Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le jeudi 27 septembre 2007

2 [Jugement]

3 [Audience publique]

4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 15 heures 30.

6 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Je vais demander à la greffière de

7 donner le numéro de l'affaire.

8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Affaire IT-95-13/1-T, le Procureur

9 contre Mile Mrksic et consorts.

10 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre de première instance est

11 réunie aujourd'hui pour rendre son jugement dans l'affaire le Procureur

12 contre Mile Mrksic, Miroslav Radic et Veselin Sljivancanin.

13 Au cours de la présente audience, la Chambre de première instance exposera

14 ses constatations et conclusions de manière succincte. Nous tenons à

15 souligner qu'il s'agit ici uniquement d'un résumé. Seul fait autorité

16 l'exposé des constatations et conclusions motivées de la Chambre, comme on

17 trouve dans le jugement écrit, dont des copies seront mises à la

18 disposition des parties à l'issue de l'audience.

19 Les trois accusés, Mile Mrksic, Miroslav Radic et Veselin Sljivancanin, ont

20 été mis en accusation au titre de leur implication dans les mauvais

21 traitements et l'exécution de 264 Croates et autres non-Serbes évacués par

22 les forces serbes de l'hôpital de Vukovar le 20 novembre 1991, à la suite

23 de la capitulation des forces croates à Vukovar le 18 novembre. Il est

24 allégué que ces victimes ont été emmenées dans un hangar à Ovcara, où les

25 forces serbes les ont soumises à des mauvais traitements avant de les

26 exécuter le même jour. Ces allégations donnent lieu à cinq chefs de crimes

27 contre l'humanité, sanctionnés par l'article 5 du Statut adopté par les

28 Nations Unies et portant création du Tribunal, à savoir persécutions,

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1 extermination, assassinat, torture et actes inhumains, ainsi que trois

2 chefs de crimes de guerre sanctionnés par l'article 3 du Statut, à savoir

3 meurtre, torture et traitement cruel.

4 Il convient de préciser que l'acte d'accusation se limite aux infractions

5 relatives au mauvais traitement et à l'exécution des Croates et autres non-

6 Serbes évacués de l'hôpital de Vukovar le

7 20 novembre 1991. Il ne porte ni sur l'attaque menée contre la ville de

8 Vukovar et sa population civile par la JNA et d'autres forces serbes en

9 1991, ni sur la dévastation de Vukovar au fil des combats militaires

10 prolongés de 1991, ni sur le nombre très élevé de victimes civiles et les

11 dégâts matériels considérables résultant des opérations militaires, ni sur

12 les autres décès postérieurs à la capitulation des forces croates à Vukovar

13 le 18 novembre 1991.

14 La plupart de ces faits font l'objet d'un autre acte d'accusation dont le

15 Tribunal est saisi contre Goran Hadzic, ce dernier faisant l'objet d'un

16 mandat d'arrêt qui n'a pas encore été exécuté. Ces questions présentent

17 cependant une certaine pertinence dans l'établissement des éléments des

18 infractions alléguées en l'espèce et il en a été tenu compte dans le

19 jugement. Il n'appartient toutefois pas à la Chambre de première instance

20 de se prononcer sur l'innocence ou la culpabilité des trois accusés en

21 l'espèce au regard de ces faits.

22 Au moment des faits qui lui sont reprochés, l'accusé Mile Mrksic était

23 colonel dans l'armée populaire yougoslave, que nous appellerons JNA dans le

24 présent résumé. Il commandait à la fois la prestigieuse Brigade motorisée

25 de la Garde de la JNA et le Groupe opérationnel sud. En tant que commandant

26 du Groupe opérationnel sud, il avait sous ses ordres la totalité des forces

27 serbes, dont la JNA, la Défense territoriale et les forces paramilitaires

28 dans la zone géographique où les faits incriminés sont présumés avoir eu

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1 lieu. Promu par la suite au grade de général, il allait commander pendant

2 une certaine période l'armée de ce qui était alors la Krajina serbe.

3 Miroslav Radic était capitaine dans la JNA au moment des faits qui lui sont

4 reprochés. Il commandait une compagnie relevant du 1er Bataillon de la

5 Brigade motorisée de la Garde. Veselin Sljivancanin avait le grade de

6 commandant dans la JNA et dirigeait, au moment des faits qui lui sont

7 reprochés, le service chargé de la sécurité de la Brigade motorisée de la

8 Garde et du Groupe opérationnel sud. Il a plus tard été promu au grade de

9 colonel.

10 Après de longs mois d'opérations militaires intenses entre la JNA et

11 d'autres forces serbes, les forces croates de la zone de Vukovar ont

12 capitulé le 18 novembre 1991. Aux termes d'un accord conclu ce même jour,

13 les combattants croates du secteur de Mitnica se sont livrés aux forces de

14 la JNA du Groupe opérationnel sud. Cette reddition s'est effectuée le jour

15 même sous la surveillance de représentants du comité international de la

16 Croix-Rouge, le CICR. Les prisonniers de guerre ont alors été emmenés dans

17 un vaste hangar situé à Ovcara près de Vukovar, lieu qui avait été choisi

18 précédemment dans la journée sur ordre de Mile Mrksic. Les prisonniers de

19 guerre ont été détenus à cet endroit pendant la nuit avant d'être

20 transportés, le lendemain matin, vers un centre de détention pour

21 prisonniers de guerre à Sremska Mitrovica, de l'autre côté de la frontière

22 en Serbie. Cette évacuation n'a été marquée par aucun incident.

