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1 TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL AFFAIRE N° IT-96-21-T
2 POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
3
4 Jeudi 7 août 1997
5 L'audience est ouverte à 10 heures.
6 M. le Président (interprétation). - Mesdames et Messieurs,
7 bonjour. Qui comparait aujourd’hui ?
8 M. Niemann (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les
9 Juges. Mon nom est Grant Niemann, et je comparais avec mes collègues,
10 Mme McHenry et M Turone. Nous sommes assistés par le substitut d'audience,
11 Mme Elles Vandusschoten.
12 M. le Président (interprétation). - Merci. Du côté de la
13 défense ?
14 Mme Residovic (interprétation). - Bonjour, Monsieur le
15 Président. Je m'appelle Edina Residovic. Je comparais au nom de
16 M. Zejnil Delalic. Je suis assistée dans cette tâche par
17 Eugène O’Sullivan, professeur qui vient du Canada.
18 M. Olujic (interprétation). - Bonjour Madame et Messieurs les
19 Juges, je m'appelle Zeljke Olujic. Je défends Zdravko Mucic. Je suis
20 assisté, par M. Greaves, avocat qui vient du Royaume-Uni, de Grande
21 Bretagne et d'Irlande du Nord.
22 M. Karabdic (interprétation). - Bonjour, Madame et Messieurs les
23 Juges. Je m’appelle Sahil Karabdic. Je viens de Sarajevo. Je défends
24 M. Hazim Delic. Je suis aidé en cela par Me Moran qui vient de Houston au
25 Texas.
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1 M. Ackerman (interprétation). - Je m'appelle John Ackerman. Je
2 comparais au nom de M. Esad Landzo. Mon confrère dans cette affaire est
3 Mme Cynthia McMurrey.
4 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Nous avons
5 une décision orale à rendre concernant la requête présentée par
6 l'accusation en vue de pouvoir citer à comparaître des témoins
7 supplémentaires.
8 Ultérieurement, nous vous donnerons sans doute un texte sur la
9 base de la demande initiale de l'accusation.
10 Ainsi donc, la Chambre de première instance a examiné avec
11 beaucoup d'attention la demande écrite présentée par l'accusation visant à
12 pouvoir citer à comparaître des témoins supplémentaires. Nous avons
13 également considéré pour cela la réponse écrite de la défense de l'accusé
14 Zejnil Delalic et les commentaires de toutes les parties durant la
15 présentation des arguments desdites parties.
16 La Chambre de première instance a décidé de donner suite à la
17 requête de l'accusation visant à pouvoir faire comparaître des témoins
18 supplémentaires identifiés dans la requête par les chiffres 1 à 7.
19 Il ressort clairement des arguments défendus par les parties que
20 l'accusation n'ayant pas, d'après la défense, respecté ses obligations en
21 matière de communication, aurait entraîné cette situation où les parties
22 sont traitées sur un pied différent.
23 Il est évident que la notification finale des témoins dans la
24 requête en date du 4 juillet 1997 est tombée quatre mois plus tard que la
25 date du 7 mars 1997, qui avait été fixée par la Chambre de première
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1 instance dans son ordonnance portant calendrier du 25 janvier 1997 ;
2 ordonnance qui donnait instruction à l'accusation de divulguer les noms et
3 autres éléments afférents aux témoins à la défense.
4 Il ressort donc que le respect par l'accusation de ses
5 obligations de communication n'est pas entièrement acquis. Les témoins
6 impliqués peuvent être classés en deux catégories, à savoir les
7 témoins 1 à 5 dans l'une et les témoins 6 et 7 dans l'autre.
8 L'accusation, pour prendre sa décision, s'est aussi fondée sur
9 les termes de l'article 67/A1 qui veut que le Procureur informe la défense
10 du nom des témoins à charge qu'il a l'intention d'appeler pour établir la
11 culpabilité de l'accusé et réfuter tous moyens de défense dont le
12 Procureur a été informé, conformément au paragraphe 2 de l'article 67.
13 On met l'accent dans cette disposition du Règlement sur les noms
14 des témoins que l'accusation a l'intention de faire comparaître pour
15 établir la culpabilité de l'accusé. En l'occurrence, comme je l'ai déjà
16 dit, les témoins impliqués peuvent être classés en deux catégories : les
17 témoins 1 à 5 d'une part, et les témoins 6 et 7 de l'autre.
18 Pour ce qui est des témoins 1 à 5, dans une lettre en date du
19 5 décembre 1996, l'accusation a informé la défense, qu'à défaut d'accord
20 entre les parties quant à l'authentification de certains documents, elle
21 demanderait la comparution de témoins supplémentaires à des fins
22 d'identification.
23 Le 13 mai 1997, l'accusation a donné notification des noms des
24 témoins possibles, à savoir les témoins 1 à 5 en rapport avec la question
25 de l'identification et de l'authentification des pièces.
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1 Il ressort manifestement qu'avant le commencement de la présente
2 procédure, l'accusation n'avait pas l'intention de citer ces cinq
3 personnes à comparaître. Ainsi, le paragraphe premier de l'alinéa A de
4 l'article 67, qui porte obligation de divulguer les noms et autres
5 éléments concernant les témoins à la défense, ne s'appliquait pas au
6 moment où l'accusation a présenté sa première liste de témoins le
7 7 mars 1997.
8 La Chambre de première instance a pu se convaincre qu'à l'examen
9 de tous les arguments présentés par l'accusation, lorsque l'accusation a
10 formulé l'intention de citer ces témoins à comparaître, elle en a informé
11 la défense le 13 mai 1997, et a demandé autorisation de le faire à la
12 Chambre de première instance le 4 juillet 1997.
13 Il ne semble donc pas, aux yeux de la Chambre de première
14 instance, qu'il y ait eu mauvaise foi de la part de l'accusation pour ce
15 qui concerne ces témoins.
16 S'agissant des témoins 6 et 7, encore une fois, il ne semble pas
17 que l'accusation ait agi de mauvaise foi. Au contraire, il apparaît plutôt
18 que l'accusation a indiqué, dans sa requête et dans sa réplique à la
19 réponse de la défense, une séquence de faits entièrement crédibles ;
20 lesquels pris ensemble ont fait que l'accusation n'a pas été à même de
21 s'acquitter plus tôt de ses obligations de communication.
22 Ainsi le non respect par l'accusation de l'ordonnance portant
23 calendrier rendu par la Chambre de première instance n'est pas une raison
24 en soi pour rejeter la requête de l'accusation visant à faire comparaître
25 l'un quelconque de ces sept témoins.
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1 Il y a cependant d'autres éléments à prendre en considération,
2 qui ont pesé sur la décision rendue présentement par la Chambre de
3 première instance.
4 Comme nous le savons tous, la Chambre de première instance a
5 pour tâche, en vertu de l'article 20 du Statut du Tribunal international,
6 de garantir un procès équitable aux accusés.
7 L'un des paramètres équitable du procès est le droit pour
8 l'accusé de disposer de suffisamment de temps pour préparer sa défense,
9 ainsi qu'il est stipulé à l'article 21.
10 La Chambre de première instance a pu se convaincre que la
11 défense avait eu suffisamment de temps pour se préparer au vu des témoins
12 supplémentaires cités à comparaître et, qu’en cela, la défense ne sera pas
13 laissée si ces témoins à charge déposent effectivement.
14 Le 13 mai 1997, il y a plus de deux mois et demi, l'accusation a
15 fait savoir qu'elle risquait d'appeler à la barre ces témoins.
16 Le 4 juillet, il y a un mois, lorsque l'accusation a été sûre
17 qu’elle citerait ces témoins à comparaître, elle en a informé la défense
18 et a demandé l'autorisation de citer ces témoins à comparaître auprès de
19 la Chambre de première instance.
20 De l’avis de la Chambre, l'accusation a fait ce qu'elle avait à
21 faire et la défense a eu suffisamment de temps pour se préparer à
22 l'interrogatoire de ces témoins.
23 La Chambre de première instance a pris note des craintes
24 manifestées par la défense, en particulier s'agissant des témoins 6 et 7.
25 Pour ces deux derniers témoins, la Chambre accordera une attention entière
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1 aux arguments convaincants et appuyants toute mesure requise à l'avenir,
2 conformément au principe fondamental de l'équité du procès.
3 Tous les participants à la présente procédure sont instamment
4 invités à se souvenir que la Chambre de première instance est un
5 instrument de justice pour toutes les parties concernées, non seulement
6 pour les accusés qui, sans aucun doute, ont l’intérêt le plus grand dans
7 la présente procédure, mais aussi pour les victimes, les témoins et
8 l'actualité internationale dans son ensemble.
9 Dans sa recherche de la justice, la Chambre de première instance
10 doit examiner tous les moyens de droit par lesquels un tableau exact des
11 événements faisant l'objet de la présente procédure, pourrait être connu.
12 En prenant partie pour l'accusation dans cette requête, la
13 Chambre de première instance a cherché à équilibrer tous ces intérêts, en
14 particulier les droits des personnes accusées, les devoirs de l'accusation
15 et son propre rôle en tant qu'instrument de justice.
16 M. Ackerman (interprétation). - Monsieur le Président, je ne
17 sais pas trop comment soulever ce point, mais il y a une erreur dans le
18 compte rendu qui change le sens de l'ordonnance que vous venez de rendre.
19 Il s'agit de la ligne douze de la page trois, où il apparaît que les mots
20 qui sont transcrits en anglais sont "following argument", alors que les
21 mots que vous avez prononcés étaient "barring agreement" ; c'est une
22 modification essentielle. Il faudrait donc y remédier.
23 M. le Président (interprétation). - Je vous remercie. Je donne
24 la parole à l'accusation.
25 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président,
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1 l'accusation voudrait maintenant appeler, à la barre des témoins, un
2 nouveau témoin. Tout d'abord, nous avons appris ce matin que ce témoin
3 souhaitait des mesures de protection pour lui-même, de façon à pouvoir
4 déposer.
5 Cette question a déjà été posée au témoin à maintes reprises,
6 qui a répondu ne pas avoir besoin de mesures de protection. Mais depuis
7 qu'il est arrivé à La Haye, il a changé d'avis.
8 Je lui ai posé des questions sur la situation et il semble que
9 ce qui le préoccupe avant tout, est que l'image de son visage ne soit pas
10 vue à l'extérieur du prétoire. C'est pourquoi le témoin m'a demandé de
11 faire en sorte que l'image de son visage soit déformée sur les écrans de
12 télévision. Le témoin a demandé une autre mesure. Il souhaite que son nom
13 ne soit pas publié dans les journaux ou dans d'autres publications. C'est
14 là une question peut-être un peu plus difficile, car son nom est déjà,
15 bien entendu, apparu publiquement sur les listes énumérant les témoins.
16 Jusqu'ici, rien n'a été fait pour cacher son nom. Je lui ai parlé de cette
17 question et j'ai examiné avec lui, les circonstances qui l'ont amenées à
18 demander ces mesures de protection. Madame et Messieurs les Juges, je
19 crois pouvoir dire que ce témoin n'entre pas dans la catégorie habituelle
20 des témoins pour lesquels une ordonnance se justifie.
21 Mais je dois ajouter qu'il s'est présenté comme étant une
22 personne sur laquelle s'exercent des pressions considérables -il est âgé
23 de 47 ans- et il me dit que, depuis qu'il a participé à la guerre en 1992,
24 il a subi une attaque cardiaque et qu'il ressent actuellement des douleurs
25 à la poitrine. Cela étant, il est prêt à poursuivre. Quant aux médicaments
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1 qui lui ont été prescrits, le témoin est un peu vague. Il semble qu'il ne
2 prenne pas les médicaments qui lui ont été prescrits. Mais il m'a dit
3 qu'il a consulté un médecin, il y a deux semaines, pour ses douleurs à la
4 poitrine. Comme je l'ai dit, pour l'instant, il ne pense pas que ses
5 douleurs soient trop fortes pour l'empêcher de déposer.
6 Cela étant, il m'a demandé d'être autorisé à ne pas déposer si
7 ses douleurs augmentaient.
8 Madame et Messieurs les Juges, je ne peux faire cette requête de
9 déformation de l'image et de la non-divulgation de son nom sur la base des
10 circonstances de l'endroit où il réside. Etant donné la pression qui pèse
11 sur lui actuellement, ces mesures seraient à même de considérablement
12 alléger ces pressions. Je n'ai pas eu l'occasion de poser cette question à
13 la défense au préalable. Ce n'est que ce matin après 9 heures que j'ai
14 appris cela, alors que je me suis entretenu avec le témoin. Je présente
15 donc une requête officielle en vue des mesures de protection. Je crois que
16 cela aidera à la déposition du témoin devant le Tribunal.
17 M. le Président (interprétation). - Je crains, dans cette
18 affaire, que beaucoup des aspects des mesures de protection soient
19 impraticables, car il y a beaucoup d'informations sur ce témoin qui sont
20 déjà connues, qui sont du domaine public. A quoi servent maintenant ces
21 mesures de protection, telles que la déformation de l'image ?
22 M. Niemann (interprétation). - Oui, Monsieur le Président, je
23 suis d'accord avec vous. J'ai appelé l'attention du témoin sur ces faits.
24 Son nom a été communiqué à la défense. Je ne sais pas jusqu'à quel point
25 son nom a pu être diffusé au-delà. Son visage, en tout cas, n'est pas
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1 connu du public, pour autant que je sache. J'ai parlé au témoin. Je lui ai
2 demandé s'il n'avait jamais participé à des émissions de télévision ou à
3 autre chose de ce genre. Il m'a dit que non. Il m'a dit qu'il n'avait
4 jamais parlé à des journalistes ou à tout autre personne des média quant
5 au témoignage qu'il est appelé à faire devant le Tribunal.
6 Je pense donc qu'il y a encore une certaine marge de manoeuvre
7 possible pour des mesures de protection. Ces mesures pourraient avoir un
8 certain effet. Ce ne serait pas une ordonnance totalement vide de sens.
9 Cela étant, je ne peux que reconnaître que si on demandait une protection
10 complète, cette mesure viendrait un peu tard pour véritablement avoir un
11 sens.
12 M. le Président (interprétation). - Si nous faisons droit à
13 cette requête, il faudra que nous la limitions aux aspects des mesures de
14 protection qui sont de l'ordre du praticable.
15 M. Niemann (interprétation). - Oui, je comprends bien cela. Je
16 pense que la déformation de l'image serait déjà une mesure importante qui
17 apaiserait les craintes du témoin.
18 Je pense, Monsieur le Président, qu'il comprendrait cette
19 décision aux vues de ce qu'il m'a demandé de faire. J'ai évoqué ce point.
20 Je ne peux que répéter que c'est un homme qui subit une certaine pression
21 et qui est dans un état de santé qui pourrait être aggravé du fait qu'il
22 serait exposé en public et que son nom et son identité seraient divulgués
23 au public.
24 M. le Président (interprétation). - Quel est l’avis de la
25 défense ?
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1 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, il est
2 vrai, comme nous l'avons déjà dit plusieurs fois, que chaque témoin,
3 conformément à l'article 69, peut dans certaines circonstances demander
4 des mesures de protection.
5 Ce qui me paraît étrange, c'est que l'on parle ici d'un procès
6 public, qui doit être accessible à tous. Or nous nous trouvons dans une
7 situation où nous sommes en train de discuter de mesures de protection,
8 tout juste avant que le témoin ne soit censé entrer dans le prétoire. Je
9 crains que cela ne devienne une habitude.
10 Nous pouvons accorder foi aux dires du témoin, selon lesquels
11 ces mesures de protection sont nécessaires, et le faire. Ce pourrait
12 devenir non seulement une habitude, mais même une décision prise par
13 principe.
14 C'est pourquoi je m'opposerai à cette requête visant des mesures
15 de protection, sans préjudice bien entendu des droits du témoin de
16 bénéficier de mesures de protection dans des circonstances particulières.
17 Je voudrais ajouter autre chose qui fait écho aux arguments
18 présentés par l'accusation. S'il est vrai que le témoin a eu une crise
19 cardiaque et qu'il continue à avoir des douleurs à la poitrine, et si nous
20 n'avons pas l'avis d'un médecin pour ce qui est de l'aptitude du témoin à
21 déposer, je crains que nous n'assistions à des problèmes médicaux lors de
22 la déposition du témoin.
23 Il est vrai que ce que le Procureur nous rapporte sont les
24 propos du témoin. Mais sans être médecin, on sait néanmoins ce que des
25 douleurs de poitrine peuvent signifier pour un malade cardiaque.
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1 Je voudrais donc lancer un appel aux Juges pour que nos
2 confrères de l'accusation, dans le plein respect du droit de la défense et
3 de la nécessité pour la défense de se préparer, nous donnent une liste
4 précise des témoins pour la semaine prochaine, de sorte que ce qui est
5 arrivé hier ne se répète pas. Je ne dis cela que pour saisir l'occasion
6 qui m'est offerte de le rappeler. Cela m'épargnera de devoir me lever et
7 de prendre la parole une nouvelle fois. Merci.
