LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit : M. le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte, Président
Mme le Juge Elizabeth Odio Benito
M. le Juge Saad Saood Jan
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 1er septembre 1997
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"
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DÉCISION RELATIVE AUX REQUÊTES INTRODUITES PAR HAZIM DELIC
EN APPLICATION DE LARTICLE 73
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Le Bureau du Procureur :
M. Grant Niemann
Mme Teresa McHenry
M. Giuliano Turone
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, M. Ekrem Galijatovic, M. Eugene OSullivan, représentant
Zejnil Delalic
M. Zeljko Olujic, M. Michael Greaves, représentant Zdravko Mucic
M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, représentant Hazim Delic
M. John Ackerman, Mme Cynthia McMurrey, représentant Esad Landzo
I. CONTEXTE PROCÉDURAL ET FACTUEL
Avant le commencement du procès en cours le 10 mars 1997, laccusé, Hazim Delic, a fait deux déclarations devant des représentants du Bureau du Procureur ("Accusation") les 19 juillet 1996 et 7 janvier 1997 ("déclarations"). LAccusation a informé la Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 ("Tribunal international") et la Défense représentant les quatre accusés que les déclarations susmentionnées et dautres, faites par les trois autres accusés, feront partie des éléments de preuves à charge présentés au procès (voir "Annexe à lOpposition à la Requête de Delic relative à la dérogation aux délais visés à larticle 73" (Répertoire général du greffe (RG), page D 3655 - D 3661) et la "Réponse du Procureur relative à la recevabilité des déclarations de lAccusé" (RG D 3203 - D 3211)).
Le 8 mai 1997, durant le contre-interrogatoire dun témoin à charge, M. Mladen Kuljanin, le Juge Karibi-Whyte a déclaré que seules les déclarations volontaires seraient versées au dossier. En conséquence, M. Tom Moran, le Conseil de la Défense représentant Hazim Delic ("Défense"), en sappuyant sur cette déclaration, a notifié la Chambre de première instance de son intention de déposer une requête aux fins de demander la tenue dune audience relative au caractère volontaire ou non des déclarations.
Pour cette raison, la Chambre de première instance a été saisie de deux requêtes déposées par la Défense le 8 mai 1997 en application de larticle 73 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international ("Règlement") (RG D 3600 - D 3605) (désignées sous le terme de "requêtes"). Dans la première, la Défense demande une dérogation à sa renonciation au dépôt dune exception préjudicielle aux fins dirrecevabilité des Déclarations et, dans la seconde, elle demande lexclusion des déclarations du dossier. LAccusation a déposé une opposition aux requêtes le 13 mai 1997 (RG D 3633 - d 3635) ("opposition") et une annexe à lopposition le 14 mai 1997 (RG D 3655 - D 3661).
Le 14 mai 1997 lAccusation et la Défense (les "Parties") ont exposé leurs positions devant la Chambre de première instance. Le même jour, après avoir examiné les conclusions écrites et entendu les exposés des Parties, la Chambre de première instance a rendu une décision verbale rejetant les requêtes, et mis sa décision écrite en délibéré.
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE STATUE COMME SUIT :
II. EXAMEN
A. Dispositions applicables
1. La Requête est déposée en application de larticle 73 du Règlement, dont les extraits suivants sont pertinents.
Article 73
Exceptions préjudicielles soulevées par laccusé
(A) Les exceptions préjudicielles soulevées par laccusé sont :
...
(iii) lexception aux fins dirrecevabilité déléments de preuve obtenus de laccusé ou lui appartenant ;
...
(B) Les exceptions ci-dessus doivent être soulevées par laccusé dans les soixante jours suivant sa comparution initiale et en toute hypothèse avant laudience au fond.
(C) Le défaut par laccusé de soulever les exceptions préjudicielles ci-dessus dans les délais prescrits vaut renonciation de sa part. La Chambre de première instance peut néanmoins déroger à ces délais pour des raisons jugées valables.
2. La comparution initiale de Hazim Delic sest tenue le 18 juin 1996 et son procès au fond a commencé le 10 mars 1997.
Analyse de larticle 73 du Règlement
3. Larticle 73 confère à laccusé le droit de déposer des exceptions préjudicielles et ce, afin de faciliter le processus judiciaire et en vue dune organisation plus rationnelle de la procédure judiciaire. Larticle 73 prévoit que les exceptions préjudicielles doivent être soulevées dans les soixante jours suivant la comparution initiale de laccusé et en toute hypothèse avant laudience au fond. Le défaut par laccusé de soulever les exceptions dans les délais prescrits vaut renonciation à ce droit. Cependant, la Chambre de première instance peut déroger à ces délais pour des raisons jugées valables. Les exceptions préjudicielles sont donc des requêtes qui tombent dans le champ de larticle 73 A) du Règlement et doivent donc être soulevées dans les soixante jours suivant la comparution initiale ou avant laudience au fond.
