LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit : Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald, Président
M. le Juge Ninian Stephen
M. le Juge Lal C. Vohrah
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 24 octobre 1996
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias « PAVO »
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias « ZENGA »
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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L'ACCUSÉ HAZIM DELIC
AUX FINS DE MISE EN LIBERTÉ PROVISOIRE
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Le Bureau du Procureur :
M. Eric Ostberg
Mme Teresa McHenry
Le Conseil de la Défense :
M. Salih Karabdic, représentant Hazim Delic
I. INTRODUCTION ET CONTEXTE PROCÉDURAL
L'accusé Hazim Delic est actuellement détenu en vertu dune Ordonnance de placement en détention préventive datée du 18 juin 1996. La présente Chambre de première instance du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international") est saisie de la requête en mise en liberté provisoire (la "Requête") déposée au nom de l'accusé le 20 août 1996. Le 5 septembre 1996, le Bureau du Procureur ("l'Accusation") a déposé sa réponse (la "Réponse"), ainsi quune demande de dépôt tardif. Celle-ci a été favorablement accueillie par la Chambre de première instance le 6 septembre 1996. Les débats relatifs à la Requête se sont tenus à laudience du 1er octobre 1996 ("lAudience").
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE,
VU les conclusions écrites et entendu les exposés des parties,
STATUE EN CES TERMES
II. EXAMEN
A. Dispositions applicables
1. La présente Décision examine la Requête de l'accusé conformément à l'article 65 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le "Règlement"). Cet article dispose :
Article 65
A) Une fois détenu, l'accusé ne peut être mis en liberté provisoire que sur ordonnance d'une Chambre de première instance.
B) La mise en liberté provisoire ne peut être ordonnée par la Chambre de première instance que dans des circonstances exceptionnelles, après avoir entendu le pays hôte, et pour autant qu'elle ait la certitude que l'accusé comparaîtra et, s'il est libéré, ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne.
C) La Chambre de première instance peut subordonner la mise en liberté provisoire aux conditions qu'elle juge appropriées, y compris la mise en place d'un cautionnement et, le cas échéant, l'observation des conditions nécessaires pour garantir la présence de l'accusé au procès et la protection d'autrui.
D) Si besoin est, la Chambre de première instance peut délivrer un mandat d'arrêt pour garantir la comparution d'un accusé précédemment mis en liberté provisoire ou en liberté pour toute autre raison.
2. Comme il a été mentionné dans la récente Décision de la Chambre de première instance relative à la mise en liberté provisoire du coaccusé Zejnil Delalic, le paragraphe B) de l'article 65 établit les critères qui doivent être réunis pour qu'une Chambre de première instance puisse ordonner la mise en liberté provisoire d'un accusé dans lattente du procès. Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Décision relative à la requête de laccusé Delalic aux fins de mise en liberté provisoire, Affaire n° IT-96-21-T, Chambre de première instance II, 25 septembre 1996, p. 3 (la "Décision Delalic"). Ces critères sont au nombre de quatre, trois critères de fond et un critère de procédure. Ils forment un tout et la charge de la preuve incombe à la Défense. Par conséquent, la Défense doit établir quil existe des circonstances exceptionnelles, que l'accusé se présentera à son procès et que, sil est libéré, il ne mettra pas en danger une victime, un témoin ou toute autre personne. De surcroît, le pays hôte doit être entendu. Si l'une quelconque de ces conditions n'est pas remplie, la Chambre de première instance ne peut accorder la mise en liberté provisoire et l'accusé doit être maintenu en détention.
3. Le pays hôte a clairement fait connaître sa position concernant la mise en liberté provisoire du coaccusé Zejnil Delalic dans une lettre en date du 18 juillet 1996 envoyée au Greffier du Tribunal international. Il a déclaré dans ce document qu'il appartenait au Tribunal international de décider du caractère opportun dune mise en liberté provisoire et que le pays hôte devait se limiter à présenter des commentaires sur les conséquences pratiques de cette libération. Celles-ci comprennent notamment lobligation faite à laccusé de solliciter un permis de séjour pour demeurer aux Pays-Bas dans lattente de son procès. Dossier officiel du Greffe ("DG"), p. D781. Rien nindique que le pays hôte ait été entendu à propos de la mise en liberté provisoire du présent accusé.
