Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 6 mai 2009

  2   [Audience publique]

  3   [Les accusés sont introduits dans le prétoire]

  4   [Les accusés Prlic et Coric sont absents]

  5   [Le témoin vient à la barre]

  6   --- L'audience est ouverte à 14 heures 16.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  8   l'affaire, s'il vous plaît.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Messieurs les Juges, bonjour à

 10   toutes et à tous.

 11   Affaire IT-04-74-T, le Procureur contre Prlic et consorts.

 12   Merci, Monsieur le Président.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 14   En ce mercredi, 6 mai 2009, je salue M. Stojic, M. Pektovic, M. Pusic. Je

 15   salue également M. le Témoin, le général Praljak. Je salue Mmes et MM. les

 16   avocats. Je salue M. Scott, M. Stringer et tous leurs collaboratrices ainsi

 17   que toutes les personnes qui nous assistent.

 18   Tout d'abord, je vais donner la parole à M. le Greffier qui a un numéro IC

 19   à nous donner.

 20   M. LE GREFFIER : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

 21   L'équipe 2D a déposé sa réponse à l'objection de l'Accusation à la

 22   demande qui avait été faite pour versement de pièces par le biais de Dragan

 23   Juric. Ce sera la pièce IC 1008. Merci, Monsieur le Président.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 25   Bien. Avant de continuer l'interrogatoire principal, la Chambre par

 26   ma voix a trois choses à dire.

 27   Premièrement : la Chambre invite la Défense de M. Praljak par

 28   l'intermédiaire de son avocat, Me Kovacic, à télécharger avant l'audience

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  1   tous les documents qu'elle compte présenter au moment de ses questions. Il

  2   faut que ces documents soient téléchargés dans le système e-court de telle

  3   façon que le greffier puisse faire apparaître sur l'écran les documents.

  4   Bien sûr, on a réglé la question par l'ELMO en mettant le document sur

  5   l'ELMO, mais le principe c'est de télécharger avant l'audience. Nous vous

  6   invitons donc à faire le nécessaire.

  7   Deuxièmement, concernant la question du temps, pour éviter toute mauvaise

  8   interprétation sur le décompte du temps, quand un Juge pose une question

  9   sur un sujet donné, il est clair que ce temps n'est pas décompté à

 10   l'accusé. Mais toutefois, il faut que l'accusé réponde de manière

 11   synthétique et brève à la question du Juge. La dernière fois, à titre

 12   d'exemple, le Juge Prandler a posé une question sur la Croatie et la

 13   Hongrie, et M. Praljak a fait une réponse qui a duré quasiment une demi-

 14   heure. C'est beaucoup trop. Si la Chambre estime qu'il y a des abus dans la

 15   durée des réponses, nous déciderons de défalquer ce temps du temps global.

 16   Nous invitons instamment M. Praljak à faire un effort sur ses réponses

 17   concernant donc les questions posées par les Juges.

 18   Maintenant, quand il y a à la suite d'une question mal posée par l'avocat,

 19   question directrice ou réponse de M. Praljak qui part peut-être dans tous

 20   les sens, à ce moment-là, le temps occupé pour régler l'objection, parce

 21   que M. Stringer va se lever pour faire objection, ce temps sera pris sur le

 22   temps de l'accusé et ne sera pas imputé sur le temps des Juges, surtout si

 23   un Juge intervient pour rétablir le problème et pour inviter l'accusé à

 24   répondre. A ce moment-là, l'accusé répond mais c'est sur son temps. Voilà

 25   la deuxième chose que je voulais dire.

 26   Troisièmement, hier à la fin de l'audience, il y a eu des échanges sur le

 27   fait que les Juges avaient constaté que M. Praljak débordait souvent sur

 28   des sujets plus ou moins éloignés du sujet principal. Sur ce, Me Karnavas a

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  1   fait une suggestion en invitant M. Praljak et son avocat à se consacrer sur

  2   les faits et puis, éventuellement, d'aborder peut-être des sujets de

  3   réflexion au cas par cas. La Chambre renouvelle instamment à M. Praljak

  4   l'obligation qu'il a de répondre aux questions surtout à partir des faits,

  5   car c'est ça qui intéresse principalement les Juges. Nous attendons de M.

  6   Praljak qu'il nous donne dans son propre intérêt des renseignements très

  7   précis sur des faits qu'il a eu à connaître, qu'il connaît et qui sont

  8   susceptibles de nous renseigner pour la manifestation de la vérité. Tout

  9   discours qui partirait en tous sens doit être recadré.

 10   A titre d'exemple, et je vais prendre un exemple au hasard, si on aborde un

 11   sujet sur le contrôle des soldats, nous attendons de M. Praljak qu'il parle

 12   de son expérience personnelle sur le contrôle des soldats. Nous savons

 13   qu'il est allé sur le front, il nous l'a dit, et qu'à ce moment-là il nous

 14   dise voilà, moi sur le front, voilà les problèmes concrets auxquels j'étais

 15   confronté. Ce n'est pas la peine de nous parler de Hagel, de Kierkegaard ou

 16   d'Engels pour parler de cela. Qu'il reste collé aux faits, car c'est ça qui

 17   nous intéresse. Parce que dans le jugement, nous dirons que le commandant

 18   militaire a fait part de tel ou tel événement. Et toute référence

 19   psychologique, politique, et cetera dans le cas d'espèce aura peu ou guère

 20   d'importance, voire aucune.

 21   Donc, la Chambre invite à nouveau, comme l'a dit mon collègue le Juge

 22   Trechsel hier, à rester dans les faits. Il a pu apparaître entre les Juges

 23   une différence d'appréciation, mais il n'y a pas de différence

 24   d'appréciation, c'est-à-dire que moi, comme mes collègues, nous voulons que

 25   M. Praljak reste dans les faits.

 26   Si par moment, il peut aborder un sujet en disant : Oui, mais en

 27   matière de commandement, j'avais à faire face à des ivrognes pour telle ou

 28   telle raison, et cetera, ça il peut le dire. Mais à ce moment-là, qu'il ne

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  1   rentre pas dans une théorie sur l'alcoolisme, qui n'a aucun intérêt.

  2   Voilà. Alors, nous rappelons cela pour que l'audience se déroule de

  3   la meilleure façon possible, qu'il n'y ait pas d'objections à tout bout de

  4   champ, que M. Praljak puisse développer sa défense de manière linéaire,

  5   calme et tranquille sans être interrompu; que tout le monde puisse prendre

  6   les notes et écouter ce qu'il dit; que son avocat puisse poser des

  7   questions de manière claire; que les réponses soient synthétiques et

  8   claires, et tout ça pour la manifestation de la vérité. 

  9   Voilà ce que je tenais à dire, et j'espère que tout le monde aura compris,

 10   tout le monde aura réfléchi et que, Monsieur Praljak, vous ferez un effort

 11   en ce sens, et surtout en ayant en tête les directives suivantes : je dois

 12   m'attacher aux faits et être synthétique dans mes réponses.

 13   Nous ne sommes pas dans une enceinte universitaire ou pendant des heures et

 14   des heures on peut gloser sur tout et n'importe quoi. Nous sommes en

 15   matière pénale, qui est une matière précise où nous devons prendre nous, en

 16   tant que Juges, des conclusions. A ce moment-là, vous devez répondre

 17   précisément aux questions sans déraper dans des domaines qui sont peut-être

 18   intellectuellement intéressants, mais qui peuvent être très éloignés.

 19   Bien. J'espère que tout le monde a compris.

 20   Maître Kovacic.

 21   M. KOVACIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président,

 22   Messieurs les Juges. Bonjour à tous et à toutes dans le prétoire.

 23   Nous avons compris vos instructions, et nous nous efforcerons de nous

 24   adapter dans la mesure du possible, et suivre l'ordonnance indiquée, bien

 25   que nous ayons terminé avec les parties introductives qui avaient pour but

 26   de vous montrer un contexte plus vaste pour déterminer et préciser les

 27   événements qui se sont produits.

 28   A des fins d'information pour les Juges de la Chambre, il y a eu une

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  1   question concernant les documents auxquels s'est référé le général Praljak

  2   pour ce qui est du calcul du nombre d'obus, par exemple, pour ce qui est du

  3   pont est en partant des rapports du Bataillon espagnol et des dépenses de

  4   munitions et d'artillerie de la part de la JNA. Ce sont des chiffres qui se

  5   rapportent au EC00559. Il s'agit d'un premier document, où Praljak a

  6   calculé ou plutôt additionné les obus -- d'où des quantités que la SpaBat a

  7   porté dans ses rapports ECM dans la deuxième moitié de 1993.

  8   Le 3D01727 constitue des normes de dépenses de munitions d'artillerie en

  9   application des théories de la JNA, c'est coordonné avec ce qui se fait

 10   dans les autres armées, et ça permet de voir ce que l'artillerie peut

 11   utiliser dans des conditions normales. Alors, je tiens à vous dire quels

 12   sont les documents auxquels vous pouvez vous référer.

 13   LE TÉMOIN : SLOBODAN PRALJAK [Reprise]

 14   [Le témoin répond par l'interprète] 

 15   Interrogatoire principal par M. Kovacic : [Suite]

 16   Q.  [interprétation] Bonjour, Général Praljak.

 17   R.  Bonjour, Monsieur Kovacic.

 18   Q.  Je voudrais revenir quelque peu en arrière ou, plutôt, j'aimerais que

 19   nous terminions avec le sujet découlant de votre biographie. Oui, je

 20   demanderais au greffier, étant donné que j'ai sauté une petite partie, de

 21   nous donner le petit classeur avec les données biographiques.

 22   R.  En attendant que cela nous soit distribué, je vous remercie, Messieurs

 23   les Juges, je voudrais que vous compreniez que je n'avais pas eu

 24   l'intention de faire le malin ou de donner des cours. Les renseignements

 25   que j'ai avancés ont eu pour motivation un souhait qui était le mien, pour

 26   que l'on sache bien ce qui s'est passé à nous, ce qui s'est passé avec les

 27   autres et qu'on place ceci en corrélation l'un avec l'autre. Est-ce qu'on a

 28   été les pires ? Est-ce qu'on ne pouvait pas être un peu meilleurs ? Et je

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  1   voudrais m'en tenir au document, mais je veux que vous compreniez que je

  2   n'avais pas pour intention autre chose, si ce n'est de vous parler d'un

  3   problème incroyablement grave et compliqué qu'est la guerre, pour qu'on

  4   puisse le voir sous tous ces aspects.

  5   Q.  Mon Général, quelques questions pour aller vite. Je vous prie de vous

  6   pencher sur le classeur où il y a des documents en lien avec votre

  7   biographie. Il y a des documents portant nomination et destitution de

  8   fonctions en Bosnie-Herzégovine pour l'année 1993.

  9   Et là, à ce sujet, une question. Quel a été votre statut en 1992 en

 10   Bosnie-Herzégovine ? Vous nous avez dit, me semble-t-il, que vous avez

 11   séjourné là-bas un certain temps, et puis après, vous êtes parti et vous

 12   êtes revenu. Donc en quel statut êtes-vous intervenu en 1992 en Bosnie-

 13   Herzégovine ?

 14   R.  En 1992, je suis venu le 10 avril 1992 pour être nommé commandant

 15   d'un théâtre de guerre qui s'appelle l'Herzégovine du sud-ouest, et c'est à

 16   ces fonctions que je suis resté, me semble-t-il, un mois et demi. Après, il

 17   y a eu un remplaçant qui est venu, et je suis retourné en Croatie pour être

 18   ministre adjoint chargé du IPD, des activités d'information de propagande.

 19   Q.  Je vous prie maintenant de prendre cette chemisette, et le

 20   premier document que je me propose de vous montrer est le P 02604, et bien

 21   que cela soit déjà une pièce à conviction, j'aimerais que vous nous donniez

 22   deux phrases pour indiquer de quoi il s'agit.

 23   R.  C'est une requête que j'adresse au ministère de la Défense de la

 24   République de Croatie pour me permettre de me rendre en Bosnie-Herzégovine

 25   afin de m'y battre, parce que l'agresseur était déjà très fort en

 26   effectifs, et j'ai demandé à être rayé des rangs de l'armée croate.

 27   Q.  Et vous avez présenté cette demande quand ?

 28   R.  Le 1er juin 1993.

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  1   Q.  Merci. Alors je vous demande de vous pencher sur le document

  2   d'après, le 3D 00278. C'est également une pièce à conviction, mais je

  3   voudrais que l'image soit tout à fait claire.

  4   R.  Le 15 juin, on a accepté ma demande et le ministère de la Défense

  5   m'a destitué de mes fonctions, démis de mes fonctions au sein du ministère

  6   de la Défense de la République de Croatie.

  7   Q.  Le document suivant, P 03683, et j'aimerais que vous vous

  8   penchiez sur le 3D 00279. Il s'agit de documents identiques, mais je ne

  9   pense pas pouvoir le dire pour ne pas que je témoigne moi-même, je crois

 10   que le premier document c'est un P, c'est un document qui vient des

 11   communications par paquet, et l'autre c'est l'original signé par le

 12   signataire. Général Praljak, veuillez expliquer ce que signifie ce

 13   document.

 14   R.  Le 24 juillet 1993, le commandant du HVO Mate Boban m'a nommé

 15   commandant du HVO, et c'est là que le général Milijov Petkovic informe les

 16   unités du HVO de la HZ HB du fait que c'est moi qui suis nommé commandant

 17   de l'état-major principal du HVO par M. Mate Boban.

 18   Q.  Je vous remercie. Document suivant. Alors c'est justement, avant

 19   de passer à autre chose, soyons clairs. Est-ce qu'à partir de la date de

 20   cette information de jure vous étiez commandant de l'état-major principal

 21   du HVO de la HZ HB ?

 22   R.  Oui.

 23   Q.  Merci. Alors le document suivant c'est le 6235. Je vous prie de vous

 24   pencher sur ce document. Il s'agit du 29 octobre 1993. Qu'est-ce que vous

 25   avez demandé par ce document ?

 26   R.  J'ai présenté une demande auprès du commandant suprême des forces

 27   armées de la HR HB, M. Mate Boban. Et j'ai envoyé ce même document pour

 28   information au ministre de la Défense, mais je pense qu'à l'époque il

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  1   n'était pas encore ministre de la Défense, il était responsable du

  2   département de la Défense.

  3   Mais ce sont des erreurs ou des choses dont je ne tenais pas trop

  4   compte. Je n'ai pas eu le temps de prendre en considération la totalité des

  5   détails et c'était des temps où on ne prêtait pas tellement attention aux

  6   détails. Alors j'ai parlé d'arythmie cardiaque et de discopathie qui sont

  7   la cause de mon état de santé mauvais. Et je demande à ce que je sois démis

  8   de mes fonctions avant le 15 novembre 1993, de mes fonctions de

  9   commandement de l'état-major du HVO, et que j'allais transmettre mes

 10   fonctions au général Milivoj Petkovic ou à l'officier désigné par les soins

 11   du commandant suprême.

 12   Q. Merci, Général Praljak. Je pense que la question qui se pose maintenant

 13   de façon naturelle, si les Juges ne la posent pas, je vais la poser moi-

 14   même. Vous avez jusqu'à la fin juillet et août, septembre, octobre, vous

 15   avez été commandant de cet état-major. On a entendu des témoignages à ce

 16   sujet. Quelle était votre situation, votre condition psychophysique à ce

 17   moment-là, au bout de ces trois mois de combat et de guerre ?

 18   R.  Je ne pourrais pas dire que c'était cela la seule et unique raison, ce

 19   mauvais état de santé. J'étais très fatigué. Cela a été exténuant, il y a

 20   eu des jours et des jours d'absence de sommeil. Nous avons eu une guerre

 21   permanente, ça n'arrêtait jamais. Ça allait du jour au lendemain, et le HVO

 22   était une armée qui avait beaucoup de problèmes. Et l'offensive de l'ABiH

 23   s'était produite sur un territoire très grand. Il y a eu des problèmes

 24   d'approvisionnement de la Bosnie centrale, de Vitez, Kiseljak, et autres.

 25   Comme par exemple, Zepce.

 26   Il y a eu un problème d'approvisionnement en toutes sortes de choses. Bien

 27   sûr, le plus gros des problèmes c'était la fatigue des combattants et leur

 28   faible nombre. Et ils étaient très dispersés parce que les lignes de front

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  1   étaient très longues et le problème le plus important c'était la

  2   mobilisation. C'était une catastrophe, en termes simples, parce qu'il

  3   n'avait pas possibilité de la mettre en œuvre. On pouvait appeler les gens

  4   sous les drapeaux, mais s'ils ne répondaient pas présents, il n'y avait

  5   aucune possibilité des les contraindre à venir. Ils pouvaient aller où ils

  6   voulaient, quand ils voulaient, comme ils voulaient. Et là-bas, l'autorité

  7   de l'Etat, l'autorité civile ou militaire là-bas ne pouvait entreprendre

  8   aucune mesure. Ce qui fait que le HVO faisait avec ce qu'il lui restait.

  9   C'était des combattants constitués par des volontaires. Et de ce point de

 10   vue-là, tous les efforts déployés par Bruno Stojic et moi-même notamment

 11   n'ont pas donné beaucoup de résultats. Ça c'est d'un.

 12   De deux, il y a un élément qui m'a particulièrement dérangé, à savoir

 13   qu'entre-temps il y a eu augmentation de l'influence des directions

 14   municipales vis-à-vis de l'armée, et des fois il était impossible de faire

 15   exécuter des ordres. Il y a eu des obstructions, toutes sortes de ruses ont

 16   été déployées et, en termes simples, certaines municipalités, qui n'étaient

 17   pas sur le coup direct de l'offensive venant d'Uskoplje et autres, ne

 18   fournissaient pas volontiers leurs effectifs et n'ont pas soutenu l'effort

 19   général qui s'avère indispensable si l'on ne veut pas perdre la guerre, si

 20   on ne veut pas être battu.

