LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE

Composée comme suit : M. le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte, Président

Mme le Juge Elizabeth Odio Benito

M. le Juge Saad Saood Jan

Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue le : 4 septembre 1997

 

LE PROCUREUR

C/

ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE CONFIDENTIELLE
AUX FINS DE CITER D’AUTRES TÉMOINS À COMPARAÎTRE

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

M. Eric Ostberg

Mme Teresa McHenry

M. Giuliano Turone

Le Conseil de la Défense :

Mme Edina Residovic, M. Ekrem Galijatovic, M. Eugene O’Sullivan, représentant Zejnil Delalic

M. Zeljko Olujic, M. Michael Greaves, représentant Zdravko Mucic

M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, représentant Hazim Delic

M. John Ackerman, Mme Cynthia McMurrey, représentant Esad Landzo

 

I. INTRODUCTION ET CONTEXTE PROCÉDURAL

La Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le "Tribunal international") a été saisie d’une "Requête aux fins de citer d’autres témoins à comparaître" (Registre officiel du Greffe Page numéro ("RP") D3968-D3986) (la "Requête") déposée le 4 juillet 1997 par le Bureau du Procureur (l’"Accusation"). Le Conseil de la défense de l’accusé Zejnil Delalic a déposé sa "Réponse à la Requête" le 17 juillet 1997 (RP D4023-D4026) (la "Réponse") et l’Accusation a ensuite déposé le 5 août 1997 sa "Réplique relative à la requête aux fins de citer d’autres témoins à comparaître" (RP D4125-D4128) (la "Réplique").

Le 18 juillet 1997, les parties ont exposé leurs arguments relatifs à la Requête et la Chambre de première instance a alors rendu le 1er août 1997 son Ordonnance relative à la Requête du Procureur aux fins de citer d’autres témoins à comparaître (RP D4121-D4123) (l’"Ordonnance"), qui autorisait "l’accusation à citer à comparaître, parmi les témoins identifiés de 8 à 14, autant de personnes qu’il sera nécessaire pour permettre à la Cour de vérifier la procédure et la conservation régulière des éléments de preuve saisis que l’Accusation souhaite verser au dossier." De plus, l’Ordonnance renvoyait à une date ultérieure sa décision relative à la requête aux fins de citer à comparaître les témoins identifiés de 1 à 7.

Le 7 août 1997, au cours du procès, lors d’une audience publique, la Chambre de première instance a rendu une décision orale relative à la partie de la Requête qui concernait les témoins identifiés de 1 à 7 et a mis sa décision écrite en délibéré.

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE, AYANT CONSIDÉRÉ les arguments écrits et les exposés de l’Accusation et de la Défense de l’accusé Zejnil Delalic, ainsi que ceux des Conseils de la défense des trois autres accusés,

STATUE COMME SUIT.

 

