Affaire n° : IT-04-74-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
3 septembre 2004

LE PROCUREUR

c/

JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE HADZIHASANOVIC ET KUBURA AUX FINS D’OBTENIR L’ACCÈS À DES PIÈCES JOINTES CONFIDENTIELLES

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Les Conseils des Accusés :

MM. Camil Salahovic et Zelimir Par pour Jadranko Prlic
M. Zeljko Olujic pour Bruno Stojic
M. Bozidar Kovacic et Mme Nika Pinter pour Slobodan Praljak
Mme Vesna Alaburic pour Milivoj Petkovic 
M. Tomislav Jonjic pour Valentin Coric
M. Marinko Skobic pour Berislav Pusic

Les Conseils des Requérants :

Mme Edina Residovic et M. Stéphane Bourgon pour Enver Hadzihasanovic
MM. Fahrudin Ibrisimovic et Rodney Dixon pour Amir Kubura

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la « Requête conjointe de Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation », déposée le 4 mai 2004 [NdT : l’original, rédigé en français, a en fait été déposé le 26 avril 2004], par laquelle la Défense de ces deux accusés (les « Requérants ») prie la Chambre de première instance de rendre une ordonnance leur accordant l’accès aux pièces jointes à l’acte d’accusation en l’espèce (la « Requête »),

VU la « Réponse de l’accusé Valentin Coric à la Requête conjointe d’Enver Hadzihasanovic et Amir Kubura aux fins d’accès à toutes les pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation lors de la demande de confirmation », déposée le 6 mai 2004 (la « Réponse de Coric »), par laquelle la Défense de l’accusé Coric s’oppose à la Requête aux motifs que 1) « [celle-ci] ne démontre pas en quoi l’accès aux pièces jointes en l’espèce serait de nature à aider de façon appréciable les Requérants à préparer leur défense, et que ceux-ci veulent en fait se livrer à une "pêche aux informations"1 », et que 2) elle est prématurée, puisque la Défense n’a pas encore reçu les pièces jointes2 ;

VU la réponse de l’Accusation à la Requête (Prosecution’s Response to the Joint Motion of Enver Hadzihasanovic and Amir Kubura for Access to all the Confidential Material Relating to the Indictment at the Time of the Request for Confirmation), déposée le 10 mai 2004 (la « Réponse »), par laquelle l’Accusation s’oppose à la Requête aux motifs que 1) celle-ci aurait dû être déposée devant la Chambre de première instance saisie de l’affaire Hadzihasanovic et Kubura en application des articles 66 et 68 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), puisqu’il n’existe au Tribunal aucune disposition permettant que des pièces jointes à l’acte d’accusation dans une espèce soient, en tant que telles, communiquées à des parties ou des personnes étrangères à l’espèce à laquelle elles se rapportent directement3, 2) les pièces demandées n’ont pas été présentées devant la Chambre de première instance et sont en possession de l’Accusation uniquement, et l’équipe de l’Accusation dans l’affaire Hadzihasanovic et Kubura y a accès au même titre que celle de la présente espèce4, 3) sur le fond, la Requête ne démontre pas en quoi toutes les « pièces jointes » de l’affaire Prlic et consorts sont pertinentes dans le cadre de l’affaire Hadzihasanovic et Kubura5 et 4) si cet accès est accordé, l’Accusation demande un délai de quatorze jours pour demander à la Chambre de première instance d’éventuelles mesures de protection supplémentaires6 ;

ATTENDU que les Requérants demandent l’accès aux pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation dans Le Procureur c/ Prlic et consorts en soutenant, entre autres, que toute information concernant les relations de commandement et de contrôle au sein de l’armée de Bosnie-Herzégovine et du Conseil de défense croate sera pertinente et primordiale pour la préparation de leur défense7, que les faits allégués dans le troisième acte d’accusation modifié dressé à leur encontre ont un rapport direct avec les six accusés en l’espèce8, que la communication du matériel demandé est fondée et nécessaire à la préparation de leur défense9, que le principe de l’égalité des armes veut que cet accès leur soit accordé, notamment pour permettre à leurs conseils d’effectuer des recherches approfondies afin de savoir quels éléments de preuve ils peuvent invoquer pour les défendre10, et qu’ils respecteront toutes les mesures de protection qui pourraient s’appliquer aux pièces jointes à l’acte d’accusation dans Prlic et consorts11 ;

ATTENDU que l’Accusation soulève deux arguments préliminaires, à savoir que la Requête devrait être déposée devant la Chambre de première instance saisie de l’affaire Hadzihasanovic et Kubura parce que l’Accusation constitue une seule entité qui communique des pièces confidentielles dans d’autres affaires en application de l’article 68 du Règlement, et qu’elle pourrait être privée du pouvoir d’appréciation que lui confère cet article dans une affaire donnée si une autre Chambre de première instance ordonnait que des pièces soient communiquées ; que si, en application de l’article 50 A) [i] c) du Règlement, un acte d’accusation déjà confirmé par un juge peut être modifié sur autorisation de la Chambre de première instance saisie de l’affaire, celle-ci peut a fortiori modifier ou annuler toute ordonnance rendue par le juge de confirmation dans l’affaire concernée ; que des pièces confidentielles jointes à un acte d’accusation, tout en n’étant pas soumises à l’obligation de communication visée à l’article 68 du Règlement, peuvent constituer une aide appréciable pour la défense d’accusés dans d’autres espèces ; et que, dès lors, la Défense d’accusés dans d’autres espèces à le droit de demander l’accès à des pièces confidentielles ne relevant pas de l’obligation de communication visée aux articles 66 et 68 du Règlement en demandant à la présente Chambre de première instance de modifier les mesures de protection imposées pour les pièces confidentielles jointes à l’acte d’accusation Prlic et consorts ;

