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1 Le mercredi 20 février 2008
2 [Audience de la Règle 98 bis]
3 [Audience publique]
4 [Les accusés sont introduits dans le prétoire]
5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 00.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de
7 l'affaire, s'il vous plaît.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour à toutes et à tous. Affaire IT-
9 04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts. Merci, Monsieur le
10 Président, Messieurs les Juges.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier. En ce mercredi, 20
12 février 2008. Je salue tous les représentants de l'Accusation qui sont
13 présents, je salue Mmes et MM. les avocats, ainsi que MM. les accusés.
14 Comme vous le savez aujourd'hui, la Chambre va rendre sa décision orale
15 concernant l'article 98 bis du Règlement. De ce fait, je vais lire la
16 décision qui a été remise aux interprètes. Et je vérifierai par le canal 6
17 la traduction en B/C/S et également en vérifiant sur l'écran que la
18 traduction anglaise soit fidèle à mes propos tenus en français.
19 Décision orale rendue en vertu de l'article 98 bis du Règlement.
20 Dans le cadre de cette décision orale rendue en vertu de l'article 98 bis
21 du Règlement, la Chambre procédera, dans un premier temps, à un rappel de
22 la procédure.
23 Elle exposera en second lieu le droit applicable en vertu de l'article 98
24 bis.
25 Elle fera en troisième lieu un rappel des chefs d'accusation et des modes
26 de responsabilité tels qu'ils sont allégués dans l'acte d'accusation.
27 Elle abordera en quatrième lieu le droit applicable aux modes de
28 responsabilité allégués dans l'acte d'accusation et, en particulier, à
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1 l'entreprise criminelle commune dans les formes 1 et 3.
2 Enfin, la Chambre examinera la responsabilité des accusés Coric et Pusic en
3 abordant l'existence ou non d'une entreprise criminelle commune, puis dans
4 l'affirmative, la participation de ces deux accusés à une telle entreprise.
5 A. Le rappel de la procédure.
6 La présentation des moyens à charge par l'Accusation, qui a débuté le 26
7 avril 2006, s'est clôturée à l'audience du 24 janvier 2008. Ce même jour,
8 la Chambre a rappelé aux Défenses des six accusés qu'elles pourraient
9 présenter leurs demandes en vertu de l'article 98 bis à compter du 28
10 janvier 2008.
11 A l'audience du 24 janvier 2008, les Défenses Prlic et Stojic ont informé
12 la Chambre qu'elles ne présenteraient pas de demande en vertu de l'article
13 98 bis, tandis que l'accusé Praljak a sollicité de la Chambre
14 l'autorisation de prendre personnellement la parole afin de faire une
15 déclaration.
16 Le conseil de l'accusé Praljak ayant fait savoir à la Chambre qu'il ne
17 déposerait pas de demande en vertu de l'article 98 bis. La Chambre s'est
18 prononcée par décision orale, rendue à l'audience du 28 janvier 2008, sur
19 la demande de l'accusé Praljak de prendre personnellement la parole. Elle a
20 refusé d'y faire droit en rappelant que la procédure prévue par l'article
21 98 bis vise des demandes d'acquittement et ne permet pas des déclarations
22 personnelles des accusés. Elle a cependant informé l'accusé Praljak qu'il
23 pourrait faire une déclaration en vertu de l'article 84 bis avant le début
24 de la présentation des éléments à décharge.
25 La Chambre a également rendu, le 28 janvier 2008, une décision orale sur la
26 demande de la Défense Petkovic qui soutenait que l'article 98 bis, dans sa
27 version du 8 décembre 2004, n'était pas applicable en l'espèce. La Défense
28 Petkovic sollicitait donc l'application de l'article 98 bis dans sa version
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1 antérieure à 2004. Ce qui aurait dû conduire la Chambre à procéder à une
2 analyse des éléments par accusations et non par chefs d'accusation.
3 La Chambre a refusé de faire droit à cette demande en relevant que les
4 dispositions de l'article 98 bis sont d'application immédiate, et que si la
5 Défense avait estimé que la modification de l'article 98 bis pouvait avoir
6 des conséquences sur la présomption d'innocence, l'équité et la rapidité du
7 procès, elle aurait dû saisir la Chambre bien avant. La Chambre a ensuite
8 rejeté la demande de la Défense Petkovic de certifier appel de cette
9 décision orale.
10 Eu égard à la position de la Chambre, la Défense Petkovic a renoncé à
11 présenter ses arguments en vertu de l'article 98 bis. Elle a néanmoins
12 demandé à la Chambre de se prononcer sur l'existence en droit international
13 coutumier des modes de responsabilité suivants : la coaction, la coaction
14 indirecte, la perpétration indirecte et la complicité d'entreprise
15 criminelle commune.
16 La Défense Petkovic, qui soutient que ces modes de responsabilité ne sont
17 pas de la compétence du Tribunal, sollicite en conséquence la suppression
18 de plusieurs paragraphes de l'acte d'accusation faisant référence à ces
19 modes de responsabilité. Au soutien de sa demande, la Défense Petkovic
20 rappelle que dans sa décision du 25 avril 2007 la Chambre avait précisé
21 qu'elle statuerait sur cette question lorsqu'elle rendrait sa décision en
22 application de l'article 98 bis du Règlement.
23 La Défense Petkovic se réfère également sur ce point à la décision de la
24 Chambre d'appel, du 4 juin 2007, qui avait relevé que la Chambre allait
25 statuer sur ce point avant la présentation par la Défense de ses moyens à
26 décharge.
27 Enfin, la Défense Petkovic souligne que le fait de ne pas statuer sur ce
28 point avant la présentation des moyens à décharge ferait inutilement peser
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1 un poids trop important sur les ressources des parties et porterait
2 atteinte aux droits des accusés à un procès rapide et équitable.
3 A l'audience du 29 janvier 2008, la Défense Coric a présenté ses arguments
4 en vertu de l'article 98 bis. En particulier, la Défense soulève que
5 l'accusé Coric ne peut être tenu responsable pour plusieurs chefs
6 d'accusation car l'Accusation n'a pas pu prouver la responsabilité de
7 l'accusé Coric, ni dans le cadre d'une entreprise criminelle commune dans
8 ses formes 1 et 3 prévues par l'article 7(1) du Statut, ni sous l'angle de
9 l'article 7(3) du Statut relatif à la responsabilité du supérieur
10 hiérarchique.
11 Plus précisément, la Défense Coric, sans contester dans le cadre de la
12 procédure 98 bis l'existence des crimes, soutient que cette responsabilité
13 n'a pas été établie s'agissant des huit chefs d'accusation suivants : chef
14 4, le viol, en tant que crime contre l'humanité; chef 5, les traitements
15 inhumains en raison des violences sexuelles, en tant qu'infraction grave
16 aux conventions de Genève de 1949; chef 19, la destruction de biens non
17 justifiés par des nécessités militaires et exécutés sur une grande échelle
18 de façon illicite et arbitraire, en tant qu'infraction grave aux
19 conventions de Genève de 1949; chef 20, la destruction sans motif de villes
20 et de villages ou dévastation qui ne justifie pas les exigences militaires,
21 en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre; chef 21, la
22 destruction ou l'endommagement délibéré d'édifices consacrés à la religion
23 ou à l'enseignement, en tant que violation des lois ou coutumes de la
24 guerre; chef 24, l'attaque illégale contre des civils à Mostar, en tant que
25 violation des lois ou coutumes de la guerre; chef 25, le fait de répandre
26 illégalement la terreur parmi la population civile à Mostar, en tant que
27 violation des lois ou coutumes de la guerre; chef 26, les traitements
28 cruels en raison du siège de Mostar, en tant que violation des lois ou
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1 coutumes de la guerre.
2 La Défense Coric a souhaité, cependant, conclure que sa demande
3 d'acquittement ne se limitait pas à ces huit chefs d'accusation mais
4 concernait l'ensemble des 26 chefs d'accusation contenus dans l'acte
5 d'accusation, et cela, en vertu de tous les modes de responsabilité
6 allégués.
7 A l'audience du 30 janvier 2008, la Défense Pusic a présenté ses arguments
8 oraux en vertu de l'article 98 bis. Elle soutient que pour plusieurs chefs
9 d'accusation aucun élément de preuve n'a été présenté par l'Accusation
10 permettant d'établir la responsabilité de l'accusé Pusic. A cet égard, elle
11 cite également les huit chefs d'accusation auxquels la Défense Coric s'est
12 référée en y ajoutant cependant deux chefs d'accusation supplémentaires, à
13 savoir chef 22, l'appropriation de biens non justifiée par des nécessités
14 militaires et exécuté de façon illicite et arbitraire, en tant
15 qu'infraction grave aux conventions de Genève de 1949; chef 23, le pillage
16 de biens publics ou privés, en tant que violation des lois ou coutumes de
17 la guerre.
