentatives en ce sens.

5 Q. Est-il, par conséquent, exact de dire que vous n'avez pas rencontré

6 d'anciens soldats, sous-officiers et officiers récemment ?

7 R. Non. On ne peut pas l'affirmer parce que parfois le hasard fait les

8 choses autrement, mais s'agissant du dénommé Memic, je ne l'ai -- je ne me

9 souviens pas quand est-ce que je l'ai vu pour la dernière fois, lui. En

10 toute franchise, je ne me souviens pas de l'avoir rencontré après 1995.

11 J'ai appris qu'il n'était plus dans le service d'active et qu'il vivait de

12 façon assez démuni parce qu'il est dans sa qualité de sous-officier droit,

13 il est -- et comme il est Musulman, il n'ose pas entrer en Bosnie parce

14 qu'il se sent menacé. En Serbie, en ce moment-ci, je ne sais pas comment il

15 s'est débrouillé, mais j'ai ouï dire qu'il avait plutôt du mal à joindre

16 les deux bouts parce que les autres ---

17 Q. Est-ce que vous avez appris, est-ce que vous avez entendu dire dans

18 quelle région il habitait ?

19 R. Non, croyez-moi bien que non. J'ai appris qu'il avait fait réparer les

20 stores sur -- ou qu'il réparait des stores, qu'il était dans la menuiserie,

21 mais c'est assez vague comme rumeur, je ne peux pas l'affirmer vraiment.

22 Q. J'ai pratiquement terminé; cependant, je voudrais aborder une question

23 personnelle, je suis navré de devoir vous la poser. N'est-il pas exact de

24 dire que vous êtes un homme, surtout vers 1991 et après 1991, avait eu un

25 sérieux problème de boisson ?

26 R. Quelle année dites-vous ? Excusez-moi, quelle année avez-vous dit ?

27 Q. Avant de parler de l'année, à votre avis, au cours de quelle année

28 avez-vous eu un problème de boisson ?

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1 R. Monsieur le Procureur, je n'ai pas bien compris la première variante de

2 votre question parce que vous avez été précis quand vous avez parlé d'abord

3 de mon problème de boisson.

4 Q. D'accord, malheureusement, il semblerait que vous avez tendance à

5 beaucoup boire, que vous étiez un sacré buveur ?

6 R. L'occasion de le devenir s'offre à tout un chacun. L'occasion de voir

7 de bonne quantité -- de grandes quantités d'alcool s'offre à tout le monde,

8 tous les adultes. Si quelqu'un veut franchir la clôture des comportements

9 moraux, usuels, on peut, effectivement, lui coller bien des attributs et

10 les qualificatifs. Ce n'est pas assez -- ce n'est pas très aimables que de

11 parler -- de considérer que j'ai eu ce manque de d'honneur dans le

12 comportement. Je vais vous dire la vérité.

13 En 1993 lorsque je suis revenu de Vukovar -- lorsque je suis revenu à

14 Vukovar, il ne se passait presque rien et il n'y avait que les restaurants

15 et les buvettes qui étaient ouverts. Compte tenu de la mauvaise qualité de

16 la nourriture, il est vrai que je passais dans les restaurants et buvettes

17 plus souvent. Mais, il n'est pas vrai de dire que je consommais de grandes

18 quantités d'alcool. J'ai 52 ans à présent; si cela avait été vrai, je serai

19 -- et je suis en très bonne santé et physique et psychique, et je vais vous

20 dire que, depuis lors j'ai cessé de fumer, je n'ai pas pris un seul verre.

21 Si, à l'époque, on s'était connu -- je serais venu boire un verre

22 avec vous, M. Lynden, le rédacteur de SkyNews m'a offert un litre whisky où

23 il y a une petite dédicace avec une inscription disant SkyNews. Peut-être

24 m'a-t-il aidé à aller dans ce sens ? Que sais-je ?

25 Q. Serait-il, par conséquent, juste de dire que M. Van Lynden vous a donné

26 de l'alcool parce que vous étiez un homme qui buvait beaucoup lorsque vous

27 étiez à Vukovar ?

28 R. Non. Ecoutez, ceci est un sujet plutôt sérieux. Je vous ai dit que,

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1 lorsqu'on s'est quitté, il m'a donné une bouteille -

2 M. Lynden s'était un homme sérieux - il ne l'a pas sûrement pas fait pour

3 icroniser [phon]. M. Lynden a fait un cadeau de ce genre au commandant

4 musulman, à un Croate et à moi, en ma qualité de Serbe. Chacun d'entre nous

5 a reçu ce cadeau avec une cassette que j'ai encore gardée.

6 Q. Je vais vous livrer une hypothèse présentant ce qui à mes yeux c'est

7 passé. Vous avez presque raison dans beaucoup des choses que vous avez

8 dites. Mais, qu'en fait, ce n'est pas le 18 que vous êtes allé à Ovcara

9 mais que vous y êtes allé le 20 avec votre commandant, avec Memic aussi, et

10 que c'est là que Vukasinovic et Karanfilov contrôlaient ces prisonniers.