ATTENDU, toutefois, qu’une partie demandant que lui soient communiquées des pièces jointes confidentielles ne relevant pas des articles 66 et 68 du Règlement ne peut se livrer à une pêche aux informations mais doit démontrer 1) qu’elle a désigné les pièces demandées ou qu’elle en a indiqué aussi clairement que possible le caractère général et 2) qu’un but légitime juridiquement pertinent justifie que lui soit accordé l’accès à ces pièces12 ;

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées par une partie peut être déterminée dès lors que l’existence d’un lien est établie entre l’espèce du requérant et celle dans laquelle ces pièces ont été présentées13, et qu’il suffit que les pièces demandées soient susceptibles d’apporter une aide appréciable aux requérants pour la présentation de leurs moyens ou, à tout le moins, qu’il y ait de fortes probabilités qu’elles les aident14 ;

ATTENDU que, dans sa Réponse, l’Accusation reconnaît qu’il existe d’importants recoupements entre les deux espèces en ce qui concerne les événements de Vares mais souligne que les documents concernés ont déjà été communiqués aux accusés Hadzihasanovic et Kubura, et qu’elle s’oppose aux autres arguments présentés dans la Requête au motif que les recoupements invoqués sont trop vagues et trop généraux pour justifier que soient communiquées toutes les pièces jointes dans l’affaire Prlic et consorts,

ATTENDU que la Défense des accusés Hadzihasanovic et Kubura explique qu’outre les recoupements temporels et géographiques entre les deux espèces15, leur affaire concerne les relations de commandement et de contrôle au sein de l’ABiH et du HVO, et que toute information à ce sujet figurant dans les pièces jointes dans Prlic et consorts peut apporter une aide appréciable à la préparation de ses moyens16,

ATTENDU que les Requérants ont décrit aussi clairement que possible le caractère général des pièces demandées, eu égard au peu d’informations dont ils disposent sur la forme et la nature de ces pièces, et que l’existence d’un but légitime juridiquement pertinent justifiant que leur soit accordé l’accès à ces pièces a été démontré,

EN APPLICATION des articles 20, 21 et 22 du Statut et des articles 54 et 75 du Règlement,

ACCÈDE à la Requête et MODIFIE l’ordonnance de non-divulgation des pièces jointes à l’acte d’accusation en l’espèce de manière à accorder l’accès à ces pièces aux accusés Hadzihasanovic et Kubura et à leur Défense seulement,

ORDONNE à l’Accusation de déposer dans les quatorze jours à compter de la présente décision une écriture indiquant les mesures de confidentialité qu’elle souhaite voir imposer aux accusés Hadzihasanovic et Kubura. La Défense de ces derniers déposera dans les sept jours à compter de cette écriture une réponse éventuelle.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 3 septembre 2004
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
___________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]
1. Réponse de Coric, par. 3. La Défense estime que seules deux municipalités, Gornji Vakuf et Vares, concernent les deux espèces.
2. Réponse de Coric, par. 4.
3. Requête, par. 6. L’Accusation souligne que les pièces jointes en l’espèce représentent quelque 11 000 pages (Réponse, par. 9 à 11).
4. Réponse, par. 14.
5. Réponse, par. 9 à 11 et 17 à 22. L’Accusation soutient que les recoupements mentionnés dans la Requête sont trop vagues et trop généraux pour justifier que soient communiquées toutes les pièces jointes de l’affaire Prlic et consorts, notamment en ce qui concerne les affirmations selon lesquelles les deux affaires touchent à la « responsabilité du supérieur hiérarchique » ou selon lesquelles le HVO menait une « double » politique à l’égard de la Bosnie-Herzégovine. Elle ajoute que les allégations concernant Gornji Vakuf (directement liées selon les Requérants aux événements survenus dans la municipalité de Bugojno) ou Mostar ne sont pas fondées (Réponse, par. 17 à 21) et estime que les recoupements entre les deux affaires ne concernent que la partie relative à Vares dans l’affaire Prlic et consorts. Elle fait observer que les pièces jointes concernant Vares en l’espèce sont en grande partie similaires à celles de l’affaire Rajic, qui ont déjà été communiquées aux Requérants (Réponse, par. 22).
6. Réponse, par. 23.
7. Requête, par. 6.
8. Requête, par. 7 à 16, et 25.
9. Requête, par. 19.
10. Requête, par. 20 et 21.
11. Requête, par. 22.
12. Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic et consorts, affaire n° IT-01-47-AR73, Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, 23 avril 2002, p. 3.
13. Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 15.
14. Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic et consorts, affaire n° IT-01-47-AR73, Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, 23 avril 2002, p. 3.
15. Requête, par. 7, 8 et 13.
16. Requête, par. 6, 8, 13 à 16.