LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE

Composée comme suit : M. le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte, Président

Mme le Juge Elizabeth Odio Benito

M. le Juge Saad Saood Jan

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le : 5 juin 1997

 

LE PROCUREUR

C/

ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"

_____________________________________________________________

DECISION RELATIVE A LA REQUETE DE L'ACCUSATION
AUX FINS D'EXPURGER LE DOSSIER
OUVERT AU PUBLIC

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Eric Ostberg
M. Giuliano Turone
Mme Teresa McHenry
Mme Elles van Dusschoten

Le Conseil de la Défense :

Mme Edina Residovic, M. Ekrem Galijatovic, M. Eugene O’Sullivan, représentant Zejnil Delalic
M. Zeljko Olujic, M. Michael Greaves, représentant Zdravko Mucic
M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, représentant Hazim Delic
M. John Ackerman, Mme Cynthia McMurrey, représentant Esad Landzo

 

I. INTRODUCTION

La présente Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international") est saisie d'une Requête aux fins d'expurger le dossier ouvert au public, déposée par le Bureau du Procureur (l'"Accusation") le 19 mars 1997 (Répertoire général du Greffe ("RG"), page D3133-D3132) (la "Requête").

Le 25 mars 1997, les Conseils de la Défense représentant les quatre accusés, Zejnil Delalic, Zradvko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo, (la "Défense") ont déposé conjointement une Réponse relative à la Requête du Procureur aux fins d'expurger le témoignage de Grozdana Cecez (la "Réponse") (RG D3178-D3168). L'Accusation a déposé le 27 mars 1997 une Réplique à la Réponse de la Défense relative à la Requête du Procureur aux fins d'expurger le témoignage de Grozdanaz (sic) Cecez (la "Réplique") (RG D3189-D3187). Le 15 avril 1997, l'Accusation et la Défense (les "Parties") ont présenté leurs exposés devant la Chambre de première instance réunie à huis clos.

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE, AYANT EXAMINE les conclusions écrites et entendu les exposés des Parties,

STATUE COMME SUIT.

 

 

II. EXPOSE GENERAL

A. Contexte

1. Le procès des quatre accusés s'est ouvert le 10 mars 1997. Mme Grozdana Cecez a comparu devant cette Chambre de première instance en qualité de témoin à charge (le "Témoin") les 17 et 18 mars 1997. Son témoignage a porté sur les Chefs 18 et 19 de l'Acte d'accusation visant les quatre accusés. Ces chefs exposent en détail des actes présumés, prohibés par le Statut du Tribunal international (le "Statut"), y compris le viol et la torture du Témoin.

2. Lors d'une audience à huis clos le 18 mars 1997, au cours de son interrogatoire par l'Accusation, le Témoin a déclaré que, durant sa détention au camp de Celebici, elle avait en sa possession des pilules anticonceptionnelles. Par la suite, durant son contre-interrogatoire en audience publique, le Conseil de la Défense représentant Hazim Delic, M. Thomas Moran, a demandé au Témoin si elle avait été enceinte. Mme Teresa McHenry, au nom de l'Accusation, a fait opposition à la question et la Chambre de première instance a accédé à cette opposition. M. Moran a ensuite demandé au Témoin si on lui avait ou non prescrit des pilules anticonceptionnelles. A ce moment, le Témoin a déclaré qu'elle avait subi un avortement au début d'avril 1992.

3. Le passage pertinent du compte-rendu de l'audience est libellé comme suit :

(M. MORAN) : Vous êtes tombée enceinte fin mars 1992, n'est-ce pas ?

MME MCHENRY : Opposition, M. le Président, pour manque de pertinence.

M. MORAN : M. le Président, si je peux continuer, je pense que je peux démontrer le lien.

JUGE KARIBI-WHYTE : Opposition retenue.

(...)

M. MORAN : Merci, M. le Président. Madame, voulez-vous que je répète la question ? Avez-vous besoin que je la répète ? Madame, seriez-vous surprise d'apprendre que votre médecin a déclaré que vous êtes venue le consulter vers la fin avril - excusez-moi - le début avril ou la fin mars 1992 et que, à cette époque, il ne vous a pas prescrit de pilules anticonceptionnelles et que, en fait, il vous a déclaré qu'en raison de votre âge il vous recommanderait un type de contraceptif différent ?

(MME CECEZ) : J'étais enceinte cette année. Je n'avais pas suffisamment de ces médicaments, de sorte que je ne les ai pas utilisés pendant un certain temps et je suis tombée enceinte. Je pense qu'il s'appelait Sejo. Je l'ai vu pour un examen. Il m'a dit que le résultat était positif et que j'étais enceinte. Je suis rentrée chez moi et nous avons discuté avec mon mari de ce que nous devrions faire. Il a déclaré que je devrais subir un avortement. Je suis allée voir Sejo. Il allait m'envoyer à Sarajevo mais la situation y était déjà tendue. Je n'osais pas y aller. Il m'a alors dit de venir le voir et j'ai eu cet avortement le 1er avril je crois. Puis je suis rentrée et j'ai trouvé ces pilules. J'en ai achetée cinq petites boîtes dans une pharmacie et j'ai continué de les utiliser. C'est exact. J'ai eu un avortement le 1er avril.

