Affaire n° : IT-04-74-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I

Composée comme suit :
M. le Juge Liu Daqun, Président
M. le Juge Amin El Mahdi
M. le Juge Alphons Orie

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
31 octobre 2005

LE PROCUREUR

c/

JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC

______________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE RASIM DELIC AUX FINS DE CONSULTATION DE PIÈCES CONFIDENTIELLES

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Le Bureau du Procureur :

M. Kenneth Scott
M. Daryl Mundis

Les Conseils des Accusés :

M. Michael Karnavas, pour Jadranko Prlic
M. Tomislav Kuzmanovic, pour Bruno Stojic
Slobodan Praljak, se représentant lui-même
Mme Vesna Alaburic, pour Milivoj Petkovic
M. Tomislav Jonjic, pour Valentin Coric
M. Fahrundin Ibrisimovic, pour Berislav Pusic

Le Conseil du Requérant :

Mme Vasvija Vidovic

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE I (la « Chambre ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête du Conseil de Rasim Delic aux fins de consultation de toutes les pièces confidentielles produites dans l’affaire Prlic (Defence Motion on Behalf of Rasim Delic Seeking Access to All Confidential Material in the Prlic Case) (la « Requête »), déposée le 13 octobre 2005, par laquelle la Défense de l’Accusé Rasim Delic (le « Requérant ») demande à la Chambre de première instance de rendre une ordonnance l’autorisant à consulter toutes les pièces dans la présente affaire,

VU la réponse à la requête du Conseil de Rasim Delic aux fins de consultation de toutes les pièces confidentielles produites dans l’affaire Prlic (la « Réponse de l’Accusation »), déposée le 25 octobre 2005, par laquelle l’Accusation indique ne pas s’opposer à la consultation par le Requérant des documents demandés, sous réserve que 1) la Chambre de première instance ordonne mutatis mutandis au Requérant et à l’équipe de la Défense de respecter toutes les mesures de protection en vigueur pour les pièces de l’affaire Prlic et consorts, 2)  les pièces relevant de l’article 70 du Règlement ne soient communiquées qu’avec le consentement de celui qui les a fournies et 3) les écritures de l’Accusation déposées à titre confidentiel et ex parte dans l’affaire Prlic et consorts ne soient pas communiquées au Requérant,

ATTENDU que le Requérant demande l’autorisation de consulter les pièces confidentielles présentées à l’appui de l’acte d’accusation dans l’affaire Le Procureur c/ Prlic et consorts en faisant valoir notamment que : 1) les faits, la région et l’époque pertinents dans l’affaire Prlic coïncident avec ceux de l’affaire Delic1, 2) au moment des faits allégués, le Requérant et les Accusés de l’affaire Prlic occupaient tous des postes à responsabilité, étant donné que le Requérant était membre du commandement suprême des forces armées de la République de Croatie (ARBiH) et que les Accusés dans l’affaire Prlic exerçaient des fonctions au sein du Conseil de défense de la République croate d’Herceg-Bosna (HVO)2, 3) au moment des faits allégués dans les deux actes d’accusation, un conflit armé impliquant tous les Accusés de l’affaire Prlic et le Requérant était en cours, ET 4) le Requérant est mis en cause au titre de sa responsabilité de supérieur hiérarchique sur la base de l’article 7 3) du Statut et toute information relative à la structure de commandement du HVO et à la politique du HVO sur l’ensemble du territoire de la Bosnie-Herzégovine serait d’une grande importance et utilité pour préparer la défense du Requérant3,

ATTENDU que la communication de pièces confidentielles ne relevant pas des articles 66 et 68 du Règlement est soumise à des conditions restrictives dans la mesure où une partie ne peut décider d’aller à la pêche aux informations mais doit démontrer : 1) qu’elle a identifié les documents dont elle demande la production ou indiqué leur nature générale aussi clairement que possible et 2) qu’elle justifie d’un but juridique légitime justifiant l’accès à ces documents4,

ATTENDU que la pertinence des pièces demandées par une partie peut être établie en démontrant l’existence d’un lien entre l’affaire de ladite partie et les affaires dans le cadre desquelles ces pièces ont été présentées5 et qu’il suffit que la partie requérante démontre que l’accès à ces pièces est de nature à l’aider matériellement à présenter sa défense ou, tout au moins, a de bonnes chances de pouvoir l’aider de la sorte6,

ATTENDU que la nature générale des pièces demandées a été indiquée aussi clairement que possible, compte tenu du fait que le Requérant n’a pas connaissance de la forme et de la nature des pièces demandées, et qu’il a fait état d’un but juridique légitime justifiant l’accès aux documents,

EN APPLICATION des articles 20, 21 et 22 du Statut et 54 et 75 du Règlement,

FAIT DROIT à la Requête et MODIFIE l’ordonnance de non-communication des pièces dans la présente affaire et autorise l’accusé Rasim Delic et la Défense à consulter ces pièces, sous réserve des dispositions et des mesures de protection suivantes :

