Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mardi 5 mai 2009

  2   [Jugement en appel]

  3   [Audience publique]

  4   [Les appelants sont introduits dans le prétoire]

  5   --- L'audience est ouverte à 14 heures 15.

  6   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Bonjour. Monsieur le Greffier, veuillez

  7   citer le numéro de l'affaire.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour

  9   Mesdames et Messieurs dans le prétoire et autour du prétoire. Il s'agit de

 10   l'affaire IT-95-13/1-A, le Procureur contre Mile Mrksic et Veselin

 11   Sljivancanin.

 12   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

 13   Messieurs Mrksic et Sljivancanin, m'entendez-vous ?

 14   L'APPELANT MRKSIC : [interprétation] Monsieur le Président, je vous

 15   entends.

 16   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Monsieur Sljivancanin.

 17   L'APPELANT SLJIVANCANIN : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président,

 18   Madame, Monsieur les Juges. Je vous entends.

 19   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci. Je demanderais maintenant aux

 20   parties de se présenter, en commençant par les conseils de MM. Mrksic et

 21   Sljivancanin.

 22   M. VASIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour à tous

 23   dans le prétoire. C'est Miroslav Vasic et Vladimir Domazet, tous deux

 24   avocats, qui vont assurer la Défense de M. Mrksic aujourd'hui. 

 25   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Merci. Et pour M. Sljivancanin.

 26   M. LUKIC : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

 27   Monsieur les Juges. Bonjour à toutes les personnes participant à la

 28   présente affaire. En compagnie de Me Bourgon, je vais assurer la Défense de

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  1   M. Sljivancanin aujourd'hui. Mon nom est Novak Lukic, je suis avocat de la

  2   Défense. Et nous sommes accompagnés de M. William St. Michel.

  3   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Et du côté de l'Accusation.

  4   M. ROGERS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, Madame,

  5   Monsieur les Juges. Je m'appelle Paul Rogers. Je suis accompagné de Marwan

  6   Dalal et de notre assistante, Alma Imamovic.

  7   M. LE JUGE MERON : [interprétation] Je vous remercie.

  8   Comme l'a annoncé M. le Greffier, nous sommes réunis ici aujourd'hui dans

  9   le cadre de l'affaire le Procureur contre Mile Mrksic et Veselin

 10   Sljivancanin. En application de l'ordonnance portée au calendrier du 9

 11   avril 2009, la Chambre d'appel va aujourd'hui délivrer son arrêt.

 12   Les événements à l'origine de la présente affaire se sont déroulés les 20

 13   et 21 novembre 1991 et concernent des sévices subis par des Croates et

 14   autres non-Serbes extraits de l'hôpital de Vukovar par les forces serbes le

 15   20 novembre 1991 avant d'être exécutés. La ville de Vukovar avait été la

 16   cible d'une attaque menée par l'armée populaire yougoslave, ci-après

 17   désignée par le sigle JNA, entre les mois d'août et novembre 1991. Pendant

 18   le siège de la ville qui dura trois mois, celle-ci fut en grande partie

 19   détruite par les pilonnages de la JNA, qui firent des centaines de victimes

 20   au sein de la population. Lorsque les forces serbes occupèrent la ville,

 21   elles provoquèrent la mort de centaines d'autres non-Serbes. La plupart des

 22   non-Serbes encore présents à Vukovar en furent expulsés dans les jours

 23   immédiatement postérieurs à la chute de la ville. Au cours des derniers

 24   jours du siège, plusieurs centaines de personnes cherchèrent à se réfugier

 25   dans l'hôpital, espérant que celui-ci serait évacué en présence

 26   d'observateurs internationaux.

 27   L'accord de Zagreb conclu le 18 novembre 1991 prévoyait cette

 28   évacuation; mais le matin du 20 novembre 1991, les soldats de la JNA

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  1   procédèrent à une opération de sélection dans l'hôpital de Vukovar avant de

  2   faire monter les personnes choisies à bord de plusieurs autobus. La grande

  3   majorité des personnes choisies de cette façon étaient, en tout état de

  4   cause, des prisonniers de guerre. Ces prisonniers furent d'abord emmenés à

  5   la caserne de la JNA à Vukovar, puis transportés jusqu'à une ferme

  6   d'élevage porcin à Ovcara. Là, les prisonniers durent descendre des autobus

  7   pour être enfermés dans un hangar. A leur descente des autobus,

  8   pratiquement tous les prisonniers durent passer entre deux haies de soldats

  9   serbes qui leur assénaient des coups à l'aide de toutes sortes d'objets, au

 10   nombre desquels nous citerons des bâtons en bois, des crosses de fusils,

 11   des pieux, des chaînes et des béquilles, en même temps qu'ils les

 12   abreuvaient d'insultes en tous genres. Les coups continuèrent de pleuvoir

 13   sur les prisonniers après leur entrée dans le hangar, et ce, pendant des

 14   heures. Nombreux furent les prisonniers frappés à coups de pied ou à coups

 15   de barres de fer et de crosses de fusil. Dans la soirée, les soldats de la

 16   JNA, qui assuraient la garde des prisonniers, furent transférés ailleurs

 17   laissant les détenus seuls à la merci de la Défense territoriale, ci-après

 18   désignée par le sigle TO, et des paramilitaires. La Chambre de première

 19   instance a considéré que suite au retrait de la 80e Brigade motorisée, les

 20   hommes de la TO et les paramilitaires assassinèrent près de 200 personnes à

 21   Ovcara avant de les enterrer dans une fosse commune. L'identité des

 22   personnes assassinées est précisée dans l'annexe du Jugement en première

 23   instance.

 24   Pendant la période visée à l'acte d'accusation, Mile Mrksic était colonel

 25   de la JNA et commandait la Brigade des Gardes motorisée ainsi que le

 26   Groupement opérationnel sud, ci-après désigné par les mots OG Sud. En sa

 27   qualité de commandant de l'OG Sud, il était à la tête de toutes les forces

 28   serbes, qu'il s'agisse de la JNA, de la TO ou des paramilitaires. M. Mrksic

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  1   a été condamné en application des articles 3 et 7(1) du Statut pour meurtre

  2   constitutif d'une violation des droits ou coutumes de la guerre, au motif

  3   que les 20 et 21 novembre 1991, il a aidé et encouragé à commettre, dans un

  4   lieu situé non loin du hangar d'Ovcara, le meurtre de 194 personnes, dont

  5   les noms figurent dans l'annexe du Jugement en première instance; pour

  6   tortures constitutives d'une violation des lois ou coutumes de la guerre,

  7   au motif que le 20 novembre 1991, il a aidé et encouragé à commettre des

  8   tortures sur des prisonniers de guerre dans le hangar d'Ovcara, ainsi que

  9   pour traitements cruels constitutifs d'une violation des lois ou coutumes

 10   de la guerre, au motif que le 20 novembre 1991, il a aidé et encouragé à

 11   maintenir des conditions de détention inhumaines dans le hangar d'Ovcara.

 12   La Chambre a acquitté M. Mrksic de tous les chefs d'accusation constitutifs

 13   de crimes contre l'humanité, au nombre desquels nous citerons les

 14   persécutions, l'extermination, le meurtre, la torture et les actes

 15   inhumains. Elle l'a condamné à une peine unique de 20 ans de réclusion

 16   criminelle.

 17   Pendant la période visée à l'acte d'accusation, Veselin Sljivancanin

 18   était commandant au sein de la JNA et exerçait les fonctions de chef des

 19   services de sécurité au sein de la Brigade des Gardes motorisée comme au

 20   sein de l'OG Sud. La Chambre de première instance a constaté que M.

 21   Sljivancanin avait été chargé par M. Mrksic d'évacuer l'hôpital de Vukovar.

 22   Elle l'a jugé responsable de la conduite de l'opération de sélection, du

 23   choix des suspects de crimes de guerre extraits de l'hôpital de Vukovar le

 24   20 novembre 1991, de leur transfert et de l'organisation de leur sécurité

 25   ainsi que de l'évacuation des civils. La Chambre de première instance l'a

 26   condamné, en application des articles 3 et 7(1) du Statut, au motif que le

 27   20 novembre 1991, il a aidé et encouragé à commettre des actes de torture

 28   sur les prisonniers de guerre enfermés dans le hangar d'Ovcara. Elle n'a

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  1   prononcé aucune condamnation pour traitements cruels constitutifs d'une

  2   violation des lois ou coutumes de la guerre, compte tenu du caractère non

  3   cumulatif des condamnations, qui interdisent d'ajouter cette condamnation à

  4   celle déjà prononcée pour actes de torture. Par ailleurs, elle l'a acquitté

  5   de tous les chefs d'accusation constitutifs de crimes contre l'humanité,

  6   ainsi que du chef de meurtre constitutif d'une violation des lois ou

  7   coutumes de la guerre.

