Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mardi 8 avril 2003.)

2 (Jugement en appel.)

3 (L'audience est ouverte à 14 heures 36 sous la présidence de M. le Juge

4 Meron.)

5 (Les accusés Zdravko Mucic, Hazim Delic, Esad Landzo sont dans le

6 prétoire.)

7 (Audience publique.)

8 M. le Président (interprétation): Madame la Greffière, pourriez-vous citer

9 l'affaire, s'il vous plaît?

10 Mme Anoya (interprétation): Bonjour. Il s'agit de l'affaire IT-96-21-A

11 bis, l'accusation contre Zdravko Mucic, Hazim Delic, Esad Landzo.

12 M. le Président (interprétation): Monsieur Mucic, m'entendez-vous?

13 Monsieur Delic? Monsieur Landzo?

14 (Les accusés font un signe affirmatif de la tête.)

15 Je vous remercie.

16 Je vais demander aux différentes parties de se présenter, s'il vous plaît.

17 L'accusation, vous avez la parole.

18 M. Farrell (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs les

19 Juges.

20 L'accusation, représentée par Norman Farrell, Anthony Carmona, Helen

21 Brady.

22 M. Kuzmanovic (interprétation): Tomislav Kuzmanovic.

23 M. le Président (interprétation): Le conseil de M. Delic. Je vous

24 remercie.

25 Conseil de M. Landzo?

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1 Mme Sinatra (interprétation): Cynthia Sinatra, ainsi que Peter Murphy.

2 M. le Président (interprétation): Cette Chambre d'appel de ce Tribunal

3 international va maintenant rendre son jugement dans cette affaire.

4 En vertu de ce qui est pratiqué habituellement dans ce Tribunal, je ne

5 vais pas lire l'ensemble du jugement, hormis la disposition elle-même. Et

6 je m'en tiendrai à un résumé de ce jugement, en vertu des dispositions du

7 Tribunal.

8 "La Chambre d'appel siège aujourd'hui et a pour but de rendre ce deuxième

9 jugement dans l'affaire contre Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo.

10 M. le Juge Gunawardana siège actuellement dans un procès à Arusha et n'a

11 pu se joindre à nous. Il a toutefois pleinement participé à l'élaboration

12 de cet arrêt. Rappelons que l'Article 15bis du Règlement de procédure et

13 de preuve permet que l'instance se poursuive en l'absence d'un juge.

14 Au terme de leur procès, les trois appelants ont été reconnus coupables,

15 en leurs qualités respectives de commandant, de commandant adjoint et de

16 gardien du camp de Celebici, situé en Bosnie-Herzégovine centrale, de

17 meurtres, de torture, de violences sexuelles, de sévices et d'autres

18 traitements cruels et inhumains infligés aux détenus du camp, et ont été

19 au total condamnés respectivement à des peines d'emprisonnement de sept,

20 vingt et quinze ans.

21 Les accusés ayant fait appel des déclarations de culpabilité et des peines

22 prononcées, la Chambre d'appel a rendu un premier arrêt par lequel elle a

23 -accueilli l'appel interjeté par les accusés contre le fait d'avoir été

24 déclarés coupables, à raison des mêmes actes, à la fois d'infractions

25 graves aux Conventions de Genève et de violations des lois ou coutumes de

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1 la guerre, et a rejeté la deuxième de ces qualifications;

2 -fait droit à l'appel interjeté par Delic contre l'une des déclarations de

3 culpabilité prononcées à son encontre pour homicide intentionnel;

4 -fait droit à l'appel interjeté par l'Accusation contre la peine de Mucic,

5 jugée insuffisante;

6 -retenu le moyen d'appel invoqué par Mucic selon lequel la Chambre de

7 première instance avait eu tort, en fixant la peine, de retenir contre

8 l'accusé son refus de témoigner au procès.

9 Tous les autres moyens d'appel ont été rejetés, y compris ceux soulevés

10 par Delic contre plusieurs chefs d'homicide intentionnel et de torture

11 (infligée sous forme de viols et de rapports sexuels commis sous la

12 contrainte et de manière répétée).

13 La Chambre d'appel a renvoyé devant une Chambre de première instance

14 nouvellement constituée un certain nombre de questions se rapportant à la

15 révision éventuelle des peines infligées, dans le souci de rendre compte

16 des décisions prises en appel. La nouvelle Chambre de première instance a

17 jugé

18 -que l'annulation des déclarations de culpabilité cumulatives ne

19 justifiait pas que les peines soient révisées;

20 -que la peine de vingt ans infligée à Delic devait être ramenée à dix-huit

21 ans afin de rendre compte de l'annulation de la déclaration de culpabilité

22 pour un chef d'homicide intentionnel;

23 -que Mucic devait bénéficier d'une "légère réduction" de peine en raison

24 de la remarque négative faite par la Chambre de première instance initiale

25 sur son refus de témoigner au procès,

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1 -qu'il convenait de condamner Mucic à neuf ans d'emprisonnement.