 21   Et le commandant, lui, au niveau opérationnel dans une armée est

 22   celle ne pas perdre la guerre, ne pas laisser celui qui t'attaque te

 23   vaincre, indépendamment de l'identité de l'attaquant.

 24   Q.  Merci, je vous demande de vous pencher sur le 3D 0028 --

 25   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Excusez-moi, puis-je enchaîner

 26   sur la question que vous avez posée, qui portait sur les problèmes de

 27   santé.

 28   Vous avez dit que vous souffriez d'arythmie cardiaque et de

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  1   discopathie. Est-ce que vous avez confectionné cette idée ou est-ce que

  2   vous aviez des preuves ? Est-ce que vous aviez un dossier médical pour

  3   étayer cela ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, même avant la guerre j'avais de graves

  5   problèmes de discopathie, et ça allait jusqu'à avoir à certains moments

  6   besoin de me coucher à même le sol pendant 30 jours sans pouvoir bouger. Et

  7   la situation avec ma colonne vertébrale est mauvaise, bon, j'arrive à

  8   fonctionner, mais même en temps de guerre il m'arrivait d'être coincé dans

  9   le dos et j'avais beaucoup de mal à me déplacer et alors on exerçait des

 10   pressions sur mon dos, on me donnait des piqûres.

 11   Pour ce qui est du cœur, physiologiquement parlant le cœur va bien,

 12   mais il y a eu certains problèmes, mais c'était dû notamment aux efforts.

 13   Ce n'était pas si grave mais avec la discopathie cela prenait des

 14   dimensions considérables. Ce n'était pas la vérité pleine et entière, je

 15   pouvais supporter des efforts encore, mais j'ai estimé que dans cette

 16   espèce de répit, puisque l'offensive musulmane avait été brisée et on a eu

 17   un répit, donc j'ai estimé que pendant ce répit il fallait qu'il y ait une

 18   relève.

 19   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Merci.

 20   M. KOVACIC : [interprétation] Alors je voulais vous référer au document 3D

 21   00280.

 22   Q.  Veuillez, je vous prie, tirer au clair ce que c'est que ce document, et

 23   de quoi est-ce la conséquence ?

 24   R.  C'est la conséquence de ma demande. C'est ce document qui vient en

 25   réponse, c'est daté du 8 novembre 1993, M. Mate Boban me démet de mes

 26   fonctions avec l'explication qui est avancée, et c'est le général Ante Roso

 27   qui vient à ma place.

 28   Q.  Donc au point 1 de ce document, il s'avère que vous êtes relevé de vos

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  1   fonctions sur la base de votre propre demande, comme on l'a vue pour des

  2   raisons de santé, et il dit lui du 29 octobre 1993. Or, le document est

  3   daté du mois de novembre. Alors vous avez appris le 8 novembre de

  4   l'existence de ce document, n'est-ce pas ?

  5   R.  Non, non, c'est erroné. Il dit ici, suite à la demande personnelle du

  6   29 octobre, donc c'est le 29 octobre que j'ai adressé ma demande, et le 8

  7   novembre il a été fait droit à ma demande. Il n'y a aucun problème à cela.

  8   Q.  Donc ici c'est la date du document que vous avez envoyé vous-même,

  9   n'est-ce pas ?

 10   Bon. Merci. Alors au paragraphe 2, en même temps Boban désigne le nouveau

 11   commandant; est-ce bien cela ?

 12   R.  Oui, je l'ai déjà dit.

 13   Q.  Bien. Merci.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, je vais vous poser une question

 15   délicate, mais moi je fais mon travail et je ne peux pas laisser dans

 16   l'ombre certaines choses.

 17   Comme vous le savez, les Juges ont le nez dans ce dossier depuis

 18   plusieurs années, et donc nous avons maintenant une connaissance de

 19   plusieurs documents. Nous voyons ces documents qui établissent de manière

 20   claire que le 29 octobre vous avez demandé votre départ de vos fonctions

 21   pour raisons de santé. Et tous les documents qui suivent vont concrétiser

 22   votre demande sur le plan administratif puisque vous allez être relevé de

 23   vos fonctions suite à votre demande. Très bien, c'est une lecture. Mais en

 24   tant que Juge, je dois vérifier certains éléments.

 25   Vous savez, comme moi, que l'attaque du village de Stupni Do a eu

 26   lieu le 23 octobre, c'est-à-dire six jours avant votre demande de

 27   démission. Nous avons entendu ici l'ambassadeur américain, rappelez-vous,

 28   qui a dit clairement, et je cite de mémoire qu'ils avaient demandé à

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  1   Tudjman le départ des responsables. Alors il y a deux possibilités.

  2   Je rappelle que vous témoignez sous serment, vous avez dit que vous

  3   direz toute la vérité, et donc votre réponse vous engage. Il peut y avoir

  4   deux situations. Première situation, vous êtes malade et effectivement,

  5   comme vous l'avez dit, il faut que vous abandonniez vos fonctions parce que

  6   c'est très difficile, il faut être efficace 24 heures sur 24 et, comme le

  7   dit votre document, vous estimez que vous ne pouvez pas. Ça c'est une

  8   première vision de votre départ, mais il peut y avoir une deuxième vision

  9   que je me dois d'examiner avec vous.

 10   La deuxième vision c'est que dès que la communauté internationale est

 11   informée de ce qui se passe à Stupni Do, à ce moment-là comme vous le savez

 12   il y a une remontée de l'information par les différentes branches, et nous

 13   savons que M. Tudjman en sera informé d'autant qu'il a des services secrets

 14   qui travaillent pour cela, et il est parfaitement au courant de tout ce qui

 15   se passe. Et qu'à ce moment-là on vous fait comprendre qu'il faut partir et

 16   que pour éviter les problèmes la solution classique c'est de dire, on est

 17   malade, on s'en va.

 18   Alors, Monsieur Praljak, sous la foi du serment aujourd'hui, quelle

 19   était la réalité de la situation le 29 octobre 1993 ?

 20   LE TÉMOIN : [interprétation] Messieurs les Juges, Monsieur le

 21   Président, comme on dit, que Dieu me vienne en aide, je dis ici la vérité,

 22   rien que la vérité et toute la vérité. Personne, ni le président Tudjman ni

 23   Mate Boban n'a pour quelque raison que ce soit demandé que je donne ma

 24   démission.

 25   Il est exact que les raisons qui ont été avancées, la discopathie,

 26   l'arythmie, ne sont pas les raisons majeures pour lesquelles j'ai demandé à

 27   être déchargé. Ils étaient la forme choisie pour que je demande cela, mais

 28   pour ce qui concerne Stupni Do, je n'ai absolument aucun lien avec cela, au

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  1   contraire. Toutes les actions qui ont été entreprises jusqu'au tout dernier

  2   jour, vous avez vu un document dans ce sens, jusqu'à la dernière soirée

  3   avant mon départ, j'ai signé une demande visant à ce que cela soit résolu

  4   plus rapidement, de façon accélérée.

  5   Parce que le général Petkovic était tellement épuisé lorsqu'il est

  6   revenu de Stupni Do qu'il a demandé quelques jours de congé et que je lui

  7   ai accordés. Nous pourrons vous fournir les dates exactes. J'ai signé ce

  8   document le 8, le jour où j'ai été démis de mes fonctions, je pense que

  9   c'était le 8 novembre 1993.

 10   La véritable raison de mon départ c'était le désaccord qui était le

 11   mien, désaccord par rapport à l'importance des efforts qui avaient été

 12   consacrés pour ne pas perdre cette guerre. Cela a trait dans une large

 13   mesure à feu Mate Boban et à sa façon de conduire et d'organiser ce que

 14   l'on appelle la HZ HB. Je ne veux pas dire ici --puisque j'étais aussi

 15   soldat, je ne veux pas dire que je n'étais pas d'accord avec la politique,

 16   avec tous ces accords qui ont été signés par lui, notamment dès le départ,

 17   lors de toutes ces conférences internationales, mais ce dont il s'agissait

 18   c'était simplement la chose suivante; une partie de la population, à vrai

 19   dire, ne participait pas à cette guerre ou ils participaient trop peu.

 20   Si bien que moi, avec ceux qui restaient, les hommes qui restaient,

 21   c'était comme si nous guerroyons pour Dieu c'est qui. Une réunion s'est

 22   tenue à Split au cours de laquelle je demandais que Mate Boban quitte ses

 23   fonctions, que l'on intensifie tous ses efforts. A cet égard, j'ai

 24   également émis des critiques. J'ai dit que ce qui est à Grude aurait dû

 25   être à Mostar, que les bureaux ne devraient pas ressembler à ce qu'ils

 26   étaient. En Croatie, on a une expression pour dire que quelque chose ne va

 27   pas du tout, que j'ai employée à ce moment-là. C'est "buzabistra" [phon],

 28   lorsqu'on a envie de dire qu'à un endroit c'est trifouiller les oies, en

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  1   fait, et que rien ne va là-bas comme il faut. Donc j'ai critiqué les

  2   efforts en termes d'organisation et j'ai demandé que l'on nomme des

  3   inspecteurs pour les municipalités concernées. Il y avait une forme de

  4   démocratie qui a résulté de ce chaos qui régnait.

  5   Mais aussi loin que je puisse m'en souvenir, toute ma vie j'ai œuvré

  6   en faveur de la démocratie. Lorsque vous avez des réunions qui se tiennent

  7   dans les municipalités qui portent sur des sujets oiseux et qui résultent

  8   en la rédaction de lettres totalement absurdes, sans faire aucun effort

  9   réel pour que les choses avancent, je peux dire de par ma propre expérience

 10   que nous étions dans une situation dans laquelle les choses étaient

 11   intenables. Nous étions face à une attaque ciblée, nous parlons déjà de la

 12   seconde année de la guerre, et nos hommes étaient complètement épuisés. Les

 13   attaques visaient déjà à une avancée, à une percée en direction de la côte.

 14   Nous montrerons des documents qui sont relatifs à deux réunions qui sont

 15   tenues juste avant mon départ, réunions des commandants des forces armées

 16   qui ont demandé un certain nombre de choses aux autorités civiles afin que

 17   l'on ne perde pas la guerre. C'était là la raison pour laquelle j'ai

 18   demandé à partir.

 19   Je voudrais juste terminer, Monsieur le Président. Jadranko Prlic --

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vais vous arrêter, parce que vous aurez

 21   l'occasion de revenir sur cela. Vous m'avez dit, vous avez répondu

 22   pleinement à ma question, qu'indépendamment de la question de la santé,

 23   vous aviez un désaccord avec Mate Boban. Ça, c'est enregistré. Vous m'avez

 24   dit sous la foi du serment que votre départ n'avait rien à voir avec la

 25   question de Stupni Do, donc c'était ça l'objet de ma question.

 26   Maintenant, sur le détail, et cetera, les deux réunions à Split et à

 27   autres, on aura l'occasion d'y revenir. Bien.

 28   Maître Kovacic.

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  1   M. KOVACIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

  2   Q.  Peut-être juste cette phrase, pour finir, Général Praljak.R.  Je

  3   voudrais ici dire une chose dont j'estime qu'elle est essentielle.

  4   Après la guerre, M. l'Ambassadeur Galbraith a donné un discours

  5   politique, il me semble que c'était à Slavonski Brod, et il a fait comme il

  6   se trouvait dans une république bananière. Il donnait des leçons, et moi,

  7   j'ai rédigé un texte dans lequel j'ai dit que ce type de comportement,

  8   indépendamment --

  9   M. STRINGER : [interprétation] Excusez-moi d'interrompre, mais pourrions-

 10   nous savoir exactement sur quel temps nous sommes en train de parler. Est-

 11   ce que c'est le temps de l'accusé, le temps des Juges ? Pourrions-nous

 12   savoir.

 13   M. KOVACIC : [aucune interprétation]

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Là, c'est le temps de l'accusé.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai écrit que cela n'était pas correct, que

 16   nous sommes un Etat souverain et que les ambassadeurs même d'états qui sont

 17   des puissances majeures ne peuvent pas tenir ce type de discours politique

 18   en place publique. M. Galbraith m'a alors répondu en me disant, en me

 19   demandant au nom de quoi je donnais mon avis, moi qui aurais détruit le

 20   vieux pont de Mostar, ce à quoi j'ai dit que j'émettais simplement mon

 21   opinion. J'ai, en tout cas, demandé cette démission de mes fonctions de

 22   façon tout à fait autonome, et sans que cela ait le moindre lien avec

 23   Stupni Do. J'ai écrit également à la FORPRONU, et tout cela sera éclairci

 24   ultérieurement.

 25   M. KOVACIC : [interprétation]

 26   Q.  Le document suivant est le 3D 00948. C'est la passation des pouvoirs

 27   entre vous et le général Roso. C'est en date du 9 novembre. Dites-nous

 28   comment cette passation des pouvoirs s'est effectuée, et quand exactement.

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  1   Est-ce que c'était la journée d'avant ? Combien de temps cela a-t-il duré ?

  2   R.  Cette passation des pouvoirs a été effectuée à 7 heures 30 ou 7 heures

  3   45, le 9 novembre 1993, à Grude. J'ai signé ce document. Il y a ici rien à

  4   ajouter, à ceci près que la journée précédente, le 8 novembre, au cours de

  5   l'après-midi, j'ai rencontré, aux alentours de Livno, le général Roso. Nous

  6   avons eu un entretien assez long au cours duquel je lui ai exposé

  7   l'ensemble de la situation sur le théâtre des opérations, et je lui ai dit

  8   tout ce que j'estimais être pertinent et nécessaire en cette occasion.

  9   Q.  Qu'avez-vous fait après la signature de ce document le 9 novembre 1993,

 10   au matin ?

 11   R.  Je suis monté en voiture et je suis rentré chez moi à Zagreb.

 12   M. KOVACIC : [interprétation] Merci.

 13   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, ce document sur la passation des

 14   pouvoirs, vous nous l'avez dit 7 heures 45, le 9 novembre, vous nous avez

 15   dit tout à l'heure que pendant la journée d'avant, le 8 novembre, vous avez

 16   eu l'occasion de vous entretenir avec le général Roso des questions qui

 17   étaient en cours. Dans votre souvenir, lui avez-vous tout dit ? Lui avez-

 18   vous fait un panorama complet de la situation, en détaillant point par

 19   point le positionnement du HVO sur le terrain, les problèmes qu'il y avait,

 20   les opérations à mener, voire des sanctions à prendre ? Est-ce que vous

 21   avez fait une passation dans les règles de l'art ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, tous les faits et

 23   les données dont je disposais, j'en ai fait état très précisément au

 24   général Roso. Ce n'était pas si difficile que cela, à vrai dire, car le

 25   général Roso était déjà antérieurement membre du HVO. Il était commandant à

 26   Livno. Il avait été à Mostar au moment où la ville a été libérée, après mon

 27   départ. Il s'agissait donc d'une personne qui connaissait plutôt bien la

 28   situation, puisque lui aussi venait de cette même zone. Tout a été dit au

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  1   sein des locaux de l'état-major, dans une pièce où nous nous trouvions.

  2   L'adjoint du commandant d'état-major, qui était un général à la retraite de

  3   la JNA, lui a fait état de l'ensemble des problèmes liés à la mobilisation,

  4   au moral des troupes, ainsi qu'est-ce que nous connaissions, ce que je

  5   pouvais savoir au sujet de Stupni Do et de tout ce que nous avions

  6   entrepris à cet égard. Donc, tout ce que j'estimais à ce moment être

  7   essentiel, je le lui ai transmis sans la moindre réserve.

  8   M. KOVACIC : [interprétation] Merci.

  9   Q.  Général Praljak, juste pour éviter des questions ou commentaires peut-

 10   être inutiles, lorsque vous parlez du général Roso, 

 11   et que vous dites qu'il avait été déjà précédemment à Mostar après votre

 12   départ, et cetera, à quel moment vous référez-vous ?

 13   R.  A l'année 1992.

 14   Q.  Merci. Aux fins du compte rendu d'audience uniquement, ce document,

 15   numéro 3D 00948, que nous venons d'examiner, est exactement identique au P

 16   006556, qui a déjà le statut de pièce à conviction.

 17   Alors, Général Praljak, le dernier document dans cette chemise figure sous

 18   le numéro 4D 00834. Je pense qu'il a déjà été présenté dans ce prétoire. Je

 19   voudrais juste corriger, aux fins du compte rendu d'audience, c'est le 4D

 20   00834.

 21   On m'avertit que cela avait mal versé au compte rendu d'audience. Le

 22   précédent était le 3D 00948. C'est un document qui est identique au P

 23   06556, qui est déjà une pièce à conviction.

 24   Je reviens maintenant à la pièce 4D 00834. Par rapport à nos bases de

 25   données, c'est littéralement le dernier document que vous ayez signé en

 26   votre qualité de commandant de -- un instant. Non, excusez-moi. C'est

 27   exact. La copie est mauvaise. Alors, dites-nous si c'est le cas ou non.

 28   R.  Il s'agit d'un document qui a été rédigé pour le général Milivoj

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  1   Petkovic pour la simple raison suivante. Je peux vous expliquer cela.

  2   De par mon arrivée au poste de commandant de l'état-major principal

  3   du HVO, la situation était la suivante, j'y avais été déjà précédemment, un

  4   peu plus tôt, aussi bien au mois de juin que début juillet, et ce, jusqu'au

  5   mois d'octobre ou au mois de novembre. J'avais été à Boksevica, sujet que

  6   nous aborderons ultérieurement. C'était en 1993, et je connaissais

  7   parfaitement la situation sur le plan militaire. Je pense qu'il est

  8   important de l'expliquer, puisque nous en sommes déjà à cette situation

  9   telle qu'elle se présentait. Lorsque je suis arrivé, j'ai fait la demande

 10   suivante, parce qu'il y a toujours une tendance à organiser les choses sur

 11   le papier d'une certaine façon, et ensuite envoyer des ordres ou des

 12   courriers.