B. Arguments
1. La Défense
a. Circonstances exceptionnelles
4. Dans sa Requête, la Défense allègue lexistence de circonstances exceptionnelles dues au fait que laccusé est séparé de sa famille depuis 1992 et que ses deux jeunes enfants ont besoin du soutien de leurs parents. DG1112. Elle fait également observer que le maintien en détention de laccusé pourrait donner lieu à "des dommages considérables et des conséquences imprévues", sans toutefois indiquer de quels dommages ou de quelles conséquences il pourrait sagir. DG1111.
5. A laudience, la Défense a complété cet argument en affirmant que le critère des circonstances exceptionnelles ne devrait pas être appliqué et quil faudrait lui substituer des normes générales du droit international. Compte rendu provisoire des débats ("CR"), p.4. À cet égard, la Défense cite larticle 9.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ("PIDCP"), lequel dispose : "La détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de règle, mais la mise en liberté peut être subordonnée à des garanties assurant la comparution de lintéressé à laudience (...)". La Défense invoque également larticle 5.3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales ("CEDH"), qui garantit à toute personne arrêtée ou détenue "le droit dêtre jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure". La Défense conclut donc que la présomption de détention contenue à larticle 65 du Règlement est contraire aux "normes générales en matière de droits de lhomme" applicables aux personnes mises en accusation par le Tribunal international. Par conséquent, il ny a pas lieu dappliquer le critère de la démonstration de circonstances exceptionnelles pour ordonner la mise en liberté provisoire. CR5. La Défense fait également valoir cet argument pour contester la pertinence de lavis du pays hôte quant au fait quil convient dapprécier lopportunité dune libération provisoire, et affirme au contraire que la mise en liberté est un droit de lhomme et ne peut donc pas dépendre de la bonne volonté dun Etat. CR6.
6. Dautres arguments ont également été présentés à laudience. Ils concernent notamment les lésions corporelles de laccusé, qui pourraient exiger une intervention chirurgicale, ladministration de narcotiques dans le cadre du traitement de ces lésions (CR7), la maladie dont souffre la mère de laccusé (id.) et la nécessité que laccusé soit présent aux côtés de sa famille pour laider à reprendre une vie normale après le "cataclysme effroyable" quelle a connu durant la guerre (CR6-7).
b. Risque de fuite
7. La Défense allègue quil ny a aucun risque de fuite, étant donné que laccusé sest volontairement livré aux autorités de la République de Bosnie-Herzégovine, ce qui démontre quil na nullement lintention de séchapper du Tribunal international. DG1112, CR8. De plus, la Défense fait remarquer que les autorités de la République de Bosnie-Herzégovine ont garanti que si laccusé venait à être libéré, il se représenterait devant le Tribunal international. DG1112. La Défense a produit une copie de cette garantie. DG1499. La Défense soutient que sil était libéré, laccusé résiderait à Orahovica, près de Konjic. Elle ajoute cependant que si le Tribunal lexigeait, laccusé serait disposé à résider dans un pays autre que la République de Bosnie-Herzégovine, comme les Pays-Bas, après avoir été remis en liberté. DG1112.
8. A laudience, la Défense a exprimé lavis quen raison de la présomption dinnocence, la charge de la preuve concernant le risque de fuite incombe non pas à la Défense, mais à lAccusation. CR8. Selon la Défense, la confirmation dun acte daccusation néquivaut pas à un verdict de culpabilité. Par conséquent, le Procureur ne peut exiger de la Défense quelle apporte la preuve que laccusé ne séchappera pas. Il revient plutôt à lAccusation de démontrer quil existe des raisons de penser que laccusé a lintention de senfuir. Id.
c. Danger pour des victimes, des témoins ou toute autre personne
9. Dans sa Requête, la Défense a affirmé que laccusé ignore où résident les témoins et les parents de ceux-ci et quil ne présente donc aucun danger pour des victimes, des témoins ou dautres personnes. Cet argument na pas été développé à laudience.
