Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le
Juge Kevin Parker
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier
Décision rendue le :
15 février 2006
c/
JADRANKO PRLIC
BRUNO STOJIC
SLOBODAN PRALJAK
MILIVOJ PETKOVIC
VALENTIN CORIC
BERISLAV PUSIC
(ANNEXE CONFIDENTIELLE)
_____________________________________________________
Le Bureau du Procureur :
M. Kenneth Scott
M. Daryl Mundis
Les Conseils des Accusés :
M. Michael Karnavas et Mme Suzana Tomanovic
pour Jadranko Prlic
M. Tomislav Kuzmanovic et Mme Senka Nozica pour
Bruno Stojic
Mme Vesna Alaburic pour Milivoj Petkovic
M. Tomislav Jonjic pour Valentin Coric
M. Fahrudin Ibrisimovic pour Berislav Pusic
L’Accusé :
Slobodan Praljak
LA PRÉSENTE CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal ») est saisie de la Demande d’examen d’un avis du Greffier du Tribunal et de commission d’office d’un conseil de la défense, présentée par Slobodan Praljak (la « Demande »), déposée par ce dernier (l’« Accusé ») le 12 janvier 2006, et elle décide ce qui suit.
1. L’Accusé est mis en cause avec cinq autres coaccusés pour huit chefs de crimes contre l’humanité, neuf chefs d’infractions graves aux Conventions de Genève et neuf chefs de violations des lois ou coutumes de la guerre, à raison de sa participation alléguée à une entreprise criminelle commune à partir du 18 novembre 1991 au plus tard et jusqu’à avril 1994 environ1. Le 4 mars 2004, le Juge Antonetti a confirmé l’acte d’accusation et a délivré aux autorités de la République de Croatie2 le Mandat d’arrêt et ordre de transfert sous scellés, concernant l’Accusé. Le 5 avril 2004, l’Accusé s’est rendu et il a été transféré au siège du Tribunal le même jour3. Sa comparution initiale a eu lieu le 6 avril 2004 et il a plaidé non coupable de tous les chefs retenus contre lui. Le 31 octobre 2005, l’affaire concernant les six accusés entendue jusque là par la Chambre de première instance I a été attribuée à la Chambre de première instance II4. La préparation du procès entre dans sa phase finale sous la supervision du juge de la mise en état et le procès devrait s’ouvrir début 2006.
2. Le 14 juin 2004, l’Accusé a informé le Tribunal qu’il souhaitait être représenté en l’espèce par Me Bozidar Kovacic, assisté par Me Nika Pinter comme coconseil5. Le 13 septembre 2004, l’Accusé a demandé au Greffier que son conseil et son coconseil soient rémunérés par le Tribunal au motif qu’il ne disposait pas de moyens suffisants pour assumer ces frais et il a également présenté une déclaration de ressources.
3. Le 17 juin 2005, conformément à l’article 45 du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement ») et à la Directive relative à la commission d’office de conseils de la défense (la « Directive »), le Greffier adjoint a rejeté la demande de commission d’office d’un conseil, présentée par l’Accusé, au motif que celui-ci n’avait pas fourni les informations requises pour conclure l’enquête visant à déterminer s’il pouvait bénéficier d’un conseil commis d’office et qu’il ne s’était par conséquent pas acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait 6. Dans sa décision, le Greffier adjoint a informé l’Accusé que « s’il communique les informations nécessaires au Greffe pour mener à bien l’enquête sur sa capacité de régler les frais de sa défense, alors sa demande de commission d’office d’un conseil sera reconsidérée7 ».
4. Le 5 juillet 2005, l’Accusé a déposé une requête auprès de la Chambre de première instance I, par laquelle il lui demande d’examiner la décision du Greffier adjoint (la « Demande d’examen »)8. Le 21 septembre 2005, la Chambre de première instance I a rejeté la Demande d’examen et a maintenu la décision du Greffier adjoint, au motif que l’Accusé ne s’était pas acquitté de la charge de prouver qu’il ne disposait pas des moyens de rémunérer un conseil, qu’il avait constamment refusé de fournir les renseignements demandés par le Greffe et que la décision du Greffe était « raisonnable »9.