 13   Or, la situation sur le terrain était très mauvaise pour nous. J'ai

 14   donc mis sur pied un état-major qui probablement n'existait nulle part

 15   ailleurs, tel qu'il était organisé. Il devait être sans doute assez gênant

 16   pour le général Matic, qui de par son passé au sein de la JNA pensait que

 17   les choses devaient être beaucoup plus carrées. Il y avait un commandant de

 18   l'état-major puis son adjoint, il y avait le responsable aussi de l'état-

 19   major et son propre adjoint dans cette structure, et cela pour les raisons

 20   suivantes, parce qu'on peut imaginer que le commandant des forces armées

 21   est assis dans une pièce, que des rapports lui parviennent, qu'il rédige

 22   des ordres et que ses ordres sont suivis. Mais dans la réalité, les choses

 23   ne se passent pas comme ça. Dans la mesure où la réalité n'est pas conforme

 24   à cela, il ne faut pas faire semblant, il ne faut pas faire comme si la

 25   réalité était conforme à ce que vous imaginez.

 26   A cet instant-là, les commandants, Petkovic et moi-même, avions

 27   l'obligation de nous rendre sur le terrain, de quitter nos bureaux et

 28   d'oublier toutes ces réflexions très fréquentes et souvent erronées portant

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  1   sur l'armée qui est censée fonctionner comme un mécanisme absolument

  2   parfait. De nombreux témoins ont confirmé cela ici. J'ai estimé que le

  3   danger principal pour nous était la percée de l'ABiH après la tombée de

  4   Bugojno ou d'Uskoplje et Rama. Cela aurait entraîné la défaite totale du

  5   HVO, si bien que je me suis rendu sur ce théâtre des opérations.

  6   La zone de Mostar et la zone sud devaient être prises en charge du

  7   point de vue de l'état-major principal par le responsable de l'état-major

  8   dont je ne me souviens pas du nom. Le chef d'état-major, Tole. Quant au

  9   général Milivoj Petkovic, lui devait concentrer son action sur la tenue de

 10   Kiseljak, de Vares et de la Bosnie centrale, pour que ces localités ne

 11   tombent pas. Il a même été spécialement nommé pour conduire des

 12   négociations où, comme vous le savez, de nombreuses personnes de la

 13   communauté internationale appelaient tous les jours pour avoir des

 14   entretiens, aussi bien des journalistes, que la FORPRONU, que les

 15   observateurs, et cetera. Si bien que l'on pouvait passer toute sa journée

 16   dans ces différents entretiens. En temps de guerre c'est tout à fait

 17   impossible et ça n'a rien à voir avec les désirs qui auraient pu être émis

 18   de ne pas discuter avec toutes ces personnes, mais c'est lié à la situation

 19   de guerre.

 20   Après son retour de Kiseljak, le général Petkovic était véritablement

 21   épuisé. Il a demandé à ce qu'on lui accorde cinq ou six jours. Je ne lui ai

 22   pas vraiment accordé cinq ou six jours, mais un peu moins que cela.

 23   Ensuite, puisque lui aussi était pleinement disposé à se rendre compte de

 24   la situation sur le terrain, j'ai signé cet ordre qui était le tout

 25   dernier.

 26   Q.  Merci. Alors, vous avez dit précédemment : Je suis alors parti à Zagreb

 27   le 9 novembre. Ma question est la suivante : est-ce qu'ensuite, au cours de

 28   ces événements de guerre, vous êtes revenu en Bosnie-Herzégovine, Général

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  1   Praljak ?

  2   R.  Oui. En janvier 1994, je suis revenu, mais à titre personnel cette

  3   fois-ci, et sur une base totalement volontaire. Je suis revenu à Uskoplje.

  4   Je n'occupais plus aucune fonction officielle, car ni suite à mon départ,

  5   ni ultérieurement la situation ne s'est améliorée. Je pense même que vers

  6   la fin de la guerre elle était encore plus difficile. Si bien que les

  7   forces de l'ABiH ont, de nouveau, été dans une position de dominer le HVO à

  8   Uskoplje. Je pense pouvoir dire que j'étais un bon commandant et que mes

  9   soldats m'aimaient et me respectaient, car j'étais avec eux la plupart du

 10   temps, et ils m'ont appelé pour que je leur vienne en aide. Je suis donc

 11   venu en janvier 1994.

 12   Je me suis présenté devant le général Roso et devant le commandant de

 13   la zone opérationnelle, qui était alors le général Vrbanac, je suis resté

 14   là-bas et j'ai continué à me battre pendant trois ou trois semaines et

 15   demie. Je pense que cela a donné d'assez bons résultats, et ce, jusqu'à ce

 16   que nos percées deviennent manifestes. C'est alors qu'Izetbegovic a de

 17   nouveau exigé un cessez-le-feu. J'affirme encore une fois la chose

 18   suivante, à chaque fois que l'ABiH réussissait dans ses attaques contre

 19   nous et avançait, Alija Izetbegovic enfreignait les accords de cessez-le-

 20   feu, alors qu'à l'inverse, chaque fois que nous, nous avions l'avantage

 21   tactique et que nous arrêtions leurs offensives, comme ça a été lors de

 22   l'opération Neretva en 1993, ainsi qu'à Uskoplje, ils demandaient un

 23   cessez-le-feu qui était signé et que nous respections.

 24   M. KOVACIC : [interprétation] Merci. Alors, juste une question technique --

 25   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Petite question au passage, Monsieur

 26   Praljak.

 27   Lorsque vous êtes revenu en novembre, comment étiez-vous habillé ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais en uniforme militaire, sans aucun

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  1   insigne.

  2   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Aucun insigne de votre rang ?

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, aucun.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Général Praljak, vous revenez, vous nous l'avez dit,

  5   moi c'est la première fois que j'apprends cela, à Uskoplje en janvier 1994,

  6   puis là, vous nous dites que vous vous êtes battu pendant trois semaines.

  7   Mais alors, j'avais cru comprendre que quand le 9 novembre, vous retournez

  8   à Zagreb, vous êtes réintégré dans le cadre militaire croate, puisque vous

  9   nous l'avez dit la dernière fois, on va vous confier les archives. Mais

 10   vous aurez peut-être l'occasion de nous dire ce que vous alliez faire

 11   pendant cette période. Et voilà, que pendant trois semaines vous quittez

 12   votre fonction officielle en Croatie. Alors, vous aviez une permission,

 13   vous étiez en congé, vous étiez déserteur ? Par quel miracle vous pouvez

 14   quitter votre emploi et pendant trois semaines partir dans un autre pays ?

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, c'est précisément ce

 16   que j'essaie d'aborder lors de l'introduction.

 17   Bien entendu, lorsque vous procédez à cette séparation entre un Etat

 18   puis un autre, et cetera, on aboutit à cela. J'ai essayé d'expliquer que

 19   j'étais citoyen à la fois croate et de la Bosnie-Herzégovine. Je n'ai pas

 20   pris de congé. Je n'ai pas déserté. Je me suis fondé sur ce principe

 21   fondamental qui valait dans l'armée croate, à savoir que si l'on veut

 22   partir se battre en tant que volontaire en Bosnie-Herzégovine, alors c'est

 23   quelque chose que l'on va permettre aux personnes concernées en vertu de ce

 24   principe fondamental. Il n'y avait pas de contraintes pour partir de cette

 25   façon. Il n'y avait pas d'ordre. Mais tous les citoyens croates, qu'il

 26   s'agisse de Musulmans ou de Croates, qui souhaitaient se rendre en Bosnie-

 27   Herzégovine à cette fin, pouvaient le faire et ils retrouvaient leur poste

 28   à leur retour. Cela concernait aussi bien les Musulmans, et j'ai cité à cet

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  1   égard un certain nombre d'exemples sur lesquelles nous reviendrons, et les

  2   Croates, parce que ça valait également pour moi. Lorsque je suis revenu en

  3   Croatie on m'a demandé de constituer les archives de l'armée croate, les

  4   archives étaient complètement désorganisées. Je leur ai dit que je n'avais

  5   aucune connaissance en matière d'archives mais qu'une chose était certaine,

  6   à savoir que je pouvais avec l'énergie et la force qui était la mienne

  7   rassembler autant de matériaux que possible, que j'allais organiser cette

  8   collecte, et qu'ensemble les personnes qui étaient compétentes en matière

  9   d'archives allaient prendre la relève.

 10   On a commencé à travailler dans le bâtiment d'une caserne à Zagreb

 11   qui était censé remplir toutes les conditions nécessaires au besoin de la

 12   constitution d'archives. On a commencé à collecter également des objets,

 13   des enregistrements vidéo et audio. Ensuite lorsque j'ai été appelé par ces

 14   hommes en Bosnie j'étais en liaison avec tout le monde, on m'a dit alors

 15   que la situation était tout à fait critique et qu'une percée des forces

 16   adverses était possible, je suis parti par ma propre et libre volonté.

 17   Bien entendu, si l'Etat croate avait voulu prendre des sanctions il

 18   l'aurait fait, mais il n'a rien fait en ce sens. Personne ne m'aurait

 19   empêché de partir, car j'estimais qu'il s'agissait là de ma patrie au même

 20   titre que la Croatie. On ne pouvait pas dissocier ces deux parties dans la

 21   guerre. J'estime justement que cette séparation formelle et mécanique que

 22   vous-même, Monsieur le Président, vous utilisez en tant qu'occidental, a

 23   précisément mené à cette façon d'envisager les choses, pacifier la guerre

 24   en Croatie, et puis ensuite on passera à la Bosnie. Mais il ne s'agissait

 25   pas d'une guerre qui était menée par des Etats, elle était menée par la

 26   JNA, et cela conformément à la pensée politique serbe contre ceux qui

 27   n'étaient pas Serbes, qu'il s'agisse de Musulmans, de Croates, au début

 28   c'était des Slovènes. Il s'agit d'une guerre qui n'est pas liée à la notion

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  1   d'Etat.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Je vous arrête. Vous nous avez dit que de

  3   vous-même vous êtes reparti. Bon, très bien. Vous vous imaginez bien que

  4   pour un occidental ça pose toute une série de questions. Mais vous avez dit

  5   qu'il est très difficile pour un occidental de comprendre certaines choses,

  6   et effectivement on comprend mal, mais nous serons mieux éclairés au fur et

  7   à mesure.

  8   Bien, Maître Kovacic.

  9   M. KOVACIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. Il y a

 10   juste une chose dans le compte rendu d'audience. Tout d'abord,

 11   malheureusement, cela a déjà disparu mais je vais vous dire exactement où

 12   ça se trouve.

 13   Q.  Monsieur Praljak, lorsque vous avez répondu à cette question qui était

 14   liée au dernier document que vous avez signé, le 4D 00834, c'est à la page

 15   19, lignes 7 et 8 du compte rendu d'audience, vous avez parlé de Boksevica.

 16   Ce qui est entré au compte rendu d'audience c'est la chose suivante, que

 17   vous avez été là-bas précédemment en juin, début juillet, et ce, jusqu'en

 18   novembre, octobre, novembre 1993.

 19   R.  Non. C'est environ jusqu'au 12 juillet 1993 que j'y ai été.

 20   Q.  Merci. C'est clair à présent.

 21   R.  Très brièvement, s'il vous plaît. Monsieur le Président, si je puis

 22   simplement faire une remarque sur mon temps.

 23   Le général de Gaulle non plus ne s'est pas conformé aux instructions

 24   du gouvernement français quant à la façon dont il convenait de combattre,

 25   et auprès de qui il était censé se rendre. Il a mené ses troupes et

 26   lorsqu'il a reçu l'ordre de ne pas rentrer à Paris, ordre d'Eisenhower, il

 27   a malgré tout envoyé Leclaire avec la 3e Division pour y entrer car c'était

 28   sa capitale et son Etat, il n'a pas tenu compte des ordres qu'il avait

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  1   reçus. C'est tout ce que je voulais dire à titre d'information.

  2   Q.  Merci. Après ce départ en janvier 1993, vous n'êtes plus revenu dans

  3   cet Etat jusqu'aux accords de Dayton ?

  4   R.  Non. Je suis revenu également lorsque nous avons libéré Bihac. Le

  5   général Blaskic était à la tête du Grand état-major à ce moment-là. Les

  6   gars m'ont dit de venir et de me trouver à ses côtés au moment où il a

  7   procédé à faire cela. C'est ce que j'ai fait, je suis resté peut-être

  8   pendant deux semaines. On a libéré Kupres de concert avec l'AbiH, arrivée

  9   du nord. C'était après les accords de Washington. Nous avons procédé à

 10   libérer la partie droite du champ de Livanjsko Polje, et je suis revenu par

 11   la suite à Zagreb où j'ai repris mon poste. Et la dernière question que

 12   vous alliez me poser, j'ai pris part à l'opération Tempête de Hrvatska

 13   Kostajnica, de cette localité-là jusqu'à Dvor sur Una. De nouveau je

 14   n'étais que simple soldat, je n'occupais aucun poste, et c'est avec le

 15   premier char que je suis entré dans Dvor sur Una et j'ai hissé le drapeau

 16   croate sur le pont. J'étais présent lorsque les chars serbes se sont mis à

 17   écraser des réfugiés qui empruntaient ce pont pour se rendre en Bosnie-

 18   Herzégovine, de Knin et d'ailleurs; je suis resté pendant deux jours par la

 19   suite pour apporter mon assistance pour qu'on déblaie les voies de

 20   communication, pour prendre en charge les gens. J'étais avec mes gars parce

 21   que j'avais eu l'occasion de faire la guerre avec eux pendant six mois et

 22   ils me faisaient confiance, même si formellement je n'avais aucun droit de

 23   commande. C'était la fin de mes engagements sur ce plan-là.

 24   Q.  Très bien. Mais qu'on soit tout à fait précis pour ce qui est du temps,

 25   la libération de Bihac ?

 26   R.  Non, mais ça n'a rien à voir avec Bihac.

 27   Q.  Mais c'est Bihac qui y figure.

 28   R.  Non, c'est Hrvatska Kostajnica et Dvor sur Una.

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  1   Q.  Mais avant cela vous avez parlé de Kupres.

  2   R.  Non, non, non, j'ai parlé de Kupres, ça n'a rien à voir avec Bihac.

  3   C'était la libération de Kupres et de la partie droite de Livanjsko Polje.

  4   Q.  Vous étiez là au côté de Blaskic ?

  5   R.  Oui.

  6   Q.  Et c'était à quel moment vous pouvez préciser le mois ?

  7   R.  Je ne sais pas.

  8   Q.  Alors --

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Une autre bizarrerie, vous nous avez parlé de ce que

 10   vous avez fait dans le cas de l'opération Tempête que je découvre

 11   également. Pour qu'il n'y ait pas d'erreur, cette opération Tempête s'est

 12   menée par la Croatie, par la République de Croatie ?

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] L'opération Tempête, oui, c'est la République

 14   de Croatie qui l'a lancée, mais elle s'est étendue sur la Bosnie.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Quand le 9 novembre vous retournez à Zagreb,

 16   vous retournez dans un grade, quel grade aviez-vous dans l'armée croate ?

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais général de brigade à la fin de la

 18   guerre.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Le 9 novembre, le 10 novembre 1993, quel est votre

 20   grade exact dans l'armée croate ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Général de division.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous êtes général de division. Puis là, vous nous

 23   dites que dans l'opération Tempête vous étiez sur le premier char, vous

 24   avez hissé le drapeau, et vous avez dit : J'étais simple soldat. Alors

 25   c'est là où vraiment je ne comprends plus rien. Parce que comment un

 26   général peut se retrouver simple soldat sur un char ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est tout simple, Monsieur le Président, vous

 28   n'arrêtez pas de me demander des faits, donc ce sont des faits adaptés à

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  1   votre théorie aux faits. La théorie sur l'armée telle qu'on souhaite

  2   l'entendre ici, ce n'est pas une théorie valable. Tout simplement le fait

  3   est qu'en 1995, l'opération Tempête est lancée, je suis encore militaire

  4   croate, mais je n'ai aucun poste ni aucune fonction dans cette opération.

  5   Il y a une harangue disant que c'est moi qui ai détruit le pont de

  6   Mostar, et ça a pris des proportions planétaires, même le président Franjo

  7   Tudjman a fini par prêter foi à cela dans une lettre. Je me suis trouvé

  8   pendant longtemps dans cette guerre, et lorsque l'opération a été lancée,

  9   je m'y suis joint. Le titre de général de brigade, cela ne m'intéressait

 10   pas comme on conçoit cela dans l'armée française, dans la légion étrangère

 11   ou ailleurs. Je voulais prendre part à cette opération. Je me suis rendu là

 12   où je me trouvais à Kostanjica, les troupes qui se trouvaient sur ce champ

 13   de bataille depuis six mois se sont réjouis en me voyant, bien sûr qu'ils

 14   allaient m'écouter. Même les commandants allaient prendre mes conseils, mes

 15   avis.

