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1 Le lundi 25 août 2008
2 [Audience publique]
3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 14 heures 20.
6 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bonjour. Madame la Greffière, pourriez-
7 vous, s'il vous plaît, citer l'affaire.
8 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Bonjour à tous. Il s'agit de l'affaire
9 IT-05-88-T, l'Accusation contre Vujadin Popovic et consorts.
10 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci.
11 Pour le compte rendu, je tiens à dire que tous les accusés sont
12 présents dans le box. A l'Accusation, je vois M. Vanderpuye et M.
13 McCloskey. Et pour ce qui concerne les équipes de la Défense, je remarque
14 l'absence de M. Bourgon et de M. Haynes, donc Me Bourgon et Me Haynes
15 manquent à l'appel.
16 Y a-t-il des points à discuter avant de passer à l'ordre du jour ?
17 Non, visiblement.
18 Donc nous allons immédiatement écouter votre premier témoin, Maître
19 Ostojic.
20 M. OSTOJIC : [interprétation] Merci. Bonjour à tous. Notre premier témoin
21 sera le Pr Remetic. Nous avons tous lu son rapport, j'en suis certain.
22 Nous avons aussi donné aux cabines en anglais le rapport, à la fois
23 dans la version en B/C/S et en anglais afin que ce soit plus simple de
24 suivre les débats aujourd'hui, puisqu'il y a quelques termes techniques.
25 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je vous remercie.
26 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Professeur.
27 Pouvez-vous m'entendre ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Bonjour. Oui, je vous entends très bien.
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1 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Je me demande si vous savez qui vous
2 parle. Vous ne regardez pas dans la bonne direction.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] Maintenant, j'ai bien vu. C'est vous qui me
4 parlez.
5 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] En effet.
6 Je vais m'adresser à vous en anglais, et la plupart des débats se
7 tiendront en anglais aujourd'hui, mais on vous traduira tout cela par
8 interprétation simultanée. S'il y a des problèmes d'interprétation, faites-
9 le-moi savoir immédiatement.
10 Vous avez été cité ici en tant que témoin par l'équipe de la Défense de
11 Ljubisa Beara. Avant de commencer votre témoignage, notre Règlement de
12 procédure et de preuve exige que vous fassiez une déclaration solennelle
13 selon laquelle vous direz la vérité. Donc on va vous donner le texte de
14 cette déclaration. Veuillez, s'il vous plaît, lire cette déclaration à
15 haute voix, ainsi vous aurez prêté serment.
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je y aller ?
17 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Allez-y.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
19 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
20 LE TÉMOIN: SLOBODAN REMETIC [Assermenté]
21 [Le témoin répond par l'interprète]
22 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci. Veuillez vous asseoir, mettez-
23 vous à l'aise.
24 Me Ostojic va commencer, ensuite d'autres équipes de la Défense prendront
25 le relais pour le contre-interrogatoire.
26 Vous avez la parole, Maître Ostojic.
27 M. OSTOJIC : [interprétation] Je vous remercie.
28 Interrogatoire principal par M. Ostojic :
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1 Q. [interprétation] Bonjour, Professeur.
2 R. Bonjour.
3 Q. Je m'appelle John Ostojic, et je vais vous poser des questions, et
4 j'espère qu'aujourd'hui nous en aurons au moins fini avec mon
5 interrogatoire principal.
6 Pourriez-vous nous dire tout d'abord quel est votre nom, pour qu'il puisse
7 être inscrit au compte rendu ?
8 R. Je m'appelle Slobodan Remetic.
9 Q. Dans votre CV et dans d'autres documents que vous avez écrits, j'ai
10 remarqué que vous avez un doctorat mais que vous êtes aussi professeur,
11 alors préférez-vous que je m'adresse à vous comme "Professeur Remetic" ou
12 "Docteur Remetic" ?
13 R. Ça n'a aucune importance. Vous pouvez même m'appeler "Monsieur
14 Remetic," ça me suffit.
15 Q. Très bien. Monsieur Remetic, vous avez devant vous un jeu de documents.
16 Pour que le compte rendu soit bien clair, pouvez-vous nous dire exactement
17 de quoi il s'agit ?
18 R. J'ai reçu 18 conversations interceptées. C'est le conseil de la Défense
19 représentant M. Beara qui m'a fourni ces documents. J'ai aussi reçu un CV
20 très court de M. Beara. On m'a aussi donné les déclarations de témoins des
21 agents qui ont soi-disant intercepté les conversations. J'ai reçu aussi la
22 critique de l'INDO, c'est-à-dire leur étude des agents impliqués. C'est à
23 peu près tout.
24 Q. Très bien. Nous allons étudier votre rapport pour essayer de rentrer
25 dans certains détails, mais j'aimerais savoir tout d'abord si le rapport se
26 trouve parmi le jeu de documents qui sont sur la table devant vous, donc
27 rapport daté du 18 avril 2008 ? L'avez-vous ?
28 R. Oui. J'ai sous les yeux le texte du rapport que j'ai envoyé le 18 avril
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1 2008 au conseil de la Défense.
2 Q. Très bien. Afin que les choses soient bien claires, il s'agit de la
3 pièce 2D551.
4 Vous nous dites qu'il y avait 18 conversations téléphoniques
5 interceptées qui sont entre vos mains maintenant. Vous les avez bel et bien
6 sous les yeux, n'est-ce pas ?
7 R. Oui. Je les ai. J'ai ces conversations téléphoniques interceptées,
8 elles sont là sous mes yeux, juste à côté de l'analyse linguistique de ces
9 intercepts.
10 Q. Nous allons les passer en revue dans quelques instants au cours de
11 notre entretien cet après-midi, Monsieur, mais je souhaitais simplement que
12 vous me disiez quelque chose. Dites-nous quelques mots à propos de vous-
13 même. Pourriez-vous nous faire part de votre parcours ? Où êtes-vous né et
14 à quelle date ?
15 R. Je suis né le 3 août 1945 dans le village de Kovacevici, dans la
16 municipalité de Kladanj, dans la République de Bosnie-Herzégovine. J'ai
17 fait des études à l'école primaire et école secondaire à Kladanj. Je suis
18 ensuite allé à l'université à Novi Sad où j'ai obtenu mon diplôme de
19 l'école de langues slavoniques [phon] du sud en 1970. J'ai obtenu une
20 maîtrise à Belgrade en 1976 et mon doctorat, je l'ai obtenu à la faculté de
21 philosophie de Novi Sad en 1984.
22 Q. Merci beaucoup. Pourriez-vous nous dire quelle est votre activité
23 professionnelle à l'heure actuelle, s'il vous plaît ?
24 R. A l'heure actuelle, je m'occupe d'écoutes téléphoniques. C'est de cela
25 que je m'occupe le plus souvent. Mais d'une manière générale, j'enseigne à
26 l'école de philosophie à Banja Luka. Je suis membre de l'Académie des
27 sciences de la Republika Srpska, et je suis responsable d'un projet en
28 Republika Srpska. Je suis également responsable d'un projet ayant trait aux
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1 enquêtes portant sur les dialectes de la langue serbe, étude menée par
2 l'Institut de langue serbe au sein même de l'Académie serbe des sciences.
3 Q. Je note en page 3 de votre rapport, 2D551, je note que vous dressez une
4 liste de vos autres réalisations au plan universitaire; est-ce exact ?
5 R. Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. Je suis membre
6 de plusieurs conseils de publication. En fait, les trois conseils de
7 publication, les trois magazines linguistiques les plus importants de
8 Serbie, le magazine de dialectologie serbe de Belgrade, le magazine de
9 langue slave du sud, ainsi qu'un troisième magazine. Je suis également
10 membre du comité scientifique de l'Académie des sciences et des arts de
11 Serbie. Je suis également secrétaire adjoint du département de littérature
12 et d'arts de l'Académie des sciences et des arts de Republika Srpska. Je
13 suis membre du conseil de publication de l'Encyclopédie Republika Srpska.
14 Comme vous pouvez le constater, mes charges sont nombreuses, aussi
15 nombreuses que le sont mes devoirs.
16 Q. Je souhaitais simplement, effectivement, que nous revenions sur
17 certains éléments de votre curriculum vitae qui figurent dans votre
18 rapport. C'est la raison pour laquelle je vous ai posé des questions. Merci
19 d'y avoir répondu.
20 Je note également que vous faites apparaître différentes publications
21 dans votre rapport; est-ce exact ? Notamment quatre pages de publications
22 dont vous avez été l'auteur ou co-auteur et qui ont trait spécifiquement à
23 la science de la dialectologie serbe et linguistique ?
24 R. J'ai publié plus de 200 documents scientifiques et professionnels qui
25 ont été publiés par l'Académie des sciences de Serbie ainsi que par
26 d'autres maisons d'éditions, tant chez moi qu'à l'étranger. Je suis
27 également membre de la commission de l'atlas de langues slaves du sud au
28 sein du comité des experts des langues slaves. Je suis également au conseil
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1 de publication de l'atlas des dialectes généraux. J'ai également publié
2 environ 40 cartes de dialectologie ayant trait aux langues slaves et de
3 ceux dans la zone des Carpates. J'ai essentiellement travaillé sur la
4 dialectologie, mais j'ai également travaillé à la question de l'histoire de
5 la littérature en langue serbe.
6 Q. Quand avez-vous été contacté pour la première fois par l'équipe de la
7 Défense de Beara afin que vous procédiez à un examen des entretiens des
8 écoutes téléphoniques ?
9 R. J'ai été contacté par cette équipe de la Défense de Beara en octobre de
10 l'année dernière. On m'a contacté par téléphone. J'étais à Sarajevo, je
11 crois, à l'époque, et c'est à ce moment-là que notre coopération a démarré.
12 Q. Avant cette date d'octobre 2007, connaissiez-vous, à titre personnel,
13 des membres, quels qu'ils soient, de l'équipe de la Défense de M. Beara, y
14 compris des conseils de la Défense ou leurs effectifs ?
15 R. Non, je n'en connaissais strictement aucun avant le mois d'octobre.
16 Q. Avant octobre 2007, connaissiez-vous M. Ljubisa Beara ou quelque membre
17 que ce soit de sa famille ?
18 R. Les gens connaissent d'une manière générale ce patronyme "Beara", parce
19 que le footballeur le plus célèbre répondait au nom de Beara. Ceci étant
20 dit, je ne connaissais pas le nom de M. Ljubisa Beara. En octobre, lorsque
21 j'ai été contacté, je ne savais pas de qui vous me parliez. Ça n'est que
22 lorsque j'ai rencontré les avocats à Belgrade que j'ai appris quel était le
23 nom de la personne pour qui je devais déposer à décharge.
24 Q. Afin que le compte rendu soit parfaitement clair, vous ne connaissiez
25 aucun membre de sa famille non plus; c'est exact ?
26 R. Non, je ne connaissais personne à cette époque-là. J'ai eu l'occasion
27 de rencontrer sa femme par la suite, mais ma réponse est "non".
28 Q. Pourriez-vous nous dire très brièvement quelles sont les tâches qui
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1 vous ont été confiées dès lors qu'il s'agissait de procéder à un examen des
2 écoutes téléphoniques ? Quelles sont les tâches qui vous avaient été
3 confiées ?
4 R. Mes attributions – en tout cas, c'est ainsi que je les ai comprises –
5 étaient les suivantes. Il s'agissait pour moi d'examiner les écoutes
6 téléphoniques supposées, d'en faire une analyse et de voir dans quelle
7 mesure on pouvait attribuer les propos à M. Beara. Il s'agissait pour moi
8 de voir si les termes en lesquels il était supposé s'être exprimé étaient
9 bien ceux qui étaient à ma disposition dans ces écoutes téléphoniques,
10 parce que sur la base des écoutes téléphoniques dont je disposais, l'on
11 disait qu'effectivement ces propos avaient été tenus par M. Beara.
12 Q. Vous a-t-on confié quelque autre tâche ou avez-vous eu quelque autre
13 relation professionnelle à cet égard depuis octobre 2007, autre tâche
14 professionnelle que celle qui consistait à procéder à une analyse ?
15 R. Je ne me souviens pas très bien à quel moment l'on m'a dit qu'il
16 fallait que je m'intéresse également au sens sémantique de certains des
17 termes utilisés. Je ne me souviens pas à quel moment on m'a demandé de
18 m'intéresser à cela. Il me semble que le terme en question était le terme
19 "triage" et le mot "Ljubo" et le statut du terme "Ljubo" parmi les noms
20 serbes. On m'avait confié la tâche de voir à qui pourrait faire référence
21 le nom "Ljubo" en me fondant sur mon expérience et sur la littérature. Ce
22 sont là les deux missions qui m'avaient été confiées. On m'avait demandé
23 que j'attache une attention toute particulière à ces deux éléments.
24 Q. Merci beaucoup. Monsieur le Professeur, nous allons maintenant examiner
25 deux ou trois petites choses qui nous permettront de mieux comprendre votre
26 rapport. Et je vais commencer par vous poser des questions d'ordre tout à
27 fait général, et je vous demanderais très gentiment de bien vouloir nous
28 expliquer quelle est la signification des termes que je vais utiliser. Le
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1 premier terme, de manière à ce que nous soyons tous sur la même longueur
2 d'onde, le premier terme, une étude de linguistique, qu'est-ce ?
3 R. Qu'entendez-vous par "étude de linguistique" ?
4 Q. L'étude des langues d'une manière générale, et plus particulièrement
5 l'étude des dialectes. Ensuite, nous passerons aux dialectes et à la
6 dialectologie, mais pourriez-vous nous dire ce qu'est la linguistique ?
7 R. La dialectologie, vous souhaitez savoir ce que cela veut dire ?
8 Q. Oui.
9 R. La dialectologie est une discipline scientifique relevant de la
10 linguistique qui s'intéresse particulièrement aux dialectes de différentes
11 populations. La dialectologie, en tant que discipline en Europe, a pris son
12 essor au XIXe siècle, renforçant ainsi sa crédibilité.
13 Pour nous, c'est au début du XXe siècle que la dialectologie a fait
14 ses premiers pas en tant que discipline scientifique en Serbie. Le premier
15 dialectologue était Vuk Karadzic. Vuk Karadzic est le dialectologue qui a
16 procédé à la première séparation entre les dialectes.
17 La dialectologie, c'est une discipline essentielle puisqu'elle est
18 corroborée par le fait qu'en Serbie il existe deux linguistes du XIXe
19 siècle de renom qui étaient au premier chef des dialectologues. Aleksandar
20 Belic, pour le premier, qui était le fondateur de la dialectologie en tant
21 que discipline scientifique, qui était membre de toutes les académies
22 slaves de science. Et son meilleur élève, Pavel Ilic, étant le deuxième, il
23 était, lui, membre de huit académies des sciences, dont l'Académie
24 américaine des sciences, l'Académie russe des sciences, l'Académie des
25 sciences de Vienne, et en Serbie. Il était également dialectologue
26 travaillant pour l'Encyclopédie Brittanica. Il était chargé de traiter des
27 questions de dialectes dans cette encyclopédie. La dialectologie est une
28 science éminente, et ce, en raison des questions sur lesquelles elle se
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1 penche.
2 En effet, les dialectes sont des sources inépuisables de données et
3 d'informations portant sur la vie d'une population ou d'une nation donnée.
4 Dès lors qu'il s'agit de se pencher sur les faits linguistiques qui sont
5 disponibles aux uns et aux autres, ceci reflète l'ensemble de l'histoire,
6 l'ensemble du passé, des relations au sein d'une société, de la culture et
7 des connaissances; elles reflètent également les cultures spirituelles et
8 religieuses. Les dialectes fournissent des informations essentielles qui
9 sont particulièrement précieuses dans le cadre de différentes disciplines,
10 pour la recherche interdisciplinaire également, et c'est la raison pour
11 laquelle la dialectologie constitue une science d'un tel renom, et c'est la
12 raison pour laquelle elle est à ce point appréciée dans les cercles
13 spécialisés dans la linguistique.
14 Un exemple, la science des noms, l'onomastique, la science qui porte
15 sur le nom des localités, des rivières, des montagnes, reflète les traits
16 différents et variés de toutes les civilisations qui ont vécu sur le
17 territoire de la zone en question. Or, nous savons fort bien à l'heure
18 actuelle que bien avant l'arrivée des Romains dans la cour de Cléopâtre, on
19 parlait du sud du Danube, du sud de la Brava, la Morava, et cetera. Bien
20 avant cela. Ce sont là des faits qui montrent à quel point la dialectologie
21 est importante en sa qualité de discipline scientifique.
22 Parmi les Serbes, mais également parmi les Croates, les principaux
23 linguistes du siècle passé sont des dialectologues. Par exemple, Brozovic
24 est un linguiste important, mais c'est essentiellement un dialectologue.
25 Et je souhaiterais également définir, si vous le permettez, ma
26 position. Les dialectes sont en péril à l'heure actuelle, ils sont menacés.
27 Le temps presse pour la dialectologie parce que les civilisations et les
28 différentes formes de littérature suppriment les dialectes. Les dialectes
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1 sont mis en péril, ils sont menacés d'extinction, et c'est la raison pour
2 laquelle les dialectologues font front commun afin de mener une tâche qui
3 n'a pas été menée à bien et qui doit impérativement l'être, nous sommes en
4 retard sur les autres régions du monde chez nous, dans les Balkans.
5 Et je souhaite ajouter ceci, il y a un certain nombre de dialectes,
6 dialectes serbes, croates et bosniaques, bien entendu, également, qui sont
7 éminemment intéressants du point de vue de la typologie. Ils témoignent du
8 fait que l'histoire de cette région a eu pour conséquence toute une
9 mosaïque de dialectes avec des relations les uns avec les autres qui sont
10 souvent très rares sur le territoire européen. Nos accents dans nos
11 dialectes sont quelque chose de tout à fait rare. Même dans le reste du
12 monde, on n'en trouve que très peu d'exemples. Et nombreux sont les
13 étrangers qui ont essayé d'écrire des ouvrages sur nos dialectes, parce que
14 nos dialectes sont un véritable défi pour eux et une source d'inspiration,
15 même pour des scientifiques étrangers qui, très souvent, se sont penchés
16 sur les questions relatives à nos dialectes.