  8   Elle l'a condamné à une peine unique de cinq ans de réclusion

  9   criminelle. Selon la pratique en vigueur au TPIY, je ne donnerai pas

 10   lecture du texte intégral de l'arrêt mais seulement de son dispositif. Je

 11   résumerai, en revanche, les questions qui ont justifié le pourvoi en appel

 12   et les conclusions de la Chambre d'appel. Ce résumé ne fait pas partie

 13   intégrante du texte de l'arrêt, qui demeure l'unique document faisant foi,

 14   apte à détailler les conclusions de la Chambre d'appel et les motifs qui

 15   les fondent. Des copies du texte de l'arrêt seront distribuées aux parties

 16   à l'issue de la présente audience.

 17   Le bureau du Procureur, ci-après désigné par les mots l'Accusation, a

 18   invoqué quatre motifs d'appel à l'encontre du jugement prononcé en première

 19   instance et demandé à la Chambre d'appel de revenir sur sa décision

 20   d'acquitter Veselin Sljivancanin et Mile Mrksic des charges de crimes

 21   contre l'humanité visées à l'article 5 du Statut; de revenir sur sa

 22   décision d'acquitter Veselin Sljivancanin du chef de meurtre constitutif

 23   d'une violation des lois ou coutumes de la guerre; de revoir à la hausse la

 24   durée des peines infligées à Veselin Sljivancanin et Mile Mrksic afin que

 25   celles-ci rendent dûment compte de la gravité de leur comportement

 26   criminel; et enfin, de revoir à la hausse la durée des peines infligées à

 27   Veselin Sljivancanin et Mile Mrksic si de nouvelles condamnations devaient

 28   être prononcées par elle en fonction des dispositions de l'article 5 du

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  1   Statut.

  2   M. Mrksic a invoqué 11 moyens d'appel contre le Jugement en première

  3   instance. Il demande à la Chambre d'appel de l'acquitter des condamnations

  4   prononcées contre lui pour les crimes relevant de l'article 3 du Statut, au

  5   motif qu'il a aidé et encouragé à commettre des actes de meurtre, de

  6   tortures et des traitements cruels. Il fait valoir, par ailleurs, que la

  7   Chambre de première instance a commis une erreur en le condamnant à 20 ans

  8   de réclusion criminelle.

  9   M. Sljivancanin a invoqué six moyens d'appel contre le jugement

 10   prononcé en première instance. Il demande à la Chambre d'appel de revenir

 11   sur ce jugement en le déclarant non coupable des actes de torture

 12   constitutifs d'une violation des lois ou coutumes de la guerre, selon les

 13   dispositions de l'article 3 du Statut; ou subsidiairement, d'ordonner qu'un

 14   nouveau procès soit organisé sur ce seul chef d'accusation; voire, si la

 15   condamnation est confirmée, que la durée de la peine de cinq ans de

 16   réclusion criminelle prononcée à son encontre en première instance soit

 17   revue à la baisse.

 18   Les 21 et 23 janvier 2009, la Chambre d'appel a entendu les arguments

 19   présentés par les deux parties sur les moyens d'appel invoqués.

 20   Avant de parler des pourvois en appel de M. Mrksic et Sljivancanin,

 21   je vais aborder le premier moyen d'appel invoqué par l'Accusation, car il

 22   pose une question juridique qui les intéresse tous les deux.

 23   Dans son premier moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de

 24   première instance a commis une erreur de droit en considérant que l'article

 25   5 du Statut implique que les victimes de crimes contre l'humanité ne

 26   peuvent qu'être que des civils, excluant de ce fait les personnes mises

 27   hors de combat. L'erreur subséquente a donc consisté à ne prononcer des

 28   accusations qu'au titre de crime de guerre. La Chambre d'appel considère

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  1   que si le statut civil des victimes, le nombre des civils et leur

  2   proportion au sein de la population considérée sont des éléments pertinents

  3   s'agissant de savoir si les conditions préalables énumérées dans le

  4   préambules de l'article 5 du Statut sont réunies, c'est-à-dire si l'attaque

  5   considérée visait la population civile, rien dans cet article 5 n'impose

  6   que les victimes d'un crime contre l'humanité soient des civils et le

  7   statut civil des victimes n'est pas constitutif du crime contre l'humanité.

  8   La Chambre d'appel accueille donc le premier moyen d'appel de l'Accusation

  9   dans lequel celle-ci fait valoir que la Chambre de première instance a

 10   commis une erreur de droit en décidant que pour les dispositions de

 11   l'article 5 du Statut s'applique, les victimes de crime contre l'humanité

 12   devaient être des civils ce qui excluait ipso facto qu'une personne mise

 13   hors de combat puisse être victime d'un crime contre l'humanité. Même si la

 14   Chambre de première instance a commis une erreur de droit en créant une

 15   nouvelle condition, à savoir que les victimes des crimes relevant de

 16   l'article 5 du Statut devaient toutes être des civils, la Chambre d'appel

 17   convient avec la Chambre de première instance, mais pour des motifs

 18   différents, que les conditions préalables de nature juridictionnelle

 19   contenues dans l'article 5 n'ont pas été réunies. Ceci est dû au fait qu'en

 20   l'espèce, les auteurs des crimes commis contre les prisonniers d'Ovcara ont

 21   agi en partant du principe que leurs actes visaient des membres des forces

 22   armées croates. Le fait qu'ils aient agi comme ils l'ont fait interdit de

 23   penser qu'ils aient pu souhaiter par leurs actes s'intégrer à une attaque

 24   généralisée et systématique visant la population civile de Vukovar, et rend

 25   leurs actes si étrangers à cette attaque qu'aucun lien ne peux être établi

 26   entre les deux. La Chambre d'appel estime qu'en l'absence du lien dont

 27   l'existence est requise dans l'article 5 du Statut, et notamment dans son

 28   préambule, les crimes commis ne peuvent être qualifiés de crimes contre

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  1   l'humanité. Elle rejette donc le premier moyen d'appel de l'Accusation pour

  2   le surplus et confirme l'acquittement de M. Sljivancanin et Mrksic au titre

  3   de l'article 5 du Statut.

  4   Dans ces premier, deuxième, troisième, quatrième, sixième et dixième

  5   moyens d'appel, M. Mrksic soutient que la Chambre de première instance a

  6   commis une erreur en n'appliquant pas, comme elle aurait dû le faire, le

  7   concept de preuve au-delà de tout doute raisonnable. Mais la Chambre

  8   d'appel considère qu'il n'est pas parvenu à démontrer que la Chambre de

  9   première instance aurait appliqué à tort ce concept.

 10   Dans son premier moyen d'appel, M. Mrksic fait valoir que la Chambre

 11   de première instance a mal évalué le rôle et la responsabilité de la 80e

 12   Brigade motorisée, sa structure hiérarchique et les éléments de preuve

 13   pertinents sur ces points. La Chambre d'appel constate qu'un nombre

 14   significatif d'arguments développés par M. Mrksic au titre de ce moyen

 15   d'appel ne constitue qu'une reprise d'arguments déjà développés devant la

 16   Chambre de première instance est déjà rejeté sans que des explications

 17   claires soient apportées quant à la façon dont de tels arguments pourraient

 18   davantage appuyer les allégations invoquées dans son premier moyen d'appel.

 19   M. Mrksic ayant échoué dans son obligation de s'acquitter de la charge de

 20   la preuve qui lui incombait, la Chambre d'appel rejette donc intégralement

 21   son premier moyen d'appel.

 22   Dans son deuxième moyen d'appel, M. Mrksic fait valoir que la Chambre

 23   de première instance a commis une erreur en ne concluant pas à la

 24   responsabilité des services de sécurité dans la sélection et l'extraction

 25   des prisonniers de guerre de l'hôpital de Vukovar. La Chambre d'appel

 26   constate qu'un nombre significatif des arguments qu'il présente en appel ne

 27   fait que reprendre ce que contenait son mémoire en clôture, tous rejetés

 28   par la Chambre de première instance et que d'autres arguments sont avancés

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  1   au mépris des conclusions fondées de la Chambre de première instance. La

  2   Chambre d'appel rejette donc intégralement son deuxième moyen d'appel.

  3   Dans son troisième moyen d'appel, M. Mrksic fait valoir que la

  4   Chambre de première instance a commis une erreur dans sa façon d'apprécier

  5   le rôle et les responsabilités des officiers présents dans la caserne de la

  6   JNA. Il soutient que la Chambre de première instance s'est trompée en

  7   déterminant l'horaire du transfert et le moment où s'est tenue la réunion

  8   gouvernementale du secrétariat fédéral à la Défense nationale, ci-après

  9   désigné par le sigle SAO. Mais la Chambre d'appel constate que la Chambre

 10   de première instance a soigneusement tenu compte de tous les éléments de

 11   preuve contradictoires qui lui ont été présentés sur cette question et que

 12   rien n'indique qu'elle aurait méconnu le moindre élément. La Chambre

 13   d'appel rejette donc intégralement le troisième moyen d'appel de M. Mrksic.

