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1 Le mercredi 3 mai 2006
2 [Audience publique]
3 [Jugement en appel]
4 [Les appelants sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 17.
6 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je souhaiterais tout d'abord saluer
7 Mladen Naletilic et Vinko Martinovic, les représentants du bureau du
8 Procureur, les conseils de la Défense, les interprètes, ainsi que le
9 personnel de la section d'administration et d'appui judiciaire.
10 Madame la Greffière, veuillez annoncer le numéro de l'affaire inscrite au
11 rôle.
12 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour. Affaire numéro IT-98-34-A, le
13 Procureur contre Mladen Naletilic et Vinko Martinovic.
14 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci, Madame la Greffière.
15 Monsieur Naletilic, Monsieur Martinovic, êtes-vous en mesure d'entendre
16 clairement et de suivre l'interprétation.
17 L'APPELANT NALETILIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
18 L'APPELANT MARTINOVIC : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.
19 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Je vais maintenant inviter les parties
20 à se présenter.
21 A commencer par la Défense.
22 M. HENNESSY : [interprétation] Bonjour. Je m'appelle Matthew Hennessy, je
23 représente les intérêts de Mladen Naletilic avec mon confrère Christopher
24 Meek.
25 M. PAR : [interprétation] Bonjour, je suis Zelimir Par, je représente les
26 intérêts de Vinko Martinovic avec mon confrère Kurt Kerns.
27 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci.
28 Je me tourne maintenant vers l'Accusation.
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1 M. FARRELL : [interprétation] Je m'appelle Norman Farrell, je
2 représente le bureau du Procureur avec mes confrères Peter Kremer, Marie-
3 Ursula Kind, Xavier Tracol, Steffen Wirth et Lourdes Galicia.
4 M. LE JUGE POCAR : [interprétation] Merci. Ainsi que l'a annoncé Mme
5 la Greffière, c'est à l'affaire, le Procureur contre Mladen Naletilic et
6 Vinko Martinovic qu'est consacrée la présente audience. Comme indiqué dans
7 l'ordonnance portant calendrier du 18 avril 2006, la Chambre d'appel est
8 réunie aujourd'hui pour rendre son arrêt en l'espèce.
9 Conformément à l'usage au Tribunal international, je ne donnerai pas
10 lecture du texte de l'arrêt à l'exception de son dispositif. Je rappellerai
11 les questions soulevées dans le cadre de la procédure d'appel, puis, je
12 ferai état des conclusions de la Chambre d'appel.
13 Je tiens à souligner que le résumé qui suit ne fait pas partie
14 intégrante de l'arrêt. Seul fait autorité l'exposé des conclusions et
15 motifs de la Chambre d'appel que l'on trouve dans le texte écrit de
16 l'arrêt, dont des copies seront mises à la disposition des parties à
17 l'issue de l'audience.
18 La présente affaire concerne des événements survenus entre avril 1993
19 et janvier 1994 durant le conflit qui a opposé le Conseil de Défense
20 croate, le HVO, et l'ABiH, l'ABiH à Mostar et dans les municipalités
21 voisines du sud-ouest de la Bosnie-Herzégovine. Sont concernés en
22 particulier, les crimes commis dans le cadre des attaques lancées par le
23 HVO contre les villages de Sovici et Doljani le 17 avril 1993, contre
24 Mostar le 9 mai 1993 et contre le village de Rastani le 22 septembre 1993.
25 Mladen Naletilic a créé un groupe militaire appelé Bataillon disciplinaire,
26 le KB qui après le conflit avec les forces
27 serbo-monténégrines à Mostar en 1992 est devenu une unité professionnelle
28 vouée aux opérations de combat spécial sous le commandement direct de
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1 l'état-major principal du HVO. Plusieurs groupes antiterroristes ATG
2 étaient rattachés au KB. Le 31 mars 2003, la Chambre de première instance
3 saisie de l'espèce a déclaré Mladen Naletilic coupable de huit chefs
4 d'accusation, à savoir persécution, un crime contre l'humanité; travail
5 illégal, une violation des lois ou coutumes de la guerre; torture, un crime
6 contre l'humanité; torture une infraction grave aux conventions de Genève
7 de 1949; le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de
8 porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une
9 infraction grave aux conventions de Genève de 1949; transfert illégal d'un
10 civil, une infraction grave aux conventions de Genève de 1949; destruction
11 sans motif et que ne justifient pas les exigences militaires, une violation
12 des lois ou coutumes de la guerre; et pillage de bien publics privés, une
13 violation des lois ou coutumes de guerre.
14 Mladen Naletilic a été reconnu individuellement responsable de certains
15 crimes en application de l'article 7(1) du Statut du Tribunal international
16 et responsable en tant que supérieur hiérarchique d'autres crimes en
17 application de l'article 7(3). La Chambre de première instance a condamné
18 Mladen Naletilic à une peine unique de 20 ans d'emprisonnement.
19 Vinko Martinovic s'est engagé en 1992 dans les forces de Défense croate où
20 on lui a confié le commandement d'une unité. A partir de la mi-mai 1993 au
21 moins, il commandait un groupe de soldats qui tenait des positions situées
22 sur une partie de la ligne de front à Mostar. Il était chef de l'ATG Vinko
23 Skrobo qui faisait partie du KB. La Chambre de première instance a déclaré
24 Vinko Martinovic coupable de neuf chefs d'accusation, à savoir persécution,
25 un crime contre l'humanité; actes inhumains, un crime contre l'humanité;
26 acte inhumain, une infraction grave aux conventions de Genève de 1949;
27 travail illégal, une violation des lois ou coutumes de la guerre; le fait
28 de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des
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1 atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une infraction grave
2 aux conventions de Genève de 1949; assassinat, un crime contre l'humanité;
3 homicide intentionnel, une infraction grave aux conventions de Genève de
4 1949; transfert illégal d'un civil, une infraction grave aux conventions de
5 Genève de 1949; et pillage de bien publics ou privés, une violation des
6 lois ou coutumes de la guerre.