17 Q. Merci, Monsieur le Professeur. Je ne suis pas un dialectologue, mais je
18 souhaiterais savoir ceci.
19 Vous nous avez dit que les dialectes nous fournissent une source
20 intarissable d'informations sur la façon dont vivent les nations et les
21 peuples. Ce que je souhaiterais que vous nous disiez de façon très précise,
22 Monsieur le Professeur, c'est la chose suivante : vous est-il possible
23 d'obtenir des informations sur une personne à titre individuel en vous
24 fondant sur le dialecte qu'elle parle et les caractéristiques de la façon
25 dont elle s'exprime dans un entretien ? Est-ce que vous avez cette
26 possibilité-là ?
27 R. Je souhaite clarifier deux points. D'un côté, la recherche des
28 dialectes sur le terrain, à ce moment-là on étudie les porteurs autochtones
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1 du dialecte, les habitants illettrés ou lettrés résidant dans la région qui
2 fait l'objet de l'étude dans le cadre de l'étude du dialecte. C'est là
3 qu'il est clair quelles sont les différences. Mais il est vrai que la
4 civilisation a laissé ses traces, et il n'y a pas de dialecte absolument
5 pur nulle part aujourd'hui. Peut-être on en parlera un peu plus tout à
6 l'heure. Et s'agissant des personnes éduquées dont le statut n'est pas
7 rural, donc il ne s'agit pas là de citoyens de contrées rurales éloignées,
8 la chose est différente. Mais l'on dit depuis toujours qu'il existe des
9 choses qu'on ne peut pas cacher. La toux, l'amour, la pauvreté et le
10 dialecte ne peuvent pas être cachés.
11 La différence s'agissant des recherches au sujet des dialectes orthodoxes
12 et les tentatives de déterminer chez une personne éduquée le dialecte, la
13 différence de dialecte est comme suit : dans les dialectes, vous allez
14 trouver des traces d'un langage littéraire, alors que chez une personne
15 éduquée vous allez chercher les traces de dialecte. Donc les proportions
16 sont renversées dans les deux cas. Mais de toute façon, il est extrêmement
17 difficile, presque impossible, de cacher son origine dialectique.
18 Q. Donc ai-je raison de dire que les caractéristiques de dialecte peuvent
19 être utilisées en tant qu'identifiants fiables ?
20 R. Le degré de la fiabilité s'agissant de la détermination de l'identité
21 est directement proportionnel à la quantité des faits linguistiques, avec
22 le corps linguistique dont dispose l'expert qui essaie de déterminer
23 l'identité. Plus ce corps est riche, plus les chances de réussir sont
24 grandes. Un corps pauvre rend la tâche plus difficile.
25 Lorsque l'on fait des recherches sur le terrain au sujet du dialecte, la
26 situation du chercheur est bien plus avantageuse, car il connaît la
27 problématique, il peut amener ses interlocuteurs à parler des sujets qui
28 vont faire remonter à la surface les paroles, les formes, les expressions
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1 qui sont pertinentes pour lui afin qu'il puisse arriver à sa détermination.
2 Dans des cas tels que celui qui nous concerne, vous avez ce que vous avez,
3 ce que vous avez reçu.
4 Q. Nous allons revenir au corps linguistique que vous identifiez dans
5 votre rapport, mais ma question est la suivante : est-ce que nous pouvons
6 utiliser les caractéristiques dialectales afin d'identifier des personnes,
7 par exemple, si vous écoutez ou lisez le texte de quelqu'un, est-ce que
8 vous pouvez déterminer en écoutant la voix de la personne s'il vient d'une
9 région ou d'une autre ?
10 R. Dans la plupart des cas, ça peut être déterminé. Par exemple, de mon
11 expérience personnelle, j'ai grandi en Bosnie, et le dialecte en
12 Herzégovine est ijkavien. Et après, j'ai vécu à Belgrade et j'ai continué
13 pendant longtemps à Belgrade de parler ijkavien. Par la suite, j'ai parlé
14 ijkavien aussi en tant que responsable de l'Académie des arts et des
15 sciences, et après j'ai commencé à parler en ékavien, ce qui n'est pas
16 difficile. Mais lorsque je parlais avec les gens que je connaissais ou que
17 je ne connaissais pas, je n'ai jamais essayé de cacher mon identité. Et on
18 m'a demandé des centaines de fois si je venais d'Uzice. Et Uzice est une
19 ville de la Serbie occidentale dont le dialecte ressemble à celui de ma
20 région. Et lorsque, avant de venir à La Haye, j'ai parlé avec Mme Beara,
21 lorsque nous nous sommes rencontrés, elle m'a dit que je parlais comme
22 quelqu'un d'Uzice, que je tergiversais un peu comme quelqu'un d'Uzice.
23 Lorsque l'on parle des faits linguistiques qui permettent de déterminer un
24 dialecte, l'on pense au dialecte dans son ensemble, donc le système
25 linguistique, le système dont certaines caractéristiques sont très
26 importantes. Par exemple, l'accent. L'accent ne peut pas être caché.
27 La langue serbe contient des dialectes. Les dialectes ont quatre
28 inventaires. Il y en a avec quatre accents, il y en a avec trois, il y en
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1 avec deux accents, voire un seul, comme l'anglais ou l'allemand. Après la
2 durée des vocaux, après les accents ne peuvent pas être cachés et
3 trahissent les gens. Il s'est avéré dans la pratique que les gens qui sont
4 nés sur le terrain et qui n'ont pratiquement pas d'accent et qui n'ont pas
5 une longue voyelle après une syllabe soulignée ne peuvent pas être imités.
6 J'ai écouté le discours de Belic, un enregistrement de son discours,
7 et Belic c'était un grand linguiste en Serbie, il venait de Belgrade, et il
8 n'avait pas de longues voyelles après les syllabes soulignées, ce qui est
9 une caractéristique de Belgrade. Puis nous savons qu'il existe une autre
10 forme de dialecte ékavien, et ce sont les gens qui préservent le mieux la
11 politonie [phon]. L'un des experts les plus importants de la langue
12 ékavienne était le professeur Jovan Vukovic, qui venait de Dermitol [phon]
13 et qui vivait à Sarajevo. Il existe des personnes qui abrègent leurs
14 voyelles. Ensuite il existe des manières différentes d'exprimer le même
15 mot. Certaines personnes avalent les voyelles. Comme Zivanovic écrivait,
16 certaines personnes raccourcissent leurs voyelles ou mélangent le "ch" et
17 le "zh." Certaines caractéristiques ne peuvent pas être cachées.
18 Donc il est possible, sur la base de cela, de faire des
19 déterminations au sujet d'un individu.
20 Q. Merci. Nous allons parler de cela lorsque l'on parlera des
21 détails, mais on a parlé des caractéristiques linguistiques. Quelles sont
22 les variations dialectales ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer cela ?
23 R. S'agissant des variations dialectales, vous parlez de la langue
24 littéraire serbo-croate je suppose ?
25 Il est connu que récemment, au cours des événements qui ont ébranlé
26 les Balkans, la communauté serbo-croate linguistique s'est démantelée avec
27 l'Etat commun. Mais il est également connu que les Serbes et les Croates
28 depuis 100 ans avaient une même langue littéraire : serbo-croate ou croato-
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1 serbe, comme on les appelait. Voici comment ça s'est fait: à Zagreb, en
2 1889, après de longues polémiques et débats déments, l'assemblée croate a
3 pris la décision de prendre la version stokavienne de la langue comme
4 langue commune de type de Vuk Karadzic. Immédiatement après, à Zagreb, l'on
5 a préparé et imprimé les instruments et les manuels de cette langue. En
6 1892, Ivan Broz a publié le manuel croate. Ensuite Tomo Maratic [phon], un
7 grand scientifique, a publié la grammaire de la langue serbo-croate.
8 Ensuite, en 1902, Ivan Broz et son oncle, Vrankovic [phon], ont publié le
9 dictionnaire de la langue serbe ou croate. Dans les préambules de ces
10 ouvrages, il est écrit que ceci a été rédigé suivant les modèles de Vuk
11 Karadzic et de son illustre disciple Danicic et que les exemples de la
12 plupart des manuels ont été tirés des œuvres de Vuk Karadzic et de Danicic.
13 Ceci a été expliqué par le fait que l'auteur souhaitait tirer ses exemples
14 de celui qui était le meilleur en la matière, et il a dit que Vuk Karadzic
15 chez nous était ce que Cicero était pour Rome. Donc c'était une époque où
16 les gens souhaitaient converger vers les buts communs, et donc une langue
17 commune a été créée. Cependant, la langue n'a jamais été la même. Dès le
18 début, il y avait des différences et des variations régionales. Pour des
19 raisons de l'histoire, la variante orientale de la langue est restée
20 ékavienne à Belgrade et ijkavienne à Zagreb. Il y a eu des tentatives
21 visant à unifier les deux, mais ceci a échoué. Il y a eu des différences
22 continuelles entre la variante orientale et occidentale s'agissant du
23 lexique des mots, et c'est la raison pour laquelle à Zagreb, comme c'était
24 le cas d'autres langues des Slaves placés sous la monarchie des Hapsburg,
25 ils traduisaient les mots germaniques par crainte de la germanisation de
26 leurs langues, alors qu'en Serbie, nous avons adopté des mots. Par exemple,
27 en Serbie, on continuait à manger une "schnitzel", alors qu'à Zagreb
28 c'était "obrezak". Donc les normes linguistiques, les normes prescrites
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1 étaient les mêmes, mais dans la pratique linguistique il y avait des
2 différences.
3 Ce qui est important pour nous est que lorsqu'il s'agit de la "jat,"
4 de la longue "jat," c'est-à-dire le réflexe ijkavien de la "jat," ça se
5 reflète dans des expressions comme "lijepo" [phon], "dijeta" [phon], ce qui
6 est prescrit par l'orthographie, mais lorsque l'on entend les gens parler à
7 Zagreb, vous pouvez, encore aujourd'hui, entendre à la place de cela,
8 "lijepo" ou "dijeta". C'est une forme abrégée de "jat." Ceci illustre ces
9 variations dialectales.
10 Q. Merci. Je pense que nous comprenons maintenant quelles sont les
11 variations dialectales --
12 R. Est-ce que vous pouvez répéter la question. Je n'ai pas bien entendue.
13 Q. Oui. Merci, Professeur. Je souhaite attirer votre attention sur la
14 dernière page de votre rapport, page 30. Et c'est la raison pour laquelle
15 je vous ai posé une question au sujet des variations dialectales et des
16 caractéristiques linguistiques. Est-ce que vous pourriez me donner une
17 brève réponse à cela. Nous allons revenir aux dialectes et aux variations
18 suivant les régions, mais ma question, si l'on examine votre rapport,
19 l'avant-dernier paragraphe, vous faites référence aux traits
20 morphologiques, et dans votre réponse précédente, vous en avez parlé un
21 peu. Est-ce que vous pouvez nous permettre de mieux comprendre les traits
22 morphologiques ?
23 Et j'attire votre attention sur l'avant-dernier paragraphe à la page 30.
24 R. Je ne suis pas sûr que les pages sont numérotées de la même manière
25 dans les deux cas. Vous parlez de la conclusion, n'est-ce pas ?
26 Q. Oui. L'avant-dernier paragraphe, donc je pense que –
27 L'INTERPRÈTE : Me Ostojic parle hors micro.
28 M. OSTOJIC : [interprétation] Il s'agit de la page 29, je crois, en B/C/S.
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1 Q. Je souhaite simplement établir un fondement pour mieux vous comprendre.
2 Voici comment commence le paragraphe. Est-ce que vous avez trouvé la
3 dernière page ? Vous pouvez mettre peut-être vos écouteurs sur votre tête.
4 Ça va vous aider.
5 R. Vous savez, lorsqu'une tête est petite, c'est comme ça que ça se passe.
6 Q. D'accord.
7 R. Dites quelque chose et je vais voir si je vous entends. Oui,
8 maintenant c'est mieux.
9 Q. Oui. Le paragraphe, c'est l'avant-dernier paragraphe de votre rapport
10 du 18 avril 2008. Il commence comme suit :
11 "Une comparaison de la langue utilisée dans les conversations
12 interceptées prétendument et la manière dont M. Beara parle actuellement
13 fait remonter à la surface leur opposition diamétrique."
14 Ensuite, vous identifiez ces variations dialectales et ses traits
15 morphologiques. Est-ce que vous pourriez examiner la page 29 de votre
16 rapport ?
17 R. [aucune interprétation]
18 Q. Est-ce que vous pouvez voir le mot surligné dans la dernière phrase de
19 la page 29, où il est dit "sorj" ?
20 R. Oui, je vois.
21 Q. Et juste au-dessus, vous parlez d'un trait morphologique.
22 R. Je vois.
23 Q. Je souhaite que vous nous expliquiez ce que ça veut dire. Nous
24 reviendrons à la conclusion, mais est-ce que vous pouvez nous dire du point
25 de vue linguistique ce que ça veut dire, un trait ou des traits
26 morphologiques, du point de vue d'un dialectologue ?
27 R. Les traits morphologiques, ce sont les formes. C'est la déclinaison et
28 la conjugaison. Ce sont les formes des cas des noms, des adjectifs, des
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1 verbes, et ensuite nous avons la phonologie, qui fait référence aux sons.
2 Donc ici, il s'agit des mots.
3 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire quel est le domaine lexique, ce que ça
4 veut dire, plutôt ? Car vous faites référence dans votre rapport à cela. Je
5 pense que c'est trois mots après les "traits morphologiques."
6 R. Le lexique, ce sont les mots. La langue en tant que système contient
7 plusieurs domaines. Nous avons le domaine chronologique, morphologique,
8 lexique et syntaxique. Le système lexique est le plus ouvert aux influences
9 extérieures. Un dicton dit : La langue ne connaît pas de confessions ni de
10 frontières. Avec les mots empruntés des autres communautés, la morphologie
11 change aussi. Donc il s'agit là des mots du domaine de la culture
12 matérielle et spirituelle de la vie. Ça, c'est le vocabulaire. Ça, c'est le
13 lexique. C'est là qu'il y a le plus de mots empruntés dans chaque langue,
14 car ce système-là est le plus ouvert aux influences extérieures. Nos
15 dialectes, bien sûr, sont tels que –- vous savez, il s'agit d'une région où
16 l'histoire a été turbulente. Nous avons eu des invités que l'on a invités
17 et ceux que l'on n'a jamais invités et qui sont venus quand même. Vous
18 savez, sur le littoral, il y a beaucoup de mots italiens. Ensuite, dans le
19 nord des mots hongrois. Ensuite, nous avons beaucoup de mots turcs. Vous
20 savez, pendant des siècles l'on a vécu avec les Turcs. Ensuite, des
21 germanismes sont courants. Bien sûr, on comprend pourquoi. Après la
22 Deuxième Guerre mondiale notamment, la langue russe a joué une grande
23 influence. La morphologie s'est approchée, et maintenant on n'arrive pas à
24 se défendre des anglicismes, et l'on parle d'une langue anglo-serbe. Ça a
25 toujours été comme ça et ça restera toujours le cas.
26 Q. Je souhaite clarifier un mot que vous avez mentionné tout à l'heure.
27 Lorsque l'on parle de ces régions et des influences d'autres entités dans
28 l'ex-Yougoslavie, vous parlez du mot "topologie" à la page 10, ligne 3.
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1 Est-ce que vous pouvez expliquer cela ? C'est à la page –- en fait, 10,
2 ligne 3 du compte rendu d'audience aujourd'hui, non pas de votre rapport.
3 Qu'est-ce que vous voulez dire par ce mot "topologie" ?
4 R. Il s'agit là d'une faute de frappe, car j'ai parlé de la typologie.
5 Donc, il s'agit de la typologie, la typologie des dialectes. Il s'agit des
6 types de dialectes et de la classification des dialectes suivant les types
7 différents. Donc, il s'agit d'un lapsus si c'est moi-même qui ai parlé de
8 la topologie, ou bien c'est une faute de frappe peut-être.
9 Q. Merci, je souhaitais clarifier cela. Il y a quelques d'autres
10 définitions, excusez-moi, mais je souhaite que l'on comprenne mieux ces
11 termes. Qu'est-ce que ça veut dire les diachroniques linguistiques, la
12 diachronie linguistique ?
13 R. La diachronie, c'est l'étude historique de la langue. La linguistique
14 diachronique est la linguistique qui se penche sur l'histoire de la langue,
15 d'une forme de la langue. Le contraire de cela est la synchronie. Ça veut
16 dire, les études contemporaines ou les études limités dans le temps, d'une
17 caractéristique d'une langue. Aujourd'hui ceci se réfère surtout aux études
18 de la langue contemporaine, de l'état de la langue contemporaine. Donc la
19 diachronie, c'est l'histoire, et la synchronie, c'est le présent, pour
20 l'exprimer le plus simplement possible.
21 Q. Dites-nous, s'il vous plaît, est-ce que les régions et les républiques
22 différentes de l'ex-Yougoslavie comportaient des variations suivant les
23 républiques s'agissant des dialectes ou est-ce que les gens d'une certaine
24 région parlaient en dialecte caractéristique ?