 16   Soyons précis, je ne me tenais pas sur un char. Je marchais à côté

 17   d'un char, et on avançait. On ne pouvait pas avancer trop vite parce qu'on

 18   ne voulait pas couper la route des réfugiés qui se rendaient par là de Knin

 19   vers la Bosnie-Herzégovine. Je les ai vus depuis une colline, j'ai vu leurs

 20   chars écraser les civils. J'étais là avec ce premier groupe, je suis entré

 21   dans Dvor Na Uni et j'ai demandé qu'on apporte le drapeau croate que j'ai

 22   placé. Je m'en félicitais, j'étais très satisfait et très fier. Je suis

 23   resté pendant deux journées de plus parce que, bien entendu, on se détend

 24   après l'action, et il y avait beaucoup de choses à faire, des voitures en

 25   panne, des morts sur les routes, et il y a des gens qui se mettent à

 26   célébrer. Tout le monde cherche la détente, mais moi, je ne me détendais

 27   pas. Je continuais à travailler, et à ce moment j'ai donné des instructions

 28   à des gens, ce n'était pas par écrit, mais on m'écoutait, ce n'était pas de

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  1   la manière dont on procède dans

  2   l'armée comme vous avez appris à le concevoir. Mais j'appelais untel,

  3   untel, je disais fais ceci, fais cela, prenons en charge les Serbes,

  4   donnons-leur à manger, déblayons, nettoyons, et cetera.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien, merci.

  6   M. KOVACIC : [interprétation]

  7   Q.  Très bien. Nous pourrions peut-être aborder un autre sujet que vous

  8   esquissez dans vos propos liminaires.

  9   M. KOVACIC : [interprétation] Est-ce que je peux demander à M. l'Huissier

 10   de venir ici, je vais lui donner un classeur.

 11   Q.  Prenons maintenant la scène politique croate en 1989 et 1990, la

 12   création des partis politiques, j'aimerais savoir si vous êtes actif sur le

 13   plan politique à ce moment-là, et si oui, de quelle manière. C'est le

 14   classeur d'en bas, Général, voilà.

 15   Nous n'allons pas parcourir les documents, Mon Général. Dans un premier

 16   temps, pourriez-vous dire aux Juges de la Chambre si vous avez pris part à

 17   ces événements politiques très intenses ?

 18   R.  Je faisais partie de ce groupe de citoyens de la République de Croatie

 19   qui souhaitait la décomposition de la Yougoslavie et qui aspirait à ce que

 20   la Croatie entre dans le rang des démocraties occidentales en tant qu'état

 21   indépendant. Nous croyons que cet objectif était accessible, c'était notre

 22   aspiration, et j'espère que vous n'y verrez pas de déclaration pathétique,

 23   mais j'étais prêt à donner ma vie pour cela.

 24   Vers la fin de l'année 1988, j'avais déjà répondu à une question des

 25   Juges portant là-dessus, et je prie les Juges de bien vouloir croire que

 26   tout ce que j'affirme sur l'opération Tempête ou autres, je peux l'étayer,

 27   j'ai des déclarations de témoins qui portent là-dessus. Pour chacune des

 28   affirmations pour lesquelles je n'ai pas préparé de preuves sur une demande

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  1   émanant de la Chambre, je peux les fournir. Je peux fournir ces preuves.

  2   Si je vous dis qu'au moins 15 ans avant le début de la guerre je

  3   répétais incessamment à tout un chacun qui était prêt à m'écouter qu'une

  4   guerre allait éclater. J'expliquais comment cette guerre allait évoluer,

  5   j'ai même essayé d'évaluer le nombre de victimes dans cette future guerre,

  6   et d'après moi au moins 50 000 victimes tomberaient du côté croate, là, je

  7   me suis trompé --

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Votre avocat a posé une question très intéressante

  9   pour les Juges, c'est que votre avocat voudrait que vous nous décriviez la

 10   situation politique en Croatie en 1989 et 1990.

 11   Comme vous le savez, dans l'acte d'accusation, il y a une entreprise

 12   criminelle dans lequel il y a des responsables politiques croates qui sont

 13   mentionnés, et il est intéressant d'avoir un aperçu de la situation

 14   politique en Croatie, à savoir d'où venait Tudjman sur le plan politique,

 15   quelles étaient les autres composantes, vous-même, comment vous situiez-

 16   vous sur ce plan, et cetera. Votre avocat vous pose la question et là, vous

 17   partez en digression. Pouvez-vous vous reconcentrer sur la question de

 18   votre avocat, ça nous serait très utile.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, bien entendu, j'écoute

 20   mon Défenseur, mais ça n'a pas commencé en 1988 ou 1989. Ça a commencé bien

 21   avant, et ça ne s'est jamais terminé. Vous avez toujours eu en prison en

 22   Croatie des gens depuis 1918, puis 1945 et non pas un nombre insignifiant

 23   de personnes. Vous avez un processus de révolte continu en Croatie.

 24   Sur la scène politique croate on voit apparaître à ce moment-là Franjo

 25   Tudjman, qui se trouvait en prison depuis je ne sais pas pendant combien

 26   d'années. Marko Veselica, lui aussi en prison pendant 10 ans. Seks, qui

 27   s'était trouvé aussi en prison. Vlado Veselica, qui était à la tête du

 28   HCLS, lui aussi condamné à la prison. Tous ceux qu'on voit se manifester à

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  1   ce moment-là, vous avez parmi eux des gens qui ont fait 10 ans, 15 ans de

  2   prison, et qui ont vu qu'une possibilité, et c'est la réalisation d'un

  3   rêve.

  4   Et puis d'autre part, après le décès de Tito, vous avez la

  5   décomposition de la Yougoslavie qui s'effondre comme un château de cartes

  6   et les Serbes se disent que le moment est venu. Au Kosovo, ils connaissent

  7   toute une série de problèmes. Là, ils ont eu dans les mines dès le début

  8   des années 1980 des rébellions qu'ils ont étouffées. Ils ont annulé des

  9   dispositions constitutionnelles. C'est impossible --

 10   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Monsieur Praljak, je vous rappelle

 11   une fois de plus que vous avez été averti. Je vous averti à nouveau. Vous

 12   êtes ici en tant que témoin.

 13   Me Kovacic, votre conseil, vous a demandé quelle était la situation

 14   en 1988 et 1989 en Croatie. Vous vous y trouviez à ce moment-là, donc vous

 15   pouvez nous parler des faits à l'époque. Or, au lieu de décrire les faits,

 16   vous êtes en train de faire quelque chose de complètement différent,

 17   quelque chose que vous ne devez pas faire. On vous l'a dit plusieurs fois.

 18   Vous êtes en train de faire un discours, comme si vous étiez ici pour

 19   témoigner en tant qu'expert historique. Vous n'avez pas été appelé en tant

 20   qu'expert historique. Vous êtes ici en tant que témoin. C'est vous-même qui

 21   l'avez décidé. Donc je répète ce que vous a déjà dit le Président de la

 22   Chambre. Vous n'êtes pas ici pour faire des sermons historiques ou de

 23   grandes leçons historiques sur ce qui s'est passé en 1918. Vous êtes ici

 24   pour nous dire quelle était la situation politique en Croatie en 1988 et

 25   1989, d'après votre expérience personnelle.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge Trechsel, si vous parvenez à

 27   trouver quelqu'un qui à un moment quelconque a fait de la politique --

 28   permettez-moi de --

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  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Non, Monsieur Praljak, et vous

  2   n'êtes pas censé polémiquer. Chaque fois qu'un Juge vous dit quelque chose,

  3   vous vous disputez avec lui, vous ripostez. Vous lui répondez. Ecoutez,

  4   c'est un comportement qu'on pourrait qualifier d'outrage parce que vous

  5   manquez de respect envers la Chambre. Un témoin n'est pas ici pour

  6   critiquer les conseils que lui prodiguent les Juges, surtout si le conseil

  7   consiste à rappeler quel est le règlement. Car chaque témoin a l'obligation

  8   de se conformer aux règlements. La chambre l'a décidé, ça s'applique aussi

  9   à vous. Je vous en prie, ne commencez pas à ergoter avec moi parce que ce

 10   n'est pas correct. Ecoutez bien la question qui vous est posée par votre

 11   avocat.

 12   M. STRINGER : [interprétation] Permettez-moi une suggestion, Monsieur le

 13   Président, Messieurs les Juges, car j'ai l'impression que Me Kovacic est un

 14   avocat confirmé. Il sait où il veut mener le général, manifestement, ces

 15   deux hommes se sont préparés, ils connaissent leurs objectifs. Alors plutôt

 16   que de poser une question sans doute fort générale au général, plutôt que

 17   de lui demander quelle était la situation politique pendant ces deux

 18   années-là, peut-être Me Kovaci pourrait-il poser des questions -- pas

 19   directrices, mais en tout cas, il pourrait lui poser une série de questions

 20   qui permettrait au témoin de répondre de façon plus courte, pour mieux

 21   circonscrire l'objectif. 

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Kovacic, vous avez écouté avec intérêt ce

 23   qu'a dit M. Stringer, qui essaie également de contribuer à son niveau à ce

 24   que l'interrogatoire soit fructueux pour tout le monde. Et donc il vous

 25   invite à poser des questions un peu plus précises, voire un tantinet

 26   directrices pour faciliter les choses. Bien entendu, les Juges sont très

 27   vigilants, mais vous avez une latitude pour que M. Praljak reste bien dans

 28   les clous des réponses. Bon, il est vrai que ça peut être intéressant de

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  1   savoir ce qui s'est passé en 1980, mais comme l'a dit excellemment mon

  2   collègue, nous, ce qui nous intéresse, c'est 1988-1989, parce que ce sont

  3   des années qui préfigurent ce qui va se passer en 1990-1991. Et donc on est

  4   dans ce cadre.

  5   Bien, Maître Kovacic, il reste 10 minutes avant la pause, allez-y.

  6   M. KOVACIC : [interprétation] Bien entendu, Monsieur le Président. Juste

  7   une observation.

  8   Il me semble que le général a prononcé deux phrases uniquement disant

  9   que ce processus politique s'amorce dès 1918 et après, il a commencé à

 10   énumérer quelques personnes qui, elles, en 1989, commencent à participer à

 11   la vie politique en Croatie. Il a donné leurs noms. Il a dit : Voilà, ce

 12   sont des personnes qui ont passé des années en prison. Ils ont vu que le

 13   moment des changements est venu. Ce n'était que deux phrases d'introduction

 14   en répondant à ma question.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Est-ce que je peux poser une question ? Est-ce

 16   que vous voulez la vérité de ma part ou vous voulez un raccourci de la

 17   vérité ? On ne peut pas résumer tout à des formules toutes simples. Cela

 18   n'est pas vrai, cela n'est pas possible. Si vous me le demandez, alors ce

 19   ne sera pas la vérité. Mes réponses ne seront pas la vérité parce que ça

 20   n'a pas commencé en 1988 ou 1989. Ça a commencé bien avant, bien en amont.

 21   C'est beaucoup plus complexe.

 22   Monsieur le Juge Trechsel, je n'ai pas l'intention de quelque manière

 23   que ce soit de minimiser l'importance de ce Tribunal, mais il s'agit d'une

 24   situation très complexe. Je ne peux pas simplifier à outrance pour obtenir

 25   un modèle qui ne sera pas vrai. Mais vous avez 500 ouvrages qui ont été

 26   publiés là-dessus, vous pouvez en prendre connaissance de ce qui s'est

 27   passé dans ces ouvrages. Mais j'y ai pris part. Je voulais tout simplement

 28   introduire ceux qui ont joué des rôles sur cette scène politique à la tête

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  1   de différents partis politiques. Ne m'interrompez pas, je ne suis pas une

  2   amibe, je ne suis pas un légume. Je ne veux pas faire outrage au Tribunal.

  3   Je veux simplement faire en sorte que ma déclaration soit précise, claire

  4   et vraie.

  5   Mais vous êtes dans tout un état, la Yougoslavie est en ébullition,

  6   effervescence. Comment voulez-vous simplifier ça ? Personne ne peut le

  7   faire. Si on pouvait le faire, plusieurs comme moi, nous pouvons verser des

  8   --

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Mon Général, la Chambre n'est pas en désaccord

 10   avec vous sur ce point, mais comme nous savons que votre expert va venir --

 11   puisqu'il y a votre expert historique qui viendra, il aura certainement

 12   l'occasion d'aborder à nouveau ces sujets; raison de plus pour vous de vous

 13   concentrer à l'essentiel. Et d'ailleurs -- donc consacrez-vous à

 14   l'essentiel parce qu'on reviendra. Et d'ailleurs, Monsieur Praljak, comme

 15   je sais que --

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, l'essentiel, tout à fait, 1988, à

 17   l'automne --

 18   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Désolé, mais je ne saurais garder le

 19   silence. Il me faut protester parce que c'est tout à fait hors de propos,

 20   incorrect la façon dont vous me parlez, dont vous me faites des leçons sur

 21   ce que je dois dire et sur la façon dont je dois poser des questions. C'est

 22   inacceptable. Je dois le dire et le répéter.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : Général, répondez parce que -- bon, si vous estimez

 24   que vous n'avez pas outragé quiconque, dites-le-nous. Bon, parfois j'ai

 25   constaté qu'il y a quelques erreurs dans les traductions qui peuvent amener

 26   des incompréhensions. Donc si vous avez à dire que vous n'avez voulu

 27   outrager personne, il me semble que vous l'aviez dit. Redites-le pour

 28   éviter tout quiproquo.

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  1   Maître Karnavas.

  2   M. KARNAVAS : [interprétation] Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

  3   Juges.

  4   Si j'ai bien compris ce que disait le général Praljak, je ne pensais

  5   pas qu'il voulait vexer qui que ce soit, sous quelque forme que ce soit.

  6   Peut-être que là il y a quelque chose qui n'est pas passé dans la

  7   traduction. Mais si j'ai bien compris, il a été tout à fait respectueux

  8   envers le Juge Trechsel. Le général Praljak veut indiquer que lorsqu'il

  9   était acteur de ces événements, il ne parle pas en tant qu'historien, même

 10   si l'on parle de faits historiques, de questions historiques. Ce qui, bien

 11   sûr, va déboucher sur les événements qui vont se passer plus tard. Mais il

 12   a vécu pendant cette période et il essaie de dresser le contexte de tout

 13   ceci, de tout ce qui va finalement s'ensuivre.

 14   Mais ceci étant, je pense que M. Stringer a tout à fait raison, je

 15   pense que si on cerne mieux les questions, si on les cerne mieux,  on

 16   pourra avancer étape par étape. Parce que sinon, on a l'impression que

 17   c'est une espèce de dialogue historique, ou plutôt, un monologue historique

 18   qui se fait ici. Et c'est peut-être là qu'est née la confusion.

 19   M. KOVACIC : [interprétation] Est-ce qu'il serait utile de faire la pause

 20   maintenant pour que le conseil puisse mieux façonner ses questions ?

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons faire la pause.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Mais c'est de manière très claire, je pense,

 23   que je me suis exprimé. Mais loin de moi, et je sais pas pourquoi ça n'a

 24   pas été traduit, loin de moi un désir quel qu'il soit de minimiser ici

 25   l'importance de qui que ce soit. Monsieur le Juge Trechsel, je vous prie de

 26   bien vouloir ne pas prendre mes propos de cette manière-là. Cette intention

 27   n'existe pas en moi, d'aucune manière un manque de respect devant cette

 28   Chambre, de ce Tribunal. Je suis bien en peine, mais vous dites les

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  1   historiens. Mais quels historiens ? Vous dites "30 ans plus tard, ils

  2   sauront mieux que moi qui l'ai vécu." Moi, je l'ai vécu pendant 30 ans. Et

  3   les experts, moi aussi je suis expert pour parler de ces sujets. Pendant 30

  4   ans, j'ai eu l'expérience de cette situation de près, j'y ai vécu, j'y ai

  5   travaillé. Aucun expert qui vous rendra un récit concis, ne pourra vous

  6   représenter toutes les subtilités de ce qui s'est produit là-bas. Donc je

  7   serai très bref, très concis, oui. Alors, Messieurs les Juges, en 1988, les

  8   premiers rassemblements se produisent.

  9   Est-ce que je peux continuer pour cinq minutes ?

 10   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Permettez-moi de réagir.

 11   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Juge, vous aviez dit que nous

 12   allions faire la pause, alors maintenant je suis un peu perdu. Est-ce qu'il

 13   doit continuer, le général Praljak, ou est-ce qu'on fait la pause ?

 14   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Mais je pense qu'on est dans une

 15   phase préalable à la phase. On essaie de ficeler ce qui était un peu --

 16   Chez moi, on dit qu'on tire sur les vaches qui volent.

 17   Monsieur Praljak, vous venez de faire la preuve de ce que j'essayais de

 18   vous dire. Vous dites, je suis le meilleur expert qui soit. Je ne le

 19   conteste pas. Qui suis-je ? Moi, je ne suis pas expert, et j'accepte que

 20   vous êtes peut-être expert. Mais nous avons une procédure pénale qui est

 21   toujours un peu formelle, voire formaliste. Le fait est que êtes ici en

 22   tant que témoin, c'est ça votre rôle. Vous n'avez pas un rôle d'expert.

 23   Nous avons un Règlement de procédure et de preuve qui fait clairement la

 24   distinction entre ces deux statuts, ces deux conditions sont régies

 25   différemment. Nous avons un devoir à respecter, et pour veiller à l'équité

 26   du procès, nous insistons pour que ce Règlement soit respecté.

 27   Je comprends que ça vous semble désagréable, vous vous sentez un peu

 28   ligoté, mais malheureusement, je suppose que c'est le ressenti de tout

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  1   témoin. C'est peut-être quelque chose de nouveau pour vous, d'être comme ça

  2   un peu limité. C'est facile à imaginer, et je partage peut-être même votre

  3   sentiment d'ailleurs. Peut-être que moi aussi je serais déchiré, comme

  4   vous, si j'étais à votre place. Mais à ce moment-là, vous seriez peut-être

  5   à ma place et vous me rappelleriez le Règlement.