23 Ce même 18 novembre 1991, à Zagreb, un accord a été conclu entre le

24 gouvernement de Croatie et des représentants de la JNA au sujet de

25 l'évacuation de l'hôpital de Vukovar. Les blessés ou les malades de

26 l'hôpital de Vukovar en état de faire le trajet devaient être évacués vers

27 la Croatie. L'hôpital devait être placé sous la protection du CICR.

28 L'évacuation devait se dérouler sous la surveillance de la Mission

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1 d'observation de la Communauté européenne ou LA MOCE, qui devait avoir

2 pleinement accès à toutes les étapes de l'opération. Contrairement aux

3 affirmations de certains témoins croates, l'accord ne concernait ni les

4 membres du personnel de l'hôpital, ni leur famille, ni ceux ou celles qui

5 n'étaient pas des patients à l'hôpital.

6 Le 18 novembre, l'hôpital de Vukovar qui avait subi de très graves dégâts

7 au cours des combats, était totalement surpeuplé. De nombreux civils s'y

8 étaient réunis dans l'espoir d'être évacués eux aussi. A l'intérieur de

9 l'hôpital, il y avait des malades, des blessés, les membres du personnel

10 hospitalier et certains de leurs proches. Contrairement aux affirmations de

11 certains témoins croates, on y trouvait également des membres des forces

12 croates tentant de se faire passer pour des malades ou des membres du

13 personnel. Les hommes du Groupe opérationnel sud ont pénétré dans l'hôpital

14 de Vukovar le 19 novembre 1991. L'accusé Miroslav Radic a posté des gardes

15 à l'entrée. Plus tard dans la journée, ils ont été relevés par la police

16 militaire de la Brigade motorisée de la Garde qui s'est chargée d'assurer

17 la sécurité de l'hôpital. Dans l'après-midi du

18 19 novembre 1991, la plupart des civils rassemblés à l'hôpital ont été

19 transportés par la JNA jusqu'à Velepromet, un vaste entrepôt situé à

20 proximité.

21 Les 18 et 19 novembre, il y avait à Vukovar des représentants de la MOCE

22 aussi bien que du CICR. Les 18 et 19 novembre, la JNA a empêché la MOCE de

23 se rendre à l'hôpital. Un représentant du CICR a pu y accéder de façon

24 restreinte le 19 novembre. Ce jour-là, un officier supérieur du Groupe

25 opérationnel sud de la JNA a déclaré à des représentants des organisations

26 internationales en présence de Mile Mrksic que les membres des forces

27 croates, qu'ils soient des patients ou non, ne seraient pas autorisés à

28 quitter l'hôpital dans le cadre de l'évacuation, parce que si on leur

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1 permettait de partir, des irréguliers serbes ou des habitants attaqueraient

2 le convoi. Il a été décidé qu'ils seraient détenus par la JNA en tant que

3 prisonniers de guerre avant d'être échangés ultérieurement contre des

4 prisonniers de la JNA. Il a été ordonné à la MOCE de ne pas se mêler de

5 l'évacuation. L'accord relatif à l'évacuation des blessés signé la veille

6 restait donc lettre morte.

7 Le 19 novembre 1991, Mile Mrksic a ordonné l'évacuation de l'hôpital de

8 Vukovar. L'opération devait se dérouler le

9 20 novembre 1991. Il en a confié la direction à l'accusé Veselin

10 Sljivancanin. Ce dernier devait diviser les personnes présentes à l'hôpital

11 en deux groupes : les suspects de crimes de guerre et les civils. Les

12 criminels de guerre présumés, en d'autres termes les membres des forces

13 croates, devaient être transportés sous la garde de la JNA jusqu'au centre

14 de détention pour prisonniers de guerre de Sremska Mitrovica en Serbie.

15 Quant aux civils, ils pourraient choisir d'être conduits soit en Croatie,

16 soit en Serbie. Veselin Sljivancanin était chargé d'assurer la sécurité des

17 prisonniers de guerre jusqu'à leur arrivée à Sremska Mitrovica.

18 Le 20 novembre 1991, vers 7 heures du matin, le personnel de l'hôpital de

19 Vukovar a été convoqué à une réunion organisée par l'accusé Veselin

20 Sljivancanin. Pendant la réunion, les soldats de la JNA ont parcouru

21 l'hôpital et ordonné à tous ceux qui pouvaient marcher de partir. A la

22 sortie, les soldats de la JNA ont placé d'un côté des hommes; de l'autre,

23 les femmes, les enfants et les personnes âgées. Ils ont alors fouillé les

24 hommes avant de leur donner l'ordre d'embarquer à bord d'autocars en

25 attente sous escorte armée. Ce groupe comptait plus de 200 hommes ainsi que

26 deux femmes. Ils étaient tous Croates et non-Serbes. Ils étaient impliqués

27 dans les activités des forces croates ou soupçonnés de l'être. Au même

28 moment, de l'autre côté de l'hôpital, on rassemblait les femmes, les

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1 enfants et quelques vieillards pour les faire monter à bord d'autocars en

2 partant soit pour la Serbie, soit pour la Croatie. Les autocars

3 transportant les hommes ont quitté l'hôpital de Vukovar vers

4 10 heures du matin. Ils se sont alors rendus en convoi à la caserne de la

5 JNA à Vukovar.

6 Des tentatives des représentants de la MOCE et du CICR d'atteindre

7 l'hôpital ce matin-là ont été contrariées par la JNA. Ils ont été retenus

8 pendant deux heures au centre de la ville sur un pont franchissant la

9 rivière Vukasinovic. Un véhicule blindé de la JNA leur barrant la route

10 menant à l'hôpital. Présent sur le pont, l'accusé Veselin Sljivancanin a

11 faussement prétendu que les représentants des organisations internationales

12 ne pouvaient continuer leur chemin pour des raisons de sécurité. Pendant

13 qu'on retenait les représentants au niveau du pont, les autocars

14 transportant les hommes de l'hôpital progressaient en sens inverse,

15 traversaient la Vuka sur un pont situé non loin de là, en direction de la

16 caserne de la JNA. C'est seulement ensuite, vers 10 heures 30, que les

17 représentants de la MOCE et du CICR ont pu arriver à l'hôpital. Sur place,

18 ils ne trouvaient pratiquement que des femmes et des enfants. A l'exception

19 de quelques vieillards et des membres du personnel, tous les hommes avaient

20 été emmenés.

