Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
22 février 2006

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DU GÉNÉRAL MILETIC AUX FINS D’ACCÈS À DES INFORMATIONS CONFIDENTIELLES COMMUNIQUÉES DANS L’AFFAIRE MILOSEVIC

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

Le Conseil de Radivoje Miletic :

Mme Natacha Fauveau Ivanovic

L’Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal  »),

SAISIE d’une Requête du Général Miletic aux fins d’accès à des informations confidentielles communiquées dans l’affaire Milosevic (la « Requête »1) déposée le 11 janvier 2006 en application de l’article 75 G) i) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »), dans laquelle la Défense de Radivoje Miletic (le « Requérant ») soutient que les conditions requises pour pouvoir consulter des documents confidentiels déposés dans d’autres affaires sont réunies et demande l’accès à quatre catégories de documents confidentiels déposés dans l’affaire Milosevic :

a. les pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation modifié concernant la Bosnie ;

b. les comptes rendus confidentiels des audiences tenues à huis clos ;

c. les pièces à conviction confidentielles ; et

d. les écritures confidentielles déposées inter partes2  ;

ATTENDU que le Requérant précise qu’il ne demande à consulter que les pièces entrant dans ces catégories qui concernent certains lieux et certaines dates, à savoir les pièces portant sur les événements qui se sont déroulés à Srebrenica – y compris dans les municipalités de Bratunac et Zvornik – entre mars et novembre  19953,

ATTENDU que ni l’Accusation ni la Défense n’ont déposé de réponse à la Requête dans les délais fixés par le Règlement4,

ATTENDU que, dans sa version actuelle, l’acte d’accusation établi contre le Requérant et ses coaccusés5 lui impute les crimes suivants en raison des actes et des omissions dont il s’est rendu coupable durant l’attaque de la VRS contre Srebrenica et les exécutions de Musulmans de Bosnie qui ont suivi : assassinat, transfert forcé et expulsion/déportation, constitutifs de crimes contre l’humanité ; persécutions ayant pris la forme de meurtres, traitements cruels et inhumains, terrorisation de la population civile, destruction de biens personnels et transfert forcé, un crime contre l’humanité ; et meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre6,

ATTENDU que, dans l’acte d’accusation modifié établi à l’encontre de Slobodan Milosevic à propos de la Bosnie (« l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie »), l’accusé se voit reprocher des crimes sanctionnés par le Statut pour, entre autres, persécutions, extermination, meurtres, homicides intentionnels, transfert forcé ou expulsion de Musulmans à ou de Srebrenica, ou dans les environs, en juillet  1995 : génocide ou complicité de génocide ; infractions graves aux Conventions de Genève ; violations des lois ou coutumes de la guerre ; et crimes contre l’humanité 7,

ATTENDU qu’une partie a toujours le droit de demander à consulter des documents de toute origine susceptibles de l’aider à préparer son dossier pour autant qu’elle les identifie, qu’elle en précise la nature générale, et qu’elle justifie pour ce faire d’un but légitime juridiquement pertinent, et ATTENDU que la partie requérante peut obtenir communication de pièces confidentielles déposées dans une autre affaire si elle peut établir que celles-ci sont susceptibles de l’aider grandement dans la présentation de ses moyens8,

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées peut être établie en rapportant la preuve de l’existence d’un lien entre l’affaire de la partie requérante et celle dans le cadre de laquelle ces pièces ont été présentées9, et donc, qu’il peut être fait droit à la demande d’accès si la partie requérante montre qu’il existe entre les affaires des « recoupements géographiques, temporels et matériels »10,

ATTENDU que, vu la grande similarité des faits qui ont valu au Requérant et à Slobodan Milosevic d’être poursuivis, faits qui se sont produits à Srebrenica et alentour entre mars et novembre 1995, il apparaît clairement que les deux affaires se recoupent dans le temps et l’espace,

ATTENDU que dans l’Ordonnance relative à la demande d’accès à toutes les pièces confidentielles de l’affaire Milosevic présentée au nom de Drago Nikolic qu’elle a rendue le 2 décembre 2005 (« l’Ordonnance Nikolic »), la Chambre de première instance a autorisé l’un des coaccusés du Requérant à consulter des catégories de pièces confidentielles inter partes très similaires à celles dont la consultation est ici demandée,

ATTENDU qu’il est possible que certains des documents dont il est demandé communication contiennent des informations permettant d’identifier des témoins protégés, et que le Requérant s’est engagé à « préserver la confidentialité des documents confidentiels et à respecter les mesures de protection ordonnées dans l’affaire Milosevic11 », ainsi que «  toute mesure de protection supplémentaire que la Chambre de première instance décidera d’ordonner12 »,

ATTENDU qu’en application de l’article 75 F) i) du Règlement, les mesures de protection dont peut bénéficier un témoin dans le cadre de l’affaire Milosevic continueront de s’appliquer dans l’affaire Popovic et consorts, à moins qu’elles ne soient modifiées par la présente ordonnance,

EN APPLICATION des articles 54 et 75 du Règlement,

FAIT DROIT À LA REQUÊTE ET DÉCIDE QUE :