2 Les trois appelants ont formé un nouveau recours devant la Chambre

3 d'appel, recours que l'arrêt, aujourd'hui, vise à trancher. Nous vous

4 présenterons ici un bref résumé des questions soulevées lors du second

5 appel, et des réponses apportées par la Chambre. Nous soulignons qu'il

6 s'agit uniquement d'un résumé, qui ne fait pas partie intégrante de

7 l'arrêt. La version écrite de l'arrêt est la seule à faire foi des

8 décisions de la Chambre et des motifs qui les sous-tendent. En fin de

9 séance, des copies de ce document seront mises à la disposition des

10 parties et du public.

11 1. Les appelants ont tous trois contesté le pouvoir de la Chambre d'appel

12 de renvoyer des questions particulières devant une Chambre de première

13 instance nouvellement constituée, et ont mis en cause la décision de la

14 Chambre de première instance selon laquelle la présentation d'éléments de

15 preuve supplémentaires relatifs à la peine était inutile.

16 La Chambre d'appel a examiné son pouvoir de procéder au renvoi de

17 questions particulières à l'époque où elle a usé de ce pouvoir, c'est-à-

18 dire lors du premier appel. Le fait, pour les parties, de faire appel des

19 décisions de la Chambre de première instance sur ces questions

20 particulières, ne les autorise pas pour autant à attaquer la décision de

21 la Chambre d'appel de renvoyer lesdites questions en première instance. La

22 Chambre d'appel juge qu'il n'y a pas lieu de reconsidérer son pouvoir de

23 renvoyer des questions particulières devant une nouvelle Chambre de

24 première instance, car ce pouvoir est indéniable. En raison de certaines

25 circonstances, la Chambre qui a connu du premier appel n'a pas pu, avant

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1 de rendre son arrêt, tenir d'audience qui aurait permis aux parties de

2 présenter leurs conclusions sur les peines sui s'imposaient. Elles avaient

3 donc le pouvoir inhérent de renvoyer ces questions devant une Chambre de

4 première instance. Aucun des éléments de preuve que les appelants

5 souhaitaient présenter à l'audience n'était pertinent pour les questions

6 en cause, et la nouvelle Chambre de première instance était fondée à juger

7 que ces éléments n'étaient pas recevables. En tout état de cause, les

8 appelants n'ont subi aucun préjudice, mais ont au contraire bénéficié

9 d'avantages dont ils n'auraient pas disposé si Chambre d'appel avait elle-

10 même révisé leurs peines. Ils ont eu ainsi la possibilité de développer

11 leurs arguments sur les questions concernées à la lumière de l'arrêt

12 rendu, et de faire appel s'ils n'étaient pas satisfaits de la solution

13 apportée.

14 2. Les appelants ont tous trois contesté la conclusion de la Chambre de

15 première instance selon laquelle une révision de leur peine ne s'imposait

16 pas, malgré le rejet du cumul des déclarations de culpabilité.

17 Dans son premier arrêt, la Chambre d'appel avait souligné qu'en matière de

18 fixation des peines, l'idée directrice est que, pour être juste et

19 appropriée, la sanction doit rendre compte du comportement d'ensemble de

20 l'accusé (principe de "totalité"), et que la peine doit refléter la

21 gravité des infractions et la culpabilité de leur auteur. Dans le jugement

22 qui fait l'objet du présent appel, la Chambre de première instance a

23 conclu que le comportement criminel d'ensemble de chacun des trois

24 appelants n'était pas atténué du fait de l'annulation des déclarations de

25 culpabilité cumulatives.

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1 La Chambre d'appel reconnaît que le cumul des déclarations de culpabilité

2 entraîne, en soi, une sanction additionnelle –non seulement en raison du

3 stigmate social qui s'attache à cet autre crime, mais aussi parce qu'il

4 existe un risque que, selon la législation de l'État chargé d'appliquer la

5 peine, les possibilités de libération anticipée dépendent dans une

6 certaine mesure du nombre ou de la nature des déclarations de culpabilités

7 prononcées. L'annulation des déclarations de culpabilité cumulatives a

8 toutefois supprimé les sanctions qui s'y rattachaient. La question qui se

9 posait dès lors à la nouvelle Chambre de première instance était de savoir

10 si, en fixant les peines dont elle a ordonné la confusion, la Chambre de

11 première instance initiale en avait également augmenté la longueur en

12 raison de la pluralité des déclarations de culpabilité. Sur la base des

13 déclarations faites par la Chambre de première instance initiale au cours

14 de la procédure et dans son jugement, la nouvelle Chambre de première

15 instance était fondée à conclure, comme elle l'a fait, que les peines

16 auraient été les mêmes sans cumul des déclarations de culpabilité.