(M. MORAN) : Madame, ma question ne concernait pas un avortement le 1er avril. Elle était de savoir si vous seriez surprise si ...

(MME. CECEZ) : Je sais ce qui m'est arrivé.

(M. MORAN) : En fait, votre médecin vous a dit qu'il serait préférable d'utiliser quelque autre forme de contraceptif en raison de votre âge, n'est-ce pas ?

(MME CECEZ) : Il n'a rien dit à ce moment là. Il a seulement pratiqué l'avortement. Je suis rentrée chez moi. Je me suis reposée un jour ou deux puis j'ai repris le travail. Il a peut-être dit quelque chose mais je ne m'en souviens pas. Mais il est vrai que j'avais déjà utilisé ces pilules auparavant et qu'on pouvait les acheter sans ordonnance.

4. Le 19 mars 1997, le lendemain du témoignage du Témoin, l'Accusation a déposé la Requête. La Requête indique que c'est à la demande du Témoin que l'Accusation implore la Chambre de première instance d'expurger la déclaration relative à son avortement des dossiers du Tribunal international ouverts au public.

5. Les audiences du Tribunal international sont publiques. Elles sont retransmises par télévision à la galerie réservée au public dans le prétoire, dans la salle réservée à la presse et en d'autres endroits dans l'enceinte du Tribunal international. Conformément à une Ordonnance de la Chambre de première instance (Ordonnance relative à la Requête du Procureur aux fins de retarder la diffusion de la transcription et des enregistrements vidéo et audio des débats, datée du 1er octobre 1996), un mécanisme permet un décalage de trente minutes dans la retransmission de l'audience à chaque écran autres que ceux se trouvant dans la galerie du public. Ce mécanisme opère de telle façon que si, durant une audience publique, un témoin ou l'un quelconque des participants à l'instance, divulgue par accident des informations confidentielles, une partie peut demander que ces informations soient expurgées afin qu'elles ne figurent pas dans la diffusion ultérieure au public.

B. Arguments

L'Accusation

6. L'Accusation a saisi la Chambre de première instance de la Requête en application des articles 75 et 96 du Règlement de procédure et de preuve (le "Règlement").

7. L'Accusation soutient que la Chambre de première instance est tenue d'assurer la protection des victimes et des témoins et de protéger leur vie privée. Elle avance que l'information relative à l'avortement du Témoin est de caractère privé et que, de ce fait, le Témoin a le droit de demander qu'elle soit expurgée par la Chambre de première instance dans l'exercice de son pouvoir de protection de la vie privée des victimes et des témoins en conformité à l'article 75.

8. De surcroît, l'Accusation requiert une ordonnance de la Chambre de première instance en vue d'expurger toutes les références à l'avortement du Témoin des compte rendus et enregistrements vidéo ultérieurs relatifs à l'audience du 18 mars 1997 où figure le témoignage de celui-ci.

9. De plus, l'Accusation affirme que l'information devrait être expurgée parce qu'elle est irrecevable en vertu de l'article 96 du Règlement. L'article 96 iv) dispose que, en matière de violences sexuelles, le comportement sexuel antérieur de la victime ne peut être invoqué comme moyen de défense.

10. L'Accusation déclare que la Défense a, indûment, soulevé la question de la prescription de contraceptifs au témoin. Selon l'Accusation, l'interrogatoire du Témoin à propos de sa grossesse et des pilules anticonceptionnelles lui ont fait croire qu'elle était interrogée sur son avortement, ce qui a provoqué sa réponse. L'information n'a donc pas été fournie volontairement. De plus, l'Accusation soutient que cet interrogatoire de la Défense est irrégulier en vertu de l'article 75 C) du Règlement.

11. L'Accusation admet que la requête est inopportune puisque l'information a déjà été diffusée par la voie du système d'information publique du Tribunal international décrit plus haut. Cependant, elle estime que les faits relatifs à l'avortement n'ont pas été l'objet d'une diffusion étendue et elle demande, par conséquent, que l'accès futur du public à cette information soit limité quand les compte rendus seront consultés.

12. En outre, dans sa Réplique, l'Accusation affirme que la suppression de cette information ne nuira pas à la crédibilité ou à l'équité de l'instance dont est saisie la Chambre de première instance. Au contraire, le fait de permettre à l'information de demeurer dans le dossier peut engendrer une sentiment d'insensibilité et d'iniquité envers les témoins, en particulier les victimes de violences sexuelles.

13. Lors de la présentation des exposés, l'Accusation a soutenu que la Chambre de première instance est habilitée à rendre une telle ordonnance aux fins d'expurger des informations et que, en fait, elle l'a fait en de nombreuses occasions.