1. En concertation avec l’Accusation et les conseils commis d’office, le Greffe classera les documents confidentiels en quatre catégories :

a) toutes les pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica, y compris toutes celles concernant les événements qui se sont déroulés dans les municipalités de Bratunac et Zvornik, pour la période comprise entre mars et novembre 1995 ;

b) tous les comptes rendus des audiences tenues à huis clos et à huis clos partiel qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica, y compris tous ceux concernant les événements qui se sont déroulés dans les municipalités de Bratunac et Zvornik, pour la période comprise entre mars et novembre 1995 ;

c) toutes les pièces à conviction confidentielles et sous scellés qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica, y compris toutes celles concernant les événements qui se sont déroulés dans les municipalités de Bratunac et Zvornik, pour la période comprise entre mars et novembre 1995 ; et

d) toutes les écritures confidentielles inter partes qui concernent les accusations portées aux chefs 1 à 7 et 16 à 18 à propos de Srebrenica, y compris toutes celles concernant les événements qui se sont déroulés dans les municipalités de Bratunac et Zvornik, pour la période comprise entre mars et novembre 1995 ;

2. L’Accusation déterminera dès que possible si l’une quelconque de ces pièces confidentielles entre dans le cadre de l’article 70 et, dans l’affirmative, elle devra sans délai obtenir avant toute communication le consentement de la source qui la lui a fournie  ;

3. Sous réserve du consentement des sources ayant fourni des pièces relevant de l’article  70, le Requérant et son conseil auront accès à ces quatre catégories de pièces confidentielles déposées inter partes ;

4. Le Greffe se mettra en rapport avec l’Accusation pour déterminer, le cas échéant, quelles sont les pièces confidentielles qui entrent dans le cadre de l’article  70 et ne communiquera ces pièces qu’après avoir été informé par l’Accusation du consentement de la source ;

5. Le Requérant et son conseil ne divulgueront aucun document confidentiel ou non accessible au public déposé dans l’affaire Milosevic qui leur aura été communiqué à moins que ce ne soit directement et tout particulièrement nécessaire pour la préparation et la présentation de la défense ; en cas de communication au public de documents confidentiels ou non accessibles au public, toute personne à qui lesdits documents auront été communiqués sera informée qu’elle ne peut copier, reproduire ou publier aucune information confidentielle ou non publique, ni la révéler à quiconque, et qu’elle devra restituer ces documents au Requérant ou à son conseil dès qu’ils ne lui seront plus nécessaires pour la préparation des moyens à décharge ;

6. En concertation avec l’Accusation et les conseils commis d’office, le Greffe déterminera si, dans le cadre de la présente Ordonnance, le Requérant est autorisé à consulter des pièces non couvertes par l’Ordonnance Nikolic (les « pièces confidentielles supplémentaires ») et, le cas échéant, il les communiquera à la Défense de Drago Nikolic.

Aux fins de la présente ordonnance, le terme « public » s’entend de toute personne, État, organisation, entité, usager, association et groupe, à l’exclusion des juges du Tribunal international, des membres du Greffe et du Bureau du Procureur, du Requérant et de son équipe de la défense. Le terme « public » comprend également, sans s’y limiter, les membres de la famille, les amis et les relations du Requérant, les accusés et les conseils dans d’autres affaires portées ou actions engagées devant le Tribunal international, les médias et les journalistes.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
_______________
Patrick Robinson

Le 22 février 2006
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - La Requête a été déposée en français ; sa traduction en anglais a été déposée le 3 février 2006.
2 - Requête, par. 2 et 10 a).
3 - Ibidem, par. 1, 4, 6, 7 et note de bas de page 6.
4 - Voir l’article 126 bis (aux termes duquel toute réponse doit être déposée dans un délai de quatorze jours) ; article 3 E) (concernant la date à laquelle le délai commence à courir si le « document a été déposé dans une langue autre que l’une des langues de travail du Tribunal » (non souligné dans l’original)) ; article 3 A) (selon lequel les langues de travail du Tribunal sont le français et l’anglais).
5 - Le Procureur c/ Popovic, Beara, Nikolic, Borovcanin, Tolimir, Miletic, Gvero, Pandurevic et Trbic, affaire n° IT-05-88-PT (« l’affaire Popovic et consorts »), acte d’accusation modifié consolidé, 28 juin 2005 (« l’actuel acte d’accusation Popovic et consorts »), Voir Ordonnance relative à l’acte d’accusation modifié consolidé, 31 octobre 2005 (par laquelle la Chambre a autorisé l’Accusation à modifier les actes d’accusation dressés contre les accusés dans cette nouvelle affaire unique, et dit que l’acte d’accusation modifié consolidé déposé le 28 juin 2005 serait l’acte d’accusation utilisé dans l’affaire mettant en cause les neuf coaccusés). Cet acte d’accusation remplace donc celui qui était utilisé contre le Requérant avant que la jonction d’instances ne soit décidée. Voir Le Procureur c/ Tolimir, Miletic et Gvero, affaire n° IT-04-80-I, acte d’accusation, 8 février 2005.
6 - Voir, en général, l’actuel acte d’accusation Popovic et consorts, supra note 5.
7 - Voir Le Procureur c/ Milosevic, affaire n° IT-02-54-T, acte d’accusation modifié (Bosnie), 22 novembre 2002 (« l’acte d’accusation Milosevic pour la Bosnie »), par. 32, 33, 35, 36 et 40 (chefs 1 à 7, et 16 à 18). Voir aussi ibid., Annexe A, p. 25.
8 - Le Procureur c/ Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 14.
9 - Ibidem, par. 15.
10 - Voir Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-A, Décision relative à la requête de Hadzihasanovic, Alagic et Kubura aux fins d’accès à des pièces jointes, des comptes rendus d’audience et des pièces à conviction confidentiels de l’affaire Le Procureur c/ Kordic et Cerkez, 23 janvier 2003, p. 4.
11 - Requête, par. 9.
12 - Ibidem.