21 Les autocars transportant les prisonniers de guerre, c'est-à-dire les

22 hommes de l'hôpital, sont arrivés à la caserne de la JNA à Vukovar vers 10

23 heures 30. Les membres de la Défense territoriale serbe locale et des

24 forces paramilitaires se sont groupés autour des autocars et ont menacé et

25 injurié les hommes qui s'y trouvaient. L'ordre a finalement été rétabli,

26 lorsque la police militaire de la JNA a refoulé les membres de la Défense

27 territoriale serbe locale et des forces paramilitaires hors de l'enceinte

28 de la caserne. Les soldats de la JNA ont également fait sortir des autocars

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1 entre 12 et 15 hommes dont l'identité est connue. Ceux-ci ont été frappés à

2 l'aide de crosses de fusil et se sont vus administrer des coups de poing et

3 des coups de pied avant d'être ramenés à l'hôpital où l'accusé Veselin

4 Sljivancanin, en consultation avec des responsables de la Défense

5 territoriale, les a interrogés au sujet de leur appartenance éventuelle aux

6 forces croates. Ces hommes appartenaient au personnel hospitalier ou

7 étaient apparentés à des membres de ce personnel, et c'est sous l'ordre de

8 Veselin Sljivancanin qu'ils ont été ramenés à l'hôpital. Certains d'entre

9 eux ont ensuite été reconduits à la caserne de la JNA tandis que le reste

10 du groupe a rejoint le convoi composé de femmes et d'enfants.

11 Pendant ce temps ce matin-là, l'instance se présentant comme le

12 gouvernement de Slavonie, de la Baranja et du Srem occidental, établi par

13 les Serbes de la région de Vukovar, a tenu une réunion à Velepromet. Cette

14 instance sera désignée ci-après comme le gouvernement serbe local. Goran

15 Hadzic a assisté à la réunion en tant que premier ministre dudit

16 gouvernement ainsi que Slavko Dokmanovic en tant que ministre de

17 l'agriculture. Etaient présents également le capitaine Jaksic de la Défense

18 territoriale de Vukovar ainsi que deux officiers supérieurs de la JNA, à

19 savoir le lieutenant-colonel Panic, chef d'état-major du groupe

20 opérationnel sud, et le colonel Vujic de l'administration de la sécurité de

21 Belgrade. Dans cette réunion, la JNA s'est déclarée fermement opposée au

22 transfert des prisonniers de guerre de Vukovar vers Sremska Mitrovica en

23 Serbie. Certains ont invoqué la possibilité de traduire les criminels de

24 guerre devant le tribunal de Vukovar. Le lieutenant-colonel Panic a

25 indiqué, au nom de l'accusé Mile Mrksic, que ce dernier était prêt à agir

26 conformément à la décision qui serait prise par le gouvernement à l'issue

27 de la réunion quant au sort réservé aux prisonniers de guerre de l'hôpital

28 de Vukovar. Toutefois, il ressort des éléments de preuve présentés,

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1 qu'aucune décision définitive n'a été prise pendant la réunion, même si, en

2 fin de journée, le premier ministre Goran Hadzic a déclaré qu'il avait été

3 convenu que les prisonniers seraient incarcérés dans, je cite : "Nos

4 centres de détention" situés ans les environs de Vukovar. Ce qui s'en est

5 suivi le confirme.

6 Une fois terminée la réunion du gouvernement serbe local, les

7 autocars à bord desquels se trouvaient toujours sous la garde de personnes

8 en armes les hommes faits prisonniers à l'hôpital ont tous quitté la

9 caserne de la JNA pour se rendre non pas à Sremska Mitrovica en Serbie mais

10 au hangar d'Ovcara. Ils sont arrivés entre 13 heures 30 et 14 heures 30.

11 Les autocars ont été vidés de leurs passagers les uns après les autres.

12 Alors que les prisonniers descendaient des autocars, une double haie de

13 soldats - entre 10 et 15 hommes de part et d'autre - a été constituée. Les

14 prisonniers ont dû passer au milieu, alors que les soldats les frappaient

15 sauvagement à l'aide de cannes, de crosses de fusil, de bâtons, de chaînes

16 et même de béquilles. Ils ont ensuite été contraints d'entrer à l'intérieur

17 du hangar où ils sont restés enfermés dans des conditions inhumaines jusque

18 tard le soir. La plupart des prisonniers détenus dans le hangar ont été

19 encore brutalisés, souvent frappés à l'aide de barres métalliques et de

20 crosses de fusil. Nombre d'entre eux ont été piétinés. Plusieurs

21 prisonniers, perçus comme ayant joué un rôle important au sein des forces

22 croates, ont été tout particulièrement malmenés. Selon des témoins,

23 certains ont peut-être succombé à leurs blessures. Un système de rotation a

24 été mis en place permettant ainsi à différentes équipes "d'agresseurs" de

25 maltraiter tour à tour les prisonniers.

26 Parmi les soldats constitués en double haie qui ont frappé les

27 prisonniers devant le hangar et ceux qui leur ont infligé des sévices à

28 l'intérieur, se trouvaient des membres de la Défense territoriale serbe,

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1 notamment un responsable du nom de Miroljub Vujovic et des paramilitaires.