1. Aux fins de la présente décision :

a) le terme « Accusation » désigne le Procureur du Tribunal et le personnel de ses services,

b) le terme « Requérant » désigne l’accusé Rasim Delic, ses conseils et collaborateurs directs et leur personnel d’appui, et toute autre personne expressément désignée par le Tribunal comme membre de l’équipe de la Défense et figurant sur la liste qui sera tenue à jour par le conseil principal et déposée à titre ex parte et sous-scellés devant la Chambre saisie de l’affaire du Requérant dans les dix jours du dépôt de la présente décision. Toute modification de la liste initiale, ajout ou suppression, concernant l’une ou l’autre des catégories susmentionnées de personnes dont le nom doit obligatoirement être communiqué et qui sont régulièrement associées à la préparation de la défense est pareillement notifié à la Chambre de première instance dans les sept jours de la modification,

c) le terme « public » s’entend de toute personne, État, organisation, entité, client, association et groupe à l’exception des juges du Tribunal international, des membres du Greffe (qu’ils soient affectés aux Chambres ou au Greffe), l’Accusation et le Requérant, tels qu’ils sont définis ci-dessus. Le terme « public » comprend également, sans s’y limiter, les membres de la famille, les amis et les relations des Requérants, les accusés et leurs conseils dans d’autres affaires ou actions engagées devant le Tribunal,

d) le terme « médias » désigne toute personne travaillant pour la presse écrite ou audiovisuelle, y compris les journalistes, les auteurs, le personnel de la télévision ou de la radio, ainsi que leurs agents ou représentants,

2. Puisque 1’Accusation a déjà pris connaissance des pièces demandées, elle les expurgera en tant que de besoin et les remettra au Greffe, qui les communiquera au Requérant,

3. Les pièces qui relèvent de l’article 70 du Règlement ne seront communiquées qu’après que 1’Accusation aura obtenu l’autorisation des autorités intéressées ; c’est à elle qu’il incombe d’informer le Greffe le cas échéant,

4. Le Requérant ne dévoilera aux médias aucune pièce confidentielle ou protégée communiquée par l’Accusation,

5. À moins que cela ne soit directement et précisément nécessaire pour la préparation et la présentation de ses moyens, et que la Chambre n’ait donné préalablement l’autorisation, le Requérant s’abstiendra de révéler au public, aux médias, à des membres de sa famille et à ses relations :

a) le nom, l’adresse et tout élément permettant l’identification des témoins ou des témoins potentiels dont le nom est donné par l’Accusation, toute copie des déclarations de témoins ou leur contenu, ainsi que toute autre information qui permettrait d’identifier ces témoins et dont la communication constituerait une violation des mesures de protection déjà en place, à moins que ce ne soit absolument nécessaire pour la préparation de la défense du Requérant, et que la Chambre n’ait donné son autorisation; ou

b) tout élément de preuve (documentaire, audiovisuel, matériel ou autre) ou toute déclaration écrite de témoin, ou la teneur, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou déposition antérieure confidentiel qui aura été communiqué au Requérant,

6. Si le Requérant estime directement et précisément nécessaire de communiquer ces informations pour la préparation et la présentation de sa défense, ayant obtenu l’autorisation de la Chambre, il informera tout membre du public auquel seraient montrées ou communiquées des pièces ou des informations protégées (qu’il s’agisse de déclarations de témoins, de comptes rendus de dépositions, de pièces à conviction, de dépositions antérieures, d’enregistrements vidéos ou du contenu de ceux-ci), qu’il ne peut ni copier ni reproduire ni rendre publiques ces pièces ou ces informations protégées, ni les montrer ou les communiquer à qui que ce soit. Toute personne qui se voit confier une telle pièce, qu’il s’agisse d’un original, d’une copie ou d’un double, doit la restituer à la Défense dès qu’elle ne lui est plus nécessaire à la préparation ni à la présentation des moyens à décharge,

7. Si un membre de l’équipe de la Défense se retire de l’affaire, il est tenu de restituer au conseil principal de l’équipe de la Défense dans cette affaire toutes les pièces en sa possession,

8. Le Requérant s’abstiendra de tout contact avec les témoins intéressés par les pièces qui doivent être communiquées, à moins que la Chambre n’en décide autrement et aux conditions fixées par celle-ci,

9. Sous réserve des mesures de protection et des dispositions énoncées ci-dessus, les mesures de protection qui s’appliquent déjà aux pièces communiquées restent en vigueur.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 31 octobre 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
______________
Liu Daqun

[Sceau du Tribunal]


1. Requête, par. 11.
2. Requête, par. 13.
3. Requête, par. 16.
4. Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic et consorts, affaire nº IT-01-47-AR73, Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, 23 avril 2002, p. 3.
5. Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire nº IT-95-14-A, Décision relative à la requête des appelants Dario Kordic et Mario Cerkez aux fins de consultation de mémoires d’appel, d’écritures et de comptes rendus d’audience confidentiels postérieurs à l’appel déposés dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic, 16 mai 2002, par. 15.
6. Voir Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic et consorts, affaire nº IT-01-47-AR73, Décision relative à l’appel interjeté contre le refus d’autoriser l’accès à des pièces confidentielles admises dans une autre affaire, 23 avril 2002, p. 3.