Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   (Jeudi 27 février 2003.) 

  2   (Audience du Jugement de Biljana Plavsic.)

  3   (L'audience est ouverte à 15 heures, sous la présidence du Juge May.)

  4   (Audience publique.)

  5   M. le Président (interprétation): Je demande à la Greffière d'audience de

  6   bien vouloir donner le numéro de l'Affaire.

  7   Mme Anoya (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Il s'agit de

  8   l'Affaire IT-00-39&40/1-S, le Procureur contre Biljana Plavsic.

  9   M. le Président (interprétation): Je demande aux parties de se présenter.

 10   M. Harmon (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Bonjour,

 11   Messieurs les Juges. Bonjour, collègues de la défense.

 12   Je m'appelle Mark Harmon. A ma droite, vous voyez M. Alan Tieger, et nous

 13   représentons l'accusation dans la présente audience.

 14   M. Pavich (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président. Je m'appelle

 15   Robert Pavich. Je suis accompagné d'Eugene O'Sullivan, et nous

 16   représentons ensemble les intérêts de Mme Biljana Plavsic.

 17   M. le Président (interprétation): Merci.

 18   L'audience d'aujourd'hui est destinée à permettre à la Chambre de première

 19   instance de rendre son jugement dans la présente Affaire.

 20   Ce qui va suivre est un résumé du Jugement qui ne fait pas partie

 21   intégrante de celui-ci. Le Jugement est disponible aujourd'hui.

 22   A l'audience du 2 octobre 2002, l'accusée a plaidé coupable par rapport au

 23   Chef n°3 de l'Acte d'accusation, à savoir "Persécutions, un crime contre

 24   l'humanité". L'accusée a plaidé coupable suite à un accord sur le

 25   plaidoyer conclu entre les parties. Aux termes de cet accord, l'accusation


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  1   consentait à demander le retrait de tous les autres chefs retenus contre

  2   l'accusée, après que celle-ci eût plaidé coupable. Ces chefs ont été en

  3   conséquence retirés. Un exposé des faits se rapportant aux crimes et à la

  4   part que Mme Plavsic y a prise, a été déposé conjointement avec l'accord

  5   sur le plaidoyer de culpabilité.

  6   Une audience consacrée à la détermination de la peine s'est tenue du 16 au

  7   18 décembre 2002. A l'issue de cette audience, la Chambre de première

  8   instance a mis le juge en délibéré.

  9   Les faits examinés ont été les suivants. Au Chef n°3, pour lequel

 10   l'accusée a plaidé coupable, il est allégué qu'entre le 1er juillet 1991

 11   et le 30 décembre 1992, l'accusée, agissant seule ou de concert avec

 12   d'autres dans le cadre d'une entreprise criminelle commune, a planifié,

 13   incité à commettre, ordonné et aidé et encouragé les persécutions à

 14   l'encontre des populations non serbes de Bosnie, notamment les populations

 15   musulmanes, et croates de Bosnie dans 37 municipalités de Bosnie-

 16   Herzégovine.

 17   Madame Plavsic a aujourd'hui 72 ans, étant née le 7 juillet 1930 à Tuzla.

 18   Elle a eu une carrière universitaire très éminente, étant doyen de la

 19   Faculté de Sarajevo et étant universitaire de renom, spécialiste des

 20   Sciences naturelles. Biljana Plavsic s'était tenue à l'écart de la

 21   politique jusqu'en juillet 1990, date à laquelle elle a adhéré au Parti

 22   démocratique serbe. Cela ne l'a pas empêchée d'en devenir l'un des membres

 23   les plus influents. Le 11 novembre 1990, elle a été élue représentante des

 24   Serbes à la Présidence de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine,

 25   fonction qu'elle a occupée jusqu'en décembre 1992. L'accusée a également


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  1   été membre de la Présidence de la République serbe de Bosnie-Herzégovine

  2   avant de faire partie des présidences collégiales ou élargies qui ont

  3   gouverné la Republika Srpska.

  4   A propos du rôle joué par chacun des participants dans les persécutions,

  5   l'exposé des faits indique que de nombreux individus ont pris part à leur

  6   planification et à leur exécution. Néanmoins, il existe des différences

  7   quant à leur degré de connaissance des tenants et des aboutissants de la

  8   campagne de persécution et quant à leur participation à son exécution.

