LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Composée comme suit : M. le Juge Adolphus G. Karibi-Whyte, Président
Mme le Juge Elizabeth Odio Benito
M. le Juge Saad Saood Jan
Assistée de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 1er juillet 1998
LE PROCUREUR
C/
ZEJNIL DELALIC
ZDRAVKO MUCIC alias "PAVO"
HAZIM DELIC
ESAD LANDZO alias "ZENGA"
_____________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE LACCUSÉ DELALIC
DEMANDANT QUIL SOIT STATUÉ SUR LES
ACCUSATIONS PORTÉES CONTRE LUI
_____________________________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Grant Niemann
Mme Teresa McHenry
M. Giuliano Turone
Le Conseil de la Défense :
Mme Edina Residovic, M. Ekrem Galijatovic, M. Eugene OSullivan, pour Zejnil Delalic
M. Zeljko Olujic, M. Tomislav Kuzmanovic, pour Zdravko Mucic
M. Salih Karabdic, M. Thomas Moran, pour Hazim Delic
Mme Cynthia McMurrey, Mme Nancy Boler, pour Esad Landzo
I. INTRODUCTION
1. La Chambre de première instance du Tribunal pénal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de lex-Yougoslavie depuis 1991 ("Tribunal international") est saisie dune "Requête de laccusé Delalic demandant quil soit statué sur les accusations portées contre lui" ("Requête") (Registre général du Greffe ("RG") cote D6407-D6413, version en anglais), déposée le 2 juin 1998. Le Bureau du Procureur ("Accusation") a déposé sa Réponse à la Requête le 8 juin 1998 ("Requête du Procureur aux fins dexclure la présentation de moyens de preuve immédiatement après la fin de la présentation des preuves de laccusé Delalic" ("Réponse de lAccusation"), RG cote D6572-D6575, version en anglais). Le contexte de la Requête est le suivant :
2. Le requérant, Zejnil Delalic, est le premier accusé en lespèce. Les trois autres accusés sont Zdravko Mucic, alias "Pavo", Hazim Delic et Esad Lando, alias "Zenga". Ils font lobjet dun acte daccusation commun, établi le 19 mars 1996, et leur procès est actuellement en cours.
3. LAccusation a terminé la présentation de ses moyens de preuve à lencontre de tous les accusés. Le premier dentre eux, Zejnil Delalic, a cité ses propres témoins, mais il na pas témoigné lui-même devant la Chambre de première instance. Celle-ci lui a ordonné dachever la présentation de ses preuves, mais il ne sest pas encore exécuté. La demande dautorisation quil a présenté pour interjeter appel de cette décision a été rejetée par la Chambre dappel dans un arrêt rendu le 15 juin 1998 ("Arrêt relatif à la demande de laccusé Zejnil Delalic aux fins dautorisation dinterjeter appel en vertu de larticle 73 du Règlement", affaire n° IT-96-21-73.4, RG cote A15-A18, version en anglais, RG cote A3-1/18 Bis, version en français). À ce jour, les témoins à décharge des deuxième et troisième accusés ont été entendus par la Chambre de première instance et le quatrième devrait, à son tour, citer ses témoins. Aucun des trois autres accusés na encore témoigné devant la Chambre, mais aucun deux na indiqué quil souhaitait renoncer à être entendu en personne au cas où le premier accusé achèverait de présenter ses moyens de preuve.
4. Par sa Requête, le premier accusé tente à présent dobtenir une ordonnance de la Chambre de première instance, afin :
i) a) que le Procureur indique sil souhaite citer des témoins pour répliquer à la défense du premier accusé, et si cest le cas, quil le fasse immédiatement après la fin de la présentation des preuves à la décharge du premier accusé ; b) que ce dernier soit ensuite autorisé à soumettre sa duplique et, c) que la Chambre de première instance ordonne ensuite la présentation de moyens de preuve supplémentaires (le cas échéant) concernant le premier accusé ;
ii) quensuite, lAccusation et la Défense présentent leurs conclusions finales quant à la culpabilité du premier accusé, et
iii) que la Chambre de première instance prenne une décision définitive sur la culpabilité du premier accusé.
5. Après avoir entendu les exposés des parties sur la Requête, le 9 juin 1998, la Chambre a reporté sa décision à une date ultérieure.
LA CCHAMBRE DE PREMIERE INSTANCE, AYANT EXAMINÉ les arguments écrits et oraux des parties,
REND À PRÉSENT SA DÉCISION.
II. ARGUMENTATION
A. Dispositions applicables
Les dispositions pertinentes du Statut du Tribunal international ("Statut") et du Règlement de procédure et de preuve ("Règlement") sont reproduites ci-dessous :
Article 20 du Statut
Ouverture et conduite du procès
1. La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que linstance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de laccusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée.
[
...]Article 21 du Statut
Les droits de laccusé
1. Tous sont égaux devant le Tribunal international.
2. Toute personne contre laquelle des accusations sont portées a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement, sous réserve des dispositions de larticle 22 du statut.
3. Toute personne accusée est présumée innocente jusquà ce que sa culpabilité ait été établie conformément aux dispositions du présent statut.