25 R. S'agissant de l'espace linguistique serbo-croate, celui-ci comporte
26 trois complexes linguistiques : stokavien, chakavien et kajkavien. Le
27 dialecte stokavien est le plus répandu. Le chakavien a été créé au Moyen
28 Age dans la Croatie médiévale et les régions limitrophes, et le kajkavien
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1 trouve ses origines dans la zone pannonienne de la Croatie d'aujourd'hui,
2 dans la Slavonie. Les frontières de ces trois dialectes changeaient. Il y a
3 eu des migrations qui sont un fait très important, et lorsque les Turcs ont
4 effectué leurs percées, il y a eu des déplacements importants. La migration
5 de masse a eu lieu, et le dialecte chakavien a été repoussé, alors que le
6 dialecte stokavien s'est répandu. Et le stokavien et chakavien se
7 ressemblent plus, alors que la version kajkavienne s'approche un peu plus
8 de la langue slovène.
9 Q. Merci, Professeur, mais il est difficile pour les sténotypistes de vous
10 suivre, et je m'en excuse. Vous avez parlé du dialecte kajkavien, et vous
11 avez parlé d'un autre qu'ils n'ont pas saisi, mais c'était chakavien,
12 n'est-ce pas ? C-h-a-k-a-v-i-e-n. Je vous demande cela simplement pour
13 corriger le compte rendu d'audience.
14 R. Nous nous sommes réunis ici aujourd'hui afin de traiter de certaines
15 choses, et ce qui nous concerne, dans ce contexte, c'est la version
16 chakavienne, et pratiquement pas du tout kajkavienne. Je dis que la version
17 chakavienne a été créée dans la Croatie médiévale avec le littoral et sur
18 les îles. Et on considère que la frontière avec la version stokavienne dans
19 le temps suivait la ligne des rivières Una –-
20 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas saisi l'autre nom.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] -- et par la suite cette frontière a été
22 déplacée en raison des migrations. Si vous le souhaitez, je peux m'étaler
23 dans plus de détails.
24 M. OSTOJIC : [interprétation]
25 Q. Pour le moment, ça nous suffit. Merci. Je souhaitais simplement
26 m'assurer que le compte rendu d'audience va être corrigé pour nous
27 permettre de vous suivre.
28 Dites-nous, est-ce qu'au sein de chacun de ces dialectes différent,
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1 par exemple le chakavien, est-ce qu'il y a des dialectes différents suivant
2 les régions différentes ?
3 R. Comme je l'ai dit au début, le complexe dialectal de la langue serbe,
4 croate et bosnienne comporte de grandes différences. On a de véritables
5 mosaïques, et ceci vaut pour la version chakavienne aussi. Dans la version
6 chakavienne, nous avons trois groupes principaux de la langue. A l'ouest,
7 nous avons l'ékavien et le chakavien, et un peu plus au sud, nous avons
8 ijkavien, "dica" comme on dit à Split, par exemple, et puis l'on a une
9 version transitoire "ekavsko-ikavskis" [phon] qui ne nous concerne pas dans
10 notre contexte. Et tout au sud, dans l'île de Lastovo, on parle ékavien.
11 Donc dans la version chakavienne, on a l'ékavien, l'ikavien et l'ijekavien.
12 Ça vaut aussi pour le chtokavien, et seuls les kajkaviens ne l'ont pas,
13 mais l'on parlera encore plus des différences ékaviennes et ijkaviennes.
14 Dans la répartition des dialectes, c'est la "jat" qui a le rôle
15 principal, le statut de "jat" est le plus important afin d'établir les
16 différences au sein du complexe linguistique.
17 Q. Nous allons revenir au "jat" et nous allons parler d'autres
18 traits également. Mais pour le moment, avec la permission de la Chambre, je
19 souhaite attirer votre attention sur l'annexe 3 de votre rapport, c'est une
20 carte des dialectes. J'ai le livre original auquel vous avez fait
21 référence.
22 Avec la permission de la Chambre, j'ai fourni à mes éminents
23 collègues ce livre pour qu'ils puissent le voir. C'est le seul original que
24 j'ai. Je pense que les couleurs sont mieux présentées, et si la Chambre ne
25 s'y oppose pas, même s'il ne figure pas sous forme électronique, peut-être
26 que nous pourrions parcourir rapidement ce livre pour voir les régions
27 différentes. Il y a trois pages qui nous concernent, qui sont en annexe de
28 ce rapport.
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1 Professeur, le livre sera affiché sur le rétroprojecteur, mais pourriez-
2 vous me dire avant que nous le voyions de quoi il s'agit exactement ?
3 R. Ce livre, c'est un extrait de l'Encyclopédie de Yougoslavie. Cet
4 extrait s'appelle "La langue serbo-croate, croato-serbe, croate ou serbe",
5 et nous voyons un résumé de l'historique du langage populaire, du langage
6 littéraire et des dialectes parlés en Serbie et en Croatie. Ce livre
7 provient de deux linguistes prééminents, un Serbe et un Croate, qui étaient
8 des personnes à la tête du domaine linguistique. Il s'agit de Pavel Ilic,
9 qui est un membre de l'Académie des arts et des sciences, j'ai déjà
10 mentionné son nom, et un autre membre de l'Académie, M. Brozovic, qui est
11 un Croate d'origine, et il est encore en vie aujourd'hui. Donc c'est un
12 résumé.
13 Q. Monsieur, vous en parlez dans votre annexe 3, j'aimerais simplement
14 m'assurer que nous puissions tous voir cet extrait.
15 Le premier extrait que nous voyons est à l'écran devant vous, et nous
16 avons également la même page sur le rétroprojecteur. C'est bien l'exemple
17 du chakavien, n'est-ce pas ?
18 R. Oui. Voilà, ici, oui. Tout à fait. Voilà. C'est le dialecte chakavien.
19 Q. En fait, c'est ce que nous voyons également en haut de la page, n'est-
20 ce pas ? Un peu plus bas, nous ne pouvons pas encore le voir sur le
21 rétroprojecteur, mais il y a plusieurs dialectes différents pour chaque
22 région, et j'aimerais demander que l'on fasse un zoom afin que nous
23 puissions voir de quels dialectes il s'agit. Vous verrez un petit peu, en
24 bas et à gauche, il y a une légende en couleur, et la partie inférieure
25 gauche de la page explique ce que représentent les diverses couleurs. Vous
26 nous avez déjà parlé des dialectes, ces couleurs représentent les divers
27 dialectes que vous avez déjà mentionnés ?
28 R. Oui.
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1 Q. J'aimerais passer maintenant à la page suivante. C'est une page de deux
2 pages, en fait. Il s'agit d'une carte de l'ex-Yougoslavie et des diverses
3 régions qu'elle comprenait. On identifie sur cette page les endroits où
4 l'on parle chtokavien.
5 R. Oui.
6 Q. Et la troisième page, c'est le dialecte kajkavien qui y est représenté.
7 R. Oui. Mais pour nous, c'est ce qui est pertinent pour ce qui en est de
8 notre rencontre d'aujourd'hui, c'est ce qui nous intéresse. Pour ce qui est
9 du chakavien, il n'y a que le chakavien et l'ikavien de la région de Split
10 qui nous intéresse aujourd'hui.
11 Q. J'aimerais simplement ajouter quelque chose pour que l'on comprenne un
12 peu plus précisément. Pour que tout soit encore plus limpide, j'aimerais
13 vous demander de reprendre la première photo qui représente le langage
14 chakavien avec ses divers dialectes. J'aimerais vous demander, c'est
15 pertinent pour cette affaire en l'espèce. Pourriez-vous nous montrer les
16 diverses régions où l'on parle le chakavien ?
17 R. Dans la langue chakavienne, il existe des différences, pour nous ce
18 n'est pas tout à fait pertinent aujourd'hui. Nous avons en haut à l'ouest
19 l'ékavien. L'ékavien se trouve dans le mot, par exemple, "pesma" [phon], et
20 il est gardé dans la déclinaison. Telle que nous l'employons aujourd'hui,
21 par exemple, lorsqu'on dit "ugradu" [phon], dans la ville, nous avons gardé
22 l'ancienne variante "vagrada" [phon], et ensuite entre l'ékavien en bleu,
23 nous avons une zone de transition entre l'ékavien et l'ijkavien, et
24 l'ékavien et l'ijkavien également, où selon Myer et Kabinsky [phon], le
25 "jat" donne la voyelle soit e ou la voyelle i, alors qu'au sud, nous avons
26 Lastovo et c'est là que l'on emploie encore le langage ékavien.
27 Je ne sais pas si cela vous intéresse, mais je pourrais vous parler
28 des caractéristiques phonétiques qui précisent le territoire chakavien.
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1 Vous avez une demi-voyelle. De sorte qu'à Krk nous voyons "a" et "o", mais
2 qu'au cours Dandenos [phon] alors que Cres Dobrijne [phon] et à Krk nous
3 avons un long "a" à une courte lettre "e". Pour ce qui est des
4 caractéristiques du chakavien, nous avons tout l'ensemble du territoire
5 chakavien qui est influencé par la langue romane. C'est là que vous avez
6 différents adriatismes. On a d'abord parlé de dalmatinismes ensuite
7 d'adriatismes et ces dernières sont déjà employées dans la science, c'est-
8 à-dire qu'on les définie de cette façon-là. Il y a plusieurs influences
9 romanes, car ils avaient des voisins divers, donc la lettre "L" passe à la
10 lettre "J", donc Ljubo et Ljobor [phon] et ensuite nous avons
11 "jestamonisam" [phon], et ensuite il y a les anecdotes entre "nisam" [phon]
12 et "jesam" [phon] dont nous avons parlé lorsque nous nous sommes entretenus
13 avec M. Beara, et cetera. Pour ce qui nous concerne en l'espèce, ce qui
14 nous intéresse réellement le plus, c'est le dialecte ikavien chakavien de
15 Split.
16 Q. Très bien. Merci beaucoup. Nous allons y revenir. J'ai encore une autre
17 question pour vous, Monsieur le Professeur.
18 M. OSTOJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, et Mme
19 l'Huissière. Je n'aurai plus besoin du livre, mais je voulais simplement
20 m'assurer que la couleur soit photocopiée de façon à ce que nous voyions
21 les bonnes couleurs, car il est important de voir les dialectes qui se
22 trouvent sur ces pages grâce à ces couleurs. Voilà.
23 Si je puis continuer, avec votre permission.
24 Q. Monsieur le Professeur, j'aimerais vous poser une autre question. Ces
25 dialectes, est-ce que ce sont des dialectes qui sont uniques, qui sont
26 distincts ? Est-ce qu'une personne telle que vous, étant dialectologue,
27 est-ce que vous pouvez immédiatement déceler d'où provient une personne dès
28 qu'elle ouvre la bouche ?
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1 R. Les dialectes sont différents. Puisqu'on les appelle différemment, ceci
2 veut dire qu'il y a des différences. C'est la raison pour laquelle nous les
3 appelons de façon différente, premièrement.
4 Deuxièmement, lorsqu'il est question d'identifier la provenance, il y a
5 deux approches, deux angles sous lesquels nous pouvons voir les choses.
6 D'abord, il y a le principe de l'élimination. Vous éliminez d'abord les
7 lieux dont la personne ne provient pas, si vous connaissez les régions bien
8 sûr et le domaine.
9 De toute façon, lorsqu'on parle du dialecte chtokavien et chakavien, là, il
10 y a des différences encore plus importantes puisque ce sont d'autres
11 dialectes. Bien sûr entre les dialectes, il y a divers sous-groupes. Et
12 lorsqu'on parle d'un seul dialecte, ils sont également subdivisés en
13 groupes. Mais ces différents groupes ne sont pas d'une même intensité, mais
14 ils sont quand même visibles. Donc un expert qui est compétent dans le
15 domaine peut sans énorme difficulté identifier la personne qui parle le
16 dialecte. Bien sûr, il faudrait que la personne parle en dialecte. Donc si
17 vous donnez à un dialectologue cinq cassettes avec cinq dialectes
18 différents, le dialectologue va pouvoir écouter, et en dix minutes l'expert
19 pourra identifier à quel dialecte appartiennent les personnes qui parlent.
20 Ceci pourrait se faire facilement.
21 Même des personnes qui ne sont pas des experts en tant que tels, qui
22 n'ont pas toutes les compétences nécessaires, qui ne sont pas des
23 spécialistes, en se servant de leur expérience et des contacts qu'ils ont
24 eus avec des personnes, ils peuvent détecter la provenance. Moi aussi on
25 peut m'identifier très souvent, on ne m'a pas lié par hasard à une région
26 de la Serbie occidentale, une région où on parle exactement comme chez moi.
27 Q. Très bien. Merci. Vous avez maintenant éliminé l'un deux.
28 Maintenant parlons du chakavien. Est-ce que l'on pourrait faire une
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1 différence entre le chakavien et le chtokavien ? Parlez-nous de la mission
2 que vous avait été confiée. Pourriez-vous nous donner des différences ?
3 Est-ce que vous pourriez nous démontrer quelles sont les différences
4 principales entre les deux langages ?
5 R. Si je ne m'abuse vous parlez du chakavien. Vous ne
6 parlez pas du kajkavien, puisque nous avons éliminé le kajkavien, n'est-ce
7 pas ? Est-ce que vous pensez à la région dans laquelle vivait M. Beara ?
8 Q. Oui.
9 R. Alors c'est le chakavien.
10 Q. C'est un lapsus.
11 R. Oui. Voilà c'est un lapsus, mais ce n'est pas grave.
12 Q. Pourriez-vous nous expliquer quelle est la différence entre le
13 chtokavien et le chakavien, et quelle était la pertinence pour ces deux
14 dialectes pour ce qui est de l'analyse que l'on vous a demandé de faire ?
15 R. La différence principale entre les trois dialectes selon
16 lesquels on a cette différence se voit très bien dans le mot "vas" ou
17 "quid" en latin, et les dérivés de ces deux mots "vas" et "quid" qui sont
18 "stokaj" [phon] et --
19 L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas saisi l'autre mot.
20 LE TÉMOIN : [interprétation] Ensuite il y a des différences entre les
21 personnes qui parlent le chtokavien et le chakavien et en prosodie la
22 différence est encore la plus claire. Les chtokaviens ont deux accents
23 courts "djena" [phon], exemple, "zetra" [phon], exemple, et ils ont un
24 accent qui baisse légèrement, ce serait au vocatif. C'est tout à fait
25 unique pour ce qui est des langues européennes.
26 Ensuite la différence entre le dialecte chtokavien et le dialecte chakavien
27 est dans la façon dont on prononce les voyelles. Chez les Chtokaviens nous
28 avons les affricats [phon] sonores ou tout du moins il y en a un. Ils ont
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1 le "dje", très souvent le "dze", alors que la plupart d'entre eux ont "z".
2 Donc il a "meja", chez les chakaviens il y a "meja", et nous, nous avons le
3 "j", ils n'ont pas eux le "j" alors qu'un très grand nombre de nos
4 dialectes ont le "z". Mais lorsqu'on parle de dialectes.
5 Chez les Chtokaviens, vous avez les mots tels "craljevi" [phon] et
6 "crajevi" [phon] alors que chez les autres vous avez "sino sinovi" [phon],
7 kraj" [phon] et "kraje" [phon]. En parlant de voyelles et de consonnes,
8 elles sont sous une influence romane et il y a beaucoup plus de lexique
9 roman, et chez les uns il y a beaucoup plus d'influence romane, alors que
10 chez nous il est beaucoup plus d'influences turques et allemandes. Donc il
11 y a des germanismes et des turcismes.
12 Q. Très bien. Merci. Je sais qu'il y a beaucoup plus de
13 différences, mais simplement pour être tout à fait limpide, essayez de nous
14 donner ces quelques exemples et nous allons pouvoir passer en revue votre
15 rapport et vous allez pouvoir nous donner les différences, Professeur,
16 entre ces différences principales.
17 Mais dites-nous d'abord, vous nous avez dit que vous avez examiné quatre
18 points lorsque l'on vous a demandé d'examiner les conversations
19 interceptées, le transcript et une biographie assez courte de M. Beara.
20 Dites-nous qui vous a donné le CV de M. Beara, de quelle façon est-ce que
21 vous l'avez obtenu ?
22 R. Les éléments du CV de M. Beara, ceci m'avait été remis par l'un des
23 avocats. Je ne sais plus lequel, peut-être de vous. Enfin, un membre des
24 équipes de la Défense, peut-être Ostojic ou Stanisic, un des avocats à
25 Belgrade m'a remis son CV.
26 Q. La personne à Belgrade que vous avez rencontrée, je crois, lorsque je
27 m'y suis trouvé, et ce, à plusieurs reprises, étaient l'un de nos
28 enquêteurs, M. Milan Stanic; est-ce exact?
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1 R. Oui, Milan Stanic, oui, tout à fait. Effectivement, oui, oui, j'ai dit
2 Stanic. Oui, oui, je l'ai dit. Milan Stanic alors m'a sans doute donné son
3 CV.
4 Q. Non, ce n'est pas vraiment important. Ce n'est pas vraiment important
5 de savoir qui vous l'a remis, mais j'aimerais savoir quelle est
6 l'information qui vous avait été donnée concernant le CV de M. Beara, le
7 curriculum vitae de M. Beara.
8 R. Le CV de M. Beara m'étais indispensable pour pouvoir appliquer ma
9 méthodologie. J'avais une approche particulière que je devais développer en
10 fonction de son CV. J'ai voulu comparer les variantes des territoires où il
11 a vécu, où il a grandi, pour pouvoir tirer une conclusion tout en écoutant
12 les conversations interceptées, donc pour pouvoir analyser le langage
13 employé dans les conversations interceptées.
14 Etant donné que M. Beara a grandi à Sarajevo, mais qu'après l'âge de
15 19 ans il est allé en profondeur, la majeure partie de sa carrière, il l'a
16 passée sur un territoire chakavien, et étant donné que très souvent il se
17 rendait en profondeur où les personnes parlaient plutôt le dialecte de
18 Krajina et d'Herzégovine, donc c'est la partie nord-ouest. J'ai moi-même,
19 dans les transcripts, essayé de voir les lieux communs pour voir ce qui
20 peut nous lier à Sarajevo et pour voir quels sont les mots ou les
21 expressions qui peuvent nous lier à la ville et aux territoires où il a
22 plus tard vécu et travaillé. Je dois vous dire que je m'attendais à ce
23 qu'il y ait des traces de dialectes de sa jeunesse.