La Défense

14. La Défense s'oppose à la Requête en se fondant sur cinq motifs principaux.

15. Premièrement, la Défense affirme que le Témoin a abandonné toute protection de sa vie privée quand il a communiqué volontairement l'information qui, comme l'indique le dossier, a été donnée sans qu'une question spécifique soit posée sur ce point.

16. Deuxièmement, le témoignage du Témoin a été donné en audience publique et a, par conséquent, été diffusé au monde entier. Ainsi, le fait que le Témoin a subi un avortement a perdu son caractère privé lorsqu'elle y a fait référence en audience publique. La Défense soutient qu'une ordonnance de la Chambre de première instance aux fins d'expurger l'information serait tout à fait inutile. En outre, durant la présentation des exposés, le Conseil représentant Zejnil Delalic a indiqué que l'information a été publiée dans des journaux en Serbie.

17. Troisièmement, bien que la Chambre de première instance puisse, en application de l'article 75 B) du Règlement, assigner des pseudonymes aux témoins, supprimer les informations permettant de les identifier, ordonner la non-divulgation de renseignements d'identification et/ou ordonner que l'audition des témoins ait lieu en utilisant des mécanismes d'altération de l'image et de la voix, cet article ne l'habilite pas à expurger des informations publiques des dossiers du Tribunal ouverts au public. De plus, l'Accusation n'a demandé aucune mesure de protection en faveur du Témoin et, durant son témoignage public, le Témoin a déclaré qu'il ne souhaitait pas faire l'objet de mesures de protection. La Défense avance que l'absence d'une demande de mesures de protection par le Témoin avant sa comparution devant la Chambre exclut la possibilité d'une requête aux fins d'expurger partie de son témoignage.

18. Quatrièmement, la Défense argue que la perception de la justice par le public peut être affectée si la Chambre de première instance ordonne que soient expurgées des informations qui ont été diffusées dans le public. La Défense avance que l'équité des actions du Tribunal international ne doit pas être limitée au prétoire à La Haye mais doit s'étendre à toutes les personnes intéressées par la justice. Le Tribunal établirait un précédent malheureux en permettant à des témoins qui témoignent de modifier leurs déclarations à tout moment. Le public doit être parfaitement informé de ce que se passe au Tribunal international et l'intérêt du public doit être respecté. Durant les exposés, le Conseil représentant l'accusé Esad Landzo a affirmé que, à son avis, l'information divulguée en audience publique devrait toujours être maintenue à moins que, dans l'intérêt de la justice, un motif valable justifie qu'elle soit supprimée. En l'espèce, argue le Conseil, ce motif valable est absent.

19. Cinquièmement, la Réponse déclare que l'avortement était une intervention médicale légale aux termes de la législation de l'ex-Yougoslavie à l'époque pertinente pour les événements en l'espèce. Les Conseils représentant les accusés Zdravko Mucic et Hazim Delic ont, durant les exposés, avancé que l'article 96 iv) ne s'applique pas à la présente affaire parce que le comportement sexuel antérieur implique une activité sexuelle et qu'un avortement est une intervention médicale. M. Greaves, pour le compte de l'accusé Zdravko Mucic, a déclaré dans ses conclusions que "un avortement est une opération très spéciale et très importante pour une femme".

20. De plus, les Conseils représentant les accusés Zdravko Mucic et Hazim Delic ont expressément déclaré que l'information relative à l'avortement du Témoin n'est pas pertinente pour leur défense.

III. ANALYSE

21. La Chambre de première instance examine ci-après tour à tour chacun des deux motifs avancés par l'Accusation pour fonder sa requête. Le premier est le devoir positif de la Chambre de première instance de protéger la vie privée des témoins. Le second est que l'information dont on demande la suppression n'est pas pertinente et ne devrait pas faire partie du dossier.

Protection de la vie privée

22. L'article 20 1) et 4) du Statut du Tribunal international est libellé comme suit :

1. La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l'instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l'accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée.

(...)

4. Les audiences sont publiques à moins que la Chambre de première instance décide de les tenir à huis clos conformément à ses règles de procédure et de preuve.

23. Les audiences du Tribunal international sont, en principe, publiques. Le droit de chaque accusé à un procès public est un principe fondamental de la justice et un droit de l'homme fondamental de chaque accusé. En conformité au Statut, ce droit doit être pesé par rapport à la protection des victimes et des témoins. La nécessité de protéger les victimes et les témoins, en particulier dans les cas de viols et de violences sexuelles, est soulignée dans le Rapport du Secrétaire général établi conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité (Document des Nations Unies S/25704, 3 mai 1993) (le "Rapport").

24. Les juges du Tribunal international, exerçant le pouvoir que leur confère l'article 15 du Statut, ont rédigé et adopté le Règlement de procédure et de preuve qui régit leurs audiences et maintient les prémisses fondamentales de la justice internationale adaptées aux conditions et circonstances spécifiques dans lesquelles le Tribunal international opère.