2 Ils avaient suivi les autocars jusqu'à Ovcara où ils sont restés jusqu'en

3 fin de soirée. Un ou plusieurs soldats de la JNA ont peut-être également

4 choisi de participer aux passages à tabac.

5 Lorsque les autocars qui transportaient les prisonniers de guerre

6 sont arrivés au hangar, 15 à 20 soldats de la JNA étaient déployés sur

7 place pour assurer leur sécurité. Il s'agissait pour l'essentiel de

8 policiers militaires de la JNA rejoints plus tard par d'autres policiers

9 militaires de la JNA. Les efforts qu'ils ont entrepris en vue d'assurer la

10 sécurité des prisonniers étaient variables et insuffisants. A certains

11 moments, les membres de la Défense territoriale et les paramilitaires ont

12 été maintenus à l'extérieur du hangar, tandis qu'à d'autres, en particulier

13 à l'arrivée des prisonniers de guerre, ils ont pu s'approcher d'eux sans la

14 moindre difficulté.

15 Plusieurs officiers supérieurs de la JNA sont venus à Ovcara dans l'après-

16 midi du 20 novembre. Ils ont vu ce qui s'y passait. Certains ont pris des

17 mesures visant à renforcer l'efficacité de la police militaire. Ces efforts

18 se sont avérés soit inefficaces, soit d'une efficacité limitée dans le

19 temps.

20 Ce soir-là entre 20 heures et 21 heures, Mile Mrksic, commandant du Groupe

21 opérationnel sud, a ordonné le départ des policiers militaires de la JNA

22 qui avaient jusque-là gardé les prisonniers de guerre. Ils se sont retirés

23 avant 21 heures, abandonnant les prisonniers entre les mains de la Défense

24 territoriale serbe et les forces paramilitaires. Les prisonniers de guerre

25 se sont ainsi retrouvés sous la garde de la Défense territoriale de

26 Vukovar, placée à l'époque sous le commandement de Miroljub Vujovic.

27 Les prisonniers ont alors été emmenés en petits groupes par les membres de

28 la Défense territoriale et des forces paramilitaires vers un lieu isolé, où

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1 ils ont été abattus. Leurs corps ont été enterrés sur place dans une fosse

2 commune, creusée plus tôt dans la journée. Le charnier n'a été découvert

3 qu'un an environ après les faits, et ce n'est qu'en 1996 que les

4 exhumations ont commencé. Deux cents corps ont été exhumés et soumis à des

5 autopsies minutieuses. La Chambre constate, au vu de tous les éléments de

6 preuve présentés, que les 200 victimes exhumées sont décédées dans la nuit

7 du 20 au

8 21 novembre 1991, à Ovcara, à la suite de traumatismes provoqués par des

9 actes de violence physique presque toujours accompagnés d'une ou deux

10 blessures par balle.

11 Sur les 200 victimes ensevelies dans le charnier, 190 ont été identifiées.

12 Leur nom est mentionné dans l'acte d'accusation. Les éléments de preuve

13 montrent par ailleurs que quatre autres personnes dont l'identité est

14 connue et qui étaient détenues au hangar, n'ont pas été revues depuis. Ces

15 personnes ont toutes été gravement malmenées ce jour-là par les forces

16 serbes. Les éléments de preuve produits ne permettent pas d'établir si

17 leurs corps figurent parmi les dix corps non identifiés du charnier.

18 Dans son jugement, la Chambre s'est penchée sur d'autres éléments de

19 preuve relatifs à d'autres personnes dont le nom est mentionné dans l'acte

20 d'accusation en tant que victimes de meurtre. Pour les motifs exposés, la

21 Chambre n'a pas pu conclure que toutes ces personnes, ni même certaines

22 d'entre elles, étaient décédées à Ovcara dans les circonstances alléguées.

23 Dans ces constatations - la Chambre n'exclut pas, bien entendu, la

24 possibilité que plus de 200 personnes, dont 194 ont été identifiées, aient

25 pu décéder à Ovcara ce jour-là, les éléments de preuve disponibles ne

26 permettent pas toutefois de l'établir. Il a cependant été établi que 194

27 des victimes mentionnées dans l'acte d'accusation ont été tuées à Ovcara

28 par les forces serbes dans la nuit du 20 au 21 novembre 1991.

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1 Les chefs 1, 2, 3, 5 et 6 de l'acte d'accusation font état de crimes

2 contre l'humanité, sanctionnés par l'article 5 du Statut du Tribunal. Pour

3 les motifs exposés dans le jugement, il est nécessaire d'établir, pour que

4 l'article 5 trouve à s'appliquer, que les victimes du crime sous-jacent

5 étaient des civils. Le terme "civil" au sens de l'article 5 du Statut

6 n'englobe pas les combattants ou les personnes mises hors de combat. En

7 l'espèce, les personnes sorties de l'hôpital de Vukovar par la JNA le 20

8 novembre 1991, puis tuées à Ovcara par les forces serbes, ont été retenues

9 et sélectionnées précisément en raison de leur appartenance réelle ou

10 présumée aux forces croates de Vukovar. Les forces serbes qui ont maltraité

11 et tué les victimes ont agi dans l'idée que celles-ci étaient des

12 prisonniers de guerre et non des civils. Les conditions d'application de

13 l'article 5 du Statut ne sont donc pas réunies. Partant, la Chambre estime

14 qu'il n'y a pas lieu de prononcer de déclaration de culpabilité au titre

15 des chefs 1, 2, 3, 5 et 6. Les accusations y afférentes sont écartées en ce

16 qui concerne les trois accusés. La Chambre n'exposera pas plus en détail

17 ses motifs dans le présent résumé.