8 M. Ackerman (interprétation). - Deux choses. Tout d'abord, je
9 voudrais remercier Maître Niemann de la franchise avec laquelle il a
10 présenté cette question au Tribunal, ce matin.
11 Ensuite, moi aussi je m'inquiète de la santé du témoin. Nous
12 sommes plusieurs ici dans le prétoire qui savons ce que peuvent signifier
13 des douleurs de poitrine. Il me semble qu'à titre de précaution, le témoin
14 devrait être examiné par un médecin. Cela pourrait se faire rapidement et
15 nous pourrions être très vite avisés du résultat de cet examen médical.
16 Le témoin n'a sans doute pas de véritable notion du stress que
17 peut représenter une déposition. Nous pourrions obtenir un avis quant à
18 son état de santé, quant à la question de savoir si cet état de santé lui
19 permet de supporter ce stress de la déposition ou non. Il devrait se voir
20 prescrire des médicaments avant que nous le soumettions à ce stress et que
21 nous ne prenions le risque de le voir tomber de sa chaise.
22 Aucun de nous ne souhaite assumer cette responsabilité pour ne
23 pas avoir au préalable suivi la question et cherché un moyen de faire en
24 sorte que le témoin puisse déposer sans risque pour sa santé.
25 M. Greaves (interprétation). - Monsieur le Président, je vous
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1 parle parce que j'ai une expérience de ce genre de problème. Il y a de
2 nombreuses années déjà, j'étais en train de procéder au contre-
3 interrogatoire d'une personne qui a eu une crise cardiaque à la barre.
4 C'est une expérience traumatisante pour tous ceux à qui cela arrive. Je ne
5 voudrais pas que cela se répète aujourd'hui. Cela affecte la façon dont on
6 peut approcher un témoin lors du contre-interrogatoire. Vous craignez, en
7 effet, que si vous ne l'attaquez trop vivement, il ne succombe à une crise
8 cardiaque.
9 La défense doit savoir de façon précise quel est l'état de santé
10 de cette personne, surtout s'il semble négliger de prendre ses
11 médicaments, d'après l'accusation. J'appuierai sur ce plan la proposition
12 de mon confrère Maître Ackerman.
13 M. le Président (interprétation). - Je suis reconnaissant à la
14 défense de se montrer si préoccupée par la santé du témoin à charge.
15 Si l'accusation pense que son témoin n'est pas apte à subir un
16 interrogatoire et un contre-interrogatoire, j'imagine qu'elle doit nous le
17 dire maintenant.
18 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, je suis
19 tout à fait d'accord avec les conseils de la défense. Je ne suis pas en
20 mesure de juger ce qu'il en est de sa condition, de son état de santé. Je
21 ne peux dire que ce qu'il m'a lui-même rapporté. Je ne sais pas s'il est à
22 même de résister à l'interrogatoire principal ou au contre-interrogatoire.
23 Mais je pense malgré tout qu'on pourrait peut-être faire procéder à un
24 examen médical très rapide. J'y vois un intérêt certain. En tout cas, nous
25 tous, nous nous sentirions plus à l'aise si nous avions l'avis d'un expert
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1 qui nous dirait que ce témoin est prêt à venir à la barre des témoins pour
2 déposer et que son état de santé le lui permet.
3 Il est certain, Madame et Messieurs les Juges, que nous n'avons
4 pas vraiment eu l'occasion de passer beaucoup de temps avec ce témoin qui
5 est arrivé hier. On ne s'attendait pas à ce qu'il comparaisse cette
6 semaine. Vous savez que ces choses se passent en général pendant la
7 présence du témoin à La Haye. On peut, à ce moment-là, lui prodiguer des
8 soins médicaux nécessaires, mais étant donné que ce témoin est arrivé il y
9 a peu de temps, il ne nous avait pas informé de sa situation.
10 Je ne pense pas qu'il l'ait dit à qui que ce soit qui fasse
11 partie de la division d'aide aux victimes et aux témoins, en tout cas, pas
12 hier soir. On pourrait effectivement avoir un médecin qui examine ce
13 témoin. Je ferai l'impossible pour que ce soit fait très rapidement. Si,
14 effectivement, nous avions le feu vert, permettant à ce témoin de
15 comparaître, nous pourrions l'entendre aujourd'hui. Cela aidera peut-être
16 le Tribunal à prendre une décision à ce propos. Mais je suis à votre
17 disposition.
18 Tout ce que je peux vous dire c’est que ce témoin m'a dit être
19 prêt à comparaître. Il se trouve dans la salle des témoins prêt à entrer
20 dans le prétoire. Voilà la situation qui est la mienne. Je ne peux
21 malheureusement vous prodiguer aucun conseil quant à son état de santé.
22 M. le Président (interprétation). - L'idée des mesures de
23 protection visent à rassurer le témoin dans la mesure du possible, afin
24 que ce témoin puisse déposer sans avoir de craintes supplémentaires.
25 Effectivement, la question des douleurs à la poitrine pose des
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1 problèmes sérieux. Je pense que la Chambre de première instance préfère
2 que ce témoin soit examiné avant de l'entendre. Je suppose que cet examen
3 permettra manifestement au médecin, qui l'examine, de lui prescrire les
4 médicaments nécessaires. De cette façon, la plupart des craintes -que
5 nourrit le témoin- pourrait être apaisées, ce qui est dans l'intérêt de
6 l'accusation.
7 Nous allons donc nous retirer et suspendre l'audience pendant un
8 certain temps. Il faudra savoir quand revenir. Ou alors vous avez peut-
9 être un autre témoin ?
10 M. Niemann (interprétation). - Malheureusement, nous, nous n'en
11 avons pas. Nous ferons l'impossible pour vous informer des progrès que
12 nous enregistrons, tant la défense que la Cour. Nous espérons pouvoir
13 reprendre l'audience vers la fin de la matinée. Nous essaierons d'avoir
14 dès maintenant un médecin pour examiner le témoin.
15 M. le Président (interprétation). - Fort bien. L'audience est
16 suspendue dans l’attente de résultats éventuels.
17 L'audience, suspendue à 10 heures 35, est reprise à 14 heures 45.
18 M. le Président (interprétation). - Où en sommes-nous,
19 Maître Niemann ?
20 M. Niemann (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
21 Le témoin a été examiné par un médecin néerlandais. Le résultat
22 de cet examen est le suivant. Le trouble dont il souffrait ce matin n'est
23 nullement dû à un problème cardiaque. Le médecin est d'avis qu'il n'y a
24 aucune raison qui l'empêche de déposer. Le médecin estime qu'aucune
25 conséquence n'est à craindre et que le témoin ne risque aucun problème
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1 cardiaque en raison de sa déposition.
2 M. le Président (interprétation). - Eh bien, c’est une très
3 bonne nouvelle.
4 M. Niemann (interprétation). - Monsieur le Président, j'ai parlé
5 avec le témoin. Suite à l’avis exprimé par le médecin, je lui ai demandé
6 s’il souhaitait toujours des mesures de protection. Il me dit qu'il désire
7 toujours témoigner, mais je ne puis rien dire de plus que ce qu'il a dit
8 ce matin au sujet des mesures de protection.
9 M. le Président (interprétation). - Nous comprenons cela. Nous
10 pouvons lui octroyer les mesures de protection limitées que sa situation
11 mérite. Je pense que c'est tout ce que nous pouvons faire.
12 M. Niemann (interprétation). - Je vous en prie,
13 Monsieur le Président.
14 Monsieur le Président, j'ai une question à soulever. Avez-vous
15 décidé que l'on remplacera son nom par un pseudonyme ou que l'image de son
16 visage sera également déformée à l'écran ?
17 M. le Président (interprétation). - Je ne vois vraiment pas
18 pourquoi un pseudonyme s'imposerait.
19 M. Niemann (interprétation). - C'est ce que j'ai cru comprendre.
20 M. le Président (interprétation). - Son nom a reçu une publicité
21 suffisante pour que quiconque s'y intéresse.
22 (Le témoin est introduit dans la salle.)
23 M. Sudar (interprétation). - Je déclare solennellement que je
24 dirai la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
25 M. Niemann (interprétation). - Le Tribunal, Monsieur, vous a
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1 octroyé des mesures de protection. L'image de votre visage sera donc
2 déformée à l'écran de télévision. Vous comprenez cela ?
3 M. Sudar (interprétation). - Oui, je le comprends.
4 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous citer votre nom
5 complet ?
6 M. Sudar (interprétation). - Branko Sudar.
7 M. Niemann (interprétation). - Où êtes-vous né ?
8 M. Sudar (interprétation). - Je suis né à Cerici, municipalité
9 de Konjic, le 4 novembre 1949.
10 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous fait votre scolarité
11 dans cette ville ?
12 M. Sudar (interprétation). - J'ai été chauffeur et j'ai ensuite
13 reçu une formation plus spécialisée de sorte que j'ai des qualifications
14 de chauffeur spécialisé.
15 M. Niemann (interprétation). - Qu'elle est votre appartenance
16 ethnique ?
17 M. Sudar (interprétation). - Je suis Serbe.
18 M. Niemann (interprétation). - Où habitiez-vous au début de
19 1992 ?
20 M. Sudar (interprétation). - J'habitais à Cerici, municipalité
21 de Konjic, dans ma maison.
22 M. Niemann (interprétation). - Où travailliez-vous à ce moment-
23 là au début de 1992 ?
24 M. Sudar (interprétation). - Je travaillais depuis 1968 dans
25 l'entreprise Sipad, près de Konjic. J'y ai travaillé jusqu'à la guerre.
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1 M. Niemann (interprétation). - Quelle est la nature du travail
2 qu'effectue cette entreprise Chipad ?
3 M. Sudar (interprétation). - Cette entreprise s'occupe de
4 foresterie. Moi, j'étais chauffeur dans le service du transport.
5 M. Niemann (interprétation). - Monsieur, pourriez-vous vous
6 rapprocher un peu plus du micro, car vous êtes difficilement entendu ?
7 Pouvez-vous me dire, Monsieur, quelle est l'appartenance
8 ethnique de la majorité des personnes qui habitaient dans le village de
9 Cerici ?
10 M. Sudar (interprétation). - La majorité des habitants était
11 Serbe.
12 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous marié ?
13 M. Sudar (interprétation). - Oui.
14 M. Niemann (interprétation). - Au début de 1992, avez-vous eu la
15 possibilité de quitter Cerici avec votre femme ?
16 M. Sudar (interprétation). - Au début de l'année 1992, j'ai
17 constaté que des soldats arrivaient à Cerici. Ils venaient à l'hôtel. J'ai
18 remarqué que quelque chose n'allait pas. J'ai envoyé ma femme et mes
19 enfants au Monténégro. Après quoi, je suis revenu dans ma maison à Cerici,
20 mais j'ai vu que des soldats inconnus circulaient dans la ville, des
21 membres du HVO en uniforme noir. Il y avait des hommes qui portaient des
22 bérets particuliers. C'étaient des soldats que je ne connaissais pas. J'ai
23 donc réessayé de faire partir mon épouse et mes enfants, mais nous avons
24 été arrêtés au barrage routier et nous n'avons pas pu passer. Nous sommes
25 donc revenus à Cerici.
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1 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous avez vu ces soldats
2 dans Cerici et aux alentours, quand cela s’est-il passé ? Dans quelle
3 période, à peu près ? Je veux parler du mois de l'année.
4 M. Sudar (interprétation). - Cela s'est passé, à peu près, au
5 début du mois d'avril, parce que j'étais en ville et j'ai remarqué cela.
6 Dès que j'ai remarqué cela, je me suis dit que quelque chose n'allait pas.
7 J'ai décidé de partir avec mon épouse et mes enfants. Après cela, nous
8 sommes partis en Serbie chez des parents.
9 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous revenu après à Cerici ?
10 M. Sudar (interprétation). - Je suis revenu à Cerici et j'y suis
11 resté.
12 M. Niemann (interprétation). - En mai 1992, avez-vous constaté
13 des activités militaires dans la ville de Cerici et aux alentours ?
14 M. Sudar (interprétation). - J'étais à Cerici et un de mes
15 voisins, Vlado Draganic est allé en ville où il s'est fait arrêter. Ils
16 l'ont emmené au motel et ils l'ont passé à tabac. Il est rentré chez lui
17 couvert d'ecchymoses. A ce moment-là, nous nous sommes rendus compte qu'il
18 n'y avait pas d'issue. Je suis resté, en me disant qu’il nous arriverait
19 ce qu'il doit nous arriver.
20 M. Niemann (interprétation). - Qu'avez-vous fait à ce moment-
21 là ?
22 M. Sudar (interprétation). - J'étais chez moi, à la maison.
23 Le 20 mai, j'étais dans le jardin en train d'arroser les
24 poivrons. J'ai entendu des coups de feu. J'ai pensé que des soldats
25 étaient en train de s'entraîner et que ce n'était pas grave. Et puis, j'ai
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1 vu que des maisons brûlaient et je suis allé chez mon père à ce moment-là
2 pour voir ce qui se passait.
3 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous reconnu les soldats que
4 vous avez vus s'entraîner ?
5 M. Sudar (interprétation) - Ils portaient toutes sortes
6 d'uniformes. Que puis-je vous dire ? Pour vous dire la vérité, je n'osais
7 même pas aller en ville. Mais ceux qui étaient plus près de la ville nous
8 ont dit qu'il y avait toutes sortes de soldats inconnus et que nous ne
9 devions pas sortir.
10 M. Niemann (interprétation). - Que s'est-il passé ensuite, en ce
11 qui vous concerne, en rapport avec ces actions militaires ?
12 M. Sudar (interprétation) - Eh bien, l'événement suivant, c'est
13 que j'étais avec ma mère et j'ai vu des gens de Bielovcina et de
14 Donje Selo qui fuyaient leur village et qui venaient à Cerici. Ils
15 venaient tous de ces différents villages avoisinants et se sont réunis à
16 Cerici.
17 M. Niemann (interprétation). - C'étaient donc tous des
18 réfugiés ?
19 M. Sudar (interprétation) - Que puis-je vous dire ? Ils fuyaient
20 leurs maisons. Ils essayaient d'échapper aux balles dans cette espèce de
21 ravin, parce que toutes sortes de soldats étaient arrivés. Je ne sais pas
22 exactement quels étaient ces soldats, mais il y avait des bérets verts.
23 Puis, il y a eu l'attaque de Bielovcina, et la population de Bielovcina a
24 fui et a essayé de se cacher.
25 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps a duré
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1 l'attaque, vous en souvenez-vous ?
2 M. Sudar (interprétation) - L'attaque a duré du 20 mai... Le
3 21 mai, les obus sont tombés. Jovo Gotovac et Uros Djurica sont morts ; ou
4 plutôt Uros Djurica a été blessé et Milan Sinik l'a transporté en ville.
5 Je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, mais il est mort là-bas.
6 Les femmes et les enfants ont commencé à hurler, et Mirko Cecez
7 et Slobodan ont appelé le président de l'assemblée à ce moment-là parce
8 que les obus tombaient.
9 M. Niemann (interprétation). - Etiez-vous présent lorsque le
10 président a été appelé ?
11 M. Sudar (interprétation) - J'étais là, oui, parce que le
12 téléphone fonctionnait. Chez les Serbes, les téléphones avaient été
13 coupés, ils ne fonctionnaient pas. Mais là, je ne sais pas pourquoi, il y
14 avait un téléphone qui fonctionnait.
15 C'est là qu'ils ont appelé le président de l'assemblée
16 municipale. Il a dit des choses très sensées. Il a dit que la population
17 n'était pas coupable. Pourquoi la population subissait-elle cette
18 attaque ? Il fallait que l'attaque s'interrompe. Il a fait des promesses
19 et les coups de feu ont cessé. On nous a dit d'aller jusqu'à la rivière,
20 jusqu'à Ugostica et qu'un accord serait conclu.
21 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous allé à la rivière à ce
22 moment-là ?
23 M. Sudar (interprétation) - Le 22 mai, nous nous sommes réunis,
24 une vingtaine de personnes de Cerici. Il y avait aussi deux ou trois
25 hommes de Bielovcina. Nous sommes arrivés à la rivière. Nous avons passé
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1 le pont qui enjambe la rivière.
2 Nous pensions que le président de l'assemblée allait arriver,
3 comme il l'avait promis. Tout d'un coup, des gens sont arrivés, se sont
4 jetés sur nous et nous ont dit : "Les mains en l'air". Nous avons dû lever
5 les mains en l'air et ils ont commencé à nous passer à tabac.
6 M. Niemann (interprétation). - Arrêtez-vous un instant, je vous
7 prie. Je vous prierai de parler plus lentement, Monsieur.
8 M. Sudar (interprétation) - Oui.
9 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous parler un peu plus
10 lentement dans la mesure où tout doit être interprété.