 14   Dans son quatrième moyen d'appel, M. Mrksic allègue d'erreurs

 15   commises au sujet de la réunion gouvernementale du SAO. Encore une fois,

 16   nombre des arguments avancés par M. Mrksic ne sont qu'une répétition de

 17   thèses déjà présentées dans son mémoire en clôture, voire d'allégations

 18   présentées dans le cadre d'autres moyens ou branches de moyens d'appel et

 19   déjà rejetés. La Chambre d'appel rejette donc intégralement le quatrième

 20   moyen d'appel de M. Mrksic.

 21   Dans son cinquième moyen d'appel, M. Mrksic affirme que la Chambre de

 22   première instance a commis une erreur de fait en concluant que le 20

 23   novembre 1991, il avait été informé des événements en cours à Ovcara avant

 24   la réunion quotidiennement tenue à Negoslavci. Mais la Chambre d'appel

 25   considère que M. Mrksic a échoué dans sa volonté de démontrer que l'erreur

 26   présumée de la Chambre de première instance sur ce sujet aurait conduit à

 27   une erreur judiciaire. La Chambre d'appel rejette donc intégralement le

 28   cinquième moyen d'appel de M. Mrksic.

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  1   Dans son sixième moyen d'appel, M. Mrksic soutient que la Chambre de

  2   première instance s'est trompée en concluant que c'est lui qui avait

  3   ordonné le retrait d'Ovcara de la 80e Brigade motorisée. Il conteste

  4   l'heure à laquelle cet ordre de retrait a été donné de même que la

  5   conclusion selon laquelle il aurait été informé à deux reprises de ce qui

  6   se passait à Ovcara et affirme que l'appréciation faite par la Chambre de

  7   première instance du rôle joué le 20 novembre 1991 par le capitaine Dragi

  8   Vukosavljevic et le colonel Radoje Trifunovic est erronée. S'agissant de

  9   l'ensemble de ces arguments, M. Mrksic ne démontre pas que les

 10   appréciations factuelles de la Chambre de première instance, considérées

 11   avec le respect qui leur est dû, aient constitué une erreur. La Chambre

 12   d'appel rejette donc intégralement le sixième moyen d'appel de M. Mrksic.

 13   Dans son septième moyen d'appel, M. Mrksic soutient que la Chambre de

 14   première instance s'est trompée en concluant qu'il s'était rendu à Belgrade

 15   tard le 20 novembre 1991, voire tôt le 21 novembre 1991, affirmant que

 16   c'est cela qui avait conduit à conclure à tort que c'était lui qui avait

 17   ordonné le retrait de la police militaire d'Ovcara. La Chambre d'appel

 18   estime que l'argument développé par M. Mrksic ne permet pas de démontrer

 19   que la Chambre de première instance aurait commis une erreur de fait qui

 20   aurait provoqué une erreur judiciaire et rejette intégralement son septième

 21   moyen d'appel.

 22   Dans son huitième moyen d'appel, M. Mrksic affirme que la Chambre de

 23   première instance s'est trompée en concluant que le commandement de l'OG

 24   Sud qu'il dirigeait avait une responsabilité par rapport au secteur de

 25   Vukovar entre le 8 et le 24 novembre 1991. Ces arguments ne sont

 26   pratiquement qu'une répétition d'arguments déjà défendus pendant le procès

 27   et déjà rejetés par la Chambre de première instance et ne parviennent pas à

 28   démontrer en quoi l'erreur alléguée dans une des branches de ce moyen

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  1   d'appel aurait pu avoir une incidence telle sur les conclusions de la

  2   Chambre de première instance qu'elle aurait provoqué une erreur judiciaire.

  3   La Chambre d'appel rejette donc intégralement son huitième moyen d'appel.

  4   Dans son neuvième moyen d'appel, M. Mrksic soutient qu'en raison des

  5   erreurs factuelles qu'il impute à la Chambre de première instance dans ses

  6   huit moyens d'appels précédents, celle-ci se serait rendue coupable d'une

  7   erreur de droit en le condamnant au titre de l'article 7(1) du Statut au

  8   motif qu'il aurait aidé et encouragé à commettre les crimes de meurtres ou

  9   assassinats, traitements cruels et tortures. Certains des arguments

 10   développés dans ce neuvième moyen d'appel ont déjà été avancés et rejetés

 11   dans des moyens d'appels précédents. D'autres ne sont qu'une répétition

 12   d'arguments défendus pendant le procès, mais aucun ne parvient à démontrer

 13   que leur rejet en première instance puisse constituer une erreur justifiant

 14   une intervention de la Chambre d'appel. M. Mrskic a donc échoué dans sa

 15   volonté de démontrer que la Chambre de première instance avait commis une

 16   quelconque erreur de droit susceptible d'invalider le jugement en se

 17   prononçant, comme elle l'a fait, sur l'intention délictueuse ou élément

 18   moral qui l'aurait poussé à aider et encourager les auteurs des meurtres de

 19   prisonniers de guerre.

 20   Dans son neuvième moyen d'appel, M. Mrksic soutient aussi qu'en raison des

 21   erreurs factuelles qu'il impute à la Chambre de première instance dans ses

 22   huit moyens d'appels précédents, cette dernière aurait commis une erreur de

 23   droit en concluant qu'en application de l'article 7(3) du Statut afférent à

 24   la responsabilité du supérieur hiérarchique, il était coupable de meurtres

 25   ou d'assassinats, de traitements cruels et de tortures. Mais la Chambre

 26   d'appel rappelle que la Chambre de première instance n'a prononcé aucune

 27   condamnation contre M. Mrksic au titre de l'article 7(3) du Statut. Compte

 28   tenu de ce qui précède, la Chambre d'appel rejette intégralement le

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  1   neuvième moyen d'appel de M. Mrksic.

  2   Dans son dixième moyen d'appel, M. Mrksic évoque ce qu'il appelle des faits

  3   contestables, c'est-à-dire des faits dont il reconnaît qu'ils n'ont guère

  4   pesé aux yeux des Juges de la Chambre de première instance au moment de

  5   statuer, mais dont il affirme l'importance pour la Défense et l'image de la

  6   JNA. La Chambre d'appel tient à dire une nouvelle fois que pour autant que

  7   des faits avérés aient servi de base au verdict de culpabilité et à la

  8   détermination de la peine infligée à M. Mrksic, elle-même se donne en

  9   général pour règle de ne pas discuter d'erreurs liées à d'autres faits qui

 10   n'ont eu aucune incidence sur le jugement prononcé par la Chambre de

 11   première instance. Compte tenu de ce qui précède et puisque M. Mrksic admet

 12   que les erreurs invoquées par lui dans ce moyen d'appel n'ont influé en

 13   rien sur le jugement ou la détermination de la peine, la Chambre d'appel

 14   rejette intégralement le dixième moyen d'appel de M. Mrksic.

 15   Le onzième moyen d'appel invoqué par M. Mrksic ayant un rapport avec la

 16   durée de la peine qui lui a été infligée, il sera traité à la fin du

 17   présent résumé dans la partie consacrée à la durée de la peine.

 18   Je vais maintenant aborder le pourvoi en appel de M. Sljivancanin.

 19   Dans son premier moyen d'appel, M. Sljivancanin fait valoir que la

 20   Chambre de première instance a commis une erreur en concluant à sa présence

 21   à Ovcara l'après-midi du 20 novembre 1991. Il affirme que cette erreur

 22   provient de ce que la Chambre ne s'est appuyée que sur la déposition du

 23   Témoin P009. La Chambre d'appel considère que la Chambre de première

 24   instance a dûment examiné les éléments de preuve pour parvenir à sa

 25   conclusion et rejette intégralement le premier moyen d'appel de M.

 26   Sljivancanin.

 27   Dans son deuxième moyen d'appel, M. Sljivancanin conteste le fait qu'aider

 28   et encourager par omission puisse constituer un mode de responsabilité. A

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  1   l'appui de ces dires, il fait d'abord valoir qu'aider et encourager par

  2   omission n'est pas un mode de responsabilité prévu dans le système

  3   judiciaire appliqué par le Tribunal international. La Chambre d'appel

  4   considère toutefois que la Chambre de première instance a eu raison de

  5   considérer le fait d'aider et d'encourager par omission comme un mode de

  6   responsabilité reconnu dans le système judiciaire en vigueur au Tribunal

  7   international.