7 Vinko Martinovic a été reconnu individuellement responsable de
8 certains crimes en application de l'article 7(1) du Statut et responsable
9 en tant que supérieur hiérarchique d'autres crimes en application de
10 l'article 7(3). La Chambre de première instance a condamné Vinko Martinovic
11 à une peine unique de 18 ans d'emprisonnement.
12 La Chambre d'appel va maintenant passer en revue les moyens d'appel
13 soulevés en l'espèce en commençant par ceux de Mladen Naletilic et de Vinko
14 Martinovic concernant le droit à une procédure régulière et le caractère
15 international du conflit armé suivis par deux moyens d'appel de
16 l'Accusation concernant les persécutions et l'expulsion.
17 La Chambre d'appel se penchera ensuite sur les moyens d'appel
18 soulevés par Mladen Naletilic et Vinko Martinovic concernant les erreurs de
19 faits relevés dans le jugement. Elle examinera ensemble les moyens d'appel
20 de l'Accusation et de Vinko Martinovic concernant le cumul de déclarations
21 de culpabilité.
22 Pour finir, elle traitera de l'appel interjeté contre la peine par Mladen
23 Naletilic et Vinko Martinovic et donnera lecture du dispositif de l'arrêt.
24 La Chambre d'appel va d'abord s'adresser aux moyens d'appel de Mladen
25 Naletilic et de Vinko Martinovic concernant le droit à une procédure
26 régulière, Mladen Naletilic dans ses 12e et 21e moyens d'appel et Vinko
27 Martinovic dans son 2e moyen d'appel soutiennent que l'acte d'accusation
28 manquait de précision car il ne présentait pas de manière suffisamment
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1 détaillée certains faits dont ils ont pourtant été reconnus coupables.
2 La Chambre de première instance rappelle que pour qu'un acte
3 d'accusation soit suffisamment précis, il faut qu'il expose les faits
4 essentiels reprochés de manière suffisamment circonstanciée pour informer
5 clairement l'accusé des accusations portées contre lui et lui permettre de
6 préparer comme il convient sa défense.
7 Dans certains cas, cependant, le vice de forme qui entachait l'acte
8 d'accusation peut être couvert et l'accusé déclaré coupable si l'Accusation
9 a fourni en temps voulu à ce dernier des informations claires et cohérentes
10 concernant les faits sur lesquels reposent les accusations portées contre
11 lui, de façon à ce qu'il soit raisonnablement en mesure de connaître la
12 nature des accusations portées contres lui.
13 En revanche, s'il y a eu violation du droit à un procès équitable en ce que
14 l'accusé n'a pas été suffisamment informé des règles du droit et des faits
15 sur lesquels reposent les accusations portées contre lui, il ne peut être
16 déclaré coupable.
17 Bien que la Chambre d'appel estime que l'acte d'accusation n'expose
18 pas de manière suffisamment détaillée les fait essentiels relatifs aux
19 accusations concernant la plupart des épisodes contestés par Mladen
20 Naletilic et Vinko Martinovic, elle est d'avis que l'Accusation a couvert
21 le vice qui entachait l'acte d'accusation en fournissant en temps voulu des
22 informations claires et cohérentes sauf en ce qui concerne les trois
23 épisodes suivants : premièrement, la transformation d'une propriété privée
24 en quartier général pour l'unité de Vinko Martinovic, le 7 juillet 1993 ou
25 vers cette date; deuxièmement, les sévices infligés en juillet ou en août
26 1993 à plusieurs prisonniers dans la zone placée sous le commandement de
27 Vinko Martinovic; et troisièmement, les sévices infligés à un prisonnier
28 appelé Tsotsa. En conséquence, s'agissant de ces trois épisodes, la Chambre
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1 de première instance a eu tort de conclure que Vinko Martinovic était
2 responsable. La Chambre de première d'appel rejette le 12e moyen d'appel de
3 Mladen Naletilic dans son intégralité et rejette son 21e moyen d'appel en
4 ce qu'il a trait à l'imprécision de l'acte d'accusation.
5 Le 2e moyen d'appel de Vinko Martinovic est partiellement accueilli.
6 Dans son 1er moyen d'appel, Vinko Martinovic fait valoir que la
7 Chambre de première instance a commis une erreur de droit en concluant que
8 l'Accusation pouvait s'appuyer sur les qualifications subsidiaires. La
9 Chambre de première d'appel estime que, même s'il est possible de reprocher
10 à l'accusé un même crime sur la base de plusieurs qualifications, cela
11 dépend des circonstances de l'affaire. En l'espèce, la Chambre de première
12 instance a conclu à bon droit que l'Accusation pouvait retenir des
13 qualifications subsidiaires. Comme la Chambre d'appel l'a précédemment
14 conclu, le cumul de qualifications est, en principe, autorisé car avant la
15 présentation de l'ensemble des moyens de preuve, on ne peut déterminer avec
16 certitude laquelle des accusations portées contre l'accusé sera prouvée ?
17 Le même raisonnement s'applique aux qualifications subsidiaires car une
18 fois que les parties ont présenté leurs éléments de preuve, la Chambre de
19 première instance est mieux à même, si ceux-ci sont suffisants, d'apprécier
20 quelles qualifications peuvent être retenues.
21 Aussi la Chambre d'appel rejette-elle dans intégralité cette branche
22 du moyen d'appel soulevé par Vinko Martinovic.