18 La Défense Pusic soutient que pour ces dix chefs d'accusation, l'Accusation
19 n'a établi ni la participation de l'accusé Pusic à une entreprise
20 criminelle commune au sens de l'article 7(1), quelle soit de forme 1 ou 3,
21 ni sa responsabilité au titre des autres formes de responsabilité prévue
22 par l'article 7(1) du Statut, ni enfin sa responsabilité en qualité de
23 supérieur hiérarchique au sens de l'article 7(3) du Statut. La Défense
24 Pusic a cependant précisé que sa demande d'acquittement ne se limitait pas
25 à ces dix chefs d'accusation mais devait être comprise comme s'étendant aux
26 26 chefs d'accusation contenus dans l'acte d'accusation, et cela, en vertu
27 également de tous les modes de responsabilité allégués.
28 L'Accusation a présenté sa réponse aux arguments soulevés par la Défense au
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1 cours des audiences des 4 et 5 février 2008. Elle a attiré l'attention de
2 la Chambre sur les éléments de preuve qui ne permettraient pas, selon elle,
3 de prononcer un acquittement des accusés Coric et Pusic.
4 B. Le droit applicable en vertu de l'article 98 bis du Règlement.
5 A titre préliminaire, la Chambre estime que la question du cumul des
6 charges soulevées par la Défense Coric dans ses arguments oraux n'entre pas
7 dans le cadre de la procédure de l'article 98 bis. Cette question sera donc
8 traitée lors de la phase de jugement.
9 L'article 98 bis prévoit que : "A la fin de la présentation des moyens à
10 charge, la Chambre de première instance doit, par décision orale et après
11 avoir entendu les arguments oraux des parties, prononcer l'acquittement de
12 tout chef d'accusation pour lequel il n'y a pas d'éléments de preuve
13 susceptibles de justifier une condamnation."
14 Depuis le 8 décembre 2004, date du dernier amendement à l'article 98
15 bis, une Chambre de première instance est uniquement amenée à examiner si
16 l'Accusation a présenté des éléments de preuve pour chaque chef
17 d'accusation dans son ensemble et non pour les différentes accusations
18 constituant ce chef. En conséquence, la Chambre ne peut prononcer
19 l'acquittement que d'un chef d'accusation dans son ensemble.
20 Dans le cadre de l'article 98 bis, la Chambre doit déterminer s'il
21 existe des éléments de preuve au vu desquels un juge du fait raisonnable
22 pourrait prononcer une condamnation au-delà de tout doute raisonnable. La
23 Chambre considère qu'il ne s'agit pas à ce stade-ci d'établir si une
24 Chambre prononcerait une condamnation à l'issue du procès mais si elle
25 pourrait le faire.
26 Il s'ensuit qu'une demande d'acquittement est accueillie : lorsqu'il
27 n'existe pas d'éléments de preuve pour justifier une condamnation; ou que
28 des éléments de preuve existent, mais que la Chambre même en leur accordant
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1 une valeur maximale ne pourrait prononcer la condamnation; ou encore
2 lorsqu'il existe qu'un seul élément de preuve mais qui manque manifestement
3 de fiabilité et de crédibilité.
4 Il convient de souligner qu'au stade de l'article 98 bis, une Chambre de
5 première instance ne détermine pas la valeur probante des éléments de
6 preuve. Cet examen se fait à l'issue du procès lorsque tous les éléments de
7 preuve à charge et à décharge auront été présentés. Au stade de l'article
8 98 bis, la Chambre tient uniquement compte des éléments de preuve à charge
9 présentés par l'Accusation et non des éléments de preuve présentés par la
10 Défense.
11 En outre, alors même que les accusés sont poursuivis sous diverses formes
12 de responsabilité, il suffit d'établir qu'il existe des éléments de preuve
13 soutenant une seule forme de responsabilité alléguée dans l'acte
14 d'accusation pour rejeter une demande d'acquittement.
15 Enfin, la Chambre tient à préciser qu'il n'existe pas de contradiction
16 entre le rejet d'une requête 98 bis et l'acquittement à la fin du procès.
17 La Chambre d'appel a précisé, dans l'arrêt Jelisic du 5 juillet 2001, que
18 cela vaut même si la Défense n'a pas présenté d'éléments de preuve à
19 décharge.
20 C. Le rappel des chefs d'accusation et des modes de responsabilité
21 allégués dans l'acte d'accusation.
22 La Chambre rappelle que dans l'acte d'accusation modifié déposé le 16
23 novembre 2005, ci-avant et ci-après intitulé acte d'accusation,
24 l'Accusation allègue que les accusés Prlic, Stojic, Praljak, Petkovic,
25 Coric et Pusic sont responsables de crimes sanctionnés par le Statut de ce
26 Tribunal, à savoir des crimes contre l'humanité, des infractions graves aux
27 conventions de Genève, ainsi que des violations des lois ou coutumes de la
28 guerre.
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1 Les allégations exposées dans l'acte d'accusation et pour lesquelles les
2 accusés sont poursuivis concernent 26 chefs d'accusation. Outre les dix
3 chefs d'accusation précédemment énumérés dans le cadre du rappel de la
4 procédure, les 16 chefs d'accusation suivants sont allégués : chef 1, la
5 persécution pour des raisons politiques, raciales et religieuses, en tant
6 que crime contre l'humanité; chef 2, l'assassinat, en tant que crime contre
7 l'humanité; chef 3, l'homicide intentionnel, en tant qu'infraction grave
8 aux conventions de Genève de 1949; chef 6, l'expulsion, en tant que crime
9 contre l'humanité; chef 7, l'expulsion illégale d'un civil, en tant
10 qu'infraction grave aux conventions de Genève de 1949; chef 8, les actes
11 inhumains en raison du transfert forcé, en tant que crime contre
12 l'humanité; chef 9, le transfert illégal d'un civil, en tant qu'infraction
13 grave aux conventions de Genève de 1949; chef 10, l'emprisonnement, en tant
14 que crime contre l'humanité; chef 11, la détention illégale d'un civil, en
15 tant qu'infraction grave aux conventions de Genève de 1949; chef 12, les
16 actes inhumains en raison des conditions de détention, en tant que crime
17 contre l'humanité; chef 13, les traitements inhumains en raison des
18 conditions de détention, en tant qu'infraction grave aux conventions de
19 Genève de 1949; chef 14, les traitements cruels en raison des conditions de
20 détention, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre; chef
21 15, les actes inhumains, en tant que crime contre l'humanité; chef 16, les
22 traitements inhumains, en tant qu'infraction grave aux conventions de
23 Genève de 1949; chef 17, les traitements cruels, en tant que violation des
24 lois ou coutumes de la guerre; chef 18, le travail illégal, en tant que
25 violation des lois ou coutumes de la guerre.
26 Les faits reprochés aux accusés dans l'acte d'accusation couvrent les
27 municipalités de Prozor, Gornji Vakuf, Jablanica, Sovici et Doljani,
28 Mostar, Ljubuski, Stolac, Capljina, Vares, ainsi que les camps de détention
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1 de l'Heliodrom, de Vojno, de Dretelj et de Gabela.
2 Le paragraphe 15 de l'acte d'accusation qu'il convient de reprendre ici
3 peut se lire ainsi, je vais le lire : "Entre le 18 novembre 1991 ou avant,
4 et avril 1994 environ et après, diverses personnes ont mis sur pied une
5 entreprise criminelle commune et y ont participé dans le but d'asservir
6 politiquement et militairement les Musulmans de Bosnie et autres non-
7 Croates qui vivaient dans des régions du territoire de la République de
8 Bosnie-Herzégovine revendiquées par la communauté croate future République
9 d'Herceg-Bosna, de les en chasser définitivement, de procéder à un
10 nettoyage ethnique…"
11 L'interprète en B/C/S s'est arrêté, alors je reprends. Je suis obligé de
12 relire tout l'article 15 parce qu'il y a eu un changement d'interprète.
13 Alors je relis l'article.
14 "Entre le 18 novembre 1991 ou avant, et avril 1994 environ et après,
15 diverses personnes ont mis sur pied une entreprise criminelle commune et y
16 ont participé dans le but d'asservir politiquement et militairement les
17 Musulmans de Bosnie et autres non-Croates qui vivaient dans des régions du
18 territoire de la République de Bosnie-Herzégovine revendiquées par la
19 communauté croate future République d'Herceg-Bosna, de les en chasser
20 définitivement, de procéder à un nettoyage ethnique de ces régions, et de
21 réunir à court ou à long terme ces dernières au sein d'une Grande-Croatie,
22 soit par rattachement à la République de Croatie, soit en étroite
23 association avec elle, et ce, par la force, l'intimidation, ou la menace du
24 recours à la force, la persécution, l'emprisonnement et la détention, le
25 transfert forcé et l'expulsion, l'appropriation et la destruction de biens,
26 et par d'autres moyens consistant à commettre des crimes sanctionnés par
27 les articles 2, 3 et 5 du Statut du Tribunal, ou impliquant la commission
28 de tels crimes."