11 Quand on vous a dit d'aller à la rivière avec ce groupe de
12 personnes, avez-vous également reçu des instructions quant à ce que vous
13 deviez emporter avec vous ?
14 M. Sudar (interprétation) - Le président avait dit : "Si vous
15 avez des armes, apportez-les". Les gens qui avaient des armes les ont
16 apportées.
17 Entre-temps, là-bas, en bas, on leur a tout enlevé : leurs
18 ceintures, les fourrures qu'ils avaient sur eux ; tout ce qu'ils avaient
19 sur eux, leurs manteaux. On a commencé à les frapper.
20 M. Niemann (interprétation). - Saviez-vous qui étaient les gens
21 qui vous ont enlevé ces objets ?
22 M. Sudar (interprétation) - Oui, il y avait Vahid Masic. Il m'a
23 pris mon permis de conduire, ma carte d'identité. J'avais 200 Marks et mon
24 dernier salaire de l'entreprise. Il m'a tout pris. Il m'a enlevé ma
25 ceinture et tout ce que j'avais sur moi.
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1 M. Niemann (interprétation). - Ce M. Masic, savez-vous de quelle
2 origine ethnique était celui qui vous a pris ces objets ?
3 M. Sudar (interprétation) - C'était un Musulman de nationalité.
4 M. Niemann (interprétation). - Vous avez dit que l'on vous a
5 pris vos objets et que vous aviez aussi été frappé. Savez-vous qui vous a
6 frappé à cet endroit là ?
7 M. Sudar (interprétation) - Masic. Il avait une espèce de gant
8 de boxe et il nous a frappés avec des crosses de fusils, et avec tout ce
9 qui lui tombait sous la main. Des gens tombaient au sol sous les coups.
10 Certains ont perdu connaissance. Certains tombaient sur le sable ou sur
11 les rails. Lorsqu'ils se relevaient, lorsque nous revenions à nous, nous
12 devions nous relever.
13 Ensuite, en direction de Celebici, vers les installations
14 militaires qui s'y trouvent, nous avons voulu traverser le pont avec deux
15 ou trois gardes et nous avons dû aller devant l'installation militaire et
16 le tunnel qui s'y trouve, avec eux.
17 M. Niemann (interprétation). - A quelle distance se trouve à peu
18 près cet endroit de la rivière où vous vous êtes rendu du camp de
19 Celebici ?
20 Je répète ma question pour que vous la compreniez bien. Quelle
21 est la distance qui sépare le pont où on vous a frappés et le camp de
22 Celebici, environ ?
23 M. Sudar (interprétation). - Je crois que cela fait à peu près
24 trois kilomètres, quelque chose comme cela.
25 M. Niemann (interprétation). - Comment êtes-vous arrivés depuis
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1 le pont jusqu'à Celebici ?
2 M. Sudar (interprétation). - Du pont jusqu'à Celebici, nous
3 sommes arrivés au portail à pied. C'est à pied que nous sommes partis avec
4 deux ou trois soldats qui avaient leurs fusils pointés vers nous et qui
5 nous ont obligés à aller vers cet endroit.
6 M. Niemann (interprétation). - Combien y avait-il de soldats à
7 peu près, si vous vous en souvenez, lorsque vous vous êtes rendus et
8 lorsque vous vous êtes trouvés près de ce pont ce jour-là ?
9 M. Sudar (interprétation). - Pour vous dire la vérité, l'attaque
10 est venue de tous les côtés : de Konjic, de l'autre côté de Bjelasnisca,
11 de Spokojiste. Il y avait même des snippers. Ma maison était en feu et on
12 ne pouvait pas échapper aux tireurs embusqués.
13 M. Niemann (interprétation). - Qu'avez-vous pu constater lors de
14 l'attaque contre Cerici ? Avez-vous vu des gens tirer également vers les
15 assaillants qui attaquaient Cerici ?
16 M. Sudar (interprétation). - Je n'ai rien pu voir car Mirko,
17 Dragan et moi-même étions dans le village. Slobodan Draganic aussi. Il y
18 avait des coups de feu tirés du côté de Bjelovcine, de Donje Selo qui se
19 trouvent à deux ou trois kilomètres de chez nous. C'est trop loin. On ne
20 pouvait pas voir. Je ne peux pas répondre à votre question.
21 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous si les forces serbes
22 étaient à proximité au moment de cette attaque ?
23 M. Sudar (interprétation). - A notre avis, il n'y avait pas de
24 forces militaires serbes. Il y avait peut-être trente personnes à Cerici
25 et d'autres avaient fui Bjelovcine. D'après eux, deux mille personnes
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1 avaient attaqué. Mais même si nous avions résisté, nous n'aurions eu à peu
2 près que cent cinquante hommes aptes à défendre nos villages.
3 M. Niemann (interprétation). - Sur ces cent cinquante hommes
4 aptes à prendre les armes, que vous venez de mentionner, certains d'entre
5 eux ont-ils participé à la défense du village de Cerici ?
6 M. Sudar (interprétation). - Je ne pense pas. Tout le monde
7 fuyait. Toute la population de Bjelovcine et de Donje Selo est partie vers
8 la rivière et vers les criques. Je ne peux pas vous donner de meilleure
9 réponse.
10 M. Niemann (interprétation). - Il y a un instant, vous avez dit
11 que vous aviez été emmenés à un endroit qui se trouve à deux ou trois
12 kilomètres du pont, à savoir les installations militaires de Celebici.
13 M. Sudar (interprétation). - Oui.
14 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous dire au Tribunal ce
15 qui s'est passé lorsque vous êtes arrivés au camp de Celebici ?
16 M. Sudar (interprétation). - Lorsque nous sommes arrivés au camp
17 de Celebici, nous sommes entrés dans le camp par le portail et nous avons
18 dû nous aligner le long du mur. Nous avons dû mettre les mains derrière la
19 tête et un groupe qui comprenait à peu près vingt hommes est resté là. Il
20 y avait aussi des femmes et quelques enfants qui pleuraient. On entendait
21 des cris : "On va tuer les Chetniks, que faut il faire avec eux ? les
22 frapper ?". A ce moment-là, ils ont commencé à nous frapper.
23 Nous tombions sous les coups, nous nous relevions et ensuite les
24 coups continuaient. Cela a duré jusqu'au soir.
25 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous dire au Tribunal à
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1 quelle heure du jour à peu près vous êtes arrivés à Celebici ?
2 M. Sudar (interprétation). - Je pense que c'était vers 1 heure
3 ou 2 heures. Je ne peux pas me souvenir exactement, mais c'était l'après-
4 midi, entre 12 heures et 3 heures. Je ne peux pas être plus précis que
5 cela.
6 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous reconnu certains, parmi
7 les gens qui vous passaient à tabac ?
8 M. Sudar (interprétation). - A ce moment-là, il y avait quelques
9 jeunes gens que je ne pouvais pas vraiment reconnaître. Il y en avait un
10 que les autres appelaient Sok. Nous n'osions pas nous retourner. Nous
11 avions le visage tourné vers le mur, nous ne savions pas qui nous
12 frappait.
13 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous avec quoi on vous
14 frappait à ce moment-là ?
15 M. Sudar (interprétation). - On nous frappait avec des planches,
16 avec des fusils, avec des pelles, avec toutes sortes de choses. Il y avait
17 aussi des battes de base-ball, pour autant que je me souvienne.
18 M. Niemann (interprétation). - Après ces passages à tabac, que
19 vous est-il arrivé ?
20 M. Sudar (interprétation). - Après ces passages à tabac, on nous
21 a emmenés au hangar. J'ai appris plus tard que c'était le hangar n° 22. Il
22 faisait à peu près cinq ou six mètres de large et dix mètres de long ; je
23 ne peux pas vous dire exactement car je ne l'ai pas bien vu. Je ne peux
24 pas vraiment vous donner une idée approximative de la grandeur du hangar.
25 Nous sommes entrés dans le hangar n° 22. Quand nous sommes
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1 entrés, nous avons vu quelqu'un qui s'appelle Danilo Zivak qui était assis
2 dans le coin. Il travaillait au Tribunal avant. Il y avait aussi un autre
3 homme assis dans le hangar, dont je ne me souviens pas le nom. J'ai vu
4 aussi Slobodan. Il était assis par terre, les mains en l'air, il était
5 couvert de sang et inconscient, ou pas tout à fait conscient. Nous avons
6 passé là le restant de la journée.
7 Quand la nuit est tombée, ils ont commencé à nous mettre des
8 bandeaux sur les yeux et à nous emmener quelque part. Deux d'entre eux
9 nous ont emmenés quelque part, dans une espèce de tribunal. Il fallait
10 faire une déclaration. Nous avions les mains attachées et ils nous
11 frappaient pendant ce temps-là. Tous les vingt, nous avons été emmenés à
12 cette espèce de juge, avec un bandeau autour des yeux.
13 M. Niemann (interprétation). - Vous dites qu'on vous a battus
14 pendant que vous étiez interrogés, ou vous avez été battus sur le chemin
15 de l'interrogatoire ou au retour de l'interrogatoire ?
16 M. Sudar (interprétation). - Je ne me souviens pas exactement.
17 Je crois que j'ai été frappé. Je sais qu'ils m'ont frappé à l'oeil. Je ne
18 me souviens pas exactement, mais j'avais l'oeil fermé. Je n'ai plus pu
19 voir de cet oeil pendant vingt jours après. Je ne me souviens pas de tous
20 les détails. Après tout, cinq ans ont passé. Je pense que c'était alors
21 que nous revenions de l'interrogatoire. Je ne suis pas à sûr à cent pour
22 cent. Je sais que c’était près des portes qu'on nous a frappés.
23 M. Niemann (interprétation). - Au moment où vous étiez
24 interrogés quelles étaient les questions qu'on vous posait ?
25 M. Sudar (interprétation). - Ils nous demandaient si nous étions
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1 Serbes, si nous étions membres du SDS, toutes sortes de choses, d'où nous
2 venions, notre nom, toutes sortes de questions. On ne savait pas très bien
3 ce qu'ils demandaient parce que nous étions tous dans une sorte d’état de
4 choc. Nous ressentions encore les coups. Deux hommes nous ont emmenés chez
5 le juge.
6 M. Niemann (interprétation). - Peut-être vous ai-je déjà posé
7 cette question, mais pouvez-vous nous dire la date à laquelle vous avez
8 été emmenés au camp de Celebici, si vous vous en souvenez ?
9 M. Sudar (interprétation). - Nous avons été emmenés au camp de
10 Celebici le 22 mai et nous sommes restés là, à peu près, jusqu’à
11 10 ou 11 heures du soir, et on nous a frappés. Deux d'entre eux sont peut-
12 être restés en arrière. J'ai entendu dire par quelqu'un que Pavo Mucic
13 venait, donc qu'il ne fallait plus nous frapper. On n'a pas frappé les
14 deux derniers. Dans l'intervalle, ils ont dit que la moitié d'entre nous
15 devait se préparer pour aller à Musala, sur le territoire de Konjic. La
16 moitié d'entre eux est parti. Moi je suis resté derrière. Quand la
17 camionnette est arrivée pour la deuxième fois, le restant du groupe est
18 monté. On nous a emmenés au hall de sport de Musala, à Konjic.
19 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous qui a dit que vous
20 deviez vous préparer pour être emmenés au hall de sport de Musala ?
21 M. Sudar (interprétation). - Je ne me souviens pas maintenant.
22 Vraiment, je ne me souviens pas qui a dit cela. Quelqu'un l'a dit, à
23 l'extérieur.
24 Mais vous savez ces coups avec la douleur, certains traînaient
25 les pieds. Nous sommes montés dans la camionnette. Nous ne savions même
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1 pas où on nous emmenait. Nous ne savions pas vraiment ce qui se passait,
2 ce qui nous arrivait.
3 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous arrivés au hall de
4 sport de Musala ?
5 M. Sudar (interprétation). - Oui, ce soir-là nous sommes arrivés
6 au centre sportif de Musala. D'autres gens étaient là aussi. Comment y
7 sont-ils arrivés ? Je n'en sais rien. On nous a enfermés dans les
8 vestiaires, là où les enfants se changent pour les cours de gymnastique.
9 Nous avons dormi dans des classes, à vingt deux à vingt quatre personnes
10 dans des classes, où il y avait une ou deux chaises. Elles faisaient à peu
11 près 2,5 mètres sur 4 mètres. Nous avons dormi sur le sol. Pendant deux ou
12 trois jours, on ne nous a rien donné à manger. Plus tard, on nous a donné
13 un morceau de pain. On ne nous donnait aussi que très peu d'eau.
14 M. Niemann (interprétation). - Qui est ce "il" dont vous parlez,
15 qui vous donne de l'eau ?
16 M. Sudar (interprétation). - Je pense aux soldats. C'étaient les
17 soldats qui nous avaient frappés, j'imagine.
18 J'ai vu un chauffeur de taxi, on l'appelait Hebibija. Il y avait
19 aussi Jelecskovic. Je crois qu'il l'appelait MUF. Il y avait un certain
20 Alic. Je ne me souviens pas exactement. C'était surtout des Musulmans. Il
21 y avait un ou deux Croates dont je ne connais pas les noms.
22 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps êtes vous restés
23 au centre sportif de Musala ?
24 M. Sudar (interprétation). - Je suis resté là pendant environ
25 vingt jours. Encore une fois, je ne me souviens pas exactement du nombre
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1 de jours. Mais, dans l'intervalle, un soir, alors que la nuit tombait,
2 Hazim Delic est venu. Il m'a demandé d'où je venais. Il a fait sortir cinq
3 ou six personnes. Il a dit : "Préparez-vous". Ce que nous avons fait. Nous
4 sommes montés dans une camionnette s'en savoir ou nous allions. Ensuite,
5 il s'est assis avec le chauffeur. Quelqu'un d'autre l'accompagnait. Il
6 nous a emmenés à Celebici. Après cela, j'ai compris que c'était un camps.
7 Ils nous ont mis dans le hangar n° 6.
8 M. Niemann (interprétation). - Vous dites que Delic est venu ?
9 M. Sudar (interprétation). - Non, pas Delalic, Hazim Delic.
10 M. Niemann (interprétation). - Si j'ai dit Delalic je m’en
11 excuse, je voulais bien dire Hazim Delic. Vous dites donc que Hazim Delic
12 a dit quelques noms. A-t-il appelé votre nom ?
13 M. Sudar (interprétation). - Il m'a appelé moi et cinq ou six
14 autres personnes qui se trouvaient là. Nous avons dû monter dans la
15 camionnette et il nous a emmenés à Celebici. Quand je suis arrivé à
16 Celebici, ils nous ont jetés dans le hangar sur le sol en béton. Moi, j'ai
17 été placé près de la porte. Il m'a dit : "Reste-là". C'est Delic, quand il
18 m'a amené-là.
19 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites le hangar,
20 savez-vous le numéro que portait le hangar ?
21 M. Sudar (interprétation). - Il l'appelait le hangar n° 6.
22 M. Niemann (interprétation). - Cette personne, Hazim Delic,
23 l’aviez-vous déjà vue ? La connaissiez-vous d'avant ?
24 M. Sudar (interprétation). - Oui, je connais Hazim Delic. Je
25 travaillais avec lui. Je n'ai jamais eu de problèmes avec lui. Je ne sais
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1 vraiment pas ce qui s'est passé. Nous ne nous sommes jamais disputés
2 avant.
3 M. Niemann (interprétation). - Pendant combien de temps aviez-
4 vous travaillé avec Hazim Delic ?
5 M. Sudar (interprétation). - Je travaillais dans cette
6 entreprise depuis 1968. Il est arrivé plus tard. On a travaillé ensemble
7 pendant dix ans.
8 M. Niemann (interprétation). - Vous parlez de la société SIPAD,
9 n’est-ce pas ?
10 M. Sudar (interprétation). - Oui, Sipad à Konjic.
11 M. Niemann (interprétation). - Vous dites que M. Delic y était ?
12 M. Sudar (interprétation). - Oui.
13 M. Niemann (interprétation). - Le voyez-vous au travail de temps
14 en temps ?
15 M. Sudar (interprétation). - De temps en temps, oui, je le
16 voyais au travail. Plus récemment, avant la guerre,je ne sais pas, peut-
17 être a-t-il pris un congé sans solde ? Mais pendant deux ou trois mois, je
18 ne l'ai plus vu. Je ne sais pas où il était parti.
19 M. Niemann (interprétation). - Trois mois avant la guerre,
20 en 1992 ?
21 M. Sudar (interprétation). - Oui. Je pense à la fin de 1991,
22 début 1992 -quelque chose comme cela- pendant cet hiver-là.
23 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous quelle sorte de
24 travail M. Delic faisait, lorsqu'il était à l'entreprise dont vous
25 parliez ?
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1 M. Sudar (interprétation). - M. Delic ? A Sipad, il travaillait
2 au service des transports. Il était serrurier.
3 M. Niemann (interprétation). - Connaissez-vous des membres de la
4 famille de M. Delic ?