11 Que répondez-vous à cette hypothèse ?

12 R. Bien, c'est votre point de vue que j'apprécie. Vous avez le droit

13 d'avoir des opinions. Là, on parle de choses que j'ai vues moi-même de mes

14 yeux puisque j'ai vécu moi-même. Je maintiens mes affirmations et je les

15 maintiens de tout mon être.

16 Q. Autre hypothèse. En fait, il y avait des groupes de membres de la

17 Défense territoriale à l'époque qui se trouvaient aussi bien dans son

18 hangar qu'à l'extérieur de ce hangar. Qu'en dites-vous ?

19 R. Dans notre champ de vue il faisait sombre. C'était la nuit. Je n'ai pas

20 pu voir de groupe là -- jusque-là on pouvait voir non, sûrement pas, ni là

21 ni à proximité.

22 Q. Je vous remercie, Monsieur.

23 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur Moore.

24 Maître Domazet, vous avez la parole.

25 M. DOMAZET : [interprétation] Monsieur le Président, je crains fort que

26 j'aurais à dépasser l'heure prévue parce que, si l'on doit terminer à 2

27 heures moins quart, enfin, je veux bien essayer.

28 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Pas de problème. Nous pouvons aller un

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1 peu plus loin si le personnel est d'accord. Ne vous en faites pas à propos

2 du temps.

3 M. DOMAZET : [interprétation] Merci. Cela ne va pas être très long.

4 J'espère que l'on outrepassera le temps imparti de très peu.

5 Nouvel interrogatoire par M. Domazet :

6 Q. [interprétation] Monsieur le Témoin, j'ai quelques questions à vous

7 poser au sujet des questions posées par M. Moore.

8 D'abord, on a laissé entendre que lorsqu'il est question de l'ordre qui

9 vous a été donné par votre commandant portant un déplacement vers Ovcara

10 vous avez d'abord pensé que c'était une rumeur. Alors, dites-nous

11 brièvement est-ce que cet ordre vous concernait vous, le groupe qui s'était

12 apprêté à partir, ou est-ce que c'était une rumeur que l'on avait courir

13 comme on l'a laissé entendre ?

14 R. Non, nous étions seuls là. Ce groupe était seul. Nous étions peut-être

15 un peu plus d'étendus par rapport à la crispation qui prévalait jusque-là.

16 Lorsqu'on avait fait tourner ce cochon à la broche on avait parlé, on avait

17 plaisanté, on avait pansé nos propres blessures, si je puis m'exprimer

18 ainsi.

19 A un moment donné (expurgé) a dit : "Allons-y"; on lui a demandé : "Où

20 cela ?" il a dit -- enfin, je ne peux pas vous citer exactement ses mots,

21 mais, en substance, le mouvement voulait dire qu'il se passait quelque

22 chose là-bas à peu près.

23 Q. En répondant à une question posée par M. Moore vous avez parlé d'un

24 événement en corrélation avec Vesna Bosanac et Karanfilov, alors, je n'ai

25 pas très bien compris si vous l'avez vu ou si c'est Kranfilov qui vous l'a

26 relaté ultérieurement au sujet de Mme Bosanac. Très brièvement, si vous le

27 pouvez.

28 R. Karanfilov c'est quelqu'un que j'ai connu quand il était jeune officier

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1 dans la Garde, et l'impression c'est que, dans ces événements -- ces

2 combats à Vukovar, je ne l'ai pas vu longtemps. A un moment donné, je l'ai

3 vu, donc, je l'ai salué, et j'ai été surpris par son attitude très froide.

4 Il est juste passé à côté de moi. J'étais surpris de voir un collègue, un

5 ami, un co-camarade ne pas m'attribuer, ne serait-ce, qu'une minute

6 d'attention. Au bout d'un certain temps - je n'arrive plus à m'en souvenir

7 - je suis allé -- j'allais accomplir une mission importante et c'est bien

8 plus tard que j'ai appris qu'il avait escorté -- accompagné cette dame --

9 Q. C'est lui qui vous l'a raconté, vous ne l'avez pas vu ?

10 R. Non, non.

11 Q. Autre chose. Une question de M. Moore, concernant vos relations avec le

12 Témoin P001, a été posée et vous lui avez confirmé le fait que vous aviez

13 grandement aidé cet homme que vous êtes allés ensemble à Bosnie alors que

14 c'était encore périlleux pour certains membres de sa famille. Vous avez

15 répondu par l'affirmative. Alors, ma question est la suivante : il est

16 évident que vous aviez maintenu de très bonnes relations avec lui; est-ce

17 qu'après son départ il vous aurait contacté à quelque moment que soit, et

18 si ce n'est pas le cas, comment jugez-vous la chose ?