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1 L'entreprise criminelle commune s'était fixée pour objectif de créer un
2 territoire croate reprenant les frontières de la Banovina croate, entité
3 territoriale ayant existée de 1939 à 1941. Elle visait notamment à
4 redessiner la carte politique et ethnique de ces régions de façon à ce
5 qu'elles soient dominées par les Croates, tant sur le plan politique que
6 sur le plan démographique.
7 D'après l'acte d'accusation, cette entreprise criminelle commune comprenait
8 comme membres les six accusés, mais aussi, notamment, Franjo Tudjman, Gojko
9 Susak, Janko Bobetko, Mate Boban, Dario Kordic, Tihomir Blaskic et Mladen
10 Naletilic.
11 Les six accusés sont poursuivis sur le fondement de la responsabilité
12 pénale en application de tous les modes de responsabilité énumérés à
13 l'article 7(1) ainsi qu'en vertu de l'article 7(3) du Statut du Tribunal
14 pour tous les crimes allégués dans l'acte d'accusation, à l'exception de
15 l'accusé Pusic, pour les municipalités de Prozor et Gornji Vakuf tels
16 qu'exposé au paragraphe 230 de l'acte d'accusation. Les six accusés sont
17 donc poursuivis pour avoir commis les crimes visés dans l'acte d'accusation
18 notamment en tant que participants à l'entreprise criminelle commune sous
19 les formes 1 et 3.
20 Avant d'examiner le droit applicable au mode de responsabilité allégué, et
21 en l'espèce à l'entreprise criminelle commune dans ses formes 1 et 3, la
22 Chambre tient à préciser qu'une Chambre raisonnable pourrait conclure au-
23 delà de tout doute raisonnable qu'il existe suffisamment d'éléments de
24 preuve relatifs aux crimes allégués pour étayer l'ensemble des 26 chefs
25 d'accusation.
26 D. Rappel du droit applicable à la responsabilité.
27 A titre liminaire, la Chambre rappelle que la Défense Petkovic sollicite la
28 suppression de certains paragraphes de l'acte d'accusation, au motif que
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1 plusieurs modes de responsabilité visés dans ledit acte, à savoir la
2 coaction, la coaction indirecte, la perpétration indirecte et la complicité
3 d'entreprise criminelle commune ne seraient pas reconnus en droit
4 international coutumier.
5 A cet égard, la Chambre note que, quand bien même les éléments constitutifs
6 de ces différents modes de responsabilité en question ne seraient pas
7 identiques aux autres modes de responsabilité allégués dans l'acte
8 d'accusation, les mêmes éléments de preuve peuvent être utilisés pour
9 établir tous ces modes de responsabilité.
10 La Chambre considère donc qu'il n'y a pas d'atteinte aux droits des accusés
11 à un procès rapide et équitable dans la mesure où la Défense doit préparer
12 sa position par rapport à l'ensemble des éléments de preuve présentés.
13 C'est pourquoi la Chambre estime que la Défense ne subit pas de préjudice
14 si la Chambre ne se prononce qu'à la fin du procès sur l'existence ou non
15 de ces modes de responsabilité. En conséquence, la Chambre décide de
16 surseoir à statuer sur cette question jusqu'à la fin du procès.
17 En ce qui concerne ensuite les modes de responsabilité allégués dans l'acte
18 d'accusation, la Chambre rappelle que si les accusés Coric et Pusic ont
19 contesté leur responsabilité en vertu de tous les modes de responsabilité
20 allégués dans l'acte d'accusation, la présente décision va s'attacher à
21 examiner les éléments de preuve relatifs à la responsabilité de ces deux
22 accusés en raison de leur participation à une entreprise criminelle commune
23 sous ses formes 1 et 3.
24 La Chambre tient à cet égard à rappeler brièvement les éléments
25 constitutifs de cette responsabilité.
26 La Chambre d'appel, dans l'arrêt Tadic du 15 juillet 1999, a défini les
27 formes d'entreprise criminelle commune; ainsi la première forme
28 d'entreprise criminelle commune suppose que tous les accusés sont animés
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1 d'un seul et même but criminel et oeuvrent de concert à sa réalisation.
2 La troisième forme d'entreprise criminelle commune concerne les crimes qui
3 n'entrent pas dans le but criminel commun, mais qui en sont la conséquence
4 naturelle et prévisible.
5 La Chambre constate aux termes de cette jurisprudence que l'élément
6 matériel de l'entreprise criminelle commune dans toutes ses formes comporte
7 : premièrement, une pluralité de membres; deuxièmement, un but criminel
8 commun qui consiste à commettre l'un des crimes visé dans le Statut ou qui
9 en implique un; et troisièmement, une participation significative des
10 membres à la réalisation de ce but.
11 La Chambre tient à rappeler que la jurisprudence du Tribunal est venue
12 préciser au moyen de plusieurs jugements et arrêts, tels que, par exemple,
13 l'arrêt Tadic précité ou l'arrêt Vasiljevic du 25 février 2004, que le but
14 criminel commun peut se déduire, si cela est la seule déduction
15 raisonnable, de l'ensemble des circonstances de la cause; comme, par
16 exemple, de l'action conjointe et concertée de plusieurs personnes, de
17 l'ampleur des crimes sur un laps de temps relativement restreint ou de la
18 répétition d'attaques similaires.
19 En outre, la Chambre note, à l'instar de la Chambre d'appel dans l'arrêt
20 Kvocka du 28 février 2005, que la participation à une entreprise criminelle
21 commune peut prendre la forme d'une omission pour autant que cette omission
22 ait contribué à la réalisation du but criminel commun.
23 S'agissant à présent de l'élément moral, la Chambre relève qu'il n'est pas
24 le même, selon la jurisprudence, pour chacune des formes criminelles
25 communes -- je répète, pour chacune des formes d'entreprise criminelle
26 commune.
27 En effet pour la première forme d'entreprise criminelle commune, la
28 Chambre peut notamment se référer à l'arrêt Brdjanin du 3 avril 2007 qui a
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1 précisé que l'accusé doit être animé de l'intention de commettre le crime
2 en question ainsi que de l'intention de participer au but criminel commun
3 visant sa commission.
4 S'agissant de la troisième forme d'entreprise criminelle commune,
5 l'arrêt Brdjanin citant l'arrêt Tadic précité rappelle qu'un accusé n'est
6 responsable de crimes autre que ceux envisagés dans le but criminel commun
7 que si, premièrement, il était prévisible qu'un tel crime était susceptible
8 d'être commis par l'un ou l'autre des membres du groupe, et si
9 deuxièmement, l'accusé a délibérément pris ce risque.
10 Il découle de cette troisième forme d'entreprise criminelle commune
11 que ses membres seront tenus responsables non seulement de tous les crimes
12 qui font partie du but criminel commun mais également de tous ceux qui sont
13 la conséquence naturelle et prévisible, et ce, quelle que soit la place ou
14 le rôle qu'ils occupent au sein de l'entreprise criminelle commune.
15 E. La responsabilité des accusés Coric et Pusic.
16 Pour procéder à l'analyse de la responsabilité de ces deux accusés,
17 la Chambre doit tout d'abord déterminer si elle dispose d'éléments de
18 preuve permettant à une Chambre raisonnable de conclure à l'existence d'une
19 entreprise criminelle commune telle qu'alléguée dans l'acte d'accusation.
20 Pour déterminer l'existence d'une telle entreprise criminelle commune, la
21 Chambre doit donc répondre à la question de savoir s'il existait, eu égard
22 aux éléments de preuve de l'Accusation, un objectif criminel commun visant
23 à commettre les crimes visés dans l'acte d'accusation. Ce n'est qu'ensuite
24 que la Chambre analysera la responsabilité des deux accusés Coric et Pusic.
25 Premièrement, en ce qui concerne tout d'abord l'existence d'une entreprise
26 criminelle commune.
27 Selon l'Accusation, un certain nombre de personnes, en ce, compris les
28 accusés ont mis en place entre le 18 novembre 1991 ou avant et avril 1994
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1 environ, une entreprise criminelle commune dont l'objectif était
2 d'assujettir et de déplacer les Musulmans de Bosnie ainsi que d'autres
3 personnes qui n'étaient pas de nationalité croate des régions qui formaient
4 la Herceg-Bosna ainsi que de procéder à un nettoyage ethnique de ces
5 régions. L'Accusation allègue que les moyens utilisés pour atteindre cet
6 objectif comprenaient une série de crimes commis entre 1992 et 1994, parmi
7 lesquels l'assassinat, l'emprisonnement, le transfert, l'expulsion, la
8 destruction et le pillage.