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu du présent statut a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:
[
...](c) A être jugée sans retard excessif;
[
...]Article 48 du Règlement
Jonction d'instances
Des personnes accusées d'une même infraction ou d'infractions différentes commises à l'occasion de la même opération peuvent être mises en accusation et jugées ensemble.
Article 49 du Règlement
Jonction de chefs d'accusation
Plusieurs infractions peuvent faire l'objet d'un seul et même acte d'accusation si les actes incriminés ont été commis à l'occasion de la même opération et par le même accusé.
Article 54 du Règlement
Disposition générale
À la demande d'une des parties ou doffice un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de l'enquête, de la préparation ou de la conduite du procès.
Article 72 du Règlement
Exceptions préjudicielles
(A) Les exceptions préjudicielles, à savoir
(i) lexception dincompétence,
(ii) lexception fondée sur un vice de forme de lacte daccusation,
(iii) lexception aux fins de disjonction de chefs daccusation joints conformément à larticle 49 ci-dessus ou aux fins de disjonction dinstances conformément au paragraphe B) de larticle 82 ci-après ou
(iv) lexception fondée sur le rejet dune demande de commission doffice dun conseil formulée aux termes de larticle 45 C),
doivent être présentées par écrit et au plus tard soixante jours après que le Procureur a communiqué à la défense toutes les pièces jointes et déclarations visées à larticle 66 A). La Chambre se prononce sur ces exceptions préjudicielles in limine litis et en tout état de cause avant le début des déclarations liminaires visées à larticle 84 ci-après.
(B) Les décisions relatives aux exceptions préjudicielles ne pourront pas faire lobjet dun appel interlocutoire, à lexclusion.
(i) des exceptions dincompétence, pour lesquelles un appel des deux parties est de droit ;
(ii) des cas où trois juges de la Chambre dappel accordent lautorisation dinterjeter appel, après que la partie requérante a présenté des motifs convaincants.
(C) Les requêtes aux fins dautorisation dinterjeter appel visées au paragraphe B ii) doivent être déposées dans les sept jours suivant le dépôt de la décision contestée.
Article 82 du Règlement
Jonction et disjonction d'instances
(A) En cas d'instances jointes, chaque accusé a les mêmes droits que s'il était jugé séparément.
(B) La Chambre de première instance peut ordonner un procès séparé pour des accusés dont les instances avaient été jointes en application de l'article 48, pour éviter tout conflit d'intérêts de nature à causer un préjudice grave à un accusé ou, pour sauvegarder l'intérêt de la justice.
Article 83 du Règlement
Instruments de contrainte
Les instruments de contrainte, tels que les menottes, ne sont pas utilisés si ce n'est pour éviter un risque d'évasion au cours du transfert ou pour des raisons de sécurité; ils sont retirés lorsque l'accusé comparaît devant la Chambre.
Article 84 du Règlement
Déclarations liminaires
Avant la présentation par le Procureur de ses moyens de preuves, chacune des parties peut faire une déclaration liminaire. Toutefois la défense peut décider de faire sa déclaration après que le Procureur ait présenté ses moyens de preuve et avant de présenter elle-même ses propres moyens de défense.
Article 85 du Règlement
Présentation des moyens de preuve
(A) Chacune des parties peut appeler des témoins à la barre et présenter des moyens de preuve. A moins que la Chambre n'en décide autrement dans l'intérêt de la justice, les moyens de preuve sont présentés dans l'ordre suivant:
(i) preuves du Procureur;
(ii) preuves de la défense;
(iii) réplique du Procureur;
(iv) duplique de la défense;
(v) moyens de preuve ordonnés par la Chambre de première instance conformément à l'article 98 ci-après.
(B) Chaque témoin peut après son interrogatoire principal, faire l'objet d'un contre-interrogatoire et d'un interrogatoire supplémentaire. Toutefois un juge peut également poser toute question au témoin à quelque stade que ce soit. Le témoin est d'abord interrogé par la partie qui le présente.
(C) L'accusé peut s'il le souhaite comparaître en qualité de témoin pour sa propre défense.
Article 86 du Règlement
Plaidoiries
Après présentation de tous les moyens de preuve, le Procureur peut présenter son réquisitoire, et la défense y répondre. S'il le souhaite, le Procureur peut répliquer et la défense présenter une duplique.
Article 87 du Règlement
Délibéré
(A) Après les plaidoiries des parties, le Président de la Chambre déclare clos les débats et la Chambre se retire pour délibérer à huis clos. L'accusé n'est déclaré coupable que lorsque la majorité de la Chambre de première instance considère que la culpabilité de l'accusé a été prouvée au-delà de tout doute raisonnable.
(B) La Chambre de première instance vote séparément sur chaque chef visé dans l'acte d'accusation. Si deux ou plusieurs accusés sont jugés ensemble, en application de l'article 48 ci-dessus, la Chambre statue séparément sur le cas de chacun d'eux.