23 La Chambre d'appel va maintenant se pencher sur les moyens d'appel soulevés
24 par Mladen Naletilic et Vinko Martinovic concernant le caractère
25 international du conflit armé. La Chambre de première instance a déclaré
26 Mladen Naletilic et Vinko Martinovic coupable de plusieurs chefs
27 d'infractions graves aux conventions de Genève de 1949 sur la base de
28 l'article 2 du Statut. Mladen Naletilic dans son 37e moyen d'appel et Vinko
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1 Martinovic dans son 1er moyen d'appel font valoir que la Chambre de première
2 instance a commis une erreur de droit en concluant à l'existence d'un
3 conflit armé international pendant la période et dans la région couverte
4 par l'accusation et en les déclarant, par conséquent, coupables
5 d'infractions graves aux conventions de Genève de 1949. Ils soutiennent que
6 la Chambre de première instance ne pouvait se fier aux preuves qui lui ont
7 été présentées et ajoutent qu'ils ne sauraient être tenus responsable du
8 caractère du conflit armé.
9 La Chambre d'appel estime que les arguments, avancés par Mladen
10 Naletilic et Vinko Martinovic au sujet du manque de fiabilité des preuves,
11 ne remplissent pas les conditions de forme requise pour être présentés en
12 appel partant, ils sont rejetés.
13 Par ailleurs, la Chambre d'appel note que Mladen Naletilic et Vinko
14 Martinovic n'ont pas été tenus responsables du caractère international du
15 conflit mais des crimes commis dans le cadre d'un conflit armé
16 international. La Chambre d'appel estime néanmoins qu'il convient
17 d'examiner de façon plus approfondie une question connexe, implicitement
18 soulevée par les appelants, celle de savoir si la Chambre de première
19 instance a commis une erreur de droit en n'exigeant pas de l'Accusation
20 qu'elle prouve que Mladen Naletilic et Vinko Martinovic avaient
21 connaissance du caractère international du conflit armé, ce qui constitue
22 l'une des conditions d'application de l'article 2 du Statut. La Chambre
23 d'appel rappelle que l'article 2 du Statut donne au Tribunal international
24 le pouvoir de poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l'ordre de
25 commettre des infractions graves aux conventions de Genève du 12 août 1949,
26 à savoir les actes dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux
27 termes des dispositions de la Convention de Genève pertinente. Il ressort
28 clairement des termes des conventions de Genève que les dispositions
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1 relatives aux infractions graves ne sont applicables que dans le cadre de
2 conflits armés internationaux. Dans l'arrêt Tadic, la Chambre d'appel a
3 estimé que l'article 2 du Statut supposait l'existence d'un conflit armé
4 international et que partant, il ne s'appliquait qu'aux infractions
5 commises dans le cadre de ce type de conflit.
6 La Chambre d'appel considère que l'existence d'un conflit armée et le
7 caractère international de celui-ci sont deux conditions de l'application
8 de l'article 2 ainsi qu'il a été reconnu dans l'arrêt Tadic et deux
9 éléments consécutifs des crimes qui y sont visés. Dans l'arrêt Kordic, la
10 Chambre d'appel a jugé que même si l'accusé ne doit pas nécessairement
11 avoir déterminé la nature juridique exacte du conflit armé, il faut qu'il
12 ait eu connaissance des circonstances factuelles; c'est-à-dire, qu'il ait
13 su qu'un Etat étranger était partie au conflit armé pour être tenu
14 responsable d'un crime visé à l'article 2. En effet, le principe de la
15 culpabilité individuelle suppose qu'un accusé ne peut être déclaré coupable
16 d'un crime que s'il avait connaissance l'élément matériel du crime. Le
17 déclarer coupable sans établir qu'il avait connaissance des faits
18 antérieurs qui ont permis d'incriminer son comportement revient à lui
19 dénier le droit à la présomption d'innocence. En conséquence, l'obligation
20 qu'a l'Accusation de prouver l'intention requise pour commettre un crime
21 visé à l'article 2 du Statut, comprend aussi celle de prouver que l'accusé
22 avait connaissance des circonstances factuelles se rapportant à
23 l'internationalité du conflit.
24 Aussi, la Chambre d'appel estime-t-elle que la Chambre de première
25 instance a commis une erreur en ne concluant pas expressément que
26 l'Accusation avait démontré que Mladen Naletilic et Vinko Martinovic
27 avaient connaissance des faits qui conféraient au conflit armé un caractère
28 international. Toutefois, cette erreur n'a eu aucune incidence sur le
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1 jugement. Vu l'ensemble des conclusions tirées par la Chambre de première
2 instance, la seule conclusion à laquelle un juge du fait aurait pu
3 raisonnablement parvenir est que Mladen Naletilic et Vinko Martinovic
4 avaient connaissance des circonstances factuelles nécessaires.
5 La Chambre d'appel va à présent examiner les moyens d'appel soulevés
6 par l'Accusation concernant les persécutions et l'expulsion. Dans son
7 premier moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de première
8 instance a adopté une approche erronée sur le plan du droit et des faits
9 pour apprécier les éléments de preuve en estimant que certains crimes
10 commis par Vinko Martinovic ne constituaient pas des persécutions car les
11 preuves présentées ne suffisaient pas à établir qu'ils avaient été commis
12 pour des raisons raciales, politiques ou religieuses. L'Accusation soutient
13 que la Chambre de première instance n'a pas déterminé si les raisons
14 discriminatoires pouvaient se déduire du contexte dans lequel ces crimes
15 avaient été commis ou de la totalité des preuves. La Chambre d'appel
16 rappelle qu'il est bien établi que l'intention discriminatoire peut être
17 déduite du contexte dans lequel s'inscrit une attaque contre la population
18 civile lorsque les circonstances entourant les crimes sous-jacents aux
19 persécutions confirment l'existence de cette intention. Cependant, de
20 l'avis de la Chambre d'appel, l'Accusation n'a pas démontré que les
21 circonstances entourant les crimes en question accréditent son idée que ces
22 actes ont été exécutés avec une intention discriminatoire. En conséquence
23 la Chambre d'appel rejette dans son intégralité le 1er moyen d'appel de
24 l'Accusation.