9 L'Accusation allègue que les crimes repris dans l'acte d'accusation se sont
10 déroulés dans le contexte de la dissolution de l'ex-Yougoslavie. Selon
11 l'Accusation, l'objectif ultime à atteindre par les dirigeants Tudjman,
12 Susak, Boban et Prlic étaient de réunir le territoire de la Herceg-Bosna au
13 sein d'une Grande-Croatie qui reprendrait ainsi les frontières de la
14 Banovina, une entité territoriale ayant existé de 1939 à 1941, soit par
15 attachement à la République de Croatie soit en étroite association avec
16 elle.
17 Au cours de la présentation des moyens à charge, la Chambre a relevé
18 plusieurs éléments de preuve indiquant qu'une pluralité de personnes
19 avaient pour objectif la création d'une entité croate reprenant les
20 frontières de la Banovina de 1939.
21 Ainsi, le 27 décembre 1991, Franjo Tudjman, président de la République de
22 Croatie, a déclaré au cours d'une réunion présidentielle que le peuple
23 croate devrait être réuni dans un territoire aux frontières les plus larges
24 possibles.
25 Lors de cette même réunion, Mate Boban, président de la communauté et
26 future République croate d'Herceg-Bosna a évoqué la division de la Bosnie-
27 Herzégovine et la création d'une entité croate indépendante en son sein.
28 Les minutes de cette réunion sont consignées dans la pièce P00089. Cet
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1 élément de preuve est également corroboré par les dires du témoin Stjepan
2 Kljuic, ancien président de l'Union démocratique croate.
3 Le témoin Herbert Okun, représentant de la communauté internationale a,
4 quant à lui, témoigné du fait que le 6 mai 1992, Radovan Karadzic,
5 président de l'entité autoproclamée Republika Srpska, et Mate Boban se sont
6 réunis à Graz en Autriche pour discuter de la partition de la Bosnie-
7 Herzégovine suivant la démarcation de la Banovina croate. La pièce P00187
8 fait état de la déclaration conjointe signée par Karadzic et Boban à cet
9 effet.
10 Herbert Okun est également venu témoigner que lors de la Conférence
11 internationale sur l'ex-Yougoslavie tenue de septembre 1992 à mai 1993,
12 Franjo Tudjman était le président de fait de la délégation des Croates de
13 Bosnie composée notamment de Mate Boban et de Milivoj Petkovic. Au cours de
14 cette conférence, Herbert Okun a entendu les déclarations de Franjo Tudjman
15 sur un élargissement des frontières de la Croatie, soit directement, soit
16 par l'incorporation de la Herceg-Bosna au sein de la Croatie. Ainsi que de
17 son soutien au gouvernement de Mate Boban.
18 Par ailleurs, la pièce P00466 indique que le 11 septembre 1992, Franjo
19 Tudjman, en personne, a notamment interdit à Slobodan Praljak de mener des
20 actions militaires au-delà des frontières de la Banovina.
21 Le témoin Peter Galbraith, ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de la
22 République de Croatie, a confirmé qu'à partir de juin 1993, Franjo Tudjman
23 soutenait que les Musulmans de Bosnie ne constituaient pas une nation dans
24 la mesure où ils étaient des Croates parlant la langue croate mais qui
25 s'étaient convertis à la religion musulmane, et que Mostar était la
26 capitale de la République croate de Bosnie-Herzégovine. Franjo Tudjman a
27 également déclaré à cette occasion que les conquêtes des territoires des
28 Croates se faisaient sur des terres qui avaient appartenu durant des
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1 siècles aux Croates. Selon Peter Galbraith, Gojko Susak appuyait les thèses
2 de Tudjman.
3 Pour conclure sur ce point, la Chambre se réfère à la pièce P09078, sous
4 pli scellé, dont il ressort que d'après Jadranko Prlic, l'objectif du
5 gouvernement de Zagreb était bien d'intégrer une partie de la Bosnie-
6 Herzégovine dans la République de Croatie si la Bosnie-Herzégovine devait
7 se désintégrer, et la plupart des Croates d'Herceg-Bosna appuyaient cette
8 idée.
9 La Chambre va à présent examiner les éléments de preuve concernant
10 l'existence d'une éventuelle entreprise criminelle commune ayant pour
11 objectif le nettoyage ethnique des Musulmans et autres non-Croates des
12 régions qui formaient l'Herceg-Bosna. La Chambre examinera également dans
13 quelle mesure une pluralité de personnes, dont les accusés Prlic, Stojic,
14 Praljak et Petkovic, y auraient contribué. Ultérieurement, elle se penchera
15 plus particulièrement sur la participation alléguée des accusés Coric et
16 Pusic.
17 Tout d'abord, la Chambre dispose d'éléments de preuve indiquant que dès
18 1992, le HVO aurait mis en œuvre une politique de discrimination et de
19 persécution des Musulmans et autres non-Croates au sein des municipalités
20 sur le territoire de la Herceg-Bosna. Ces éléments de preuve indiquent que
21 le HVO a progressivement pris le contrôle politique de ces municipalités,
22 qu'elle y a exclu les Musulmans et autres non-Croates de la vie politique
23 et économique et qu'elle y a simultanément imposé entre autres la langue,
24 la monnaie croate ainsi qu'un programme d'enseignement exclusivement
25 croate. A cet égard, la Chambre se réfère notamment au témoignage de
26 Fahrudin Rizvanbegovic, Edward Vuilliamy et Seid Smajkic pour la
27 municipalité de Mostar.
28 La Chambre a examiné par ailleurs la pièce P03038 contenant un message de
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1 Jadranko Prlic et de Bruno Stojic du 30 juin 1993, à l'attention des
2 Croates de Bosnie, selon lequel Mostar était et resterait une ville croate
3 et était prédestinée à être la capitale de tous les territoires croates de
4 la Bosnie-Herzégovine.
5 Le 5 novembre 1993, tel que consigné dans la pièce P06454, Jadranko Prlic a
6 informé Franjo Tudjman, Slobodan Praljak et Milivoj Petkovic que Mostar
7 avait tous les atouts pour être la capitale de la Herceg-Bosna.
8 La Chambre a examiné plusieurs éléments de preuve indiquant qu'à partir du
9 mois de janvier 1993, la politique du HVO consistait à mettre en œuvre le
10 plan Vance-Owen de telle manière qu'elle nécessitait le déplacement à terme
11 des Musulmans et des autres non-Croates des provinces 8 et 10 du plan
12 Vance-Owen, et ce, dans la poursuite de la réalisation de la Herceg-Bosna.
13 A cet égard, la Chambre se réfère aux dépositions de représentants de la
14 communauté internationale présents sur le terrain, tels que les Témoins BA
15 et BH.
16 Elle dispose de rapports émanant des membres de la Mission de contrôle de
17 la Communauté européenne, telles que les pièces P01981 et P02787.
18 Cette politique ressort également de ce que de nombreux témoins sont venus
19 dire lorsqu'ils ont témoigné sur leur déplacement forcé ou leur expulsion
20 vers un pays tiers.
21 Par ailleurs, Herbert Okun a témoigné que la délégation des Croates de
22 Bosnie auprès de la Conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie a
23 accepté le plan de paix Vance-Owen en janvier 1993. Tel que l'a précisé
24 Herbert Okun, le 20 janvier 1993, Lord Owen, coprésident de la Conférence
25 internationale pour l'ex-Yougoslavie avait fait comprendre aux
26 représentants des Croates de Bosnie que leur interprétation du plan Vance-
27 Owen n'était pas correcte.
28 Malgré cet avertissement, un rapport de la FORPRONU du 24 janvier 1993,
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1 correspondant à la pièce P01285, constate que les dirigeants de la
2 communauté d'Herceg-Bosna avaient commencé à prendre le contrôle de
3 certains territoires de façon prématurée dans le but de mettre en œuvre le
4 plan Vance-Owen tel qu'ils l'interprétaient.
5 En effet, la pièce P01146 est une décision de Jadranko Prlic, en date du 15
6 janvier 1993, sommant les forces de l'ABiH déployées dans les provinces
7 déclarées croates par le plan Vance-Owen de se soumettre au commandement du
8 HVO.
9 Le même jour, Bruno Stojic, chef du département de la défense de la
10 communauté croate d'Herceg-Bosna, a pour sa part émis un ordre à cet effet
11 consigné dans la pièce P01140, adressé au chef d'état-major et de
12 l'administration de la police militaire du HVO. A son tour, en application
13 de l'ordre de Bruno Stojic, Milivoj Petkovic, chef d'état-major du HVO, a
14 transmis l'ordre en question à la chaîne de commandement des forces armées
15 du HVO, cela ressort de la pièce P01156.