B. Plaidoiries
Le requérant, Zejnil Delalic, premier accusé
6. Dans sa Requête, le requérant déclare que la présentation des moyens de défense du premier accusé sera bientôt achevée. Il estime que la présentation des éléments de preuve devant la Chambre de première instance devrait se faire suivant lordre prescrit pas les articles 85 A) i), ii), iii), iv) et v) et 98 du Règlement. En conséquence, il avance que, lorsque M. Delalic en aura terminé avec la présentation de ses preuves, la Chambre de première instance pourra, et devrait, enjoindre à lAccusation dannoncer si elle entend exercer son droit de réplique à lencontre du premier accusé. Si telle était son intention, elle pourrait alors être tenue de présenter sa réplique immédiatement. La Chambre de première instance pourrait également ordonner la présentation de moyens de preuve supplémentaires, comme elle en a le droit.
7. Le requérant avance que les parties auront fini de présenter leurs moyens respectifs et que la Chambre sera en mesure de déclarer laudition des témoins close lorsque la présentation des moyens de preuve suivant la procédure susmentionnée sera terminée. En application de larticle 86 du Règlement, elle pourra alors inviter les parties à présenter leurs conclusions finales quant aux accusations pesant sur le premier des accusés.
8. Le requérant avance encore que les articles 87 et 88 du Règlement autorisent, les plaidoiries terminées, la Chambre à délibérer et à rendre un jugement définitif quant au charges retenues contre le premier accusé. Se fondant sur le paragraphe 87 B) du Règlement, qui stipule que la Chambre statue séparément lorsque deux ou plusieurs accusés sont jugés ensemble, il fait valoir quaucun article ninterdit à la Chambre de procéder ainsi, à tout moment en cours de procès. Il invoque à ce propos le paragraphe 87 A) :
Après les plaidoiries des parties, le Président de la Chambre déclare clos les débats et la Chambre se retire pour délibérer à huis clos. [ ...]
9. Il suggère que la procédure proposée pourrait se fonder sur les articles 20 et 21 du Statut. Selon lui, elle permettrait de juger rapidement le premier accusé tout en prévenant toute violation des droits que lui reconnaît larticle 21 4) c). Le requérant fait observer que le procès est ouvert depuis plus dun an, que la présentation des moyens de preuve à charge a duré près dune année et quune part importante de ces moyens de preuve à charge ne concernait pas le premier accusé. Il fait valoir que lobliger à attendre la fin de la présentation des moyens de preuve des trois autres coaccusés constituerait une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 20 et 21 du Statut.
10. Le requérant se déclare prêt à renoncer aux avantages qui découleraient pour lui de la défense des trois coaccusés si la Chambre acceptait de statuer séparément sur son cas. Invoquant les dispositions de larticle 82 A) du Règlement, il demande que lAccusation sabstienne de chercher à obtenir des témoignages à sa charge pendant la présentation des moyens de preuve des trois autres accusés.
11. Enfin, il avance que la procédure proposée permettrait de réduire le coût et la durée de ce procès.
12. En réplique à la réponse de lAccusation, Mme Residovic, Conseil du premier accusé qui exposait oralement ses arguments devant la Chambre, a souligné que son client ne demandait pas une disjonction dinstances. Le Conseil a fait valoir que, en cas de conflit dintérêts au sein de la défense, laccusé est en droit dobtenir un procès séparé, à tout moment en cours dinstance, mais il a déclaré ne pas avoir soumis de requête en ce sens. Il a déclaré que toutes les conditions étant remplies pour que larticle 85 du Règlement soit appliqué, il na pas jugé utile de soumettre une telle demande. Aussi le requérant invoque-t-il larticle 82 A) pour que lui soient accordés les mêmes droits que sil était jugé séparément.
13. En conséquence, le requérant soutient que la procédure devrait se dérouler dans lordre suivant : moyens de preuve du Procureur, moyens de preuve du premier accusé, réplique du Procureur, duplique de la Défense, tout moyen de preuve ordonné par la Chambre de première instance et plaidoiries des parties. La Chambre devrait ensuite, après en avoir délibéré, rendre une décision définitive en ce qui concerne M. Delalic.
14. Le requérant rejette laccusation selon laquelle la procédure proposée entraînerait par la suite un retard et des redites inutiles dans la présentation des moyens de preuve. Selon lui, au contraire, cette procédure devrait être adoptée dans lintérêt de la justice et pour garantir le respect du droit fondamental du premier accusé à un procès équitable et rapide. Elle permettrait en outre, selon lui, décourter la procédure en limitant le champ des questions pendant le contre-interrogatoire de chacun des témoins, ce qui aurait pour effet de réduire le montant des honoraires davocats.
15. Le Conseil a rejeté la critique formulée par lAccusation, selon laquelle, en fin de compte, la Requête empêcherait le Tribunal dentendre des témoins supplémentaires. La Défense a présenté tous ses moyens de preuve et elle ne peut empêcher lAccusation den faire autant. Le premier accusé na porté atteinte aux droits daucun des coaccusés, puisque, de même quil a exercé son droit de contre-interroger tous les témoins cités par lAccusation et les coaccusés, ceux-ci sont en droit de contre-interroger les témoins cités par le premier accusé.
16. Mme Residovic, interprétant larticle 20 du Statut et larticle 82 du Règlement, a estimé que lAccusation navait pas le droit, à lissue de la présentation des moyens de preuve relatifs au premier accusé, de profiter de la présentation des moyens de preuve des coaccusés pour introduire tout nouvel élément à la charge du premier accusé. Elle a fait valoir que, sinon, le droit du premier accusé à un procès équitable serait bafoué.