18 Les chefs 4, 7 et 8 de l'acte d'accusation, qui se fondent pour

19 l'essentiel sur le même comportement, font état de crimes de guerre

20 punissables aux termes de l'article 3 du Statut, lequel sanctionne les

21 infractions commises à l'encontre des prisonniers de guerre. La Chambre est

22 convaincue que la Croatie était le théâtre d'un conflit armé pendant la

23 période couverte par l'acte d'accusation et que les autres conditions

24 d'application de l'article 3 sont réunies. Le comportement de chaque accusé

25 sera donc pleinement analysé, s'agissant des accusations relatives aux

26 crimes de guerre.

27 Au chef 4, les accusés doivent répondre du meurtre d'au moins 264

28 personnes dont le nom est mentionné dans l'acte d'accusation. Pour les

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1 raisons précitées, le chef 4 a été établi pour ce qui est des 194 victimes

2 de meurtre dont l'identité est connue. Les éléments de preuve disponibles

3 ne permettent pas à la Chambre de faire des constatations, s'agissant des

4 autres personnes mentionnées dans l'acte d'accusation.

5 Aux chefs 7 et 8, les accusés se voient reprocher respectivement des

6 tortures et des traitements cruels, et ce, en raison de la détention des

7 prisonniers de guerre au hangar d'Ovcara, des sévices corporels qui leur

8 ont été infligés, des conditions de leur détention et de l'absence

9 délibérée de soins médicaux. Il ressort des éléments de preuve que les

10 prisonniers de guerre ont été battus, souvent violemment, pour les punir de

11 leur appartenance réelle ou présumée aux forces croates. Les éléments

12 constitutifs de la torture, chef 7, sont donc présents. Les sévices

13 infligés sont également constitutifs de traitement cruel, chef 8. Mais

14 comme les faits sont les mêmes, seule une déclaration de culpabilité pour

15 torture peut être prononcée. Cependant, les éléments constitutifs de

16 traitement cruel sont également présents, s'agissant des conditions de

17 détention à Ovcara. Les motifs y afférents sont exposés plus en détail dans

18 le texte écrit du jugement.

19 Reste à savoir - et c'est là une question importante - si les trois

20 accusés, ou l'un d'entre eux, peuvent être tenus pénalement responsables

21 des crimes dont la réalité a été établie.

22 A ce propos, il est principalement reproché aux accusés d'avoir

23 participé à une entreprise criminelle commune dont le but commun était de

24 commettre les crimes recensés dans l'acte d'accusation.

25 Cela veut dire, pour l'essentiel, que les trois accusés ont agi de concert

26 pour réaliser un objectif : tuer et maltraiter les prisonniers de guerre de

27 l'hôpital. Aucun élément de preuve direct ne permet d'établir cette

28 allégation.

Page 16320

1 Certes, une connaissance partielle de certains événements qui ont eu

2 lieu les 20 et 21 novembre 1991, et certains éléments de preuve isolés

3 pourraient amener à conclure en ce sens. Mais la Chambre de première

4 instance estime que les éléments de preuve n'établissent pas que les trois

5 accusés, ou l'un d'entre eux, ont participé à une entreprise criminelle

6 commune visant à commettre les crimes recensés dans l'acte d'accusation.

7 Si de nombreux faits ont été vigoureusement contestés, les éléments de

8 preuve permettent de dire, selon la Chambre de première instance, que suite

9 aux ordres donnés par Mile Mkrsic le

10 9 novembre 1991, et exécuté par l'accusé Veselin Sljivancanin, les

11 prisonniers de guerre ont été emmenés de l'hôpital le

12 20 novembre 1991 dans la matinée, et conduits à Ovcara.

13 La Chambre de première instance est convaincue cependant qu'au départ Mile

14 Mkrsic voulait que les prisonniers de guerre soient emmenés à Sremska

15 Mitrovica pour qu'ils soient notamment échangés par la suite contre des

16 prisonniers de guerre serbes entre les mains des autorités croates. C'est

17 cet ordre qui a été donné à Veselin Sljivancanin et transmis aux nombreuses

18 autres personnes qui ont pris part à l'évacuation. C'est ainsi que les

19 choses s'étaient passées pour les autres prisonniers de guerre les jours

20 précédents.

21 Le 20 novembre 1991 dans la matinée, Mile Mkrsic a changé d'avis et a donné

22 de nouveaux ordres. Tout d'abord, les prisonniers ont été retenus dans des

23 autocars, dans la caserne de la JNA, puis dans le hangar à Ovcara, toujours

24 sous la surveillance, quoique moins attentive, des membres de la police

25 militaire de la JNA. Plus tard dans la journée, Mile Mkrsic a décidé que

26 les membres de la police militaire de la JNA qui surveillaient les

27 prisonniers devaient partir et a donné des ordres en ce sens. Cela signifie

28 que c'est lorsqu'il a donné cet ordre que Mile Mkrsic a finalement décidé

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1 que les prisonniers de guerre seraient laissés à la garde de la Défense

2 territoriale de Vukovar. Seul, lui, peut expliquer les raisons de ce

3 revirement. Les desiderata du gouvernement serbe local, qui n'avaient pas

4 légalement le pouvoir ou l'autorité de donner des ordres à Mile Mkrsic ou à

5 la JNA concernant les prisonniers de guerre, ont été, semble-t-il,

6 largement pris en compte.

7 Ce qui importe, c'est que les éléments de preuve ne montrent pas que

8 Veselin Sljivancanin ou Miroslav Radic ait, à quelque moment que ce soit,

9 pris part au processus qui a amené Mile Mkrsic à décider que la JNA devrait

10 abandonner la garde des prisonniers de guerre et faire partir les membres

11 de la police militaire qui les surveillaient. Ces circonstances ne

12 permettent en aucun cas de conclure que les accusés avaient agi de concert

13 dans le cadre d'une entreprise criminelle commune.

