Affaire n° : IT-04-74-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
1er juillet 2005

LE PROCUREUR

c/

JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE SLOBODAN PRALJAK AFIN QU’IL SOIT ORDONNÉ À L’ACCUSATION DE COMMUNIQUER DES INFORMATIONS AU SUJET DE TÉMOINS VULNÉRABLES

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Les Conseils des Accusés :

M. Michael Karnavas pour Jadranko Prlic
M. Berislav Zivkovic pour Bruno Stojic
M. Bozidar Kovacic pour Slobodan Praljak
Mme Vesna Alaburic pour Milivoj Petkovic
M. Tomislav Jonjic pour Valentin Coric
M. Fahrundin Ibrisimovic pour Berislav Pusic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la Décision relative à la requête de la Défense aux fins de prendre connaissance de pièces confidentielles rendue par la Chambre le 9 mars 2005, par laquelle celle-ci autorise les équipes de la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Prlic et consorts à prendre connaissance de pièces confidentielles présentées dans les affaires Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Le Procureur c/ Anto Furundzija, Le Procureur c/ Zoran Kupreskic et consorts, Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez (les « Affaires connexes ») concernant les conflits entre Musulmans et Croates de Bosnie, ou entre l’ABiH et le HVO, sur le territoire de Bosnie-Herzégovine en 1992/93 à condition que des mesures de protection soient mises en place (la « Décision de mars ») ;

ATTENDU que, dans la Décision de mars, la Chambre ordonne que les éléments fournis par des témoins vulnérables ne soient communiqués aux équipes de la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Prlic et consorts, que si elles peuvent justifier d’un besoin légitime ;

ATTENDU que, selon la Décision de mars, un témoin est dit vulnérable lorsqu’en vertu d’une décision rendue par une Chambre, son existence et sa déclaration préalable ont été communiquées à la partie adverse dans les Affaires connexes peu avant la date prévue pour sa comparution ;

VU la demande de l’accusé Slobodan Praljak afin qu’il soit ordonné à l’Accusation de communiquer des informations au sujet de témoins vulnérables (The Accused Slobodan Praljak’s Application for an order to the Prosecutor to Disclose Information about « Sensitive Witness »), déposée le 14 mars 2005, dans laquelle la Défense de l’accusé Slobodan Praljak demande à recevoir des informations de base relatives aux éléments fournis par des témoins vulnérables afin de décider en dernier ressort si elle a légitimement besoin de consulter ces pièces (la « Requête »)1 ;

VU la notification de l’accusé Berislav Pusic par laquelle il se joint à la Requęte (The Accused Berislav Pusic’s notice of Joinder to The Accused Slobodan Praljak’s Application for an order to the Prosecutor to Disclose Information about « Sensitive Witness »), déposée le 14 mars 2005 ;

VU la réponse de l’Accusation à la Requête (Prosecution’s Response to the Accused Slobodan Praljak’s Application for an order to the Prosecutor to Disclose Information about « Sensitive Witness »), déposée le 29 mars 2005 (la « Réponse »), par laquelle, s’agissant de la communication de témoignages entendus à huis clos, l’Accusation propose, entre autre, d’identifier les dépositions des témoins qu’elle considère particulièrement vulnérables au sujet desquelles elle ne communiquera qu’une brève déclaration sur la nature et la teneur des éléments de preuve fournis par eux ainsi que celles des témoins moins vulnérables qu’elle communiquera dans leur intégralité aux équipes de la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Prlic et consorts2 ;

VU la réplique de l’accusé Slobodan Praljak à la Réponse (The Accused Slobodan Praljak’s Reply to Prosecution’s Response to Accused Slobodan Praljak’s Application for an order to the Prosecutor to Disclose Information about « Sensitive Witness ») déposée le 31 mars 2005, par laquelle la Défense de l’accusé Slobodan Praljak affirme que l’Accusation n’agit pas conformément à la Décision de mars mais qu’elle essaye de définir de manière arbitraire ceux qui, parmi les témoins, sont particulièrement vulnérables au lieu de définir quels sont les témoins vulnérables dont « en vertu d’une décision rendue par une Chambre, [l’]existence et [l]a déclaration préalable ont été communiquées dans la première instance à la partie adverse peu avant la date prévue pour [leur] comparution » ;