24 Mais comprenons-nous bien, lorsqu'on analyse une langue, une langue
25 d'un officier supérieur de la JNA, nous devons partir du fait que cette
26 personne parle de façon correcte, emploie un langage littéraire, et qu'il y
27 a effectivement certains traits qui peuvent se glisser et ce sont ces
28 traits-là, ces traits minoritaires qui ne peuvent pas être cachés, et ces
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1 traits-là qui vont dévoiler certaines choses.
2 Ce qui m'a intéressé, puisqu'on parle déjà de langue littéraire, ce
3 que j'ai réellement voulu savoir, s'il s'agissait d'une variante
4 occidentale ou s'agissait-il d'une variante orientale, et j'ai donc essayé
5 de trouver des points communs pour pouvoir – ou des points de départ, pour
6 pouvoir m'orienter et voir comment les choses se déroulent. La majeure
7 partie de mon travail avait été dirigée à analyser le tout avant M. Beara.
8 J'ai beaucoup travaillé sur ce dossier avant de rencontrer M. Beara.
9 Q. Très bien. Est-ce que vous avez demandé de rencontrer M. Beara afin de
10 pouvoir comprendre les caractéristiques linguistiques de ce dernier et le
11 dialecte dont il se sert aujourd'hui ? Est-ce que vous l'avez effectivement
12 rencontré ?
13 R. La Défense, je dois l'avouer – si je ne m'abuse d'ailleurs, – il y a
14 assez longtemps, j'avais informé la Défense que je souhaitais rencontrer M.
15 Beara. Mais cela a pris un certain temps. Nous n'avons pas obtenu de
16 permission immédiatement. Nous nous sommes rencontrés le 7 et le 8, donc le
17 7 et 8 avril de cette année, dans une cellule du quartier pénitentiaire de
18 Scheveningen.
19 Q. Très bien, merci. Et juste avant la pause, pourriez-vous me dire qui
20 était présent lors de la première réunion que vous avez eue avec M. Beara
21 au quartier pénitentiaire des Nations Unies ?
22 R. Il y avait M. John Ostojic, il y avait également Mlle Jelena
23 Dzambasovic, qui était notre interprète, et il y avait également un avocat
24 --
25 Q. Excusez-moi, je vais vous interrompre.
26 R. Non, il y avait un avocat de très grande taille.
27 Q. Chris Meek ?
28 R. Oui, effectivement, Chris Meek. La première journée et le lendemain, il
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1 n'y avait que M. Ostojic, Mlle Dzambasovic et moi-même. Ça, c'était le
2 lendemain.
3 Q. Dites-nous, s'il vous plaît, quelles étaient vos raisons, pourquoi est-
4 ce que vous vouliez rencontrer M. Beara ?
5 R. Dès que j'ai commencé à coopérer avec la Défense, je me suis trouvé
6 particulièrement handicapé. Il y a une absence de bandes audio, donc je
7 n'ai pas pu travailler avec une bande audio. Je n'ai pu travailler qu'avec
8 des conversations interceptées. C'est un langage assez court, assez
9 succinct, donc je vais vous parler des difficultés que j'ai rencontrées
10 plus tard pour ce qui est de ces conversations interceptées, mais j'ai
11 voulu entendre de quelle façon M. Beara parle maintenant. J'ai voulu
12 m'enquérir, j'ai voulu simplement m'informer, voir, pour pouvoir analyser
13 et faire mon analyse d'ailleurs, j'ai voulu voir quelle était la différence
14 qui pourrait exister entre le langage dans les conversations interceptées
15 pour pouvoir comparer.
16 Q. Alors ces conversations interceptées se sont déroulées, il y a 13 ans
17 et vous deviez faire une évaluation, une analyse de ces conversations
18 interceptées, de ces schémas, la façon de parler d'une personne qui parlait
19 en 1995 alors que là nous sommes en 2008.
20 R. J'étais en fait assez étonné. Après m'être entretenu avec M. Beara, je
21 dois vous dire que j'ai pu conclure que lorsqu'il parle de façon libre avec
22 la Défense, les interprètes et dans un échange libre avec l'expert, en fait
23 moi-même, – il parle le chakavien avec une variante de Split. C'est le
24 dialecte chakavien, variante Split.
25 Alors que lorsqu'on voit des traces de la langue littéraire, nous
26 pouvons déceler une variante croate, de la langue croate d'antan, et donc
27 c'est la langue croate en fait. J'étais assez étonné de voir qu'après un si
28 grand nombre d'années, il a quand même gardé cette variante de Split, cette
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1 façon de parler propre à la ville de Split. Et je vais faire une
2 observation assez générale, sa façon de parler aujourd'hui est en
3 contradiction très claire avec sa façon de s'exprimer aujourd'hui. Donc les
4 conversations interceptées et sa façon d'exprimer aujourd'hui ne
5 correspondent pas l'une à l'autre.
6 Q. Vous avez eu à analyser les conversations entre M. Beara et les autres
7 personnes dans la pièce, et vous deviez faire vos observations sur la base
8 de ce que vous entendiez.
9 Je suis désolé d'être un peu directeur, mais c'est ainsi que vous
10 aviez procédé, c'est ce que vous aviez à analyser; est-ce que c'est exact,
11 Monsieur le Professeur Remetic ?
12 Lors de la première journée, vous ne faisiez qu'écouter ce que M.
13 Beara disait, ce qu'il me disait à moi et aux autres personnes, et la
14 deuxième journée vous lui avez en fait posé des questions et vous preniez
15 des notes; est-ce que c'est exact ?
16 R. Je me souviens de la première phrase prononcée par M. Beara. Il a
17 demandé à Mme Dzambasovic: "Pourquoi es-tu si pâle ?" "Stosi mitako blijeda
18 ? [phon]" B-l-i-j-e-d-a. Je dois dire que c'était une vraie découverte,
19 j'ai été étonné d'entendre cela. Je dois vous dire que j'ai pu faire
20 quelque chose que je n'ai pas le droit de faire lorsque je travaille sur le
21 terrain en tant que dialectologue. Je ne peux pas poser de questions
22 directes quand je suis sur le terrain, c'est strictement interdit, alors
23 que j'ai pu prendre des notes pendant l'entretien qui s'est déroulé la
24 première journée.
25 J'ai écouté une conversation décontractée. La personne était de bonne
26 humeur, en fait, en réalité, et une conversation assez décontractée qui
27 s'est déroulé entre la jeune dame, les avocats et lui-même. Il y avait des
28 blagues, et cetera. Et donc moi, j'ai écouté ce qu'ils disaient et je
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1 prenais des notes. Je portais mon chapeau de dialectologue. Et je dois vous
2 dire que j'ai été particulièrement étonné de l'entendre parler, car j'ai
3 remarqué que j'étais face à un homme particulièrement intelligent, un homme
4 très, très calme, une personne qui était prête à coopérer. Je pouvais même
5 lui poser des questions, je pouvais même lui montrer certains exemples.
6 Q. Très bien. Merci. Je voulais simplement préciser certains points. Alors
7 vous avez pris des notes pendant les deux entretiens, nous les avons, en
8 fait. Vous avez identifié ces notes, ces notes que vous avez prises comme
9 étant le document 2D584, n'est-ce pas, Professeur Remetic ? Non, je ne vous
10 demande pas de nous confirmer la cote, mais vous nous avez fourni le carnet
11 de notes, les notes que vous avez prises ?
12 R. Oui. Je vous ai remis mes notes originales. Je ne savais pas,
13 toutefois, que ce serait utilisé ici. J'ai fait des petits dessins, j'ai
14 mis des couleurs aussi, j'ai biffé certains points. C'est un matériel -- ce
15 sont des -- c'est un carnet de travail, et j'ai également une copie, bien
16 sûr, de ceci.
17 Q. Très bien. Nous l'avons également envoyé à l'Accusation. Je crois que
18 j'ai également un exemplaire. Dites-nous, à quel moment nous avez-vous
19 donné ces notes ? Est-ce qu'il y a quelques semaines, lorsque nous nous
20 sommes rencontrés à Belgrade, est-ce que c'est à ce moment-là que vous nous
21 avez remis votre carnet de notes ou vos notes ?
22 R. Oui.
23 Q. Très bien. Revenons maintenant à une question que vous avez mentionnée
24 tout à l'heure. Vous avez dit que vous avez entendu M. Beara prononcer une
25 phrase pour ce qui est de la pâleur de Mme Dzambasovic. Pourriez-vous nous
26 dire dans différents dialectes comment est-ce que vous diriez "pâle" ?
27 R. Bien, c'est exactement là que se pose la question. Manifestement, nous
28 avons trait ici au "jat." En ékavien, ce serait "bled" et en ijkavien ce
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1 serait "bleed," et en ékavien ce serait –-
2 Q. Vous allez beaucoup trop vite. Nous avons beaucoup de mal à entendre
3 acoustiquement la différence qui existe entre ces trois versions. Je vous
4 demanderais par conséquent, et je sais bien que nous allons avoir une pause
5 bientôt, peut-être serait-il -- le moment est-il bien choisi pour
6 précisément faire une pause.
7 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Vingt cinq minutes de pause.
8 --- L'audience est suspendue à 15 heures 46.
9 --- L'audience est reprise à 16 heures 20.
10 M. OSTOJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
11 Q. Professeur Remetic, merci. Je souhaiterais poursuivre. Mais avant cela,
12 je souhaiterais simplement être sûr de bien avoir compris ce que nous avons
13 dit juste avant la pause. Nous avons parlé du terme "pale." Je vais
14 l'épeler et je vais demander peut-être à ce que l'on puisse avoir cela au
15 compte rendu.
16 Donc, si j'ai bien compris il y a trois façons différentes de dire le
17 mot "pale" en serbe, en fonction du dialecte. Le premier serait "bleda," b-
18 l-e-d-a; deuxième façon, "blijeda," b-l-i-j-e-d-a; et troisième façon de le
19 prononcer, "bljeda," b-l-j-e-d-a.
20 Est-ce exact, est-ce que ce sont bien là les trois façons que vous
21 nous décriviez de dire le mot "pale" avant la pause ?
22 R. Oui. Ce sont effectivement les trois façons qui existent. Bien entendu,
23 "bleda" est prévu par la langue littéraire, "Bleda" également, et tout
24 comme "bljeda," l-j. En branche, l-j, c'est une forme dialectale du terme.
25 Q. Le troisième donc. De ces trois versions, laquelle a été utilisée par
26 M. Beara lorsqu'il parlait à Mme Djambasovic ?
27 R. J'ai sous les yeux mes notes, et le premier terme est "blijeda", en
28 train de devenir pâle, et le deuxième est "bleda", pâle. Lorsque j'ai
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1 entendu cela --
2 Q. Toutes mes excuses de vous interrompre, mais pourriez-vous peut-être --
3 il me semble que nous l'avons au compte rendu, mais simplement aux fins de
4 compte rendu, pourriez-vous épeler également les termes ? Vous avez le
5 compte rendu sous les yeux, et je sais que vous avez une connaissance
6 limitée de l'anglais, mais je pense que vous pouvez voir au compte rendu
7 d'audience à quel endroit apparaissent les mots que vous avez prononcés. Le
8 premier terme que vous avez prononcé était "blijeda", b-l-i-j-e-d-a, c'est
9 bien exact ?
10 R. Oui. Le premier terme est "blijeda", la norme donc, en langue serbe et
11 croate littéraire. La façon dont on prononce les choses, les Serbes du type
12 ijekavien et dans la langue croate littéraire, "bleda", b-l-e-d-a, et en
13 revanche b-l-e-d-a est la norme par la version ékavienne en langue
14 littéraire serbe, langue ékavienne telle qu'on la parle à Belgrade. Et
15 "blida", b-l-i-d-a, est une forme dialectale. Ce terme ne correspond pas à
16 la norme littéraire.
17 Q. Ayant examiné les caractéristiques du langage parlé de M. Beara, vous
18 a-t-il été possible de déduire quoi que ce soit de prime abord ?
19 R. Comme je vous l'ai dit, le son "jat" et la façon dont il se reflète
20 dans le dialecte est l'élément le plus important, dès lors qu'il s'agit
21 d'opérer une distinction entre les langues dialectales serbes, croates et
22 bosniaques, et dès le moment où j'ai entendu le terme "ubljdila", qui
23 signifie "est en train de devenir pâle", u-e-j-d-i-l-a, et "Pourquoi est-tu
24 si pâle ?", "Stosimi bljeda ?", j'ai immédiatement eu le sentiment que
25 j'avais affaire à une langue littéraire croate, et la version parlée croate
26 de cette langue littéraire. Pourquoi ? Parce que dans les manuels croates,
27 il est indiqué qu'il faut que ce soit "b-l-i-j-e-d-a", mais dans la langue
28 parlée essentiellement, l'on a réduit cela à une seule première syllabe, b-
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1 l-j-e-d-a, "bljeda", que l'on entend dans les façons de parler serbe --
2 oui, c'est exact -- oui, oui, c'est bien cela -- que l'on peut entendre,
3 donc, comme je vous le disais, dans la façon de parler serbe à l'intérieur
4 des terres de l'Adriatique, une région dans laquelle a résidé au cours de
5 son existence M. Beara à plusieurs reprises. On le parle à Zagorje, en
6 Dalmatie, où vivent des Serbes, à Lika également. Et il était évident pour
7 moi, et ce, dès le départ, qu'il n'y avait aucune trace de façon de parler
8 de Sarajevo, puisque l'on aurait entendu "blijeda", b-l-i-j-e-d-a. Il ne
9 parlait donc pas le dialecte ou la langue littéraire comme le feraient les
10 habitants de la ville de Sarajevo dont il est natif.
11 J'étais confronté à un dilemme. Le terme "bljeda", b-l-j-e-d-a, est-
12 il dérivé de la langue littéraire ou parler croate, telle qu'on la parle à
13 Split, lorsqu'un habitant de cette région essaie de parler correctement la
14 langue littéraire ou est-ce qu'au contraire, il s'agissait d'un réflexe lié
15 à l'influence de la façon de parler serbe dans l'intérieur des terres comme
16 je vous l'ai dit précédemment ? J'ai trouvé la réponse à cette question
17 très rapidement, et en première page des mes notes, voilà à quoi elle
18 ressemble - parce que je ne savais pas que ce serait utilisé par la suite,
19 c'est un document de travail pour moi - très rapidement, j'ai entendu qu'il
20 s'agissait de caractéristiques ikaviennes, et non pas de caractéristiques
21 de Sarajevo. Uvijek, u-v-i-j-e-k, et au lieu de cela, M. Beara disait uvik,
22 u-v-i-k.
23 Par ailleurs, d'autres exemples se sont présentés. "Dida", par
24 exemple, au lieu de "dijeda", d-i-j-e-d, ou djed, parmi les ijekaviens
25 serbes, ou "deda", comme le disent les ékaviens. Puis, le terme "triba", t-
26 r-i-b-a, après dix minutes à peu près, et j'en ai été surpris. Je me suis
27 aperçu - et cela m'a étonné - mais je me suis aperçu que M. Beara, au cours
28 de trois conversations à bâtons rompus avec ses interlocuteurs et des gens
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1 qu'il connaissait, et c'était la première fois que j'avais l'occasion de
2 l'entendre, je me suis aperçu donc que M. Beara parlait l'ikavien,
3 chakavien de Split, ou il parlait comme l'on parle lorsque l'on est
4 chakavien, ikavien de Split. Par la suite, lorsqu'il s'exprimait dans le
5 langage littéraire, il est apparu que d'une manière générale il utilisait
6 la version occidentale de la langue qui autrefois fût commune et qui est
7 aujourd'hui la langue littéraire croate.
8 M. Beara, dans sa façon de parler, les 7 et 8, et la langue
9 apparaissant sur la transcription écrite appartiennent à deux catégories
10 différentes. Elles sont par conséquent incompatibles l'une avec l'autre,
11 d'une manière générale.
12 Q. Nous y reviendrons, à cet avis que vous vous êtes formé vous-même de
13 façon très spécifique et que vous évoquez dans votre rapport. Mais je
14 souhaiterais que nous poursuivions l'examen de votre rapport et vous poser
15 quelques questions. Tout d'abord, la question suivante : Les sept à huit
16 heures que vous aviez à votre disposition vous ont-elles permis de vous
17 faire un avis quant à la façon dont s'exprimer M. Beara et à procéder à
18 l'analyse dont l'issue sont les avis que vous faites apparaître dans votre
19 rapport, lequel nous est présenté ici aujourd'hui ?
20 R. Les sept à huit heures que j'avais à ma disposition en compagnie de M.
21 Beara et au cours desquelles non seulement M. Beara a parlé, mais nous
22 avons parlé également, tout comme le conseil de la Défense qui a pris la
23 parole au cours de ces conversations, je lui ai posé des questions, il va
24 de soi que sept à huit heures ne suffisent pas à l'élaboration d'une
25 dissertation détaillée sur la façon de parler d'un individu. Il faudrait un
26 ensemble beaucoup plus complet.
27 Je vous rappelle que ma thèse de doctorat se fondait sur 200 heures
28 d'enregistrements. Les proportions sont tout à fait différentes, vous le
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1 voyez bien. Ceci étant dit, ces sept à huit heures m'ont permis de tirer
2 des conclusions, m'ont permis de brosser un portrait général de la façon de
3 parler de M. Beara, qui s'identifiait lui-même dans sa façon de parler au
4 cours des premiers moments de notre conversation. Et en première page de
5 mon rapport, j'ai pris quelques notes, et ces notes, s'agissant du contenu
6 de l'entretien transcrit, c'est suffisant, et j'espère que nous aurons
7 l'occasion de revenir sur le contenu de cette transcription écrite. Donc la
8 transcription écrite est insuffisante, de mauvaise qualité, en termes de
9 quantité, en termes d'ampleur, cela ne suffit pas, mais j'imagine que nous
10 reviendrons à cela ultérieurement.