17. Le Conseil de la défense a, en outre, réfuté une objection de lAccusation, fondée sur la difficulté, pour la Chambre de première instance, dévaluer les moyens de preuve concernant le premier accusé sans préjuger de la culpabilité des coaccusés. Il a avancé que la Chambre de première instance étant exclusivement composée de juges professionnels, largument selon lequel lévaluation des témoignages pour juger de la culpabilité du premier accusé porterait préjudice aux autres coaccusés ne tient pas. Selon lui, les Juges de la Chambre de première instance sont parfaitement à même dévaluer les témoignages pour déterminer quels témoignages concernent et incriminent quels accusés.
18. En fait de procès rapide, le Conseil a indiqué quen quatre mois et quatre jours, lAccusation, disposant de 44 jours daudience, a entendu 25 témoins, tandis que la Défense du premier accusé, en deux mois, a eu 26 jours daudience pour présenter 15 témoins. Le Conseil du premier accusé estime avoir observé les instructions de la Chambre concernant la rapidité de la procédure et le fait déviter les comparutions et les témoignages redondants. Il considère que le premier accusé est en droit dobtenir satisfaction. Ce dernier ne demande pas un procès séparé. Il tente seulement dobtenir que les droits qui lui sont conférés par larticle 82 du Règlement soient respectés.
LAccusation
19. Dans sa Réponse à la Requête, lAccusation se réfère aux principes déquité et defficacité, consacrés par le Règlement, et à la Décision de la Chambre de première instance en date du 25 septembre 1996, qui rejetait une précédente demande de disjonction dinstances (Décision relative aux exceptions préjudicielles aux fins de disjonction dinstances soulevées par les accusés Zejnil Delalic et Zdravko Mucic ("Décision du 25 septembre 1996"), RG cote D1409-D1415, version en anglais, RG cote D1416-1423, version en français).
20. LAccusation estime que la Requête nest, pour lessentiel, rien dautre quune demande de disjonction dinstances. Elle fait observer que, par sa Décision du 25 septembre 1996, la Chambre de première instance avait déjà refusé la disjonction et quaucune circonstance nouvelle ne justifie de revenir sur cette Décision. En outre, avance-t-elle, faire droit à la Requête aurait pour conséquence de grever plus avant les ressources, de retarder le procès des autres accusés et dempêcher la Chambre de recueillir des moyens de preuve supplémentaires pertinents.
21. LAccusation considère que les moyens de preuve présentés par les témoins intéressent tous les accusés et que les Conseils des coaccusés contre-interrogent fréquemment les témoins cités par le premier accusé. À de très rares exceptions près, le Conseil du premier accusé a procédé au contre-interrogatoire de tous les témoins à charge. Pratiquement toutes les preuves documentaires et matérielles à charge concernent le premier accusé aussi bien que tous les autres coaccusés. Aussi, si la Chambre devait examiner le dossier du premier accusé isolément, elle bornerait son examen de la crédibilité de la quasi-totalité des témoins et son évaluation de chacun des documents à la question de la culpabilité du premier accusé. Elle serait ensuite obligée de répéter lopération pour chacun des autres accusés. De telles répétitions sont inutiles et retarderaient notablement le procès des autres accusés.
22. De surcroît, lAccusation avance que si lon devait dabord clore le procès du premier accusé, elle pourrait souhaiter exercer son droit de réplique, ce qui, autrement aurait pu être inutile, vu le témoignage des autres personnes citées par les autres coaccusés. Il se pourrait que des témoins cités pour répliquer à la défense du premier accusé doivent être entendus de nouveau après que les autres coaccusés auront présenté leurs moyens de preuve. LAccusation fait observer quun tel procédé se solderait par la multiplication des comparutions dun même témoin, là où une comparution unique, intervenant à lissue de la présentation des moyens de preuve à décharge de tous les accusés, suffirait.
23. De même, lAccusation avance que les plaidoiries prononcées à lissue de la présentation des moyens de preuve relatifs au premier accusé traiteraient de points intéressant tous les accusés. Sil était fait droit à la Requête de la Défense, les mêmes choses risqueraient dêtre répétées trois autres fois, ce qui allongerait inutilement le procès de chacun des autres accusés.
24. De surcroît, si lon acceptait une telle procédure, chaque accusé demanderait à bénéficier du même traitement, ce qui viderait de sa substance la notion même de jonction dinstances.
25. Au cours de son exposé, M. Niemann, sexprimant au nom de lAccusation, a répété que la Requête nétait, pour lessentiel, rien dautre quune demande en disjonction dinstances présentée autrement. Selon lui, à ce stade, après que la procédure a été engagée en application de larticle 85 du Règlement, le premier accusé na plus le droit dêtre jugé séparément. Un procès commun ayant été organisé, lAccusation peut présenter ses moyens de preuve conjointement à lencontre de tous les accusés, et cest ce quelle a fait. La même méthode sera employée au cours de sa réplique et pour les conclusions.