19 R. J'ai répondu par l'affirmative et j'ai été très secoué, ébranlé. J'ai

20 été surpris aussi par le fait que par cette information au sujet d'un homme

21 que j'aimais beaucoup. Je vais vous dire brièvement quel a été le motif du

22 départ. Son épouse s'était sentie abandonnée et elle avait une sœur jumelle

23 dans la région de Jajce et ces gens-là ont eu des désagréments et des

24 pressions terribles ont été exercées à l'égard du commandant en disant

25 qu'il avait beaucoup fait pour le pays, pour le peuple, mais qui n'avait

26 rien fait pour elle du tout. Des fois on restait assis comme cela ensemble

27 pendant des nuits entières.

28 Une fois non pas saoul -- vraiment pas saoul, je me suis engagé

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1 auprès de sa femme en disant que je ferais venir sa sœur, les enfants, son

2 mari même si cela devait se faire aux prix de ma vie. Il ne voulait pas me

3 laisser partir tout seul. C'était quelqu'un de très rationnel. Il a dit que

4 nous allions dans une zone où le danger était grand et qu'il y avait des

5 fortes chances de ne pas revenir. J'ai remmené la sœur de son épouse, le

6 mari de cette sœur, deux enfants, et il y avait un enfant serbe dont les

7 parents avaient péri à l'occasion de certains conflits, donc, cinq.

8 Moi et le commandant, nous avons voyagé, à l'époque c'était un risque

9 terrible que de se déplacer de la façon dont nous l'avons fait. Nous sommes

10 allés là-bas illégalement dans une voiture privée, nous sommes allés nous

11 deux en uniforme mais eux étaient civils. Il y a eu bon nombre de contrôles

12 le long du corridor et il y avait des risques à faire passer un Musulman

13 par ces zones. C'était un risque qui équivalait à parler de miracle.

14 Lorsque nous avons traversé toutes ces péripéties et lorsque nous avons

15 franchi le pont à Raca [phon], on m'a demandé -- enfin, son gendre m'avait

16 demandé : "Est-ce que nous sommes maintenant en liberté ?" Alors, je lui ai

17 dit : "Oui." Ils ont tous commencé à chanter la chanson : "Une journée de

18 la vie, une seule journée de la vie." J'avais une certaine relation à

19 l'époque pour les aider à obtenir des passeports. Dans cette année-là, cela

20 se pouvait encore. Ils se sont procurés des passeports et ils sont partis.

21 Je ne sais pas où ils sont partis. Je n'ai pas insisté auprès du commandant

22 pour savoir où ils étaient. Mon adresse n'a pas changé, mon numéro de

23 téléphone est dans l'annuaire, dans le bottin et ils n'ont pas donné signe

24 de vie sous quelque forme que ce soit.

25 Q. Merci. Alors, quand ils vous ont demandé s'ils étaient en liberté,

26 dites-nous où il se trouvaient, dans quel pays ?

27 R. Nous avons franchi le pont à Raca. Nous étions donc entrés en Serbie,

28 nous étions en Serbie. Une fois qu'on a traversé ce pont, une fois qu'on a

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1 franchi ce dernier contrôle, il est supposé que nous étions en Serbie, en

2 Yougoslavie. Enfin, à l'époque, c'était la Serbie-et-Monténégro. C'est là

3 qu'il m'a posé la question.

4 Q. Merci. Encore quelques petits points au sujet de ce que vous avez dit.

5 En répondant à l'une des questions de M. Moore, vous avez parlez de ce que

6 vous saviez au sujet de ce qui s'était passé à Ovcara dans la nuit du 20 au

7 21. Avez-vous bien répondu que vous en avez eu connaissance lorsque les

8 médias et la presse ont commencé à faire couler de l'encre à ce sujet ?

9 C'est bien ce que vous avez dit ?

10 R. Absolument.

11 Q. Dernier point. Comme on a remis en question, non pas votre séjour mais

12 la date; et comme vous avez expliqué chronologiquement ce que vous avez

13 fait ce jour-là, est-ce que vous maintenant cette date et est-ce que vous

14 affirmez bien que cela pouvait n'être que la date de la chute de Vukovar, à

15 savoir celle du 18 ?

16 R. Oui.

17 Q. Merci. Monsieur le Président, je n'ai plus de questions.

18 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Merci beaucoup, Maître Domazet.

19 Monsieur le Témoin, vous serez content d'apprendre que ceci met fin à votre

20 audition. Il n'est pas nécessaire que vous restiez à La Haye et lorsque les

21 dispositions seront prises, il vous sera possible de rentrer là où vous

22 habitez. Nous tenons à vous remercier d'être venu en tant que témoin ici et

23 vous remercier de l'aide que vous nous avez apportée. Nous tenons à

24 remercier tous ceux et toutes celles qui ont travaillé un peu plus que

25 prévu pour permettre de terminer la déposition de ce témoin.

26 L'audience est levée. Elle reprendra lundi à 14 heures 15.

27 --- L'audience est levée à 13 heures 54 et reprendra le lundi 4 septembre

28 2006, à 14 heures 15.