  8   M. Sljivancanin soutient, par ailleurs, ne pas avoir été informé à

  9   temps de la volonté de l'Accusation d'utiliser ce mode de responsabilité

 10   contre lui. La Chambre d'appel conclut que l'acte d'accusation détaille

 11   suffisamment les charges retenues à son encontre et notamment celle d'avoir

 12   aidé et encouragé par omission à commettre des sévices sur les prisonniers

 13   de guerre d'Ovcara.

 14   Elle estime par ailleurs que M. Sljivancanin n'a pas apporté à la preuve de

 15   ce que sa Défense ait été matériellement lésée par ce défaut d'information

 16   allégué.

 17   La Chambre d'appel, ayant analysé les éléments constitutifs de l'aide

 18   et encouragement par omission, considère comme identique l'élément moral et

 19   l'élément matériel requis, que l'on parle d'aide et d'encouragement par

 20   omission ou d'aide et d'encouragement par action positive. Il faut donc que

 21   l'omission ait visé à aider, encourager ou appuyer moralement la commission

 22   d'un crime et que cela ait eu un effet substantiel sur la commission du

 23   crime, ce qui représente l'élément matériel. Par ailleurs, la personne à

 24   l'origine de l'aide et de l'encouragement doit savoir que par son omission,

 25   elle apporte un concours à l'auteur d'un crime finalement commis par

 26   l'auteur principal, ce qui représente l'intention délictueuse ou l'élément

 27   mental. La question la plus délicate qu'il importe de régler consiste à se

 28   demander si l'examen des faits lié à une affaire déterminée a permis

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  1   d'établir que le fait de ne pas s'être acquitté d'un devoir prévu par la

  2   loi a aidé, encouragé ou appuyé moralement les auteurs d'un crime et a eu

  3   une incidence substantielle sur sa commission.De surcroît, la Chambre

  4   d'appel considère que la notion d'aide et d'encouragement par omission

  5   comporte l'obligation implicite que l'accusé ait eu la possibilité d'agir,

  6   à savoir, par exemple, qu'il disposait des moyens nécessaires pour remplir

  7   son devoir.

  8   Eu égard à la nature du devoir en question, la Chambre d'appel

  9   rappelle qu'elle a déjà statué quand au fait que du non-respect de

 10   l'obligation d'agir imposée par la loi -- par les lois ou coutumes de la

 11   guerre, découlait une responsabilité pénale individuelle. Le devoir de

 12   protéger les prisonniers de guerre qui incombait à M. Sljivancanin lui

 13   était imposé par les lois ou coutumes de la guerre. Je reviendrai plus en

 14   détail sur ce point ultérieurement, lorsque je traiterai du deuxième moyen

 15   d'appel de l'Accusation. La Chambre d'appel considère, par conséquent, que

 16   parce qu'il a failli à l'obligation de s'acquitter de son devoir, sa

 17   responsabilité pénale individuelle est engagée. En conséquence de quoi, la

 18   Chambre d'appel rejette intégralement le deuxième moyen d'appel de M.

 19   Sljivancanin.

 20   Dans son troisième moyen d'appel, M. Sljivancanin fait valoir que la

 21   Chambre de première instance a commis une erreur en concluant que M. Mrksic

 22   l'avait chargé de l'évacuation de l'hôpital de Vukovar lui conférant de ce

 23   fait le devoir légal de protéger les prisonniers de guerre d'Ovcara. La

 24   Chambre d'appel considère que la Chambre de première instance, se fondant

 25   sur l'ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés, avait de

 26   bonnes raisons de conclure que le devoir de protéger les prisonniers de

 27   guerre de l'hôpital de Vukovar incombait à M. Sljivancanin suite à une

 28   délégation de responsabilités faite à son intention par M. Mrksic. En

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  1   conséquence de quoi, elle rejette intégralement le troisième moyen d'appel

  2   de M. Sljivancanin.

  3   Dans son quatrième moyen d'appel, M. Sljivancanin conteste la conclusion de

  4   la Chambre de première instance qui considère qu'il a dû être témoin des

  5   sévices infligés aux prisonniers de guerre à Ovcara. La Chambre d'appel

  6   rappelle qu'eu égard au premier moyen d'appel de M. Sljivancanin, elle a

  7   conclu qu'il n'avait pas démontré que la Chambre de première instance avait

  8   commis une erreur de droit ou de fait concernant sa présence à Ovcara dans

  9   l'après-midi du 20 novembre 1991 où la séquence chronologique des

 10   événements survenue à ce moment-là. Dans son quatrième moyen d'appel, M.

 11   Sljivancanin ne fait aucun effort pour fonder les arguments déjà avancés

 12   par lui au titre de son premier moyen d'appel. En conséquence de quoi, son

 13   quatrième moyen d'appel est intégralement rejeté. 

 14   Dans son cinquième moyen d'appel, M. Sljivancanin soutient que les éléments

 15   nécessaires pour constituer l'aide et l'encouragement aux tortures des

 16   prisonniers d'Ovcara font défaut.

 17   D'abord, s'agissant de déterminer si le défaut d'action de M. Sljivancanin

 18   a eu une incidence significative sur la commission des crimes d'Ovcara, la

 19   Chambre d'appel conclut que le fait que d'autres officiers mieux placés que

 20   lui pour assurer la protection des prisonniers de guerre d'Ovcara n'aient

 21   pas agi davantage que lui, n'enlève rien en soi à l'effet produit par son

 22   défaut d'intervention pour empêcher les sévices. Quant aux affirmations de

 23   M. Sljivancanin indiquant qu'il n'était pas responsable de la sécurité des

 24   prisonniers de guerre détenus à Ovcara et que la preuve qu'il aurait pu

 25   obtenir d'empêcher les sévices infligés aux prisonniers de guerre n'avait

 26   pas été apportée, la Chambre d'appel rappelle avoir confirmer la conclusion

 27   de la Chambre de première instance selon laquelle M. Mrksic avait ordonné à

 28   M. Sljivancanin de diriger l'évacuation en l'autorisant à employer le

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  1   nombre de policiers militaires dont il pourrait avoir besoin pour escorter

  2   les prisonniers de guerre et leur garantir un transfert sans encombre. La

  3   Chambre d'appel conclut que M. Sljivancanin n'a pu démontrer la présence

  4   d'aucune erreur dans le travail de la Chambre de première instance

  5   s'agissant de déterminer si sa contribution a eu un effet substantiel sur

  6   les sévices infligés aux prisonniers de guerre d'Ovcara.

  7   Deuxièmement, eu égard à l'argument de M. Sljivancanin selon lequel

  8   la Chambre de première instance a eu tort de conclure qu'il devait savoir

  9   que par son refus de donner des consignes claires aux policiers militaires

 10   et de leur fournir des renforts, il avait aidé à commettre les crimes, la

 11   Chambre d'appel considère que M. Sljivancanin a vu les prisonniers de

 12   guerre subir des sévices à Ovcara, en dépit de la présence des soldats de

 13   la JNA et que, par conséquent, il a dû comprendre qu'à l'évidence les

 14   officiers et soldats de la JNA présents sur les lieux ne pouvait pas ou ne

 15   voulait pas empêcher les passages à tabac. M. Sljivancanin devait savoir

 16   que la responsabilité de protéger les prisonniers de guerre lui incombait

 17   et qu'il était investi de l'autorité nécessaire pour agir. Compte tenu de

 18   tout ce qu'il s'agit, la seule conclusion qui est raisonnablement permis de

 19   tirer consiste à penser qu'il savait que le défaut de toute action de sa

 20   part pour protéger les prisonniers de guerre a aidé la Défense territoriale

 21   et les paramilitaires à leur infliger les sévices qu'ils ont subi. La

 22   Chambre de première instance était en droit de conclure que M. Sljivancanin

 23   était animé de l'intention délictueuse d'aider et d'encourager des actes de

 24   tortures. La Chambre d'appel rejette donc intégralement le cinquième moyen

 25   d'appel de M. Sljivancanin.

 26   Le sixième moyen d'appel de M. Sljivancanin sera traité à la fin du présent

 27   résumé dans la partie relative à la détermination de la peine.

 28   J'aborde maintenant le deuxième moyen d'appel de l'Accusation qui a

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  1   aussi un rapport avec M. Sljivancanin.

  2   Dans son deuxième moyen d'appel, l'Accusation soutient que la Chambre

  3   de première instance a commis des erreurs de fait et de droit en omettant

  4   de constater que M. Sljivancanin ait une responsabilité pour avoir aidé et

  5   encouragé à commettre le meurtre de 194 personnes qui sont identifiées dans

  6   l'annexe au Jugement de première instance comme ayant été tuées à Ovcara

  7   dans la soirée du 20 au 21 novembre 1991.