25 Dans son 3e moyen d'appel, l'Accusation fait valoir que la Chambre de
26 première instance a commis une erreur de droit en concluant que la
27 différence du transfert forcé, l'expulsion exigeait le transfert de
28 personnes au-delà des frontières d'un Etat. La Chambre d'appel fait
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1 observer qu'en l'espèce il n'y a pas lieu de définir les éléments
2 constitutifs de l'expulsion, un crime contre l'humanité sanctionné par
3 l'article 5(D) du Statut car dans l'acte d'accusation, les accusés ne
4 devaient pas répondre de ce crime. En conséquence, il n'est pas besoin que
5 la Chambre d'appel s'attarde sur une remarque faite par la Chambre de
6 première instance au paragraphe 870 du jugement selon laquelle dans la
7 jurisprudence du Tribunal, l'expulsion est définie comme étant un transfert
8 au-delà des frontières d'un Etat. La Chambre d'appel n'estime pas non plus
9 nécessaire de se prononcer sur cette question au motif qu'elle présente un
10 intérêt général pour la jurisprudence du Tribunal international puisqu'elle
11 a été tranchée dans l'arrêt Stakic.
12 En outre, la question de savoir si l'expulsion implique un
13 franchissement de frontières importe peu pour tenir un accusé responsable
14 sur la base de l'article 5(H) du Statut car les déplacements forcés sont
15 punissables en tant qu'actes sous-jacents de persécutions qu'il y ait ou
16 non franchissement d'une frontière. Pour déclarer un accusé coupable de
17 persécution, il n'y a pas lieu de qualifier les actes sous-jacents
18 d'expulsion ou de transfert forcé. La notion générale de déplacement forcé
19 rend suffisamment compte de la responsabilité pénale de l'accusé. La
20 Chambre de première instance ayant donné à penser le contraire a commis une
21 erreur de droit, mais cette erreur n'a eu aucune incidence sur le jugement
22 puisqu'en tout état de cause Mladen Naletilic et Vinko Martinovic ont été
23 déclarés coupables de persécutions pour avoir commis le crime sous-jacent
24 de transfert forcé.
25 Par ces motifs, la Chambre d'appel rejette, le Juge Schomburg étant
26 en désaccord, le 3e moyen d'appel de l'Accusation.
27 La Chambre d'appel va maintenant examiner les moyens d'appel de
28 Mladen Naletilic puis de Vinko Martinovic dans lesquels ces derniers
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1 relèvent diverses erreurs de fait dans les constatations de la Chambre de
2 première instance. La Chambre d'appel n'exposera pas dans le détail chacun
3 de ces moyens d'appel. Elle s'attachera en revanche au bien-fondé des 1er,
4 3e, 6e et 21e moyens d'appel soulevés par Mladen Naletilic ainsi qu'au bien-
5 fondé des branches du 4e et 8e moyens d'appel. La Chambre d'appel examinera
6 les branches des moyens d'appel soulevés par Vinko Martinovic concernant
7 l'utilisation de détenus pour aider au pillage de biens privés.
8 Pour les raisons exposées dans l'arrêt, la Chambre d'appel a rejeté
9 les moyens d'appel restant portant sur les constatations de la Chambre de
10 première instance.
11 S'agissant des moyens d'appel de Mladen Naletilic, la Chambre de première
12 instance a estimé que pendant toute la période couverte par l'acte
13 d'accusation, Mladen Naletilic était le commandant en chef du KB et des ATG
14 qui lui étaient rattachés. Mladen Naletilic reproche à la Chambre de
15 première instance d'avoir conclu à l'existence d'un lien de subordination,
16 ce qui a permis de le tenir pénalement responsable de certains crimes sur
17 la base de l'article 7(3) du Statut. Il lui reproche en particulier de
18 s'être fondée sur la pièce PP704, un relevé des soldes des membres du KB et
19 des ATG pour novembre 1993, sur la déposition du témoin Falk Simang, et
20 enfin, sur la pièce PP928 appelée le journal de Rados, pour conclure à sa
21 responsabilité pénale au regard de l'article 7(3).
22 Ayant passé en revue chacun des exemples relevés par Mladen Naletilic
23 qui montre selon lui que la Chambre de première instance a commis une
24 erreur en se fondant sur le relevé de soldes des membres du KB et des ATG,
25 la Chambre d'appel estime que sauf dans deux cas, la Chambre de première
26 instance n'a commis aucune erreur en se fondant sur cette pièce à
27 conviction. Premièrement, la Chambre de première instance a conclu, en se
28 fondant exclusivement sur la pièce PP704, le relevé de soldes, que Miro
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1 Marjanovic était le subordonné de Mladen Naletilic à l'époque où il avait
2 infligé des sévices aux prisonniers de l'Heliodrom. La Chambre de première
3 instance n'a pas constaté que Miro Marjanovic était placé sous l'autorité
4 de Mladen Naletilic avant ou après novembre 1993, ni à quelle date Miro
5 Marjanovic avait brutalisé les prisonniers à l'Heliodrom. La Chambre
6 d'appel a examiné les dépositions des témoins sur lesquelles la Chambre de
7 première instance s'étaient fondées pour conclure que Miro Marijanovic
8 était parmi les tortionnaires les plus connus à l'Heliodrom. A l'exception
9 de l'un de ces témoins qui a indiqué que des sévices lui avaient été
10 infligés par un certain Marjanovic à la fin du mois de mai 1993, aucun
11 autre témoin n'a précisé les dates auxquelles Miro Marjanovic aurait battu
12 des prisonniers à l'Heliodrom. La Chambre d'appel estime en conséquence
13 qu'aucun juge du fait n'aurait pu raisonnablement conclure, en se fondant
14 exclusivement sur le relevé des soldes, qu'il avait été établi au-delà de
15 tout doute raisonnable que Miro Marjanovic était le subordonné de Mladen
16 Naletilic à l'époque où il avait brutalisé des prisonniers à l'Heliodrom.
17 Cette erreur a entraîné une erreur judiciaire, car si la Chambre de
18 première instance n'avait pas conclu que Miro Marjanovic était sous les
19 ordres de Mladen Naletilic à l'époque des faits, elle n'aurait pas reconnu
20 ce dernier responsable au regard de l'article 7(3) du Statut, les
21 traitements cruels que Miro Marjanovic avait infligés aux prisonniers de
22 l'Heliodrom et des grandes souffrances qu'il leur avait intentionnellement
23 causées.