  6   Merci.

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

  8   vous avez pu voir grâce à ces documents, ces documents que nous avons vus,

  9   les ordres, et cetera. Là, je répondrai par un "oui" ou un "non". Si Me

 10   Kovacic me pose des questions aussi simples, on avancera très vite. On est

 11   arrivé quelque part, on a fait quelque chose, on est malade, on n'a pas

 12   fait de choses, et cetera. Mais là, ma tentative de synthétiser c'est une

 13   tentative qui vole en éclat à un moment donné, parce que je n'arrive plus à

 14   synthétiser, parce qu'on perd la vérité lorsqu'on synthétise à outrance. On

 15   n'a plus de modèle. La réduction va au-delà des limites. Donc bien sûr,

 16   après, on se retrouve dans les digressions, et cetera. 

 17   Donc comme j'ai dit, quand on parlera de choses très précises, factuelles,

 18   je suis allé quelque part, j'ai fait un ordre, j'ai fait ceci, ça c'est

 19   clair, c'est limpide. Mais la situation en 1988 et tout cela, bon

 20   j'abrégerai. J'abrégerai mais c'est complexe, et j'ai peur qu'on perde de

 21   vue la vérité. J'ai cité Shiller [phon] à un moment donné. C'est dans la

 22   multitude que réside la vérité.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : On va faire la pause, mais réfléchissez à ce que je

 24   vous dis en quelques secondes.

 25   Imaginons que vous soyez Américain et que je vous pose la question de nous

 26   dire quelle est la situation politique aux Etats-Unis en 1988 et 1989. Le

 27   témoin américain répondrait, voilà, il y a deux partis, les Républicains et

 28   les Démocrates. Et puis c'est tout. Il s'arrête là. Il ne va pas aller

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  1   parler de la Guerre de sécession ni la guerre contre le Mexique. Voilà.

  2   C'est ça. Essayez d'être synthétique.

  3   Bon. Alors, nous allons faire 20 minutes de pause, et nous reprendrons dans

  4   20 minutes.

  5   --- L'audience est suspendue à 15 heures 45.

  6   --- L'audience est reprise à 16 heures 10.

  7     M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.

  8   Je crois que Me Khan veut intervenir pendant quelques minutes pour un

  9   sujet.

 10   M. KHAN : [interprétation] Oui, tout d'abord, bonjour à tous.

 11   Je vous remercie de me donner la parole. C'est un point très bref.

 12   Nous avons l'intention aujourd'hui de déposer deux requêtes portant sur

 13   l'admission d'éléments de preuve documentaires. Troisième point aussi,

 14   cette requête pour l'admission d'élément de preuve portant sur la

 15   coopération et les relations entre les forces du HVO et de l'ABiH. Cela ne

 16   fait que six pages uniquement, mais c'est l'admission d'environ 80 [comme

 17   interprété] documents. Donc, j'aimerais avoir une prolongation de délai,

 18   s'il vous plaît, pour pouvoir déposer à 10 heures demain matin au plus

 19   tard.

 20   J'en ai parlé avec M. Stringer d'ailleurs, et très gentiment il ne

 21   soulève pas d'objection, l'Accusation ne soulève pas d'objection. Donc,

 22   j'aimerais avoir votre autorisation.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre qui vient de se consulter et vous donne

 24   cette autorisation.

 25   M. KHAN : [interprétation] Nous vous remercions.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Maître Khan.

 27   Maître Kovacic, vous avez à nouveau la parole.

 28   M. KOVACIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

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  1   Q.  Monsieur Praljak, je vous ai demandé tout à l'heure, 1988-1989,

  2   création de partis politiques en Croatie. Veuillez nous en dire quelque

  3   chose.

  4   R.  Je vais être bref. En 1988, la Yougoslavie, Milosevic est au pouvoir.

  5   Le mémorandum de l'Académie des sciences et des arts de Serbie concernant

  6   leurs souhaits et aspirations politiques est sur la table déjà. A Belgrade,

  7   on imprime des billets, on fait marcher la planche à billets, et il y a

  8   démantèlement de l'organisation financière. L'économie est en débandade et

  9   catastrophe. Il y a de grands meetings qui se déroulent au Kosovo, meetings

 10   de Serbes. Il y a suppression de l'autonomie du Kosovo et de la Vojvodine,

 11   ce qui est une atteinte à la constitution de la République socialiste

 12   fédérative de Yougoslavie.

 13   En Croatie maintenant, en 1989, en février, il y a réunion d'un groupe de

 14   personnes. Ils sont à peu près 150. C'est l'Association croate des

 15   écrivains, où je suis présent aussi. Il y a création, un début de

 16   communauté démocratique croate en gestation, parce qu'en Yougoslavie il n'y

 17   a pas de système pluripartite. Le premier parti à avoir été créé en

 18   Croatie, mais dans le cadre de l'Alliance socialiste, parce qu'il n'y a pas

 19   de possibilité officielle d'avoir assisté à un pluripartite, alors il y a

 20   cette grande organisation en Yougoslavie qui s'appelle l'Alliance

 21   socialiste, et dans le cadre de cette alliance socialiste, par des astuces

 22   juridiques, il y a eu la création du HSLS pour ce qui est de devenir parti

 23   au sein de l'Alliance socialiste. Le HSLS est construit par Slavko

 24   Goldstein, un Juif croate. Il y a aussi Budisa [phon], l'un des chefs du

 25   mouvement des étudiants de 1971. Il a fait cinq ans de prison. Vlado

 26   Gotovac, un écrivain, six ans de prison.

 27   Le HDZ est composé, pour l'essentiel, par Tudjman. Il a fait deux ou

 28   trois ans de prison; Mesic, un an et quelque de prison; Seks, prison;

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  1   Milas, prison; Muhamed Zulic [phon], c'est un Musulman lui, et je pense

  2   qu'il a fait de la prison aussi; Perica a fait 14 ans de prison.

  3   A l'époque au HDZ, il y avait Marko Veselica, qui a fait 11 ans de

  4   prison. Au HSS, Parti paysan croate, à la tête duquel se trouve un dénommé

  5   Stipac, un homme assez âgé qui a fait trois fois de la prison du temps du

  6   Royaume de la Yougoslavie. Il a été mis en prison par le régime d'Ante

  7   Pavelic, et ensuite il a été mis en prison du vivant de Tito.

  8   L'homme numéro deux était un dénommé Zvonimir Cicak qui, lui, avait

  9   écopé de quatre ans de prison. Vous avez cette alliance croate avec Racan

 10   et le Parti populaire croate est dirigé par Savka Dapcevic-Kucar,

 11   ex-président des communistes de Croatie, et Tripalo, lui aussi ex-

 12   communiste, qui ont été expulsés du parti en 1971, à l'occasion du

 13   printemps de Croatie. Il y avait un Serbe, Srecko Bijelic, et d'autres.

 14   Pour ce qui est de ce HDZ en création, il y a déjà une scission qui

 15   s'opère, parce qu'il y a des rivalités entre Marko Veselica, qui à l'époque

 16   n'était pas encore sorti de prison, mais il avait une interdiction de

 17   parler en public. Donc il lui était à l'époque interdit en application de

 18   la loi de s'adresser au public. Marko Veselica, avec son frère, l'autre

 19   Veselica, Vlado Veselica, créent le HDZ dont je fais partie aussi. Il y a

 20   en plus à des fonctions assez élevées, Djordje Pribicevic, qui est Serbe,

 21   et moi, je suis secrétaire général de ce parti.

 22   C'est ainsi que l'année 1989 passe ainsi.

 23   L'INTERPRÈTE : Il s'agit du HDS et non pas du HDZ encore.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Il y a des déplacements vers le terrain, c'est

 25   des campagnes électorales, mais ce n'était pas une vraie campagne

 26   électorale, c'est autre chose. Bien sûr tout ce qui se produit à l'époque

 27   est contraire à la législation en vigueur en Yougoslavie. En application de

 28   la législation de l'époque, et si l'Etat était ferme et si Tito avait été

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  1   vivant, on aurait tous fait de la prison à long terme. Mais il y a

  2   démantèlement du pays et personne n'a plus la force d'envoyer tous ces gens

  3   à la prison.

  4   Voilà, c'est brièvement tout ce que je saurais vous en dire.

  5   M. KOVACIC : [interprétation]

  6   Q.  Nous avons un enregistrement à montrer tout à l'heure aux Juges. Il y a

  7   des éléments intéressants. Vous nous avez laissé entendre la chose jusqu'à

  8   présent, mais veuillez dire quelques phrases encore à l'intention des

  9   Juges. Pourquoi vous, Slobodan Praljak, vous rejoigniez ces gens qui créent

 10   à l'époque des partis ?

 11   R.  C'était ma libre volonté, mon souhait.

 12   Je vais juste vous ajouter une précision. A l'époque, il y a des

 13   statuts de partis qui sont rédigés, il y a des déclarations politiques qui

 14   sont rédigées où l'on explique ce que l'on cherche à faire, ce que l'on

 15   voudrait faire. Par exemple, moi, lorsqu'il y a rédaction des statuts de

 16   ces proclamations, c'est un énorme travail que nous reprenions auprès

 17   d'autres partis en Allemagne, en Italie. On s'inspire parce qu'on ne sait

 18   pas trop faire. Nous ne sommes pas des experts en la matière. Donc, on

 19   rassemble la documentation, on traduit et on pose des cadres pour ce qui

 20   est de la rédaction d'un statut d'un parti moderne. Alors on copie, on

 21   élabore, on ajoute, et cetera.

 22   Q.  Mon Général, afin d'éviter tout malentendu et toute mauvaise

 23   compréhension de la substance des événements à l'époque, lorsque vous avez

 24   énuméré tous ces gens qui sont des militants politiques, et vous avez

 25   indiqué aussi combien de prisons avaient fait les uns et les autres. Quels

 26   étaient les délits en question pour lesquels ils se sont faits condamner ?

 27   Etaient-ils des voleurs, des brigands, ou quoi ?

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Avant de répondre à cette question, Général Praljak,

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  1   vous n'avez pas répondu à la question de l'avocat, qui était une question

  2   très importante, qui est même au cœur de votre personnalité, c'est de

  3   savoir pour quelle raison vous êtes rentré dans ce parti ? Ça, vous n'avez

  4   pas répondu. Est-ce que vous êtes rentré, parce que -- voilà, c'est ça

  5   qu'on veut savoir. Pourquoi vous êtes rentré dans ce parti, dans celui-là

  6   et pas dans un autre, et pour faire quoi ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, laissez-moi vous dire

  8   d'abord qu'il y avait de très petits écarts entre les partis. J'ai apporté

  9   ici, et je crois qu'il y aura certainement des questions à ce sujet, j'ai

 10   les statuts, les déclarations liées au programme de ces partis, et cetera.

 11   C'était toujours le même récit; démocratie, liberté, liberté de la presse,

 12   liberté d'expression, organisation démocratique des élections, système

 13   pluripartite, puis au sein de tout ceci, quel type d'économie, économie

 14   libre, libre marché, liberté d'investir.

 15   Enfin, l'organisation politique qui est celle de la Suisse, de la

 16   France et des autres pays. Donc nous voulions, en termes simples, devenir

 17   un pays tel que ces pays occidentaux. Alors l'Occident, l'Occident,

 18   l'Occident, c'était comme des perroquets qu'on répétait. C'était cela, le

 19   fondement, donc économie, système, liberté, démocratie. Dans tous ces

 20   partis, on disait quels devaient être les libertés, les droits civiques,

 21   les libertés des hommes, les normes les plus élevées au niveau européen

 22   pour ce qui est des minorités nationales, et ainsi de suite. C'est ça les

 23   fondements.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Attendez. Votre avocat devrait enchaîner sur une

 25   autre question, mais s'il n'enchaîne pas, je vais vous poser la question

 26   qu'il aurait dû, lui, vous poser. Manifestement, il n'a pas la question,

 27   alors.

 28   Vous venez de nous dire les raisons; démocratie, liberté, liberté de la

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  1   presse, liberté de la parole, système électoral, multipartite, et cetera.

  2   Très bien. Marché au point de vue économique, libre marché,

  3   investissements. Très bien. Mais voilà une question que je vous pose qui

  4   normalement aurait dû être posée par votre avocat ou qui sera peut-être

  5   posée par le Procureur dans le cadre du contre-interrogatoire, mais moi

  6   j'essaie de gagner du temps.

  7   Est-ce que vous êtes rentré, vous, dans ce parti pour la Grande-

  8   Croatie ?

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Monsieur le Juge, Monsieur les Juges, à

 10   l'époque il ne s'agissait pas de Grande-Croatie. Nous ne parlions pas du

 11   tout encore de sortir du rang du cadre de la Yougoslavie. On voulait

 12   réaménager la Yougoslavie pour en faire une communauté confédérale et que

 13   les républiques, comme la République de Yougoslavie, se voient octroyer des

 14   droits plus grands, qu'elle soit une partie confédérale qu'on puisse

 15   disposer de son argent, qu'on ne lui prenne pas son argent pour l'envoyer

 16   ailleurs. Donc que l'on fasse en sorte que - oui, je parle trop vite,

 17   n'est-ce pas, oui - donc on voulait rester au sein d'une confédération

 18   pluripartite parlementaire et une démocratie à économie de marché. Je ne

 19   dis pas que personne n'envisage ça serait faux, mais on n'avait pas

 20   envisagé d'aller au-delà de ceci, et on pensait qu'il ne serait pas si

 21   facile de sortir de la Yougoslavie. On voulait, donc, réorganiser.

 22   Maintenant pour ce qui est d'une Grande-Yougoslavie, Messieurs les Juges,

 23   jamais nulle part personne n'a jamais prononcé le mot. Il n'y a pas eu

 24   d'idée ou de pensée ou de référence à la Grande-Croatie. Je vous l'affirme

 25   et le réaffirme, jamais personne, nulle part. Or moi, j'étais parmi ces 100

 26   ou 200 personnes qui, au sein de cet Etat, ont participé à tout ceci du

 27   début à la fin.

 28   M. KOVACIC : [interprétation]

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  1   Q.  Pour éviter des questions complémentaires par la suite et afin que les

  2   choses soient tout à fait claires, vous avez concrètement parlé, participé,

  3   vous avez été secrétaire général du HDS. Comment ça s'appelait au juste ?

  4   R.  Parti démocratique croate.

  5   Q.  Je vous ai demandé tout à l'heure autre chose. Vous nous avez cité bon

  6   nombre de personnes qui étaient devenues des chefs de parti, des chefs

  7   politiques qui ont fait de la prison. Pourquoi ? Quel type de catégorie de

  8   prisonniers constituaient-ils ?

  9   R.  Ils ont été condamnés pour des délits de paroles et pour atteinte à

 10   l'ordre juridique et constitutionnel.

 11   Je crois que Mme Alaburic serait mieux nous l'expliquer parce qu'elle sait

 12   mieux formuler la chose. Propagande, ennemi, c'était l'accusation la plus

 13   fréquente.

 14   Q.  Une fois accusé, c'était six mois d'abord, puis après c'était trois

 15   ans, puis alors atteinte à l'ordre constitutionnel juridique, c'était six

 16   ans. C'était [inaudible] qu'on sortait à chaque fois. Je vais vous dire

 17   encore que Tudjman, ex-communiste; Mesic, ex-communiste; Seks, ex-

 18   communiste; Marko Veselica, ex-communiste; Vlado Veselica, ex-communiste;

 19   Goldsajn, communiste. Un instant. Cicak, non. Racan, communiste; Tripalo,

 20   communiste; Savko Dadcevic, communiste; Srecko Bijelic, communiste; Djordje

 21   Privicevic, communiste aussi. Donc tout ça, ce sont dans la plupart des

 22   cas, il y en avait qui ne l'était pas, mais la plupart était des renégats

 23   du parti communiste. Ils sont entrés en conflit avec les autres, et

 24   c'étaient, disons, des communistes réformistes.

 25   Q.  Merci. Vous venez d'accélérer dans le désir de nous faire gagner du

 26   temps. Alors je crois qu'on pourrait nous montrer ce disque, ce DVD, et

 27   c'est un peu ce qui couronne les efforts déployés en vue de la création des

 28   partis, et peut-être, Monsieur Praljak, pourrait-il ensuite nous dire

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  1   quelques mots après. Le numéro de la vidéo est 3D 03140.

  2   M. KOVACIC : [interprétation] Est-ce qu'il y a un problème technique,

  3   Monsieur le Greffier ? Si ça prend quelques minutes, je peux passer à autre

  4   chose, puis nous y reviendrons.

  5   M. LE GREFFIER : [interprétation] Je tiens à vous dire que j'ai appelé le

  6   technicien pour vérifier le problème.

  7   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] J'aimerais poser une question.

  8   Maître Kovacic, vous nous avez préparé un document avec des scripts pour

  9   les vidéos. Peut-être serait-il utile de savoir à quel élément dans ce

 10   dossier se réfère la vidéo que nous allons voir ?

 11   M. KOVACIC : [interprétation] Monsieur le Président, oui et non. Si mes

 12   souvenirs sont bons, cette vidéo a une transcription. Vous avez la

 13   transcription en croate. Enfin, non, vous n'en avez pas besoin, mais vous

 14   avez l'anglais vous pourrez suivre. C'est tout petit comme enregistrement.

 15   Entre 1:19 et 1:35, ça fait 16 secondes pour la première séquence.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Pendant ce temps, je pourrais vous dire de

 17   quoi il s'agit.

 18   Comme d'un coté il y avait aggravation de la situation au niveau de la

 19   Yougoslavie, et d'un autre côté, la Ligue des Communistes de Croatie cédait

 20   du terrain dans les refus pour ce qui était de la mise en place d'un

 21   système pluripartite en Yougoslavie. Cela a notamment été dit lorsqu'il y a

 22   eu cette scission entre les communistes à l'occasion du congrès de la Ligue

 23   des Communistes de Croatie se sont opposés à Milosevic, qui voulait

 24   chapeauter la totalité des Communistes en Yougoslavie, et le congrès a été

 25   abandonné par les Croates et les Slovènes. La Ligue des Communistes de la

 26   Croatie, en passant par le biais de ces instances de l'Etat qu'elle

 27   contrôlait a décidé d'autoriser en Croatie cette organisation pluripartite.