  9   Pour sa part, Mme Plavsic a approuvé et soutenu l'objectif assigné à cette

 10   campagne et contribué à sa réalisation. Toutefois, elle n'a pas pris part

 11   à sa conception pas plus qu'à sa planification, et elle a pris à son

 12   exécution une part moindre que d'autres membres de l'entreprise

 13   criminelle.

 14   Le soutien apporté par l'accusée à l'objectif assigné à la campagne de

 15   persécution a pris diverses formes:

 16   -en tant que membre de la présidence collégiale, elle a soutenu et

 17   contribué à maintenir en place les autorités civiles et militaires qui, à

 18   l'échelon local et national, ont oeuvré à la réalisation de cet objectif;

 19   -elle a encouragé la participation à cette campagne en déclarant

 20   publiquement que le recours à la force était justifié car certaines

 21   parties de la Bosnie-Herzégovine revenaient de droit aux Serbes, lesquels

 22   étaient menacés de génocide par les Musulmans et les Croates de Bosnie;

 23   -par ses encouragements, elle a incité des groupes paramilitaires de

 24   Serbie à venir en aide aux forces serbes de Bosnie durant la campagne

 25   qu'elle menait pour imposer une séparation ethnique.


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  1   Oeuvrant de concert avec la JNA, le MUP de Serbie et les unités

  2   paramilitaires pour imposer une séparation ethnique, les forces serbes de

  3   Bosnie ont mené une campagne de persécutions qui a notamment pris la forme

  4   de:

  5   -meurtres commis durant les attaques lancées contre des villes et des

  6   villages,

  7   -des traitements cruels et inhumains commis durant et après ces attaques,

  8   -de transferts forcés et d'expulsions, de détentions illégales et de

  9   meurtres,

 10   -de travail forcé et d'utilisation de boucliers humains,

 11   -de traitements cruels et inhumains et de conditions de vie inhumaines

 12   dans les centres de détention,

 13   -de destruction du patrimoine culturel et religieux et de pillages et

 14   destructions sans motif.

 15   Les dirigeants serbes de Bosnie, y compris Mme Plavsic, ont ignoré les

 16   accusations de crimes portées contre leurs forces. L'accusée n'a tenu

 17   aucun compte de ce qui lui était rapporté à propos d'un nettoyage ethnique

 18   de grande en ampleur, campagne qu'elle a publiquement expliquée et

 19   justifiée. Elle savait que les principaux dirigeants de la République

 20   serbe de Bosnie fermaient les yeux sur ces crimes, en dépit du pouvoir

 21   qu'ils avaient de les prévenir et de les punir.

 22   Passons maintenant aux éléments à prendre en compte pour déterminer la

 23   peine.

 24   La Chambre de première instance s'est d'abord penchée sur la gravité du

 25   crime. Sans perdre de vue que, ce faisant, il lui faut tenir compte des


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  1   circonstances particulières de l'espèce, tout comme de la nature et du

  2   degré de participation de l'accusée à ce crime.

  3   Selon l'accusation, la campagne de persécutions de grande ampleur à

  4   laquelle l'accusée a pris part, a entraîné l'expulsion de centaines de

  5   milliers de personnes et a fait un très grand nombre de morts. Cette

  6   campagne, d'une violence et d'une cruauté exceptionnelle, a été notamment

  7   marquée par des actes de torture et de violence sexuelle.

  8   La Chambre de première instance estime que le crime commis est d'une

  9   extrême gravité, puisqu'il s'est accompagné notamment d'une campagne de

 10   séparation ethnique faisant des milliers de morts et entraînant

 11   l'expulsion de milliers d'autres personnes dans des conditions d'une

 12   extrême brutalité. La gravité du crime s'illustre notamment par:

 13   -l'ampleur et l'étendue des persécutions,

 14   -le nombre des victimes tuées, expulsées ou transférées de force,

 15   -les traitements particulièrement inhumains infligés aux détenus, et

 16   -l'ampleur des destructions sans motif causées aux biens et aux édifices

 17   religieux.