24 Deuxièmement la Chambre de première instance a conclu qu'Ivica Kraljevic,
25 directeur de la prison de Ljubuski, était le même Ivica Kraljevic dont le
26 nom figure dans la pièce 704. Les moyens de preuve supplémentaires admis en
27 appel montrent qu'Ivica Kraljevic, le directeur de la prison Ljubuski,
28 n'était pas le même Ivica Kraljevic désigné comme étant un membre du KB
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1 dans la pièce 704. Cependant, pour les raisons qui seront exposées par la
2 suite, la Chambre d'appel estime qu'il n'y a pas lieu d'examiner
3 l'incidence de cette conclusion sur le jugement.
4 Pour ce qui est de la déposition du témoin Falk Simang, la Chambre
5 d'appel rejette tous les arguments de Mladen Naletilic concernant les
6 erreurs de fait que la Chambre de première instance aurait commises en se
7 fondant sur ce témoignage.
8 Quant à la pièce appelée le journal de Rados, Mladen Naletilic fait
9 valoir que la Chambre de première instance a commis une erreur en versant
10 au dossier ce document au stade de la réplique, alors qu'il ne remplissait
11 pas les conditions requises. Il ajoute que le journal a été utilisé pour
12 renforcer les éléments produits lors de la présentation principale des
13 moyens à charge. La Chambre d'appel tient à rappeler qu'elle exclura toute
14 pièce du dossier si elle estime qu'une Chambre de première instance a
15 commis une erreur manifeste dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire
16 qu'elle a d'admettre des éléments de preuve et si cette erreur a pénalisé
17 injustement l'appelant, rendant le procès de ce dernier inéquitable. En
18 l'espèce. Si la Chambre de première instance a correctement défini le
19 critère juridique applicable à l'admission des preuves au stade de la
20 réplique, elle a en revanche commis une erreur en l'appliquant. Elle a
21 estimé que le journal de Rados était admissible au stade de la réplique,
22 car il concernait, je cite : "Des événements qui s'étaient produits à
23 Sovici et à Doljani."
24 La Chambre d'appel fait remarquer que ces événements étaient au cœur
25 d'un certain nombre de chefs retenus dans l'acte d'accusation, et étaient
26 donc essentiels à l'argumentation de l'Accusation. En conséquence, les
27 preuves se rapportant aux événements de Sovici et Doljani auraient dû être
28 produites dans le cadre de la présentation principale des moyens à charge,
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1 et non au stade de la réplique. Cependant, la Chambre d'appel observe que
2 Mladen Naletilic a eu amplement le temps et l'occasion de contester le
3 journal de Rados et de répondre aux allégations qui y figurent concernant
4 les événements de Sovici et Doljani, ce qu'il a fait au procès. En
5 conséquence la Chambre d'appel estime que cette erreur n'a pas injustement
6 pénalisé Mladen Naletilic.
7 Par ces motifs, la Chambre d'appel accueille partiellement les 1er et
8 3e moyens d'appel soulevés par Mladen Naletilic. Les 4e, 6e et 8e moyens
9 d'appel sont rejetés dans leur intégralité.
10 Ensuite, dans son 21e moyen d'appel, Mladen Naletilic soutient que la
11 Chambre de première instance a commis une erreur en concluant qu'il avait
12 connaissance des activités des ATG dans la prison de Ljubuski et à Mostar.
13 Les arguments avancés par Mladen Naletilic concernant sa responsabilité
14 pour les activités des ATG à Mostar sont rejetés pour les raisons exposées
15 dans l'arrêt. Dans le cas des crimes commis à la prison de Ljubuski, la
16 conclusion de la Chambre de première instance selon laquelle Mladen
17 Naletilic avait des raisons de savoir que ses subordonnés avaient infligé
18 des sévices à des prisonniers se fonde essentiellement sur le fait qu'il
19 était présent au moment où le témoin Y avait été roué de coups par des
20 soldats du KB lorsque l'autocar qui l'emmenait avec d'autres détenus à la
21 prison de Ljubuski s'était embourbé. La Chambre d'appel relève que la
22 Chambre de première instance n'a pas dit que Mladen Naletilic savait que
23 ses subordonnés retourneraient à la prison de Ljubuski pour y maltraiter
24 des prisonniers. Or, comme la Chambre de première instance l'a elle-même
25 observé, il a été attesté que lorsqu'il avait vu le témoin Y être roué de
26 coups sur la route de Ljubuski, Mladen Naletilic avait mis fin aux sévices
27 en ordonnant à ses soldats de se remettre en route.
28 Certes, la Chambre de première instance a constaté, sur la base de
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1 plusieurs témoignages éloquents, que le directeur de la prison de Ljubuski
2 s'était plaint de ne pouvoir empêcher les soldats du KB d'entrer dans la
3 prison et de maltraiter les détenus, mais elle n'a pas conclu que Mladen
4 Naletilic était au courant de ces griefs.
5 Partant, la Chambre d'appel estime qu'aucun juge du fait n'aurait pu
6 raisonnablement conclure au-delà de tout doute raisonnable, en se fondant
7 uniquement sur cet épisode, que Mladen Naletilic avait des raisons de
8 savoir que ses subordonnés commettraient de tels crimes dans la prison de
9 Ljubuski. L'erreur commise par la Chambre de première instance a entraîné
10 une erreur judiciaire. La mens rea n'ayant pas été établi, Mladen Naletilic
11 ne pouvait être tenu responsable sur la base de l'article 7(3) du Statut,
12 des traitements cruels et des grandes souffrances délibérées infligées aux
13 détenus de la prison de Ljubuski, ni des persécutions constituées par ces
14 actes. Par ces motifs, la Chambre de première instance accueille
15 partiellement le 21e moyen d'appel soulevé par Mladen Naletilic.