 

25. Le Règlement renferme des dispositions spécifiques qui énoncent le droit d'un accusé à un procès public. L'article 78 illustre ce principe en stipulant que "Sauf disposition contraire, la procédure devant une Chambre de première instance est publique, à l'exception du délibéré". En outre, l'article 81 du Règlement intitulé "Enregistrement des débats et conservation des preuves" confère au Greffier du Tribunal international l'établissement et la conservation d'un "compte rendu intégral de tous les débats". Ce compte rendu comprend des transcriptions et des enregistrements sonores. Si elle le juge nécessaire, la Chambre de première instance peut également ordonner un enregistrement vidéo des débats.

26. Sous réserve des dispositions des Directives pour le Greffe, Services d'appui judiciaire (IT-121), l'accès du public aux dossiers du Tribunal international est autorisé dans le but d'encourager son intérêt dans les affaires dont cette instance est saisie. Il est, de ce fait, évident que ses juges imputent une importance considérable à la nécessité d'assurer une justice publique et transparente.

27. Cependant, la presse et le public peuvent être exclus de tout ou partie des audiences quand la Chambre de première instance considère que l'exigent l'ordre public, les bonnes moeurs, la sécurité et la protection d'une victime ou d'un témoin ou pour éviter la divulgation de son identité et en considération de l'intérêt de la justice, en application de l'article 79. Dans ces cas, la Chambre de première instance peut tenir des audiences à huis clos. Ces audiences visent, notamment, à encourager et faciliter le témoignage de témoins vulnérables. Quand le public et les médias sont exclus des audiences, l'accès aux dossiers de ces audiences est limité aux parties et à la Chambre de première instance. La divulgation des dossiers des audiences à huis clos ne peut être ordonnée par une Chambre de première instance que lorsque les raisons de leur confidentialité ont disparu.

28. Ainsi, la protection des victimes et des témoins permet de s'écarter du principe général de la tenue d'audiences publiques. Comme l'a précisé la présente Chambre de première instance dans des décisions antérieures (Voir le Procureur c. Delalic et consorts, Décision relative aux requêtes de l'Accusation aux fins d'obtention de mesures de protection pour les témoins à charge "B" à "M", 28 avril 1997), l'équilibre entre ces deux intérêts fondamentaux doit être évalué dans le contexte des circonstances de chaque espèce.

29. L'article 75 est libellé comme suit :

Article 75

Mesures destinées à assurer la protection des victimes et des témoins

A) Un juge ou une Chambre peut, de sa propre initiative ou à la demande d'une des parties ou de la victime ou du témoin intéressé, ou de la Division d'aide aux victimes et aux témoins, ordonner des mesures appropriées pour protéger la vie privée et la sécurité de victimes ou de témoins, à condition toutefois que lesdites mesures ne portent pas atteinte aux droits de l'accusé.

B) Une Chambre peut tenir une audience à huis clos pour déterminer s'il y a lieu d'ordonner notamment :

i) des mesures de nature à empêcher la divulgation au public ou aux médias de l'identité d'une victime ou d'un témoin, d'une personne qui leur est apparentée ou associée ou du lieu où ils se trouvent, telles que :

a) la suppression, dans les dossiers du Tribunal, du nom de l'intéressé et des indications permettant de l'identifier,

b) l'interdiction de l'accès du public à toute pièce du dossier identifiant la victime,

c) lors des témoignages, l'utilisation de moyens techniques permettant l'altération de l'image ou de la voix ou l'usage d'un circuit de télévision fermé, et

d) l'emploi d'un pseudonyme;

ii) la tenue d'audiences à huis clos conformément à l'article 79 ci-après;

iii) les mesures appropriées en vue de faciliter le témoignage d'une victime ou d'un témoin vulnérable, par exemple au moyen d'un circuit de télévision fermé unidirectionnel.

C) La Chambre assure le cas échéant le contrôle du déroulement des interrogatoires aux fins d'éviter toute forme de harcèlement ou d'intimidation.

30. En principe, le but recherché de l'article 75 était de protéger des témoins potentiels en assurant les protections nécessaires pour faciliter et encourager leur comparution devant le Tribunal international. Cela n'empêche pas, cependant, qu'à diverses étapes de l'action, des victimes et des témoins peuvent demander à la Chambre de première instance de leur accorder la protection nécessaire. Les motifs sur lesquels se fondent les demandes de mesures de protection des victimes et des témoins diffèrent au fur et à mesure que l'instance se déroule.

31. La Chambre de première instance, en application de l'article 75 du Règlement, peut ordonner un large éventail de mesures visant à protéger des victimes et des témoins, y compris, sans toutefois s'y limiter, la protection de leur vie privé. Ces mesures, qui doivent, à tout moment, être compatibles avec les droits de l'accusé, couvrent la non-divulgation au public et aux médias de l'identité et de l'adresse de la victime, du témoin ou de sa famille, soit par l'emploi d'un pseudonyme, la suppression des noms et des renseignements permettant de les identifier des dossiers de l'instance ouverts au public, ou par tout autre moyen que la Chambre de première instance peut juger approprié pour assurer la protection du témoin et de la victime. La Chambre de première instance se penche maintenant sur la question de savoir si la requête présentée par l'Accusation tombe dans le champ des mesures que la Chambre peut employer pour protéger un témoin ou une victime en conformité à l'article 75 du Règlement.

