DEVANT TROIS JUGES DE LA CHAMBRE DAPPEL
Devant : M. le Juge Antonio Cassese, Président
M. le Juge Haopei Li
M. le Juge Jules Deschênes
Assistés de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 15 octobre 1996
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"
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DECISION RELATIVE A LA DEMANDE DAUTORISATION
DINTERJETER APPEL (MISE EN LIBERTE PROVISOIRE)
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Le Bureau du Procureur :
M. Eric Ostberg
Mme Teresa McHenry
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, représentant Zejnil Delalic
I
LA DEMANDE DAUTORISATION DINTERJETER APPEL
1. En introduisant une demande dautorisation dinterjeter appel datée du 8 octobre 1996 et déposée ce même jour au Greffe, laccusé Zejnil Delalic souhaite introduire un recours contre la Décision rendue le 25 septembre 1996 par la Chambre de première instance II concernant la Requête en mise en liberté provisoire de laccusé Zejnil Delalic.
2. La demande dautorisation dinterjeter appel a été introduite en vertu de larticle 72(B)(ii) du Règlement, lequel dispose :
"(B) La Chambre se prononce sur les exceptions préjudicielles in limine litis. Les décisions ainsi rendues ne sont pas susceptibles dappel, sauf
(..)
(ii) dans les autres cas, lorsque lautorisation dappeler est accordée par trois Juges de la Chambre dappel, pour autant que le requérant ait démontré lexistence de motifs sérieux dans les sept jours de la décision entreprise."
3. En vertu de ces dispositions ci-avant, le Requérant sollicite lautorisation dinterjeter appel aux fins de contester la Décision du 25 septembre 1996 pour les motifs suivants:
i) erreur de fait; et
ii) erreur de droit.
4. En ce qui concerne la contestation de lerreur de fait, le Requérant invoque le fait que la Chambre de première instance na pas apprécié à leur juste mesure les raisons exposées dans les conclusions écrites et les exposés oraux à propos de la notion de "circonstances exceptionnelles" qui justifieraient la mise en liberté provisoire de la manière décrite à larticle 65(B) du Règlement de procédure et de preuve. Ledit article 65(B) se lit comme suit :
"(B) La mise en liberté provisoire ne peut être ordonnée par la Chambre de première instance que dans des circonstances exceptionnelles, après avoir entendu le pays hôte, et pour autant quelle ait la certitude que laccusé comparaîtra et, sil est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne."
5. Sagissant de ces "circonstances exceptionnelles", le Requérant affirme avoir démontré sans ambiguïté quil ne contrôlait pas le camp de Celebici et quil nexerçait aucune fonction de supérieur hiérarchique en sa qualité de coordonnateur. Le Requérant soutient par ailleurs que la Chambre de première instance na pas tenu compte de divers témoignages tendant à prouver quil ne détenait aucun pouvoir de commandement. Le Requérant considère quil sagit là de "circonstances exceptionnelles" qui justifieraient sa mise en liberté provisoire.
6. A lappui de son argumentation, le Requérant précise que tout maintien en détention nest légal que sil se fonde sur des "soupçons raisonnables" et quà cet égard, les dépositions présentées par la Défense font apparaître que pareils soupçons sont inexistants.
7. Le Requérant aborde ensuite la question du "risque de fuite". A ce sujet, il affirme que la Chambre de première instance a fait erreur en concluant quil ne se représenterait plus devant le Tribunal sil était mis en liberté provisoire. Le Requérant poursuit en expliquant les raisons pour lesquelles il avait conservé de faux documents didentité.
8. De surcroît, le Requérant fait valoir que sil était libéré, il ne présenterait aucun danger pour des victimes, des témoins ou dautres personnes.
9. Sagissant enfin de la deuxième contestation, relative à lerreur de droit, le Requérant déclare que la Chambre de première instance a erronément appliqué la réglementation relative aux conditions de détention. Le Requérant invoque à cet égard le droit de ne pas être placé en détention dune manière générale; le droit de nêtre maintenu en détention que pour une durée minimale et le droit dêtre éventuellement mis en liberté lorsque la peine de mort nest pas envisagée.
II
LES ARGUMENTS DU PROCUREUR
10. Dans sa Réponse datée du 11 octobre 1996, le Procureur affirme que le Requérant na pas démontré lexistence de "motifs sérieux" et que la demande dautorisation dinterjeter appel doit donc être rejetée. Le Procureur soutient que "la question de la mise en liberté provisoire relève du seul pouvoir dappréciation de la Chambre de première instance et ne peut être examinée sans que la démonstration soit faite dun abus de ce pouvoir dappréciation ou de lapplication illégale dun principe juridique". Le Requérant naurait pas fait cette démonstration. Le Procureur souligne que la demande porte sur des éléments de fait qui nont, pour la plupart, aucun rapport avec la question de la mise en liberté provisoire aux termes de larticle 65 du Règlement de procédure et de preuve, mais qui touchent à la question de la culpabilité ou de linnocence, sur laquelle il est par essence statué à lissue du procès proprement dit.