14 Dans l'acte d'accusation, Mile Mkrsic est notamment mis en cause pour avoir

15 ordonné les crimes pour lesquels il est poursuivi. Toutefois, l'Accusation

16 n'a présenté aucune preuve pour établir cette allégation. Même si, en tant

17 que chef du groupe opérationnel sud, Mile Mkrsic avait autorité sur les

18 membres de la Défense territoriale, et les paramilitaires qui ont commis

19 des meurtres, des traitements cruels et des tortures, il n'a pas été établi

20 qu'il leur avait ordonné de commettre les crimes en cause.

21 Cependant, Mile Mkrsic savait que les membres de la Défense territoriale et

22 les paramilitaires nourrissaient de l'animosité à l'endroit des forces

23 croates. Ce qui s'est passé ce jour-là dans la caserne de la JNA et à

24 Ovcara en était une parfaite illustration. Mile Mkrsic le savait, puisqu'un

25 certain nombre d'officiers de la JNA l'en avaient informé. Il avait

26 également été informé des meurtres commis la veille à Velepromet. En

27 ordonnant aux membres de la police militaire de la JNA de quitter Ovcara,

28 alors qu'il savait que les prisonniers de guerre seraient très probablement

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1 maltraités et tués par les membres de la Défense territoriale et les

2 paramilitaires, Mile Mkrsic s'est fait le complice des meurtres commis en

3 exécution de l'ordre qu'il avait donné. Par ces motifs, la Chambre de

4 première instance conclut que Mile Mkrsic est tenu responsable, sur la base

5 de l'article 7(1) du Statut, de complicité de meurtre.

6 En outre, Mile Mkrsic n'a rien fait le 20 novembre 1991 dans l'après-midi

7 pour renforcer la surveillance à Ovcara ou mettre en place d'autres mesures

8 pour protéger les prisonniers de guerre des violences et des traitements

9 cruels que les membres de la Défense territoriale et les paramilitaires

10 leur ont infligés, et ce, bien qu'il ait été informé de ces sévices. Par

11 son inaction, Mile Mkrsic a apporté une aide matérielle et des

12 encouragements à ceux qui cherchaient à se venger des prisonniers de guerre

13 à Ovcara. Des soldats de la JNA placés sous son autorité avaient auparavant

14 mis en place et maintenu les conditions inhumaines dans lesquelles les

15 prisonniers étaient détenus. Il est donc tenu responsable, sur la base de

16 l'article 7(1) du Statut, de complicité, de torture et de traitement cruel.

17 Concernant Miroslav Radic, l'Accusation fait valoir qu'en participant à

18 l'évacuation de l'hôpital, il a aussi participé à l'entreprise criminelle

19 commune alléguée dans l'acte d'accusation ou a été le complice des crimes

20 commis. Elle indique en outre que les crimes commis à Ovcara l'ont été par

21 des soldats placés sous son autorité et qu'il est aussi responsable en tant

22 que supérieur hiérarchique des auteurs directs des crimes.

23 Les éléments de preuve ont montré que Miroslav Radic se trouvait à

24 l'hôpital le 19 novembre 1991, et que les soldats de la JNA placés sous son

25 autorité avaient assuré les premiers la sécurité de l'établissement. Les

26 éléments de preuve ont également établi que Miroslav Radic se trouvait dans

27 l'enceinte de l'hôpital le

28 20 novembre 1991 dans la matinée, mais qu'il n'avait pas pris part au tri

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1 qui s'était effectué devant l'hôpital. Rien n'établit que Miroslav Radic

2 était à Ovcara le 20 novembre 1991. Pour les raisons exposées dans le cadre

3 de l'examen de la responsabilité de Mile Mrksic, aucun élément de preuve ne

4 permet de dire que Miroslav Radic a participé à l'entreprise criminelle

5 commune alléguée ni qu'il a été complice des crimes commis. Deux témoins

6 ont donné une version différente des faits laissant entendre que Miroslav

7 Radic savait que les soldats placés sous son autorité avaient pris part aux

8 mauvais traitements et aux meurtres dont ont été victimes les prisonniers

9 de guerre à Ovcara. Un troisième témoin a indiqué qu'il était informé de ce

10 qui se passait à Ovcara. La Chambre de première instance a des doutes sur

11 la sincérité des deux premiers témoins et sur la crédibilité du troisième.

12 En conséquence, pour les motifs exposés dans le jugement, la Chambre estime

13 que l'Accusation n'a pas établi que Miroslav Radic savait ou avait des

14 raisons de savoir que des soldats placés sous son autorité avaient commis

15 des crimes à Ovcara. Il n'a pas été établi qu'il est responsable en

16 application de l'article 7(3) du Statut en tant que supérieur hiérarchique

17 des auteurs directs des crimes.

18 S'agissant de Veselin Sljivancanin, la Chambre de première instance estime

19 pour les raisons exposées dans le cadre de l'examen de la responsabilité de

20 Mile Mrksic, que les éléments de preuve ne permettent pas de dire que

21 Veselin Sljivancanin a participé à l'entreprise criminelle commune alléguée

22 dans l'acte d'accusation.