32. L'Accusation soutient que le Témoin a le droit de demander la suppression de l'information relative à son avortement parce qu'il s'agit d'une question strictement privée. La Défense, a contrario, affirme que le Témoin a renoncé à la protection de sa vie privée quand il a décidé de ne pas requérir de mesures de protection et, en conséquence, donné son témoignage en audience publique. De surcroît, la Défense avance que l'article 75 du Règlement ne confère à la Chambre de première instance le pouvoir d'ordonner la suppression d'informations que lorsqu'elles se rapportent à des renseignements permettant d'identifier le témoin ou la victime.

33. En conformité à l'article 75 du Règlement, une Chambre de première instance peut ordonner de supprimer des dossiers les informations relatives aux noms ou des indications permettant d'identifier un témoin à qui la protection a été accordée. Il en sera ainsi, par exemple, dans le cas d'une divulgation accidentelle de renseignements relatifs à l'identité d'un témoin protégé Dans ce cas particulier, la raison d'être prévue à l'article 75 du Règlement pour la suppression de l'information est que celle-ci n'aurait, en tout état de cause, jamais du faire partie du dossier du Tribunal. Il convient de noter que dans un tel cas, l'information est expurgée du dossier du Tribunal international ouvert au public mais demeure dans le dossier confidentiel. Ce dossier confidentiel ne doit pas et ne peut pas être divulgué au public, à moins qu'il en soit ordonné ainsi par la Chambre de première instance conformément à l'article 81 du Règlement.

34. La Chambre de première instance est d'avis que l'article 75 du Règlement ne prescrit qu'un seul exemple du large pouvoir fondamental dont une cour est dotée pour expurger des informations. Il est indéniable que la Chambre de première instance a, comme toute autre juridiction pénale, le pouvoir de supprimer des informations du dossier lorsqu'elle le juge nécessaire pour assurer une bonne administration de la justice.

35. Dans la présente espèce, l'information relative à l'avortement du Témoin a franchi le seuil de la vie privée et elle est tombée dans le domaine public quand elle a été mentionnée durant l'audience publique. Par conséquent, l'ordonnance sollicitée par l'Accusation sur la base de l'article 75 du Règlement ne remplirait pas son objectif, à savoir protéger les informations relative à la vie privée de leur divulgation au public.

36. La Chambre de première instance observe que la requête de l'Accusation vise à empêcher l'accès futur du public à ladite information parce que sa diffusion a été limitée. Cependant, cet argument ignore le fond de la question. Fondamentalement, l'information a été rendue publique. S'il est évident que les sentiments du Témoin ont été blessés par la divulgation publique de l'information, la Chambre de première instance ne peut pas ordinairement transformer un fait public en un fait privé au moyen d'une simple ordonnance.

37. Une ordonnance aux fins d'expurger l'information fondée sur des motifs de protection de la vie privée n'aurait aucune raison d'être et son efficacité serait inutile. Le témoignage du Témoin a été diffusé dans le public le jour même de son audition, par l'intermédiaire du réseau de télévision du Tribunal international. De surcroît, des membres du public étaient présents durant son témoignage dans la galerie qui leur est réservée dans le prétoire. De ce fait, l'article 75 du Règlement n'est pas applicable pour résoudre cette question.

 

Recevabilité

38. La demande présentée dans la Requête doit être examinée sous l'angle d'autres dispositions du Règlement. L'Accusation soulève la question de la pertinence de l'information relative à l'avortement du Témoin en l'espèce. L'Accusation avance que l'information est irrecevable en vertu de l'article 96 iv) du Règlement.

39. L'article 96 intitulé "Administration des preuves en matière de violences sexuelles" prévoit à son paragraphe iv) que, dans le cas de violences sexuelles, le comportement sexuel antérieur de la victime ne peut pas être invoqué comme moyen de défense.

40. L'article 89 du Règlement confère à la Chambre de première instance un large pouvoir discrétionnaire quant à la nature et au type des éléments de preuve qu'elle peut recevoir. L'article 89 est libellé comme suit :

Article 89

Dispositions générales

A) En matière de preuve, les règles énoncées dans la présente section s'appliquent à toute procédure devant les Chambres. La Chambre saisie n'est pas liée par les règles de droit interne régissant l'administration de la preuve.

B) Dans les cas où le Règlement est muet, la Chambre applique les règles d'administration de la preuve propres à parvenir, dans l'esprit du Statut et des principes généraux du droit, à un règlement équitable de la cause.

C) La Chambre peut recevoir tout élément de preuve pertinent qu'elle estime avoir valeur probante.

D) La Chambre peut exclure tout élément de preuve dont la valeur probante est largement inférieure à l'exigence d'un procès équitable.

E) La Chambre peut demander à vérifier l'authenticité de tout élément de preuve obtenu hors audience.