III
LE CHAMP DAPPLICATION DE LARTICLE 72(B)(II)
11. Cet article du Règlement vient de trouver application en cette affaire dans le cadre de la Décision du 14 octobre 1996, par laquelle les présents Juges ont refusé lautorisation dinterjeter appel de la Décision de la Chambre de première instance rejetant lexception préjudicielle soulevée par laccusé aux fins de disjonction dinstances. Comme les trois Juges lont fait remarquer, trois critères doivent être simultanément réunis chaque fois quune demande dautorisation dinterjeter appel est introduite en vertu de larticle 72(B)(ii) du Règlement :
1) La demande concerne-t-elle lune des matières visées à larticle 73(A)(ii), (iii), (iv) ou (v) ?
2) La demande est-elle futile, vexatoire, manifestement dénuée de tout fondement, destinée à abuser de la procédure du Tribunal ou tellement vague et imprécise quelle ne saurait être sérieusement prise en considération ?
3) La demande fait-elle la démonstration de motifs sérieux ? En dautres termes, démontre-t-elle lexistence dune erreur grave susceptible de causer un préjudice important à laccusé ou de nuire à lintérêt de la justice, ou soulève-t-elle des questions non seulement dimportance générale, mais qui exercent également une influence directe sur le développement futur de la procédure, dans la mesure où larrêt de la Chambre dappel exercerait un impact considérable sur la future procédure devant la Chambre de première instance ?
IV
DISCUSSION
12. Il ressort clairement de lapplication du premier de ces trois critères que la demande par laquelle Delalic sollicite sa mise en liberté provisoire en vertu de larticle 65 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal ne concerne aucune des matières couvertes par larticle 73(A)(ii), (iii), (iv) ou (v). Elle ne peut donc, par aucun effort dimagination, être considérée comme relevant de la compétence de la Chambre dappel, dans la mesure où celle-ci peut être saisie dappels de jugements interlocutoires.
13. Il est vrai que cette demande a été introduite en même temps que deux autres requêtes réunissant les critères relatifs aux exceptions préjudicielles visées aux articles 72 et 73 du Règlement : une exception préjudicielle aux fins de disjonction dinstances et une exception préjudicielle fondée sur des vices de forme de lacte daccusation. Cependant, pareille coïncidence ne transforme pas la demande de mise en liberté provisoire en une exception préjudicielle telle que visée aux articles 72 et 73. Certes, elle a été introduite en début de procédure, mais cela nen fait pas pour autant une "exception préjudicielle" aux termes du Règlement. En effet, ce type de requête peut être déposée à nimporte quel stade de la procédure. Toutefois, elle nentre pas dans le champ dapplication des articles 72 et 73 et nest pas assortie par essence dun droit dinterjeter appel.
14. Comme le précise la Décision du 14 octobre susmentionnée, les trois conditions requises pour que lautorisation dinterjeter appel soit accordée en vertu de larticle 72(B)(ii) doivent être simultanément réunies. La première de ces conditions nétant pas remplie, la demande doit être rejetée. Cependant, il nest pas inintéressant de remarquer que la demande de laccusé aurait également été déclarée irrecevable sur la base du troisième critère. Les motifs invoqués par laccusé à lappui de sa demande dautorisation dinterjeter appel sont, pour lessentiel, identiques à ceux quil avait fait valoir dans sa requête en mise en liberté provisoire et doivent être examinés par la Chambre de première instance. Il na été fait mention daucune autre raison importante de nature à porter atteinte à la Décision de la Chambre de première instance et qui pourrait en lespèce être qualifiée de "motif sérieux".
15. La demande ne remplit donc pas les critères requis pour que la Chambre dappel puisse être saisie dun appel interlocutoire.
V
DISPOSITIF
Les trois Juges de la Chambre dappel,
Statuant à lunanimité,
Vu les motifs ci-avant exposés,
Vu larticle 72(B)(ii) du Règlement de procédure et de preuve,
REJETTENT la demande introduite par laccusé Delalic, par laquelle celui-ci sollicite lautorisation dinterjeter appel de la Décision du 25 septembre 1996 rejetant sa requête en mise en liberté provisoire.
Fait en anglais et en français, les deux versions faisant également foi.
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Antonio Cassese
Président
Fait le quinze octobre 1996
A La Haye,
Pays-Bas
[Sceau du Tribunal]