17 3. Zdravko Mucic a attaqué la conclusion de la nouvelle Chambre de

18 première instance selon laquelle il devait bénéficier d'une "légère"

19 réduction de peine suite à la remarque critique de la Chambre de première

20 instance initiale sur son refus de témoigner au procès.

21 La nouvelle Chambre de première instance a conclu qu'il n'était pas

22 possible de mesurer précisément l'incidence éventuelle de cette remarque

23 sur la peine infligée, mais qu'elle ne pouvait affirmer qu'elle n'avait eu

24 aucun effet. Mucic a soutenu que l'erreur que la Chambre de première

25 instance initiale avait commise -en ignorant les principes qui gouvernent

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1 la charge de la preuve et le niveau de la preuve- constituait un vice tel

2 qu'elle justifiait une réduction de peine à la mesure de l'erreur commise.

3 La Chambre d'appel a conclu qu'une telle approche est fondamentalement

4 viciée. En effet, la juridiction d'appel ne dédommage pas l'appelant d'une

5 erreur commise: elle révise la peine afin de supprimer les effets de

6 l'erreur en question. Or la Chambre d'appel n'est pas convaincue que la

7 nouvelle Chambre de première instance ait eu tort de qualifier de "légère"

8 la réduction qu'appelait l'erreur de la Chambre de première instance

9 initiale.

10 4. Zdravko Mucic a également fait appel de la peine de neuf ans imposée

11 par la nouvelle Chambre de première instance, à la place de la peine

12 initiale de sept ans.

13 Lors du premier appel, la Chambre d'appel avait estimé qu'en imposant une

14 peine de sept ans, la Chambre de première instance initiale n'avait pas

15 dûment tenu compte a) de l'influence que peut avoir un commandant de camp

16 s'abstenant de tout contrôle, et qui a encouragé ou favorisé les

17 agissements criminels et l'atmosphère de non-droit qui régnait au sein du

18 camp; b) de la gravité des infractions commises et des crimes qui les

19 sous-tendent; c) du fait que l'accusé était responsable tant directement

20 qu'en tant que supérieur hiérarchique des grandes souffrances infligées ou

21 des atteintes graves portées à l'intégrité physique ou à la santé des

22 détenus, en raison des conditions inhumaines qui régnaient dans le camp.

23 La Chambre d'appel conclut aujourd'hui que la nouvelle Chambre de première

24 instance a eu raison de condamner Mucic à neuf ans de prison, compte tenu

25 de la gravité foncière de comportement criminel et de la forme et du degré

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1 de sa participation aux crimes dont il a été convaincu.

2 5. Hazim Delic a fait appel de ce que sa peine de vingt ans n'a été

3 réduite que de deux ans suite à l'annulation d'une déclaration de

4 culpabilité pour homicide intentionnel.

5 La nouvelle Chambre de première instance a procédé à cette réduction pour

6 tenir compte du fait que le nombre des crimes mis à la charge de Delic

7 avait quelque peu été réduit suite à l'annulation de la déclaration de

8 culpabilité, mais elle a estimé que cette réduction devait être légère,

9 l'accusé étant toujours convaincu d'infractions très graves. La Chambre

10 d'appel n'est pas persuadée que la nouvelle Chambre de première instance

11 ait commis une quelconque erreur de droit ou d'appréciation en fixant une

12 peine de dix-huit ans pour les déclarations de culpabilité restantes. La

13 nouvelle Chambre de première instance a, comme il se doit, procédé à une

14 évaluation d'ensemble pour déterminer une juste peine pour les crimes dont

15 Delic demeure convaincu en faisant abstraction des éléments de preuve

16 présentés à l'appui du chef annulé.

17 6. Hazim Delic a également demandé à la Chambre d'appel de reconsidérer

18 son rejet du recours qu'il avait formé contre sa condamnation pour trois

19 autres chefs, lors du premier appel.

20 Delic avance que le droit applicable en l'espèce a évolué, largement,

21 depuis le premier arrêt. Il affirme que, dans l'arrêt Kupreskic, la

22 Chambre d'appel a défini un "nouveau critère" permettant de juger du

23 caractère suffisant ou non d'éléments de preuve présentés pour justifier

24 une déclaration de culpabilité et soutient que si ce critère avait été

25 appliqué par la Chambre d'appel dans son arrêt précédent, les déclarations

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1 de culpabilité prononcée à son encontre pour les Chefs 3, 18 et 31 de

2 l'Acte d'accusation auraient été annulées.