41. La nécessité d'une règle souple en matière de recevabilité des éléments de preuve a été soulignée par plusieurs gouvernements dans leurs recommandations au Secrétaire général des Nations Unies pour l'adoption de règles de procédure et de preuve (voir, par exemple, Mission permanente de la République d'Argentine auprès de l'Organisation des Nations Unies, 27 juillet 1993, IT/4, 16 novembre 1993 et la Lettre datée du 29 novembre 1993 du Représentant permanent du Canada auprès de l'Organisation des Nations Unies adressée au Secrétaire général, IT/15, 29 novembre 1993). En règle générale, ces recommandations ont attiré l'attention sur les limites imposées par le conflit et la situation dans l'ex-Yougoslavie. Ces limites se rapportaient aux possibilités restreintes d'accéder aux éléments de preuve documentaires durant un conflit armé et, par conséquent, la nécessité de s'appuyer sur les éléments de preuve viva voce. De ce fait, il a été avancé que le Tribunal international ne devrait pas être trop strict quant aux critères gouvernant la recevabilité des éléments de preuve. Il a, par conséquent, été considéré que l'introduction de règles techniques ne ferait qu'encombrer la procédure.

42. Le pouvoir discrétionnaire conféré à la Chambre de première instance en vertu de l'article 89 du Règlement pour examiner et recevoir des éléments de preuve est limité en ce que tout élément de preuve doit avoir valeur probante et doit être pertinent. De plus, des éléments de preuve pertinents peuvent être déclarés irrecevables aux motifs que leur valeur probante est largement inférieure à l'exigence d'un procès équitable, conformément à l'article 89 D).

43. Malgré l'absence de caractère technique du Règlement, l'article 96 est une règle spéciale d'administration de la preuve qui applique la recevabilité des éléments de preuve aux cas de violences sexuelles. A la différence de la présomption générale de recevabilité qui gouverne le Règlement, les éléments de preuve relatifs au comportement sexuel antérieur de la victime sont irrecevables en vertu de l'article 96 iv).

44. La raison d'être de l'existence d'une telle disposition est étroitement liée au caractère du conflit durant lequel des crimes relevant de la compétence du Tribunal international ont été commis et pour lequel des allégations horribles de viols systématiques et massifs de femmes ont été formulées. Avant l'établissement du Tribunal international, le Conseil de sécurité a condamné de façon répétée les violations du droit international humanitaire qui étaient commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et a mis un accent spécial sur le viol des femmes (S/RES.798 (1992), S/RES/808 (1993), S/RES/820 (1993). En outre, en créant le Tribunal international, le Conseil de sécurité, dans la résolution 827 (1993) s'est déclaré une nouvelle fois gravement alarmé par la situation dans la région, soulignant la détention et le viol continus de femmes.

45. De plus, le Rapport déclare au paragraphe 108 :

Etant donné le caractère particulier des crimes perpétrés dans l'ex-Yougoslavie, le Tribunal international devra assurer la protection des victimes et des témoins. Les règles de procédure et de preuve devront par conséquent prévoir les mesures de protection voulues des victimes et des témoins, s'agissant notamment des cas de viols ou de sévices sexuels. (Non souligné dans le texte).

46. En outre, le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, la Commission d'experts établie en vertu de la résolution 780 (1992) du Conseil de sécurité et des organisations non gouvernementales ont souligné que, en raison de la crainte de représailles, du risque de nouveaux traumatismes et de sentiments de honte, les survivants du conflit hésiteraient à comparaître comme témoins devant le Tribunal international.

47. Dans leur rédaction de l'article 96 du Règlement, les juges du Tribunal international ont tenu compte de toutes les préoccupations susmentionnées. De plus, ils ont étudié attentivement les procédures nationales relatives aux affaires de violences sexuelles et se sont principalement concentrés sur l'évolution récente des législations internes concernant les poursuites des violences sexuelles. Par conséquent, c'est de ce point de vue unique que l'article 96 du Règlement doit être examiné et interprété; à savoir, dans le cadre d'une approche distinctive des affaires de violences sexuelles par un tribunal international établi pour rendre la justice, dissuader de nouveaux crimes et contribuer au rétablissement et au maintien de la paix.

48. S'agissant de l'article 96 iv) du Règlement, les juges ont considéré que l'objectif primordial de cette disposition est de protéger correctement les victimes contre le harcèlement, l'embarras et l'humiliation suscités par la présentation d'éléments de preuve se rapportant à un comportement sexuel antérieur. L'article 96 iv) vise à éviter les situations où l'admission de certains éléments de preuve peut se traduire par une confusion des questions, au détriment par conséquent de l'équité de l'instance. En outre, il a été dûment tenu compte en adoptant l'article 96 iv) du fait que dans les affaires de viol ou autres violences sexuelles, les éléments de preuve relatifs au comportement sexuel antérieur des victimes servent principalement à mettre en doute la réputation de la victime. De surcroît, il a été considéré que la valeur, s'il en est, d'informations relatives au comportement sexuel antérieur d'un témoin dans le contexte de procès de cette nature, était annulée par le risque potentiel d'occasionner de nouvelles souffrances et chocs émotifs aux témoins.