2. L'Accusation
a. Circonstances exceptionnelles
10. Dans sa Réponse, lAccusation fait valoir que selon les instruments internationaux pertinents, tels que le PIDCP, la CEDH et la Convention américaine des droits de lhomme, il est de règle quun accusé ne soit pas détenu dans lattente de son procès. LAccusation ajoute cependant que le droit dêtre libéré nest pas un droit absolu et que les tribunaux sont habilités à ordonner le maintien en détention lorsque celui-ci est justifié. DGD1263. A lappui de son affirmation, lAccusation invoque larticle 9.1 du PIDCP, lequel dispose : "(1) Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire lobjet dune arrestation ou dune détention arbitraires. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce nest pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi". Selon lAccusation, le droit international admet donc la détention préventive pour autant que des motifs impératifs lexigent et que la procédure prévue par la loi soit respectée. LAccusation affirme que ces deux critères sont réunis en lespèce.
11. LAccusation affirme sêtre conformée à la procédure légale pour placer laccusé en détention. En effet, elle a présenté un acte daccusation et des pièces justificatives à un Juge du Tribunal international pour confirmation. Sagissant des "motifs impératifs", lAccusation soutient que "les motifs justifiant la détention sont évidents", mais ajoute quils ont été clairement énoncés dans lOrdonnance du 21 mars portant confirmation de lacte daccusation à lencontre de laccusé et de ses trois coaccusés ("lActe daccusation"), dans laquelle le Juge Jorda a fait observer "quil résulte du dossier que les conditions prévalant au camp de Celebici étaient inhumaines; que des détenus ont été tués ou torturés; que certains ont fait lobjet de sévices sexuels, ont été battus et, de façon générale, que les détenus étaient assujettis à un traitement cruel et inhumain". DG280, cité à D1263.
12. LAccusation insiste ensuite quil est légitime dexiger la démonstration de circonstances exceptionnelles justifiant la mise en liberté. Elle fait observer que larticle 65 du Règlement a pour objet déviter que laccusé ne soit trop facilement remis en liberté
au regard de la gravité des crimes relevant de la compétence du Tribunal [ international] [ ] ; des dangers extrêmes que courent les personnes qui ont été touchées par des conflits armés intenses, plus spécialement les victimes et les témoins; du risque très net que des accusés ne senfuient pour éviter de purger de longues peines demprisonnement; de la relative facilité, vu les circonstances, avec laquelle un accusé pourrait senfuir et disparaître [ ] ; des difficultés évidentes quentraînerait la nécessité de localiser, darrêter et de transférer une seconde fois un accusé; et de labsence de dispositions autorisant la poursuite de la procédure en labsence de laccusé.
DG1262-1261. Pour étayer ses affirmations, lAccusation renvoie à la décision rendue par la Chambre de première instance I dans laffaire Le Procureur c/ Tihomir Blaskic. Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Décision portant rejet dune demande de mise en liberté provisoire, affaire N° IT-95-14-T, Chambre de première instance I, 25 avril 1996 (la "Décision Blaskic").
13. LAccusation allègue ensuite que la Défense na pas fait la démonstration des circonstances exceptionnelles requises. Selon elle, la séparation de laccusé davec sa famille nest pas une circonstance exceptionnelle, dans la mesure où nimporte quel détenu est susceptible de se trouver dans cette situation. DG1261. A lappui de cet argument, lAccusation invoque linterprétation donnée par la Chambre de première instance I aux termes "circonstances exceptionnelles" dans la Décision Blaskic. Il y est affirmé que la mise en liberté provisoire ne peut être ordonnée "que dans des cas très rares, dans lesquels la situation de laccusé, en raison notamment de son état de santé, est incompatible avec toute forme de détention". Décision Blaskic, p. 3
14. A laudience, lAccusation a répondu aux arguments complémentaires avancés par la Défense. En ce qui concerne la durée de la détention de laccusé, lAccusation fait observer que si laccusé est maintenu en détention depuis 1994, cest suite à une précédente condamnation en Bosnie-Herzégovine, pour laquelle il a finalement bénéficié dune amnistie, et non suite à des poursuites engagées par le Tribunal international. CR10. En ce qui concerne les préoccupations liées à létat de santé de laccusé, lAccusation a fait remarquer que cétait la première fois quon lui signalait lexistence de ce problème et que si la Défense avait lintention de maintenir cet argument, elle devait prendre contact avec le Greffe en vue dobtenir un rapport écrit émanant dun docteur en médecine habilité pour ce faire. CR11.