26. M. Niemann a, en outre, avancé que la jonction dinstances avait été ordonnée dans lintérêt général, lequel lemporte sur celui de la Défense à bénéficier dun procès séparé. Ici encore, le simple fait que laccusé subisse un préjudice ne suffit pas à justifier un procès séparé.
27. À ce propos, M. Niemann a fait observer que larticle 82 du Règlement évoque un "préjudice grave". En Grande-Bretagne, déclare-t-il, la loi exige un "préjudice dangereux".
C. Discussion
28. Il convient dobserver quen lespèce, le requérant est le premier accusé. Celui-ci est à la veille dachever la présentation de ses moyens de défense. Sa requête vise à obtenir de la présente Chambre de première instance une ordonnance lui permettant de finir de présenter sa défense et dêtre jugé et éventuellement condamné avant que le deuxième accusé commence à exposer ses moyens. Ce faisant, le premier accusé demande à lAccusation dindiquer si elle souhaite exercer son droit de réplique afin quil puisse décider sil doit citer des témoins pour la duplique. Il demande également que lAccusation prononce ensuite son réquisitoire, que lui-même fasse son plaidoyer, que la Chambre délibère sur son cas et quelle rende son jugement et fixe éventuellement la peine applicable.
29. Il est bon et important de rappeler que le premier accusé est jugé en même temps que trois autres accusés. Il a précédemment demandé à être jugé séparément par voie de requête, déposée le 5 juin 1996 (Exception préjudicielle aux fins dune disjonction dinstances, RG cote D1-8/418 bis). Par sa Décision du 25 septembre 1996, la Chambre de première instance a rejeté cette requête pour le motif suivant :
[
...] les accusés ont régulièrement fait lobjet dun seul et unique acte daccusation, aucun conflit dintérêts na été démontré et il na pas été établi que lintérêt de la justice ait subi un quelconque préjudice. (Décision du 25 septembre 1996, paragraphe 10)Le premier accusé demande donc à présent un procès distinct de celui des trois coaccusés à partir de ce stade de la procédure. Sa requête est sans précédent en ce sens que laccusé demande que son cas soit disjoint à lissue de la présentation de ses propres moyens de preuve.
Principes généraux
30. Les principes régissant la jonction des instances introduites contre des personnes accusées davoir commis des infractions à loccasion de la même opération sont énoncés à larticle 48 du Règlement, qui stipule simplement :
Des personnes accusées dune même infraction ou dinfractions différentes commises à loccasion de la même opération peuvent être mises en accusation et jugées ensemble. (Non souligné dans loriginal)
Cette disposition, limpide, ne demande pas à être interprétée. Seule lexpression "même opération" nécessite dêtre explicitée. Le terme "opération" est défini comme suit à larticle 2 du Règlement :
Un certain nombre dactions ou domissions survenant à loccasion dun seul événement ou de plusieurs, en un seul endroit ou en plusieurs, et faisant partie dun plan, dune stratégie ou dun dessein commun.
31. La présente Chambre de première instance, interprétant larticle 48 du Règlement, a conclu que le terme "opération" doit se lire à la lumière de la définition donnée par larticle 2 du Règlement et du sens quil revêt à larticle 82 B) (Cf. Décision du 25 septembre 1996, paragraphes 1 et 2). Nous faisons nôtre cette interprétation. La Chambre est davis que les actes allégués participent dune même opération. Cest aussi ce qui ressort clairement des paragraphes 13 et 14 de lacte daccusation :
13. Toutes les victimes visées dans le présent acte d'accusation étaient à toutes les époques concernées, des détenus au camp de Celebici et des personnes protégées par les Conventions de Genève de 1949.
14. Tous les actes décrits dans les paragraphes ci-dessous ont été commis dans le camp de Celebici, municipalité de Konjic. (Non souligné dans loriginal)
Ainsi, tous les actes reprochés dans lacte daccusation ont été commis au cours de la même opération dans le camp de Celebici, et ils peuvent légitimement être rassemblés dans un acte daccusation commun.
32. Dans sa Décision du 25 septembre 1996, la Chambre de première instance a conclu quaucune disposition ne prévoyait un procès distinct pour trancher certains points particuliers dun acte daccusation commun. Par contre, un procès séparé est prévu pour les accusés dont les instances ont été jointes lorsque les conditions visées à larticle 82 B) du Règlement sont remplies et que la procédure établie à larticle 72 du Règlement est respectée.
Conditions régissant les demandes de procès séparé pour les
personnes faisant lobjet dun même acte daccusation
33. La possibilité de séparer le procès de personnes mises en accusation ensemble est régie par le Règlement. En vertu de larticle 82 B) du Règlement, les demandes aux fins de disjonction de chefs daccusation ou de disjonction dinstances lorsque des accusés font lobjet dun acte daccusation commun peuvent être présentées par voie dexception préjudicielle, au plus tard soixante jours après la comparution initiale de laccusé et dans tous les cas, avant laudience sur le fond (article 72 A) iii) du Règlement). Toutes les demandes de disjonction dinstances déposées par les accusés visés par un acte daccusation commun ont été rejetées. Il est clair quil convient de contester une jonction abusive après la comparution initiale et avant le début de laudience au fond (Cf. article 72 A) iii). Larticle 48 du Règlement ne laisse aucun doute sur le fait que des personnes mises en accusation ensemble peuvent être jugées ensemble. Les dispositions de larticle 82 B) permettent la disjonction dinstances dans les cas appropriés.