 18   b) Les circonstances aggravantes

 19   La Chambre s'est penchée ensuite sur les circonstances aggravantes, le

 20   Procureur en ayant défini trois:

 21   i) d'abord, les hautes fonctions exercées par l'accusée,

 22   ii) deuxièmement, la vulnérabilité des victimes; et

 23   iii) troisièmement, l'ignominie des actes qui ont été infligés à ces

 24   victimes.

 25   La Chambre considère que les hautes fonctions exercées par l'accusée


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  1   constituent, en l'espèce, une circonstance aggravante, même si le pouvoir

  2   suprême était dévolu à d'autres. L'accusée n'a pas participé à la

  3   planification du crime et a joué un rôle moins important que d'autres dans

  4   son exécution. Cependant, durant la campagne de persécutions, Mme Plavsic

  5   était membre de la Présidence, la plus haute instance civile, et par là

  6   même ainsi que par ses déclarations, elle a encouragé et soutenu les

  7   persécutions.

  8   Même si elle estime que les autres éléments cités par l'accusation peuvent

  9   constituer des circonstances aggravantes, la Chambre de première instance

 10   considère que, dans les circonstances de l'espèce, ces éléments sont pour

 11   l'essentiel contenus dans la gravité générale du crime. En conséquence, la

 12   Chambre ne les retiendra pas comme circonstances aggravantes.

 13   L'accusation a fait valoir que le rôle éminent joué par l'accusée dans une

 14   telle campagne appelle à l'évidence une peine d'emprisonnement à vie.

 15   Durant l'audience consacrée à la peine, l'accusation a déclaré qu'en

 16   l'absence d'un plaidoyer de culpabilité, une condamnation à la réclusion à

 17   perpétuité aurait été justifiée.

 18   La Chambre doit donc fixer une peine qui s'impose pour une accusée ayant

 19   occupé un poste de premier plan et qui a été impliquée dans un crime d'une

 20   gravité exceptionnelle. La Chambre ne saurait accepter l'argument de

 21   l'accusation selon lequel, en l'absence de plaidoyer de culpabilité, il

 22   serait juste d'infliger la peine la plus lourde que ce Tribunal puisse

 23   prononcer. En revanche, elle est d'avis qu'il serait malvenu de faire

 24   preuve d'une clémence injustifiée et qu'une lourde peine d'emprisonnement

 25   s'impose.


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  1   Il existe, en l'espèce, d'importantes circonstances atténuantes. En effet,

  2   l'accusation reconnaît que Mme Plavsic a pris des mesures sans précédent

  3   pour réparer le crime contre l'humanité dont elle est responsable. Les

  4   parties ont fait valoir qu'au nombre des circonstances atténuantes

  5   pertinentes, il convenait de prendre en compte:

  6   -le plaidoyer de culpabilité et la reconnaissance par l'accusée de sa

  7   responsabilité,

  8   -les remords exprimés,

  9   -la reddition volontaire,

 10   -son comportement après le conflit,

 11   -sa bonne moralité avant le conflit et,

 12   -son âge.

 13   Nul ne conteste que ces circonstances, conjuguées à des efforts de

 14   réconciliation, constituent des circonstances atténuantes que la Chambre

 15   de première instance se doit de prendre en compte. Toutefois, il est

 16   nécessaire d'examiner au préalable les dispositions applicables en matière

 17   de circonstances atténuantes sur le plan juridique.

 18   Le sérieux et l'étendue de la coopération de l'accusée avec le Procureur

 19   constituent l'unique circonstance atténuante explicitement prévue par le

 20   Règlement. L'appréciation portée sur cette coopération dépend de la

 21   quantité et de la qualité des informations fournies par l'accusée.

 22   Cependant, l'accusation a affirmé qu'aucune coopération de cette nature

 23   n'a été apportée en l'espèce. Pour sa part, la défense a soutenu qu'en

 24   plaidant coupable, l'accusée avait largement coopéré.

