Affaire n° : IT-04-74-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
19 septembre 2005

LE PROCUREUR

c/

JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE MILIVOJ PETKOVIC DE CERTIFIER L'APPEL DE LA DÉCISION PORTANT SUR DES EXCEPTIONS PRÉJUDICIELLES FONDÉES SUR DES VICES DE FORME DE L’ACTE D'ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott

Les Conseils des Accusés :

M. Michael Karnavas pour Jadranko Prlic
M. Berislav Zivkovic pour Bruno Stojic
M. Bozidar Kovacic pour Slobodan Praljak
Mme Vesna Alaburic pour Milivoj Petkovic
M. Tomislav Jonjic pour Valentin Coric
M. Fahrundin Ibrisimovic pour Berislav Pusic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis  1991 (le « Tribunal ») ;

VU la demande Milivoj Petkovic (l’« Accusé ») de certifier l’appel de la Décision de la Chambre de première instance portant sur des exceptions préjudicielles fondées sur des vices de forme de l’acte d’accusation du 22 juillet 2005 (the Accused Milivoj Petkovic’s Motion for Certification to Appeal against the Trial Chamber’s Decision on Defence Preliminary Motions Alleging Defect in the Form of the Indictment of 22 July 2005), déposée le 1er août 2005 (la « Demande ») par la Défense de Milivoj Petkovic (la « Défense ») en application de l’article 72 B ) ii) du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») ;

VU la Réponse du Procureur à la Demande (Prosecutor’s Response to the “Accused Milivoj Petkovic’s Motion for Certification to Appeal against the Trial Chamber’s Decision on Defence Preliminary Motions Alleging Defect in the Form of the Indictment of 22 July 2005 filed on 1 August 2005”), déposée le 5 août 2005 (la « Réponse ») par le bureau du Procureur (l’« Accusation ») ;

ATTENDU qu’aux termes de l’article 72 B) ii) du Règlement, deux conditions doivent être réunies pour que la Chambre puisse certifier l’appel interlocutoire, à savoir 1) que la décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue et 2) que son règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure ;

VU la Décision relative aux exceptions préjudicielles de la Défense fondées sur un vice de forme de l’acte d’accusation, rendue le 22 juillet 2005 (la « Décision attaquée ») ;

ATTENDU que la Défense présente les éléments suivants pour justifier la Demande :

1) la Décision attaquée n'aborde ni n’examine de façon adéquate tous les griefs et les arguments pertinents présentés par la Défense au sujet de nombreux vices de forme de l’acte d’accusation1 tels que a) les arguments soulevés aux paragraphes 42, 43, 44 ii) iii), 45, 46 ii) iii ), 47 ii) iii) vi), 48 ii) iii) iv), 49 ii) iii) iv), 50 ii) iii) iv), 51, 52 ii ), 53, 54 ii) et 55 de sa Demande2, b) certains arguments relatifs à la question de l’entreprise criminelle commune (ECC) dans l’acte d’accusation3, c)  les arguments concernant la spécificité des actes et de la conduite de chaque accusé par rapport à chaque crime allégué4, d) les arguments portant sur l’accusation d'aide et d’encouragement5, e) ceux relatifs au cumul des qualifications6 et f) certains arguments concernant la responsabilité du supérieur hiérarchique7,

2) dans son exposé des différents crimes et des différentes formes de responsabilité, la Chambre a commis une erreur de droit par manque de précision8, et

3) la Défense ne dispose toujours pas de réponses suffisamment précises à un certain nombre de questions telles que celles de savoir a) quels sont les crimes allégués qui ont été planifiés dans le cadre de l’ECC et quelles étaient les conséquences prévisibles de l’exécution des crimes, b) quelle est la catégorie d’ECC exposée dans l’acte d’accusation, c) qui en étaient ses membres, d) quelle est la relation qui existe entre les auteurs et les accusés et e) quel est le mode de participation de ces derniers à l’ECC9 ;

ATTENDU que l’Accusation a répondu que :

1) elle « a examiné les affirmations contenues dans la demande de certification de Milivoj Petkovic et elle conclut, dans chaque cas, que la Chambre a, sous une forme ou sous une autre, présenté des conclusions suffisantes concernant chaque argument ou objection » et elle joint un tableau illustrant la manière dont la Chambre a relativement bien répondu aux différents arguments soulevés par la Défense dans son exception préjudicielle fondée sur des vices de forme de l'acte d'accusation10, et

2) la Défense n’a pas prouvé « que la Chambre s’était fourvoyée quant au principe appliqué ou au droit pertinent pour l’exercice d’un tel pouvoir d’appréciation à savoir la meilleure manière d’opérer afin de préparer l’acte d’accusation en vue du procès, ou qu’elle a donné trop de poids à des considérations externes ou hors de propos ou, qu’elle n’a pas accordé suffisamment d’importance aux considérations pertinentes voire les a écartées, ou qu’elle a fait une erreur quant aux faits sur lesquels elle s’est prononcée11 ;

ATTENDU que la Défense affirme en général que la Chambre a commis une erreur en n’examinant pas tous les arguments exposés dans son exception préjudicielle fondée sur des vices de forme dans l’acte d’accusation et que le règlement immédiat de cette question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, pourrait faire concrètement progresser la procédure12  ;