Motifs justifiant les procès séparés
34. Larticle 82 B) du Règlement, qui prévoit la possibilité de séparer les procès daccusés dont les instances ont été jointes, fixe les conditions dune disjonction dinstances. La Chambre de première instance peut envisager de juger séparément de tels accusés si, i) elle le juge nécessaire pour éviter tout conflit dintérêts de nature à causer un préjudice grave à un accusé, ou, ii) pour sauvegarder lintérêt de la justice. Vu lemploi de la conjonction "ou", il apparaît clairement quil suffit, pour que la Chambre puisse ordonner la disjonction dinstances, que lune ou lautre de ces conditions soit remplie. En conséquence, lorsquun accusé demande que son procès soit dissocié de celui de ses coaccusés, et quil parvient à convaincre la Chambre de première instance que des conflits dintérêts dans la défense des accusés pourraient causer un préjudice grave à sa propre défense, ou que cette mesure est nécessaire pour sauvegarder lintérêt de la justice, le procès séparé simpose impérativement.
Raisons justifiant la jonction dinstances
35. Indubitablement, lintérêt public commande que les personnes mises conjointement en accusation soient jugées ensemble. Les économies de temps et dargent sont un facteur important. Il est en outre souhaitable, dans lintérêt dune justice transparente, que le même verdict et le même traitement viennent sanctionner toutes les personnes jugées conjointement pour des crimes commis au cours dune même opération. Cela permet également déviter les contradictions et les incohérences qui ne manqueraient pas de se faire jour si lon jugeait séparément des accusés réunis par un acte daccusation commun. Cest pourquoi les principes régissant ladministration de la justice pénale admettent que lon juge ensemble les personnes mises conjointement en accusation, nonobstant les préjudices mineurs qui en résultent fatalement. Les dispositions de larticle 82 B) semblent laisser une grande latitude à la Chambre de première instance pour juger de lopportunité dorganiser un procès séparé pour une personne accusée conjointement avec dautres. En effet, léventualité dun préjudice grave causé à laccusé et lintérêt de la justice imposent de laisser aux juges une marge dappréciation.
36. Il ressort à lévidence de lénoncé des motifs justifiant lorganisation dun procès séparé à larticle 82 B) que lintérêt de la justice prime sur les autres considérations. Ainsi, la Chambre de première instance peut, proprio motu, ordonner un procès séparé lorsquelle est convaincue quun procès conjoint donnerait lieu à un conflit dintérêts tel quil causerait un préjudice grave à lun quelconque des coaccusés. Il est admis que la jonction dinstances occasionne inévitablement certains préjudices. Ce que lintérêt de la justice tolère difficilement, cest limpact dun préjudice grave sur lissue du procès dans son ensemble. Des procès séparés peuvent être ordonnés quand des moyens de preuve à charge, admissibles à légard de lun des accusés, ne le sont pas à légard des autres coaccusés, ou quand la disjonction permettrait au Procureur de citer à comparaître un complice.
D. Conclusions
37. En lespèce, le Requérant fait valoir quil ne cherche pas à obtenir la disjonction ou un procès séparé au sens de larticle 82 B) du Règlement. Le premier accusé ne demande que le respect des dispositions de larticle 82 A), qui lui accordent les mêmes droits que sil était jugé séparément. Ce faisant, son Conseil se réfère aux stipulations des articles 20 et 21 du Statut et 85 du Règlement. Son argument appelle une interprétation de larticle 82 A).
Interprétation des dispositions des articles 82 A), 83, 84, 86 et 87
38. Le premier accusé demande une ordonnance lui permettant den finir avec la présentation de ses moyens de preuve, de prononcer sa plaidoirie et dobtenir que la Chambre de première instance délibère, rende son jugement et, éventuellement, fixe une peine, avant que le deuxième accusé nentreprenne dexposer ses moyens de défense. Il soutient que larticle 82 A) permet denvisager une telle procédure. Une lecture et une interprétation scrupuleuses de larticle 82 A) et des articles 86 et 87 du Règlement démontrent quil nétait pas dans lintention de leurs auteurs de permettre de disjoindre des instances à quelque stade que ce soit si les conditions posées par larticle 82 B) ne sont pas remplies.
39. Il est bon de souligner que le but de larticle 82 A) est de donner à laccusé jugé conjointement avec dautres, les mêmes droits quà laccusé jugé séparément par une Chambre de première instance. Ainsi, la personne jugée conjointement avec dautres ne perd aucune des garanties accordées par les articles 20 et 21 du Statut, ni aucun des droits que lui reconnaissent les articles 83, 84, 85, 86 et 87 du Règlement.
40. Il convient de renvoyer à larticle 83 du Règlement, qui prévoit lenlèvement des menottes et de tout autre instrument de contrainte lorsque laccusé comparaît devant la Chambre de première instance. En vertu de larticle 84, la Défense est en droit de faire une déclaration liminaire après lAccusation. Lordre de présentation des moyens de preuve demeure le même que celui prévu à larticle 85, et il en va de même des plaidoiries, qui interviennent après la présentation de tous les moyens de preuve (article 86 du Règlement).