 25   Comme cela a été indiqué, la coopération avec le Procureur constitue


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  1   certes une circonstance atténuante, mais l'absence d'une telle coopération

  2   ne constitue pas pour autant une circonstance aggravante. En conséquence,

  3   la Chambre de première instance ne saurait tenir compte, dans sa sentence,

  4   du refus de l'accusée de témoigner.

  5   Une Chambre de première instance peut prendre en compte d'autres

  6   circonstances qu'elle considère comme étant des circonstances atténuantes.

  7   La Chambre de première instance examinera tout d'abord le plaidoyer de

  8   culpabilité de l'accusée, les remords qu'elle a exprimés et sa

  9   contribution à la réconciliation. Biljana Plavsic a plaidé coupable avant

 10   l'ouverture du procès et cela doit être retenu comme circonstance

 11   atténuante.

 12   La Chambre de première instance considère que la déclaration faite par

 13   l'accusée lors de l'audience consacrée à la détermination de la peine,

 14   ainsi que celle, antérieure, présentée à l'appui de sa requête aux fins de

 15   revenir sur son plaidoyer de non-culpabilité, l'accusée a exprimé des

 16   remords qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de la

 17   circonstance atténuante retenue pour son plaidoyer de culpabilité. De

 18   fait, il est permis de faire valoir qu'en plaidant coupable, Mme Plavsic a

 19   déjà exprimé des remords.

 20   Si l'on ajoute à cela qu'en plaidant coupable avant l'ouverture du procès,

 21   elle a grandement ménagé le temps et les ressources de la communauté

 22   internationale, l'accusée est en droit d'obtenir une réduction de la peine

 23   qui s'imposait autrement. Toutefois, il existe une autre circonstance

 24   importante qui doit être prise en compte, à savoir le fait qu'un plaidoyer

 25   de culpabilité permet d'établir la vérité quant aux crimes commis et


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  1   favorise la réconciliation entre les communautés de l'ex-Yougoslavie.

  2   Cet argument a été évoqué pour la première fois dans la déclaration que

  3   Biljana Plavsic a présentée à l'appui de sa requête aux fins de revenir

  4   sur son plaidoyer de non-culpabilité. L'accusée y expliquait que la

  5   reconnaissance des crimes commis pendant la guerre en Bosnie-Herzégovine

  6   était une étape nécessaire à l'instauration de la paix et à la

  7   réconciliation entre les communautés. L'accusée y exprimait également

  8   l'espoir que la reconnaissance de sa responsabilité permettrait à son

  9   peuple de se réconcilier avec ses voisins. Elle concluait en ajoutant

 10   qu'une paix durable et une réconciliation en Bosnie-Herzégovine n'était

 11   possible que si -je cite-: "Les violations graves du droit humanitaire

 12   commises pendant la guerre étaient reconnues par ceux qui en portaient la

 13   responsabilité, quel que soit le groupe ethnique auquel ils appartenaient.

 14   Cette reconnaissance est un préalable nécessaire."

 15   La Chambre de première instance admet que la reconnaissance et la

 16   révélation des crimes graves sont très importantes parce qu'elles

 17   permettent d'établir la vérité au sujet de ces crimes. Tout comme la

 18   reconnaissance de ses responsabilités dans les forfaits commis, cela

 19   favorisera la réconciliation. A cet égard, la Chambre de première instance

 20   conclut que le plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic et la

 21   reconnaissance de sa responsabilité devraient, compte tenu en particulier

 22   de ses fonctions passées, favoriser la réconciliation en Bosnie-

 23   Herzégovine et dans l'ensemble de la région.

 24   En conséquence, la Chambre de première instance accorde un poids important

 25   au plaidoyer de culpabilité de l'accusée, ainsi qu'aux remords qu'elle a


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  1   exprimés et à leur effet positif sur le processus de réconciliation.

  2   La Chambre de première instance estime que la reddition volontaire de

  3   l'accusée constitue une circonstance atténuante à prendre en compte dans

  4   la sentence.

  5   S'agissant du comportement de l'accusée après le conflit, l'accusation a

  6   reconnu qu'à l'arrêt des hostilités en Bosnie-Herzégovine, Biljana

  7   Plasvic, en qualité de Présidente de la Republika Srpska, a apporté un

  8   soutien considérable aux Accords de Dayton. L'accusation a également admis

  9   qu'en cette qualité, l'accusée a tenté de démettre de leurs fonctions les

 10   responsables qui faisaient obstacle à l'application de ces accords, et a

 11   largement contribué à faire avancer le processus de paix dans des

 12   circonstances difficiles où elle a fait preuve de courage.