5 M. Sudar (interprétation). - Oui, je connais son père, sa femme,
6 mais pas ses enfants.
7 M. Niemann (interprétation). - Quel est le nom de son père ?
8 M. Sudar (interprétation). - Son père s'appelait Ibro. C'était
9 un charpentier. Il travaillait dans l'industrie du bâtiment. Je le
10 connaissais.
11 M. Niemann (interprétation). - Etait-ce la même entreprise que
12 celle pour laquelle vous travailliez ?
13 M. Sudar (interprétation). - On l'appelait l'entreprise Neretva,
14 et ensuite il a été transféré dans une autre entreprise qui s'appelait
15 Izgradnja je pense, mais je le voyais.
16 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous quel est le village
17 originaire de M. Delic ?
18 M. Sudar (interprétation). - Il est de Orahovica qui est le
19 village voisin du mien, de l'autre côté du lac.
20 M. Niemann (interprétation). - A quelle distance se trouve ce
21 village de Konjic à peu près ?
22 M. Sudar (interprétation). - Je pense que cela fait à peu près
23 cinq kilomètres.
24 M. Niemann (interprétation). - Avant la guerre, vous travailliez
25 dans la même entreprise. Savez-vous si M. Delic avait aussi des affaires
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1 qu'il dirigeait de façon privée ? Avant la guerre, bien sûr.
2 M. Sudar (interprétation). - Son père, lui ou sa soeur avaient
3 ouvert une espèce de magasin de souvenirs en ville. Ils vendaient des
4 livres ou autre chose. Je ne suis jamais allé dans ce magasin. Je n'y suis
5 jamais entré. Je passais devant parfois.
6 M. Niemann (interprétation). - Je reviens au moment où M. Delic
7 vous a fait entrer dans le hangar n°°6. Lorsque vous êtes entré dans le
8 hangar, y avait-il quelqu'un à l'intérieur déjà ?
9 M. Sudar (interprétation). - Lorsque je suis entré dans le
10 hangar, il y avait, à peu près, deux cent cinquante à trois cent
11 personnes, au moins deux cent cinquante personnes. J'étais assis tout près
12 de la porte, à la deuxième rangée à partir de la porte.
13 M. Niemann (interprétation). - Etes-vous resté à cette place,
14 dans la deuxième rangée pendant toute la durée de votre séjour au camp de
15 Celebici, ou avez-vous changé de place ?
16 M. Sudar (interprétation). - Je n'ai pas changé de place. On m'a
17 installé là. Je suis resté là jusqu'au moment où j'ai été de nouveau
18 transféré, échangé.
19 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous me décrire les
20 conditions de vie dans le hangar ?
21 M. Sudar (interprétation). - Les conditions de vie dans le
22 hangar étaient terribles. On dormait tous sur le sol en béton. La
23 nourriture, il y en avait certains jours et d'autres jours il n'y en avait
24 pas. Quand il y avait du pain, on le coupait en cinquante, soixante ou
25 soixante-dix morceaux. On recevait un morceau le matin ou le soir. On
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1 recevait une cuillerée d'eau. La porte était toujours fermée. Il n'y avait
2 pas d'air. Nous étions tellement serrés que nous ne pouvions pas respirer.
3 C'était impossible de vivre dans de telles conditions. Et puis les
4 toilettes. Le soir, il y avait une espèce de sceau que l'on devait
5 utiliser pour nos besoins. Le jour, on sortait. Il y avait une espèce de
6 trou derrière le hangar. Lorsqu'ils en avaient envie, ils nous laissaient
7 l'utiliser. Mais pour ce qui concerne le hangar, c'était terrible. C'était
8 sale et plein de poussière. Plus tard, des gens sont tombés malades.
9 Quelqu'un appelé Zivak est tombé malade. Il y avait des poux.
10 Zenga venait avec un chien se promener autour du hangar et Osman Dedic
11 aussi. Je ne connais pas le nom de tous les gardes. Je connais juste
12 quelques prénoms. Mais il venait avec un chien. Heureusement, ce chien ne
13 nous attaquait pas et ne nous mordait pas, mais c'est ce qu'il faisait.
14 M. Niemann (interprétation). - Vous avez dit que parfois vous
15 étiez autorisés à sortir du hangar pour aller aux toilettes à l'extérieur
16 pendant la journée. Parfois, vous a-t-on empêchés d'aller aux toilettes
17 pendant la journée ?
18 M. Sudar (interprétation). - Parfois, on nous interdisait de le
19 faire. Il fallait donc s'en passer. Lorsque nous allions pisser, il y
20 avait dix ou quinze personnes en train de faire la queue. M. Delic venait
21 et il nous donnait l'ordre de faire la queue. Il disait : "Allez uriner,
22 allez pisser". On y allait, on revenait et parfois on devait revenir en
23 courant. Parfois, les gens n'avaient même pas le temps de le faire. Le
24 temps était très limité. On nous faisait courir. Parfois, on nous laissait
25 aller tout seuls, juste derrière le hangar. Les gardes étaient là. Il y
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1 avait aussi une tranchée. Parfois, on nous emmenait près de la tranchée.
2 M. Niemann (interprétation). - Des prisonniers ont-ils été
3 frappés ? Les a-t-on autrement dérangés au moment d'aller aux toilettes,
4 alors qu'ils y allaient avec les gardes ?
5 M. Sudar (interprétation). - Oui, les gardes nous frappaient. A
6 vrai dire, cela dépendait. Parfois, quelqu'un sortait et était frappé
7 alors que quelqu'un d'autre n'était pas frappé. Cela dépendait.
8 M. Niemann (interprétation). - De l'endroit où vous étiez assis
9 dans le hangar, quelle position occupiez-vous par rapport à la porte ?
10 M. Sudar (interprétation). - J'étais près de la porte. J'avais
11 le dos tourné vers la porte. Parfois, je pouvais regarder derrière, car le
12 plus souvent nous devions nous asseoir avec les mains sur les genoux,
13 accroupis. C'est ainsi que nous devions nous asseoir. Si quelqu'un venait,
14 nous devions pencher la tête et rester assis dans cette position.
15 M. Niemann (interprétation). - Lorsque la porte du hangar était
16 ouverte, étiez-vous capable de voir à l'extérieur et de voir ce qui se
17 passait à l'extérieur pendant la journée ?
18 M. Sudar (interprétation). - Lorsque la porte était ouverte, je
19 pouvais voir les gardes qui passaient.
20 M. Niemann (interprétation). - Quand la porte était fermée,
21 pouviez-vous entendre des bruits venant de l'extérieur du hangar ?
22 M. Sudar (interprétation). - Quand les portes étaient fermées,
23 on pouvait tout entendre. On entendait les coups. Si quelqu'un recevait
24 l'ordre de sortir, on entendait les coups, les cris. On entendait "Pitié,
25 pitié". On entendait tout.
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1 M. Niemann (interprétation). - Je voudrais que vous examiniez
2 cette maquette qui se trouve devant vous. Je vous demanderai de vous lever
3 avec le casque sur les oreilles, néanmoins, en faisant attention de bien
4 rester abriter par l'écran. Je voudrais que vous regardiez de près la
5 maquette pour voir si vous pouvez identifier, à mon intention, l'endroit
6 sur la maquette où se trouve le hangar n° 6 où vous étiez détenu ? Peut-
7 être est-il préférable que vous restiez derrière la maquette. Si vous
8 faites le tour, on vous verra. Depuis là, pourriez-vous le dire ?
9 M. Sudar (interprétation). - Voici le hangar n° 6. C'est le
10 premier bâtiment, le premier hangar.
11 M. Niemann (interprétation). - Merci beaucoup, Monsieur, il
12 était possible de l'identifier sans qu'il vous faille passer devant la
13 maquette. Je vous remercie.
14 Au cours de votre détention au camp de Celebici, avez-vous perdu
15 du poids ?
16 M. Sudar (interprétation). - Peut-être ai-je perdu 25 à
17 30 kilos.
18 M. Niemann (interprétation). - Merci. Précédemment, vous avez
19 parlé de M. Hazim Delic. Vous avez donné des détails à son propos, à
20 propos de sa famille. Avez-vous appris quel était le poste qu'il occupait
21 au camp de Celebici ?
22 M. Sudar (interprétation). - D'après ce que j'ai entendu les
23 gardes dire, il était commandant-adjoint.
24 M. Niemann (interprétation). - Comment les gardes se
25 comportaient-ils dans leurs rapports avec lui ?
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1 M. Sudar (interprétation). - Parfois, il était très critique à
2 l’égard des gardes, il les insultait, il criait. Nous avons compris que,
3 quand Pavo était absent, c'était lui qui donnait les ordres, qui était
4 responsable.
5 M. Niemann (interprétation). - Vous parlez de Pavo. Est-ce là un
6 surnom ?
7 M. Sudar (interprétation). - Oui, c'est son surnom, pour autant
8 que je sache.
9 M. Niemann (interprétation). - Mais de qui parlez-vous ? Le
10 surnom de qui ?
11 M. Sudar (interprétation). - Je veux bien sûr parler de Mucic,
12 Pavo Mucic.
13 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous M. Pavo Mucic
14 avant la guerre ?
15 M. Sudar (interprétation). - Non, je ne le connaissais pas avant
16 la guerre. J'étais dans un village, je rendais visite à un de mes
17 collègues et j'étais déjà chauffeur. C'est là que je l'ai vu à une
18 occasion. On a pris du café. Avant cela, peut-être l'avais-je vu, mais je
19 n'avais pas de contacts avec lui.
20 M. Niemann (interprétation). - Ce que je voulais savoir, c'est
21 si vous aviez eu l'occasion de le rencontrer, de le voir avant la guerre ?
22 M. Sudar (interprétation). - Avant la guerre, comme je l'ai dit,
23 je l'ai vu de temps à autre dans la rue, sans plus. Nous ne nous sommes
24 pas rencontrés. Il travaillait ailleurs et moi j'étais rarement à Igman.
25 Il se peut que je l'aie vu, mais je ne connaissais pas son identité. J'ai
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1 appris son nom plus tard seulement.
2 M. Niemann (interprétation). - Où avez-vous su comment il
3 s'appelait plus tard ?
4 M. Sudar (interprétation). - C'est lorsque j'ai été avec cet
5 homme du Monténégro. Il s'est présenté comme étant M. Mucic. C'est alors
6 que j'ai appris son nom.
7 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous nous donner des
8 détails à propos de cette rencontre avec cet homme du Monténégro ? Comment
9 avez-vous rencontré M. Mucic ?
10 M. Sudar (interprétation). - J'étais à ce village. Nous nous
11 sommes rencontrés dans ce village. Nous y avons passé un certain temps.
12 M. Niemann (interprétation). - Et cet homme du Monténégro dont
13 vous parlez, avait-il une relation, un rapport quelconque avec M. Mucic,
14 pour autant que vous le sachiez ?
15 M. Sudar (interprétation). - Ce Montenegrin était un de mes
16 collègues. Un autre chauffeur de taxi, aussi Montenegrin, est venu et j'ai
17 appris que c'était le beau-frère de Pavo. La soeur de Pavo, Olga, l'avait
18 épousé. C'est à ce moment-là que j'ai entendu prononcer le nom de Pavo.
19 C'est alors aussi que j'ai été présenté à Pavo.
20 M. Niemann (interprétation). - Présenté à qui ?
21 M. Sudar (interprétation). - Ce que je veux dire, c'est que
22 j'étais là, assis. Il est arrivé et il s'est présenté. Il a dit :
23 "Zdravko".
24 M. Niemann (interprétation). - De qui parlez-vous quand vous
25 dites "il" ?
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1 M. Sudar (interprétation). - Je parle de Zdravko Mucic.
2 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous nous dire -peut-
3 être pas précisément, vous ne vous en souviendrez peut-être pas- en quelle
4 année cette rencontre a eu lieu ou combien de temps avant la guerre ?
5 Quand avez-vous rencontré M. Mucic pour la première fois ?
6 M. Sudar (interprétation). - Vers le milieu de l'année 1991.
7 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous des proches ou
8 des personnes apparentées à M. Mucic ?
9 M. Sudar (interprétation). - Il vivait en ville. J'ai entendu
10 parler de Janko, de son frère qui travaillait lui aussi à Igman. Je
11 n'avais pratiquement aucun contact avec lui. Je savais simplement qu'il
12 avait un frère dénommé Janko, un père, mais je n'avais pas beaucoup de
13 contacts. Un jour, j'ai transporté du bois, c'était dans la maison d'un
14 Musulman, et quelqu'un m'a dit : "Voici Janko". C'est tout ce que je sais,
15 rien de plus.
16 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites qu'il vivait
17 en ville, où vivait-il exactement ?
18 M. Sudar (interprétation). - En surplomb des installations
19 militaires de Igman, dans cette partie de la ville.
20 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous où travaillait
21 M. Mucic juste avant la guerre ?
22 M. Sudar (interprétation). - A ma connaissance, il était en
23 Autriche.
24 M. Niemann (interprétation). - Quelle était la fonction qu'il
25 occupait au camp ? Quel poste avait M. Mucic au camp ?
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1 M. Sudar (interprétation). - Comment dire ? Il venait et, quand
2 il venait, on disait que c'était le commandant. Je ne sais pas quelle
3 fonction il avait exactement, mais on disait : "Le commandant arrive". Je
4 l'ai vu arriver trois ou quatre fois au portail d'entrée. Il lui est
5 arrivé une fois d'appeler certaines personnes par leurs noms, personnes
6 qui devaient être transférées du hangar n° 6 au centre sportif ou à la
7 salle des sports. Mais quand il était là, chaque fois que nous le voyions,
8 ce n'est pas que nous étions maltraités, on ne nous faisait pas sortir
9 pour nous tabasser, du moins pas quand j'y étais, mais quand il n'était
10 pas dans le camp c'était bien le cas.
11 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu M. Mucic au hangar
12 n° 6 ?
13 M. Sudar (interprétation). - Oui, il venait au hangar n° 6. Il
14 arrivait en moto. Mais quand il venait, on n'était pas maltraités. Les
15 soldats -toutes sortes de soldats- venaient aussi à la porte, se
16 promenaient, rentraient.
17 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous d'autres gardes
18 du camp de Celebici pendant le temps où vous avez été détenu au
19 hangar n° 6 ?
20 M. Sudar (interprétation). - Pour ce qui est des autres gardes,
21 à vrai dire je ne les connaissais pas. Zenga s'y trouvait, mais je ne le
22 connaissais pas. Il se peut que je l'aie connu quand il était tout jeune,
23 mais je sais qu'il y avait un Osman Kemo, un certain Focak, un policier,
24 il y avait quelqu'un de Bjela que je connaissais, mais j'ai oublié son nom
25 depuis. Il est arrivé plus tard. Je ne me souviens plus de son nom.
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1 M. Niemann (interprétation). - Vous avez parlé d'une personne
2 dénommée Zenga. Savez-vous quel était son nom de famille ?
3 M. Sudar (interprétation). - Son nom de famille, c'est Landzo,
4 on le surnommait Zenga. Je ne connais pas son prénom. Vraiment, je ne suis
5 pas sûr de son prénom.
6 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous ou aviez-vous
7 entendu parler de Zenga ou de membres de sa famille avant la guerre ?
8 M. Sudar (interprétation). - Je connaissais plus sa famille que
9 lui-même. Je connaissais son père, même si je n'avais pas beaucoup de
10 contacts avec lui. Je connaissais certains de ses proches. Certains
11 travaillaient à la scierie. Son père, son frère travaillaient aussi dans
12 le département des bois de mon entreprise.
13 M. Niemann (interprétation). - Vous connaissez le nom de
14 certains membres de sa famille, des frères de son père par exemple ?
15 M. Sudar (interprétation). - Je crois qu'il y a un certain Omer.
16 Je savais tout cela auparavant, mais tout cela est oublié. J'ai beaucoup
17 oublié. Il y avait un certain Nurko qui travaillait, lui aussi, à la
18 scierie, c'était un de ces oncles. Il travaillait à la scierie.
19 M. Niemann (interprétation). - Y a-t-il quoi que ce soit dont
20 vous vous souvenez à propos de Zenga, quelque chose qui vous permet de
21 l'identifier quand il se trouvait au camp ?
22 M. Sudar (interprétation). - Franchement, je ne sais pas par
23 quoi je l'aurais reconnu ; par son apparence, son aspect ? Il était de
24 taille moyenne, assez petit, pas très grand. Il avait une voix pas très
25 forte.
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1 M. Niemann (interprétation). - Qu'entendez-vous par là ?
2 M. Sudar (interprétation). - Une voix haut placée, du moins
3 quand il criait sur nous.
4 M. Niemann (interprétation). - Comment Hazim Delic et Zenga
5 Landzo vous ont-ils traité au camp ?
6 M. Sudar (interprétation). - Hazim Delic me provoquait, me
7 posait des questions, à savoir où je travaillais, d'où je venais... Il me
8 faisait sortir, me battait, me frappait puis il me donnait une cigarette.