II. DISCUSSION

  1. Dans sa Requête, l’Accusation cherchait à obtenir l’autorisation d’appeler quatorze témoins supplémentaires à la barre. L’Ordonnance ayant tranché la question des témoins numérotés 8 à 14, la présente décision ne discutera que des cas des témoins identifiés 1 à 7.
  2. L’Accusation soutient que sa requête aux fins d’appeler à la barre les témoins 1 à 7, qui intervient quatre mois après la date limite de divulgation à la Défense des noms et coordonnées des témoins, date fixée par la Chambre de première instance (voir Ordonnance portant calendrier du 24 janvier 1997, RP D2674-D2675), fait suite à des circonstances qu’elle ne pouvait pas anticiper. Ainsi, en premier lieu, le témoignage des témoins 1 à 5 est nécessaire pour authentifier certains documents et, en second lieu, les témoins identifiés 6 et 7 n’avaient pas encore été retrouvés ou n’avaient pas encore accepté de témoigner.
  3. La Défense de l’accusé Zejnil Delalic (la "Défense") a formulé son opposition au motif que la tentative de citer d’autres témoins à comparaître à cette étape du procès n’est pas équitable vis-à-vis de la Défense. De surcroît, la Défense soutient que l’Accusation ne s’est pas pleinement conformée à ses obligations de communication en ce qui concerne les déclarations des témoins 6 et 7. Elle avance de plus qu’il lui faudra rappeler à la barre de nombreux témoins de l’Accusation qui ont déjà témoigné, afin de les contre-interroger sur la réputation des témoins 6 ou 7.
  4. Les articles 66 et 67 du Règlement de procédure et de preuve (le "Règlement") sont les dispositions qui régissent les obligations de communication qui incombent à l’Accusation. Une interprétation littérale de l’article 67 A) indique que le Procureur doit révéler, dès que possible et en toute hypothèse avant le début du procès, en l’espèce avant le 10 mars 1997, les noms des témoins qu’il a, à ce moment là, l’intention d’appeler. En l’espèce, la position de l’Accusation consiste à dire que, même si ça n’était pas avant le début du procès, elle a révélé les noms des témoins à charge supplémentaires dès qu’elle a envisagé de les appeler à comparaître pour établir la culpabilité des accusés, comme le stipule l’article 67 A i).
  5. Dans une lettre en date du 5 septembre 1996, l’Accusation a notifié les Conseils de la défense des quatre accusés que, sauf accord entre eux sur l’authentification de certains documents, elle appellerait d’autres témoins à la barre à des fins d’authentification. Le 13 mai 1997, l’Accusation a révélé les noms de ces témoins éventuels, à savoir les témoins identifiés 1 à 5 dans la Requête. Avant le début du procès, l’Accusation n’avait pas l’intention de citer ces témoins à comparaître et n’avait donc aucune obligation à satisfaire au titre de l’article 67 A). La Chambre de première instance est convaincue que l’Accusation a informé la Défense dès qu’elle avait l’intention de citer à comparaître les témoins 1 à 5, et qu’elle a donc agi constamment de bonne foi.
  6. S’agissant des témoins 6 et 7, l’Accusation a notifié, le 13 mai 1997, les Conseils de la défense des quatre accusés de son intention de les appeler à comparaître. L’Accusation a ensuite divulgué le 10 juillet 1997 les procès-verbaux de ses interrogatoires de ces témoins. La Défense soutient que cette divulgation a enfreint l’article 66 du Règlement, qui stipule que l’Accusation doit communiquer les déclarations des témoins "dès que possible". La Chambre de première instance est convaincue par la réponse de l’Accusation lorsque cette dernière affirme qu’elle s’est pleinement conformée à ses obligations, puisqu’elle a divulgué ces déclarations à la Défense dès qu’elle a envisagé d’appeler ces témoins à la barre, aussitôt après les avoir interrogés et avoir établi des procès-verbaux complets de leurs déclarations. L’Accusation a également précisé dans sa Réplique que l’un de ses témoins ne sera appelé au plus tôt qu’en septembre, ce qui laisse à la Défense suffisamment de temps pour se préparer.
  7. La Chambre de première instance doit utiliser tous ses pouvoirs pour faciliter le processus de recherche de la vérité afin de trancher impartialement le litige entre les parties. Il est donc crucial d’adopter une approche flexible au plan de la comparution des témoins. Chaque fois qu’un témoignage sera important pour l’Accusation ou la Défense, la Chambre de première instance s’assurera que le témoin en question sera entendu, sous réserve, bien sûr, des limites prescrites par le Statut (le "Statut") et le Règlement du Tribunal international. En l’espèce, ces deux témoins précis, le 6 et le 7, sont considérés comme vitaux pour l’Accusation et exclure leur témoignage serait contraire aux intérêts de la justice. Les droits de l’Accusé, énoncés à l’article 21 du Statut, ne sont en aucun cas affectés par l’adoption de cette approche flexible. Les termes de l’article 66 A) ont été respectés puisque l’Accusation a divulgué les déclarations des témoins dès que possible. La Chambre de première instance accordera naturellement toute son attention aux arguments que les Conseils de la défense des quatre accusés pourraient à l’avenir avancer à l’appui de toute demande de mesures aux fins de protéger les droits des accusés à un procès équitable.
  8. Enfin, la Requête aborde une question qui appelle des commentaires. L’Accusation a soulevé la question de la preuve du caractère international d’un conflit armé et du statut protégé des détenus du camp de Celebici. Elle a attiré l’attention de la Cour sur certains aspects du Jugement dans l’affaire Le Procureur c./ Duško Tadic, (IT-94-1-T) du 7 mai 1997, (RP D17338-D17687) qui traitent de l’applicabilité de l’article 2 du Statut. L’Accusation a informé la Chambre de première instance qu’à la lumière de ceci, elle pourrait citer d’autres témoins à comparaître.
  9. Il va de soi que l’Accusation, dans la présentation de ses arguments, doit satisfaire aux conditions préalables en matière de compétence pour les crimes qui forment la compétence ratione materiae du Tribunal international. Cette proposition n’appelle aucune explication et, depuis le début du procès, il incombe à l’Accusation d’apporter des éléments de preuve suffisants pour s’acquitter de son obligation. Si bien que la Chambre de première instance et la Défense doivent se baser sur la présomption que la liste originale des témoins contient le nom de tous les témoins que l’Accusation juge nécessaires pour prouver chaque point de sa cause.
  10. . Normalement, à ce stade du procès, l’Accusation n’est pas censée appeler des témoins autres que ceux qui figurent sur sa liste originale. Comme nous l’avons vu plus haut, des circonstances exceptionnelles peuvent faire que des témoins supplémentaires importants ne deviennent nécessaires, connus ou disponibles pour l’Accusation qu’après que celle-ci ait déposé sa liste de témoins. La Chambre de première instance examinera de telles circonstances lorsqu’elles seront invoquées. Cependant, l’Accusation ne devrait pas surprendre la Défense avec des témoins supplémentaires dont elle savait, avant le commencement du procès, que leur témoignage serait manifestement requis, ou auxquels elle avait accès. Comme nous l’avons indiqué, ce n’est pas du tout le cas en l’espèce. Il convient également de noter que si l’Accusation souhaite de nouveau citer à comparaître des témoins supplémentaires, elle devra en demander à temps l’autorisation à la Chambre de première instance, qui examinera sa demande, après avoir entendu les raisons pour lesquelles ces témoins sont maintenant jugés nécessaires alors qu’ils ne l’étaient pas auparavant.

 

III. DISPOSITIF

PAR CES MOTIFS,

LA CHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE,

SAISIE d’une Requête déposée par l’Accusation,

EN APPLICATION DE L’ARTICLE 54 du Règlement,

ACCÈDE à la Requête de l’Accusation aux fins de citer à comparaître les témoins supplémentaires numérotés 1 à 7.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre de première instance

Adolphus Godwin Karibi-Whyte

Fait le quatre septembre 1997

La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]