16 Dans son 2e moyen d'appel, Vinko Martinovic soutient que la Chambre de
17 première instance a commis une erreur en le déclarant coupable de travail
18 illégal sur la base de l'article 7(3) du Statut, pour avoir utilisé des
19 détenus, les témoins F, YY et AB, pour aider à piller des biens privés. Le
20 témoin F a déclaré que des soldats de Stela étaient présents lorsqu'il
21 avait été forcé de se livrer au pillage, mais qu'il n'en avait reconnu
22 qu'un seul, un supérieur du nom de Zubat. Lors du contre-interrogatoire, le
23 témoin a reconnu qu'il ne savait pas au juste à quelle unité appartenait
24 Zubat. Au vu de cette déposition, la Chambre d'appel considère qu'un juge
25 du fait ne pouvait raisonnablement conclure sur la foi du témoignage de F
26 que Zubac était le subordonné de Vinko Martinovic. La Chambre de première
27 instance a donc commis une erreur en concluant que des soldats de Vinko
28 Martinovic avaient contraint le témoin F à prendre part au pillage.
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1 S'agissant du témoin AB, la Chambre d'appel considère, vu sa déposition,
2 que le témoin ne savait pas au juste qui l'avait forcé à prendre part au
3 pillage, et que partant, un Juge du fait ne pouvait raisonnablement
4 conclure qu'il avait été contraint par des subordonnés de Vinko Martinovic
5 à prendre part au pillage. La Chambre d'appel observe toutefois que ces
6 erreurs n'ont pas entraîné d'erreur judiciaire puisque la Chambre de
7 première instance s'est également fondée sur la déposition du témoin YY,
8 qui avait déclaré qu'il avait été contraint par les subordonnés de Vinko
9 Martinovic à participer au pillage. Or, Vinko Martinovic n'est pas parvenu
10 à établir qu'il y avait là erreur. Cette branche du moyen d'appel est donc
11 rejetée.
12 La Chambre d'appel va à présent examiner la branche du moyen d'appel
13 soulevé par Vinko Martinovic et le 4e moyen d'appel soulevé par
14 l'Accusation à propos du cumul des déclarations de culpabilité.
15 Vinko Martinovic met en cause le principe même du cumul de déclarations de
16 culpabilité et soutient qu'il a été pénalisé, car le cumul permet de donner
17 au même comportement plusieurs qualifications sévères. La Chambre d'appel
18 rappelle que le cumul des déclarations de culpabilité est possible et que
19 les règles en la matière sont bien établies dans la pratique du Tribunal
20 International, dont la jurisprudence reconnaît que les déclarations de
21 culpabilité cumulatives permettent de rendre pleinement compte de la
22 culpabilité d'un accusé ou de brosser un tableau complet de son
23 comportement criminel. La Chambre d'appel ne voit aucune raison impérieuse
24 de s'écarter de cette jurisprudence. En conséquence, cette branche du moyen
25 d'appel soulevée par Vinko Martinovic est rejetée.
26 L'Accusation soutient que puisque les actes constitutifs de persécutions ne
27 doivent pas forcément constituer un crime au regard de l'article 5 du
28 Statut, les persécutions sont nécessairement distinctes en droit des autres
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1 crimes énumérés à l'article 5. Elle avance en particulier que la torture et
2 les persécutions, toutes deux visées à l'article 5 du Statut, comportent
3 chacune des éléments nettement distincts. La Chambre de première instance a
4 conclu que Mladen Naletilic était responsable de persécutions au regard de
5 l'article 5(H) du Statut, et de tortures au regard des articles 5(F) et
6 2(B) du Statut, pour les sévices infligés aux témoins FF et Z. Toutefois,
7 elle a précisé que lorsqu'un accusé est déclaré coupable de persécutions et
8 d'un autre crime contre l'humanité, la déclaration de culpabilité à retenir
9 contre lui est celle prononcée pour persécution. C'est pourquoi, après
10 avoir comparé les déclarations de culpabilité prononcées à raison des mêmes
11 faits, la Chambre de première instance a déclaré Mladen Naletilic coupable
12 de persécutions, en application de l'article 5(H) du Statut, et de
13 tortures, en application de l'article 2(B) du Statut, pour les sévices
14 infligés aux témoins FF et Z, sans le déclarer coupable de tortures sur la
15 base de l'article 5(F) pour ces faits.
16 La Chambre d'appel rappelle que dans l'arrêt Kordic, elle a jugé qu'il
17 était possible, conformément aux critères dégagés dans l'arrêt Celebici, de
18 prononcer des déclarations de culpabilité cumulatives sur la base de
19 l'article 5 du Statut pour persécutions et pour d'autres crimes contre
20 l'humanité. La Chambre d'appel conclut, le Juge Schomburg et le Juge Guney
21 étant en désaccord, que la définition des persécutions comporte des
22 éléments nettement distincts qui ne figurent pas dans la définition de la
23 torture visée à l'article 5 du Statut. Elle impose en effet de prouver que
24 l'acte ou omission en question a, dans les faits, un caractère
25 discriminatoire, et a été inspirée par une intention spécifique, celle de
26 discriminer. En revanche, la torture impose de rapporter la preuve que
27 l'accusé a causé une douleur ou des souffrances aiguës à une personne, que
28 l'acte ou omission en question ait eu ou non dans les faits un caractère
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1 discriminatoire, ou ait été ou non inspiré par la volonté de discriminer.
2 Par conséquent, il est possible de prononcer à raison des mêmes faits des
3 déclarations de culpabilité pour ces crimes sur la base de l'article 5 du
4 Statut. La Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance a
5 commis une erreur lorsqu'elle a refusé de déclarer Mladen Naletilic
6 coupable de tortures, sur la base de l'article 5(F) du Statut, pour les
7 sévices infligés aux témoins FF et Z. La Chambre d'appel accueille donc le
8 4e moyen d'appel soulevé par l'Accusation.