b. Risque de fuite
15. Dans sa Réponse, lAccusation fait valoir que les risques de fuite sont considérables. Elle souligne quaucune garantie na été offerte concernant le fait que laccusé se tiendrait à la disposition du Tribunal international, et quil a seulement été affirmé en termes généraux que la Bosnie-Herzégovine garantirait son retour. A laudience, après que la garantie de la Bosnie-Herzégovine a été présentée, lAccusation a réitéré sa position selon laquelle aucune mesure pratique spécifique na été proposée. Elle a également affirmé que, bien quelle soit reconnaissante à la Bosnie-Herzégovine dapporter son concours et quelle ne souhaite nullement insulter ce Gouvernement, il apparaît que les autorités de la République de Bosnie-Herzégovine nexécuteront leur obligation légale de transférer laccusé que si elles peuvent trouver celui-ci à son domicile. Aucune garantie na été donnée quant à la manière dont la Bosnie-Herzégovine ou le Tribunal international pourraient être assurés que laccusé demeurera effectivement à son domicile. CR12. LAccusation a également fait valoir que plusieurs questions demeurent en suspens quant à la capacité de la Bosnie-Herzégovine de transférer laccusé, et que la situation sest compliquée suite à la mise en place de nouvelles structures politiques après la signature de lAccord de paix de Dayton et les récentes élections dans la région. Id. Enfin, lAccusation insiste sur le fait que les autorités ont été incapables darrêter le coaccusé Zejnil Delalic en Bosnie-Herzégovine dune part, et dexécuter leur propre mandat darrêt délivré en 1992 à lencontre de laccusé dautre part. DG D1260. LAccusation demande donc quavant daccepter ladite garantie, un représentant de la République de Bosnie-Herzégovine soit entendu en audience publique. CR12.
16. En ce qui concerne la proposition faite par laccusé de rester aux Pays-Bas après son éventuelle libération, lAccusation a fait observer que le gouvernement néerlandais na pas été entendu à ce propos, mais quil avait indiqué en relation avec le coaccusé Zejnil Delalic que ce dernier devait demander un permis de séjour pour demeurer aux Pays-Bas. LAccusation affirme quil nest donc pas certain quaprès sa libération, laccusé puisse rester aux Pays-Bas dans lattente de son procès.
17. Dans sa Réponse, lAccusation conteste laffirmation de la Défense selon laquelle il ny a aucun risque de fuite parce que laccusé sest volontairement livré aux autorités bosniaques. LAccusation soutient que ce risque est bien réel. En effet, si laccusé sest volontairement livré aux autorités de la République de Bosnie-Herzégovine immédiatement après que la police lui a adressé une sommation orale, il ne la fait que six semaines après la signification de lacte daccusation et du mandat darrêt aux autorités bosniaques. DG D1259. Par ailleurs, devant la Cour Suprême de Bosnie-Herzégovine, laccusé sest opposé à son transfert au Tribunal international, affirmant quil nétait pas la personne désignée dans lacte daccusation et le mandat darrêt. DGD1258. Selon lAccusation, ces facteurs permettent de douter que laccusé soit disposé à assumer "ses responsabilités envers le Tribunal (international)". DGD1258. LAccusation a également fait mention dautres facteurs augmentant le risque de fuite, tels que la longueur de la peine demprisonnement qui pourrait être infligée en cas de condamnation de laccusé, et la relative facilité avec laquelle un accusé pourrait senfuir et ne plus jamais réapparaître. Id.