 28   La totalité des partis s'est déplacée pour signer et contresigner la

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  1   régularité de la décision.

  2   J'ai été élu au devant de ce parti pour tenir un petit discours. J'ai fait

  3   un discours, j'ai remercié tout un chacun et je sais à peu près ce que j'ai

  4   dit, bien que cela a dû être perdu quelque part. je crois avoir dit que

  5   j'étais heureux de voir que la Ligue des Communistes de Croatie, au bout de

  6   30 ou 40 ans, sortir de la clandestinité pour devenir un parti légal en

  7   Croatie, parce que la Ligue des Communistes de Croatie, à l'époque, s'était

  8   enregistrée elle-même en tant que parti. Comme ils étaient au pouvoir, ils

  9   n'avaient pas besoin de s'enregistrer. Ça c'est d'un.Deuxièmement, j'ai dit

 10   aussi que le temps ou le moment était venu où nous n'avions plus à avoir

 11   l'obligation d'être anti-communistes. Il est venu le temps pour nous d'être

 12   non-communistes tout court, parce que quand il y a une organisation

 13   unipartite tel que cela a été le cas, moi j'étais contre l'organisation,

 14   j'étais anti-communiste. Maintenant que la Ligue des Communistes de Croatie

 15   constitue l'une des possibilités s'offrant aux citoyens lors du vote, je

 16   suis non-communiste. Je les considère désormais comme étant une

 17   organisation légale, on a le droit d'être communiste, on a le droit d'avoir

 18   son parti, d'avoir un programme en matière d'élections et de se présenter

 19   devant le peuple à des élections libres et s'il l'emporte, qu'il règne.

 20   Mais qu'il règne quatre ans, pas à l'infini. Au bout de quatre ans, il faut

 21   se représenter. Et j'ai dit cela au nom de tous les partis. Je me souviens

 22   de ces quelques phrases parce que c'était une date des plus importantes en

 23   République de Croatie.

 24   Un tout petit détail en particulier, l'équipe de télévision qui était

 25   censée filmer cela était en retard et on m'a fait revenir deux fois pour ce

 26   qui est de la signature. Une fois, ils étaient en retard et la deuxième

 27   fois, la caméra n'avait pas chauffé dans une mesure suffisante, elle n'a

 28   pas enregistré. Jusqu'à ce moment-là, jusqu'à ce que cela ne devienne

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  1   légal, l'association d'individus pour créer des partis était illégale. Les

  2   individus avaient peur de tomber sous la coupe de la loi.

  3   Lorsque le journal télévisé à la télévision nationale a publié que

  4   c'était devenu légal, il y a eu accession massive et affiliation massive de

  5   gens et activités politiques massives.

  6   M. KOVACIC : [interprétation] Merci. Je crois que nos techniciens sont

  7   prêts et qu'on peut faire passer la vidéo.

  8   [Diffusion de la cassette vidéo]

  9   LE TÉMOIN : [interprétation] Alors, voici cet acte de signature officielle

 10   et de cérémonie de signatures, et c'est là que je m'adresse. Mais on a

 11   effacé le son. On voit là les représentants de différents partis. C'est

 12   donc là la fin du récit. On appelle cela "Vreme Plob" [phon], c'est-à-dire

 13   Voyage dans le temps à notre télévision. Je ne sais pas pourquoi le son

 14   s'est perdu, c'est l'une des erreurs à l'occasion de l'enregistrement et le

 15   Juge Antonetti m'a justement posé la question de savoir pourquoi ça a été

 16   réenregistré par-dessus de vieilles bandes. Ils n'avaient pas suffisamment

 17   de bandes, j'imagine. Alors, j'ai après eu des suspicions et mon premier

 18   salaire à l'époque était l'équivalent de 80 marks allemands.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : On a vu la bande en quelques secondes, mais j'ai pu

 20   constater qu'il y avait une grande affiche avec quelqu'un sur l'affiche.

 21   Alors, c'était qui sur cette affiche ?

 22   LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas prêté attention. Est-ce qu'on peut

 23   me remontrer l'enregistrement ? Je n'ai pas prêté attention.

 24   [Diffusion de la cassette vidéo] 

 25   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, c'était avant. Ici, on ne verra rien du

 26   tout.

 27   [Diffusion de la cassette vidéo]

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Mais bien sûr, c'est Tito dans son uniforme de

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  1   maréchal.

  2   M. KOVACIC : [interprétation]

  3   Q.  Général Praljak, ajoutons ceci, pour ce qui est des gens qui n'ont pas

  4   été présents. Dans quels locaux y a-t-il eu cet enregistrement officiel des

  5   partis ?

  6   R.  C'était dans les locaux de l'Alliance socialiste ou dans ceux de la

  7   Ligue des Communistes de Croatie. Je pense que c'était plutôt la Ligue des

  8   Communistes de Croatie, pas dans le bâtiment officiel mais à Vranica. Je

  9   crois que c'était Vranica.

 10   Q.  Comme vous l'avez dit, la RSFY en sa qualité de fédération, existe

 11   encore en dépit du fait que le parti communiste se soit décomposé, puisque

 12   les délégations de la Slovénie et de la Croatie ont quitté le congrès des

 13   communistes à Belgrade. Cependant, une crise commence en Yougoslavie --

 14   R.  Non. La crise en Yougoslavie a commencé bien avant.

 15   Q.  Je suis d'accord. Je n'ai pas été assez précis. Là, je veux dire que

 16   l'apogée de la crise s'installe ?

 17   R.  Oui.

 18   Q.  S'il vous plaît, expliquez-nous maintenant pour ce qui est de ces

 19   quelques journées, on en arrive à la pointe de la crise. Il y a eu ces

 20   élections, il y a eu indépendance et ainsi de suite.

 21   R.  Non, non. Il n'y a pas de pointe, de pic émergent ou de point

 22   culminant. La crise, c'est en 1968 avec le soulèvement. En 1971 aussi. En

 23   1974, lorsqu'il y a eu changement de la constitution. Il y eu crise en

 24   1980. La crise ne fait que croître, il n'y a pas de point culminant.

 25   A ce moment-là en Bosnie-Herzégovine, il y a création ou mise en

 26   place d'un pluralisme politique en Croatie et en Slovénie aussi, c'était

 27   même avant le cas. Tout s'embrase. C'était un processus compliqué et

 28   complexe, et je n'en dirai pas plus. Je ne veux rien atténuer. Je pense

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  1   avoir dit clairement ce qui se passait. Par la suite, il y a des

  2   préparatifs pour les premières élections parlementaires.

  3   Q.  Bien. Que se passe-t-il après les élections ? Quels sont les résultats

  4   des élections ?

  5   R.  Après les élections, il y a création, plutôt, la victoire. Comme le HDZ

  6   était fort, face à lui il y a eu création d'une coalition. Ça s'appelait la

  7   Coalition de l'entente populaire. Il y avait le HDZ, le HLSS, le HSLS, le

  8   parti libéral, le parti démocratique, le parti paysan, le parti populaire.

  9   Il y avait les démocrates chrétiens, croates, et eux tous ensemble

 10   choisissent leurs candidats pour se présenter aux élections. Il y a donc

 11   cette coalition d'un côté et le HDZ de l'autre côté. Le HDZ a remporté non

 12   pas la majorité absolue, mais il a eu la majorité des votes. Le parlement

 13   s'est constitué en application des règles, des résultats électoraux. Voilà.

 14   Q.  Tout à l'heure, une question similaire vous a été posée par le

 15   Président de la Chambre : Quelle est la réaction du gouvernement fédéral de

 16   la RSFY ?

 17   R.  Ils n'ont pas la force de réagir.

 18   Q.  Donc en Croatie, le Parlement croate commence à œuvrer. Il a été élu à

 19   des élections pluripartites. Quelles sont les plus importantes des

 20   décisions adoptées au départ ?

 21   R.  Je ne saurais vous le dire. Je n'ai pas fait partie du Parlement

 22   croate, et j'en sais long mais je ne vais pas me perdre en conjectures. Il

 23   y a des procès-verbaux, si quelqu'un veut lire il n'a qu'à lire, je ne veux

 24   pas en parler.

 25   Q.  Bon. Peut-être pourrions-nous maintenant voir un enregistrement pour

 26   montrer quelle a été l'ordre des événements pour que vous puissiez nous en

 27   parler.

 28   M. KOVACIC : [interprétation] J'aimerais qu'on nous montre maintenant une

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  1   espèce de compilation d'enregistrements, le 3D 3549.

  2   Q.  Général, nous allons voir quelques enregistrements correspondant à

  3   l'évolution ultérieure de la situation. Voyons cet enregistrement puis vous

  4   commenterez.

  5   [Diffusion de la cassette vidéo]

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Je peux commenter pendant que l'enregistrement

  7   tourne. Nous sommes donc le 28 octobre 1991, c'est un canon de la JNA, et

  8   là, nous avons Dubrovnik. On voit ici précisément quelles étaient les

  9   positions au-dessus de Dubrovnik et comment ils pilonnent cette ville.

 10   C'est un enregistrement ici qui a été filmé par la télévision du

 11   Monténégro. On voit clairement de quoi il s'agit. Ici c'est le territoire

 12   de la République de Croatie et ils sont arrivés à partir du territoire.

 13   Voyez comment ils tirent à partir de la zone de Konavle, qui est très près

 14   de Dubrovnik, la façon dont on pilonne cette ville. Ils sont arrivés de

 15   Bosnie-Herzégovine et du Monténégro. C'est très court. C'est la télévision

 16   slovène ici qui a repris ces images. Donc on voit la mer Adriatique, et on

 17   voit comment ils pilonnent sans qu'il y ait la moindre possibilité de

 18   riposter d'une façon équivalente.

 19   A ce moment-là à Dubrovnik, nous voyons des bâtiments de guerre de la JNA

 20   et l'aviation de la JNA. Il y a un répéteur sur le mont Srdj jusqu'au sud

 21   de Dubrovnik. On a aussi vu des bâtiments de la marine qui tirent eux aussi

 22   et les défenseurs de Dubrovnik ont réussi à contrer une attaque importante

 23   sur le mont Srdj juste au-dessus de Dubrovnik. Une bataille décisive a eu

 24   lieu là, dans laquelle ont aussi participé pas mal de volontaires

 25   d'Herzégovine, des Croates qui étaient des citoyens de Bosnie-Herzégovine.

 26   Certains d'entre eux ont péri.

 27   C'est de cette thèse dont je parle, il s'agissait ici d'une attaque

 28   émanant d'une des options politiques d'un peuple visant toutes les autres

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  1   options et tous les autres peuples qui n'entraient pas dans ce cadre et

  2   n'étaient pas conformes à l'idée d'une Grande-Serbie et tous ceux qui

  3   entravaient sa réalisation, que ce soit sur le territoire de la Bosnie-

  4   Herzégovine, de la Croatie ou de quelque autre endroit que ce soit, au

  5   Kosovo ou ailleurs.

  6   M. KOVACIC : [interprétation]

  7   Q.  Quelle partie voyons-nous ici ?

  8   R.  C'est probablement quelque part à l'intérieur, c'est Vukovar. Cette

  9   ville a été rasée, et on a tiré sur elle environ 700 000 projectiles, c'est

 10   l'estimation minimale. Les hommes qui ont défendu cette ville avant qu'elle

 11   ne tombe, je pense que tout un chacun le sait, ont quand même réussi plus

 12   ou moins à arrêter cette attaque, ils ont porté des pertes sévères à la

 13   JNA. Des centaines de chars ont été détruits, et cetera, et cela a arrêté

 14   dans une large mesure cette attaque et a montré aux Serbes que la force et

 15   le courage de ceux qui avaient décidé de défendre leur territoire, que

 16   leurs armes seules ne leur permettaient pas de l'emporter.

 17   Ce que je savais lors de conversations de jour en jour avec de

 18   nombreuses personnes, c'est la chose suivante, à savoir tout le monde

 19   s'accordait pour dire que la Croatie ne tiendrait tout au plus qu'un mois,

 20   trois à cinq semaines, et qu'elle ne parviendrait pas à s'opposer à une

 21   armée aussi puissante que la JNA. Nous pensions autrement, notre opinion

 22   était différente, et indépendamment de toutes ces statistiques, nombre de

 23   projectiles, nombre d'avions, nombre de chars, tout cela ne tenait pas

 24   compte de la volonté de combattre des personnes.

 25   Ici, nous avons Sisak, qui est environ à une vingtaine de kilomètres

 26   à l'est, j'y étais pendant un certain temps. J'ai commandé une zone qui se

 27   trouvait de l'autre côté de la Sava, sur la rive droite. C'était au niveau

 28   d'un pont, et les jeunes hommes dont j'étais le supérieur ont réussi à

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  1   défendre ce pont. Nous voyons ici la raffinerie de Sisak en flammes.

  2   Pour autant que je le reconnaisse, c'est Zadar ici. C'est leur percée

  3   vers Zadar et Sibenik. On ne doit pas faire cela mais c'est Zadar ou

  4   Sibenik en tout cas, c'est l'une de ces deux villes sur la mer Adriatique

  5   où ils essaient d'opérer une percée.

  6   Là, c'est le pilonnage du pont de Sibenik. N'est-ce pas, Général

  7   Petkovic ? Vous étiez là-bas.

  8   Q.  Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, le général Petkovic vivait

  9   à Sibenik à l'époque, il est parfaitement au fait de la situation.

 10   R.  Voilà, c'est la destruction de la ville, ainsi que ça s'est passé. Je

 11   pense que tout cela est déjà très clair. Il n'y avait aucune sélection des

 12   objectifs. Ils ne se préoccupaient de savoir ce qui allait être détruit ni

 13   qui allait être tué. La ville de Dubrovnik entière est un monument

 14   culturel, ils ont tout simplement tiré sur tout, tout détruit, les hôtels

 15   les plus importants ont été incendiés ainsi que les monuments culturels, et

 16   cetera, et cetera.

 17   Q.  Avant de passer à l'enregistrement et au DVD suivant qui montre des

 18   événements à Zagreb, c'est le document 3D 003148, je vais vous poser une

 19   question pour que nous ne revenions pas ensuite en arrière.

 20   On voit ici qu'on défend cette Croatie qui est attaquée à partir d'un

 21   certain nombre de positions. Mais qui à vrai dire défend la Croatie à ce

 22   moment-là ? La Croatie ne disposait pas d'une armée, c'est la Fédération

 23   qui a son armée ?

 24   R.  Non, elle n'avait pas d'armée, elle n'avait pas non plus le droit d'en

 25   organiser une. Les premières armes que la Croatie s'est procurée, elle l'a

 26   fait de façon légale pour ses forces de police, en provenance de Hongrie.

 27   Il était permis que la police achète des armes et le gouvernement hongrois

 28   a accepté de fournir une aide en la matière en vendant me semble-t-il

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  1   environ 30 000 Kalashnikovs. C'était là le fondement de l'approvisionnement

  2   en armes, à ce moment-là il y avait 20 à 25 000 volontaires qui défendaient

  3   la Croatie. On avait à ce moment-là déjà organisé la Garde nationale et on

  4   avait formé les quatre brigades de la Garde nationale, l'une à Zagreb, la

  5   seconde à Sisak, la quatrième à Split, et la troisième en Slovénie

  6   orientale.

  7   L'ACCUSÉ PETKOVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, avec votre

  8   permission je souhaiterais intervenir car le général Praljak en mentionnant

  9   mon nom et Sibenik a parlé d'attaque, on pourrait donc interpréter que moi

 10   avec la JNA j'ai attaqué Sibenik, on pourrait donc arriver à un malentendu.

 11   Je voudrais avec votre permission demander au général Praljak s'il

 12   sait qu'à l'époque j'ai été à la tête de la défense de Sibenik du côté

 13   croate.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je le sais. Le général Petkovic était à

 15   l'époque le commandant de Sibenik au sein de l'armée croate, et il a réussi

 16   à défendre avec succès Sibenik précisément sur ce pont qui se trouve à

 17   l'entrée de Sibenik.

 18   L'ACCUSÉ PETKOVIC : [interprétation] Merci.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc les volontaires en dehors de ces unités

 20   de la Garde nationale, mais il s'agissait de brigades réduites qui

 21   comptaient jusqu'à 1 500 membres au maximum. Tout le reste était des

 22   volontaires. C'est ainsi que c'était organisé.

 23   Et ça signifie la chose suivante, Messieurs les Juges. Moi-même,

 24   après avoir participé à tous ces événements, après que la situation

 25   politique se soit développée comme on l'a vu, je ne souhaitais pas

 26   m'occuper de politique, car d'un point de vue de chercheur, la politique

 27   m'intéresse, mais pour m'en occuper au sens strict, non, cela ne

 28   m'intéressait pas.

Page 39701

  1   Donc je suis sorti du HDS au printemps 1991, et c'est traité dans les

  2   éléments biographies que nous avons vus. Au printemps 1991, j'ai vaqué à

  3   certaines de mes affaires privées, mais j'ai aussi travaillé pour la

  4   Westdeutscher Rundfunk, ou plutôt pour l'un de leurs journalistes, car je

  5   disposais d'une petite équipe. Un de mes collègues, Zivko Krsticevic et

  6   moi-même, nous avions une caméra de télévision qui était à nous, et cela

  7   signifie beaucoup à l'époque. Nous avions tout le matériel nécessaire pour

  8   faire des prises de vue, et ce journaliste de la Westdeutscher m'a engagé

  9   pour que je lui vienne en aide.