9 Nous allons maintenant aborder la question de la peine. Vinko Martinovic a
10 attaqué les conclusions de la Chambre de première instance concernant la
11 peine dans son 3e moyen d'appel. Mladen Naletilic a contesté la peine qui
12 lui a été infligée dans le cadre de ses 25e et 40e moyens d'appel. La
13 Chambre d'appel a examiné plusieurs de leurs arguments et les a rejetés,
14 jugeant qu'ils étaient dénués de fondement. Elle a toutefois déterminé que
15 la Chambre de première instance avait commis trois erreurs qu'elle va à
16 présent passer en revue.
17 Premièrement, Vinko Martinovic soutient que la Chambre de première instance
18 a eu tort de ne pas retenir comme circonstances atténuantes les efforts
19 qu'il avait faits pour être transféré au Tribunal International. Il fait
20 valoir que premièrement, dès qu'il a su qu'il était mis en accusation, il a
21 personnellement demandé à être transféré à La Haye. Deuxièmement, après que
22 le tribunal de district de Zagreb eut pris la décision de le transférer, il
23 a immédiatement fait savoir qu'il renonçait à son droit d'interjeter appel
24 de cette décision, et demandait à être transféré le plus tôt possible.
25 La Chambre d'appel observe qu'il a été établi, sur la base de
26 l'hypothèse la plus probable, que Vinko Martinovic avait renoncé au droit
27 qu'il avait d'interjeter appel de la décision rendue par le tribunal de
28 district de Zagreb. Cependant, Vinko Martinovic n'a pas établi sur la base
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1 de l'hypothèse la plus probable qu'il avait personnellement demandé à être
2 transféré. La Chambre d'appel considère, que le simple fait pour un accusé
3 de faciliter son transfert ne saurait être assimilé à une reddition
4 volontaire, mais que des efforts faits dans ce sens peuvent être retenus
5 comme circonstances atténuantes. Au vu des circonstances de l'espèce, la
6 Chambre d'appel estime que Vinko Martinovic a facilité son transfert au
7 Tribunal International. La Chambre de première instance a donc commis une
8 erreur en estimant que les circonstances du transfert de Vinko Martinovic
9 au Tribunal ne pouvaient pas être considérées comme une circonstance
10 atténuante. Cela dit, sachant que Vinko Martinovic était poursuivi
11 pénalement au moment où il a été transféré et qu'il y a lieu de croire que
12 les efforts qu'il a consentis n'ont permis d'avancer son transfert que d'un
13 mois environ, la Chambre d'appel ne considère pas que le poids accordé à
14 cette circonstance atténuante aurait été très important. La Chambre de
15 première instance n'a donc pas commis une erreur ayant eu une incidence sur
16 la peine.
17 Deuxièmement, Vinko Martinovic soutient que même si la Chambre de
18 première instance a pris note de ses arguments selon lesquels il avait aidé
19 ses voisins musulmans, avait en général la même attitude envers les
20 Musulmans qu'envers les Croates de Bosnie et avait aidé des détenus
21 musulmans au point que ces derniers aient préféré son unité aux autres,
22 elle n'en a pas tenu compte lorsqu'elle a fixé la peine. La Chambre d'appel
23 considère que la Chambre de première instance a eu tort de ne pas aborder,
24 dans la partie du jugement consacré à la peine, les arguments de l'accusé
25 concernant l'aide qu'il aurait apportée aux Musulmans de Bosnie, violant
26 ainsi l'obligation qu'elle avait de motiver la sentence. Cela dit, qu'elle
27 ait été ou non effectivement retenue comme circonstance atténuante, l'aide
28 apportée par Vinko Martinovic aux Musulmans de Bosnie n'aurait eu guerre de
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1 poids et elle n'aurait eu aucune incidence sur la peine prononcée à son
2 encontre.
3 Troisièmement, Vinko Martinovic, et Mladen Naletilic soutiennent l'un
4 et l'autre que la Chambre de première instance a commis une erreur en
5 considérant que leurs pouvoirs hiérarchiques constituaient une circonstance
6 aggravante.
7 La Chambre d'appel a confirmé à maintes reprises qu'une Chambre de
8 première instance peut décider que lorsqu'un accusé est reconnu
9 individuellement responsable sur la base de l'article 7(1) du Statut, ses
10 pouvoirs hiérarchiques constituent une circonstance aggravante. La partie
11 du jugement consacré à la peine donne à penser que la Chambre de première
12 instance n'a pas tenu compte des pouvoirs hiérarchiques de Vinko Martinovic
13 et de Mladen Naletilic pour déterminer leur mode et degré de participation
14 aux crimes. Elle a estimé que le rôle joué par Vinko Martinovic et par
15 Mladen Naletilic était d'autant plus grave qu'ils avaient exercé des
16 fonctions de commandement. S'agissant des déclarations de culpabilité
17 prononcées à l'encontre des deux accusés sur la base de l'article 7(1) du
18 Statut, la Chambre d'appel constate que la Chambre de première instance n'a
19 commis aucune erreur. En revanche, pour ce qui est des déclarations de
20 culpabilité prononcées en application de l'article 7(3) du Statut, la
21 Chambre d'appel estime que la Chambre de première instance a commis une
22 erreur. Etant donné que l'on ne sait pas au juste pour quel crime la
23 Chambre de première instance a jugé que les pouvoirs hiérarchiques des
24 accusés constituaient une circonstance aggravante, la Chambre d'appel
25 tranche en faveur de Mladen Naletilic et de Vinko Martinovic et conclut que
26 la Chambre de première instance a commis une erreur. Cela étant, elle
27 estime que vu la gravité des crimes dont les accusés ont été déclarés
28 coupables et les circonstances de l'espèce, cette erreur n'a aucune
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1 incidence sur la sentence.