 13   Des témoignages relatifs au comportement de l'accusée après le conflit,

 14   ont été apportés lors de l'audience consacrée à la fixation de la peine.

 15   Ainsi, Mme Albright a présenté l'accusée comme celle qui a veillé à

 16   l'application des Accords de Dayton en Republika Srpska: "Elle a défendu

 17   les accords de paix quand c'était difficile et quand d'aucuns voulaient

 18   les torpiller".

 19   Monsieur Robert Frowick a déclaré que, pour lui, l'accusée "avait déclaré

 20   la guerre à la corruption et à l'injustice, et elle s'était faite le

 21   héraut de la lutte contre la criminalité en Republika Srpska".

 22   De même, M. Carl Bildt a loué le courage dont a fait montre l'accusé

 23   lorsqu'elle avait favorisé la mise en oeuvre des accords de paix. Selon

 24   lui, l'accusée était une fervente partisane de la Constitution pour

 25   laquelle "elle n'a pas hésité à prendre des risques".


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  1   Le fait que ces témoins, tous de renommée internationale, soient venus

  2   pour apporter un tel témoignage plaide un peu plus en faveur d'une

  3   atténuation de la peine. La Chambre de première instance est convaincue

  4   que Mme Plavsic a joué un rôle important dans l'acceptation et la mise en

  5   oeuvre des Accords de Dayton en Republika Srpska. Ainsi, elle a

  6   considérablement aidé à l'instauration de la paix dans la région et elle

  7   est en droit de s'en prévaloir pour demander une réduction de peine. La

  8   Chambre de première instance lui accorde un poids important.

  9   S'agissant de l'âge de l'accusée, la Chambre de première instance rejette

 10   l'argument de la défense selon lequel toute peine supérieure à 8,2 années

 11   équivaudrait à un emprisonnement à vie et constituerait une sanction

 12   inhumaine ou dégradante. Rien dans le Statut ni dans les règles du droit

 13   international relatives aux droits de l'homme n'interdit de condamner, y

 14   compris à la réclusion à perpétuité, un accusé d'un âge avancé. La Cour

 15   européenne des droits de l'homme a estimé que, dans certains cas, la

 16   détention prolongée d'une personne âgée pouvait soulever la question de

 17   l'interdiction des traitements inhumains et dégradants. De tels

 18   traitements doivent atteindre un degré de gravité suffisant pour tomber

 19   sous le coup de l'article 3 de la Convention européenne des droits de

 20   l'homme. Toutefois, il faut tenir compte des circonstances particulières

 21   de chaque espèce. La Chambre de première instance ne voit en l'espèce

 22   aucune circonstance pertinente. En effet, rien dans le rapport médical

 23   présenté par l'accusée n'indique que son état de santé interdirait son

 24   incarcération.

 25   La Chambre de première instance n'est pas convaincue par l'argument de la


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  1   défense selon lequel une évaluation d'espérance de vie de l'accusée est un

  2   élément crucial à prendre en compte dans la sentence. Toutefois, la

  3   Chambre estime devoir tenir compte de son âge, et ce, pour deux raisons:

  4   premièrement, la dégradation de l'état physique lié à la vieillesse peut

  5   rendre l'exécution d'une même peine plus pénible pour une personne âgée

  6   que pour une jeune. Deuxièmement, une fois libéré, un criminel âgé peut ne

  7   plus avoir devant lui que peu d'années à vivre.

  8   La Chambre de première instance préfère fixer la peine en fonction de la

  9   gravité de l'infraction, en tenant compte de l'âge et de la situation

 10   personnelle de l'accusé. C'est pour cela qu'elle considère comme une

 11   circonstance atténuante l'âge avancé de l'accusée et, ce faisant, elle

 12   tient compte du rapport médical déposé au nom de l'accusée.