  8   L'Accusation affirme que la Chambre de première instance s'est

  9   fourvoyée en ne constatant pas que M. Sljivancanin savait, lorsqu'il s'est

 10   rendu à Ovcara, que les membres de la TO et des paramilitaires tueraient

 11   probablement les prisonniers. En ce qui concerne l'intention délictueuse

 12   consistant à encourager à aider à commettre ces meurtres, la Chambre de

 13   première instance a conclu que c'était seulement à partir du moment où les

 14   soldats s'étaient définitivement retirés d'Ovcara dans la soirée du 20

 15   novembre 1991 que le meurtre des prisonniers de guerre est devenu probable,

 16   et pourtant, qu'il était possible que M. Sljivancanin n'ait pas prévu,

 17   avant d'avoir appris le retrait de ces soldats, que ces meurtres seraient

 18   probables. La Chambre d'appel estime qu'il n'est pas déraisonnable que la

 19   Chambre de première instance ait conclu qu'aussi longtemps que durerait la

 20   présence des soldats de la JNA, ces soldats auraient pu continuer de

 21   constituer un élément d'intervention suffisant pour empêcher que les

 22   mauvais traitements infligés aux prisonniers par des membres de la TO et

 23   par des paramilitaires n'empirent au point de dépasser les sévices pour

 24   aboutir à des meurtres, même s'il ne pouvait entièrement empêcher que des

 25   sévices soient infligés aux prisonniers. S'il n'était pas déraisonnable que

 26   la Chambre ait conclu que M. Sljivancanin pouvait raisonnablement avoir cru

 27   dans ces conditions que les membres de la TO et des paramilitaires ne

 28   recourraient vraisemblablement pas au meurtre. Il en résulte que la Chambre

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  1   d'appel conclue que M. Sljivancanin n'avait pas l'intention délictueuse ou

  2   l'élément moral visant à aider et à encourager au meurtre tant qu'il a cru

  3   que les soldats de la JNA resteraient à Ovcara.

  4   La Chambre d'appel relève que la Chambre de première instance ne

  5   s'est pas prononcée pour dire ou déduire si, et dans l'affirmative quand,

  6   M. Sljivancanin a eu connaissance de l'ordre de retrait des soldats de la

  7   JNA dans la nuit du 20 novembre 1991. Néanmoins, la seule conclusion

  8   raisonnable qu'on peut tirer est que M. Mrksic a fait savoir à M.

  9   Sljivancanin au cours de leur réunion, dès que M. Sljivancanin a été de

 10   retour à Negoslavci cette nuit-là, qu'il avait retiré la protection de la

 11   JNA aux prisonniers de guerre gardés à Ovcara. Etant donné que la Chambre

 12   de première instance a conclu que c'était la connaissance qu'avait M.

 13   Sljivancanin dès la présence des soldats de la JNA qui l'empêchait de

 14   conclure qu'il était probable que les prisonniers de guerre seraient

 15   probablement tués, la seule hypothèse raisonnable est que lorsqu'il a

 16   appris que l'ordre de retirer les soldats était donné, que M. Sljivancanin

 17   s'est rendu compte que le meurtre des prisonniers de guerre à Ovcara était

 18   devenu probable.

 19   De même, sachant que le meurtre de prisonniers de guerre allait être

 20   le résultat probable du fait qu'ils avaient été laissés sous la garde des

 21   membres de la TO et des paramilitaires, M. Sljivancanin s'est forcément

 22   rendu compte aussi qu'étant donné qu'il était responsable des prisonniers

 23   de guerre, s'il ne prenait pas des mesures pour assurer la protection

 24   continue des prisonniers de guerre, il aiderait les membres de la TO et les

 25   paramilitaires à commettre les meurtres en question. Partant, la Chambre

 26   d'appel conclut que dès qu'il a appris de M. Mrksic à leur réunion dans la

 27   nuit du 20 novembre 1991, que l'ordre avait été donné de retirer les

 28   soldats de la JNA, la seule déduction raisonnable est que M. Sljivancanin

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  1   savait que les membres de la TO et les paramilitaires tueraient

  2   probablement les prisonniers de guerre et que s'il n'agissait pas, son

  3   omission aiderait à commettre le meurtre des prisonniers de guerre. En

  4   conséquence, la Chambre d'appel conclut que dès qu'il a eu connaissance de

  5   l'ordre de M. Mrksic de retirer les soldats de la JNA, M. Sljivancanin a eu

  6   l'intention délictueuse d'aider et d'encourager ces meurtres.

  7   Dans son deuxième moyen d'appel, l'Accusation conteste aussi la

  8   conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle les

  9   responsabilités juridiques de M. Sljivancanin à l'égard des prisonniers ont

 10   pris fin lorsque les derniers soldats de la JNA se sont retirés d'Ovcara

 11   sur l'ordre de M. Mrksic.

 12   Avant de rechercher si cette conclusion est bonne, il est pertinent à

 13   ce stade de rappeler que la Chambre de première instance ne s'est pas

 14   prononcée sur le point de savoir si le conflit armé dans la municipalité de

 15   Vukovar, à l'époque des faits, avait un caractère international ou non.

 16   Mais même dans le contexte d'un conflit armé interne, la Convention III de

 17   Genève, relativement au traitement des prisonniers de guerre, trouve à

 18   s'appliquer lorsque les parties au conflit ont convenu que cette convention

 19   s'appliquerait. A cet égard, la Chambre d'appel rappelle les instructions

 20   que la mission de surveillance de la Communauté européenne a données à ses

 21   observateurs pour ce qui est de la mise en œuvre de l'accord de Zagreb, qui

 22   précisait que les conventions de Genève devaient être appliquées aux

 23   prisonniers de guerre. Dans un ordre donné le 18 novembre 1991, le

 24   lieutenant général Zivota Panic a donné pour instruction que les unités de

 25   la JNA dans la région de Vukovar, y compris le Groupement opérationnel sud,

 26   devaient respecter tous les aspects de la convention de Genève III. En

 27   outre, le colonel Nebojsa Pavkovic a informé les observateurs des

 28   instructions du général Raseta allant dans le sens que les forces croates

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  1   ne seraient pas évacuées avec le reste du convoi humanitaire, mais

  2   demeureraient des prisonniers de guerre et que les conventions de Genève

  3   s'appliqueraient.

  4   La Chambre d'appel considère qu'il y a là des éléments de preuve

  5   suffisants pour conclure que la JNA était d'accord pour reconnaître que ces

  6   personnes-là des forces croates devaient être considérées comme des

  7   prisonniers de guerre et que la Convention III de Genève devait

  8   s'appliquer. Examinons ensuite la responsabilité de M. Sljivancanin en ce

  9   qui concerne la sécurité et le sort des prisonniers au regard de la

 10   Convention III de Genève. La Chambre d'appel rappelle que le principe

 11   fondamental que consacre la Convention III de Genève est que les

 12   prisonniers de guerre doivent être traités avec humanité et doivent être

 13   protégés contre toute souffrance physique et mentale et que cela s'applique

 14   dès qu'ils tombent au pouvoir de l'ennemi jusqu'au moment de leur

 15   libération définitive et leur rapatriement. Ce principe implique donc que

 16   chacun des agents qui est chargé de la protection ou de la garde des

 17   prisonniers de guerre a l'obligation de garantir que leur transfert à un

 18   autre agent ne diminuera pas la protection à laquelle les prisonniers ont

 19   droit.

 20   De plus, bien que l'obligation de protéger les prisonniers de guerre

 21   s'impose en premier lieu à la puissance détentrice sous la garde de qui se

 22   sont trouvés les prisonniers, cela n'exclut pas la responsabilité

 23   individuelle. La Chambre d'appel juge que la Convention III de Genève fait

 24   obligation à tous les agents de la puissance détentrice qui se trouvent

 25   chargés de garder les prisonniers de guerre, d'assurer leur protection.

 26   Elle considère qu'ils ont ce droit, indépendamment de savoir s'ils sont

 27   investis par une délégation de pouvoir, par exemple, par un ordre supérieur

 28   ou comme le fait qu'un agent de l'Etat se trouve avec une garde de facto

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  1   des prisonniers de guerre, le cas où un prisonnier de guerre se serait

  2   rendu à cet agent.