 10   Donc j'ai passé quatre à cinq jours en Slovénie à faire des prises de

 11   vue pour lui, et puis j'ai pris des contacts avec des gens car j'en

 12   connaissais de nombreux. Puis ensuite nous avons filmé l'arrivée des mères

 13   qui sont arrivées de Serbie à Zagreb, car les mères serbes se sont

 14   également élevées contre cette guerre. Il y avait un mouvement important

 15   des mères en provenance de Serbie qui sont arrivées à Zagreb, donc qui se

 16   sont rendues dans cette 5e Région militaire de la JNA. Et je me souviens

 17   qu'il y avait un rassemblement important tenu par les généraux qui se

 18   trouvaient encore à Zagreb à l'époque, et ces mères ont exigé qu'on leur

 19   rende leurs enfants. Donc tout en Serbie - je ne parle pas des Serbes ici,

 20   mais de la pensée politique serbe et de la JNA - tout n'était donc pas si

 21   noir et blanc que cela en Serbie.

 22   Et c'est alors que j'ai fait des prises de vue et qu'a commencé cette

 23   agression contre la République de Croatie. A un moment donné, au début du

 24   mois de septembre, le 3 septembre, j'ai rencontré un de mes amis qui était

 25   à la tête des réservistes de la police, je lui ai demandé où il allait, il

 26   m'a dit, je vais à Sunja, je lui ai demandé si je pouvais y aller avec lui,

 27   il m'a dit, oui, tu peux y aller avec moi. Et je suis donc arrivé à Sunja

 28   dans un habit de randonnée, j'avais un fusil d'assaut qui m'avait été

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  1   offert par un avocat allemand qui avait un grand cabinet à Bohn. J'avais

  2   été en Allemagne et j'avais un permis de résidence là-bas - cette arme

  3   était plus un trophée qu'autre chose - et c'est ainsi que je suis arrivé

  4   là-bas.

  5   Quelque temps après, on m'a nommé commandant sur place en vertu du

  6   comportement et du mérite qui avait été le mien et j'y suis resté jusqu'en

  7   mars 1992.

  8   Q.  Très bien. Alors c'est un processus, une évolution naturelle. Nous

  9   parlerons de la Sunja en détail ultérieurement.

 10   Mais je voudrais que nous revenions un petit peu en arrière. Peut-

 11   être pourrions-nous maintenant, si nous l'avons, regarder cet

 12   enregistrement vidéo -- non, nous ne l'avons toujours pas.

 13   Je voudrais donc que nous revenions un petit peu en arrière, avant

 14   que la JNA n'attaque la Croatie, ce que nous avons montré, la JNA est

 15   d'abord intervenue en Slovénie, pourquoi et comment tout cela s'est-il

 16   déroulé en Slovénie ?

 17   R.  Comme je l'ai dit, j'étais sur place à l'époque de cette guerre. En

 18   Slovénie, au titre de l'aide qui m'avait été demandée par ce journaliste de

 19   la Westdeutscher Rundfunk, et ils avaient essayé de percer jusqu'à la

 20   frontière de la Yougoslavie. Il y avait eu des tirs.

 21   Q.  La JNA, n'est-ce pas ?

 22   R.  Oui, c'était la JNA qui a essayé de se positionner jusqu'à la

 23   frontière, mais les Slovènes étaient organisés, ils avaient modifié tous

 24   les panneaux indicateurs sur les axes de communication, si bien qu'à moins

 25   de connaître toutes ces contrés, vous ne pouviez pas y retrouver. Et tout

 26   cela était une forme d'opérette, si vous voulez, parce qu'il y avait une

 27   intention tout à fait claire de la part des dirigeants serbes, à savoir que

 28   ces derniers souhaitent perpétuer la Yougoslavie mais sans la Slovénie,

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  1   qu'ils laisseraient la Slovénie se séparer du reste. Et c'est pour cela

  2   qu'on peut considérer cette guerre comme une forme de manifestation, donc

  3   c'est pourquoi ils se sont retirés de Slovénie et ils ont réparti les armes

  4   en provenance de Slovénie en les envoyant en direction de la Bosnie-

  5   Herzégovine.

  6   Quant aux convois qui sont passés par la Croatie, bien entendu qu'il

  7   est arrivé un certain nombre d'attaques auto-organisées visant ces wagons

  8   afin de pouvoir prendre possession d'une partie des chargements, si ces

  9   derniers n'étaient pas suffisamment surveillés. Car tout le monde était

 10   déjà conscient que la guerre était imminente et qu'il fallait être en

 11   mesure de se défendre.

 12   Q.  Alors passons maintenant de la Slovénie à la question de la ville de

 13   Zagreb à titre d'illustration, puisque vous avez abordé cela, donc les

 14   événements liés à la caserne du maréchal Tito.

 15   [Diffusion de la cassette vidéo]

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, arrêtez-vous là, s'il vous plaît. Je

 17   pense que l'Accusation ici posait une question à l'un des témoins quant à

 18   la question de savoir comment la Croatie avait réagi à l'attaque portée

 19   contre la Slovénie. Mais la Croatie, puisqu'elle ne disposait pas d'une

 20   armée, ne pouvait pas réagir. Il y avait eu des entretiens entre Kucan et

 21   les dirigeants croates et Tudjman, quant à la possibilité de mettre en

 22   place une alliance militaire. Mais j'imagine qu'ils ne savaient pas de quoi

 23   il pouvait s'agir puisqu'ils n'avaient pas d'armée.

 24   Ici dans la partie sud de Zagreb, au-delà de la rivière Sava se

 25   trouvait une importante caserne de la JNA qui portait le nom du maréchal

 26   Tito, et on l'appelait la "Marsalka" de façon usuelle.

 27   Alors il n'y a pas encore de guerre en Croatie à ce moment-là et l'on a

 28   entendu des rumeurs selon lesquelles les chars de cette caserne étaient

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  1   partis en direction de la Slovénie. Ici nous voyons une manifestation

  2   spontanée et populaire qui s'oppose à la sortie de ces chars en direction

  3   de la Slovénie. J'ai été présent lors de ces événements - on fera un arrêt

  4   sur image et vous verrez - et avec un de mes caméramans, d'ailleurs je

  5   pense que c'est l'une des ces prises de vue que nous avons là, j'ai été

  6   présent et vous verrez que les gens jetaient des pierres, qu'ils tiraient

  7   contre ces chars, et bien entendu la riposte est arrivée en provenance de

  8   la caserne, on a tiré à plusieurs reprises sur la foule et un jeune homme

  9   est mort.

 10   Et maintenant vous pouvez faire tourner l'enregistrement.

 11   [Diffusion de la cassette vidéo]

 12   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

 13   "Il est ici installé environ 2 000 soldats. Dans les casernes se trouvent

 14   également les unités de chars les plus importantes en Croatie. La Garde

 15   nationale a dit que pendant des mois elle a encerclé, bloqué la caserne,

 16   des tirs retentissaient en permanence. Le commandant a menacé de raser

 17   l'ensemble de la ville de Zagreb si la Garde nationale attaque. Les

 18   premières unités de la caserne Marsalka sont parties en direction de la

 19   Bosnie. La caserne sera vidée dans quelques jours. La Garde nationale et

 20   l'armée ne sont pas arrivées à un accord au terme duquel ces unités ne

 21   doivent pas être utilisées dans des combats mais les Croates se doutent

 22   qu'elles se regroupent en Bosnie justement pour venir en aide et en soutien

 23   aux unités en Slavonie orientale.

 24   Les autorités municipales ont annoncées qu'il a été tiré en

 25   provenance du convoi qui se trouve à Karlovac contre les membres de la

 26   Garde nationale croate. Ceci constitue les abords du pont Mladost à 19

 27   heures 30. La situation est calme devant la Marsalka une heure plus tard.

 28   Mais tout a commencé avec la sortie des véhicules de transport et autres

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  1   véhicules de cette caserne de Zagreb, selon la télévision de Slovénie. Cela

  2   a entraîné un désordre au sein des citoyens de la ville de Zagreb.

  3   Impuissants face à la sortie des unités armées, ils ont lancés des pierres

  4   et des bouteilles d'essence contre les véhicules SVB. Il s'en est suivi des

  5   tirs nourris dont le résultat selon l'agence Ila [phon] est un mort et sept

  6   blessés. En ce moment, la situation est calme devant la caserne. Il n'y a

  7   personne, pas de véhicules militaires. Il n'y a pas de désordre devant la

  8   caserne."

  9   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai un enregistrement où on voit ce jeune

 11   homme qui a été tué. Nous devrions le montrer. On y voit aussi ma personne.

 12   J'essaie d'avertir les gens, je leur dis de ne pas tirer en direction de la

 13   caserne car il y aura une riposte.

 14   Alors ce que vous avez vu là, c'est la résistance du peuple croate

 15   par rapport à la guerre en Slovénie.

 16   [Diffusion de la cassette vidéo]

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc c'est le passage des chars en provenance

 18   de Slovénie en direction de Banja Luka, donc la JNA se réfugie en quelque

 19   sorte en Bosnie-Herzégovine. Et cette idée a été avancée en permanence par

 20   Alija Izetbegovic, à savoir que la JNA allait être le garant de la sécurité

 21   des citoyens de la Bosnie-Herzégovine. Mais une erreur aussi monumentale

 22   est tout simplement incompréhensible pour moi.

 23   M. KOVACIC : [interprétation]

 24   Q.  Général, nous avons vu juste quelques indications montrant cette

 25   situation à différents endroits en Croatie, à Zagreb, et ailleurs. Mais

 26   pour que les choses soient tout à fait claires pour tous, est-ce que la

 27   RSFY existe toujours de fait et d'un point de vue juridique à ce moment-là

 28   ?

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  1   R.  Oui. C'est toujours un sujet reconnu pour le droit international.

  2   Q.  Est-ce qu'au moment même des ces mêmes événements que nous venons de

  3   voir, donc le recours à la force, est-ce que se déroulent simultanément des

  4   pourparlers politiques à l'échelon de la fédération, par exemple, entre les

  5   présidents des six républiques concernant un changement du système ?

  6   R.  Ces pourparlers sont interminables et en quantité considérable, mais

  7   laissons cela pour la partie qui sera traitée en même temps que le livre

  8   que nous avons prévu.

  9   Mais alors tous les présidents des républiques se sont mis d'accord

 10   pour tenir des réunions communes dans chacune des villes des différentes

 11   républiques. Que cela soit à Split, à Sarajevo, à Skopje. Donc ils se

 12   rencontraient, ils discutaient, la communauté internationale s'est

 13   également impliquée. Et j'ai dit qu'il a eu 43 rencontres entre Milosevic

 14   et Tudjman. J'ai également dit qu'Alija Izetbegovic a été présent à un

 15   certain nombre de ces réunions, la plupart d'entre elles, mais cela nous

 16   aurons l'occasion d'y revenir dans le livre. Donc ce que nous avons ce sont

 17   des efforts considérables de la partie croate afin de parvenir d'une façon

 18   ou d'une autre à une solution politique normale de cette situation sans

 19   qu'il y ait guerre. Ces efforts ont été innombrables, considérables. Ils

 20   comprenaient des concessions, mais la limite qui était impossible à

 21   dépasser du point de vue croate était la suivante, il fallait que la

 22   Croatie soit dans un cadre confédéral, l'unité confédérale de la

 23   Yougoslavie qui devait être dotée d'un système démocratique parlementaire,

 24   mais les Serbes n'étaient absolument pas disposés à aller dans ce sens.

 25   C'est la politique qui est à l'origine de toute guerre.

 26   Q.  Alors peut-être juste encore un détail que nous n'avons peut-être pas

 27   vu dans ces différents enregistrements lors de tous ces pourparlers

 28   politiques et de ces actions et tentatives diplomatiques. Je crois que nous

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  1   avons tous encore en mémoire un incident particulier lorsqu'il y a eu une

  2   attaque de roquettes visant le bureau de la présidence de Zagreb. Pouvez-

  3   vous nous donner juste quelques détails ?

  4   R.  Le 25 juillet 1991, après que l'on soit arrivé au bout de ces

  5   pourparlers qui ont duré un an, le Parlement croate a pris une décision au

  6   terme de laquelle la Croatie devenait un Etat indépendant et au terme de

  7   laquelle tous les liens avec la Yougoslavie étaient rompus. Cependant, la

  8   Communauté européenne qui entretenait encore l'espoir que l'on puisse

  9   arriver à une solution globale a exigé de la Croatie quelle reporte de

 10   trois mois l'application de cette décision et que l'on essaie de négocier

 11   pendant encore trois mois, donc un moratoire de trois mois. Entre-temps, la

 12   guerre a commencé à battre son plein. Tout ce que nous avons vu à

 13   Dubrovnik, à Sibenik, et cetera, s'est poursuivi. Et après trois mois, on

 14   était allé encore plus loin de toute possibilité de solution politique que

 15   le 25 juin. Donc à l'expiration de ces trois mois, les appareils de

 16   l'aviation serbe ont bombardés le Banski Dvori, c'est-à-dire le palais

 17   présidentiel du président de la République de la Croatie, Franjo Tudjman.

 18   A ce moment, se trouvait auprès de lui le président du gouvernement

 19   fédéral, le Croate, Ante Markovic, il y avait donc le Dr Franjo Tudjman

 20   également, qui se trouvait encore là-bas. Mesic y était-il ? Markovic était

 21   présent, Franjo Tudjman. Je m'en souviendrai à un moment ou un autre. Et

 22   avant toute chose, les organisations qui fournissaient des renseignements

 23   étaient au fait de l'endroit exact où se trouvait le président à chaque

 24   moment. Et par chance, il est sorti de la pièce où il se trouvait pour

 25   prendre un café au moment où les missiles sont tombés. Donc ce dont il

 26   s'agissait c'est qu'ils voulaient le tuer. Non seulement lui, mais

 27   également Markovic et puis cette autre personne qui était aussi un

 28   dirigeant important, le président du Parlement croate. Je pense que c'était

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  1   Seks, qui était encore là. Non seulement c'était évident qu'ils voulaient

  2   le tuer, mais qu'ils étaient parfaitement au fait, à la minute près de

  3   l'endroit où se trouvait telle ou telle personne.

  4   Après cela, des explosifs ont été posés sous le bâtiment de la

  5   communauté juive de Zagreb, et cela a évidemment été attribué à la Croatie

  6   oustachi, cela a fait le tour de tous les journaux. Et rapidement, le

  7   gouvernement croate a découvert qui a organisé cela. C'était une

  8   organisation de grande envergure du KOS qui s'appelait "Opera" et tout cela

  9   a été révélé.

 10   Mais pour chaque élément au sujet desquels Messieurs les Juges pourraient

 11   souhaiter m'interroger, je suis en mesure d'apporter des éléments de preuve

 12   l'étayant.

 13   Q.  Très bien. C'est plutôt une description de l'ensemble de la situation

 14   que je voulais que nous reprenions ici.

 15   Il y a ici une négation au compte rendu d'audience. Peut-être que

 16   nous devrions corriger cela immédiatement avant que cela ne suscite des

 17   questions. Il est consigné que l'on aurait constaté que cela n'était pas

 18   des Oustachi, mais que c'était le KOS, le Service de contre-renseignement

 19   yougoslave.

 20   Très bien. Pièce 3D 02657. Est-ce qu'on pourrait l'expliciter un

 21   petit peu. Il s'agit là d'un livre qui est le produit, le résultat d'un

 22   travail sur un projet de Djonlic, les résultats de la guerre menée contre

 23   la Croatie. Est-ce que vous pourriez peut-être nous présenter cet ouvrage ?

 24   Nous souhaitons le verser au dossier. Est-ce que vous pouvez nous dire

 25   également quel rôle vous avez joué dans la réalisation de ce livre ?

 26   R.  Quelle que soit votre décision là-dessus, ce livre, il a vu le jour à

 27   une période où on nous a laissés partir.

 28   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Excusez-moi, Maître Kovacic,

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  1   excusez-moi. Auriez-vous l'obligeance de nous indiquer où nous pourrions

  2   trouver ce que vous venez juste de mentionner ? 3D 0265, cette pièce-là, où

  3   pourrait-on la trouver ? C'est dans quel classeur ?

  4   M. KOVACIC : [interprétation] C'est dans un classeur qui se présente comme

  5   ceci, sous le numéro 1, au tout début, 5, 6.

  6   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Je vous remercie.

  7   M. KOVACIC : [interprétation] Je vous en prie.

  8   L'INTERPRÈTE : Livre réalisé sous la direction de Tomislav Djonlic, qui

  9   s'intitule : "Petit aperçu historique du mal contre la Croatie."

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] Donc, ce qui a constitué le fondement de mes

 11   préparatifs qui devaient me permettre de me défendre, c'était une réflexion

 12   que j'ai menée. Je me suis demandé de quelle manière je pouvais aider la

 13   Chambre, les Juges, le Procureur lorsqu'il s'agit de choses très

 14   compliquées, très complexes. Comment est-ce que je peux leur permettre de

 15   les comprendre mieux, et c'est là que je suis arrivé à cette idée d'avoir

 16   un livre, de faire faire un livre, et c'est ce qui montre tout le respect

 17   que j'éprouve pour ce Tribunal. Je cherchais à présenter tous les éléments

 18   d'information pertinents portant sur ce qui m'a semblé, ce qui à mon sens

 19   était nécessaire pour comprendre la situation.