11 Cela suffisait donc pour moi d'avoir entendu M. Beara, 17 ans après
12 avoir quitté Split, il maîtrisait très bien la façon de parler chakavienne
13 de Split.
14 Q. Votre expérience, Monsieur Remetic, vous a-t-elle montré qu'un individu
15 donné pouvait, en un laps de temps relativement bref, passer d'un dialecte
16 à l'autre, compte tenu du fait que vous avez eu l'occasion d'examiner M.
17 Beara tant dans un contexte informel que dans un contexte beaucoup plus
18 formel d'interrogatoire ? Une personne telle que lui peut-elle passer de
19 l'un à l'autre, et si c'est le cas, êtes-vous à même d'identifier ces
20 modifications de façon de parler dialectale d'un moment à un autre ?
21 R. M. Beara ne passait pas d'une façon de parler à l'autre très
22 rapidement. Vous savez, il a passé quelque 20 années dans cette région-là.
23 Je dois vous dire que j'ai réfléchi assez longuement et j'ai été assez
24 impressionné par la façon dont il est parvenu, sous mes yeux, à s'écarter
25 de façon assez convaincante de son dialecte et de la façon dont il est
26 parvenu à refouler son propre dialecte et à adopter un autre dialecte, et
27 en maintenant la pratique de ce deuxième dialecte pendant aussi longtemps.
28 C'est là quelque chose de très problématique et d'énigmatique pour moi, si
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1 l'on part du principe de la supposition que la retranscription écrite est
2 peut-être celle de propos tenus par M. Beara. Il était ikavien avant la fin
3 de la guerre. Comment alors a-t-il pu abandonner cette façon de parler et
4 la réadopter, après la guerre, alors que pendant cette période
5 intermédiaire il a adopté une autre façon de parler. C'est là pour moi une
6 énigme et un défi. C'est une véritable gageure pour moi.
7 Et si vous me le permettez, et j'espère que le moment est bien choisi
8 pour le dire, si vous le permettez, je vous dirais que, personnellement,
9 moi qui peux se targuer d'une longue carrière universitaire et ai
10 énormément d'expérience, j'ai entendu de nombreux dialectes sur le terrain,
11 et si j'avais 30 ans de moins, j'aurais trouvé un moyen de faire une
12 recherche très approfondie de cette façon de parler de M. Beara afin de
13 mieux comprendre comment on peut passer d'un dialecte à l'autre et de
14 maintenir cet usage du deuxième dialecte pendant aussi longtemps. Ça aurait
15 été un sujet de recherche très intéressant pour moi.
16 Q. Dans votre rapport, vous faites état de différents problèmes auxquels
17 vous avez été confronté dès lors qu'il s'agissait de procéder à un examen
18 des documents qui vous avaient été fournis, et je souhaite que l'on
19 revienne au point VI de votre rapport. Je souhaiterais y revenir très
20 rapidement, si vous le voulez bien, même si vous en avez mentionné
21 quelques-uns, tels que le fait que vous n'aviez pas d'enregistrement audio,
22 chose qui vous aurait été très utile. Mais vous évoquez un autre problème
23 qui est le fait que vous aviez eu des problèmes liés à la fragmentation de
24 l'expression linguistique des écoutes présumées, et numéro 3, vous indiquez
25 le champ linguistique qui, grosso modo, est lié au fait que vous ne
26 disposiez que de trop peu de conversations ou de conversations trop brèves
27 pour pouvoir en faire une étude approfondie; est-ce exact ?
28 R. Malheureusement, tout cela est fort vrai et n'allait pas sans présenter
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1 certaines difficultés.
2 Q. Oui. Et vous citez deux autres problèmes liés au matériel que le bureau
3 du Procureur avait mis à votre disposition, vous aviez examiné certaines
4 des déclarations, dites-vous, et vous avez estimé que les enregistrements
5 manquaient de clarté, essentiellement leur retranscription manuscrite.
6 Certains utilisaient les trois petits points liés à l'absence de mots dans
7 la retranscription, liés au fait qu'acoustiquement il était impossible de
8 les entendre pour la personne chargée de retranscrire cela; est-ce exact ?
9 R. Oui.
10 Q. En outre, vous faites une liste des problèmes liés au graphisme, aux
11 règles de grammaire, vous parlez des enclitiques et des proclitiques. Est-
12 ce que vous pourriez nous dire ce qui est enclitiques et proclitiques, mais
13 très brièvement, s'il vous plaît, pourriez-vous nous dire pourquoi cela
14 constituait un problème aussi important pour vous ?
15 R. Enclitiques, décrit des mots en langue serbe qui n'ont pas leur propre
16 accent, mais qui sont prononcés avec les mots qui les précèdent pour créer
17 une unité d'accent. Les enclitiques sont généralement des versions
18 tronquées ou abrégées de verbes, de pronoms.
19 Q. Donc enclitique, c'est ce qui est à la fin du mot, et proclitique c'est
20 ce qui est après --
21 R. A la fin ou après le mot. Les proclitiques, ce sont des mots qui n'ont
22 pas leur propre accentuation, mais qui forment une unité d'accentuation
23 avec les mots qui les succèdent et sur lesquels ils s'appuient. Il y a des
24 règles qui régissent la façon dont les enclitiques et proclitiques doivent
25 être retranscrits par écrit. Et l'on court le risque, dès lors qu'on fait
26 appel à des gens moins bien éduqués, qu'ils fassent des erreurs lorsqu'ils
27 procèdent à cette retranscription.
28 Par exemple, la négation "nee" conjointement avec des verbes doit
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1 s'écrire séparément; "nee" suivi de "radi"; "nee jeda" [phon], il ne mange
2 pas; "nee prica [phon]", il ne parle pas. "Neerad", en tant que substantif,
3 doit s'écrire comme un seul mot.
4 Et suite à cette retranscription erronée des enclitiques et des
5 proclitiques, je me suis formé l'avis suivant, à savoir que les personnes
6 chargées de la retranscription écrite n'étaient pas, si vous me passez
7 l'expression, suffisamment éduquées d'un point de vue linguistique pour
8 pouvoir mener à bien ce type de tâche de retranscription. Ils avaient des
9 problèmes de ce type.
10 Q. Dans ce même paragraphe, vous évoquez l'orthographe ainsi que les
11 principes phonologiques. Est-ce que c'est à cela que vous étiez en train de
12 faire référence, à ces deux concepts, ou est-ce que vous parlez d'autre
13 chose ? Nous parlerons ensuite des questions de détails, dès que vous en
14 aurez fini de vos explications.
15 R. Les orthographes serbes, croates et bosniennes, puisque tout dérive des
16 principes de Vuk Karadzic, est ce que l'on appelle une orthographe
17 phonologique. C'est ce que l'on appelle les règles de Vuk : Ecrit ce que tu
18 entends, et parle comme tu écris.
19 Au titre de ces règles, il devrait y avoir autant de graphèmes que de
20 phonèmes, autant de lettres qu'il y a de sons, et tout doit être lu comme
21 cela s'écrit. Scheveningen constituerait dix lettres, dix sons. "Sudnica"
22 sept lettres, sept sons. Il y a, ceci dit, un certain nombre d'exceptions,
23 en orthographe, les mots sont écrits de telle manière qu'il serait
24 impossible concrètement de les prononcer. "Ds", consonne "D" suivi de la
25 consonne "S", qu'elles soient prononcées ou pas, elles le sont différemment
26 selon que l'on parle serbe, croate ou bosnien. Il y a, dès lors qu'elles
27 sont placées au même endroit, une transition automatique et une alternance.
28 Selon qu'elles soient prononcées ou pas, elles sont simulées. Elles ne
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1 peuvent pas être l'une à côté de l'autre si elles sont différentes de ce
2 point de vue-là. Nominatif, "Sudac", génitif, "Sudisa". Elles ne peuvent
3 pas être l'une à côté de l'autre. "Vrabac" au nominatif et "Vrabisa". "D"
4 et "S", "B" et "C" ne peuvent pas être prononcés mais peuvent être écrites
5 de cette forme-là, parce que c'est là l'orthographe correcte. Et dans
6 certaines retranscriptions écrites, lorsque l'on voit "odseku", o-d-s-e-k-
7 u, ou "predsidnik" [phon], je peux voir qu'ils respectent les principes
8 qu'ils ont appris à l'école. Ils s'en souviennent, parce que je suis sûr
9 que ces choses n'ont pas été prononcées de la façon dont elles ont été
10 retranscrites par écrit. Il est impossible de prononcer de tels groupes de
11 lettres sans avoir à faire un effort monumental, et lorsque l'on est sur le
12 champ de bataille on a autres choses à faire, et par ailleurs, ce n'est pas
13 là leur travail.
14 Q. Avez-vous eu l'occasion de passer en revue les déclarations de témoin
15 ou des déclarations de certains des opérateurs qui interceptaient les
16 concertations ? Est-ce que vous avez pu déterminer si des opérateurs
17 utilisaient une certaine technique ou une certaine méthode afin de capturer
18 une conversation ou est-ce qu'ils interprétaient simplement la conversation
19 comme ils le souhaitaient ? Quelle était leur règle ?
20 M. VANDERPUYE : [interprétation] Objection. Ceci passe au-delà du champ
21 d'expertise de ce témoin.
22 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Est-ce que vous souhaitez répondre,
23 Maître Ostojic ?
24 M. OSTOJIC : [interprétation] Je peux établir un fondement si la Chambre le
25 souhaite. Je vais lui poser une question, et je pense que ça va être plus
26 clair.
27 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Passons à autre chose, Monsieur
28 Vanderpuye, car ça devient fatiguant.
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1 M. OSTOJIC : [interprétation]
2 Q. Professeur, lorsque l'on examine la quatrième limitation que vous avez
3 dans votre rapport dans la section numéro VI, vous identifiez le travail
4 négligent effectué par ceux qui rédigeaient les transcripts. Est-ce que
5 vous avez une expérience au sujet des écoutes des enregistrements audio ?
6 R. Que voulez-vous dire par "expérience" ? Vous voulez dire dans mon
7 métier ou en termes généraux ?
8 Q. Oui, dans votre métier.
9 R. Ces déclarations des opérateurs, je les ai examinées particulièrement
10 attentivement, et d'une certaine manière nous sommes des collègues, toute
11 ma vie j'enregistrais sur le terrain et j'écoutais les enregistrements. On
12 utilise même la même technique. Il mentionne Uher, que j'ai utilisé moi-
13 même pour une centaine d'enregistrements, et j'ai enregistré environ 50
14 heures de conversation menées dans les régions d'où proviennent ces
15 opérateurs, c'est la zone de Kladanj. Vous allez trouver cela dans mon CV
16 aussi. J'enregistrais dans des circonstances bien meilleures, avec de bons
17 appareils et je n'ai jamais réutilisé les mêmes bandes. J'écoutais dans le
18 silence chez moi ces enregistrements dans des conditions idéales, mais ce
19 travail entraîne toujours des difficultés, toujours des points pas clairs,
20 et assez souvent je m'adressais aux collègues pour demander leur avis afin
21 de faire en sorte lors des écoutes de mes enregistrements de mieux
22 comprendre. Or, ces personnes travaillaient dans des conditions très
23 difficiles. Leurs équipements étaient vieux et ils réutilisaient les mêmes
24 bandes. Ils travaillaient beaucoup. C'était un travail fatiguant, et celui
25 qui enregistre et écoute pendant quatre heures a du mal à se reposer, car
26 c'est un travail qui demande de la concentration. D'après leur
27 conversation, on peut voir qu'immédiatement après l'enregistrement ils
28 procédaient aux rédactions des transcriptions. Ils étaient vraiment
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1 fatigués. C'était très difficile pour eux.
2 Q. Lorsque vous avez lu les déclarations, est-ce que vous vous êtes fondé
3 sur ces déclaration d'opérateurs différents afin de formuler certaines de
4 vos opinions reflétées dans votre rapport en date du 18 avril 2008 ?
5 R. Je ne me souviens pas avoir trouvé beaucoup d'éléments. Mais j'ai
6 remarqué que leur langage était assez uniforme, assez harmonisé. Je n'ai
7 rien remarqué dans la manière dont ils parlaient qui reflétait les
8 caractéristiques de la région d'où ils proviennent. Ce sont des personnes
9 qui ont terminé soit le lycée; l'un d'eux était un ingénieur. Ils viennent
10 d'une région que je connais très bien. Je ne sais pas si le fait qu'ils
11 parlaient de manière aussi uniforme était la conséquence du fait qu'une
12 même personne dactylographiait tout. Je ne sais pas, car je ne dispose pas
13 d'informations là-dessus. La seule explication que j'ai trouvée concernant
14 certaines conversations interrompues, il est dit dans le transcript "peu
15 clair" ou "inaudible" et je crois que vous savez ce dont je parle. J'ai
16 trouvé cela dans les transcripts. Les personnes avaient des problèmes de
17 fréquence, parfois ils avaient des coupures d'électricité, parfois ils
18 utilisaient les batteries pour fonctionner, donc c'était les raisons de
19 certaines défaillances contenues dans les transcripts.
20 Q. Est-ce que vous souvenez, d'après les déclarations que vous avez
21 passées en revue, si les opérateurs qui procédaient aux conversations
22 interceptées recevaient des instructions concernant la manière dont il
23 fallait enregistrer les prétendues conversations capturées ?
24 R. Je ne me souviens pas des instructions. Mais ce dont je me souviens,
25 d'après leurs propres aveux, est qu'ils étaient pour la plupart des
26 radioamateurs ou semi-amateurs. Il n'y avait pas de vrais professionnels
27 là-dessus, pour autant que je m'en souvienne, mais ils avaient passé des
28 cours au début de la guerre, et donc ils ont passé un certain nombre de
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1 tests à la fin de ces cours, qui comportaient des éléments pratiques et
2 théoriques.
3 Q. Professeur, est-ce que vous savez s'ils utilisaient les principes
4 phonologiques que vous nous avez décrits tout à l'heure au cours de cet
5 après-midi ?
6 M. VANDERPUYE : [interprétation] Monsieur le Président, je pense que nous
7 allons loin au-delà de l'expertise de ce témoin en tant que linguiste de
8 médecine légale ou simplement linguiste.
9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Les deux sont liés, n'est-ce pas ? Je
10 veux dire, je suis assez d'accord pour dire que ce n'est pas vraiment au
11 centre de son intérêt, mais les deux sont liés.
12 Donc poursuivez, Maître Ostojic.
13 M. OSTOJIC : [interprétation]
14 Q. Est-ce que vous pouvez répondre à ma question, Professeur, ou
15 souhaitez-vous que je vous répète la question ?
16 R. Veuillez répéter la question.
17 Q. Est-ce que d'après les déclarations que vous avez lues des déclarations
18 des opérateurs, est-ce que vous avez pu conclure s'ils utilisaient ou pas
19 les principes phonologiques semblables à ceux que vous avez décrits cet
20 après-midi ici ?
21 R. On ne s'attend pas à ce qu'ils utilisent cela, car ils n'ont pas les
22 qualifications ni les compétences leur permettant de faire cela. Lors d'un
23 enregistrement fait par un dialectologue, nous, nous marquons les accents.
24 C'est le plus important. Et toutes les nuances phonologiques, les nuances
25 de la voix, nous les enregistrons, mais ceci est sans pertinence pour eux,
26 personne ne leur demande de faire cela et on ne s'attend même pas à ce
27 qu'ils fassent ce genre de chose. C'est au moins ce que je pense.
28 Q. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons entendre quel est votre
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1 avis, Professeur. Nous allons maintenant parler de la partie suivante de
2 votre rapport. C'est la partie VII, un aperçu général de Ljubisa Beara et
3 de la manière dont il utilise la langue, les facteurs qui l'ont influencés
4 là-dedans. Vous avez mentionné et énuméré trois éléments ici, je souhaitais
5 faire un point de clarification. Vous parlez dans ce rapport des syllabes
6 uniques qui reflètent un long "jat". Ensuite, vous parlez des infinitifs
7 plus brefs, ensuite vous parlez de la conception du futur de type
8 occidental des détails lexiques. Je souhaite que vous nous clarifiiez une
9 chose, c'est quoi le "jat" dont vous nous avez parlé dans le cadre des
10 études linguistiques ?
11 R. Le "jat", c'est une voyelle ancienne slave qui a été héritée des
12 anciens Serbes et anciens Croates dans la langue ancienne serbe. C'est la
13 voyelle qui s'appelait "jat". Après, il avait des réflexes différents. Le
14 sort du "jat" a différencié l'espace linguistique serbo-croate. Il existe
15 trois réflexes linguistiques de fond. Un long "jat", un "jat" bref, et en
16 ékavien, le long "jat" se reflète en tant que voyelle "e". Dans la version
17 ékavienne, nous avons "dete". Dans la version ijkavienne nous avons "dite",
18 et dans la version ijekavienne nous avons "dijete". Les Ekaviens ont le "e"
19 bref, comme dans "pesma". Chez les Ikaviens, c'est "pisma", et chez les
20 Ijekaviens, c'est "pjesma". Ça, ce sont les traits de fond, de base.
21 Ensuite, chez les Chtokaviens, on rencontre à la fois la version ékavienne,
22 ikavienne et ijekavienne. Comme je l'ai dit, chez les Chakaviens, il y a
23 les Ekaviens, les Ikaviens et les Ijekaviens.
24 Je ne souhaite pas vous fatiguer avec les détails, mais il existe
25 d'autres différenciations de transition entre les formes ékavienne et
26 ijekavienne, et ékavienne et ikavienne, mais ça, ce sont les réflexes de
27 base. Et le problème du "jat" long pose plus de problèmes, comme dans les
28 exemples tels que "dijete", "blijeda", "bijela". La règle est comme suit,
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1 deux syllabes, "ije", "blijeda", "bijela". Mais parfois, dans le dialecte
2 chtokavien occidental, on a une seule syllabe. Ainsi, dans la langue
3 littéraire croate et dans la pratique quotidienne, c'est le cas. C'est
4 ainsi que l'on parle à Zagreb aujourd'hui, et c'est ainsi que parle M.