4. Cet article du Règlement est dune simplicité trompeuse. Une analyse plus approfondie permet de discerner quelques difficultés dans linterprétation de son paragraphe C). La Chambre de première instance considère que les dispositions de larticle 73 A) iii) sont simples et sans ambiguïté. Il énonce clairement que "lexception aux fins dirrecevabilité déléments de preuve obtenus de laccusé ou lui appartenant" est prévue au nombre des exceptions préjudicielles qui peuvent être déposées par laccusé dans le délai spécifié au paragraphe B) de larticle. Le paragraphe C) dispose que le défaut de soulever les exceptions préjudicielles dans les délais prescrits vaut renonciation au droit conféré au paragraphe A), tout en investissant la Chambre de première instance du pouvoir discrétionnaire de déroger à ces délais, pour des raisons jugées valables.
5. La Chambre de première instance estime que lexercice de la discrétion concerne la renonciation et non la dérogation. Ainsi lorsque des raisons jugées valables sont soumises à la Chambre, celle-ci exercera sa discrétion de permettre de soulever une exception bien quelle le soit plus de soixante jours après la comparution initiale de laccusé et après le début de laudience au fond.
6. Lobstacle le plus important au respect des dispositions de larticle 73 C) est de savoir ce qui constitue une raison valable justifiant que la Chambre de première instance fasse usage de son pouvoir discrétionnaire en faveur du Requérant. Lexpression "to show good cause" (raison jugée valable) employée au paragraphe C) (version en anglais) est dusage courant en droit et permet au juge dexercer son pouvoir discrétionnaire dans les cas où le requérant a perdu ou renoncé à son droit. Déterminer la signification de lexpression raison jugée valable est une question de fait qui dépend des faits et des circonstances spécifiques de laffaire, dans le cadre des droits en vertu desquels la requête est déposée. Donc, bien quil soit difficile de dégager une règle générale concernant les raisons jugées valables, il semble à la Chambre de première instance quune combinaison de circonstances peut être pertinente. Ainsi, dans les cas où la raison de la requête serait perdue si la discrétion ne sexerçait pas en faveur du requérant, le fait que le droit visé est important et a des chances de prévaloir, ou que le retard nest pas excessif constituent des raisons jugées valables pour exercer le pouvoir discrétionnaire.
7. Lexercice de la discrétion, en conformité à larticle 73 C) sapplique à loctroi de délais supplémentaires pour lexercice du droit abondonné parce que la requête na pas été déposée durant le délai prescrit, à savoir, dans les soixante jours suivant la comparution initiale de laccusé et avant laudience au fond. Lexercice de la discrétion et la dérogation aux délais ont pour conséquence de replacer le requérant dans le cadre de larticle 73 B).
8. La Chambre de première instance estime donc que les exceptions préjudicielles ne peuvent être soulevées que dans les cas prévus à larticle 73 A) ou aux cas connexes. Lemploi du terme "include" (version en anglais) de larticle 73 A) permet cette interprétation large, qui étend le champ de larticle à dautres cas. Lesprit de larticle est dassurer une procédure judiciaire rationnelle, ce qui explique le délai de dépôt de lexception. Il sensuit donc que toute exception qui ne vise pas à la préparation de laffaire en vue de son audience au fond ne relève pas de larticle considéré.
9. Si lexception est soulevée dans les soixante jours suivant la comparution initiale ou avant laudience au fond, cest une indication quon na pas renoncé à lexercice de ce droit. Si lexception est soulevée hors délais, cest que la Chambre de première instance a octroyé lautorisation dy déroger. Ce sont là les conditions qui doivent être remplies avant que le droit de laccusé de soulever une exception préjudicielle puisse être exercé;
10. Larticle 42 du Règlement sapplique également à la décision concernant les exceptions :
Article 42
Droit des suspects pendant lenquête
(A) Avant dêtre interrogé par le Procureur, le suspect est informé de ses droits dans une langue quil parle et comprend, à savoir :
(i) son droit à lassistance dun conseil de son choix ou sil est indigent à la commission doffice dun conseil à titre gratuit ;
(ii) son droit à lassistance gratuite dun interprète sil ne comprend pas ou ne parle pas la langue utilisée lors de linterrogatoires et ;
(iii) son droit de garder le silence et dêtre averti que chacune de ses déclarations sera enregistrée et pourra être utilisée comme moyen de preuve.
(B) Linterrogatoire dun suspect ne peut avoir lieu quen présence de son conseil, à moins que le suspect nait renoncé à son droit à lassistance dun conseil. Linterrogatoire doit néanmoins cesser si un suspect qui a initialement renoncé à son droit à lassistance dun conseil; sen prévaut ultérieurement ; linterrogatoire ne doit reprendre que lorsque le suspect a obtenu de son chef ou doffice lassistance dun conseil.