16 La Chambre a par ailleurs entendu les dépositions de témoins tels que CL,
17 CP, Sejfo Kajmovic et Seid Smajkic, indiquant qu'entre les mois de mars et
18 mai 1993, soit avant l'attaque de Mostar du 9 mai 1993, le HVO avait
19 organisé l'arrestation et l'emprisonnement de centaines d'intellectuels et
20 de religieux musulmans des municipalités de Mostar, Capljina et Stolac, et
21 qu'elle les avait détenus durant une longue période de temps.
22 De même, la Chambre dispose d'éléments de preuve indiquant que dès le mois
23 de mai 1993, plus particulièrement après le 30 juin 1993, et au cours de
24 l'été 1993, le HVO avait mis sur pied une opération de grande envergure
25 visant à arrêter des milliers d'hommes musulmans en âge de porter des armes
26 dans les municipalités de Mostar, Capljina, et Stolac, et à les emprisonner
27 dans les camps de l'Heliodrom, de Dretelj, de Gabela et de Ljubuski.
28 A cet égard, la Chambre se réfère entre autres au rapport périodique de M.
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1 Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécial des Nations Unies, du 6 septembre
2 1993, correspondant à la pièce P04822, ainsi qu'aux nombreux témoins venus
3 déposer sur leur arrestation et détention dans ces municipalités durant
4 cette période de temps.
5 En outre, plusieurs rapports, parmi lesquels un câble diplomatique et des
6 rapports d'une organisation humanitaire présente sur le terrain, font état
7 du fait que le HVO a mis sur pied un processus de relocalisation dans un
8 pays tiers des hommes musulmans ainsi faits prisonniers dans ces camps de
9 détention et de leurs familles.
10 Ainsi, le rapport correspondant à la pièce P09502, sous pli scellé,
11 corroboré par les pièces P09680, sous pli scellé, et P09681, sous pli
12 scellé, indique qu'entre le 17 et le 20 juillet 1993, le HVO a relâché de
13 l'Heliodrom quelque 800 hommes musulmans en échange de leur signature d'une
14 requête d'assistance aux fins d'obtenir leur relocalisation dans un pays
15 tiers, et les a conduits à bord de plusieurs convois vers des camps de
16 transit situés en Croatie.
17 La Chambre a entendu également la déposition du Témoin BA, selon lequel
18 Jadranko Prlic a demandé l'appui de la communauté internationale pour créer
19 des centres de transit, notamment à Ljubuski, destinés aux Musulmans en
20 partance pour l'étranger et en attente de visas de transit délivrés par
21 l'office des personnes déplacées et des réfugiés de Croatie. La pièce
22 P09679, sous pli scellé, conforte les dires du Témoin BA à ce sujet.
23 La Chambre dispose également d'éléments de preuve indiquant que les
24 opérations menées par le HVO, dans les municipalités appartenant selon elle
25 à la Herceg-Bosna, se déroulaient suivant un schéma similaire répétitif.
26 Selon ce schéma, les hommes musulmans en âge de porter les armes étaient,
27 dans un premier temps, arrêtés et détenus dans divers camps administrés par
28 le HVO. Une fois les hommes écartés, les femmes, enfants et personnes âgées
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1 musulmans étaient à leur tour arrêtés et placés en détention et/ou
2 transférés vers des territoires contrôlés par l'ABiH ou expulsés vers un
3 pays tiers. A cet égard, la Chambre se réfère notamment aux dépositions des
4 Témoins CA, CC, CE, et CJ pour les municipalités de Prozor, Stolac, et
5 Capljina.
6 La Chambre dispose aussi d'éléments de preuve indiquant qu'à la suite de
7 telles opérations menées par le HVO dans diverses municipalités, celles-ci
8 ne comptaient plus ou peu de Musulmans, ces derniers étant détenus dans un
9 camp administré par le HVO, transférés vers des territoires contrôlés par
10 l'ABiH ou expulsés vers un pays tiers. Ainsi, selon un rapport adressé au
11 colonel Zeljko Siljeg le 24 octobre 1992, correspondant à la pièce P00647,
12 la ville de Prozor était "ethniquement pure" après sa prise de contrôle par
13 le HVO la veille.
14 De même, le Témoin CR, membre du SDA à Stolac, a déclaré qu'à la fin de
15 l'année 1993, il ne restait plus aucun Musulman à Stolac dans la mesure où
16 ils étaient tous détenus dans des camps du HVO.
17 Le Témoin E a quant à lui témoigné qu'à la suite du processus de
18 relocalisation au cours de l'été 1993 des hommes musulmans emprisonnés à la
19 prison de Ljubuski ainsi que de leurs familles, la municipalité de Ljubuski
20 ne comptait plus qu'une quinzaine de familles musulmanes. Certains éléments
21 de preuve versés par l'Accusation indiquent que les opérations militaires
22 menées par le HVO dans les municipalités formant la Herceg-Bosna
23 s'inscrivaient dans le cadre d'une politique destinée à atteindre les
24 objectifs que la Herceg-Bosna s'était fixée.
25 Ainsi, la pièce P00466 fait état d'une réunion présidentielle tenue le 11
26 septembre 1992, au cours de laquelle Franjo Tudjman, en présence de Gojko
27 Susak, ministre de la Défense de la République de Croatie, et Slobodan
28 Praljak, a rappelé qu'ils devaient saisir l'opportunité du conflit opposant
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1 les Serbes et les Musulmans de Bosnie pour insister sur la thèse de la
2 Banovina croate. A cette occasion, Franjo Tudjman a interdit à Slobodan
3 Praljak de mener des actions militaires au-delà des frontières de la
4 Banovina.
5 De même, au cours d'une réunion présidentielle tenue le 26 septembre 1992,
6 Slobodan Praljak a averti Franjo Tudjman et Gojko Susak des dangers liés à
7 l'arrivée massive des réfugiés musulmans sur les territoires de l'Herceg-
8 Bosna, et leur a conseillé de saisir l'opportunité de la guerre pour les
9 chasser desdits territoires, sans quoi le HVO n'y obtiendrait pas la
10 majorité. Cela ressort de la pièce P00524.
11 La Chambre a également examiné la pièce P06454 faisant état d'une réunion
12 entre Mate Boban, Jadranko Prlic, Slobodan Praljak, et Milivoj Petkovic le
13 5 novembre 1993, au cours de laquelle Jadranko Prlic a affirmé que la
14 victoire militaire s'avérerait nécessaire pour atteindre les objectifs de
15 la Herceg-Bosna.
16 A nouveau, le 13 février 1994, Jadranko Prlic a déclaré auprès de plusieurs
17 dirigeants de la République de Croatie, parmi lesquels Franjo Tudjman, que
18 la République croate de Herceg-Bosna présentait toutes les caractéristiques
19 d'un Etat. Il a également avancé que cet Etat devait se doter des
20 frontières les plus larges possibles, comprenant toute la Bosnie centrale,
21 ce qui pourrait être accompli par des moyens militaires. Ceci est consigné
22 dans la pièce P07856.
23 Enfin, la Chambre a entendu de nombreux témoins, représentants de la
24 communauté internationale, tels que les Témoins BA, BC, Christopher Beese,
25 et Philip Watkins, indiquer que par le biais d'une politique de propagande
26 le HVO a entrepris de transférer un nombre considérable de Croates de
27 Bosnie provenant d'autres régions de la Bosnie-Herzégovine, telles que la
28 Bosnie centrale, vers les provinces 8 et 10 du plan Vance-Owen.
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1 Ainsi, d'après le rapport de la mission de contrôle de la Communauté
2 européenne, correspondant à la pièce P02849, corroboré par les propos de
3 Christopher Beese et Philip Watkins, cette politique avait pour objectif de
4 changer le rapport de force dans les provinces 8 et 10 en faveur des
5 Croates.
6 La Chambre dispose également d'éléments de preuve indiquant que le HVO
7 s'est servi de cette arrivée massive de Croates dans les provinces 8 et 10
8 pour justifier le transfert ou l'expulsion des Musulmans qui y vivaient. La
9 Chambre se réfère à cet égard au rapport d'une organisation humanitaire
10 présente sur le terrain, correspondant à la pièce P09678, sous pli scellé;
11 corroboré par la déposition du Témoin BA.
12 La Chambre a également examiné le rapport adressé par Jadranko Prlic à la
13 présidence de la communauté croate de Herceg-Bosna le 14 juillet 1993,
14 correspondant à la pièce P03413. Dans ce rapport, Jadranko Prlic évoque une
15 proposition du HVO faite à la présidence de la communauté croate de Herceg-
16 Bosna relative au transfert de populations croates des zones non comprises
17 dans la Herceg-Bosna vers le territoire de celle-ci.