VU les arguments de l’Accusation concernant les pièces non publiques dans les Affaires connexes relevant de la Décision de mars  (Prosecution’s Submission Concerning Non-public Materials in Related Cases, Concerning Trial Chamber’s Decision Dated 9 March 2005) déposés le 3 mai 2005 (les « Arguments »), dans lesquels l’Accusation informe qu’elle a identifié 41 témoins à charge qui ont déposé à huis clos dans les Affaires connexes et que : a) elle communiquera des résumés respectant l’anonymat des témoins à son avis particulièrement vulnérables qui ont déposé à huis clos, afin de permettre à la Défense de justifier un besoin légitime3 b) elle propose de ne pas divulguer les dépositions de 14 témoins particulièrement vulnérables dont les éléments fournis – estime-t-elle – n’ont aucun rapport ou aucun lien avec l’affaire Prlic (l’Annexe 1 aux Arguments contient de brefs résumés de ces éléments de preuve)4 et c) elle communiquera dans leur intégralité les dépositions des témoins entendus à huis clos qui ne sont pas particulièrement vulnérables5 ;

VU l’opposition de l’accusé Slobodan Praljak aux Arguments (Accused Slobodan Praljak’s Opposition to the Prosecution’s Submission Concerning Non-public Materials in Related Cases, Concerning Trial Chamber’s Decision Dated 9 March 2005) déposée le 6 mai 2005 (la « Réponse aux Arguments »), par laquelle la Défense de Slobodan Praljak affirme que : 1) l’Accusation applique sa propre interprétation de l’expression témoins vulnérables et qu’elle a décidé de manière unilatérale quels témoins à charge le sont et 2) les résumés figurant à l’Annexe 1 aux Arguments ne présentent pas suffisamment d’informations6 ;

VU la notification de l’accusé Jadranko Prlic par laquelle il se joint ŕ la Requęte (Jadranko Prlic’s Motion to Join Accused Slobodan Praljak’s Opposition to the Prosecution’s Submission Concerning Non-public Materials in Related Cases Concerning Trial Chamber’s Decision Dated 9 March 2005), présentée le 6 mai 2005 ;

ATTENDU que la demande de la Défense d’obtenir des résumés des éléments fournis par des témoins vulnérables afin de pouvoir démontrer l’existence d’un besoin légitime est raisonnable ;

ATTENDU que les informations que l’Accusation doit communiquer au sujet des éléments fournis par des témoins vulnérables doivent être décrites le plus clairement possible afin qu’il soit possible de décider, le cas échéant, l’existence d’un besoin légitime de prendre connaissance de ces éléments ;

ATTENDU que l’Accusation a appliqué sa propre interprétation de ce que sont les éléments fournis par des témoins vulnérables et qu’elle a communiqué à la Défense des résumés de ces éléments au lieu d’identifier ces témoins - conformément à la définition reprise dans la Décision de mars  - dont le témoignage ne peut être divulgué que sous forme de résumé et les témoins qui ont déposé à huis clos et dont le témoignage peut être communiqué dans une version expurgée ;

ATTENDU que la Chambre a défini le sens de l’expression témoin vulnérable dans la Décision de mars  afin de doter l’Accusation d’un critère précis pour son examen des pièces qui doivent faire l’objet d’une prudence supplémentaire au moment de leur communication; que ce critère est nécessaire pour fixer un seuil au-delà duquel des limitations peuvent être imposées aux obligations de communication ;

ATTENDU que les pièces confidentielles qui ne proviennent pas d’un témoin vulnérable doivent être communiquées à la Défense dans l’affaire Le Procureur c/ Prlic et consorts dans une version expurgée ;

ATTENDU que l’insistance de l’Accusation à appliquer sa propre interprétation de ce que sont les éléments fournis par des témoins vulnérables peut être le reflet de graves préoccupations liées à la protection des témoins ; qu’il convient en ce cas non pas qu’elle applique sa propre interprétation de ce que sont les éléments fournis par des témoins vulnérables mais qu’elle demande une modification ou un renforcement des mesures de protection ;

EN APPLICATION des articles 54 et 75 du Règlement de procédure et de preuve ;

FAIT DROIT partiellement à la Requête et REQUIERT l’Accusation de déposer une demande de modification ou de renforcement des mesures de protection ordonnées au bénéfice des témoins qu’elle considère comme particulièrement vulnérables et, s’agissant des autres témoins, de respecter les termes de la Décision de mars.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 1er juillet 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1. La Défense demande que ces informations comprennent : a) le sujet d’un témoignage, b) le lien avec d’autres témoignages et c) le lien avec les preuves documentaires admises, Requête, par. 5.
2. Réponse, par. 8.
3. Arguments, par. 5.
4. Arguments, par. 6-9.
5. Arguments, par. 10.
6. La Défense estime que les résumés devraient contenir les informations suivantes : pour quel chef d'accusation le témoin a-t-il été cité, des preuves documentaires ont-elles été introduites par un témoin, le témoin s’est-il vu opposer des témoignages documentaires ou préalables par la partie adverse, des éléments de preuve apportés par un témoin ont-ils été contestés et sur quelle base, la partie adverse a-t-elle discrédité le témoin et d’autres témoins ont-ils déposé au sujet du même événement ou incident, Réponse aux Arguments, par. 11.