LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge David Hunt, Président
M. le Juge Fouad Riad
M. le Juge Wang Tieya
M. le Juge Rafael Nieto-Navia
M. le Juge Mohamed Bennouna

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Ordonnance rendue le :
7 décembre 1999

LE PROCUREUR

C/

Zejnil DELALIC, Zdravko MUCIC (alias "PAVO"), Hazim DELIC
et Esad LANDZO (alias "ZENGA")

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’APPELANT ESAD LANDZO AUX FINS D’OBTENIR L’AUTORISATION D’ACQUÉRIR ET DE PRODUIRE
DE NOUVEAUX ÉLÉMENTS DE PREUVE EN APPEL

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Le Bureau du Procureur :

M. Upawansa Yapa
M. Christopher Staker
M. Norman Farrell
M. Rodney Dixon

Le Conseil de la Défense :

M. John Ackerman pour Zejnil Delalic
MM. Tomislav Kuzmanovic et Howard Morrison pour Zdravko Mucic
MM. Salih Karabdic et Tom Moran pour Hazim Delic
Mme Cynthia Sinatra et M. Peter Murphy pour Esad Landzo

 

LA CHAMBRE D’APPEL du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 ("Tribunal international"),

VU la Requête de l’appelant Esad Land‘o aux fins d’obtenir l’autorisation d’acquérir et de produire de nouveaux éléments de preuve en appel déposée le 27 septembre 1999 («la Requête »),

VU la «Réponse de l’Accusation à la Requête de l’appelant Esad Land‘o aux fins d’obtenir l’autorisation d’acquérir et de produire de nouveaux éléments de preuve en appel», déposée le 7 octobre 1999,

VU l’Acte d’appel du défendeur Esad Land‘o, déposé le 1er décembre 1998, dans lequel il expose ses motifs d’appel incluant, entre autres, le fait que son droit à un procès équitable et rapide en application des articles 20 et 21 du Statut du Tribunal international «a été enfreint quand un verdict et une sentence ont été rendus par une Chambre de première instance dont le président était autorisé à dormir durant la plus grande partie du procès» («Quatrième motif d’appel»),

ATTENDU que dans cette Requête, d’une part, l’appelant soutient qu’un des points soulevés par rapport au Quatrième motif d’appel est la question de savoir s’il faut ou non considérer qu’il a renoncé à son droit de faire valoir ce motif d’appel en ne l’invoquant pas lors du procès et, d’autre part, que l’appelant demande l’autorisation d’acquérir et de produire de nouveaux éléments de preuve en appel concernant ce point,

ATTENDU que les éléments de preuve demandés par l’appelant consistent en :

i)

le témoignage et les dossiers écrits de l’ancien président du Tribunal international, M. le Juge Antonio Cassese («l’Ancien président»),

ii)

le témoignage et les dossiers écrits du Greffier du Tribunal international, Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh (le « Greffier ») et

iii)

le témoignage d’un juriste hors-classe du Tribunal international, M. John Hocking («le Juriste hors-classe»), qui a assisté la Chambre de première instance durant le procès de l’appelant

au sujet de discussions qu’ils auraient eues avec le Conseil assistant l’appelant à cette époque,

ATTENDU que l’appelant désire également acquérir et produire de nouveaux éléments de preuve provenant du Juriste hors-classe relatifs à la question de savoir si le Président était assoupi durant le procès,

ATTENDU que l’appelant demande, dans la Requête, à la Chambre d’appel de –

i)

Ordonner ou enjoindre le responsable officiel compétent de lever tout privilège ou immunité dont jouiraient l’Ancien président, le Greffier et le Juriste hors-classe («les Témoins proposés»),

ii)

ordonner ou enjoindre les Témoins proposés de témoigner par voie de déposition, et

iii)

ordonner ou enjoindre l’Ancien président et le Greffier de produire des documents,

ATTENDU que le Bureau du Procureur («l’Accusation») s’oppose à la Requête et soutient que l’appelant demande une réparation anticipée alors que les parties n’ont pas encore déposé leurs conclusions sur la question de la renonciation,

ATTENDU, cependant, que à la fois dans –

i)

les «Réquisitions relatives à la Requête d’Esad Land‘o aux fins de protection et de communication d’éléments de preuve», déposées le 26 février 1999 en réponse à la «Requête aux fins de conservation et de communication d’éléments de preuve» déposée le 4 février 1999 par l’appelant, et

ii)

la «Réponse de l’Accusation à la deuxième Requête aux fins de conservation et de communication d’éléments de preuve» déposée le 4 juin 1999 en réponse à la «Deuxième requête aux fins de conservation et de communication d’éléments de preuve» déposée par l’appelant le 4 juin 1999,

l’Accusation a soulevé la question de la renonciation en réponse au Quatrième motif d’appel,

ATTENDU que l’Accusation soumet dans l’alternative que, cette question étant un élément pertinent du procès, les éléments de preuve intéressant la question de la renonciation devraient être admis, mais que le témoignage des Témoins proposés est inutile pour résoudre la question et que la réparation proposée n’est pas nécessaire,

ATTENDU, EN OUTRE, que l’Accusation :

i)

est prête à accepter certaines mesures prises par le Conseil assistant alors l’appelant, à savoir qu’il a rencontré chacun des Témoins proposés, mais qu’elle n’est pas à même d’accepter les détails des conversations qui se sont déroulées lors de ces réunions,

ii)

ne contesterait pas que la lettre du 18 août 1997, jointe à la Requête en Annexe B, a été envoyée à l’Ancien président par l’appelant et que la lettre en réponse, datée du 3 septembre 1997, également jointe à la Requête en Annexe B, a été envoyée par l’Ancien président à l’appelant, et

iii)

ne contesterait pas que le Conseil de l’appelant a préparé les documents «Requête en déni de justice» et «Démission contre son gré de Cynthia McMurray», jointes à la Requête en Annexe C,