2 Pour conclure, la Chambre d'appel note qu'elle a en partie annulé
3 quelques-unes des déclarations de culpabilité prononcées par la Chambre de
4 première instance contre Mladen Naletilic et Vinko Martinovic. Cependant,
5 vu les circonstances particulières de l'espèce, le mode et degré de
6 participation des accusés aux crimes confirmés en appel ainsi que la
7 gravité de ces crimes, la Chambre d'appel considère que les peines
8 infligées par la Chambre de première instance s'inscrivent dans la
9 fourchette des peines qu'une Chambre de première instance aurait pu
10 raisonnablement prononcer.
11 Je vais maintenant donner lecture du dispositif de l'arrêt rendu par
12 la Chambre d'appel.
13 Monsieur Naletilic, Monsieur Martinovic, veuillez vous lever.
14 Voici le dispositif de l'arrêt.
15 Par ces motifs, la Chambre d'appel, en application de l'article 25 du
16 Statut et des articles 117 et 118 du Règlement de procédure et de preuve,
17 vu les écritures respectives des parties et leurs exposés aux audiences des
18 17 et 18 octobre 2005 siégeant au audience publique, s'agissant des moyens
19 d'appel soulevés par l'Accusation, note que le 2e moyen d'appel de
20 l'Accusation a été retiré, accueille les Juges Guney et Schomburg étant en
21 désaccord, le 4e moyen d'appel de l'Accusation confirme la déclaration de
22 culpabilité prononcée à l'encontre de Mladen Naletilic pour torture, un
23 crime contre l'humanité, chef 9 de l'acte d'accusation, et dit que les
24 actes sous-tendant cette déclaration de culpabilité comprennent notamment
25 les mauvais traitements infligés aux témoin FF et Z, rejette pour le
26 surplus l'appel de l'Accusation, le Juge Schomburg étant partiellement en
27 désaccord.
28 S'agissant des moyens d'appel soulevés par Mladen Naletilic,
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1 accueille partiellement les 1er et 3e moyens d'appel de Mladen Naletilic,en
2 ce qu'ils ont trait à sa responsabilité de supérieur hiérarchique dans les
3 sévices infligés par Miro Martinovic aux prisonniers de l'Heliodrom.
4 Accueille partiellement le 21e moyen d'appel de Mladen Naletilic, en ce
5 qu'il a trait à sa responsabilité de supérieur hiérarchique dans les
6 mauvais traitements infligés aux détenus de la prison de Ljubuski. Annule
7 la déclaration de culpabilité prononcée en son encontre pour avoir causé
8 intentionnellement de grandes souffrances ou porté des atteintes graves à
9 l'intégrité physique ou à la santé, une infraction grave aux conventions de
10 Genève de 1949, chef 12, en ce qu'elle concerne les sévices infligés aux
11 prisonniers de l'Heliodrom par Miro Martinovic. Annule les déclarations de
12 culpabilité prononcées en son encontre pour persécutions, pour des motifs
13 politiques, raciaux et religieux, un crime contre l'humanité, chef 1, et
14 pour avoir causé intentionnellement de grandes souffrances ou porté des
15 atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une infraction grave
16 aux conventions de Genève de 1949, chef 12, en ce qu'elles concernent les
17 mauvais traitements infligés aux détenus de la prison de Ljubuski. Rejette
18 pour le surplus l'appel interjeté par Mladen Naletilic contre les
19 déclarations de culpabilité et la peine. Et confirme la peine de 20 ans
20 d'emprisonnement imposée à Mladen Naletilic, le temps passé en détention
21 préventive étant à déduire de la durée totale de la peine, au terme de
22 l'article 101(C) du Règlement.
23 S'agissant des moyens d'appel soulevés par Vinko Martinovic, la
24 Chambre d'appel accueille partiellement le 2e moyen d'appel de Vinko
25 Martinovic, en ce qu'il a trait aux vices de forme de l'acte d'accusation
26 concernant la transformation d'une propriété privée en quartier général
27 pour l'ATG Vinko Skrobo, les sévices infligés en juillet ou en août 1993 à
28 plusieurs prisonniers et ceux infligés à un prisonnier appelé Tsotsa, et
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1 annule la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre pour travail
2 illégal, une violation des lois ou coutumes de la guerre, chef 5, en ce
3 qu'elle concerne la transformation d'une propriété privée en quartier
4 général pour l'ATG Vinko Skrobo, et la déclaration de culpabilité prononcée
5 à son encontre pour avoir causé intentionnellement de grandes souffrances
6 ou porté des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, une
7 infraction grave aux convention de Genève de 1949, chef 12, en ce qu'elle
8 concerne les sévices infligés en juillet ou en août 1993 à plusieurs
9 prisonniers et ceux infligés à un prisonnier appelé Tsotsa. Rejette pour le
10 surplus l'appel interjeté par Vinko Martinovic contre les déclarations de
11 culpabilité et la peine. Et confirme la peine de 18 ans d'emprisonnement
12 imposée à Vinko Martinovic, le temps passé en détention préventive étant à
13 déduire de la durée totale de la peine, au terme de l'article 101(C) du
14 Règlement. Dit enfin que l'arrêt est exécutoire immédiatement en
15 application de l'article 118 du Règlement, et ordonne, en application des
16 articles 103(C) et 107 du Règlement, que Mladen Naletilic et Vinko
17 Martinovic restent sous la garde du Tribunal International jusqu'à ce que
18 soient arrêtées les dispositions nécessaires pour leur transfert vers
19 l'Etat dans lequel ils purgeront leur peine. Monsieur Naletilic, Monsieur
20 Martinovic, vous pouvez vous asseoir.
21 Madame la Greffière, veuillez distribuer des exemplaires de l'arrêt
22 aux parties.
23 Merci, Madame.
24 L'audience de la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour
25 l'ex-Yougoslavie est levée.
26 --- L'audience est levée à 15 heures 10.
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