23 Dans l'acte d'accusation, il est dit que Veselin Sljivancanin est

24 responsable, sur la base de l'article 7(1) du Statut, pour avoir ordonné

25 les crimes en cause. Aucun élément de preuve ne permet de dire que Veselin

26 Sljivancanin a ordonné aux forces présentes à Ovcara de commettre l'un

27 quelconque des crimes reprochés. En outre, les crimes ont été, en l'espèce,

28 commis par les membres de la Défense territoriale et les paramilitaires sur

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1 lesquels Veselin Sljivancanin n'exerçait aucune autorité. Vu les éléments

2 de preuve présentés, Veselin Sljivancanin ne peut être tenu responsable sur

3 la base de l'article 7(1) du Statut pour avoir ordonné les crimes dont la

4 réalité a été établie. De même, aucun élément de preuve ne permet d'établir

5 qu'il est responsable sur la base de l'article 7(3) du Statut pour ne pas

6 avoir empêché les crimes ou en punir les auteurs.

7 La Chambre de première instance estime que le 20 novembre 1991, Veselin

8 Sljivancanin exerçait une autorité, qu'il tenait de Mile Mrksic, sur les

9 membres de la police militaire impliquée dans l'évacuation des prisonniers

10 de guerre de l'hôpital et de leur surveillance dans les autocars à Ovcara.

11 Il n'est pas allégué que des membres de la police militaire ont commis les

12 crimes reprochés en l'espèce. Et du reste, aucun élément de preuve ne

13 permet d'établir une telle allégation. Bien au contraire, ils étaient

14 chargés de protéger, certes souvent sans grande efficacité, les prisonniers

15 de guerre contre les mauvais traitements que pouvaient leur infliger les

16 membres de la Défense territoriale et les paramilitaires.

17 Les faits le montrent, les mesures prises pour protéger les prisonniers de

18 guerre à Ovcara se sont révélées insuffisantes. Les membres de la police

19 militaire étaient trop peu nombreux et la surveillance qu'ils assuraient

20 laissait parfois à désirer, de sorte que la plupart du temps, les

21 prisonniers étaient en butte à l'hostilité des membres de la Défense

22 territoriale et des paramilitaires qui s'étaient rassemblés à Ovcara.

23 Contrairement à ce que Veselin Sljivancanin a indiqué à l'audience et à ce

24 que d'autres témoins ont déclaré, la Chambre de première instance estime

25 que celui-ci se trouvait à Ovcara au moment où les prisonniers étaient

26 maltraités. Il a donc pu constater la brutalité avec laquelle se

27 comportaient les membres de la Défense territoriale et les paramilitaires,

28 et prendre conscience que des crimes graves étaient en train d'être commis

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1 contre les prisonniers de guerre. En outre, il savait que des actes de même

2 nature avaient déjà été commis et savait en particulier que des membres de

3 la Défense territoriale serbe et des paramilitaires avaient maltraité et

4 tué des prisonniers de guerre croates la veille à Velepromet. Il avait

5 également connaissance d'autres actes similaires commis dans la région de

6 Vukovar en octobre et novembre 1991. Cependant, il a choisi de ne prendre

7 aucune mesure pour prévenir les crimes. Il ne s'est pas acquitté de son

8 obligation de protéger les prisonniers de guerre confiés à la garde de la

9 JNA, une obligation que lui faisaient les lois de la guerre et dont il

10 devait s'acquitter en sa qualité d'officier chargé de la sécurité et

11 conformément à la mission que lui avait confiée Mile Mrksic. Veselin

12 Sljivancanin aurait pu demander ou ordonner que des troupes supplémentaires

13 soient envoyées à Ovcara. Il aurait pu donner l'ordre aux membres de la

14 police militaire présente sur place de renforcer la sécurité des

15 prisonniers. Il n'a pas donné les ordres qu'il fallait et n'a pas pris les

16 mesures nécessaires. Du fait de son inaction, les mauvais traitements

17 infligés aux prisonniers de guerre se sont poursuivis et des traitements

18 cruels et des tortures ont été commis, comme il n'a pu manquer de le savoir

19 vu les circonstances. Par ces motifs, il a été établi que Veselin

20 Sljivancanin est responsable en application de l'article 7(1) du Statut de

21 complicité de torture et de traitement cruel.

22 Veselin Sljivancanin n'est toutefois pas tenu responsable en tant que

23 complice de traitement cruel pour avoir facilité la mise en place de

24 conditions inhumaines de détention dans le hangar à Ovcara, car il n'a pas

25 été établi qu'il soit entré dans ce hangar et qu'il ait été en mesure d'y

26 observer les conditions de détention.

27 Les meurtres ont été commis pendant la nuit qui a suivi le départ d'Ovcara

28 de tous les membres de la police militaire de la JNA, sur ordre de Mile

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1 Mrksic. Par cet ordre, Veselin Sljivancanin a cessé d'être responsable de

2 la sécurité des prisonniers de guerre, et a cessé d'avoir autorité sur les

3 membres de la police militaire qui assuraient leur sécurité. Il n'est donc

4 pas responsable des meurtres commis par les membres de la Défense

5 territoriale et les paramilitaires après le départ d'Ovcara des membres de

6 la police militaire de la JNA.

7 S'agissant de la peine, la Chambre a exposé dans le jugement les nombreux

8 éléments qu'elle a pris en compte pour fixer les peines qui s'imposent.

9 Elle a notamment tenu compte, comme elle est tenue de le faire, de la

10 grille des peines appliquées par les tribunaux de l'ex-Yougoslavie. La

11 Chambre fait observer qu'aujourd'hui, en Serbie et en Croatie, un accusé

12 reconnu coupable de meurtre et de complicité de meurtre pour des faits

13 commis en 1991 dans les circonstances de l'espèce, encourt une peine

14 maximale de 20 ans d'emprisonnement. La Chambre a également passé en revue

15 les autres condamnations prononcées par le Tribunal, mais elle n'a pu

16 s'inspirer d'aucune autre affaire présentant suffisamment de similitudes

17 avec l'espèce.