3 Cette demande soulevait deux questions. La première était de savoir si la

4 Chambre d'appel a le pouvoir de réexaminer ses propres arrêts, qui est

5 différent de son pouvoir de les réviser en application de l'Article 26 du

6 Statut du Tribunal International. La deuxième était de savoir si, dans

7 l'affirmative, la Chambre d'appel devait réexaminer l'arrêt rendu

8 antérieurement dans la présente espèce. La Chambre d'appel a considéré à

9 l'unanimité que la demande de réexamen devait être rejetée. Les Juges

10 Shahabuddeen, Hunt et Gunawardana considèrent que la Chambre d'appel a le

11 pouvoir de réexaminer ses propres arrêts, mais estiment qu'en l'espèce,

12 une telle demande doit être rejetée quant au fond. Les Juges Meron et

13 Pocar considèrent pour leur part qu'il n'y a pas lieu de déterminer si la

14 Chambre d'appel a un tel pouvoir, et réservent leur point de vue sur cette

15 question. Tous sont d'accord, tous les deux sont d'accord pour dire

16 qu'aucun changement n'est intervenu dans le droit applicable. Le Juge

17 Shahabuddeen a également déposé une opinion individuelle sur cette

18 question.

19 La Chambre d'appel est convaincue qu'en examinant si aucun juge du fait

20 n'aurait raisonnablement pu aboutir à la conclusion de la Chambre de

21 première instance initiale selon laquelle Delic était coupable de ces

22 chefs au-delà de tout doute raisonnable, la Chambre d'appel a, dans son

23 premier arrêt, appliqué le même critère que celui utilisé dans l'affaire

24 Kupreskic, et qu'il est erroné de dire qu'un "nouveau critère" a été

25 appliqué dans Kupreskic. La distinction que la Chambre d'appel a faite,

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1 dans Kupreskic, entre la fiabilité (ou la qualité) des éléments de preuve

2 présentés par un témoin d'une part, et la crédibilité (ou l'honnêteté) de

3 ce témoin d'autre part, se rapportait à des questions d'identification

4 soulevées en appel à propos du seul témoin ayant identifié les accusés. La

5 Chambre de première instance Kupreskic avait pris acte des critiques

6 relatives à la crédibilité de ce témoin, mais avait déclaré qu'elles

7 étaient contrebalancées par l'impression que le témoin avait produite sur

8 la Chambre lors de sa déposition. En examinant si aucun juge raisonnable

9 du fait n'aurait pu admettre les éléments de preuve présentés par ce

10 témoin, la Chambre d'appel a eu raison d'évoquer l'incertitude et la

11 fragilité inhérente à toute identification. Cette distinction, bien

12 connue, n'est pas nouvelle dans la jurisprudence du Tribunal. En

13 conséquence, la demande de réexamen a été rejetée."

14 Maintenant, je vais présenter le paragraphe opérationnel de l'arrêt rendu

15 par la Chambre d'appel.

16 J'invite Messieurs Mucic, Landzo et Delic à se lever.

17 (Les accusés s'exécutent.)

18 "7. Dispositif

19 En fin d'arrêt, la Chambre d'appel ordonne ce qui suit:

20 1) Les appels contre la condamnation sont rejetés.

21 2) Les peines prononcées par la Chambre de première instance le 9 octobre

22 2001 sont confirmées.

23 3) Le temps passé en détention préventive, à déduire de la durée totale de

24 la peine de chaque appelant, court

25 -pour Zdravko Mucic, du 18 mars 1996 à la date du présent arrêt; et

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1 -pour Hazim Delic comme pour Esad Landzo, du 2 mai 1996 à la date du

2 présent arrêt.

3 4) La demande aux fins de réexamen de son appel contre la sentence

4 présentée par Hazim Delic est rejetée."

5 Fait en date du 8 avril 2003 à La Haye, Pays-Bas, en anglais, en français.

6 La version en anglais faisant foi. L'arrêt signé par le Juge Théodore

7 Meron, Président de la Chambre d'appel et Président du Tribunal pénal

8 international.

9 Les Juges Meron et Pocar ont fait preuve de leur opinion séparée. Le Juge

10 Shahabuddeen a-t-il fait de même?

11 Je voudrais prier Mme la Greffière d'audience de s'occuper de la

12 communication aux parties en présence, des exemplaires de l'arrêt.

13 Veuillez vous asseoir.

14 (Les accusés s'assoient.)

15 L'audience est levée.

16 (L'audience est levée à 14 heures 59.)

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