5. Le 8 novembre 2005, suite à l’attribution de l’affaire à la présente Chambre de première instance, l’Accusé a confirmé au juge de la mise en état qu’il souhaitait qu’on commette à sa défense un conseil rémunéré par le Tribunal. Le même jour, le Greffe a demandé à l’Accusé de lui fournir les renseignements nécessaires afin de réexaminer sa demande d’aide juridictionnelle. Toutefois, le 22 décembre 2005, le Greffier a écrit à l’Accusé pour l’informer qu’il n’était pas en mesure de considérer la lettre envoyée par ce dernier le 15 novembre 2005 comme une demande valable de réexamen de son admissibilité à bénéficier d’un conseil commis d’office rémunéré par le Tribunal, au motif que l’Accusé n’avait pas fourni les informations demandées par le Greffe le 8 novembre 2005.
6. Le 12 janvier 2006, l’Accusé a présenté la demande d’examen d’une décision du Greffier et de commission d’office d’un conseil de la défense10. Dans la Demande, l’Accusé prie la Chambre de première instance d’examiner la décision du Greffier selon laquelle « sa demande additionnelle du 15 novembre 2005 ne serait pas réexaminée non plus » et deuxièmement, de juger « dans l’intérêt de l’équité du procès, qu’il ne peut se représenter lui-même au procès, de commettre d’office à sa défense des conseils et de lui accorder les moyens raisonnables nécessaires à une préparation (raisonnable) de sa défense11 ». Le 12 janvier 2006 également, le juge de la mise en état a rendu une ordonnance demandant à toutes les parties et au Greffier de répondre à la Demande12.
7. Le Greffier a déposé une réponse confidentielle et ex parte à la Demande le 27 janvier 200613. Dans celle-ci, il signale que la Chambre de première instance I a déjà rejeté la Demande d’examen et que l’Accusé n’avait pas demandé de certifier l’appel de cette décision. Le Greffier ajoute que, sur la base du principe de la chose jugée, une Chambre de première instance ne peut pas réexaminer une décision rendue par une autre Chambre de première instance .
8. Le 30 janvier 2006, lors d’une conférence de mise en état14, le juge de la mise en état a demandé à l’Accusé s’il avait remis au Greffe les renseignements requis pour réexaminer sa demande d’aide juridictionnelle :
JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak, je me tourne vers vous, et afin d’éclairer mes deux collègues que je vais rencontrer demain, j’aimerais savoir si vous avez répondu intégralement aux demandes du Greffier, concernant votre état de fortune. Concernant votre état de fortune d’aujourd’hui, qu’en est-il, pouvez-vous me fournir tout élément d’explication, car comme vous le comprenez, votre situation paralyse, pour le moment, toute la procédure. Voilà, je vous donne la parole.
L’ACCUSÉ PRALJAK : [interprétation] Merci, Monsieur le Juge. J’aurais besoin peut -être d’un petit peu de temps pour vous répondre car les discussions entre moi-même et le Greffe durent depuis assez longtemps maintenant. Toutes les informations que vous avez reçues de la part du Greffier et du Greffe, au sujet du fait que je n’ai pas répondu à toutes les demandes qui m’ont été faites de manière intégrale, cela n’est pas vrai.
9. Les dispositions suivantes du Statut et du Règlement sont pertinentes pour analyser la Demande :
Article 20 du Statut : Ouverture et conduite du procès
1. La Chambre de première instance veille à ce que le procès soit équitable et rapide et à ce que l’instance se déroule conformément aux règles de procédure et de preuve, les droits de l’accusé étant pleinement respectés et la protection des victimes et des témoins dûment assurée.
Article 21, paragraphe 4 du Statut : Les droits de l’accusé
4. Toute personne contre laquelle une accusation est portée en vertu du présent statut a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :
[…]
d) à être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer ;
Article 45 et E) du Règlement : Commission d’office d’un conseil
A) Chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, un conseil est commis d’office pour représenter un suspect ou un accusé qui n’a pas les moyens de le rémunérer. La commission d’office est établie conformément à la procédure fixée par la Directive relative à la commission d’office de conseils de la Défense, adoptée par le Greffier et approuvée par les Juges permanents. (Amendé le 14 juillet 2000, amendé le 12 avril 2001 […](.)
E) S’il s’avère qu’une personne bénéficiant de la commission d’office a les moyens de rémunérer un conseil, la Chambre peut, à la demande du Greffier*, rendre une ordonnance aux fins de récupérer les frais entraînés par la commission d’un conseil . (Révisé le 30 janvier 1995, amendé le 14 juillet 2000, [amendé le 28 juillet 2004] *.)