9 M. Niemann (interprétation). - Q'en est-il de M. Landzo ?
10 M. Sudar (interprétation). - Au crépuscule, j'avais demander à
11 sortir aux latrines. M. Landzo m'a frappé devant la porte. Il
12 m'interdisait de partir, d'aller aux toilettes. Quand il m'a laissé
13 partir, il m'a frappé avec une batte de base-ball.
14 M. Niemann (interprétation). - Alors que vous étiez détenu au
15 hangar n°°6, avez-vous connu un prisonnier dénommé Scepo Gotovac ?
16 M. Sudar (interprétation). - Je connaissais cet homme assez âgé
17 de Bjelovcina. Parfois, je l'avais vu en ville ou à Bjelovcina. Il est
18 arrivé. Il a été amené et, à une occasion, il était debout près de la
19 porte. Ce jour là, M. Delic est venu. Il avait une note en main. Il a
20 demandé qui était chez Jovo Gotovac. Il a fait lever cet homme là. Quand
21 il a été debout, il l'a frappé cinq ou six fois, je ne sais plus combien
22 de fois exactement, mais en tout cas à plusieurs reprises. L'homme a
23 commencé à fondre en larmes. Ils ont poursuivi le tabassage dehors.
24 J'entendais la voix de Zenga. En fait, c'était Zenga qui l'avait fait
25 sortir. Par la suite, j'ai entendu la voix de Zenga. On a entendu que de
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1 l'eau était versée sur cet homme, et puis ils l'ont rejeté à l'intérieur
2 du hangar. Il était tout mouillé. Je ne sais pas si c'est Zivak ou
3 quelqu'un d'autre qui a dû le traîner à l'intérieur.
4 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites « ils l'ont fait
5 sortir », vous pouviez reconnaître leurs voix, de qui parlez-vous ?
6 M. Sudar (interprétation). - Comme je l’ai dit, il s'agissait de
7 Zenga et de Delic qui l'ont fait sortir. Zenga a donné l'ordre à cet homme
8 de sortir. On entendait la voix de Zenga à ce moment-là, et aussi au
9 moment du tabassage. A ce moment-là, Zenga a crié. Il disait : « Combien
10 de Musulmans as-tu tués ? » Delic a dit à Scepo Gotovac qu'en tant que
11 Chetnik il avait tué deux Musulmans pendant la guerre. Il lui a redemandé
12 combien de Musulmans il avait tués. Scepo Gotovac pleurait, suppliait pour
13 que l'on fasse preuve de pitié. Il appelait sa mère. Il était vraiment
14 dans des souffrances, dans des douleurs terribles. Zenga le frappait, l’a
15 fait sortir de nouveau, la refrappé. On n’entendait que la voix. En
16 général, quand il frappait, il fermait la porte. Et puis, on a entendu
17 toujours ces voix à l'extérieur. Finalement, il a été rejeté à l'intérieur
18 du hangar. C'est vers le matin qu'il est mort. On n'entendait plus rien,
19 plus un cri, plus rien, et tout était silencieux. Quelqu'un a dit :
20 « Voilà, il est mort ». Je n'ai pas osé regarder. Je n’aime pas regarder
21 les morts.
22 M. Niemann (interprétation). - Dans quel état se trouvait
23 Scepo Gotovac quand ils ont ramené à l'intérieur ?
24 M. Sudar (interprétation). - Que dire ? Il était simplement là,
25 gisant au sol, recroquevillé, poussant des pleurs, des gémissements.
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1 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous remarqué quoi que ce
2 soit à propos de sa tête, au moment où il est revenu dans le hangar ?
3 M. Sudar (interprétation). - Zenga l'avait frappé à la tête.
4 Franchement, je n'avais pas très envie de regarder. Je ne pouvais pas me
5 forcer à regarder l'homme mort, mais quelque chose se passait au niveau de
6 sa tête.
7 M. Niemann (interprétation). - Et lorsqu'il est mort, le
8 lendemain matin, l’avez vous regardé ?
9 M. Sudar (interprétation). - Je vous l’ai dit, franchement je ne
10 parvenais pas à le regarder. Certains l'ont transporté à l'extérieur. Je
11 n'ai même pas réussi à le recouvrir de quoi que ce soit. D'autres
12 personnes l'ont fait. Moi, je n'y parvenais pas. Je n'osais pas regarder
13 cet homme mort.
14 M. Niemann (interprétation). - Comment saviez-vous qu'il était
15 mort ?
16 M. Sudar (interprétation). - Il était là et puis il n'a plus
17 gémi. Il n’y avait plus aucun signe, ni aucun son émanant de lui. J'en ai
18 conclu qu'il était mort.
19 M. Niemann (interprétation). - Pourriez-vous aider le Tribunal
20 en nous disant l'âge qu'avait approximativement Scepo Gotovac ?
21 M. Sudar (interprétation). - Je ne suis pas tout à fait sûr,
22 mais je crois qu'il était né en 1920. Il était peut-être un peu plus âgé,
23 je ne sais pas. Je pense qu'il a dû naître vers 1920.
24 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous à quel groupe ethnique
25 il appartenait ?
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1 M. Sudar (interprétation). - Il était Serbe.
2 M. Niemann (interprétation). - Au cours de votre détention au
3 hangar n° 6, avez-vous rencontré un prisonnier dénommé Simo Jovanovic ?
4 M. Sudar (interprétation). - J'ai entendu parler de
5 Simo Jovanovic. Je crois qu'il était directeur. Nous n'étions pas proches.
6 J'avais simplement entendu parler de lui. De l'endroit où je me trouvais,
7 il était de l'autre côté, à la place n° 4. On l'a fait sortir, lui aussi,
8 très souvent. Certains de ses voisins lui disaient : "Est-ce que tu
9 voudrais du poisson ?" Moi, je ne connaissais pas cet homme, ni ces hommes
10 non plus. Apparemment, c'étaient ses voisins. Ce sont eux qui l'ont fait
11 sortir souvent et l'ont frappé. Les dernières fois, ils ont versé de l'eau
12 bouillante sur lui.
13 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites que c'était ses
14 voisins qui l'avaient fait sortir, étaient-ils des gardes du camp ?
15 M. Sudar (interprétation). - Zenga, Cosic et Subasic, oui, je
16 viens de m'en souvenir. C'est plus tard que j'ai appris leurs noms. Je ne
17 les connaissais pas, c'était des hommes jeunes. C'est plus tard que j'ai
18 appris que c'étaient eux qui lui avaient demandé s'il voulait du poisson.
19 Ce faisant, ils l'avaient aussi frappé.
20 M. Niemann (interprétation). - Etiez-vous à même d'entendre ce
21 qu'on lui faisait à l'extérieur du hangar ?
22 M. Sudar (interprétation). - J'ai entendu la voix de Zenga à
23 l'extérieur du hangar. Il y avait d'autres voix aussi qui criaient. On
24 reconnaît le bruit quand il y a passage à tabac, le bruit d'un objet
25 frappant la peau. Vraiment, je devais me boucher les oreilles pour ne pas
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1 entendre ce qui se passait, et pour ne pas entendre non plus le flexible.
2 M. Niemann (interprétation). - La dernière fois qu'il a été
3 emmené à l'extérieur et frappé, savez-vous combien de temps a duré le
4 tabassage ?
5 M. Sudar (interprétation). - Quelquefois, on le faisait sortir
6 pour quinze ou vingt minutes, je ne me souviens pas exactement. Ils le
7 frappaient jusqu'à ce qu'il perde connaissance et puis ils le remettaient
8 à l'extérieur dans cet état.
9 M. Niemann (interprétation). - Et lorsque cela s'est passé pour
10 la dernière fois, avez-vous vu qui l'avait ramené à l'intérieur du
11 hangar ?
12 M. Sudar (interprétation). - Je ne me souviens pas exactement,
13 je ne peux pas vraiment dire. Je crois qu'il a été poussé à l'intérieur.
14 Il y avait des voix à l'extérieur, mais il m'était impossible de voir,
15 d'autant qu'on n'avait pas le droit de regarder lorsqu'on ouvrait la
16 porte, parce qu'on vous frappait aussi si vous regardiez vers la porte.
17 Parfois, on jetait un regard furtif vers la porte, mais ce n'était pas
18 toujours possible de voir.
19 M. Niemann (interprétation). - Vous dites que vous n'avez pu
20 qu'entendre ces voix à l'extérieur du hangar. Avez-vous reconnu l'une
21 quelconque de ces voix la dernière fois que l'on a frappé
22 M. Simo Jovanovic ?
23 M. Sudar (interprétation). - J'ai entendu la voix de Zenga. Il
24 m'était possible d'entendre que c'était Delic qui donnait les ordres.
25 J'entendais sa voix. Parfois, il disait : "Assez ! Arrête !"
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1 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites "Assez !
2 Arrête !", qui disait cela ?
3 M. Sudar (interprétation). - J'ai entendu Delic dire deux ou
4 trois fois : "Assez ! Arrête ! Stop !" .
5 M. Niemann (interprétation). - La dernière fois où il a été
6 remis dans le hangar, où on l'a simplement laissé à la porte, à l'entrée,
7 dans quel état était-il ?
8 M. Sudar (interprétation). - Il avait été victime d'un tabassage
9 très grave. Il pleurait, il gémissait, tant ses douleurs étaient grandes,
10 et puis sa voix s'est éteinte et il s'est contenté de se recroqueviller.
11 M. Niemann (interprétation). - Combien de temps a-t-il passé
12 dans cette position ?
13 M. Sudar (interprétation). - Je ne me souviens pas exactement.
14 Je crois que le matin suivant, lorsqu'il est mort, il a été emmené. Mais
15 je ne me souviens plus des détails.
16 M. Niemann (interprétation). - Comment savez-vous qu'il est mort
17 le matin ?
18 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas s'il est mort le
19 matin, mais je sais qu'il était mort le matin. Je ne me souviens pas
20 exactement. Souvent, les hommes mouraient dans la nuit. Je ne me souviens
21 pas de tous les détails.
22 M. Niemann (interprétation). - Qui l'a sorti du hangar, ce
23 lendemain matin ? Vous en souvenez-vous ?
24 M. Sudar (interprétation). - Zenga l'a fait sortir, les gardes
25 étaient là aussi, Osman et Kemo. Les autres, je ne les ai pas vus. Je n'ai
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1 pas vu les hommes qui le frappaient, je n'ai entendu que les voix.
2 M. Niemann (interprétation). - Oui, mais je parle du lendemain
3 suivant, après sa mort, le lendemain du tabassage. Qui l'a fait sortir ?
4 Avez-vous vu la personne qui l'a fait sortir ?
5 M. Sudar (interprétation). - Zenga l'a fait sortir, me
6 semble-t-il, mais je ne me souviens pas. Simo Jovanovic ne pouvait pas
7 vraiment marcher seul. Je ne me souviens pas de ce détail.
8 M. Niemann (interprétation). - La dernière fois qu'on l'a fait
9 sortir, l'avez-vous revu par la suite ?
10 M. Sudar (interprétation). - Non, je ne l'ai jamais revu. Il ne
11 s'est plus jamais trouvé à l'intérieur du hangar. Il n'a plus donné aucun
12 signe, il n'a plus crié.
13 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites qu'il n'a pas
14 donné de signe, l'avez-vous vu dans cet état où il ne donnait plus aucun
15 signe de vie, où il ne poussait plus de cris ? L'avez-vous vu, de vos yeux
16 vu, ou quelqu'un vous en a-t-il parlé ?
17 M. Sudar (interprétation). - Franchement, je ne parviens pas à
18 regarder un homme mort. J'avais essayé de ne pas regarder ces personnes
19 qui se trouvaient dans l'embrasure de la porte.
20 M. Niemann (interprétation). - En dépit de cette difficulté,
21 avez-vous jeté un regard de temps à autre ?
22 M. Sudar (interprétation). - Oui, je le faisais de temps à
23 autre, mais il n'y avait plus aucun gémissement, aucun son qui provenait
24 de lui. J'en ai conclu qu'il n'y avait plus aucun signe de vie et donc
25 qu'il était mort.
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1 M. Niemann (interprétation). - Toujours au moment de votre
2 détention au hangar n° 6, avez-vous connu un prisonnier dénommé Bosko
3 Samoukovic ?
4 M. Sudar (interprétation). - Vous voulez parler de
5 Bosko Samoukovic ?
6 M. Niemann (interprétation). - Oui.
7 M. Sudar (interprétation). - Oui, je connaissais cette personne
8 âgée de vue. Samoukovic est de Bradina. Il était en quatrième position à
9 partir de la porte. Il y avait son fils avec lui, Nedejlko. Ils étaient
10 là, debout. Zenga est arrivé, il brandissait un bâton -je ne sais pas
11 exactement, je ne me souviens plus- et il a commencé à frapper les
12 personnes. Je crois qu'il a d'abord frappé Rajko Mrkajic et puis il a
13 frappé tous ceux qui étaient debout, en rangée. Il a frappé le vieillard,
14 Bosko, et son fils, à de nombreuses reprises. Le vieil homme est tombé.
15 Quelqu'un a ordonné qu'on le fasse sortir, quelqu'un l'a emmené à
16 l'extérieur. Je ne sais pas si on lui a fourni une aide quelconque. Je
17 crois qu'il a été emmené au hangar n° 22.
18 Et puis, quelqu'un est revenu et a dit qu'il était mort, soit
19 qu'il était mort en route vers le dispensaire ou là-même, je ne sais pas.
20 M. Niemann (interprétation). - Lorsque le tabassage a commencé,
21 a-t-il commencé à l'intérieur du hangar n° 6 ?
22 M. Sudar (interprétation). - Le tabassage a eu lieu précisément
23 au hangar n° 6. D'abord, ils ont commencé à frapper Rajko Mrkajic, et puis
24 toute la rangée d'hommes, mais Bosko était un homme âgé et, lorsqu'il est
25 tombé à terre, ils se sont rendu compte qu'il allait mourir et ils ont
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1 arrêté de le frapper.
2 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites "ils" au
3 pluriel, de qui parlez-vous ?
4 M. Sudar (interprétation). - Je parle de Bosko Samoukovic.
5 M. Niemann (interprétation). - Quel âge avait-il
6 approximativement ?
7 M. Sudar (interprétation). - Il devait avoir une soixantaine
8 d'années, je n'en suis pas trop sûr.
9 M. le Président (interprétation). - Le moment est venu d'avoir
10 notre interruption de l'après-midi. Nous reprendrons à 16 h 30.
11 L'audience, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 30.
12 M. le Président (interprétation). - Vous pouvez poursuivre,
13 Maître Niemann.
14 M. Niemann (interprétation). - Merci, Monsieur le Président.
15 Monsieur, vous étiez en train de parler aux Juges de ce que vous aviez
16 observé en rapport avec M. Bosko Samoukovic et vous étiez au milieu de
17 votre récit au moment de la suspension d'audience.
18 Pouvez-vous dire aux Juges quelle était l'appartenance ethnique
19 de cet homme ?
20 M. Sudar (interprétation) - Je pense qu'il était Serbe, à cause
21 de Bosko Samoukovic.
22 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous avez vu ce passage à
23 tabac, lorsque le passage à tabac a commencé, à quelle distance de cet
24 homme vous trouviez-vous assis ? Vous en souvenez-vous ?
25 M. Sudar (interprétation) - Je me trouvais à une distance de
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1 dix mètres à peine, disons à peu près dix mètres.
2 M. Niemann (interprétation). - Vous avez dit, dans votre
3 déposition, que vous l'aviez vu se faire frapper par Zenga entre autres.
4 Avez-vous vu avec quoi il a été frappé ?
5 M. Sudar (interprétation) - Pour autant que j'ai pu le voir,
6 c'était une matraque en bois -comment dire- un bâton en bois.
7 M. Niemann (interprétation). - Qui tenait ce morceau de bois ?
8 M. Sudar (interprétation) - Zenga.
9 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu personnellement
10 Zenga frapper M. Samoukovic avec ce morceau de bois ?
11 M. Sudar (interprétation) - Il frappait un peu partout, il
12 frappait tout le monde, et il a frappé Samoukovic entre autres. Samoukovic
13 est tombé sous les coups.
14 M. Niemann (interprétation). - Une fois qu'il est tombé, que
15 s'est-il passé ?
16 M. Sudar (interprétation) - Pour autant que je me souvienne, il
17 a dit aussi : "Allez, emportez-le !". Pour autant que je m'en souvienne,
18 ils l'ont aidé un peu et l'ont emporté en le tenant sous les bras. Je ne
19 me souviens pas des détails, j'ai simplement entendu le bruit des coups et
20 j'ai entendu quand l'homme est tombé. Mais le reste..
21 M. Niemann (interprétation). - Pendant la durée de votre
22 détention dans le hangar n° 6, avez-vous connu un prisonnier qui
23 s'appelait (expurgé) ?