B. Arguments
(i) La Défense
11. La Défense reconnaît que lexception aux fins dirrecevabilité des déclarations na pas été soulevée dans le délai prescrit à larticle 73 B). La "raison valable" avancée, et pour laquelle il est demandé à la Chambre de première instance dexercer son pouvoir discrétionnaire en faveur de la Défense afin dautoriser la dérogation aux délais prévus à larticle 73 A) iii), est que les déclarations sont irrecevables parce que la renonciation de Hazim Delic à ses droits visés à larticle 42 était involontaire.
12. M. Tom Moran soutient que son argument selon lequel les déclarations sont irrecevables si la renonciation du suspect à ses droits prévus à larticle 42 est involontaire découle logiquement de la décision du Juge Karibi-Whyte selon lequel les déclarations involontaires sont irrecevables. Il a déclaré que Hazim Delic affirme que sa renonciation à son droit de garder le silence visé à larticle 42 du Règlement était involontaire en ce quil nétait pas conscient des implications dune déclaration au moment ou il a renoncé à ce droit.
(ii) LAccusation
13. LAccusation déclare que les exceptions sont soulevées hors délais. Elle affirme que la Défense na pas présenté de raison valable qui justifie de déroger à la renonciation réputée à son droit de soulever une exception aux fins dirrecevabilité des déclarations hors délais. Elle maintient que la déclaration faite le 8 mai 1997 par le Juge Karibi-Whyte selon laquelle les déclarations involontaires sont irrecevables, nénonce pas un nouveau droit. La notion selon laquelle des déclarations involontaires sont irrecevables est irrécusable et forme bien, fait, la base de larticle 42 du Règlement. LAccusation affirme donc que largument de la Défense, qui qualifie de nouvelle la décision énoncée par le Juge Karibi-Whyte, est sans fondement et devrait être rejetée.
14. LAccusation soutient que la Défense a amplement eu loccasion de soulever auparavant la question du caractère involontaire. Elle affirme que Hazim Delic et son conseil ont été expressément informés des dispositions pertinentes du Règlement au moment des déclarations et que le Règlement est clair et sans ambiguïté.
C. Conclusions
15. La Chambre de première instance estime quil est nécessaire de traiter lanalogie ingénieuse sur laquelle se fonde la "raison valable" présentée par la Défense. Le principe est bien établi : les aveux faits par les accusés involontairement et sous la menace, les incitations ou lespoir dun traitement de faveur de la part des représentants de lautorité sont irrecevables en tant quéléments de preuve (voir laffaire britannique Ibrahim v. The King (1914) A.C. 599). Toutes les déclarations faites dans ces circonstances sont involontaires. La raison pour laquelle elles sont irrecevables est que la volonté de lauteur de la déclaration est soumise à contrainte, à coercition ou à incitation. De telles déclarations ne sont donc pas crédibles et ne il ne devrait pas en être tenu compte dans une prise de décision judiciaire. M. Moran soutient que lorsque Hazim Delic a renoncé à son droit de garder le silence prévu à larticle 42, il nétait pas conscient des implications dune déclaration.
16. Il ne fait pas de doute que Hazim Delic a fait ses déclarations après avoir volontairement renoncé à son droit de garder le silence. La décision de renoncer na pas été induite par la force, un avantage, une menace ou de mauvais traitements. Le conseil affirme que si Hazim Delic avait su quelles étaient les implications de sa renonciation à ses droits visés à larticle 42, il ny aurait pas renoncé. En conséquence, il a été avancé que "sa renonciation à ses droits en vertu de larticle 42 était involontaire dans le sens où il ny a pas renoncé en toute connaissance de cause et sachant pleinement quelles en seraient les suites" (voir RG 3603, para. II).
17. La Chambre de première instance sinterroge essentiellement ici sur la question de savoir si la Défense a établi une raison valable justifiant daccorder une dérogation à la renonciation au droit de soulever une exception préjudicielle dans cette affaire. Largument de la Défense est que Hazim Delic a involontairement renoncé à son droit de garder le silence en application de larticle 42.
18. Lanalyse correcte des faits est que Hazim Delic a agi volontairement dans le respect des instructions qui lui ont été lues. Sa perception des faits tels quil les comprenait, comme la avancé son conseil, était très différente des conséquences qui sen sont suivies. Il ne fait pas de doute quil a, en toute connaissance de cause, même si cest de manière erronée, renoncé à son droit de garder le silence. Notre jurisprudence ne permet pas de considérer comme involontaire lexercice conscient, libre et volontaire de ses droits par une personne.
19. La Chambre de première instance conclut que Hazim Delic a volontairement exercé son droit de renoncer à son droit de garder le silence prévu à larticle 42. La Défense na donc pas présenté de raison valable qui justifie que son droit de soulever une exception préjudicielle en application de larticle 73, perdu en raison de la violation de larticle 73 B), devrait faire lobjet dune dérogation.
III. DISPOSITIF
PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE, saisie des Requêtes déposées par la Défense
EN APPLICATION DE LARTICLE 73,
REJETTE les Requêtes.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre
de première instance
(Signé)
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Adolphus G. Karibi-Whyte
Fait le premier septembre 1997
La Haye (Pays-Bas)
[Sceau du Tribunal]