c. Danger pour des victimes, des témoins et dautres personnes
18. LAccusation affirme éprouver de sérieuses inquiétudes à lidée que laccusé puisse entrer en contact avec des victimes, des témoins et dautres personnes. Selon lAccusation, les autorités de la République de Bosnie-Herzégovine ne sont pas en mesure de garantir que laccusé nimportunerait pas des victimes, des témoins et dautres personnes intéressées sil était remis en liberté. DGD1258. A lappui de cette allégation, lAccusation a insisté sur la condamnation pour meurtre de laccusé prononcée en 1994 par un tribunal militaire de Bosnie-Herzégovine. DGD1258-1257. Une copie de ce jugement, ainsi que de larrêt de la Cour suprême de Bosnie-Herzégovine confirmant celui-ci, a été produite. DGD1256-1233. LAccusation précise également que lacte daccusation fait état de la participation personnelle de laccusé à de nombreux actes horribles et rappelle quil envisage de retourner à lendroit où ces événements se seraient produits. Enfin, lAccusation fait observer que le seul fait de savoir que laccusé pourrait entrer directement ou indirectement en contact avec des témoins, pourrait facilement troubler ceux-ci et les décourager de témoigner dans cette affaire et dans dautres. DGD1257.
C. Conclusions
19. La Chambre de première instance conclut que la Défense n'a pas rempli les conditions de la mise en liberté provisoire de l'accusé. Chacune des trois conditions est examinée ci-après, bien que le fait de ne pas remplir une seule des conditions suffise pour que la Chambre de première instance refuse d'accorder la mise en liberté provisoire. Il convient de noter que si les préoccupations dordre médical que laccusé a fait valoir à laudience sont justifiées et si une intervention chirurgicale est requise, laccusé est en droit, conformément à larticle 31 du Règlement portant régime de détention des personnes en attente de jugement ou dappel devant le Tribunal ou détenues sur lordre du Tribunal, dobtenir son transfert dans un hôpital civil. Dans ce cas, cependant, laccusé nest pas remis en liberté, mais demeure sous lautorité et le contrôle du Tribunal international.
1. Circonstances exceptionnelles
20. L'article 65 B) exige que pour pouvoir bénéficier de la mise en liberté provisoire, l'accusé doit démontrer l'existence de circonstances exceptionnelles. Comme il est indiqué dans la Décision Delalic, bien que les instruments internationaux considèrent, de façon générale, que la détention préventive ne doit pas être la règle, le transfert de la charge de la preuve à l'accusé et la condition qu'il démontre des circonstances exceptionnelles pour pouvoir bénéficier de la mise en liberté provisoire sont justifiés par la gravité extrême des crimes mis à la charge des personnes traduites devant le Tribunal international et par les circonstances uniques en leur genre dans le cadre desquelles ce dernier opère. Décision Delalic, p. 12. En tant que tel, largument avancé à laudience par la Défense, selon lequel le critère des conditions exceptionnelles ne doit pas être appliqué parce quil est contraire à lapproche adoptée par les instruments internationaux, nest pas convaincant.
21. Dans la Décision Delalic, la Chambre de première instance a examiné les facteurs permettant de déterminer si un accusé a démontré lexistence de circonstances exceptionnelles. A cet égard, la Chambre de première instance a affirmé quelle "s'efforce de déterminer s'il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'il a commis le ou les crimes qui lui sont reprochés, son rôle présumé dans le ou les dits crimes et la durée de sa détention." Décision Delalic, p.13. Les paramètres de ces trois facteurs sont également examinés dans cette Décision. Id p.13-17.
22. Lexamen de ces facteurs en lespèce permet à la Chambre de première instance de constater que la Défense na pas établi lexistence de circonstances exceptionnelles. Tout dabord, comme il est énoncé à la p. 13 de la Décision Delalic, il existe des raisons plausibles de soupçonner que laccusé a commis les crimes qui lui sont reprochés. Le Juge chargé de la confirmation a considéré que lacte daccusation et les pièces justificatives permettaient de "soutenir raisonnablement" que laccusé a commis les crimes présumés, comme le prescrit larticle 47(A) du Règlement, et la Défense na produit aucune pièce tendant à contester ces éléments de preuve.