18 Finalement, lors de la réunion avec entre autres Slobodan Praljak et
19 Milivoj Petkovic le 5 novembre 1993, Jadranko Prlic a évoqué le besoin de
20 transférer des populations croates vers des zones qui "resteraient
21 Croates". A cet égard, la Chambre se réfère à la pièce P06454 déjà
22 précitée.
23 La Chambre est d'avis qu'une Chambre raisonnable pourrait conclure au-delà
24 de tout doute raisonnable que l'ensemble des actes venant d'être évoqués
25 ont été commis en exécution d'un plan destiné à modifier l'équilibre
26 ethnique des régions qui formaient la Herceg-Bosna et principalement à
27 déplacer la population musulmane et les autres populations non croates en
28 dehors de la Herceg-Bosna de manière définitive en vue de créer un
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1 territoire croate ethniquement pur dans l'enceinte de la Herceg-Bosna.
2 En conclusion, et à la lumière des éléments de preuve présentés par la
3 Chambre, tant sur l'existence d'un déplacement significatif et organisé des
4 Musulmans et autres non-Croates que sur le comportement adopté par les
5 accusés face à ces événements, une Chambre raisonnable pourrait conclure à
6 l'existence d'une entreprise criminelle commune durant la période couverte
7 par l'acte d'accusation, entreprise criminelle commune qui avait pour
8 objectif principal la création d'une entité croate reprenant les frontières
9 de la Banovina de 1939 ainsi que le déplacement forcé de la population non
10 croate en dehors de la Herceg-Bosna.
11 Les éléments de preuve indiquent que les moyens utilisés par le HVO pour
12 déplacer la population non croate comprenaient la persécution,
13 l'emprisonnement, la détention, le transfert forcé, et l'expulsion.
14 Par ailleurs, pour autant que les actes tels que l'homicide intentionnel,
15 l'assassinat, le viol, les actes inhumains ou les traitements cruels, le
16 travail forcé, l'appropriation et la destruction de biens, l'usage de la
17 terreur, l'attaque illégale contre des civils, ainsi que les autres crimes
18 allégués dans l'acte d'accusation, n'étaient pas envisagés dans le projet
19 commun, une Chambre raisonnable pourrait conclure qu'ils étaient la
20 conséquence naturelle et prévisible de la réalisation de l'entreprise
21 criminelle commune dans la mesure où leur commission était prévisible dans
22 le cadre du déplacement forcé de la population.
23 J'en viens maintenant au grand II.
24 II. La responsabilité des accusés Coric et Pusic.
25 Dans un premier temps, la Chambre s'interrogera sur la responsabilité de
26 l'accusé Coric, puis dans un deuxième temps, sur celle de l'accusé Pusic.
27 Dans ce cadre, la Chambre procédera à un rappel du rôle et des fonctions de
28 chacun des deux accusés et analysera leur éventuelle participation à
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1 l'entreprise criminelle commune.
2 a) La responsabilité de l'accusé Coric.
3 La Chambre vient donc de constater qu'une Chambre raisonnable pourrait
4 conclure au-delà de tout doute raisonnable à l'existence d'une entreprise
5 criminelle commune telle qu'alléguée dans l'acte d'accusation. Elle est
6 maintenant amenée à examiner si une Chambre raisonnable pourrait conclure
7 que l'accusé Coric était membre de cette entreprise criminelle commune et
8 qu'il a participé à sa mise en œuvre.
9 La Chambre rappelle à cet égard que l'intention de partager le but criminel
10 commun et de commettre les crimes visés par les membres de l'entreprise
11 criminelle commune peut être déterminée à partir de preuves
12 circonstancielles.
13 En ce qui concerne la participation à la mise en œuvre de l'entreprise
14 criminelle commune, il convient de rappeler qu'il peut s'agir d'une
15 participation par commission ou par omission.
16 Afin de déterminer si l'accusé Coric était animé du but d'expulser des
17 Musulmans du territoire de la Herceg-Bosna par la force et d'autres moyens
18 criminels, la Chambre va d'abord analyser son rôle et sa position au sein
19 des institutions de la communauté et de la République croate d'Herceg-
20 Bosna.
21 Ensuite, la Chambre discutera de sa participation dans la création des
22 centres de détention, dans le transfert des détenus d'un centre à l'autre,
23 dans la gestion des prisons, dans la libération des prisonniers, et sa
24 participation dans leur expulsion vers des pays tiers.
25 La Chambre va également brièvement rappeler les éléments de preuve relatifs
26 à la commission de crimes dans les centres de détention, soit par des
27 membres de la police militaire, soit par des personnes tierces. Elle
28 discutera par ailleurs de la participation de la police militaire dans
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1 l'arrestation et l'expulsion des Musulmans de leurs foyers et dans la
2 commission du crime de viol, ainsi que de la connaissance de l'accusé Coric
3 de l'ensemble de ces crimes et son omission de les empêcher, d'y mettre fin
4 et de les punir.
5 La police militaire du HVO a été créée début avril 1992. Selon la pièce
6 P00956, un rapport signé par l'accusé Coric lui-même, toutes les unités de
7 la police militaire ont été placées sous son commandement à partir du 13
8 avril 1992.
9 Avec la création de l'administration de la police militaire au courant de
10 l'année 1992, l'accusé a été nommé "chef de l'administration de la police
11 militaire". Un grand nombre de documents, dont les ordres signés "chef
12 Valentin Coric", qui portent les cotes P00513, P00956, P01635, P03090,
13 P04174, témoignent du fait que l'accusé Coric a effectivement exercé la
14 fonction de chef de l'administration de la police militaire jusqu'à la fin
15 de l'année 1993.
16 Avec la création de la République croate d'Herceg-Bosna en novembre 1993,
17 l'accusé Coric a été nommé au poste de ministre de l'Intérieur de celle-ci
18 comme en atteste la pièce P06995.
19 La Chambre a admis deux documents qui l'ont renseignée sur la fonction de
20 chef de l'administration de la police militaire, ainsi que sur les tâches
21 de la police militaire. Il s'agit du manuel relatif au travail des unités
22 de la police militaire, publié le 30 novembre 1992 par l'administration de
23 la police militaire, qui porte la cote P00837; ainsi que d'un livre
24 d'instruction, non daté, qui porte la cote P00978.
25 Selon ces deux pièces, le chef de la police militaire commande toutes les
26 unités de la police militaire et décide de toute question importante
27 relative au travail de la police militaire. Selon la pièce P00837, la
28 police militaire est, entre autres, responsable de la protection de
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1 personnes et de biens au sein de sa zone de responsabilité. Elle est
2 responsable de la poursuite de crimes commis par les membres du HVO, ainsi
3 que de la sécurité au sein des centres de détention, et de la sécurité des
4 prisonniers de guerre.
5 Le 22 septembre 1992, l'accusé Coric a émis un ordre établissant la prison
6 militaire centrale à l'Heliodrom, afin de répondre à la nécessité de garder
7 les prisonniers de guerre et de garantir leur sécurité. Cela ressort de la
8 pièce P00513.
9 Il a également été impliqué dans la création d'autres centres de détention,
10 comme en atteste la pièce P01635, ainsi que dans le transfert des détenus
11 d'un centre de détention à l'autre. Sur ce dernier point, la Chambre se
12 réfère notamment au témoignage du Témoin E et aux documents P02546, P05193,
13 P05194, P05302, et P05312, qui est sous pli scellé.
14 La Chambre a examiné des éléments de preuve sur la base desquels elle
15 pourrait conclure que l'accusé Coric était responsable de la gestion des
16 centres de détention. Ainsi le témoin Josip Praljak a témoigné du fait que,
17 le 22 septembre 1992, l'accusé Coric a émis des instructions pour la prison
18 de l'Heliodrom qui ont servi de base pour la gestion de la prison jusqu'en
19 décembre 1993. Ces instructions ont été admises sous la cote P00514.
20 Josip Praljak a également confirmé que l'accusé Coric était la
21 personne responsable de la nomination du directeur de la prison. Sur la
22 base des témoignages de Josip Praljak et du Témoin BA, la Chambre pourrait
23 également conclure que l'accusé Coric réglementait l'accès aux centres de
24 détention. Les éléments de preuve pourraient également permettre de
25 conclure que l'accusé Coric jouait un rôle déterminant dans la décision de
26 libérer des Musulmans détenus dans les divers centres de détention du HVO
27 et de les expulser vers des pays tiers.
28 Ainsi, le 6 juillet 1993, l'accusé Coric a envoyé une notification au
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1 colonel Obradovic et aux directeurs des prisons de Dretelj, Gabela, de
2 l'Heliodrom et de Ljubuski, leur rappelant que seule l'administration de la
3 police militaire avait compétence pour les prisons militaires et donc
4 l'autorité de décider de la libération des détenus. Cette notification a
5 été admise sous la cote P03220.