24 M. Sudar (interprétation) - (expurgé)
25. (expurgé).
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1 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu quelque chose qui
2 lui est arrivé pendant qu'il se trouvait dans le hangar n° 6 ?
3 M. Sudar (interprétation) - Lui aussi, j'ai vu quand Zenga l'a
4 frappé à l'intérieur et il l'a même parfois appelé à sortir. Il l'a
5 frappé, il hurlait, il se tenait les mains parce qu'il l'avait brûlé avec
6 quelque chose -je ne sais pas quoi exactement- et il lui avait fait
7 quelque chose à la langue, si je me souviens bien.
8 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites qu'il l'avait
9 brûlé avec quelque chose, à quoi faites-vous référence et à qui ?
10 M. Sudar (interprétation) - A Zenga. Zenga l'avait brûlé ; on
11 pouvait entendre sa voix. Cela se passait à l'extérieur la plupart du
12 temps mais aussi à 'intérieur. Mais je ne me rappelle pas tous les
13 détails.
14 A l'intérieur aussi, il l'a touché, il l'a brûlé ; il était
15 peut-être à une quinzaine de mètres de moi. Il gémissait et pleurait. Je
16 ne sais pas exactement ce qui lui est arrivé, mais le garçon se plaignait,
17 hurlait et quelque chose lui avait été fait. J'ai vu les brûlures par la
18 suite.
19 M. Niemann (interprétation). - Notamment s'agissant de ce que
20 vous avez pu voir à l'intérieur du hangar, avez-vous vu avec quoi
21 (expurgé) a été brûlé ?
22 M. Sudar (interprétation) - Pour autant que j'ai pu le
23 remarquer, il portait un couteau. Qu'était-ce exactement ? Je ne sais pas,
24 mais pour autant que j'ai pu l'observer, c'était un couteau.
25 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous expliquer de quelle
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1 manière il a pu être brûlé avec un couteau ?
2 M. Sudar (interprétation) - Il a fait griller ce couteau et il a
3 utilisé le couteau chauffé. Ce couteau a fait griller tous les poils, on a
4 pu le voir.
5 M. Niemann (interprétation). - Où a-t-il fait chauffer le
6 couteau ?
7 M. Sudar (interprétation) - Je ne sais pas exactement où il l'a
8 fait chauffer. Je pense que c'était dans une poudrière, quelque chose de
9 jaune ; il l'a allumée et il a fait chauffer le couteau.
10 M. Niemann (interprétation). - M. Landzo a-t-il dit quelque
11 chose à (expurgée) pendant qu'il lui faisait cela ?
12 M. Sudar (interprétation) - Il l'a provoqué, il lui a hurlé à la
13 figure ; il lui a dit toutes sortes de choses.
14 M. Niemann (interprétation). - Cet homme, (expurgée), a-t-il
15 reçu des soins à quelque moment que ce soit après les brûlures qu'il avait
16 subies ?
17 M. Sudar (interprétation) - Il n'a reçu de soins médicaux que
18 lorsque la Croix-Rouge est arrivée. Pour autant que je me souvienne,
19 lorsque la Croix-Rouge est arrivée, elle a vu dans quel état étaient ces
20 hommes et elle a donné l'ordre qu'une aide médicale leur soit apportée.
21 Relja Mrkajic et Petko je crois, sont arrivés. Et les hommes allaient là-
22 bas et se faisaient panser.
23 M. Niemann (interprétation). - Ces moments, ces occasions où
24 vous dites que (expurgée) a été brûlé, se passaient-ils à l'intérieur ou à
25 l'extérieur du hangar ?
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1 M. Sudar (interprétation) - Cela se passait à l'intérieur et à
2 l'extérieur. Il le faisait à l'intérieur et à l'extérieur.
3 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites "il" vous faites
4 référence à qui ? A M. Landzo ?
5 M. Sudar (interprétation). - Oui, à M. Landzo.
6 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous parlez de poudrière,
7 qu'est-ce que vous avez à l'esprit ?
8 M. Sudar (interprétation). - Je pense à cette chose jaune. J'ai
9 vu quelquefois des enfants qui sortaient cela d'un récipient et qui y
10 mettaient le feu et cela brûle. Je ne sais pas, je l'ai déjà vu.
11 M. Niemann (interprétation). - C'était un produit inflammable,
12 pour autant que vous le sachiez ?
13 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas exactement. Pour
14 vous dire la vérité, il portait quelque chose dans la main, peut-être
15 était-ce liquide -je ne sais pas- en tout cas cela brûlait. Je ne peux pas
16 déterminer ce que c'était, simplement cela brûlait.
17 M. Niemann (interprétation). - Connaissiez-vous un prisonnier,
18 dans le camp, dénommé Mirko Babic ?
19 M. Sudar (interprétation). - Oui, je connaissais Mirko Babic.
20 C'était un bûcheron, un homme d'un certain âge qui travaillait à
21 l'entreprise Sipad.
22 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous nous donner son âge
23 approximatif ?
24 M. Sudar (interprétation). - Mirko Babic... je ne sais pas
25 exactement, mais sans doute avait-il entre cinquante ou soixante ans... Je
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1 ne sais pas exactement, mais sans doute plus près de soixante ans.
2 M. Niemann (interprétation). - Quelle était son appartenance
3 ethnique ? Pouvez-vous nous la dire ?
4 M. Sudar (interprétation). - Serbe. Il était serbe.
5 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous pu voir de quelle
6 façon M. Delic et M. Landzo l'ont traité pendant son séjour dans le camp ?
7 M. Sudar (interprétation). - Ils le frappaient. Ils le faisaient
8 sortir et ils le frappaient. Même à l'intérieur, lorsqu'il était assis,
9 ils le frappaient. Ils se sont comportés avec lui comme ils se sont
10 comportés avec les autres.
11 M. Niemann (interprétation). - Toujours pendant votre séjour
12 dans le camp, avez-vous connu un prisonnier dénommé Nedejlko Draganic ?
13 M. Sudar (interprétation). - Je connaissais Nedejlko Draganic.
14 Son père s'appelait Rajko Draganic.
15 M. Niemann (interprétation). - Le connaissiez-vous avant votre
16 détention dans le camp ?
17 M. Sudar (interprétation). - Je le connaissais avant ma
18 détention dans le camp. C'est un cousin, le fils de mon oncle.
19 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu quelque chose qui
20 lui est arrivé pendant votre détention dans le camp ?
21 M. Sudar (interprétation). - Lui aussi, les mêmes choses lui
22 sont arrivées. Zenga, Kemo, Osman et quelquefois Delic le faisaient
23 sortir, mais surtout les trois premiers. Zenga l'a forcé à manger de
24 l'herbe comme un chien, l'herbe sur laquelle les hommes s'étaient
25 soulagés, avaient uriné. Il a dû lécher tout cela. C'est ce qu'il nous a
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1 raconté dans le hangar, mais tout cela s'est passé à l'extérieur.
2 Un jour, il a reçu l'ordre de sortir et je ne me souviens plus
3 exactement, mais nous avons simplement vu ses pantalons en train de brûler
4 et il avait des cicatrices de brûlures sur les jambes.
5 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu ces brûlures
6 lorsqu'il est revenu dans le hangar ?
7 M. Sudar (interprétation). - On les a vues plus tard, parce que
8 les pantalons avaient brûlé. Les traces de brûlures se voyaient. Elles
9 étaient à nu, il n'y avait plus de pantalon qui recouvraient la peau.
10 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous pu constater si, oui ou
11 non, il a reçu des soins médicaux pour soigner ses brûlures ?
12 M. Sudar (interprétation). - Il n'a pas eu de soins médicaux
13 jusqu'à l'arrivée de la Croix-Rouge. Lorsque les représentants de la
14 Croix-Rouge sont arrivés, ils ont posé des questions. Quand ils ont vu les
15 traces que portaient certains hommes, ils ont immédiatement posé des
16 questions et ils ont donné l'ordre que ces blessures soient pansées,
17 soient soignées d'une certaine façon.
18 M. Niemann (interprétation). - Le jour où il a reçu l'ordre de
19 sortir et a subi ces brûlures, et le jour où il est ensuite rentré dans le
20 hangar, avez-vous pu voir qui lui avait infligé ces brûlures ?
21 M. Sudar (interprétation). - C'est Zenga qui faisait cela le
22 plus souvent. Il y avait quelque chose qui brûlait. Les pantalons
23 brûlaient. Lui a réussi à éteindre, mais il a eu des difficultés à
24 éteindre et entre-temps ses jambes avaient brûlé. Je l'ai entendu se
25 plaindre, on a entendu sa voix.
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1 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous connu également un
2 prisonnier dénommé Vukasin Mrkajic ?
3 M. Sudar (interprétation). - Oui, je connaissais
4 Vukasin Mrkajic. Lui aussi, ils l'ont provoqué. Ils l'ont forcé à faire
5 des pompes. Il a commencé à faire des pompes, et à ce moment-là ils l'ont
6 frappé. Il est tombé. Et puis ils ont pris une espèce de mèche de
7 détonateur, une espèce de corde qui l'entourait. Il hurlait, il se
8 plaignait. Nous aussi, nous avons pu entendre ses plaintes à ce moment-là.
9 M. Niemann (interprétation). - Lorsque vous dites "ils" à qui
10 faites-vous référence ?
11 M. Sudar (interprétation). - A Zenga la plupart du temps. C'est
12 Zenga qui faisait cela le plus souvent, mais il y avait aussi Osman, Delic
13 et Kemo. Les autres gardes étaient là aussi.
14 M. Niemann (interprétation). - Est-ce que M. Landzo et M. Delic
15 étaient là au moment où il a été brûlé avec la mèche de détonateur ou avec
16 ce fil électrique ?
17 Mme MucMurrey (interprétation). - Je dois élever une objection
18 car les fondements de cette question n'ont pas été établis. Il n'est pas
19 établi si cela se passait à l'intérieur ou à l'extérieur. J'aimerais que
20 l'accusation nous fasse savoir si ce témoin parle sur la base de ses
21 connaissances personnelles.
22 M. Niemann (interprétation). - Je retire ma question. Lorsque
23 vous parlez de ce jour où M. Mrkajic a été brûlé, l'avez-vous vu de vos
24 propres yeux ? Etait-ce à l'intérieur ou à l'extérieur ?
25 M. Sudar (interprétation). - Je ne peux pas préciser
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1 aujourd'hui. Cela se passait et à l'intérieur et à l'extérieur.
2 M. le Président (interprétation). - Ce que l'on vous demande,
3 c'est qui vous avez vu faire ce genre de choses.
4 M. Sudar (interprétation). - Le plus souvent, c'est quand les
5 hommes recevaient l'ordre de sortir et ces choses-là se faisaient donc le
6 plus souvent dehors. On les entendait se plaindre, gémir, hurler et quand
7 ils revenaient, ils avaient des marques sur le corps. Je l'ai vu rentrer
8 avec cette mèche de détonateur autour du corps, en train de hurler.
9 M. Niemann (interprétation). - Ce jour-là, lorsque vous l'avez
10 vu hurler et lorsque vous avez vu cette mèche de détonateur autour de son
11 corps, qui lui avait donné l'ordre de sortir ?
12 M. Sudar (interprétation). - Zenga, c'est Zenga qui lui avait
13 donné l'ordre de sortir. Il est venu à la porte et il a dit : "Sors !". Et
14 c'est ce qui s'est passé.
15 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu quel garde l'a
16 ramené ? A-t-il bien été ramené par un garde ?
17 M. Sudar (interprétation). - Il a volé à l'intérieur de la salle
18 comme une balle, jusqu'au moment où la mèche de détonateur est tombée.
19 M. Niemann (interprétation). - Lorsqu'il est revenu dans la
20 salle, avez-vous vu des gardes à la porte ou près de l'entrée du hangar ?
21 M. Sudar (interprétation). - J'ai eu des difficultés mal à le
22 remarquer. Vous savez, cela je l'ai même oublié, parce quelquefois ils
23 étaient à côté de la porte et quelquefois ils n'y étaient pas. Il est
24 difficile de se rappeler tous les détails.
25 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous avoir entendu
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1 le son des voix de gardes au moment de cet incident particulier dont vous
2 êtes en train de parler ?
3 M. Sudar (interprétation). - J'ai entendu Zenga qui lui hurlait
4 la figure. Les autres aussi faisaient beaucoup de bruit.
5 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous vous rappeler quoi
6 que ce soit que Zenga ait dit au milieu de ces cris et de ces hurlements ?
7 M. Sudar (interprétation). - Il criait... Non, je ne peux pas me
8 rappeler. Ecoutez, la vérité, c'est la vérité, et je ne peux pas
9 M. Niemann (interprétation). - Pouvez-vous vous rappeler quoi
10 que ce soit que M. Vukasin Mrkajic ait dit au moment où on lui entourait
11 le corps de cette mèche de détonateur ?
12 M. Sudar (interprétation). - Il hurlait, il se plaignait, il
13 invoquait sa mère. Il disait : « Maman, maman ! Ne me faites pas cela ».
14 Ce genre de choses.
15 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous le nom de
16 quelque autre garde présent au moment de cet événement ? Vous
17 rappelez-vous son nom, son prénom ou son surnom ?
18 M. Sudar (interprétation). - Je ne me rappelle pas. Je n'y
19 arrive pas.
20 M. Niemann (interprétation). - Merci.
21 Connaissiez-vous aussi une personne répondant au nom de
22 Dusko Bendo dans le hangar ?
23 M. Sudar (interprétation). - Je connais aussi Dusko Bendo.
24 M. Niemann (interprétation). - Avez-vous vu quoi que ce soit qui
25 serait arrivé à Dusko Bendo dans le camp pendant votre séjour ?
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1 M. Sudar (interprétation). - Dusko Bendo aussi est sorti. Il a
2 gémi. Il s'est plaint et il nous a montré des ecchymoses. Nous, nous
3 n'osions même pas l'approcher. Il est sorti et il a hurlé. Il s'est
4 plaint, il a gémi. Quand il est rentré plus tard, nous avons vu des traces
5 de brûlure.
6 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous si M. Bendo a reçu des
7 soins médicaux après les brûlures qui lui ont été infligées ?
8 M. Sudar (interprétation). - Je l’ai déjà dit. C’est seulement
9 lorsque la Croix-Rouge est arrivée... C'est ce que je pense. En fait, je
10 ne le pense pas mais je dis que personne n'a reçu de soins médicaux avant
11 l'arrivée de la Croix-Rouge. Je ne sais pas exactement. Quelqu'un a eu de
12 la fièvre, de la température. Peut-être quelqu'un lui a-t-il apporté des
13 médicaments. C'était quelqu’un de Brdani, mais je ne me rappelle pas
14 vraiment. La plupart n’ont pas reçu de soins jusqu’à l’arrivée de la
15 Croix-Rouge.
16 M. Niemann (interprétation). - Connaissez-vous quelqu'un qui
17 s'appelle Zejnil Delalic ?
18 M. Sudar (interprétation) - Zejnil Delalic, je ne le connais pas
19 très bien. Il avait un magasin de pneus, je crois. Plus tard, j'ai appris
20 qu'il avait ouvert un café dans sa maison. Je ne suis jamais allé dans ce
21 café. Il a passé quelque temps en Allemagne. Quand j'étais dans le camp,
22 les gardes disaient : « Attention, restez bien à votre place, le
23 commandant arrive » et nous, nous étions assis à notre place. L'homme est
24 entré. Il était à 5 ou 6 mètres. Je ne me rappelle pas tous les détails.
25 Il y avait deux autres hommes avec lui. Derrière lui, il y avait Delic qui
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1 portait un uniforme militaire. Maintenant, tous étaient-ils en uniforme
2 militaire ? Je ne m'en rappelle pas tout à fait. Je n’arrive pas à me le
3 rappeler. L'homme a fait une dizaine de mètres. Il s'est promené. Il s'est
4 retrouvé à la porte et Delic a tiré avec son fusil automatique ; cela a
5 fait tomber du plâtre du plafond. Je crois qu'il a frappé un moment
6 Kuljanin.
7 M. Niemann (interprétation). - Où cela s'est-il passé quand
8 Delic a tiré un coup de feu ?
9 M. Sudar (interprétation). - Cela s’est passé dans le hangar.
10 Delalic avait déjà fait le tour. Il était près de la porte et je crois
11 qu’il était déjà sorti. Delic était près de la porte, mais encore à
12 l'intérieur et il a tiré vers le toit.
13 M. Niemann (interprétation). - Quand vous dites : « Il avait
14 fait le tour », vous parlez du tour qui avait été fait par M. Delalic,
15 n'est-ce pas ?
16 M. Sudar (interprétation). - Oui, je pense à M. Delalic.
17 M. Niemann (interprétation). - Et M. Delic était avec M. Delalic
18 à ce moment-là, n'est-ce pas ?