41. Cest à larticle 86 que lon rencontre une difficulté apparente, portant sur la signification dun procès à plusieurs accusés. Mais cette difficulté disparaît lorsquon se rapporte à la définition de larticle 2 B) du Règlement, applicable à tous ses articles, qui veut que "[ ...] aux fins du présent Règlement, lemploi du masculin et du singulier comprend le féminin et le pluriel et inversement." Suivant cette interprétation, laccusé partie à un procès conjoint, bien quindividuellement investi de tous les droits reconnus à laccusé jugé seul, est soumis aux droits collectifs du groupe dans lintérêt général de la justice, qui commande que le procès soit rapide et équitable.
42. Cest pourquoi, en cas dinstances jointes, laccusé fait sa déclaration liminaire avant la présentation des moyens de preuve et prononce son plaidoyer après la présentation de tous les moyens de preuve (article 86). En cas dinstances jointes, la présentation de tous les moyens de preuve prévue à larticle 86 sentend de tous les moyens de preuve, à la charge et à la décharge de chacun des accusés. Cette présentation ne se limite pas à tous les moyens de preuve à la décharge de chacun des accusés. Lorsque larticle 87 parle des deux parties achevant la présentation de leurs moyens, il convient de comprendre par là, en cas dinstances, lAccusation et la Défense de tous les accusés. Le Président de la Chambre déclare clos les débats et la Chambre se retire pour délibérer à huis clos. Il nest pas prévu, dans un procès à plusieurs accusés, de clore les débats relatifs à chacun des accusés en permettant que les parties prononcent des plaidoiries séparées pour chacun dentre eux (article 87 du Règlement). En labsence de disjonction, les accusés qui font lobjet dun même acte daccusation sont jugés ensemble.
43. Partant de lidée que larticle 87 prévoit que, en cas de jonction dinstances, la Chambre statue séparément sur le cas de chacun des accusés, le Conseil a émis lidée quune disjonction pouvait sopérer à tout moment en cours de procès. Une telle interprétation ignore la raison dêtre essentielle dune jonction dinstances, laquelle est de garantir, dans la mesure du possible, un même verdict et un même traitement à tous ceux qui sont jugés ensemble sur la base dun acte daccusation commun, et déviter les contradictions que pourrait occasionner le fait de juger séparément des infractions réunies dans un même acte daccusation. Il est faux daffirmer que larticle 87 B) du Règlement ninterdit pas de juger séparément un accusé au cours dun procès conjoint. Rien ne laisse penser que cette disposition autorise un procès séparé. Le fait de statuer séparément sur le cas de chacun des accusés lorsque plusieurs dentre eux sont jugés ensemble nest pas incompatible avec la notion de procès conjoint. Ces conclusions séparées ne portent que sur un point de la procédure.
44. Le Requérant avance encore que la nécessité, aux termes de larticle 87 B), de statuer séparément sur le cas des accusés jugés ensemble, vient étayer la notion de procès séparé. La Chambre de première instance est davis que cette interprétation est erronée. Larticle 87 B) ne peut être interprété en ce sens. La raison dêtre de cette disposition est que chacun des coaccusés devant répondre dinfractions distinctes, fussent-elles les mêmes, au titre de différents chefs daccusation, leur cas doit être examiné séparément à la lumière des preuves produites. Les accusés ont été jugés ensemble, mais il est statué sur la culpabilité de chacun dentre eux. Cest pourquoi larticle 87, qui prévoit une délibération portant sur lensemble du procès, stipule que la Chambre vote séparément sur chaque chef daccusation et quelle statue séparément sur le cas de chacun des accusés jugés ensemble, en application de larticle 48. Larticle 87 B) parle dinstances jointes.
45. Que le Requérant se déclare prêt à renoncer aux bénéfices quil pourrait tirer dun procès conjoint indique clairement quil est conscient du fait que ledit procès conjoint auquel il cherche à se soustraire en obtenant dêtre jugé séparément est encore en cours. Si le Conseil souhaite obtenir un procès séparé, il doit absolument démontrer que, en létat, cette instance donne lieu à un conflit dintérêts de nature à causer un préjudice grave à laccusé, ou quil en va de lintérêt public en général ou de lintérêt de la justice. Telles sont les conditions à remplir pour obtenir un procès séparé lorsquil y a eu jonction dinstances.