6 Le Témoin E a confirmé que l'accusé Coric décidait de la libération
7 des détenus à Ljubuski. Le Témoin E a par ailleurs déclaré que l'accusé
8 Coric a ordonné de libérer toutes les personnes munies d'une lettre de
9 garantie permettant leur départ vers un pays tiers.
10 La pièce P04572 confirme le témoignage du Témoin E sur ce point. Le
11 Témoin E a décrit de manière détaillée la procédure d'expulsion des détenus
12 musulmans vers des pays tiers. Le fait que les prisonniers munis d'une
13 lettre de garantie étaient libérés des prisons et devaient quitter le
14 territoire de la communauté croate de Herceg-Bosna avec leurs familles dans
15 les 24 heures. Les pièces P04263, P04299 et P10190 corroborent le fait que
16 vers la fin du mois d'août 1993, des détenus musulmans ont été relâchés
17 parce qu'ils étaient munis de telles lettres de garantie.
18 La Chambre ne va pas examiner en détail les éléments multiples qui
19 tendraient à démontrer la commission de crimes au sein des centres de
20 détention du HVO. La Chambre a entendu un grand nombre de témoins ayant
21 décrit les conditions inhumaines et humiliantes de leur détention ainsi que
22 la peur constante d'être soumis à des mauvais traitements. Beaucoup d'entre
23 eux disent avoir fait l'objet de passages à tabac ou avoir été envoyés sur
24 les lignes de front pour creuser des tranchées sous les tirs de l'ABiH.
25 Certains en sont revenus blessés; certains en sont morts.
26 A cet égard, il convient de rappeler les témoignages des témoins Alija
27 Lizde, CR, CU, CW, et DD.
28 Au vu des éléments de preuve, une Chambre raisonnable pourrait conclure,
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1 au-delà de tout doute raisonnable, que la police militaire a failli à son
2 obligation de garantir la sécurité aux centres de détention du HVO. Qui
3 plus est, certain des éléments de preuve, dont la pièce P03630, indiquent
4 que des membres de la police militaire seraient eux-mêmes impliqués dans la
5 commission des crimes.
6 En outre, l'Accusation a présenté des éléments de preuve indiquant que
7 l'accusé Coric a été informé de la situation relative à la sécurité et des
8 crimes commis au sein des centres de détention. A titre d'exemple, on peut
9 citer les rapports P03171, du 4 juillet 1993; P03209, du 5 juillet 1993;
10 P05088, du 13 septembre 1993; et P05647, du 5 octobre 1993.
11 Le fait que la situation au sein des centres de détention ne se soit pas
12 améliorée suite à la notification faite à l'accusé Coric par ses
13 subordonnés pourrait amener une Chambre raisonnable à conclure que l'accusé
14 Coric a failli à son obligation d'empêcher la commission des crimes, d'y
15 mettre fin et de punir les responsables.
16 L'Accusation a par ailleurs présenté des éléments de preuve susceptibles de
17 démontrer que la police militaire a été activement impliquée dans
18 l'arrestation et l'expulsion des Musulmans de leurs foyers dans différentes
19 opérations au cours de l'année 1993.
20 Le Témoin CR a déclaré qu'à partir du mois d'avril 1993, la police
21 militaire du HVO a arrêté des notables musulmans de la municipalité de
22 Stolac. Un rapport de la 3e Compagnie du 3e Bataillon de la police militaire
23 de Capljina, en date du 1er juillet 1993, la pièce P03075, rapporte que les
24 30 juin et 1er juillet 1993 la police militaire du HVO, en coopération avec
25 d'autres unités du HVO, a arrêté 1 300 personnes dans les municipalités de
26 Stolac, Capljina, Mostar et Neum. Les Témoins BC et C ont également parlé
27 de l'implication de la police militaire du HVO dans l'expulsion et
28 l'arrestation des Musulmans pendant l'été 1993.
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1 Le Témoin BC a déclaré avoir régulièrement parlé à l'accusé Coric au sujet
2 du harcèlement et de l'arrestation de la population musulmane, ainsi que du
3 pilage et de la destruction de biens musulmans, notamment dans les
4 municipalités de Ljubuski, Mostar, Stolac et Capljina. L'accusé Coric
5 aurait promis d'envoyer la police militaire et de garantir la sécurité de
6 la police musulmane, mais sans y donner suite.
7 Enfin, étant donné que les conseils de l'accusé Coric ont pu
8 particulièrement contester la responsabilité de l'accusé Coric pour le
9 crime de viol, la Chambre va discuter de ce point. La Défense soulève que
10 l'Accusation n'a pu établir l'identité des auteurs des viols. Selon les
11 conseils de l'accusé Coric, il s'agirait de personnes qui profitaient de la
12 situation de guerre pour commettre des crimes isolés. La Défense soutient
13 par ailleurs que la plupart des victimes de viol n'auraient pas porté
14 plainte et qu'il aurait été difficile de mener des enquêtes une fois que
15 les victimes avaient quitté le territoire de la Bosnie-Herzégovine.
16 La Chambre constate que l'Accusation a présenté des éléments de preuve,
17 dont la pièce P03090, un rapport signé par l'accusé Coric, qui atteste de
18 la participation de la police militaire dans les opérations de combat à
19 Prozor en 1993. D'autres éléments de preuve, tels que les pièces P04161,
20 qui est sous pli scellé, et P04177, indiquent que des membres de la police
21 militaire commettaient des viols et d'autres crimes dans les villages de
22 Duge, Lapsunj et Podgrade durant l'été de 1993. Ces mêmes éléments de
23 preuve sont susceptibles de démontrer que les commandants de la police
24 militaire avaient été informés de la situation prévalant dans ces trois
25 villages, mais qu'ils n'ont rien entrepris pour y mettre fin.
26 Sur la base des éléments susmentionnés, une Chambre raisonnable pourrait
27 conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que l'accusé Coric partageait
28 le but criminel commun d'expulser des Musulmans du territoire de la Herceg-
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1 Bosna par la force et d'autres moyens criminels, et qu'il a participé à
2 cette entreprise criminelle commune, soit activement, en utilisant la
3 police militaire à des fins criminelles, soit passivement, en omettant de
4 protéger la population musulmane tel qu'exigé par les manuels de la police
5 militaire. La Chambre n'est pas appelé à déterminer à ce stade si les
6 crimes commis faisaient partie du but criminel commun ou en était plutôt
7 une conséquence naturelle et prévisible.
8 Au vu des éléments de preuve discutés ci-dessus, une Chambre raisonnable
9 pourrait conclure que l'accusé Coric est responsable de tous les chefs
10 allégués dans l'acte d'accusation en vertu, soit de la forme 1, soit de la
11 forme 3, de l'entreprise criminelle commune.
12 b) La responsabilité de l'accusé Pusic.
13 La Chambre doit maintenant examiner si une Chambre raisonnable pourrait
14 conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que l'accusé Pusic était
15 membre de cette entreprise criminelle commune et qu'il a participé à sa
16 mise en œuvre.
17 La Chambre analysera donc les fonctions exercées par l'accusé Pusic pendant
18 la période alléguée dans l'acte d'accusation, afin de déterminer si une
19 Chambre raisonnable pourrait conclure ou non que l'accusé Pusic avait une
20 position de dirigeant telle qu'alléguée dans le paragraphe 17 de l'acte
21 d'accusation.
22 La Chambre examinera ensuite les actes et omissions découlant des fonctions
23 de l'accusé Pusic, et ce faisant déterminera si une Chambre raisonnable
24 pourrait ou non déduire son intention et sa participation à l'entreprise
25 criminelle commune.
26 Comme je vois M. le Greffier s'agiter, je lui indique qu'il me reste trois
27 pages à lire. Je continue.
28 S'agissant des différentes fonctions occupées par l'accusé Pusic, la
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1 Chambre dispose d'éléments de preuve, tels que la pièce P02020, indiquant
2 que le 22 avril 1993, Valentin Coric, chef de la police militaire, a
3 désigné l'accusé Pusic officier chargé de représenter la police militaire
4 du HVO pour toutes les questions concernant les échanges des personnes
5 arrêtées.
6 La Chambre dispose aussi de certains éléments de preuve indiquant que le 11
7 mai 1993, Bruno Stojic, alors chef du département de la défense du HVO, a
8 chargé l'accusé Pusic de la liaison entre le HVO et le Bataillon espagnol
9 de la FORPRONU. A cet égard, la Chambre se réfère à la pièce P02291, qui
10 est une lettre informant le "SpaBat" de cette désignation.