ATTENDU que la Défense reproche à la Chambre d’avoir commis une erreur de droit s’agissant du degré de précision requis dans l’exposé des différents crimes et des différentes formes de responsabilité, mais que ce grief n’est pas fondé ;

ATTENDU que la Défense se plaint également de n’avoir toujours pas de réponses suffisamment précises, même si la Chambre s’est prononcée, concernant a) les crimes allégués qui ont été planifiés dans le cadre de l’ECC et les conséquences prévisibles de l’exécution des crimes, b) la catégorie d’ECC exposée dans l’acte d’accusation, c) les membres de l’ECC, d) la relation qui existe entre les auteurs et les accusés et e) le mode de participation des accusés à l’ECC ; que ce grief est toutefois non fondé ; que si la Défense ne prouve pas que la Chambre s’est fourvoyée quant au principe appliqué ou aux faits à prendre en compte pour l’examen de ces questions dans la Décision contestée, la Chambre ne peut pas prendre ces griefs en considération ;

ATTENDU que, comme l’a fait remarquer l’Accusation à juste titre, la Chambre a expliqué sa méthodologie dans la Décision attaquée comme suit :

La Chambre a examiné avec attention tous les griefs formulés par la Défense ainsi que ses arguments concernant des vices de forme dans l’acte d’accusation, lequel – et la Chambre insiste sur ce point – n’est pas censé contenir une liste complète des éléments produits à l’appui des accusations portées et doit être lu comme un tout et non comme une série de paragraphes isolés. Seuls les aspects essentiels de ces griefs ou arguments sont pris en considération ci-dessous et ils sont examinés en regard de chaque partie de l’acte d’accusation à des fins de clarté étant donné que cet acte d’accusation est particulièrement long13.

ATTENDU que la Défense a apparemment mal interprété la Décision attaquée  en ne la lisant pas comme un tout et qu’elle ne prend donc pas en considération le fait que la Chambre a abordé et examiné d’une manière adéquate « l’essence de ces griefs ou arguments » énumérés dans l'exception préjudicielle fondée sur des vices de forme de l'acte d'accusation14  ;

ATTENDU que, après avoir énuméré les vices qu’elle a identifiés dans la Décision attaquée, la Défense expose les éléments qui plaident en faveur de la certification d’une manière imprécise, en déclarant simplement, en termes généraux, que les vices allégués seraient susceptibles de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue,15 et en allégant, ici aussi d’une façon assez floue, que le règlement immédiat de ces questions pourrait faire concrètement progresser la procédure16 ;

ATTENDU que, si elle était acceptée, une telle approche aussi imprécise et générale justifierait l’émission d’un certificat chaque fois qu’un accusé voudrait faire appel d’une décision dans laquelle – à son avis – ses réclamations concernant des vices de forme de l'acte d'accusation n’auraient pas l’issue escomptée ;

ATTENDU qu'une telle approche serait contraire à l’esprit de la procédure de certification visée par l’article 72 B) ii), selon lequel on ne peut pas, de droit, interjeter appel d’une décision relative à une exception préjudicielle pour vices de forme de l'acte d'accusation ;

ATTENDU que la Défense n’a pu établir que les deux conditions nécessaires à la certification sont réunies ;

EN APPLICATION de l’article 72 B) ii) du Règlement,

REJETTE la Demande.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 19 septembre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance I
______________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1 - Demande, par. 23.
2 - Demande, par. 13.
3 - Demande, par. 14 et 15.
4 - Demande, par. 16.
5 - Demande, par. 17.
6 - Demande, par. 18.
7 - Demande, par. 19.
8 - Demande, par. 20 et 22.
9 - Demande, par. 21.
10 - Réponse, par. 7 et 8.
11 - Réponse, par. 10.
12 - Demande, par. 24 et 25.
13 - Décision attaquée, par. 13. Notes en bas de page dans l’original.
14 - Dans le tableau joint à la Réponse, l’Accusation donne à penser, sur base de nombreux exemples, que les différents arguments soulevés par la Défense ont été abordés dans la Décision attaquée. Ce tableau prouve que les paragraphes 42, 43, 44 ii) iii), 45, 46 ii) iii), 47 ii) iii) vi), 48 ii) iii) iv), 49 ii) iii) iv), 50 ii) iii) iv), 51, 52 ii), 53, 54 ii), 55 et 56, 4 à 18 et 32 à 34 de sa demande y étaient examinés. En outre, les arguments de la Défense relatifs à la question de l’entreprise criminelle commune étaient abordés, entre autres, aux paragraphes 16 à 39 de ladite Décision ; ceux concernant la précision des actes et de la conduite de chaque accusé par rapport à chaque crime allégué, au paragraphe 50, entre autres ; ceux portant sur l’accusation d’aide et d’encouragement, au paragraphe 60, entre autres ; ceux relatifs au cumul des qualifications, aux paragraphes 73 à 75, entre autres, et ceux concernant la responsabilité du supérieur hiérarchique, aux paragraphes 12 et 56 à 61 de la Décision attaquée.
15 - Demande, par. 24.
16 - Demande, par. 25.