19 M. Sudar (interprétation). - Il était avec lui. Il marchait
20 derrière lui quand ils sont venus. Maintenant, je ne peux pas me rappeler,
21 mais pour autant que j’ai remarqué, il y en avait un qui avait un tee-
22 shirt blanc. De toute façon, nous n'avions pas le droit de regarder tout à
23 fait directement. Nous devions garder la tête baissée dans la direction
24 des genoux. Eux se sont promenés. Maintenant, avaient-ils un uniforme ou
25 pas ? Delic, en tout cas, avait un uniforme quand il a tiré. Delic, pour
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1 autant que j’ai pu le remarquer, portait toujours l’uniforme.
2 M. Niemann (interprétation). - Monsieur Delalic a-t-il dit ou
3 fait quelque chose de particulier ? A-t-il dit quelque chose à M. Delic
4 quand le coup de feu a été tiré ?
5 M. Sudar (interprétation). - Je ne me rappelle pas. Peut-être a-
6 t-il dit quelque chose, peut-être pas. Je ne me rappelle pas ce genre de
7 détails.
8 M. Niemann (interprétation). - Vous rappelez-vous si M. Delalic
9 a fait quoi que ce soit après qu'une personne a été blessée par le coup de
10 feu ?
11 M. Sudar (interprétation). - Je ne peux pas me rappeler
12 maintenant, je ne peux pas, vraiment. Je ne peux pas raconter. Je ne peux
13 pas dire exactement. Je ne peux pas me rappeler ce genre de détails.
14 M. Niemann (interprétation). - Savez-vous si le village ou la
15 ville où M. Delalic avait son entreprise, cette entreprise de réparation
16 de voitures... Connaissez-vous le nom de cette ville ?
17 M. Sudar (interprétation). - Il n'avait pas une entreprise de
18 réparation de voitures mais une entreprise de lavage des voitures. Et
19 après, il a ouvert un café ; c'était un endroit où on lavait les voitures.
20 C'était au bas de Konjic, à peine à 100 mètres du motel, à la sortie de
21 Konjic, dans la direction de Mostar sur la droite.
22 M. Niemann (interprétation). - Connaissez-vous l'un quelconque
23 des membres de la famille de Delalic ?
24 M. Sudar (interprétation). - De Delalic ? Je connaissais
25 uniquement Dzafo Delalic. Etait-ce son oncle ou son cousin ? Je ne le sais
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1 pas, mais c'était un homme très bien, un chauffeur ; je le connaissais
2 depuis l'enfance. J’ai été conduit par lui.
3 M. Niemann (interprétation). - Pendant votre séjour dans le camp
4 de Celibici, la plupart des soldats que vous avez vus ou que vous
5 connaissiez étaient-ils musulmans ?
6 M. Sudar (interprétation). - Dans le camp de Celibici, il n'y
7 avait que Pavo Mucic et un certain Buric qui était croate. Buric était
8 très bien. Il apportait même de la nourriture. Il en a donné à
9 Nenad Cecez.
10 M. Niemann (interprétation). - Pendant votre détention dans le
11 camp, n’avez-vous jamais entendu le bruit d'entraînements militaires qui
12 se seraient déroulés à l'intérieur ou aux alentours du camp ?
13 M. Sudar (interprétation). - Aux alentours du camp, nous
14 entendions... La plupart du temps, le hangar était fermé, mais nous
15 entendions des bruits. Qu'est-ce que c'était ? Des hymnes. Et puis, ils
16 nous emmenaient décharger dans le bunker, une espèce d'entrepôt d'armes,
17 et nous devions décharger des munitions. Là-bas, on entendait des bruits
18 de danses, de chants. Je ne sais pas ce que c’était.
19 M. Niemann (interprétation). - Toujours pendant votre détention
20 dans le camp, avez-vous vu des journalistes à l’intérieur du camp à un
21 moment quelconque ?
22 M. Sudar (interprétation). - Quand nous étions dans le camp de
23 Celibici, des gens sont venus, qui ont pris des photos. Maintenant, pour
24 autant que je puisse le dire, je peux dire qu’ils étaient noirs. Etaient-
25 ce des arabes ? Je ne sais pas, mais ils étaient noirs. Ils sont venus
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1 plusieurs fois, je crois, trois ou quatre fois.
2 M. Niemann (interprétation). - Et quand ils venaient, que
3 faisiez-vous ?
4 M. Sudar (interprétation). - Quand ils venaient dans le camp, il
5 nous fallait rester assis. Delic les guidait. Je ne pouvais pas lever la
6 tête pour regarder ce qui se passait. Il forçait les gens à se lever, à
7 mettre les mains derrière la tête, mais je n’ai pas vu grand-chose se
8 passer en ces occasions.
9 M. Niemann (interprétation). - Vous avez fait plusieurs fois
10 référence à Hazim Delic. Pourriez-vous reconnaître ce monsieur dans la
11 salle ?
12 M. Sudar (interprétation). - Qui ? Hazim Delic ? Vous parlez de
13 Delic ?
14 M. Niemann (interprétation). - Oui.
15 M. Sudar (interprétation). - Oui, bien sûr que je le pourrais.
16 Pourquoi ne le pourrais-je pas ?
17 M. Niemann (interprétation). - Pensez-vous que vous pourriez
18 reconnaître la personne à laquelle vous avez fait référence sous le nom de
19 Zenga, si cette personne se trouvait ici ?
20 M. Sudar (interprétation). - Je suppose, je ne sais pas de
21 quelle façon il a changé en 5 ans, mais je suppose que je devrais
22 reconnaître tout le monde. Sans doute que je reconnaîtrais moins bien
23 Delalic, mais...
24 M. Niemann (interprétation). - Merci.
25 Je n'ai pas d'autres questions, Monsieur le Président.
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1 M. le Président (interprétation). - Comment allez-vous procéder
2 au contre-interrogatoire ?
3 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur le Président, nous ne
4 nous sommes pas encore mis d'accord sur l'ordre dans lequel nous allons
5 procéder au contre-interrogatoire ; c'est donc moi qui vais commencer.
6 En effet, l'accord entre nous veut que, s'il n'y a pas d'accord
7 particulier, nous suivions celui qui figure dans l'acte d'accusation.
8 M. le Président (interprétation). - Veuillez procéder.
9 Mme Residovic (interprétation). - Merci, Madame et Messieurs les
10 Juges.
11 Monsieur Sudar, je m’appelle Edina Residovic et je suis le
12 conseil de M. Delalic.
13 M. Sudar (interprétation). - Bonjour.
14 Mme Residovic (interprétation). - Nous parlons la même langue,
15 vous et moi, et nous nous comprenons donc très bien. Vous pouvez répondre
16 très rapidement à mes questions. Cela étant, le Tribunal nous demande de
17 procéder à des pauses entre les questions et les réponses de sorte que
18 l’interprétation en anglais et en français puisse se faire.
19 Veuillez donc attendre que je termine ma question pour y
20 répondre. De même, j'attendrai que la traduction soit faite pour vous
21 poser la question suivante. Sommes-nous d'accord ?
22 M. Sudar (interprétation) - Oui.
23 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Monsieur Sudar, durant
24 l'interrogatoire principal, vous avez dit que vous aviez vécu au village
25 de Cerici jusqu'à la guerre. Est-ce bien ainsi ?
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1 M. Sudar (interprétation) - Oui.
2 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez dit que jusqu'au
3 milieu du mois d'avril, vous aviez l'habitude de vous rendre dans la ville
4 de Konjic, n'est-ce pas !
5 M. Sudar (interprétation) - Oui, vers cette date, j'ai fait
6 déménager ma femme chez des parents, dans le Monténégro. Ensuite, je suis
7 revenu avec ma voiture. J'avais aussi l'intention de faire déménager ma
8 belle-soeur avec ses enfants, mais on m'a renvoyé à un barrage routier qui
9 se trouvait près du motel. Je ne suis pas sûr de ce que c'était.
10 M. Ackerman (interprétation). - Je ne pense pas que le témoin a
11 compris qu'il peut entendre la traduction anglaise avec le casque car il
12 n'attend pas que la traduction soit terminée pour répondre.
13 M. le Président (interprétation). - Voulez-vous dire au témoin
14 d'attendre que les questions soient traduites avant de répondre.
15 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Sudar, un casque est
16 posé sur la tablette devant vous ; attendez que la traduction anglaise
17 soit terminée pour répondre. Vous pourrez l'entendre au son qui sort de ce
18 second casque posé sur votre tablette.
19 M. Sudar (interprétation) - Oui, j'ai bien compris.
20 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Vous venez de dire que
21 vous n'étiez pas sûr de pouvoir reconnaître M. Delalic. Est-ce bien
22 ainsi ?
23 M. Sudar (interprétation) - Je ne le connais que de vue pour
24 l'avoir aperçu, et je ne l'ai vu que quelques fois lorsqu'il est venu au
25 camp. Nous n'osions pas regarder, mais les gardes disaient : "Voilà le
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1 commandant."
2 Mme Residovic (interprétation). - Avant la guerre, vous n'avez
3 jamais eu l'occasion de rencontrer personnellement M. Delalic, n'est-ce
4 pas !
5 M. Sudar (interprétation) - Avant la guerre, je n'ai jamais eu
6 l'occasion d'être en contact avec M. Delalic, et je n'ai jamais eu
7 d'entretien avec lui.
8 Mme Residovic (interprétation). - Vous savez qu'à Konjic et dans
9 les environs, il y avait de nombreuses familles qui portaient le même nom
10 de famille, n'est-ce pas !
11 M. Sudar (interprétation) - Oui, il y a beaucoup de Delalic. qui
12 sont parents.
13 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez dit devant le
14 Tribunal que vous connaissiez le frère de M. Delalic, Sefer, mort juste
15 avant la guerre, à Konjic. Vous savez certainement que sa famille est
16 aussi très nombreuse !
17 M. Sudar (interprétation) - Je ne sais pas si Sefer est le frère
18 de M. Delalic ou son oncle. Je ne peux le dire avec certitude. Je ne
19 connaissais pas très bien les Delalic car il travaillait à l'étranger ; il
20 ne voyait sa femme que de temps en temps. Je pense qu'elle est de
21 Belgrade, de Serbie.
22 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Vous avez dit au
23 Tribunal que vous avez entendu les gardes dire : "Voilà le commandant.".
24 Ce n'est donc pas une connaissance personnelle de cela que vous avez.
25 M. Sudar (interprétation) - Les gardes ont dit très clairement
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1 et très nettement : "Voilà le garde.". Les gardes étaient à la porte. Je
2 ne pouvais pas très bien les voir ; je ne les voyais qu'en passant et je
3 ne sais pas s'ils portaient un uniforme ou pas. J'ai simplement vu un
4 homme qui portait un pistolet, une chemise blanche et qui était de taille
5 corpulente.
6 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Vous ne pouvez donc pas
7 dire aux Juges ce qu'il en est sur la base de votre connaissance
8 personnelle des faits.
9 M. Sudar (interprétation) - Non.
10 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Sudar, veuillez nous
11 dire, lorsque vous êtes retourné à Cerici, si vous avez dû passer le
12 barrage routier qui se trouvait devant Donje Selo.
13 M. Sudar (interprétation) - Je n'ai pas vu de barrage routier,
14 nous sommes passés par Donje Selo de façon tout à fait normale. Je ne sais
15 pas s'il y avait un barrage routier. Il y en avait un près du motel et un
16 près de la ville, un près de Gornja Bjela. Peut-être n'ai-je pas été
17 intercepté. Je ne sais pas comment cela s'est passé.
18 Mme Residovic (interprétation). - Vous connaissez Lazar Cecez,
19 n'est-ce pas !
20 M. Sudar (interprétation) - Oui, je le connaissais. Tout le
21 monde le connaissait.
22 Mme Residovic (interprétation). - Lui aussi avait un certain
23 pouvoir puisqu'il pouvait inspecter les gens qui entraient dans Donje Selo
24 ou qui quittaient la localité.
25 M. Sudar (interprétation) - Je n'ai été contrôlé par personne.
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1 Je n'ai jamais été en termes très amicaux avec les Cecez.
2 Mme Residovic (interprétation). - Je voudrais maintenant vous
3 poser la question suivante. Etant donné que vous avez dit devant le
4 Tribunal que vous connaissiez personnellement Mirko Babic, veuillez nous
5 dire maintenant s'il est vrai que Mirko Babic vient de Bielovcine et qu'il
6 était garde forestier.
7 M. Sudar (interprétation) - Il est vrai que Mirko Babic est de
8 Bielovcine. Il travaillait au service bois et il était garde forestier. Je
9 pense qu'il a été transféré à Sipad parce qu'il y avait des gardes
10 forestiers excédentaires. Cela dit, je ne me souviens pas exactement de
11 quoi il retournait.
12 Mme Residovic (interprétation). - On disait de lui que c'était
13 "un bon pote", parce qu'il est était célibataire, il n'était pas marié, et
14 qu'il aimait fréquenter beaucoup de gens.
15 M. Sudar (interprétation) - Oui, effectivement il était
16 célibataire, il n'était pas marié et on l'appelait "pote".
17 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Vous connaissiez
18 également Marjan Rajic, n'est-ce pas ?
19 M. Sudar (interprétation) - Oui, je connais Marjan Rajic, le
20 garde forestier.
21 Mme Residovic (interprétation). - Vous connaissiez Marjan Rajic,
22 Ronka (?), avant la guerre, et vous savez qu'ils s'étaient infligés à eux-
23 mêmes des brûlures graves en utilisant de l'essence.
24 M. Sudar (interprétation) - Je l'entends pour la première fois.
25 Mme Residovic (interprétation). - Merci. Je voudrais maintenant
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1 vous poser d'autres questions en rapport avec ce que vous avez dit lors de
2 l'interrogatoire principal. Voudriez-vous me dire, Monsieur Sudar, s'il
3 est vrai qu'avant la guerre, lorsque la Yougoslavie existait encore, que
4 les forces armées de la Yougoslavie étaient la JNA et la défense
5 territoriale ? Le Secrétariat à l'intérieur -comme on l'appelait à
6 l'époque- était en charge de la police et des affaires de sécurité
7 interne. Est-ce bien ainsi ?
8 M. Sudar (interprétation) - Que voulez-vous dire par
9 "Secrétariat à l'intérieur" ? Je n'ai pas bien compris la question.
10 Mme Residovic (interprétation). - Les forces armées de l'ex-
11 Yougoslavie étaient la JNA, la Défense territoriale et la police qui
12 dépendait du SUP ou du MUP, comme nous les appelions.
13 M. Sudar (interprétation) - Je ne sais pas. Je sais qu'il y
14 avait l'armée yougoslave avant la guerre, et qu'avant la guerre, il y a eu
15 une armé musulmane, une armée serbe, une armée croate qui ont été créées,
16 et que donc trois armées ont émergé.
17 Mme Residovic (interprétation). - Après la proclamation de
18 l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, au début du mois d'avril, savez-
19 vous que l'armée populaire yougoslave n'était plus alors l'armée de la
20 Bosnie-Herzégovine ?
21 M. Sudar (interprétation) - Nous avons prêté allégeance aux
22 autorités de la Yougoslavie et non pas à une autre armée quelconque. Je ne
23 sais pas quoi vous dire. Nous sommes Serbes et nous ne pouvions aller qu'à
24 l'armée à laquelle nous avions prêté allégeance.
25 Mme Residovic (interprétation). - Mais vous savez qu'il y avait
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1 aussi la Défense territoriale, comme avant la guerre ?
2 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas, je ne me suis pas
3 beaucoup intéressé à ces questions et je ne peux pas vous donner de
4 réponse précise.
5 Mme Residovic (interprétation). - Pouvez-vous dire s'il existait
6 à Konjic des organes de pouvoir légitimes lors des premiers jours de la
7 guerre ? Une assemblée, un pouvoir municipal, une présidence ?
8 M. Sudar (interprétation). - Konjic était une municipalité et,
9 bien entendu, tout fonctionnait du temps de la Yougoslavie avant la
10 guerre. Tout de suite avant la guerre, il y a eu des divisions incarnées
11 par le SDS, le SDA...
12 Mme Residovic (interprétation). - Non, non ! Je ne m'intéresse
13 pas à ces questions politiques, je vous pose une question sur les faits.
14 Ces villages ou hameaux appartenaient à la municipalité de Konjic, n'est-
15 ce pas ?
16 M. Sudar (interprétation). - Oui, bien entendu. Normalement,
17 avant la guerre, ces localités appartenaient à Konjic.
18 Mme Residovic (interprétation). - Je pense que ces localités ou
19 villages sont restés là ?
20 M. Sudar (interprétation). - Oui, ces villages qui sont là sont
21 encore les mêmes villages.
22 Mme Residovic (interprétation). - Très bien, merci. Savez-vous,
23 Monsieur Sudar, si ces organes de pouvoir de la municipalité de Konjic,
24 auxquels appartenaient ces localités, comprenaient des représentants de
25 toutes les nations qui résidaient à Konjic ?
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1 M. Sudar (interprétation). - De la municipalité de Konjic ?