11 De plus, la Chambre dispose de plusieurs éléments de preuve,
12 notamment d'une publication au journal officiel de la HZ Herceg-Bosna, qui
13 porte la cote P03208, indiquant que l'accusé Pusic a été nommé "chef du
14 nouveau service chargé de l'échange des prisonniers et autres personnes",
15 par Jadranko Prlic, président du HVO le 5 juillet 1993.
16 Ce service avait pour but d'établir une base de données sur les prisonniers
17 et autres personnes en vue d'échanges, d'établir des relations avec les
18 autres parties en vue d'échange de prisonniers, de proposer des méthodes et
19 conditions d'échange, et de coopérer avec les organisations internationales
20 et les autres organes de la HZ HB.
21 La Chambre dispose enfin d'éléments de preuve indiquant que le 6 août
22 1993, Bruno Stojic, alors chef du département de la défense du HVO, a nommé
23 l'accusé Pusic à la tête d'une nouvelle commission qui était "autorisée à
24 prendre en charge toutes les unités de détention et toutes les prisons dans
25 lesquelles étaient détenus des prisonniers de guerre ou des détenus
26 militaires." Cette nomination porte la cote P03995.
27 Cette commission était en charge d'établir une liste des détenus,
28 d'établir des catégories de prisonniers, de prendre le contrôle de toutes
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1 les unités de détention et des prisons, de résoudre les problèmes de
2 fonctionnement et de sécurité, et de réguler les libérations ou les
3 échanges des détenus.
4 La Chambre dispose par ailleurs d'éléments de preuve indiquant que
5 ces différentes nominations se sont traduites dans les faits par de
6 nouveaux pouvoirs et différentes actions. Les pièces P03052 et P04141
7 indiquent respectivement que l'accusé Pusic a immédiatement, d'une part,
8 émis des suggestions d'organisation et d'action concernant le service
9 chargé de l'échange des prisonniers et autres personnes; et d'autre part,
10 pris des ordres en tant que président de la commission en charge des unités
11 de détention et des prisons du HVO.
12 La Chambre a entendu plusieurs témoins, représentants de la
13 communauté internationale, tels que les Témoins BD et BC, mais aussi les
14 observateurs de la mission de contrôle de la Communauté européenne, qui ont
15 déclaré que l'accusé Pusic était l'assistant de Valentin Coric et qu'il
16 avait un rôle majeur pour toutes les questions concernant les personnes
17 déplacées et les prisonniers de guerre.
18 De même, les Témoins BB et Philip Watkins, représentants de la
19 communauté internationale, ont tous deux déclaré que l'accusé Pusic était
20 la personne avec laquelle ils avaient négocié pour obtenir l'autorisation
21 de visiter les camps de détention.
22 La Chambre dispose d'éléments de preuve, tels que des rapports
23 établis par les différents responsables des camps de détention, indiquant
24 que l'accusé Pusic était informé des mauvaises conditions dans lesquelles
25 étaient détenus les prisonniers dans les unités de détention et prisons du
26 HVO, et des mauvais traitements qu'ils y subissaient. Sur ce point, la
27 Chambre se réfère notamment aux rapports concernant le camp de l'Heliodrom
28 et la prison militaire de Gabela, que l'on retrouve aux pièces P05077 et
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1 P05485.
2 De plus, le témoin Josip Praljak, ancien directeur adjoint du camp de
3 l'Heliodrom, a déclaré que l'accusé Pusic, en tant que membre de la police
4 militaire, avait le pouvoir d'autoriser l'utilisation de prisonniers pour
5 des travaux, y compris sur la ligne de front. La Chambre dispose également
6 d'éléments de preuve indiquant que l'accusé Pusic non seulement autorisait
7 l'utilisation des détenus pour des travaux, mais encore avait connaissance
8 du fait que ces prisonniers travaillaient dans des conditions dangereuses
9 et étaient parfois blessés ou tués. A cet égard, la Chambre renvoie
10 notamment aux rapports portant les cotes P03414 et P07498.
11 Le témoin Josip Praljak a par ailleurs déclaré à la Chambre qu'il n'y
12 avait jamais eu de réaction suite aux différents avertissements qu'il avait
13 envoyés concernant le danger des travaux effectués par les prisonniers. La
14 Chambre a entendu plusieurs responsables d'unités de détention ou de
15 prisons, tels que Josip Praljak, décrivant l'organisation de la libération
16 des prisonniers en échange de leur départ des territoires contrôlés par le
17 HVO. La Chambre dispose aussi d'éléments de preuve indiquant que l'accusé
18 Pusic jouait un rôle majeur dans ces libérations de détenus.
19 Ainsi, le procès-verbal d'une réunion du 11 décembre 1993, en
20 présence des différents responsables des prisons et de hauts responsables
21 du HVO, portant la cote P07148, indique que l'accusé Pusic était d'accord
22 pour libérer les prisonniers à condition que des préparatifs soient faits
23 pour que ces derniers soient envoyés à l'étranger.
24 La Chambre a entendu des témoignages, tels que celui du Témoin E,
25 membre de la police militaire, et celui du témoin Alija Suta, ayant été
26 détenu dans les différents camps, et dispose de rapports, tels que la pièce
27 P07178, indiquant que les prisonniers des camps étaient libérés à la
28 condition qu'ils fournissent une lettre de garantie pour prouver qu'ils
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1 allaient s'installer dans un autre pays.
2 Par ailleurs, la Chambre dispose de plusieurs autorisations de
3 libération signées par l'accusé Pusic, telles que la pièce P05949 pour le
4 témoin Alija Lizde, et la pièce P07097 pour le témoin Fahrudin
5 Rizvanbegovic.
6 La Chambre a entendu le Témoin BC, représentant de la communauté
7 internationale, déclarer que les services de l'accusé Pusic délivraient des
8 documents par lesquels les Musulmans de Mostar abandonnaient leur propriété
9 au HVO et quittaient le pays.
10 Enfin, le Témoin BC a confirmé que le 19 septembre 1993 l'accusé
11 Pusic lui avait affirmé que la seule solution qui convenait était d'envoyer
12 tous les Musulmans d'Herzégovine occidentale sur la rive Est de Mostar car
13 "c'est là où ils doivent être." Le compte rendu de cette réunion porte la
14 cote P09848, cette pièce étant sous pli scellé.
15 Sur la base des éléments susmentionnés, une Chambre raisonnable pourrait
16 conclure au-delà de tout doute raisonnable, que l'accusé Pusic avait une
17 position de dirigeant et partageait le but criminel commun d'expulser les
18 Musulmans du territoire de la Herceg-Bosna par la force et d'autres moyens
19 criminels, et qu'il a participé à cette entreprise criminelle commune par
20 ses actes et ses omissions en tant qu'officier de la police militaire du
21 HVO chargé des échanges de Musulmans de Bosnie détenus par le HVO, de chef
22 du service chargé de l'échange de prisonniers et d'autres personnes, et de
23 président de la commission responsable de toutes les prisons et centres de
24 détention de l'Herceg-Bosna.
25 La Chambre n'est pas appelée à déterminer à ce stade si les crimes commis
26 faisaient partie du but criminel commun ou en étaient plutôt une
27 conséquence naturelle et prévisible. Au vu des éléments de preuve discutés
28 ci-dessus, une Chambre raisonnable pourrait conclure que l'accusé Pusic est
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1 responsable de tous les chefs allégués dans l'acte d'accusation en vertu de
2 la forme 1 ou de la forme 3 de l'entreprise criminelle commune.
3 Au vu de ce qui vient d'être exposé concernant la responsabilité des
4 accusés Coric et Pusic, la Chambre considère qu'il existe des éléments de
5 preuve produits par l'Accusation permettant de conclure pour les besoins de
6 l'article 98 bis du Règlement, que tout juge du fait raisonnable pourrait
7 prononcer une condamnation de ces deux accusés au-delà de tout doute
8 raisonnable, au titre de tous les chefs de l'acte d'accusation en vertu des
9 formes 1 et 3 de l'entreprise criminelle commune.
10 La Chambre tient à préciser que cette conclusion la dispense d'examiner, au
11 titre de l'article 98 bis, les autres formes de responsabilité alléguées
12 dans l'acte d'accusation, à savoir la participation à une entreprise
13 criminelle commune dans sa forme 2; les formes de responsabilité autres que
14 l'entreprise criminelle commune prévue par l'article 7(1) du Statut; et la
15 responsabilité en tant que supérieur hiérarchique prévue par l'article 7(3)
16 du Statut.
17 Par ces motifs et en application de l'article 98 bis du Règlement, la
18 Chambre rejette les requêtes.
19 L'audience de l'article 98 bis vient donc de se terminer. Nous nous
20 retrouverons courant mars comme ceci a été indiqué dans une ordonnance
21 portant calendrier. Je vous remercie.
22 --- L'audience de la Règle 98 bis est levée à 10 heures 56.
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