23. Ensuite, en ce qui concerne le rôle joué par laccusé dans les crimes présumés, laccusé est poursuivi tant au regard de sa responsabilité de supérieur hiérarchique que de sa responsabilité individuelle dans de nombreuses violations graves du droit international humanitaire décrites dans lacte daccusation, notamment des meurtres, des actes de torture et des viols. Par conséquent, si ces responsabilités sont établies, cela signifie que laccusé aura joué un rôle significatif dans les crimes mis à charge.
24. Enfin, bien que laccusé ait été séparé de sa famille durant une grande partie des quatre dernières années, cette situation résulte essentiellement de ses activités militaires et de la peine demprisonnement quil a purgée suite à sa condamnation pour meurtre en Bosnie-Herzégovine. Laccusé est maintenu en détention par le Tribunal international depuis moins de quatre mois seulement. Eu égard aux circonstances, cette détention ne semble pas exagérément longue. Par conséquent, sur la base des facteurs énoncés dans la Décision Delalic, aucune circonstance exceptionnelle na été démontrée.
2. Risque de fuite
25. La Défense na pas non plus établi labsence dun risque de fuite. Comme il a été expliqué plus haut, et de manière plus détaillée dans la Décision Delalic, il revient à la Défense dapporter la preuve que les conditions sont réunies pour ordonner la mise en liberté provisoire. Par conséquent, laffirmation de la Défense selon laquelle il incombe à lAccusation de démontrer lexistence dun risque de fuite est rejetée.
26. Largument le plus convaincant avancé par la Défense pour démontrer quil nexiste pas de risque de fuite est la garantie donnée par la République de Bosnie-Herzégovine. Cependant, comme il a déjà été mentionné dans la Décision Delalic, bien que le Tribunal international apprécie à sa juste mesure la coopération des autorités bosniaques et ne doute pas quelles sefforceront au mieux de leur possibilités de faciliter le retour de laccusé au Tribunal international si celui-ci est mis en liberté, les difficultés rencontrées dans lexécution de cette obligation sont considérables. Les autres arguments avancés par la Défense, concernant notamment le fait que laccusé sest volontairement livré aux autorités, ne suffisent pas pour établir que laccusé se représenterait à son procès sil était mis en liberté. Sont pertinents à cet égard le fait que laccusé sest opposé à son transfert au Tribunal international en soutenant quil nétait pas la personne désignée dans lacte daccusation et le mandat darrêt, et la longueur de la peine demprisonnement susceptible dêtre infligée à laccusé si celui-ci est condamné pour les crimes qui lui sont reprochés.
3. Danger pour les victimes, les témoins ou toute autre personne
27. Bien que, comme il a déjà été affirmé dans la Décision Delalic, la présente Chambre de première instance ne pense pas que toute personne accusée d'un crime devant le Tribunal international présentera, si elle est libérée, un danger pour des victimes, des témoins ou d'autres personnes, l'article 65 B) impute à la Défense la charge de démontrer l'absence de ces facteurs. En vertu de ce critère, la Défense na pas démontré quen cas de libération, laccusé ne mettra pas en danger des victimes, des témoins ou dautres personnes. Cette constatation est étayée par le fait que laccusé souhaite, après sa libération, retourner à lendroit où les crimes auraient été commis. De plus, laccusé a déjà été condamné pour meurtre, et il est donc plus susceptible que dautres accusés dexercer, par sa seule présence à proximité des victimes et des témoins, un impact important sur ces personnes et sur leur désir de coopérer avec le Tribunal international. Largument de la Défense selon lequel laccusé ignore où se trouvent les témoins ou les parents de ceux-ci ne suffit pas pour dissiper ces inquiétudes.
4. Consultation du pays hôte
28. Compte tenu des constatations ci-avant, le fait que le pays hôte nait pas été consulté en relation avec le présent accusé naffecte ni la décision de la Chambre de première instance.
III. DISPOSITIF
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE,
VU la Requête déposée par la Défense et
VU larticle 65 du Règlement de procédure et de preuve,
REJETTE la Requête de la Défense en mise en liberté provisoire.
Fait en anglais et en français, la version anglaise faisant foi.
Le Président de la Chambre
(signé)
_________________________
Gabrielle Kirk McDonald
Le vingt-quatre octore 1996
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]