5 Beara lorsqu'il parle la langue littéraire, c'est au moins ainsi qu'il
6 parlait en avril.
7 Je pense que ceci suffit au sujet des réflexes du "jat".
8 Q. Je suis d'accord. Est-ce que vous pouvez m'aider par rapport aux deux
9 autres sections dont il a été question, c'est-à-dire l'infinitif plus bref,
10 je pense que vous l'avez décrit un peu, ensuite la construction du futur du
11 type occidental et les détails lexiques liés à cela.
12 R. Oui. L'infinitif, c'est la forme neutre travaillée, regardée, ainsi de
13 suite. Dans les régions plus orientales de l'espace qui jadis était
14 l'espace linguistique commun serbo-croate, d'habitude, le "i" est plus
15 long, "Radici peci", et plus on va vers l'ouest, plus on rencontre
16 fréquemment la version plus brève, Radit pec", sans le "i" à la fin.
17 S'agissant du temps futur, il existe deux modèles de base. A l'est,
18 et ceci est le cas dans la langue littéraire actuelle de la variante serbe
19 ékavienne de la langue, donc en Serbie, l'on rencontre plus souvent la
20 construction "ja cu da radim", "ja cu da dodjen" [phon]. C'est la
21 construction qui est prédominante par rapport à la construction "ja cu
22 raditi" ou "radit cu". Et lorsque l'on va plus vers l'ouest, la
23 construction prédominante est "ja cu radit". Donc d'un côté, l'infinitif
24 est abrégé, ou "radit cu," et la construction comportant "da," telle que
25 "ja cu da radim," on ne l'a rencontre pas à l'ouest extrême, pas du tout.
26 Q. Merci. Je ne souhaite pas vous interrompre, mais je pense que nous
27 avons compris l'essentiel.
28 S'agissant de la partie VII de votre rapport, vous avez parlé dans ce
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1 chapitre du cocktail linguistique et du "codage linguistique", et je sais
2 que vous avez parlé de la langue, du langage de M. Beara dans le cadre de
3 cette partie du rapport, et je souhaite que l'on comprenne mieux ce que
4 vous voulez dire par "cocktail linguistique", puis après vous allez établir
5 un lien entre cela et l'enregistrement. Ensuite, je souhaite avoir votre
6 opinion au sujet de ce que vous dites à la fin du chapitre VII, près du
7 numéro VIII à la fin du paragraphe, et dites-nous simplement ce à quoi vous
8 faites référence en parlant de ce cocktail linguistique ?
9 R. Lorsque je me suis appliqué à faire ce travail, j'ai vu que s'agissant
10 de la plupart des comptes rendus d'audience des conversations dites
11 interceptées, que ce qui domine est la langue littéraire plutôt correcte,
12 qui ne trahit pas clairement des variations différentes, donc pour
13 permettre de conclure si l'on suit entièrement la variante occidentale ou
14 orientale de la langue. Et s'il n'y a pas de textes vous permettant de dire
15 ceci est écrit entièrement de manière ékavienne, c'est la version
16 entièrement orientale de la langue, et celle-là est entièrement
17 occidentale.
18 Ensuite, ce que j'ai remarqué, c'est qu'il n'y avait pas de
19 différentiations par rapport aux autres traits de dialectes typiques pour
20 la région natale de M. Beara. Or, si l'on part de la supposition que les
21 transcripts sont liés à son nom, ce que j'ai essayé de trouver, c'était sur
22 la base de quoi il était possible de reconnaître cela, de l'identifier. Et
23 lorsque je me suis trouvé face aux documents très restreints - et je vais
24 ajouter la chose suivante - j'ai introduit dans mon ordinateur tous les
25 mots qui sont liés à M. Beara dans les 18 transcripts. Or, tous les mots
26 utilisés dans ces 18 transcripts ne dépassent pas deux pages et demie, et
27 plus que la moitié des mots contenus dans ce texte sont sans aucune
28 pertinence, comme "oui," "allô," "OK," "d'accord," "oui," "non," "je veux,"
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1 "je ne veux pas." Ensuite, j'ai fondé mon analyse sur trois traits, trois
2 caractéristiques énumérées : le "jat", l'infinitif, le futur, afin de voir
3 quelle est la caractéristique prédominante.
4 Comme je lai déjà dit, s'agissant de termes ékaviens de Beara,
5 "Blijeda" et "Ubledela", il est nécessaire de se pencher sur la langue
6 littéraire croate qui est utilisée même à Split lorsque l'on s'exprime de
7 façon littéraire plutôt qu'en utilisant le dialecte serbe des régions
8 occidentales.
9 Q. Professeur, aidez-nous avec la chose suivante. Même si nous ne vous
10 avons pas donné les enregistrements audio précédemment, car nous avions la
11 fausse impression que ça n'existait pas, ensuite récemment nous avons reçu
12 certains enregistrements audio. Et concrètement, je souhaite attirer votre
13 attention sur un entretien de M. Beara mené dans le quartier pénitentiaire
14 de l'ONU pendant l'interrogatoire mené par un enquêteur du bureau du
15 Procureur.
16 Et afin de mieux comprendre, c'est une longue question, mais je
17 souhaite que la Chambre puisse me suivre, il s'agit d'un entretien qui a
18 lieu peu après l'arrivée de M. Beara à La Haye le 11 octobre 2004. C'est
19 une bande que nous avons reçue pour la première fois le 16 juillet 2008.
20 Je sais que ceci est sans pertinence pour vous, mais nous n'avions
21 pas cet enregistrement audio avant juillet de cette année, même si
22 l'entretien a été fait il y a quatre ans à peu près. Est-ce que pendant le
23 week-end vous avez pu écouter ce transcript ou cet enregistrement audio
24 avec moi et d'autres membres de notre équipe ?
25 Il n'est pas nécessaire d'avoir cela devant vous. Nous allons parler
26 de cela un peu plus tard, mais je souhaite simplement établir le fondement.
27 Est-ce que vous avez pu entendre cela avez nous samedi ou dimanche ?
28 R. Oui, je les ai écoutés.
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1 Q. Bien. Ce que l'on va faire maintenant, Professeur, c'est que nous
2 allons nous pencher sur la méthodologie que vous avez utilisée lors de vos
3 analyses des conversations interceptées, les 18 que vous avez reçues, et
4 nous allons revenir à l'enregistrement audio que l'on a mentionné.
5 Est-ce que vous pouvez maintenant passer à la section VIII de votre
6 rapport pour nous permettre de vous suivre. Vous identifiez sept approches
7 méthodologiques et les questions dont vous souhaitiez traiter lors de votre
8 analyse et lors de la détermination de vos opinions dans cette affaire.
9 Est-ce que vous pouvez nous les expliquer brièvement, puisqu'on va poser
10 une question au sujet de certaines d'entre elles. Donc quelle était votre
11 approche méthodologique ?
12 R. Mon approche méthodologique se fondait sur la supposition selon
13 laquelle il devait y avoir des traces de dialecte, du langage, traces de la
14 région dont M. Beara est issu, à savoir Sarajevo.
15 Q. Excusez-moi, nous n'avons pas entendu ce qui suit après le mot
16 "dragova", [phon] ce nom ne nous a pas été traduit. Vous avez dit qu'il y
17 avait des traces du dialecte, et ensuite nous n'avons pas entendu l'autre
18 partie. Donc est-ce que vous pouvez reprendre à partir de là ?
19 R. Je m'attendais à trouver des traces du dialecte de la jeunesse de
20 Beara. Or, je n'ai pas remarqué cela. Et apparemment, ceci n'existe pas. Au
21 moins, dans ce corps, effectivement bien restreint, il n'y a pas eu de
22 traits de différentiation de ce genre, et surtout, il n'était pas possible
23 de vérifier l'accent et l'utilisation de certaines voyelles. Je n'ai pas pu
24 procéder à la comparaison, car je n'avais pas d'autres enregistrements.
25 Ensuite, j'essayais d'établir si dans ces transcripts, M. Beara se
26 présentait en disant son nom, son prénom, si quelqu'un l'identifiait parmi
27 ses interlocuteurs. Ensuite, bien sûr, je regardais les transcripts dans le
28 contexte, comme je l'ai dit, des versions différentes de la langue commune
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1 serbo-croate, ou plutôt, les deux langues littéraires qui existent
2 aujourd'hui.
3 Comme on a pu le voir, il s'est avéré que s'agissant de la langue
4 littéraire, même si les traits de différentiation apparaissent, dans son
5 langage d'aujourd'hui, il utilise la variante occidentale, à savoir la
6 langue littéraire croate.
7 Il est entendu que s'agissant de mes conclusions et du degré de la
8 fiabilité et la question de savoir à quel point je peux être sûr au sujet
9 de mes opinions et conclusions, tout ceci se fonde sur le contexte et
10 l'ampleur du texte. Puis j'ai comparé aussi les transcriptions et les
11 versions dactylographiées, et là aussi j'ai trouvé certaines différences.
12 Donc vous avez la version écrite à la main, ensuite la même version
13 dactylographiée, tapée sur un ordinateur, et ceci est important, non pas
14 tellement là où nous avons un manuscrit, car c'est là que le manuscrit est
15 important, et la transcription est sans pertinence.
16 Mais il y avait des situations dans lesquelles nous n'avons pas de
17 manuscrit. Je vais répéter. Il est donc très important de, là où on n'a pas
18 de manuscrit, nous n'avons pas d'opérateur, nous n'avons pas le texte de
19 l'opérateur, mais nous avons une version écrite à la main, manuscrite.
20 Lorsque nous n'avons qu'une version qui n'est pas rédigée à la main,
21 imprimée ou tapée à la machine, et quand il n'y a pas de manuscrit, de
22 texte rédigé à la main, et là où nous avons le plus de texte, font en sorte
23 que, donc dans ces cas-là, les conclusions seraient des conclusions
24 beaucoup plus solides, beaucoup plus fondées si le texte manuscrit
25 existait, si l'on avait un texte rédigé à la main et si ce texte manuscrit
26 était identique à la version que j'avais à ma disposition, c'est-à-dire
27 tapée ou rédigée à la machine.
28 Q. Bien. Vous nous avez dit que vous avez énuméré sept différences,
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1 et vous nous avez également dit qu'en partie, vous deviez identifier pour
2 savoir si ces écoutes électroniques pourraient être attribuées à M. Beara;
3 donc c'était là l'objectif principal de votre travail. Ça, c'est si on se
4 penche sur le dernier paragraphe, tout juste avant la section 11, c'est ce
5 que vous dites, si je ne m'abuse.
6 R. [aucune interprétation]
7 Q. C'est là, n'est-ce pas ? On peut dire à la fin de la section VIII qui
8 parlait du facteur méthodologique du sud que vous avez employé pour votre
9 analyse. C'est le paragraphe suivant qui m'intéresse, c'est là que vous
10 décrivez quelle était votre tâche exactement.
11 En fait, pour être tout à fait clair, il faudrait lire un chiffre romain
12 IX, mais tel qu'on l'a ici, ce chiffre est identifié comme étant le chiffre
13 XI, alors il faudrait lire IX, alors que s'agissant de votre approche de
14 nouveau, voilà ma question, Monsieur le Professeur : votre objectif
15 principal visait à identifier sur la base du matériel que nous vous avons
16 donné, d'identifier si oui, les conversations pouvaient être attribuées à
17 M. Beara sur la base des informations dialectiques et linguistiques; est-ce
18 exact? C'était votre objectif principal, c'est ce que vous deviez faire
19 dans votre analyse ?
20 R. Oui.
21 Q. C'est la page 14 de votre rapport qui se poursuit à la page 15. Est-ce
22 que vous l'avez ?
23 R. Non, je ne vois pas très bien le rapport. Je ne vois pas quel est l'en-
24 tête de ce chapitre 11. Comment est intitulé ce chapitre ?
25 Q. Non, ce n'est pas grave, laissons de côté le chapitre 11 car je
26 souhaiterais me concentrer sur le chapitre 8: "Base analytique pour une
27 étude critique des textes manuscrits qui seraient attribués à M. Ljubisa
28 Beara ou qui seraient en lien avec Ljubisa Beara."
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1 R. Oui.
2 Q. Voilà, c'est ce qui m'intéresse, c'est ce paragraphe VIII en chiffres
3 romains.
4 R. Mon chapitre VIII s'intitule "Critique analytique des textes du 3
5 juillet au 2 août --
6 Q. Immédiatement au-dessus de ceci, en chiffres romains, est-ce qu'on
7 parle d'une possibilité que vous avez à voir d'analyser les [inaudible]
8 pour pouvoir déterminer si oui ou non on peut attribuer ces conversations à
9 M. Beara ?
10 R. Oui, tout à fait.
11 Q. Très bien. Très bien.
12 R. Oui, oui. Voilà, oui.
13 Q. Très bien. Alors nous allons passer en revue les conversations
14 interceptées ou ces écoutes électroniques. Nous n'allons peut-être pas
15 suivre le même ordre que vous aviez adopté vous-même. Mais de façon
16 générale, est-ce que vous étiez en mesure de vous forger une opinion sur la
17 base des documents à analyser et sachant que M. Beara a grandi à un
18 endroit, ensuite a eu une certaine expérience militaire, et vous l'avez
19 également rencontré les 7 et 8 -- Est-ce que sur la base de tout ceci, vous
20 aviez pu déterminer si ces écoutes électroniques aient pu être attribuées à
21 M. Beara ou si l'une quelconque de ces conversations interceptées ait pu
22 être attribuée à ce dernier ?
23 R. Je crois avoir déjà dit que s'agissant de la langue des 18 transcripts,
24 lorsqu'on observe dans son ensemble le langage employé, le langage, et
25 aujourd'hui, les 7 et 8 avril, la langue qu'a employée que M. Beara -- sont
26 tout à fait incompatibles, c'est-à-dire qu'il s'agit de deux catégories
27 tout à fait différentes de langages, de façons de s'exprimer. Alors si l'on
28 prenait sa façon chakavienne et ijkavienne, caractéristique de la ville de
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1 Split, si l'on prenait ces caractéristiques-là, donc cette langue qu'il a
2 employée au cours de ces deux jours-là, je devrais dire qu'à ce moment-là
3 la teneur de ces écoutes électroniques ne pouvaient pas lui être
4 attribuées, il faudrait rejeter ces écoutes électroniques comme étant les
5 siennes. Je n'ai trouvé dans ces écoutes qu'un seul chakavisme lexiquement
6 parlant qui se différenciait du reste, mais qui ne s'est plus jamais
7 répété, on ne l'a plus jamais retrouvé ailleurs. Puis, je suis parti du
8 fait que M. Beara, en date des 7 et 8, employait des phrases en se servant
9 d'une langue littéraire, ou en partie il parlait une langue littéraire, et
10 à ce moment-là, c'était cette variante-là d'une langue littéraire croate,
11 donc la variante de Zagreb. A l'époque, c'était une variante commune. J'ai
12 même accepté, si vous voulez, je lui ai cédé la possibilité de dire que
13 dans les transcripts où il y a beaucoup plus de caractéristiques et de
14 détails de ce type de langue-là, qu'il était possible de lier ces derniers
15 à M. Beara.
16 Il y a même eu une écoute électronique pour laquelle, avec un très
17 grand degré de certitude, j'ai pu dire qu'il s'agissait sans doute de M.
18 Beara, et c'était l'écoute électronique du 1er août.
19 Q. Très bien, merci. Nous allons en parler dans quelques instants.
20 Mais avant cela, j'aimerais que l'on reprenne votre approche
21 méthodologique. Vous avez également fait une analyse, et j'aimerais que
22 l'on passe en revue le tableau ou l'annexe 1 de votre rapport. Il s'agit
23 d'un tableau que vous avez créé sur la base de ces 18 conversations
24 interceptées. Et donc vous deviez répondre à certaines questions, à savoir
25 si la personne s'est compromise, si elle s'est révélée, si la personne
26 s'est révélé en fait, grâce aux autres interlocuteurs. Ensuite, on vous a
27 demandé : est-ce que le dialogue reflète clairement l'origine de
28 l'interlocuteur ? Est-ce qu'on a des variantes régionales, et ensuite est-
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1 ce que la façon ou le dialecte employé par l'interlocuteur ou par la
2 personne en question se rapproche à la façon dont M. Beara parle
3 aujourd'hui. Est-ce que vous avez ceci ?
4 R. Oui.
5 Q. Alors, afin que toutes les personnes présentes puissent suivre,
6 il s'agit de l'annexe 1 à la pièce 2D551. Donc, Monsieur, même si vous nous
7 avez donné une explication assez brève des symboles, des zéros et des
8 traits, des plus, vous nous avez expliqué ce que c'était, pourriez-vous
9 nous dire exactement, afin que nous puissions tous comprendre, qu'est-ce
10 que vous voulez dire, qu'est-ce que vous entendez par ces symboles, zéro,
11 ou est-ce une lettre "O," je ne le sais pas ?
12 R. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de données. C'est ce que ça veut
13 dire: il n'y a pas de données. Donc manque de données, d'information.
14 Q. Et le signe représentant un moins, qu'est-ce que cela voudrait dire ?
15 R. Le signe du moins veut dire qu'il ne s'est pas présenté dans la
16 conversation. Lorsqu'on met un zéro, on veut dire qu'il ne s'agit pas du
17 tout de Beara. Ce sont d'autres personnes qui parlent.
18 Q. Très bien. Et le plus, le signe du plus que vous avez employé, qu'est-
19 ce que cela veut dire dans ce rapport ?