18 La Chambre tient à souligner que cette affaire concerne, pour

19 l'essentiel, les événements tragiques qui se sont déroulés à Ovcara le 20

20 novembre lorsque, ainsi qu'il a été établi, 194 personnes identifiées ont

21 été tuées et où, plus tôt dans la journée, des prisonniers de guerre ont

22 été torturés en étant violemment battus pour être punis d'avoir participé,

23 au sein des forces croates, à la défense du Vukovar. Ces prisonniers ont

24 également été traités cruellement lorsqu'ils ont été détenus par la JNA

25 dans des conditions inhumaines. Il a été établi que les auteurs des

26 meurtres et des tortures, ainsi que des autres sévices, étaient des membres

27 de la Défense territoriale serbe, dont plusieurs habitaient la région de

28 Vukovar ainsi que des membres des unités paramilitaires serbes. Aucun des

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1 meurtres, tortures ou autres sévices n'avait été ordonné par Mile Mrksic ou

2 Veselin Sljivancanin.

3 Mile Mrksic doit être sanctionné pour complicité de meurtre, car sachant

4 que des membres de la Défense territoriale et des paramilitaires se

5 trouvaient à Ovcara et que leur présence constituait une menace pour les

6 prisonniers en raison, semble-t-il, des pressions qu'exerçait le

7 gouvernement serbe local, il a ordonné le départ des soldats de la JNA qui

8 gardaient les prisonniers, permettant ainsi aux membres de la Défense

9 territoriale et aux paramilitaires d'en tuer certains. Avant cela, des

10 soldats de la JNA placés sous son autorité avaient mis en place les

11 conditions inhumaines dans lesquelles les prisonniers étaient détenus et

12 Mile Mrksic n'a pris aucune mesure dans l'après-midi pour s'assurer que les

13 prisonniers étaient suffisamment protégés par des soldats de la JNA qui les

14 surveillaient pour échapper à des tortures infligées par les membres de la

15 Défense territoriale serbe et les paramilitaires.

16 Veselin Sljivancanin doit être sanctionné pour complicité de torture, car

17 il n'a rien fait pour s'assurer que les soldats de la JNA qui surveillaient

18 les prisonniers à Ovcara étaient suffisamment efficaces et/ou pour

19 s'assurer que les soldats de la JNA qui surveillaient les prisonniers à

20 Ovcara et sur lesquels il avait autorité, avaient pris les mesures

21 nécessaires pour empêcher que les membres de la Défense territoriale serbe

22 et les paramilitaires maltraitent les prisonniers pour les punir d'avoir

23 pris part au sein des forces croates à la défense de Vukovar.

24 Mile Mrksic, veuillez vous lever.

25 [L'accusé Mrksic se lève]

26 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre vous déclare coupable en

27 application de l'article 7(1) du Statut des chiffres suivants :

28 Chef 4 : Meurtre, une violation des lois aux coutumes de la guerre,

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1 sanctionné par l'article 3 du Statut, en tant que complice du meurtre des

2 194 personnes identifiées dans l'annexe du jugement, qui ont été exécutées

3 dans un lieu près du hangar à Ovcara les 20 et 21 novembre 1991.

4 Chef 7 : Torture, une violation des lois aux coutumes de la guerre,

5 sanctionné par l'article 3 du Statut, en tant que complice des tortures qui

6 ont été infligées aux prisonniers de guerre dans le hangar à Ovcara le 20

7 novembre 1991.

8 Chef 8 : Traitement cruel, une violation aux coutumes de la guerre,

9 sanctionné par l'article 3 du Statut, en tant que complice pour avoir

10 facilité le maintien des conditions inhumaines de détention dans le hangar

11 à Ovcara le 20 novembre 1991.

12 Mile Mrksic, vous êtes condamné à une peine unique de 20 ans

13 d'emprisonnement. Vous avez droit à ce que le temps que vous avez passé en

14 détention soit déduit de la durée totale de la peine infligée. Vous restez

15 sous la garde du Tribunal jusqu'à ce que soient arrêtées les dispositions

16 nécessaires à votre transfert vers l'Etat dans lequel vous purgerez votre

17 peine.

18 Vous pouvez vous asseoir.

19 [L'accusé Mrksic s'assied]

20 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Miroslav Radic, veuillez vous lever.

21 [L'accusé Radic se lève]

22 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] La Chambre vous déclare non coupable

23 de tous les chefs d'accusation. Elle ordonne votre libération du quartier

24 pénitentiel des Nations Unies dès qu'auront été arrêtées les dispositions

25 nécessaires. Vous pouvez vous asseoir.

26 [L'accusé Radic s'assied]

27 [L'accusé Sljivancanin se lève]

28 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Veselin Sljivancanin, la Chambre vous

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1 déclare coupable en application de l'article 7(1) du Statut du chiffre

2 suivant :

3 Chef 7 : Torture, une violation des lois ou coutumes de la guerre,

4 sanctionné par l'article 3 du Statut, en tant que complice des tortures

5 infligées aux prisonniers dans le hangar à Ovcara le

6 20 novembre 1991.

7 La Chambre vous déclare non coupable de tous les autres chiffres

8 d'accusation.

9 Veselin Sljivancanin, vous êtes condamné à cinq ans d'emprisonnement. Vous

10 avez droit à ce que le temps que vous passé en détention soit déduit de la

11 durée de la peine infligée. Vous restez sous la garde du Tribunal jusqu'à

12 ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires à votre transfert vers

13 l'Etat dans lequel vous purgerez votre peine.

14 Vous pouvez vous asseoir.

15 [L'accusé Sljivancanin s'assied]

16 M. LE JUGE PARKER : [interprétation] Le procès est terminé.

17 L'audience est levée.

18 --- L'audience du Jugement est levée à 16 heures 32.

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