Article 54 du Règlement : Disposition générale
À la demande d’une des parties ou d’office un juge ou une Chambre de première instance peut délivrer les ordonnances, citations à comparaître, ordonnances de production ou de comparution forcées, mandats et ordres de transfert nécessaires aux fins de l’enquête, de la préparation ou de la conduite du procès.
10. Par la Demande, l’Accusé prie la Chambre d’examiner la lettre du Greffier datée du 22 décembre 2005 et d’ordonner qu’un conseil lui soit commis d’office. Cette lettre était une réponse à une lettre envoyée par l’Accusé le 15 novembre 2005, dans laquelle, au dire de ce dernier, il envoyait de nouvelles informations concernant sa situation financière. Toutefois, le Greffier a informé l’Accusé « qu’il n’était pas en mesure de considérer sa lettre du 15 novembre 2005 comme une demande de réexamen de son admissibilité à l’aide juridictionnelle puisqu’il n’avait pas fourni au Greffe les renseignements demandés par celui-ci le 8 novembre 200515 ».
11. S’agissant de la Demande d’examen, le Greffe explique en essence que la question a déjà été tranchée par la Chambre de première instance I et que l’Accusé n’a pas demandé à ce moment-là de certifier l’appel de la décision de la Chambre de première instance I16. Cependant, à la suite de la décision rendue par la Chambre de première instance I le 21 septembre 2005, l’Accusé a fourni quelques renseignements, quoique limités et généralement sans pièces à l’appui, relatifs à sa situation financière17. En outre, les circonstances ont fondamentalement changé au cours des dernières semaines . L’Accusé a signalé qu’il souhaitait être représenté par un conseil mais que les conseils qui l’avaient représenté avaient cessé de le faire puisqu’il n’avait plus les ressources nécessaires pour régler leurs honoraires et qu’il devait par conséquent se représenter lui-même au procès18. Le début de son procès et de celui de ses cinq coaccusés est maintenant imminent . Il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un procès compliqué qui devrait durer plus de deux ans. L’Accusé n’a pas de formation juridique. Les conseils des coaccusés ont expliqué que si l’Accusé n’était pas représenté, le début du procès lui-même pourrait être différé ainsi que la procédure future et que cela reviendrait à priver les coaccusés d’un procès équitable19. Ces circonstances donnent lieu à de nouvelles considérations qui appellent une autre décision.
12. L’article 21 4) d) du Statut, dans sa partie pertinente, indique qu’une personne accusée a droit « chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, [et] sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer20 ». Il est reconnu dans la jurisprudence de ce Tribunal qu’une Chambre de première instance peut commettre d’office un conseil à un accusé afin de garantir un procès équitable et rapide et de respecter pleinement les droits de l’accusé21. Pour les raisons mentionnées ci-dessus, la Chambre estime que, dans les circonstances actuelles et sur la base des renseignements disponibles, l’intérêt de la justice commande de commettre d’office un conseil à l’Accusé, surtout eu égard aux intérêts des coaccusés.
13. L’Accusé prétend qu’il n’est pas actuellement en mesure d’assurer les frais de sa défense. Toutefois, la Chambre rappelle que, conformément à l’article 45 du Règlement et à la Directive, il incombe à l’Accusé d’apporter la preuve qu’il n’a pas les moyens de rémunérer un conseil22. Selon la Chambre, les informations fournies jusqu’à présent par l’Accusé sont incomplètes et elles ne permettent pas d’analyser correctement les ressources financières dont il dispose pour assurer les frais de sa défense. Dans ces circonstances, il lui sera ordonné de fournir de plus amples informations afin de définir, le cas échéant, les ressources financières dont il dispose.
PAR CES MOTIFS,
EN APPLICATION des articles 20 et 21 du Statut et 45 et 54 du Règlement,
DONNE INSTRUCTION au Greffier de commettre d’office un conseil à l’Accusé, et
ORDONNE à l’Accusé d’apporter, au Greffe et à la Chambre, pièces à l’appui, des réponses aux questions posées dans l’annexe à la présente Décision, dans un délai de 21 jours à compter de la présente Décision.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Le 15 février 2006
La Haye (Pays-Bas)
Le Président de la Chambre de
première instance II
______________
Carmel Agius
[Sceau du Tribunal]