2 Mme Residovic (interprétation). - Oui, jusqu'à la guerre.
3 M. Sudar (interprétation). - Avant la guerre, il y avait une
4 composition mixte au SUP. Certains n'en étaient pas contents, pour autant
5 que j'ai pu le constater. Pourquoi était-ce ainsi ? Je n'en sais rien.
6 Mme Residovic (interprétation). - Mais les forces de police, les
7 inspecteurs, les cadres directeurs, les supérieurs comprenaient des
8 représentants de toutes les nationalités ?
9 M. Sudar (interprétation). - Oui, du temps où la Yougoslavie
10 existait, effectivement.
11 Mme Residovic (interprétation). - Vous connaissez
12 Djuro Kuljanin, n'est-ce pas ?
13 M. Sudar (interprétation). - Oui, mais pas bien.
14 Mme Residovic (interprétation). - Il était le vice-président de
15 l'assemblée de la municipalité de Konjic ?
16 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas ce qu'il était, je
17 ne m'intéressais pas à la politique.
18 Mme Residovic (interprétation). - Mais il est serbe, n'est-ce
19 pas ?
20 M. Sudar (interprétation). - Pour autant que je sache, il est
21 serbe, mais je ne m'intéresse pas du tout à la politique.
22 Mme Residovic (interprétation). - Très bien. Monsieur Sudar,
23 vous avez parlé des événements survenus vers le 20 mai et vous avez
24 utilisé certaines désignations nationales. Mais il y a un instant, vous
25 avez dit savoir que la Défense territoriale et le MUP se trouvaient à
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1 Konjic. Vous avez dit aussi que le HVO était apparu plus tard.
2 M. Sudar (interprétation). - A Konjic, en avril, j'ai vu dans la
3 ville des gens qui portaient des uniformes noirs. Je ne suis pas sûr
4 qu'ils étaient des gens du HOS. J'ai aussi vu des gens porter des couvre-
5 chefs particuliers.
6 Vous savez ce que l'armée yougoslave était avant cela, mais cela
7 ne ressemblait pas à leurs uniformes.
8 Mme Residovic (interprétation). - Cette armée du HVO a d'abord
9 été stationnée au Motel, avez-vous dit. C'est la raison pour laquelle vous
10 n'êtes plus allé en ville. Est-ce exact ?
11 M. Sudar (interprétation). - Nous n'osions pas aller en ville,
12 mais certains d'entre nous y allaient quand même pour acheter quelque
13 chose. Parfois, ces gens qui y allaient revenaient tout couverts de coups.
14 Je pense à Vlado Draganic.
15 Mme Residovic (interprétation). - Et le commandant de la police
16 du HVO s'appelait... (le nom échappe à l'interprète).
17 M. Sudar (interprétation). - Je ne peux pas vous répondre,
18 franchement je ne sais pas qui était le commandant.
19 Mme Residovic (interprétation). - Mais vous connaissiez
20 Ivan Josic personnellement ?
21 M. Sudar (interprétation). - Ivan Josic... Laissez-moi
22 réfléchir... Oui, il travaillait à la station-service. Est-ce là le
23 Ivan Josic dont vous parlez ?
24 Mme Residovic (interprétation). - Son surnom était Aga.
25 M. Sudar (interprétation). - Non, ce n'est pas Aga. Peut-être
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1 pensez-vous à quelqu'un d'autre. Aga s'appelait en réalité Branko Josic.
2 Mme Residovic (interprétation). - Etait-il présent lorsque vous
3 avez remis vos armes et que vous avez été arrêté ?
4 M. Sudar (interprétation). - Non, il n'était pas présent, en
5 tout cas pour ce que j'ai vu. C'était surtout des Croates qui étaient là.
6 Et il n'y a presque pas de Croates. La plupart étaient musulmans, mais il
7 y avait ce Josic que je connaissais.
8 Mme Residovic (interprétation). - Il s'agit là de gens qui vous
9 ont arrêté, qui n'étaient pas les mêmes que ceux que vous avez vus plus
10 tard à Celebici et qui travaillaient comme gardes ?
11 M. Sudar (interprétation). - Pour vous dire la vérité, je n'ai
12 pas tellement vu ces gens, je les ai vus rarement. Je ne les connaîtrais
13 pas s'ils n'étaient pas venus à la prison de Konjic, à Masic par exemple.
14 C'est parce que quelqu'un m'a dit que c'était Masic, qu'il a pris mon
15 portefeuille et ma carte d'identité, ainsi que mon permis de conduire et
16 tout ce que j'avais d'autre, que je me souviens.
17 Mme Residovic (interprétation). - Est-il vrai que, comme
18 d'autres qui sont passés par des expériences désagréables, vous souhaitez
19 oublier cette expérience, ces événements que vous avez traversés ?
20 M. Sudar (interprétation). - Madame, j'aimerais bien oublier ce
21 qui m'est arrivé, mais mon père, qui avait soixante-dix ans, a été frappé
22 chez lui. Ce sont des Musulmans qui l'ont frappé. On nous avait déjà
23 amenés au camp à ce moment-là et mon père est allé dans la maison de Hamro
24 Jakusovic* qui l'a caché dans une grange et l'a nourri pendant une
25 semaine. Il lui a même apporté du café de temps en temps pour empêcher
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1 qu'on ne le tue. Ensuite, mon père est rentré chez lui. Après cela, il a
2 été transféré par les Croates. Il est arrivé à Borke*.
3 Mme Residovic (interprétation). - Et vous êtes reconnaissant ?
4 M. Sudar (interprétation). - Oui, je lui suis reconnaissant, en
5 tant qu'être humain, d'avoir sauvé mon père.
6 Mme Residovic (interprétation). - Merci, mais c'est d'autre
7 chose que je voudrais vous parler. Est-il vrai que l'année dernière, vous
8 vous êtes souvenu de certains de ces événements mieux que vous ne pouvez
9 vous en souvenir maintenant, ou que vous ne pourrez vous souvenir d'ici
10 deux ans.
11 M. Sudar (interprétation). - Madame, vraiment, je ne peux pas me
12 souvenir de toutes ces choses. Cinq ans sont passés depuis. Mon père et ma
13 mère ont été tués pendant la guerre et j'ai perdu tout ce qui m'était
14 cher.
15 Mme Residovic (interprétation). - Mais très certainement, vous
16 vous souvenez des choses, des événements les plus frappants, sans les
17 détails.
18 M. Sudar (interprétation). - Je ne peux pas vous dire. Si je me
19 souvenais de quelque chose, je vous répondrais bien sûr.
20 Mme Residovic (interprétation). - Par exemple, si une balle est
21 tirée dans le hangar, ce qui n'arrivait pas très souvent, c'est quelque
22 chose que quelqu'un aurait tendance à se rappeler, n'est-ce pas ?
23 M. Sudar (interprétation). - Oui.
24 Mme Residovic (interprétation). - Vous avez été entendu l'année
25 dernière au mois de février par un enquêteur du bureau du Procureur du
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1 Tribunal pénal international, n'est-ce pas ?
2 M. Sudar (interprétation). - Oui.
3 Mme Residovic (interprétation). - A cette occasion, vous avez
4 signé une déclaration qui a été recueillie.
5 M. Sudar (interprétation). - Oui.
6 Mme Residovic (interprétation). - A cette occasion, le
7 traducteur vous a également fait signer un document dans lequel, en tant
8 que témoin, vous dites que vous avez fait cette déclaration de votre plein
9 gré, que vous aviez raconté tout ce que vous saviez et que vous saviez que
10 cette déclaration pouvait être utilisée par le Tribunal pénal
11 international, n'est-ce pas ?
12 M. Sudar (interprétation). - Oui.
13 Mme Residovic (interprétation). - A l'époque, vous n'aviez
14 aucune idée de qui pourrait être accusé par le Tribunal pénal
15 international ?
16 M. Sudar (interprétation). - Qu'est-ce que j'en sais ? Je ne
17 peux pas vous le dire. Je ne pouvais pas dire qui serait accusé.
18 Mme Residovic (interprétation). - A l'époque, vous ne l'avez pas
19 dit à M. Sergio Oaxaca, l'enquêteur. Vous n’aviez pas mentionné cette
20 balle qui a été tirée dans le hangar et cet événement.
21 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas. Peut-être ai-je
22 oublié. C'est peut-être pour cette raison que je ne l'ai pas dit.
23 Mme Residovic (interprétation). - Si on ne vous a pas
24 directement posé la question concernant le nom de M. Delec (?), peut-être
25 ne l'auriez-vous jamais mentionné ?
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1 M. Sudar (interprétation). - Comme vous le dites vous-même, je
2 n'ai pas mentionné le nom à ce moment-là, mais ai-je mentionné le nom de
3 Seljko Decez ? Lorsque je suis allé à la fête de Bara, à Celibici, c'est
4 là qu'il a été tué. Je n'ai peut-être pas non plus mentionné
5 Klimenta Zeljko, parce que j'avais oublié. Limenta Seljko a a été tué
6 juste quelques jours avant que la Croix-Rouge n'arrive. Il l'a fait sortir
7 et il a été tué au petit matin.
8 Mme Residovic (interprétation). - Oui. Merci. Mais vous avez dit
9 que tous les Serbes à Celebici et à Donje Selo avaient eu leur téléphone
10 coupé. Etait-ce bien ainsi ?
11 M. Sudar (interprétation). - Oui, les lignes de téléphone
12 étaient coupées dans tous les villages et j'avais entendu dire que cela
13 n'était pas le cas de ma maison. Mais je n'étais pas autorisé à m'en
14 approcher et je n'ai, de toute façon, pas osé y aller, parce que des
15 tireurs embusqués tiraient dans le coin, près du lac.
16 Mme Residovic (interprétation). - Pouvez-vous dire à quelle date
17 les lignes de téléphone ont été coupées ?
18 M. Sudar (interprétation). - Cela s'est passé avant l'attaque
19 sur Donje Selo. Je ne peux pas vraiment me rappeler de tous les détails,
20 mais toutes les lignes étaient coupées avant l'attaque. Vraiment, je ne
21 peux pas me souvenir exactement. Je me souviens, cependant, que les lignes
22 étaient coupées.
23 Mme Residovic (interprétation). - Vous êtes allé à la maison de
24 votre père lorsque l'offensive a commencé, Monsieur Sudar ?
25 Mme Residovic (interprétation). - Lorsque l'offensive a commencé
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1 contre Donje Selo, je n'ai pas osé rester pour dormir dans ma maison et je
2 venais simplement arroser le jardin et je repartais. Je dormais dans la
3 forêt tant que l'offensive continuait.
4 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Sudar, vous n'avez
5 pas vérifié si votre propre téléphone fonctionnait ou non ? Quelqu'un
6 d'autre a dû vous le dire ?
7 M. Sudar (interprétation). - Madame, je vous l'ai dit. Je
8 n'osais pas dormir près de la route, car alors que nous allions à la
9 maison de mon père, en passant par une haie, on entendait les balles
10 sifflées entre ma maison et celle de mon père. J'ai donc juste arrosé le
11 jardin et je retournais tout de suite au village.
12 Mme Residovic (interprétation). - Etiez-vous présent lorsque
13 l'entretien et les pourparlers avec le président de la municipalité ont eu
14 lieu ?
15 M. Sudar (interprétation). - J'étais à l'extérieur. Smajo Cecez
16 a appelé et Dragan Slobodan était à l'intérieur de la maison de mon père.
17 Ils l'ont appelé au téléphone et ils lui ont promis que le jour suivant...
18 Mme Residovic (interprétation). - Oui. Merci. Et le président a
19 dit que tous les villages devaient se rendre et remettre leurs armes .
20 M. Sudar (interprétation). - Oui, tous ceux qui avaient des
21 armes devaient prendre leurs armes et les remettre, et c'est ce qu'ils ont
22 fait. Tous ceux qui en avaient, l'ont fait.
23 Mme Residovic (interprétation). - Personnellement, vous avez
24 aussi remis votre propre arme ?
25 M. Sudar (interprétation). - Oui, ce que j'avais, je l'ai rendu.
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1 C'est une arme que j'avais achetée avant.
2 Mme Residovic (interprétation). - Et vous savez que beaucoup de
3 villages, dont Donje Selo et Celibici, avaient acheté des armes pour leur
4 défense avant la guerre ?
5 M. Sudar (interprétation). - Je n'en sais rien. Je sais très peu
6 de choses là-dessus.
7 Mme Residovic (interprétation). - Est-il vrai que vous avez dit
8 à l'enquêteur du bureau du Procureur que vous saviez que des personnes
9 vendaient leurs vaches pour pouvoir acheter des armes ?
10 M. Sudar (interprétation). - Naturellement, je n'allais pas
11 vendre ma vache. J'avais un peu d'argent que j'avais mis de côté. J'ai
12 acheté une arme pour moi-même et plus tard je l'ai rendue.
13 Mme Residovic (interprétation). - Qu'aviez-vous comme arme ?
14 M. Sudar (interprétation). - J'avais un pistolet et ensuite j'ai
15 remis cette arme. Je ne le portais pas, je le cachais dans le bois. Plus
16 tard, lorsque j'étais dans le camp, j'ai dit où se trouvait ce pistolet et
17 on l'a effectivement trouvé là où je l'avais caché.
18 Mme Residovic (interprétation). - Après le coup de téléphone,
19 l'entretien avec le président, vous avez dit que le pilonnage avait
20 immédiatement cessé.
21 M. Sudar (interprétation). - Oui. Le pilonnage a immédiatement
22 cessé après cela, ont-ils dit, une heure à peu près après, vers le soir.
23 Mme Residovic (interprétation). - Et le matin, vous avez tous
24 pris les armes ?
25 M. Sudar (interprétation). - Pas le matin. Non, Madame. Le
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1 pilonnage s'est arrêté le 21. Ils se sont mis d'accord avec le président,
2 que tous ceux qui avaient des armes les remettraient.
3 Mme Residovic (interprétation). - Lorsque vous avez rendu ces
4 armes, beaucoup d'entre vous se sont étonnés du grand nombre d'armes qui
5 se trouvait dans le village.
6 M. Sudar (interprétation). - Peut-être pour vous, Madame. Non,
7 je ne sais pas.
8 Mme Residovic (interprétation). - Dites-moi, s'il vous plaît,
9 avez-vous vu des armes rendues à cette occasion ?
10 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas, il y avait des
11 fusils. J'étais un des premiers à remettre mon arme.
12 Mme Residovic (interprétation). - Des fusils automatiques ?
13 M. Sudar (interprétation). - Je ne sais pas s'il y avait des
14 fusils automatiques. C'était surtout des vieux fusils de chasse pour ce
15 que j'ai pu en voir.
16 Mme Residovic (interprétation). - Excusez-moi
17 Monsieur le Président, je voudrais examiner brièvement mes notes.
18 A Celebici, dites-vous, vous avez été interrogé ?
19 M. Sudar (interprétation). - On nous a mis un bandeau sur les
20 yeux et on nous a passés à tabac. On était inconscients et ensuite on a
21 été amenés auprès du juge. Je ne sais pas très bien comment on peut parler
22 à un juge avec un bandeau sur les yeux. Je ne comprends pas très bien
23 votre question.
24 Mme Residovic (interprétation). - Etait-ce le jour qui a suivi
25 votre arrivée au camp de Celibici ?
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1 M. Sudar (interprétation). - C'était le même soir. D'abord, on
2 nous a fait aligner le long du mur à Celibici lorsque nous sommes arrivés
3 ce soir-là et on nous a frappés. Puis, nous avons été transférés au
4 bâtiment n°°22 où nous avons trouvé Mirko Babic qui gisait là et qui, plus
5 tard, est mort. Il y avait cinq ou six personnes qui étaient là, Zivac
6 notamment. Chacune de ces personnes étaient amenées ce soir-là, frappées
7 et amenées à l'interrogatoire avec un bandeau sur les yeux.
8 Mme Residovic (interprétation). - Monsieur Sudar, dites-moi,
9 savez-vous si le président de cette commission était Goran Lokas ?
10 M. Sudar (interprétation). - Madame, il m'était impossible de
11 voir qui que ce soit. Je pense que c'était Subasic, ce forestier, à en
12 juger par son accent. C'était peut-être lui, mais je ne peux que dire,
13 parce que je ne voyais pas.
14 Mme Residovic (interprétation). - Madame et Messieurs les Juges,
15 j'ai encore certaines questions à poser et je ne sais trop que faire.
16 Pourrais-je terminer aujourd'hui ? Je pourrais le faire !
17 M. le Président (interprétation). - Vous savez qu'en général,
18 nous terminons vers 17 heures 30 et nous n'aurons pas d'audience demain.
19 Nous avons certains engagements d'horaires et nous n'aurons pas d'audience
20 demain. Autant attendre lundi pour poursuivre le contre-interrogatoire.
21 Mme Residovic (interprétation) - Je vous remercie,
22 Madame et Messieurs les Juges.
23 L'audience est levée à 17 heures 30.
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