ATTENDU donc que la majeure partie des témoignages des Témoins proposés est rendue inutile dans la mesure où un grand nombre des faits que l’appelant souhaite établir peuvent l’être par leur acceptation par l’Accusation,

ATTENDU, DE SURCROÎT, que rien n’indique que l’appelant n’est pas à même de produire des éléments de preuve relatifs à toutes les questions restantes autrement que par les dépositions des Témoins proposés, et que le Conseil l’assistant alors est en mesure de témoigner sur ces derniers points,

VU la référence faite dans la Requête à l’article 30 du Statut du Tribunal international et à la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies du 13 février 1946, («Convention sur les privilèges et immunités») relatifs aux immunités dont bénéficient le Tribunal international et ses fonctionnaires,

ATTENDU que, en supposant (mais sans trancher) que la Convention sur les privilèges et immunités est applicable aux actions devant le Tribunal international, les immunités couvrant ainsi les Témoins proposés ne pourraient pas, vu les circonstances de l’espèce, entraver le cours de la justice et, par conséquent, le responsable officiel compétent ne lèverait pas ces immunités,

MAIS ATTENDU qu’il est inutile en l’espèce d’examiner l’application éventuelle de la Convention sur les privilèges et immunités à des actions devant le Tribunal international, dans la mesure où les questions soulevées dans la Requête peuvent être dûment résolues en se fondant sur des motifs juridiques plus vastes,

ATTENDU qu’il ressort d’une étude de la jurisprudence pertinente de systèmes juridiques internes que les principes généraux du droit reconnaissent l’existence d’un privilège ou d’une immunité judiciaire opposable à une obligation de témoigner sur des débats judiciaires et certaines autres questions y afférentes,

ATTENDU, DE PLUS, qu’une institution judiciaire indépendante telle que le Tribunal international se doit de pouvoir préserver le caractère confidentiel de ses fonctions judiciaires de base, que l’indépendance des juges et autres auxiliaires de justice du Tribunal devrait être protégée contre la possibilité qu’ils soient entraînés dans les litiges dont il est saisi en les forçant à témoigner en faveur de l’une ou l’autre des parties, et que les débats et remarques judiciaires relatives aux questions que les juges doivent trancher ne devraient pas faire l’objet de dépositions forcées devant le Tribunal international ni entraîner l’exposé devant tout organe autre que celui compétent des motifs de la décision rendue sur une question spécifique («Considérations fondamentales»),

ATTENDU, EN OUTRE, que ces Considérations fondamentales seraient ébranlées si les auxiliaires de justice d’une cour ou d’un tribunal qui assistent les juges dans leurs fonctions judiciaires étaient contraints de témoigner sur ce qu’ils savent de ces fonctions judiciaires ou autres questions judiciaires confidentielles,

ATTENDU que les entretiens entre le Conseil assistant alors l’appelant et l’Ancien président étaient fondamentalement une demande adressée audit président d’exercer ses pouvoirs relatifs à la composition d’une Chambre du Tribunal et que, ces pouvoirs exigeant l’indépendance et l’impartialité complètes du juge qui les exerce, les éléments de preuve relatifs à ces questions entrent aussi dans le champ du privilège ou de l’immunité,

ATTENDU que l’appelant demande que le Juriste hors-classe témoigne de ce qu’il sait de l’assoupissement présumé du président de la Chambre durant le procès,

ATTENDU que l’observation par un fonctionnaire du Tribunal international du déroulement de l’instance en audience publique entre également dans le champ du privilège ou de l’immunité susmentionnés,

ATTENDU que (à la majorité) le Greffier, au vu de son rôle officiel au Tribunal international, qui inclut l’assistance aux Chambres et certaines fonctions de caractère judiciaire, ne devrait pas être entraîné dans les actions intentées devant le Tribunal international en témoignant pour l’une ou l’autre des parties à moins que ces éléments de preuve ne puissent pas être obtenus par le biais d’une autre source et qu’ils soient autrement nécessaires,

ET ATTENDU que le témoignage du Greffier, pour les raisons susmentionnées, n’est pas nécessaire pour prouver l’un quelconque des points que l’appelant désire établir,

ATTENDU que (à la majorité) , bien que le privilège ou l’immunité décrits plus haut interviennent principalement pour éviter que les Juges et autres auxiliaires de justice du Tribunal soient contraints de témoigner, compte tenu de la conclusion susmentionnée que les éléments de preuve sont disponibles par le biais d’autres sources et conformément aux Considérations fondamentales déjà mentionnées, il est également inapproprié de demander que les Témoins proposés déposent,

VU l’article 16 du Code de déontologie du Conseil de la Défense devant le Tribunal international, qui prévoit que le Conseil ne plaide pas dans un procès où il sera sans doute appelé à comparaître comme témoin, sauf si son témoignage porte sur un point non contesté ou si sa récusation serait cause d'un dommage substantiel à son client («l’article 16»),

ATTENDU qu’il est nécessairement tenu compte des effets de l’article 16 depuis que le Conseil assistant l’appelant lors du procès a été, à sa demande, nommé comme l’un des deux Conseils de l’appelant en appel ;

ET ATTENDU que le jeu de l’article 16 ne léserait pas l’appelant, dans la mesure où son co-Conseil peut présenter tout argument relatif au Quatrième motif d’appel ;

PAR CES MOTIFS

REJETTE UNANIMEMENT la Requête.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

(signé)
M. le Juge David Hunt
Président de la chambre d’appel

Fait le 7 décembre 1999
La Haye (Pays-Bas)

M. le Juge Bennouna joint une Déclaration en annexe à cette Décision.

[Sceau du tribunal]