 13   En conséquence, la Chambre de première instance estime qu'en l'espèce,

 14   constituent d'importantes circonstances atténuantes:

 15   -le plaidoyer de culpabilité prononcé par l'accusée (associé aux remords

 16   qu'elle a exprimés et à son rôle dans la réconciliation),

 17   -sa reddition volontaire,

 18   -son comportement après le conflit, et

 19   -son âge.

 20   La Chambre de première instance accorde du poids à chacune des

 21   circonstances. En particulier, elle attache une grande importance au

 22   plaidoyer de culpabilité de Mme Plavsic et à son comportement après le

 23   conflit. Ensemble, ces deux circonstances plaident fortement en faveur de

 24   l'atténuation de la peine.

 25   Lors du réquisitoire, l'accusation a soutenu que la Chambre de première


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  1   instance devait fixer une peine qui tienne compte du comportement de

  2   l'accusée non seulement envers les victimes immédiates des crimes mais

  3   également envers l'humanité tout entière, dans le cas d'une campagne de

  4   persécutions qui a annihilé d'innombrables vies et communautés.

  5   Tout en reconnaissant que l'ampleur de ces crimes donne raison à

  6   l'accusation, la Chambre de première instance tient également compte du

  7   fait que les crimes n'ont pas touché un groupe anonyme de personnes, mais

  8   des individus, hommes, femmes et enfants, qui ont été maltraités, violés,

  9   torturés et tués. Ce fait et le fait que ces actes odieux se soient

 10   répétés si souvent appellent une lourde peine de prison. La Chambre a déjà

 11   conclu qu'il s'agissait d'un crime d'une extrême gravité. Tel est le point

 12   de départ pour fixer la peine.

 13   En outre, la Chambre de première instance estime que le crime est encore

 14   aggravé par le fait que l'accusée était une dirigeante de haut rang. Au

 15   lieu d'empêcher ou de limiter ces crimes, de façon générale, elle a

 16   encouragé, soutenu ceux qui en étaient responsables. La peine doit être

 17   fixée en conséquence.

 18   L'accusation soutient qu'en l'espèce, la peine de prison doit être de 15 à

 19   25 ans.

 20   La Chambre de première instance estime que, dans ses conclusions sur la

 21   peine à infliger, l'accusation n'a pas accordé suffisamment de poids à

 22   l'âge de l'accusée ni aux importantes circonstances atténuantes que

 23   constitue son plaidoyer de culpabilité et à son comportement après le

 24   conflit.

 25   Par ailleurs, la défense n'a adressé aucune recommandation quant à la


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  1   peine à infliger, en se contentant de faire valoir que l'espérance de vie

  2   de l'accusée étant de huit ans, toute peine d'emprisonnement plus longue

  3   équivaudrait à une condamnation à la réclusion à perpétuité et serait

  4   excessive. La Chambre de première instance a déjà déclaré que la référence

  5   à l'espérance de vie n'était pas pertinente. Elle considère également

  6   qu'une peine de huit ans ne rendrait pas compte de la gravité du crime.

  7   La Chambre de première instance doit condamner l'ancienne Présidente, âgée

  8   de 72 ans, pour sa participation à un crime des plus graves. Par ailleurs,

  9   comme la Chambre l'a constaté, il existe des circonstances atténuantes

 10   très importantes, en particulier le plaidoyer de culpabilité et le

 11   comportement de l'accusée après le conflit. Toutefois, il serait déplacé

 12   de faire preuve d'une indulgence excessive. Aucune peine infligée par la

 13   Chambre ne saurait être à la mesure de l'horreur des événements survenus

 14   ou de l'impact terrible qu'ils ont eu sur des milliers de victimes.

 15   Que l'accusée se lève.

 16   (L'accusée se lève.)

 17   Biljana Plavsic, compte tenu des éléments exposés, la Chambre de première

 18   instance vous condamne à une peine de onze années de prison.

 19   A ce jour, vous avez été détenue au quartier pénitentiaire de

 20   l'organisation des Nations Unies pendant 245 jours en tout. Cette période

 21   peut être déduite de la durée totale de votre peine.

 22   L'audience est levée.

 23   (L'audience est levée à 15 heures 30.)

 24  

 25