49. Le Gouvernement du Canada, dans sa recommandation concernant le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international, a exhorté "le Tribunal à déclarer que les éléments de preuve relatifs au comportement sexuel antérieur d'une victime ne sont pas pertinents pour contester ou soutenir sa crédibilité, évaluer la gravité du crime, déterminer l'existence du consentement ou en tant qu'élément dans le prononcé de la sentence". (Lettre datée du 29 novembre 1993 du Représentant permanent du Canada auprès des Nations Unies adressée au Secrétaire général, IT/15, 29 novembre 1993).

50. Dans certains systèmes de Common law, des dispositions semblables visent à protéger le jury de l'examen de questions non pertinentes susceptibles d'avoir une incidence sur leur évaluation équitable des éléments de preuve dans les affaires de violences sexuelles. Le Tribunal international opère à partir d'une prémisse différente. Les juges du Tribunal international statuent sur les faits et le droit. En tant que juges des faits, ils sont présumés moins susceptibles d'être influencés par des éléments de preuve préjudiciables qu'un jury. Cependant, lors de l'adoption du Règlement, il a été décidé que l'article 96 iv) était requis dans l'intérêt de la justice.

51. Cette Chambre de première instance (sous la présidence de Mme le Juge McDonald) a examiné la présentation d'éléments de preuve par des victimes de violences sexuelles dans Le Procureur c. Dusko Tadic, (Décision relative à la Requête du Procureur aux fins d'obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins, 10 août 1995) et a déclaré aux paragraphes 46 à 49 que :

Il a été fait remarquer que le viol et les sévices sexuels ont souvent des répercussions particulièrement dévastatrices qui, dans certains cas, peuvent avoir un impact négatif permanents sur la victime . (...) la nécessité de prêter une attention particulière aux personnes témoignant dans les affaires de viol et de violences sexuelles a été de plus en plus reconnue dans les législations internes de certains Etats. (...) Un article spécial sur la recevabilité des moyens de preuve dans les affaires de violences sexuelles a été inclus dans le Règlement du Tribunal international en considération des préoccupations uniques des victimes de ces crimes. Aux termes de l'article 96 la corroboration du témoignage de la victime n'est pas requis et le consentement ne peut pas être employé comme moyen de défense si la victime a été soumise à des pressions physiques ou psychologiques. Enfin le comportement sexuel antérieur de la victime n'est pas recevable.

52. L'article 96 iv) du Règlement est muet sur le sens à attribuer à l'expression "comportement sexuel antérieur". Une question préliminaire est donc de déterminer ce qu'est le comportement sexuel antérieur. Le Tribunal international n'a pas jusqu'à présent interprété l'article 96 iv) et il est donc utile d'étudier la situation dans d'autres juridictions en tant que jurisprudence convaincante à cet égard.

53. Aux Etats-Unis d'Amérique, par exemple, les règles d'administration de la preuve aux échelons étatique et fédéral prévoient des dispositions semblables à celles de l'article 96 iv), que l'on qualifie généralement de "rape shield rules" (législation de protection des victimes de viol). Ces dispositions prévoient que le comportement sexuel antérieur d'une victime est irrecevable comme moyen de preuve devant toutes les juridictions étatiques et fédérales à moins d'être présenté dans un but particulier spécifiquement défini dans les textes. La Section 409B du Crimes Act 1900 (NSW) du Commonwealth d'Australie constitue un autre exemple de règle d'exclusion prévoyant que les éléments de preuve relatifs à la réputation sexuelle de la victime ne peuvent être invoqués comme moyen de défense dans les cas de violences sexuelles.

54. Dans l'affaire The State of Kansas, Appellee v. Floyd Carmicheal, Appellant 240 Kan. 149 (1986), la Cour a conclu que, au plan de la recevabilité des éléments de preuve, "une juridiction est apte à déterminer la nature sexuelle d'un comportement et les éléments de preuve le concernant que la législation qualifie d'irrecevables". Elle a ajouté que

Dans le contexte de la législation de protection de la victime d'un viol, une juridiction est apte à déterminer la nature sexuelle d'un comportement et les éléments de preuve le concernant que la législation qualifie d'irrecevables. L'expression "comportement sexuel" utilisée dans le contexte de cette législation n'est pas vague au point qu'une personne d'intelligence ordinaire doit nécessairement chercher à en deviner le sens.

55. Dans Moore v. State Indiana 271 Ind. 464, 393 N.E.2d 175 (1979), la Cour suprême de l'Indiana a conclu que :

Une grossesse qui a fait l'objet d'un avortement ne peut que résulter d'un "comportement sexuel antérieur". C'est ce qu'interdit d'invoquer la législation sur la protection des victimes de viol. Cette législation a été interprétée comme excluant les éléments de preuve relatifs à la grossesse et elle devrait aussi exclure ceux concernant l'avortement. Toute référence à un avortement antérieur renferme fondamentalement une référence à un comportement sexuel antérieur.