  3    La Chambre d'appel considère que M. Sljivancanin avait le devoir de

  4   protéger les prisonniers de guerre détenus à Ovcara et que sa

  5   responsabilité comprenait l'obligation de ne pas autoriser le transfert des

  6   prisonniers de guerre à qui que ce soit avant de s'être lui-même assuré

  7   qu'il ne leur serait pas fait de mal. L'ordre donné par M. Mrksic de

  8   retirer les soldats de la JNA ne lui retirait pas sa qualité d'officier de

  9   la JNA. En tant que tel, M. Sljivancanin est resté un agent de la puissance

 10   détentrice et a ainsi continué d'être tenu par la Convention de Genève III

 11   de ne pas transférer des prisonniers de guerre à un autre agent qui

 12   n'assurerait pas non plus leur sécurité. En raison des motifs qui

 13   précèdent, la Chambre d'appel constate que la Chambre de première instance

 14   a commis une erreur en concluant que le droit de M. Sljivancanin de

 15   protéger les prisonniers de guerre en vertu des lois et coutumes de la

 16   guerre avait pris fin dès que M. Mrksic ait donné l'ordre de se retirer.

 17   A la lumière de ces conclusions, la Chambre d'appel en vient à

 18   examiner si le fait que M. Sljivancanin n'a pas agi dès qu'il a appris

 19   l'ordre de retirer d'Ovcara des soldats de la JNA a contribué de façon

 20   substantielle aux meurtres des prisonniers de guerre par des membres de la

 21   TO et des paramilitaires. La Chambre d'appel doit être convaincue au-delà

 22   de tout doute raisonnable que l'Accusation a démontré que M. Sljivancanin a

 23   contribué de façon substantielle à la tuerie par son inaction et que

 24   lorsqu'on tient compte des erreurs commises par la Chambre de première

 25   instance, tout doute raisonnable concernant la culpabilité de M.

 26   Sljivancanin doit avoir été éliminé. A cet égard, la Chambre d'appel

 27   rappelle que le fait d'aider et d'encourager par omission exige

 28   implicitement que l'accusé ait eu la possibilité d'agir mais qu'il ne l'a

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  1   pas fait.

  2   La Chambre de première instance a conclu qu'au moment des faits M.

  3   Sljivancanin exerçait le pouvoir et l'autorité que M. Mrksic lui avait

  4   conférés pour qu'il dirige l'évacuation de l'hôpital. En cette qualité, il

  5   exerçait une autorité de jure à l'égard des forces de police militaire de

  6   la JNA du OG Sud et non en vertu de son mandat en tant que chargé des

  7   services de sécurité. Par conséquent, un ordre donné par M. Mrksic mettant

  8   fin à une obligation spécifiquement déléguée de veiller à la sécurité des

  9   prisonniers de guerre aurait aussi mis fin au pouvoir et à l'autorité que

 10   M. Sljivancanin avait sur la police militaire de la 80e Brigade motorisée.

 11   Cela dit, la Chambre d'appel considère que même si M. Sljivancanin

 12   n'avait plus d'autorité de jure sur la police militaire déployée à Ovcara,

 13   il aurait pu informer la police militaire déployée à Ovcara que l'ordre

 14   donné par M. Mrksic violait l'obligation absolue en vertu des lois et

 15   coutumes de la guerre de protéger les prisonniers de guerre. Cet ordre

 16   constituait ainsi un ordre illégal donné à la police militaire de la 80e

 17   Brigade motorisée, un ordre contraire à celui que M. Mrksic aurait exigé de

 18   M. Sljivancanin, aurait exigé qu'il outrepasse les limites de son autorité

 19   de jure, autorité qui, en l'occurrence, avait été ôtée par l'ordre de

 20   retrait donné par M. Mrksic. Néanmoins, l'illégalité de l'ordre de M.

 21   Mrksic exigeait de M. Sljivancanin qu'il le fit. La Chambre d'appel

 22   considère que dans certaines circonstances un officier peut avoir

 23   l'obligation et le devoir, dans les limites de ses possibilités d'action,

 24   d'outrepasser son autorité de jure pour faire échec à un ordre illégal.

 25   La Chambre d'appel considère en outre que M. Sljivancanin aurait pu

 26   tenter de convaincre M. Mrksic d'annuler l'ordre de retrait. Si ses

 27   tentatives pour convaincre M. Mrksic avaient échoué, il aurait été possible

 28   à M. Sljivancanin, lorsqu'il a téléphoné à Belgrade pour parler au général

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  1   Vasiljevic, de demander l'aide du général pour cette question.

  2   La Chambre d'appel considère que si M. Sljivancanin avait réussi à obtenir

  3   le retour de la police militaire à Ovcara, le meurtre des prisonniers de

  4   guerre aurait été substantiellement moins probable. La Chambre d'appel

  5   conclut que le fait que M. Sljivancanin n'ait pas agi selon son devoir en

  6   vertu des lois et coutumes de la guerre a contribué de façon importante au

  7   meurtre des prisonniers de guerre.

  8   Pour le motif qui précède, la Chambre d'appel conclut, le Juge Pocar et le

  9   Juge Vaz, étant d'une opinion dissidente, que toutes les conditions

 10   nécessaires pour reconnaître qu'une personne est coupable d'avoir aidé et

 11   encouragé par omission à commettre un meurtre sont réunies. Elle est

 12   convaincue, au-delà de tout doute raisonnable, que l'Accusation a démontré

 13   que lorsqu'on tient compte des erreurs commises par la Chambre de première

 14   instance, tout doute raisonnable concernant la culpabilité de M.

 15   Sljivancanin a été dissipé.

 16   J'en viens maintenant aux appels interjetés au sujet du prononcé de

 17   l'appel.

 18   Dans son onzième moyen d'appel, M. Mrksic fait valoir que la Chambre de

 19   première instance a mal apprécié les questions des circonstances

 20   aggravantes et atténuantes que les lois de l'ex-Yougoslavie, concernant la

 21   répression des personnes reconnues coupables d'infractions de ce genre, ne

 22   pouvaient jamais faire état de personnes qui auraient encouragé à commettre

 23   des crimes, mais ne pouvaient viser que les auteurs de ces crimes. Par

 24   conséquent, la peine qui lui a été infligée était "trop sévère et injuste."

 25   La Chambre d'appel rejette les griefs que M. Mrksic formule quant à la

 26   précession par la Chambre de première instance des circonstances

 27   aggravantes et des circonstances atténuantes et elle constate en outre que

 28   M. Mrksic n'a pas identifié d'erreur manifeste concernant l'examen par la

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  1   Chambre de première instance de la pratique générale en matière de peine

  2   infligée dans l'ex-Yougoslavie. Partant, le onzième moyen d'appel de M.

  3   Mrksic est rejeté dans son intégralité.

  4   Dans son quatrième moyen d'appel, l'Accusation soutient que la Chambre de

  5   première instance a soumis une erreur en infligeant à M. Mrksic une peine

  6   manifestement insuffisante, un poids insuffisant ayant été donné au rôle et

  7   à la responsabilité de M. Mrksic ainsi qu'à la gravité de ses crimes, à

  8   savoir d'avoir aidé et encouragé à faire subir des tortures et des

  9   traitements cruels à environ 200 prisonniers détenus à Ovcara et à avoir

 10   encouragé et aidé à commettre le meurtre de 194 d'entre eux. Par

 11   conséquent, l'Accusation demande que la peine infligée à M. Mrksic soit

 12   revue et soit plus lourde.     

 13   En ce qui concerne le rôle et la responsabilité de M. Mrksic, la Chambre

 14   d'appel conclut que la Chambre de première instance a dûment examiné sa

 15   situation et son rôle, à la fois pour ce qui est de la manière dont il a

 16   contribué à la commission des crimes en question et pour ce qui est

 17   d'apprécier si son comportement en tant qu'officier pourrait être considéré

 18   comme une circonstance atténuante. Les arguments de l'Accusation sont ainsi

 19   rejetés.

 20   Quant aux arguments de l'Accusation qui reprochent à la Chambre de première

 21   instance d'avoir attribué un poids insuffisant à la "gravité objective" des

 22   crimes dont il s'agit, la Chambre d'appel souligne que l'examen de la

 23   gravité des infractions implique, en plus de l'examen de la gravité du

 24   comportement de l'accusé, d'examiner la gravité des crimes qui sont à la

 25   base du procès, mais que la gravité du crime ne vise pas la "gravité

 26   objective" d'un crime. S'agissant de l'argument de l'Accusation selon

 27   lequel la Chambre de première instance a commis une erreur en ne prenant

 28   pas en considération que des cas comparables concernant des tueries de

Page 345

  1   masse, mais pas de cas de tortures ou de traitements cruels, la Chambre

  2   d'appel rappelle qu'en l'espèce la Chambre de première instance a constaté,

  3   je cite :

  4   "Qu'aucune autre affaire portée devant le Tribunal ne concernait les mêmes

  5   crimes ou des crimes commis dans des circonstances très similaires."