20 R. Ceci est une réponse positive, c'est-à-dire que l'on confirme
21 l'identité, à savoir s'il s'est, selon le transcript, présenté, est-ce que
22 quelqu'un d'autre l'a présenté ou est-ce que c'est lui-même qui se
23 présente.
24 Q. Très bien, merci, Professeur, mais ces symboles que vous avez employés,
25 donc le signe du moins et le signe du plus, le zéro, est-ce que vous avez
26 employé ceci pour les quatre questions indépendantes que l'on vous a
27 données ? Donc ce n'est pas simplement si M. Beara a révélé son identité ou
28 si une personne, son interlocuteur a dévoilé son identité. Vous vous êtes
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1 servi de ces symboles pour les quatre catégories, les quatre questions, y
2 compris la quatrième catégorie ou question, à savoir si le dialecte de la
3 personne qui parle correspond à la façon dont parle M. Ljubisa Beara
4 actuellement ?
5 R. Ces symboles-ci, je les ai employés pour vous décrire une image
6 générale, une impression générale. Lorsque j'ai analysé tous les éléments,
7 tout ce dont j'ai pu avoir comme concret, tous les éléments concrets,
8 lorsque j'ai analysé le tout, je suis arrivé à ces conclusions.
9 Q. Très bien. Justement, voilà, je voulais que l'on parle d'une synthèse,
10 de votre synthèse alors pour être bref.
11 S'agissant d'une conversation interceptée de 1995, nous pouvons
12 examiner ce tableau. Même si vous n'avez pas indiqué l'année, nous pouvons
13 voir que l'heure de la conversation interceptée est 10 heures du matin.
14 C'est là où il s'identifie. C'est là où on retrouve un plus dans votre
15 rapport.
16 R. [aucune interprétation]
17 Q. Prenez votre tableau, Monsieur le Professeur. Dans la colonne de
18 gauche, on peut voir "1er août, 10002," donc 10 heures 2 minutes.
19 R. Oui, je vois.
20 Q. Et si nous examinons toutes les quatre colonnes, nous verrons que vous
21 avez mis quatre plus, et vous avez donc répondu par un "oui" pour les
22 quatre questions. Donc c'est votre analyse pour les conversations
23 interceptées que vous avez analysées ou pour cette conversation, n'est-ce
24 pas?
25 R. Oui.
26 Q. Revenons à la conversation du 1er août. Vous avez fait une analyse pour
27 ce qui est de cette écoute du 1er août qui a eu lieu à 10 heures 02. Qu'est-
28 ce que vous pouvez nous dire sur elle ?
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1 R. Oui, je l'ai trouvée.
2 Q. Alors, pourriez-vous, je vous prie, identifier ou nous dire, afin que
3 nous puissions tous comprendre ainsi que les Juges de la Chambre, et je
4 vais demander que l'on affiche sur le prétoire électronique. Il s'agit de
5 la pièce P1378 [comme interprété] en B/C/S et 1378A en anglais.
6 Monsieur, vous devriez avoir ce texte sous les yeux. Je sais que vous avez
7 votre document ou l'analyse. Je ne sais pas si vous avez besoin du
8 transcript qui a été fourni pour cette conversation interceptée. Pourriez-
9 vous nous dire quelles sont vos conclusions relatives à cette conversation
10 interceptée le 1er août à 10 heures 02 ?
11 R. Selon les allégations de l'opérateur qui met les noms entre guillemets,
12 M. Beara s'est présenté à lui et il a dit: "Bonjour, je m'appelle Beara."
13 Et c'est ce qu'a fait également son interlocuteur. Il a confirmé son nom en
14 le répétant. Alors si l'on analyse la langue, ce n'est pas une langue très
15 riche, mais elle n'est pas en très grande contradiction avec l'identité
16 mentionnée.
17 Q. Excusez-moi, juste pour que l'on puisse suivre avec vous, Professeur,
18 je voudrais que l'on prenne la deuxième page en anglais. Je crois que le
19 professeur est en train de se concentrer sur le passage où M. Beara se
20 nomme.
21 Poursuivez, je vous prie.
22 R. Oui. Ce texte, tout comme les autres d'ailleurs, ne représente pas une
23 variante s'agissant d'une langue littéraire, il ne s'agit pas d'une langue
24 littéraire marquée, c'est-à-dire que l'on ne détecte pas de variantes. Il y
25 a des détails, des caractéristiques selon une variante occidentale,
26 lorsqu'on parle d'une langue croate, mais il y a également des variantes
27 qui nous rappellent la variante orientale. J'ai plutôt décidé d'accorder
28 une priorité à la variante occidentale parce que le témoin dit "izvjestio".
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1 Q. C'est où exactement dans le transcript afin que nous puissions suivre ?
2 R. C'est dans les notes.
3 Q. D'accord. Oui, poursuivez, je vous prie.
4 R. Alors il dit "izvjestio". Ensuite, il y a une forme plus courte de
5 l'infinitif et on dit "pozvat", "dogovorit" sans le "i," mais l'on retrouve
6 également "naci" avec un "i," alors il y a une présence du "i". On voit une
7 variante plus longue du verbe à l'infinitif. Dans les transcripts, il
8 arrive souvent de mentionner "burazer".
9 L'INTERPRÈTE : Ça veut dire "frère".
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Et ce nom, "burazer" n'appartient pas
11 réellement à une variante ou une autre. Il n'est pas défini par une
12 variante, c'est une variante occidentale plutôt qu'une variante orientale,
13 mais ici on emploie une forme tronquée, "buraz" qui est plus fréquente à
14 l'ouest.
15 Q. Nous essayons de suivre avec vous, et je sais qu'en fait il s'agit
16 d'une conversation en deux parties, d'abord on introduit M. Beara, et vous
17 nous parlez de "buraz" est une forme tronquée de "burazer," n'est-ce pas ?
18 C'est ce que vous nous dites là?
19 R. Oui, tout à fait.
20 Q. Poursuivez, je vous prie, votre analyse de cette conversation
21 interceptée.
22 R. Oui. On retrouve des infinitifs selon une variante occidentale. On voit
23 "biti", est-ce que tu seras au bureau ? "Hoces li biti u firmi. Donc "biti"
24 avec un "i," version non tronquée, tout juste à côté d'une construction
25 tout à fait typique pour une variante orientale qui est : "ja cu da
26 dodjem", je vais venir. Et donc pour vous donner ma conclusion –-
27 Q. Oui, allez-y, s'il vous plaît.
28 R. J'ai donné place à la possibilité, car ma conscience me l'impose, j'ai
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1 décidé d'accepter ceci comme une possibilité, à savoir que c'est réellement
2 le langage de Beara, car même aujourd'hui il dit "izvjestio," donc je l'ai
3 entendu, "pozvat" sans le "i", "dogovorit" sans le "i," et "buraz" version
4 tronquée de "burazer".
5 Q. Et c'est pourquoi, Professeur, vous avez identifié dans votre tableau
6 les quatre questions avec des signes plus ?
7 R. Oui.
8 Q. Je sais que vous avez passé beaucoup de temps à analyser ces
9 conversations interceptées, et nous vous en sommes très reconnaissants,
10 mais passons rapidement à autre chose pour l'instant.
11 J'aimerais que l'on se penche sur une autre conversation interceptée du 1er
12 août. Nous avons deux conversations, l'une qui a eu lieu à 22 heures 45, et
13 une autre à 23 heures 08. En fait, excusez-moi, je me suis trompé. La
14 conversation qui nous intéresse maintenant, c'est la conversation 65 ter
15 qui porte la cote P1395. C'est une conversation qui -– excusez-moi, je me
16 suis de nouveau égaré.
17 M. OSTOJIC : [interprétation] Excusez-moi, Monsieur le Président.
18 J'aimerais la pièce P1380. C'est une conversation interceptée du 1er
19 août 1995 qui a eu lieu à 22 heures 45. Pour indiquer au témoin de quoi il
20 en est –-
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, j'ai tout devant moi. J'ai trouvé.
22 M. OSTOJIC : [interprétation]
23 Q. Très bien. Vous avez également passé en revue cette conversation du 1er
24 août 1995 qui a eu lieu à 22 heures 45 et vous avez également inclus une
25 autre partie identifiée comme étant une conversation qui a eu lieu à 23
26 heures 08. En fait, est-ce que vous pourriez nous dire -–
27 Cette conversation interceptée se trouve sur deux pages, donc les pièces
28 P1380 et P1380B, et ensuite, il y a une autre conversation interceptée qui
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1 se trouve en dessous et qui commence à 23 heures 08. Vous la jumelez à
2 celle de 22 heures 45. C'est sur deux pages. J'aimerais vous demander
3 pourquoi est-ce que vous avez mis les deux heures ? Pourquoi est-ce que
4 vous avez analysé ces deux conversations ensemble et les avez mis ensemble
5 ?
6 R. J'ai traité cette conversation comme étant une même conversation, car
7 elle se poursuit peu de temps après. Vous verrez que la première
8 conversation est assez longue, il y a une courte pause, et il y a d'autres
9 circonstances qui lient ces deux conversations ensemble. Et c'est un texte
10 assez long, ce sont deux textes relativement longs pour lesquels nous
11 n'avons pas de manuscrits. Nous n'avons pas de notes prises par
12 l'opérateur. Je n'ai toutefois, moi tout du moins, pas eu à ma disposition
13 ces notes manuscrites.
14 Q. Mais cela vaut également pour la conversation précédente, celle qu 1er
15 août qui a eu lieu à 10 heures 02, n'est-ce pas ?
16 R. Oui. Donc toutes les conversations du 1er août n'ont pas de notes
17 manuscrites.
18 Q. Lorsque vous parlez de "manuscrits", vous voulez dire que personne n'a
19 pris les notes à la main.
20 R. Oui. Un "manuscrit", je pense là à une version de l'opérateur, donc la
21 version manuscrite est rédigée à la main par l'opérateur qui travaillait ce
22 jour-là.
23 Q. Très bien. Merci beaucoup pour cette précision. Maintenant,
24 concentrons-nous sur la deuxième conversation interceptée, celle du 1er août
25 1995, la première qui a eue lieu à 22 heures 45, et l'autre à 23 heures 08.
26 Dites-nous, s'il vous plaît, quelle est votre analyse de ces conversations-
27 là.
28 R. Voyez-vous, le langage de ces deux conversations ne correspond pas au
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1 langage employé pendant la première conversation interceptée qui a eu lieu
2 ce même jour à 10 heures 02 du matin.
3 Q. Je ne sais pas si je vous comprends très bien. Vous dites que c'est
4 incompatible parce que cela ne peut pas être la même personne ? Si nous
5 prenons pour acquis que la conversation à 10 heures 02 inclut M. Beara,
6 vous voulez dire qu'à 22 heures 45 et à 23 heures 08, on ne peut pas parler
7 de M. Beara ?
8 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Monsieur Vanderpuye.
9 M. VANDERPUYE : [interprétation] Objection. C'est complètement une question
10 tout à fait directrice.
11 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Pourriez-vous poser une question un peu
12 moins directrice, s'il vous plaît, Maître Ostojic.
13 M. OSTOJIC : [interprétation]
14 Q. Que voulez-vous dire lorsque vous dites que ces conversations ne
15 correspondent pas aux conversations précédentes, c'est-à-dire vous parlez
16 d'une "incompatibilité" entre les deux. Qu'est-ce que vous voulez dire par
17 là ?
18 R. Lorsque je parle d'incompatibilité, je veux dire que c'est complètement
19 contraire, tout à fait différent et qu'on ne peut pas établir de lien entre
20 les deux. Dans le transcript des conversations qui auraient été
21 interceptées dans la soirée, nous voyons une prédominance du langage
22 ékavien. Nous avons un parler ékavien, on parle de "mesto", "obseku",
23 "covek". Il n'a que deux caractéristiques ékaviennes, "razumijem" et
24 "dvije". M. Beara parle ici -- enfin, de -- il dit normalement "razumim",
25 il me l'a dit lorsque je me suis entretenu avec lui et lorsqu'il a parlé
26 avec le Procureur au mois d'octobre, nous le verrons plus tard, donc ça ne
27 correspond pas du tout à sa façon de parler.
28 De plus, j'ai essayé d'expliquer l'ékavien avec des adaptations que
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1 l'on peut des fois faire lorsqu'on a un interlocuteur qui parle d'une autre
2 façon, donc on s'adapte à l'interlocuteur. Par contre, son interlocuteur
3 dans cette conversation-là parle beaucoup plus souvent avec la langue
4 ijkavienne, donc il parle en ijkavien beaucoup plus. De plus, s'agissant de
5 l'ékavien, on associe un infinitif plus court, ce qui n'est tout à fait pas
6 logique.
7 Q. Et cela, nous n'avions pas eu l'occasion de le voir dans les écoutes
8 précédentes, c'est ce que vous nous dites ?
9 R. Comment dites-vous ?
10 Q. Est-ce que l'on n'a pas eu l'occasion de voir cela dans les écoutes
11 précédentes ?
12 R. Non, il n'y avait pas autant d'ékavien. Vous savez, ici, c'est de
13 l'ékavien. Il y a ici 15 mots ékaviens, et je l'ai écrit, dans la version
14 dactylographiée, mais pas dans la version manuscrite.
15 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Monsieur Ostojic, je crois qu'il nous
16 faudra au moins 25 minutes pour digérer tout cela.
17 Donc 25 minutes de pause.
18 --- L'audience est suspendue à 17 heures 48.
19 --- L'audience est reprise à 18 heures 23.
20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Monsieur Ostojic.
21 M. OSTOJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
22 Q. Monsieur, je vous pose la question, est-ce que vous êtes prêt à
23 continuer ? Je sais que c'est assez long et que c'est assez difficile de
24 parler beaucoup en déposition ici dans le prétoire, mais est-ce que
25 physiquement cela vous pose un problème de poursuivre pendant encore une
26 quarantaine de minutes ?
27 R. Mais vous savez, la pause a été suffisamment longue et, en tout cas en
28 ce qui me concerne, nous pouvons poursuivre jusqu'à minuit.
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1 Q. Merci beaucoup. Je ne pense pas qu'il sera nécessaire d'aller jusque-
2 là.
3 Monsieur, souvenez-vous, nous parlions des écoutes téléphoniques du 2
4 août, et plus particulièrement 22 heures 45 et 23 heures 08. J'examine
5 votre tableau où je vois que vous avez fait apparaître des signes moins ou
6 négatifs dans les colonnes qui ont trait à votre analyse de ces écoutes
7 téléphoniques retranscrites, et vous nous avez dit également que dans ces
8 écoutes, entre autres, telle que celle du 1er août à 10 heures 02, il n'y
9 avait pas de retranscription manuscrite. Mais pour ce qui est de cette
10 écoute-ci, 22 heures 45 et 23 heures 08, à nouveau, est-ce qu'il vous a été
11 possible de parvenir à une conclusion sur un avis lié à suffisamment de
12 certitude quant au fait que ces écoutes téléphoniques sont des écoutes de
13 M. Beara, doivent être attribuées à M. Beara, la voix que l'on y entend ?
14 R. En me fondant sur mon expérience professionnelle, et compte tenu de ce
15 que je sais des circonstances propres aux zones linguistiques serbes et
16 croates, une personne donnée ne peut pas, en une même journée ou en
17 l'espace de 13 heures à peu près, passer d'une façon de parler à une autre
18 à ce point différent l'une de l'autre.
19 La langue du 1er août, dans ces deux ou trois conversations, est un mélange,
20 une sorte de panachée qui ne pourrait exister de façon naturelle. La
21 conversation qui s'est tenue l'après-midi, à mon sens, ne peut pas être une
22 conversation tenue par Ljubisa Beara.
23 Q. Pourrions-nous nous concentrer sur la première colonne, si vous le
24 voulez bien, où l'on se pose la question de savoir s'il est difficile de
25 savoir quelle est l'identité de la personne avec qui il parle, et vous avez
26 mis un signe négatif.
27 Et à la fin du texte, et encore une fois c'est la pièce à conviction
28 P1380B en version B/C/S, et la version anglaise étant 1380A, et nous savons
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1 que dans le corps du texte, d'après votre tableau, on ne fait aucune
2 référence à une personne identifiée comme étant l'identité d'une personne
3 telle que M. Beara. Ceci dit, au début de ce texte, dans la partie
4 introductive de ce texte, qui n'est pas reprise dans la conversation,
5 quelqu'un l'identifie comme étant M. Beara. Vous savez de qui il s'agit ?
6 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Monsieur Vanderpuye.
7 M. VANDERPUYE : [interprétation] Il s'agit de conjecture, Monsieur le
8 Président.
9 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Monsieur Ostojic.
10 M. OSTOJIC : [interprétation] Mais je crois qu'il est tout à fait
11 raisonnable de poser la question compte tenu des moyens de preuve qui sont
12 présentés. C'est certainement un moyen de preuve factuel qui a trait à ce
13 que j'ai dit, et nous essayons de savoir pourquoi il a mis un zéro au lieu
14 un signe négatif ici. J'essaie simplement d'obtenir –-
15 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] M. le Professeur est-il la personne
16 idéale à laquelle poser cette question ?
17 M. OSTOJIC : [interprétation] Non, pas idéale, certes. Mais je peux peut-
18 être poursuivre –-
19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Comment peut-il, lui, expliquer qui a
20 pris ces notes.
21 M. OSTOJIC : [interprétation] Oui, vous n'avez pas tort du tout.
22 Q. Monsieur le Professeur, dans le corps du texte des écoutes
23 téléphoniques, avez-vous pu constater que des références avaient été faites
24 au nom "Ljubo," et s'il y avait un dérivé de ce nom, "Ljubo", et vous a-t-
25 il été possible de savoir si l'Accusation défend la thèse selon laquelle il
26 s'agit d'un individu inconnu ? Dans d'autres écoutes téléphoniques que vous
27 avez eu l'occasion d'examiner, est-ce que vous avez pu voir cela paraître
28 où que ce soit ?