56. De même, dans Commonwealth of Pennsylvania v. Michael Weber 675 A.2d 295 (1996), la Cour suprême de Pennsylvanie a déclaré que "la question de (...) l'avortement est si liée à celle de (...) la chasteté que, aux fins de la législation sur la protection des victimes de viol, elles ne font qu'une". De plus, le juge J. Eakin a déclaré que :

Je conviens entièrement que les éléments de preuve relatifs à un avortement témoignent nécessairement d'une activité sexuelle antérieure, de sorte qu'ils entrent dans le champ de la législation sur la protection des victimes de viol. Un avortement ne saurait avoir lieu sans une activité sexuelle antérieure et, si celle-ci ne peut être invoquée comme défense, un traitement différent de l'avortement viderait la législation de tout son sens.

57. En outre, dans United States of America, Appellee v. George Don Galloway, Appellant, 937 F.2d 542 (1991), la cour a traité les éléments de preuve relatifs à la pilule anticonceptionnelle comme des éléments de preuve d'un comportement sexuel. Plus particulièrement, le juge Seymour, dans une opinion individuelle mais concordante, a conclu que "dans les circonstances de l'affaire, ces éléments de preuve constituent des éléments de preuve d'un comportement sexuel antérieur". Il a cité en l'approuvant Wright & Graham (22 Federal Practice and Procedure Z 5384, page 545 (1978) qui déclare que "le comportement sexuel couvre clairement toute conduite comprenant ou liée à des rapports sexuels ou à des actes analogues, par exemple l'utilisation de contraceptifs". Il a conclu qu'il est évident que "l'inférence survenant de la possession de pilules anticonceptionnelles est que la victime était sexuellement active".

58. L'article 96 iv) est une règle d'exclusion qui interdit absolument d'invoquer des éléments de preuve relatifs au comportement sexuel antérieur dans les affaires de violences sexuelles et son application impérative ne peut faire l'objet d'une exemption. Par conséquent, le fait que le Témoin ait donné des éléments de preuve relatifs à son avortement ne modifie en rien l'applicabilité de la règle, qui ne peut faire l'objet de dérogation. La Cour suprême de l'Illinois dans The People of the State of Illinois, Appellant, v. Santiago Sandoval, Appellee 135 III.2d 159 (1990) a examiné la question de savoir si une victime peut renoncer à la règle en vue d'introduire des éléments de preuve intéressant un comportement sexuel antérieur. Dans cette affaire, le juge Miller, dans une opinion concordante, a déclaré que :

Le législation n'entend pas établir une immunité en matière d'administration de la preuve, qu'un témoin peut choisir d'invoquer ou de rejeter mais elle est libellée sous la forme d'une interdiction générale, applicable tant à l'accusation qu'à la défense. Dire, comme l'a fait la Cour d'appel dans l'instance ci-après, que le plaignant dans cette affaire a renoncé à la protection de la législation du fait de son témoignage s'apparente, par conséquent, à une fiction.

59. La question posée à la Chambre de première instance est de savoir si les déclarations relatives à l'avortement du témoin faites durant son témoignage sur des allégations de viol sont recevables en tant qu'éléments de preuve. Attendu que, premièrement, les juges ont tout pouvoir discrétionnaire de déterminer les éléments de preuve qui sont recevables en vertu du Règlement; deuxièmement que, en application de l'article 96 iv), les juges de la Chambre de première instance sont en mesure d'exercer ce large pouvoir discrétionnaire dans le but de déterminer ce qui constitue un comportement sexuel antérieur et, troisièmement, le caractère convaincant de la jurisprudence précitée, la Chambre de première instance conclut que les informations relatives à l'avortement du Témoin établissent un comportement sexuel antérieur.

60. En outre, les déclarations du Témoin mentionnant son avortement en avril 1992, ne présentent strictement aucun intérêt pour la cause dont est saisie la Chambre de première instance. Elles n'influent en rien sur la crédibilité du Témoin. Durant l'audience relative à la Requête, il a été constamment demandé à la Défense si lesdites déclarations avaient une incidence quelconque sur leur cause. Ces questions n'ont reçu aucune réponse positive. Par conséquent, il est indéniable que la Chambre de première instance a le pouvoir fondamental d'expurger une déclaration dépourvue de pertinence, en particulier quand elle froisse la sensibilité d'une personne.

IV. DISPOSITIF

VU le pouvoir fondamental de la Chambre de première instance d'ordonner que des informations soient expurgées des dossiers,

VU l'article 96 iv) du Règlement,

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE,

PAR CES MOTIFS,

ORDONNE que toute référence à l'avortement du Témoin faite durant son témoignage devant la Chambre de première instance soit expurgée des compte rendus, enregistrements sonores et enregistrements vidéo du Tribunal international.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre

de première instance,

_______________________________

Juge Adolphus G. Karibi-Whyte

Fait le 5 juin 1997

La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]