  6   Partant, la Chambre ne s'est pas appuyée sur des décisions antérieures en

  7   matière de peine prononcée et a évoqué l'obligation, pour elle, d'adapter

  8   sa peine qu'elle prononcera pour s'adapter aux circonstances spécifiques de

  9   l'espèce. La Chambre d'appel constate que l'Accusation ne démontre pas que

 10   la Chambre de première instance n'ait pas tenu compte d'un précédent

 11   comparable. La Chambre d'appel observe aussi que la Chambre de première

 12   instance savait quelles étaient ses obligations en vertu de l'article 24(2)

 13   du Statut, de tenir compte de la gravité du crime lorsqu'elle aurait dû

 14   décider de la peine à infliger. Le Jugement de première instance abonde en

 15   conclusions détaillées qui portent sur la gravité des crimes en question,

 16   qui comportent les sévices infligés à Ovcara et qui ont précédé les

 17   exécutions d'au moins 194 des prisonniers et leur ensevelissement dans une

 18   fosse commune.

 19   La Chambre de première instance a rappelé ses conclusions et elle a

 20   tenu compte de la reconnaissance de la culpabilité de M. Mrksic pour

 21   meurtres, tortures et traitements cruels dans son appréciation de la

 22   gravité des crimes. La Chambre d'appel souligne que le jugement rendu en

 23   première instance doit être lu dans son ensemble. La Chambre de première

 24   instance mentionne les crimes en question dans la partie qui concerne le

 25   prononcé de la peine et développe en détail ses conclusions dans le corps

 26   du Jugement de première instance en évoquant les conditions affreuses dans

 27   lesquelles les prisonniers de guerre ont été gardés pendant tout l'après-

 28   midi dont il s'agit. La nature des sévices auxquels ils ont été soumis et

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  1   la manière dont 194 d'entre eux ont été assassinés indiquant ainsi qu'elle

  2   a bien tenu compte de la gravité des crimes commis lorsqu'elle est parvenue

  3   à la phase consacrée au prononcé de la peine. Mais la Chambre d'appel n'est

  4   pas à même de déterminer comment la Chambre de première instance a apprécié

  5   les conséquences des tortures pour les victimes et leurs familles et si

  6   elle s'était penchée sur la vulnérabilité particulière des prisonniers et

  7   dans quelles mesures. Néanmoins, la Chambre d'appel constate que la Chambre

  8   de première instance a dû manquer d'exercer, comme il convenait, de son

  9   pouvoir discrétionnaire d'appréciation. En conséquence, l'Accusation n'a

 10   pas démontré que la Chambre de première instance ait commis une erreur

 11   manifeste dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation en prononçant une

 12   peine qui ne rend pas compte de la gravité des crimes que M. Mrksic a aidé

 13   et encouragé à commettre.

 14   A la lumière de ce qui précède, la Chambre d'appel rejette intégralement le

 15   quatrième moyen invoqué par l'Accusation.

 16   J'en viens maintenant à l'appel concernant la peine infligée à

 17   Veselin Sljivancanin.

 18   Monsieur Sljivancanin soutient dans son sixième moyen d'appel que la

 19   Chambre de première instance s'est fourvoyée lorsqu'en appréciant son rôle

 20   et sa responsabilité en ce qui concerne les tortures infligées aux

 21   prisonniers de guerre à Ovcara, elle a conclu que les prisonniers de guerre

 22   se trouvaient sous sa responsabilité immédiate; qu'elle a commis une erreur

 23   lorsqu'elle a examiné comment il aurait pu empêcher des représentants de la

 24   communauté internationale d'avoir accès à l'hôpital le 20 novembre 1991

 25   comme circonstance aggravante; qu'elle a commis une erreur en ne tenant pas

 26   compte de ses antécédents et de son comportement favorable comme

 27   circonstances atténuantes; et qu'elle n'a pas tenu compte, comme il

 28   convenait, de la pratique pour le prononcé des peines en Ex-Yougoslavie.

Page 347

  1   En ce qui concerne la conclusion de la Chambre de première instance

  2   selon laquelle les prisonniers de guerre se trouvaient sous la

  3   responsabilité immédiate de M. Sljivancanin, la Chambre d'appel estime que

  4   M. Sljivancanin n'a pas démontré que l'emploi de la Chambre de première

  5   instance des mots "responsabilité immédiate" soit incompatible avec ses

  6   précédentes conclusions concernant ses responsabilités pour les prisonniers

  7   de guerre à Ovcara. Ses arguments sont donc rejetés.

  8   S'agissant du rôle joué par M. Sljivancanin lors de l'accès de

  9   l'hôpital à ces représentants internationaux, le 20 novembre 1991 la

 10   Chambre de première instance [comme interprété] a considéré qu'il n'était

 11   pas clair que la Chambre de première instance ait pris en considération ce

 12   facteur comme étant une circonstance aggravante. La Chambre d'appel n'est,

 13   par conséquent, pas convaincue que la Chambre de première instance ait

 14   commis une erreur manifeste en exerçant son pouvoir d'appréciation. Par

 15   conséquent, les arguments de M. Sljivancanin sont rejetés.

 16   En ce qui concerne l'argument de M. Sljivancanin selon lequel la

 17   Chambre de première instance a commis une erreur en ne prenant pas en

 18   considération sa bonne conduite et sa bonne attitude comme circonstances

 19   atténuantes, la Chambre d'appel observe que la Chambre de première instance

 20   a examiné les éléments de preuve concernant sa moralité lorsqu'elle a

 21   décidé de la peine. En conséquence, aucune présentation n'a été faite

 22   concernant la peine prononcée. Par conséquent, les arguments sont rejetés.

 23   La Chambre d'appel rejette aussi les griefs que M. Sljivancanin a

 24   fait valoir concernant l'examen par la Chambre de première instance de la

 25   pratique générale suivie en Ex-Yougoslavie.

 26   A la lumière de ce qui précède, le sixième moyen d'appel de M.

 27   Sljivancanin est rejeté dans son intégralité.

 28   L'Accusation soutient dans le troisième moyen qu'elle invoque que la

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  1   peine de cinq ans de prison infligée à M. Sljivancanin par la Chambre de

  2   première instance est manifestement insuffisante, parce qu'on a pas accordé

  3   assez de poids au rôle et à la responsabilité de M. Sljivancanin et que

  4   l'on a pas accordé assez de poids à la "gravité objective" des crimes.

  5   L'Accusation fait aussi valoir qu'une peine de cinq ans n'a pas de valeur

  6   dissuasive pour les individus qui se trouveront dans une situation

  7   similaire à l'avenir. Elle demande que la peine infligée à M. Sljivancanin

  8   soit revue dans une fourchette allant de 15 à 25 ans de prison.

  9   S'agissant du rôle et de la responsabilité de M. Sljivancanin, la

 10   Chambre d'appel note que la Chambre de première instance a dûment pris en

 11   compte la façon dont le rôle et la responsabilité de M. Sljivancanin ont

 12   contribué à la commission de traitement cruel et de torture infligés à des

 13   prisonniers de guerre. La Chambre d'appel observe en outre qu'en examinant

 14   son rôle et ses responsabilités pour le prononcé de la peine, la Chambre de

 15   première instance a pris soin de rappeler ses conclusions concernant

 16   l'étendue exacte de la responsabilité de M. Sljivancanin.

 17   Eu égard à la gravité des tortures et traitements cruels infligés aux

 18   prisonniers, deux crimes inscrits dans l'acte d'accusation, la Chambre

 19   d'appel relève d'abord que la Chambre de première instance n'a fourni aucun

 20   détail dans la partie de son jugement consacrée à la peine sur l'aspect

 21   massif ou la violence caractérisant ces crimes. Toutefois, le texte de

 22   jugement abonde du début à la fin de constatations attestant de l'horreur

 23   des tortures et de la cruauté des traitements infligés aux prisonniers de

 24   guerre. La Chambre de première instance a constaté que les passages à tabac

 25   ont provoqué d'importantes douleurs et de grandes souffrances et que les

 26   conditions de détention à Ovcara, notamment le climat de terreur et la

 27   constante menace de violence qui y régnaient, ont été la cause de graves

 28   souffrances physiques et mentales. A cet égard, la Chambre d'appel relève

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  1   que la durée prolongée de souffrances physiques, psychologiques et

  2   émotionnelles infligées à des victimes directes est pertinente pour

  3   déterminer la gravité des crimes.