46. Le Conseil énumère les avantages, en termes déconomies de temps et dargent qui découleraient du jugement du premier accusé avant la présentation des moyens de preuve des coaccusés. Il souligne que le fait de contraindre le premier accusé à attendre la fin de la présentation des moyens de preuve des trois autres coaccusés constituerait une violation des droits qui sont les siens en vertu des articles 20 et 21 du Statut. La Chambre de première instance reprend entièrement à son compte la position adoptée par lAccusation sur ces questions. On ne peut sérieusement prétendre que cela ne reviendrait pas à organiser un procès séparé si, comme il le souhaite, les trois coaccusés devaient attendre la conclusion de la présentation des moyens de preuve, les plaidoiries, les délibérations, le jugement, voire la condamnation du premier accusé, pour être eux-mêmes jugés. Lévaluation des moyens de preuve et de la crédibilité des témoins serait ainsi limitée à lexamen des preuves à la charge du premier accusé. Il en irait de même des preuves de chacun des coaccusés. En cas de jonction dinstances, en revanche, les moyens de preuve produits au procès concernent tous les coaccusés et leur évaluation nest pas nécessairement cantonnée à lexamen de laccusé dont les témoins comparaissent. La Chambre de première instance est davis que si la position défendue par le premier accusé était juridiquement la bonne, il faudrait entreprendre pour chaque accusé dapprécier la crédibilité des témoins, dévaluer pratiquement tous les documents et de délibérer sur sa culpabilité au lieu de le faire en une seule fois à lissue des plaidoiries des accusés. Nous ne pensons pas que ce soit le cas.
47. La Chambre estime, comme lAccusation, quil serait préférable dattendre que tous les accusés aient achevé la présentation de leurs moyens, ou, en dautres termes, que la Défense en ait terminé avec sa présentation, avant denvisager la possibilité pour lAccusation de citer des témoins pour la réplique, pour laccusé, des témoins pour la duplique, ou encore dordonner la production de moyens de preuve, proprio motu. Autrement, la Chambre de première instance serait confrontée à une multiplication inutile des témoignages et ces répétitions retarderaient notablement et inutilement lissue du procès. La procédure proposée pourrait avoir une incidence sur les témoignages en réplique si lAccusation devait exercer ce droit de réplique. En effet, un témoin venu répliquer aux arguments du premier accusé pourrait aussi être cité pour réfuter les arguments dun autre accusé. Il sensuivrait une situation fâcheuse, un même témoin étant appelé à répliquer à la défense de plusieurs accusés. Un témoin dont la déposition appelle une réplique devrait comparaître autant de fois quil y aurait de témoignages daccusés à réfuter. Enfin, si lon se base sur le nombre de jour daudience consacrés à lAccusation et le nombre de jours daudience déjà consacrés à laudition des témoins à décharge du premier accusé pour évaluer le temps quil faudra pour entendre les témoins de chaque accusé, il ressort clairement quà ce stade de la procédure, la disjonction dinstances entraînerait des retards considérables.
48. Le Conseil du premier accusé sappuie sur les dispositions des articles 20 et 21 du Statut pour soutenir que, même dans le cadre dun procès conjoint, la Chambre de première instance devrait permettre que le premier accusé conclue la présentation de ses moyens de preuve pour quil soit jugé, faute de quoi son droit à un procès équitable et rapide serait bafoué. Il importe dobserver que les dispositions de larticle 20 chargent la Chambre de première instance, et non laccusé, de veiller à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que linstance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de laccusé étant pleinement respectés [ ...] . Dans un procès conjoint à plusieurs accusés, la Chambre est, aux termes de cette disposition, chargée de veiller sur les droits de tous les accusés. Dans un procès conjoint, chacun des accusés doit bénéficier du droit prévu à larticle 21 4) c) dêtre jugé sans retard excessif. Aussi, il convient, dans un tel procès, de protéger les droits égaux et concurrents des accusés à un procès rapide et équitable en appliquant strictement le Règlement. De même quaucun article du Règlement ninterdit la disjonction des instances à ce stade, aucun ne lautorise.
49. La raison dêtre dun procès conjoint est de garantir que les personnes qui font lobjet dun acte daccusation commun soient jugées ensemble. Un procès conjoint permet de réaliser des économies de temps et dargent. Qui plus est, il est de lintérêt du public et de la justice en général quun même verdict et le même traitement viennent sanctionner toutes les personnes accusées davoir commis des infractions à loccasion de la même opération. Un procès conjoint permet déviter, ou tout au moins de réduire, les contradictions et les divergences qui ne manqueraient pas de surgir si lon jugeait séparément des personnes qui font lobjet dun même acte daccusation.
50. La Requête ne vise pas à lorganisation dun procès séparé pour une personne accusée et jugée conjointement avec dautres. Elle est ainsi désignée faute de mieux. Le procès du premier accusé serait achevé au moment dexaminer la mesure demandée. Mais comme il sagit dun procès conjoint, qui ne peut être clos aussi longtemps que les trois coaccusés nauront pas présenté leurs moyens, la présentation des moyens de preuve de la Défense ne peut être déclarée close à ce stade. Les dispositions de larticle 82 A) ne peuvent sinterpréter comme permettant lorganisation dun procès séparé pour des personnes mises en accusation et jugées conjointement. Les conditions posées à larticle 82 B), seule disposition autorisant lorganisation dun tel procès, ne sont pas remplies. Le Conseil na donné aucun motif justifiant quà ce stade du procès conjoint, la Chambre de première instance use de son pouvoir discrétionnaire pour organiser un procès séparé dans lintérêt de la justice.
III. DISPOSITIF
Par ces motifs, LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE,
EN APPLICATION DE LARTICLE 54,
REJETTE la Requête.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le Président de la Chambre de première instance
(Signé)
Adolphus G. Karibi-Whyte
Fait le premier juillet 1998
La Haye (Pays-Bas)
[
Sceau du Tribunal]