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1 R. Je ne suis pas tout à fait sûr d'avoir compris votre question. Est-ce
2 que nous sommes en train de parler de cette personne Stevo qui utilise le
3 terme "Ljubo," et personne ne se présente comme étant Ljubo Beara ? Vous
4 trouverez cela dans le tableau. Personne ne se présente comme étant Ljubo
5 Beara. Et "Ljubo," ça peut correspondre à toute une série de personnes, si
6 vous utilisez simplement le terme "Ljubo."
7 Q. Examinons la pièce à conviction P1395, écoute téléphonique datant du 2
8 août à 13 heures. Je souhaiterais revenir sur un certain nombre de choses
9 qui figurent dans ces écoutes téléphoniques. Pièce à conviction P1305D, et
10 P1395C est la version anglaise. Et P1395D étant la version dactylographiée
11 tandis que le P1395F est la version manuscrite.
12 Monsieur le Témoin, la pièce 1395 à 13 heures, écoute téléphonique,
13 est-ce que vous avez eu l'occasion de faire lecture de cette
14 retranscription écrite également ? En fait, c'est celle qui suit dans votre
15 tableau, deuxième rangée à partir du bas.
16 R. La conversation qui a eu lieu le 2 août à 13 heures, c'est bien de cela
17 que nous parlons ? Si c'est le cas, cette conversation n'avait pratiquement
18 aucune pertinence pour le travail que j'avais à réaliser, puisqu'elle ne
19 comprend aucun texte, il n'y a aucun mot qui peut être lié au nom de M.
20 Beara.
21 Et permettez-moi de poursuivre, parce que le texte est important pour
22 une autre raison, un autre fait. La personne qui a dactylographié ce texte,
23 utilisant un ordinateur, manifestement n'était pas à même de faire la
24 distinction entre les réflexes ijkaviens et ékaviens de l'agrégé "jat".
25 Lorsqu'il a retranscrit le texte en se basant sur la version manuscrite
26 qui, à mon sens, était correcte, il a recopié les caractéristiques
27 "izvjestaj" [phon] ou "rapportent", "covjeca", ou "homme", et les a
28 retranscrites de façon dactylographiée d'une façon qui ne correspond à la
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1 façon dont personne ne parlerait. "Izvjestaj" et "cavijece", voilà ce qui
2 figure dans son texte.
3 Q. Professeur, je vais essayer de mieux vous suivre. Je pense qu'à la page
4 65 du compte rendu d'audience, il était marqué P1905, mais en réalité, il
5 s'agit de P1395. Et peut-on maintenant présenter à l'écran le manuscrit
6 "D", encore une fois il s'agit de P1395D, et immédiatement après, nous
7 allons nous pencher sur le texte dactylographié P1395B.
8 Et montrez-nous, s'il vous plaît, l'endroit où apparaît ce mot dans
9 cette conversation interceptée à 13 heures le 2 août 1995.
10 M. OSTOJIC : [interprétation] Et si possible, Monsieur le Président, est-ce
11 que l'Huissier pourrait lui fournir un stylo et peut-être le surligner ou
12 souligner ou encercler.
13 LE TÉMOIN : [interprétation] Voilà.
14 M. OSTOJIC : [interprétation]
15 Q. Professeur, ils ont un stylo spécial.
16 R. Que faut-il que je fasse ? Il faut que je souligne le mot "izvjectaj" ?
17 Q. Et Professeur, je pense que nous aurons besoin à gauche de l'écran --
18 R. C'est un mot, "izvjstaj", "en rapport" -- c'est bien en manuscrit, mais
19 je vais essayer de trouver cela dans la version dactylographiée. Où est-ce
20 que cela se trouve ?
21 Q. Professeur -- Professeur, c'est à la page suivante. Je vais demander
22 que l'on passe à la page suivante lorsque l'on aura terminé d'examiner
23 cette page-là, mais pour le moment, je souhaite que l'on voit l'ensemble de
24 la version B/C/S manuscrite dont le numéro est ERN est 0108-5009, et si
25 j'ai bien compris, c'était 1395B, et nous pourrons ensuite encercler cela
26 aussi dans la version dactylographiée pour mieux comprendre ce que vous
27 essayez de nous dire. Merci de votre patience.
28 R. Où est cette version-là dans l'ordinateur ?
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1 Q. Ils essaient de nous l'obtenir à l'instant même.
2 Il s'agit d'un seul mot, donc peut-être il pourrait simplement ré-encercler
3 cela, c'est à la Chambre de décider. Nous avons remarqué qu'à gauche, nous
4 avons la version en anglais, mais nous avons besoin de la version
5 dactylographiée en B/C/S, et ensuite la version manuscrite en B/C/S.
6 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, je pense que nous devrons le
7 sauvegarder de toute façon.
8 M. OSTOJIC : [interprétation] Ils vont nous afficher cela dans un instant,
9 Professeur. Veuillez attendre. Soyez patient.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais moi, je suis patient.
11 Oui, voilà.
12 M. OSTOJIC : [interprétation] Nous pouvons défiler le texte un peu vers le
13 bas, et vers le fond de ce document.
14 Q. Et donc, est-ce que vous pourriez encercler le mot qui correspond à la
15 version dactylographiée du mot que vous avez encerclé dans la version
16 manuscrite ?
17 R. [Le témoin s'exécute] Je l'ai fait.
18 Q. Et afin de nous permettre de mieux comprendre --
19 R. Et "covijece" [phon], c'est un peu plus haut.
20 Q. Il s'agit en fait d'une autre page du manuscrit et de la version
21 dactylographiée, mais nous allons nous en tenir là pour le moment.
22 Vous avez noté que ce mot de la version manuscrite a été dactylographié
23 différemment par rapport à ce qui apparaît dans le texte; c'est ce que vous
24 vouliez nous dire ?
25 R. Oui.
26 Q. Oui, et bien sûr --
27 R. Ecoutez, dans le manuscrit, dans la version écrite à la main, donc
28 version manuscrite, tout est bon, et le mot "covijece", et le mot
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1 "izvjestija". Dans la version dactylographiée, il y a une grosse erreur, un
2 gros ijekavisme. Ça a été retranscrit de manière erronée, et moi, je trouve
3 que c'est une grave erreur, puisque ceci jette un doute sur les textes qui
4 n'existent que sous leur forme dactylographiée, et non pas manuscrite, et
5 donc nous ne pouvons pas vérifier la véracité de ce texte.
6 Q. Merci.
7 Et maintenant, avec la permission de la Chambre, nous souhaitons passer à
8 la page suivante, la page 2 des deux documents, et encore une fois, tout
9 d'abord, je suppose qu'il faudra sauvegarder la version dactylographiée
10 avec un mot encerclé.
11 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Merci. On me suggère que pour des
12 raisons pratiques votre témoin devrait encercler aussi le nom pertinent
13 dans -- enfin, est-ce que vous pouvez lui demander de ce faire.
14 M. OSTOJIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.
15 Q. Professeur, est-ce qu'encore une fois vous pourriez encercler le mot
16 dont il a été question ici dans le manuscrit, le texte écrit à la main, qui
17 correspond au mot encerclé à gauche de l'écran. Est-ce que vous pouvez le
18 faire encore une fois ? Dans la version manuscrite.
19 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Monsieur Vanderpuye.
20 M. VANDERPUYE : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre, mais j'ai
21 remarqué dans le compte rendu d'audience que le témoin indiquait que la
22 différence entre la transcription et les changements manuscrits donnaient
23 le sens à tout cela, mais je ne comprenais pas s'il voulait dire le sens
24 linguistiquement, afin d'identifier une personne, est-ce que ça peut être
25 clarifié par mon éminent collègue, s'il vous plaît.
26 M. OSTOJIC : [interprétation] Oui, dès que possible, nous le ferons.
27 Q. Est-ce que vous pouvez encercler cela, ce mot encore une fois,
28 "izvjestaj", dans la version manuscrite ? Est-ce que vous pouvez prendre
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1 votre stylo et encercler encore une fois dans la version manuscrite le mot
2 là où il apparaît ?
3 R. [Le témoin s'exécute]
4 Q. Excellent. Lorsque vous examinez ces deux mots, et je pense que dans le
5 compte rendu d'audience, comme mon éminent collègue l'a dit, ces
6 changements modifient le sens du mot. Est-ce que vous pourriez nous décrire
7 encore une fois, à votre opinion, professionnellement parlant, la
8 différence entre le fait d'ajouter la lettre "I" dans le texte
9 dactylographié, par rapport au texte manuscrit, est-ce que ça change le
10 sens du mot ou, vous en tant qu'expert en linguistique et professeur de la
11 dialectologie, vous considérez que ceci indique des caractéristiques
12 spécifiques pour vous ?
13 R. On se concentre ici sur la question de la fiabilité ou de la non-
14 fiabilité des personnes qui ont procédé à la rédaction de ces textes à la
15 machine. En d'autres mots, ces deux formes-là démontrent qu'il s'agit de
16 personnes non fiables, que ces personnes qui tapaient à la machine
17 n'étaient pas des personnes fiables ou n'étaient pas des experts en
18 ordinateurs. Il est tout à fait possible qu'il y ait des erreurs dans
19 d'autres textes, que d'autres erreurs se soient glissées ailleurs et que
20 l'on ne peut plus vérifier avec le texte manuscrit. Maintenant lorsqu'il
21 est question de sémantique, le mot "lepo" et le mot "lijepo", d'un point de
22 vue de la sémantique, ce sont deux termes qui veulent dire exactement la
23 même chose, ils ont la même signification, mais on les voit dans
24 différentes régions, on les rencontre dans différentes régions.
25 Q. Et vous pouvez déterminer immédiatement l'appartenance d'une personne
26 ou conclure de façon raisonnable d'où provient une personne en l'entendant
27 employer l'un ou l'autre de ces mots ?
28 R. Sur la base du "jat", nous pouvons deviner d'où provient une personne,
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1 mais ici, les sténotypistes ont rédigé le texte d'une façon qui ne peut pas
2 refléter le langage de personne. On ne peut pas déceler chez quelqu'un
3 cette façon de parler, et ceci nous indique le niveau de fiabilité du
4 sténotypiste n'est pas tout à fait -- enfin, n'est pas bon, car nous
5 rencontrons deux termes, "izvjestaj" et "covijece".
6 Q. Est-ce que nous pourrions, s'il vous plaît, sauvegarder cette page avec
7 les annotations.
8 Et j'aimerais maintenant passer à la conversation interceptée du 2
9 août à 13 heures, et j'aimerais vous demander de vous livrer au même
10 exercice, à savoir de tracer un cercle autour du mot qui, selon vous,
11 aurait un impact ou une incidence dialectique. Et je crois que vous avez
12 mentionné un peu plus tôt le mot "covijece," alors j'aimerais que vous les
13 encercliez sur les deux pages, donc s'agissant de la page manuscrite et de
14 la page dactylographiée.
15 Il nous faudra employer un stylet…
16 R. Voilà, dans le texte manuscrit, nous rencontrons le mot "covjijece"
17 alors qu'ici, je ne le retrouve pas.
18 Q. Oui, à la quatrième ligne --
19 R. Oui, oui, tout à fait, tout à fait. Je l'ai trouvé.
20 [Le témoin s'exécute]
21 M. OSTOJIC : [interprétation] Monsieur le Président, avec votre permission,
22 je demanderais que l'on sauvegarde ces deux pages également.
23 Q. Alors, Monsieur, vous estimez, selon vous, vous avez décelé une
24 différence dans les deux textes, le texte manuscrit et le texte
25 dactylographié ? Selon vous, que veut dire ces différences, quelle est
26 l'importance de ces deux différences, ce que cela peut porter à croire ?
27 R. Selon moi, ces deux erreurs vont à l'encontre de l'autorité ou plutôt,
28 ils mettent en doute l'autorité des dactylographes, des sténotypistes, et
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1 nous devons être très prudents lorsque nous analysons les manuscrits qui ne
2 sont pas rédigés à la main et nous devons faire très attention car nous ne
3 pouvons pas être sûrs du niveau de fiabilité de ce type de texte, car voilà
4 une preuve au corpus delicti.
5 Q. Très bien, merci. Nous n'avons que quelques minutes, et je voudrais que
6 l'on se livre à ce même exercice en examinant un autre document. Il y a
7 quelques entrées, pour ce qui est des temps des conversations interceptées.
8 J'aimerais savoir, à l'examen des signes du plus que vous avez
9 indiqués sur votre annexe, pourriez-vous nous dire si, s'agissant de la
10 conversation du 1er août à 10 heures 02, où vous avez mis des plus partout,
11 est-ce que vous pourriez nous dire s'il y a d'autres conversations qui ont
12 eu lieu entre le 16 juillet et le 1er août à 10 heures 02, si d'autres
13 conversations sont attribuées ou semblent être attribuées à M. Beara ?
14 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Monsieur Vanderpuye.
15 M. VANDERPUYE : [interprétation] Monsieur le Président, la question est
16 vague. Nous ne savons pas très bien de quelles conversations interceptées
17 traite mon éminent confrère. Je ne sais pas si ce sont des écoutes
18 téléphoniques que l'on a données au témoin aux fins d'analyses ou est-ce
19 que c'est d'autres écoutes téléphoniques de façon générale.
20 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Oui, Monsieur Ostojic.
21 M. OSTOJIC : [interprétation] Nous n'avons pas d'autres écoutes, alors
22 c'est la raison pour laquelle je lui pose cette question-là, qui ne semble
23 pas être du tout vague. Il s'agissait d'une question assez claire.
24 Q. Monsieur, est-ce que vous pourriez nous dire s'il y a d'autres
25 conversations qui peuvent être attribuées à M. Beara entre le 16 juillet et
26 le mois d'août ? Car je vois que le 16 juillet, je vois un plus, et ensuite
27 je vois un autre plus pour la date du 1er août. J'aimerais savoir si entre
28 le 16 juillet et le 1er août, il y a d'autres écoutes qui peuvent être
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1 attribuées à M. Beara ?
2 R. Non, non, je n'en ai pas trouvées.
3 Q. Nous voyons une autre conversation interceptée le 23 juillet à 8 heures
4 05. Je crois qu'il s'agit de la pièce 65 ter 1310. Dans cette conversation-
5 là, qui vous a été remise comme faisant partie du dossier Ljubo Beara – je
6 ne sais plus ce que l'on a dit – penchons-nous sur l'écoute du 23 juillet à
7 8 heures 05. Et de nouveau, je répète le numéro 65 ter, le 1310.
8 R. Oui, vous dites ?
9 Q. Je parle du 23 juillet.
10 R. Quelle est la date ?
11 Q. Le 23 juillet. Pour que le compte rendu d'audience soit tout à fait
12 limpide, je demande l'affichage de la pièce P1310B ainsi que de la pièce
13 P1310C, qui est la version manuscrite. Nous avons également la version
14 anglaise, qui porte la cote P1310A. Mais en réalité, nous n'avons besoin
15 que de la version "A" et "B" de ces écoutes à l'écran.
16 R. J'ai trouvé le passage, les deux textes. Mais un instant, s'il vous
17 plaît.
18 Q. Concernant –-
19 R. Oui, j'ai trouvé.
20 Q. Concernant ces conversations interceptées, vous avez dit dans votre
21 rapport – enfin, dans votre rapport vous identifiez, vous mettez des zéros
22 ou des cercles en réponses à plusieurs questions que nous vous avons
23 posées, aux quatre questions posées. Donc j'aimerais savoir si, s'agissant
24 de la conversation du 13 mai 2007, qui était Ljubo ? On vous a dit que
25 c'était Ljubo, donc s'agissant de l'écoute du 13 mai 2007, est-ce que l'on
26 vous a également indiqué qu'il s'agissait de Ljubo, que supposément Ljubo
27 était l'un des interlocuteurs dans la conversation du 23 juillet 1995 à 8
28 heures 05 ?
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1 R. Beaucoup plus tôt, j'ai fait une analyse, et dans mon rapport j'ai dit
2 qu'il n'était pas clair de quel Ljubo il était question. Il n'y a
3 absolument aucun indice laissant à croire qu'il s'agirait de M. Ljubisa
4 Beara.
5 Q. Et je --
6 R. Et, dans tous les cas, l'Accusation estime qu'il est question du
7 commandant Ljubo Bojanovic, donc il n'y a absolument rien -- ce Ljubo-là
8 n'a rien à voir avec Beara.
9 Q. La Chambre a les écritures du 1er mai et s'ils se penchent sur -– près
10 de la page 73, ils vont pouvoir voir de quoi il est question.
11 Mais j'aimerais, puisqu'il ne nous reste que trois minutes, de
12 prendre l'écoute datée du 25 juillet qui a eu lieu à 7 heures 09 du matin,
13 et pour les personnes qui suivent, il s'agit de la pièce P1328B et P1328A.
14 J'aimerais que l'on prenne l'écoute électronique du 25 juillet qui a
15 commencé à 7 heures 09 du matin.
16 R. Ce n'est pas clair de quel Ljubo il s'agit ici non plus. C'est un
17 document qui ne permet pas une analyse. Les informations sont assez
18 restreintes. Il n'y a que quelques questions militaires très succinctes,
19 des salutations, des questions courtes : "salut," "bien," "excellent,"
20 "okay". Deux fois, on voit "gide", ce qui est contraire à la façon dont
21 Beara parle aujourd'hui, et de toute façon, l'Accusation, tout comme moi,
22 nous partageons la même opinion, car nous estimons qu'il n'est pas clair de
23 quel Ljubo il s'agit. Donc l'Accusation partage ce même point de vue.
24 M. LE JUGE AGIUS : [interprétation] Très bien. Terminons-en
25 aujourd'hui pour ce qui est de cette partie de votre témoignage. Vous
26 reviendrez demain matin, et nous reprendrons nos travaux à 9 heures demain.
27 Merci.
28 --- L'audience est levée à 19 heures 00 et reprendra le mardi 26 août 2008,
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1 à 9 heures 00.
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