  4   La Chambre d'appel relève que la Chambre de première instance a déclaré

  5   savoir que l'effet multiforme des crimes sur les victimes et leurs familles

  6   pouvaient être pris en compte pour en apprécier pleinement la gravité. La

  7   Chambre de première instance a notamment relevé ce qui suit : "En l'espèce,

  8   les victimes des crimes ont toutes été tuées le jour en question à

  9   l'exception d'un tout petit nombre d'entre elles qui ont subi des

 10   traitements cruels et des tortures. Ces actes ont entraîné des conséquences

 11   terribles. De nombreuses personnes ont perdu leurs proches et pour la

 12   plupart d'entre elles, l'incertitude quant au sort des victimes ajoute à

 13   leur douleur."

 14   Dans la partie de son jugement consacré à la peine, la Chambre de première

 15   instance n'a pas précisément évoqué la vulnérabilité des prisonniers de

 16   guerre au moment où les actes ont été commis ou l'effet que ces actes ont

 17   eu sur ces derniers, bien que des constatations relatives à ces deux

 18   aspects figure dans le corps du jugement. La Chambre d'appel relève que

 19   dans ces considérations au sujet de l'effet multiforme des crimes sur les

 20   victimes et leurs familles, qui figurent au paragraphe I du jugement dont

 21   je viens de donner lecture, la Chambre de première instance s'est

 22   concentrée sur le fait que la plupart des victimes ont été tuées après

 23   avoir subi des tortures. Dans la partie du jugement consacré à la peine, la

 24   Chambre de première instance n'a pas explicitement traité des conséquences

 25   de la torture en tant que telles sur les victimes ou leurs familles. M.

 26   Sljivancanin, ayant été condamné au seul motif qu'il a aidé et encouragé à

 27   commettre des actes de torture, l'effet multiforme des tortures sur les

 28   victimes et leurs familles. Comment la Chambre de première instance l'a

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  1   apprécié pour déterminer la peine ne ressort pas clairement de la lecture

  2   du jugement.

  3   Si la Chambre d'appel reconnaît que le Jugement en première instance,

  4   lu dans son ensemble, renferme de nombreuses constatations indiquant que le

  5   meurtre des prisonniers de guerre a privé leurs proches d'êtres chers et

  6   que dans pratiquement tous les cas l'angoisse et la souffrance provoquées

  7   par cette tragédie ont été aggravées par l'incertitude quant au sort des

  8   victimes. La Chambre d'appel est dans l'incapacité de déterminer comment la

  9   Chambre de première instance a apprécié le poids des tortures infligées aux

 10   victimes et à leurs familles; voire si ou dans quelle mesure elle a pris en

 11   compte l'aspect particulier de la vulnérabilité des prisonniers pour

 12   déterminer la peine à infliger à M. Sljivancanin. Une extrême cruauté et

 13   une extrême violence à l'égard des prisonniers de guerre, dont certains

 14   étaient peut-être déjà blessés puisqu'ils ont été extraits de l'hôpital de

 15   Vukovar, ont caractérisé les crimes en question. Ces personnes étaient

 16   protégées au titre du droit international humanitaire en raison de leur

 17   statut et de leur vulnérabilité particulière.   

 18   Au vu de ce qui précède, la Chambre d'appel constate la présence d'une

 19   erreur manifeste dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dévolu à la

 20   Chambre de première instance pour déterminer la peine. Si la Chambre de

 21   première instance n'a commis aucune erreur dans ses conclusions factuelles,

 22   la Chambre d'appel, après avoir examiné les conclusions de la Chambre de

 23   première instance au sujet de la gravité des crimes, notamment les

 24   conséquences des tortures sur les victimes et leurs familles, l'aspect

 25   particulier de la vulnérabilité des prisonniers et le très grand nombre des

 26   victimes, considère que la peine de cinq ans de réclusion criminelle est si

 27   déraisonnable qu'il est permis d'en déduire que la Chambre de première

 28   instance n'a sans doute pas convenablement exercé son pouvoir

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  1   discrétionnaire. La Chambre d'appel considère, par conséquent, qu'une peine

  2   de cinq années de réclusion criminelle ne rend pas convenablement compte de

  3   la gravité des crimes commis par M. Sljivancanin.

  4   Enfin, eu égard à l'argument de l'Accusation selon lequel la peine

  5   prononcée contre M. Sljivancanin devrait indiquer aux personnes au pouvoir

  6   qu'elles seront dûment sanctionnées si elles ne s'acquittent pas de leurs

  7   responsabilités, la Chambre d'appel considère que même si la Chambre de

  8   première instance n'a pas précisément cité la dissuasion dans les critères

  9   pris en compte par elle pour déterminer la peine à infliger à M.

 10   Sljivancanin, il est permis de penser qu'elle en a tenu compte au moment de

 11   se prononcer sur ce point, puisqu'elle avait déjà évoqué la dissuasion

 12   comme étant en général, "un des premiers objectifs de la détermination

 13   d'une peine."

 14   Je vais à présent donner lecture intégrale du dispositif de l'arrêt de la

 15   Chambre d'appel.

 16   Je demande à M. Mrksic et à M. Sljivancanin de bien vouloir se lever.

 17   Par ces motifs, la Chambre d'appel, en vertu de l'article 25 du Statut et

 18   des articles 117 et 118 du Règlement;

 19   Vu les écritures respectives des parties et leurs exposés présentés

 20   aux audiences en appel du 21 et 23 janvier 2009;

 21   Siégeant en audience publique;

 22   Accueille le premier moyen d'appel présenté par l'Accusation, pour

 23   autant qu'il soutient que la Chambre de première instance a commis une

 24   erreur de droit en concluant qu'aux fins de l'article 5 du Statut pour

 25   qu'il y ait crime contre l'humanité, les victimes doivent être des civils;

 26   rejette en partie le premier moyen invoqué en appel pour le surplus à tout

 27   égard; confirme les acquittements de Veselin Sljivancanin et Mile Mrksic au

 28   regard de l'article 5 du Statut.

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  1   Accueille, à la majorité des voix, le deuxième moyen d'appel de

  2   l'Accusation;

  3    Annule l'acquittement de Veselin Sljivancanin pour ce qui est du chef

  4   d'Accusation 4 de l'Accusation, Mme le Juge Vaz étant d'une opinion

  5   dissidente; conclut en vertu de l'article 3 et de l'article 7(1) du Statut,

  6   le Juge Pocar et le Juge Vaz étant d'une opinion dissidente, que Veselin

  7   Sljivancanin est coupable du chef 4 de l'acte d'accusation, d'avoir aidé et

  8   encouragé à commettre le meurtre de 194 personnes dont l'identité est

  9   donnée dans l'annexe au Jugement de première instance;

 10   Accueille en partie le troisième moyen de l'Accusation, dans la mesure où

 11   une peine de cinq années d'emprisonnement ne reflète pas, comme il

 12   convient, le niveau de gravité des crimes commis par Veselin Sljivancanin;

 13   Rejette pour le surplus l'appel interjeté par l'Accusation;

 14   Rejette l'appel interjeté par Mile Mrksic dans son intégralité;

 15   Confirme les déclarations de culpabilité de Mile Mrksic au titre des chefs

 16   4, 7 et 8 de l'acte d'accusation;

 17   Rejette l'appel interjeté par Veselin Sljivancanin dans son intégralité;

 18   Confirme la peine au point 7 de l'acte d'accusation;

 19   Confirme la peine de 20 années d'emprisonnement prononcée contre Mile

 20   Mrksic, le temps passé déjà en détention étant à réduire de la durée totale

 21   de la peine, en application de l'article 101(C) du Règlement;

 22   Annule la peine de cinq ans d'emprisonnement prononcée par la Chambre

 23   de première instance contre Veselin Sljivancanin et, à la majorité des

 24   voix, le Juge Pocar et le Juge Vaz étant d'une opinion dissidente, impose

 25   une peine de 17 ans d'emprisonnement, le temps passé en détention étant à

 26   déduire de la durée totale de la peine en vertu de l'article 101(C) du

 27   Règlement;

 28   Ordonne, conformément aux dispositions de l'article 103(C) et de

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  1   l'article 107 du Règlement, que Mile Mrksic et Veselin Sljivancanin restent

  2   sous la garde du Tribunal international jusqu'à ce que soient arrêtées les

  3   dispositions nécessaires pour leur transfert vers l'Etat dans lequel ils

  4   purgeront leurs peines.    

  5   Le Juge Fausto Pocar joint à l'arrêt une opinion partiellement dissidente.

  6   Le Juge Andresia Vaz joint à l'arrêt une opinion partiellement dissidente.

  7   Monsieur Mrksic et Monsieur Sljivancanin, vous pouvez vous asseoir.

  8   Je prie maintenant le greffier de bien vouloir remettre des exemplaires de

  9   l'arrêt aux parties à la présente affaire.

 10   Je déclare close l'audience de la Chambre d'appel du Tribunal pénal

 11   international.

 12   --- L'audience de Jugement en appel est levée à 15 heures 26.

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