 20   Je me suis adressé à M. Tomislav Djonlic, qui est un jeune historien,

 21   et je lui ai dit : Voilà ce que nous pouvons faire. Nous allons faire un

 22   aperçu nous permettant de voir ce qui a précédé, quels sont les événements

 23   qui ont précédé la guerre en Croatie. De manière très succincte, nous

 24   allons reprendre les différentes publications, la bibliographie, et nous

 25   allons montrer l'évolution des événements : les conquêtes, les tueries, les

 26   pillages, les destructions. Nous allons reprendre cela de manière très

 27   synthétique. Voilà. C'est la partie qui nous montre de quoi il s'agit ici;

 28   le Moyen Age en Croatie; l'administration italienne dans des régions

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  1   annexées 1941 à 1945; le royaume de Yougoslavie; les crimes chetniks en

  2   Croatie, en Bosnie-Herzégovine; l'Etat indépendant de Croatie; Jasenovac et

  3   d'autres camps qui étaient gérés par les Oustachi; Blajburg, des

  4   liquidations qui ont eu lieu après la guerre; les folksdeutcher, et

  5   quelques éléments de 1945 à 1989; l'histoire de la Yougoslavie, Ozna, la

  6   forme bureau, Udba. C'est ce que nous avons préparé. Pour commencer, je ne

  7   m'attarderais pas sur l'histoire, mais prenons la page 23, le royaume de

  8   Yougoslavie.

  9   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Monsieur Praljak, vous êtes sûr que

 10   vous êtes pas en train de vous embarquer à nouveau dans des travaux qui

 11   relèveraient plus de ceux d'un expert que d'un témoin ? J'ai l'impression

 12   que c'est un travail historique, sorte de très bonne facture, sans doute,

 13   mais je me demande si cela a grand-chose à voir avec votre expérience

 14   personnelle.

 15   M. KOVACIC : [interprétation] L'idée est la suivante, Monsieur le Juge,

 16   compte tenu des critères qui nous dirigent lorsqu'on verse au dossier des

 17   documents, nous avons estimé qu'il s'agit là d'un travail de qualité qui

 18   peut nous permettre de comprendre beaucoup d'éléments qui concernent le

 19   paragraphe 15 de l'acte d'accusation, à savoir tout ce qui a précédé la

 20   guerre. Le paragraphe 15, est-ce qu'il existe une entreprise criminelle

 21   commune ? Nous nous sommes dit que nous allions nous faire gagner du temps

 22   en définitive si nous avons ici la position exprimée par le général sur

 23   toute une série d'éléments. Ça nous permettrait de verser ce document au

 24   dossier dans sa totalité, parce que je ne pense pas qu'on gagnera en le

 25   versant au dossier page par page.

 26   Le général vient de nous expliquer quelle a été l'intention, la

 27   finalité de ce livre. Nous l'avons fait traduire, puisque nous estimons

 28   qu'il est précieux, qu'il est de qualité. Je vous ai expliqué pourquoi je

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  1   pensais qu'il allait constituer un apport considérable. Peut-être que juste

  2   quelques chapitres peuvent nous être présentés par le général pour qu'on

  3   comprenne quel est le fondement, qu'est-ce qui nous pousse à en demander le

  4   versement. Il n'y a que des faits, une présentation factuelle des faits,

  5   ici, pas de prises de positions, de jugements, et cetera.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Il n'y a qu'une présentation factuelle,

  7   pas de positions.  

  8   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] J'aimerais répondre à Me Kovacic.

  9   Je vous remercie de votre explication. Dans la mesure où vous posez des

 10   questions uniquement pour présenter le document, là je n'ai aucune

 11   objection à soulever.

 12   M. KOVACIC : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Juge.

 13   Véritablement, je souhaite vous convaincre qu'en définitive on aura

 14   gagné du temps.

 15   Q.  Je vous en prie.

 16   R.  Page 34, 3D34-0062, crimes chetniks en Croatie, en Bosnie-Herzégovine.

 17   Les premières armes que nous avons données immédiatement, c'étaient pour

 18   Gorazde, Foca, et cetera. Pour quelles raisons ? Parce que tout Croate

 19   cultivé savait qu'en Bosnie-Herzégovine les Chetniks avaient tué, pendant

 20   la Seconde Guerre mondiale, au moins 33 000 Musulmans, surtout en Bosnie

 21   orientale. Donc toute personne dotée de bon sens, par exemple, Susak ou

 22   moi-même, lorsque nous avons donné ces armes, c'était en se disant : Mais

 23   ils ne sont pas en train de se préparer pour cette guerre. Ils vont se

 24   faire égorger par les Chetniks comme ils leur ont fait de 1941 à 1945.

 25   Donc, vous avez ici juste une énumération. Cela vous montre, pour ce qui

 26   est de ces unités serbes, pendant la Seconde Guerre mondiale, qui se

 27   disaient être du côté de la coalition anti-fasciste, combien de personnes

 28   elles ont tué. Donc, il n'y a rien à ajouter à cela. Ce sont que des faits.

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  1   A Mrkonic Grad, un tel chiffre, à Sanski Most, le chiffre. Donc, je ne vois

  2   pas ce que je pourrais ajouter. J'affirme simplement qu'il en est ainsi.

  3   Dans le secteur de Srebrenica, prenons le point 32. Vous voyez, dans

  4   le secteur de Srebrenica, les crimes du 18 août 1941 jusqu'en 1942, une

  5   partie des déclarations du 29 janvier du président du district de

  6   Srebrenica. Le chiffre exact de victimes ne peut pas être connu, mais

  7   environ 1 000 personnes ont été tuées dans ce district, puis il y a des

  8   dégâts matériels, et cetera.

  9   L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas le texte sous les yeux.

 10   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Monsieur Praljak, j'ai essayé de ne

 11   pas vous interrompre, à propos de votre débit surtout, mais je tiens à vous

 12   rappeler, dans l'intérêt de l'interprétation, de ralentir. J'aimerais aussi

 13   demander à Maître Kovacic, lui aussi, de ne pas poser des questions trop

 14   rapidement. Vous parlez beaucoup trop vite. Je vous remercie.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie. Je vais faire des efforts à

 16   l'avenir.

 17   Paragraphe 34, situation à Visegrad. Encerclé. Ce sont les autorités du

 18   district de Visegrad qui sont à l'origine des informations. La population

 19   de ce district, à partir du 2 septembre 1941 jusqu'à aujourd'hui, traverse

 20   la période la plus noire de son histoire. Les villages ont été incendiés.

 21   La population se meurt dans les rues de la ville à cause des maladies et

 22   d'une pénurie alimentaire, chassée de leur foyer par des bandits chetniks.

 23   Jusqu'à aujourd'hui, des Croates, des Musulmans et des Catholiques qui ont

 24   été tués sont au nombre de 5 000, et ce chiffre grandit toujours.

 25   L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas le texte sous les yeux.

 26   LE TÉMOIN : [interprétation]

 27   Paragraphe 37. Le 19 août 1942, les Chetniks, pour la deuxième fois,

 28   prennent Foca. Cinq milles Musulmans se sont enfuis vers Sarajevo, et Draza

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  1   Mihajlovic a fait savoir, il est à la tête des Chetniks, le 23 août, qu'à

  2   l'intention du 42e Commandement chetnik, il dit : Hier, j'ai terminé

  3   l'action jusqu'à Usta, Klina et le col de Jahorina. D'après les

  4   informations que nous avons jusqu'à présent, entre 1 000 et 3 000 Musulmans

  5   ont été égorgés. Toutes les unités, bons combattants, encore meilleurs

  6   pillards. Chute de Foca bien reçue, bien accueillie. Les Musulmans

  7   s'enfuient massivement vers Sarajevo.

  8   Ou bien, prenons le paragraphe 41, l'expulsion des Croates de Stolac et de

  9   Dubrave. Une centaine de Croates ont été égorgés pendant ce processus. De

 10   toute la région de Stolac, dix à 15 000 Croates ont été chassés, et cetera.

 11   Ou bien au paragraphe 46. Suite à ces opérations à la mi-octobre

 12   1942, les Chetniks se sont acheminés vers Prozor, Rama, Sujica, Livno,

 13   Makarska, cet axe-là, côte adriatique jusqu'à l'embouchure de la Neretva.

 14   En passant par Rama et Prozor, les Chetniks ont atteint une montagne. Ils

 15   ont tué 200 Croates et Musulmans dans la zone de Mostar. Ils ont égorgé ou

 16   jeté dans des fosses, et cetera, 1 616 personnes --

 17   L'INTERPRÈTE : L'interprète n'est pas sûr du chiffre.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] -- dont 340 étaient des Musulmans et le reste

 19   des Croates civils. Une question se pose ici : où sont les Oustachi ? Où

 20   sont les Oustachi qui devraient normalement défendre cela ?

 21   Donc je m'adresse à la Chambre. L'Etat indépendant croate s'est

 22   trouvé diviser, je l'ai montré une fois, en deux. Il y avait, d'une part,

 23   une zone gérée par les Allemands, et, d'autre part, la zone gérée par les

 24   Italiens. Les Oustachi, ils n'avaient pas le droit de se rendre dans la

 25   partie sud gérée, administrée par les Italiens. Ils n'avaient pas le droit

 26   de franchir la ligne de séparation. Donc, comment voulez-vous que cet Etat

 27   soit indépendant, puisque il est administré par des forces d'occupation. En

 28   bref, les Italiens ne permettaient pas aux Oustachi de se rendre sur leur

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  1   partie du territoire, mais ils permettaient l'accès aux Chetniks, en

  2   revanche.

  3   Nous pouvons également montrer Jasenovac et d'autres camps oustachi au 56.

  4   Là, pour ce qui des chiffres du mythe de Jasenovac, le nombre de personnes

  5   tuées à Jasenovac varie de 50 000 à 1 million. En fonction des différents

  6   historiens, des besoins de différentes propagandes, ces chiffres ont été

  7   exagérés. Aujourd'hui, il y a un chiffre qui est utilisé. Peut-être un peu

  8   plus ou un peu moins de 75 000 personnes juives, tziganes, serbes, croates,

  9   qui ont été tuées. C'est le chiffre qui est écrit dans le camp de

 10   Jasenovac.

 11   Il n'y a pas d'appréciation ici, pas d'évaluation. Il n'y a que de

 12   simples faits. Je me suis bien gardé de juger, d'apprécier ces chiffres où

 13   nous avons Blajburg et les liquidations de l'après-guerre.

 14   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Monsieur Praljak, nous avons entendu

 15   ça à l'envie, si je puis dire. J'aimerais bien savoir quel est le lien avec

 16   l'acte d'accusation qui nous intéresse aujourd'hui, car je dois vous avouer

 17   que je ne vois pas vraiment le lien. Ce n'est pas du tu quoque ici, c'est

 18   du elequoque [phon]. Pourriez-vous nous expliquer peut-être quelle est la

 19   relation entre tout ce que vous êtes en train de nous dire et l'acte

 20   d'accusation qui nous intéresse ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Je répondrai sur un point uniquement.

 22   Nous avons vu ici un document. Il y a longtemps, me semble-t-il. Je ne sais

 23   pas si on s'en souvient encore. Dans ce document, dans ce texte, il est

 24   dit, au sujet d'un meurtre à Rama, qui l'a vengé, son père. Donc, c'est un

 25   meurtre qui a été commis, accompagné d'une phrase : "Il a vengé son père."

 26   Donc ceci nous permet de savoir que cette vengeance a lieu pour venger ces

 27   meurtres qui se sont produits à Rama entre 1941 et 1945. Je ne vois pas

 28   comment vous l'expliquez davantage.

Page 39716

  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Oui, mais je ne sais pas qu'il

  2   existe d'excuse ou de justification au titre du droit humanitaire

  3   international permettant de tuer un civil. On ne peut pas justifier le

  4   meurtre d'un civil uniquement du fait de la vengeance.

  5   M. KOVACIC : [interprétation] Si je peux enchaîner sur ce qui vient d'être

  6   dit par le général Praljak. Dans l'acte d'accusation, il est dit que

  7   l'ensemble de ces événements pour lesquels les accusés sont accusés, qu'ils

  8   se sont produits en tant que conséquences, sous différentes formes de

  9   culpabilité, de responsabilité pénale, mais en tant que conséquence des

 10   activités des forces croates qui découlent, de nouveau, de l'entreprise

 11   criminelle commune. Pour replacer cela dans un contexte, j'aimerais bien me

 12   servir d'exemples.

 13   Prenons un dossier au pénal pour meurtre. Quelqu'un est inculpé

 14   d'être responsable, coupable d'un meurtre, et souvent comment se défend la

 15   personne. Il dit : ce n'est pas moi. Quelqu'un d'autre a tué. Parfois cette

 16   défense, elle est vraie, parfois elle n'est pas vraie. Parfois elle

 17   réussit, parfois elle ne réussit pas. De même, ce serait une affaire au

 18   pénal classique. Mais cette même personne dit : ce n'est pas moi. Elle dit

 19   c'est le domestique. Là, nous, on ne dit pas que c'est le domestique qui

 20   l'a fait. Nous, on cherche à démontrer clairement quelles sont les

 21   circonstances de l'événement, y compris le contexte historique, la

 22   révolution historique, pour que vous, Messieurs les Juges, pour que vous

 23   puissiez apprécier, pour que vous puissiez savoir s'il est réel d'évoquer

 24   le fait que l'ensemble des événements mauvais, 1991, 1993, en Bosnie-

 25   Herzégovine se sont produits uniquement à cause des agissements ou des

 26   manquements d'agir du côté du HVO ou, de manière générale, disons, de cette

 27   entreprise criminelle prétendue à qui on reproche ces actes qui se trouvent

 28   accusés. Nous souhaitons vous illustrer toutes ces causes, ces facteurs

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  1   dont des éléments historiques et des conséquences historiques, qu'est-ce

  2   qui a agi sur la situation en Bosnie, tout ce qui s'est produit n'est pas

  3   le fruit d'un plan, et c'est ce que la Défense cherche à démontrer.

  4   Premièrement, il n'y a pas de plan, et deuxièmement, même s'il y avait eu

  5   un plan tout ceci n'aurait pas pu en être une conséquence. Voilà, telle est

  6   la cause de la Défense.

  7   Quelle est la manière la plus simple de procéder ?

  8   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] M. Karnavas semble absolument prêt à

  9   se lever.

 10   M. KARNAVAS : [interprétation] Si je peux ajouter quelque chose, je

 11   comprends bien où va le général. Je pourrais peut-être vous aider à couper

 12   son nœud gordien.

 13   Nous connaissons bien la théorie de l'Accusation. Nous savons ce qui

 14   est allégué dans l'acte d'accusation. Le général Praljak essaie d'établir

 15   deux faits, deux choses. Tout d'abord, il n'y avait pas de plan. Mais

 16   surtout deuxièmement, en tant que commandant avec des responsabilités de

 17   commandement, avec la possibilité aussi de commander et de contrôler de

 18   façon efficace les troupes sur le terrain, si j'ai bien compris la théorie

 19   qu'il essaie de défendre et que nous adoptons d'ailleurs, .tant donné

 20   l'historique, des individus ont agi de leur propre chef et dans ces

 21   circonstances il aurait été extrêmement difficile puisque ici il n'y a pas

 22   d'armée entraînée. Il n'y a pas d'officiers auxquels on devrait s'attendre.

 23   Il y a cet historique, avec cette vengeance qui existe. Des individus

 24   agissent de leur propre chef et le commandant de fait a du mal à contrôler

 25   qui que ce soit, à contrôler les actions de tout un chacun. C'est pour ça

 26   que nous avons toute cet historique qui nous est décrit.

 27   C'est un baril de poudre en tant que tel. Les gens avaient beaucoup

 28   souffert pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les choses étaient brutales,

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  1   et ces personnes ont agi de leur propre chef, pas du tout suite à un plan

  2   concerté. La personne qui commande les troupes ne peut être responsable des

  3   agissements de tous s'ils n'ont pas la capacité de les contrôler, parce

  4   qu'il y a aussi ces individus qui ne sont pas nécessairement contrôlés qui

  5   agissent de leur propre chef pour arriver à régler des vieux comptes, si je

  6   puis dire. C'est ça le but à mon avis, c'est pour cela que tout ceci nous

  7   est décrit.

  8   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Pour reprendre la position de Me

  9   Kovacic, alors on est en train d'essayer de juger le viol du cuisinier, et

 10   on s'explique en disant que l'oncle de la servante a été tué à un moment ou

 11   à un autre. Mais ce n'est pas ça. Nous sommes en train de parler d'un crime

 12   qui a été commis par un parti qui n'est pas impliqué dans l'affaire, --

 13   M. KARNAVAS : [interprétation] Non, mais tout ceci vous est donné pour

 14   mieux comprendre le contexte historique parce que toutes les choses ne sont

 15   pas arrivées comme ça par hasard dans l'abstrait. L'abstraction la plus

 16   totale. Ça peut être important quand même pour ceux d'entre nous qui n'ont

 17   pas cet historique, en tout cas pour ceux qui ont vécu cette période,

 18   c'était encore à vif. C'était à fleur de peau, et la situation était prête

 19   à exploser, et on vous donne toutes ces informations pour mieux comprendre

 20   le contexte historique et pour mieux comprendre par la suite pourquoi des

 21   individus de leur propre chef se sont livrés à ces agissements.

 22   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Ce qui m'inquiète c'est le chemin

 23   que l'on prend. On s'éloigne de plus en plus des faits qui se trouvent dans

 24   l'acte d'accusation, et plus on s'éloigne plus on parle et plus les faits

 25   deviennent -- tout ceci s'étend.

 26   M. KARNAVAS : [interprétation] Je comprends, c'est pour ça que Donia vient

 27   pour nous parler du XVe siècle, je me demandais où nous étions et nous

 28   allions, c'est vrai. Mais à l'époque personne ne m'a écouté.

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  1   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] C'est du tu quoque, du véritable tu

  2   quoque, Maître Karnavas, n'est-ce pas ?

  3   M. KARNAVAS : [interprétation] Ecoutez, je prends ça comme un compliment.

  4   M. KOVACIC : [interprétation] Une seule phrase suite à ce que j'ai déjà dit

  5   et, bien entendu, je rejoins ce qui vient d'être dit par mon confrère.

  6   Entre autres, ce cadre historique que mon confrère vient d'exprimer très

  7   bien apporte une réponse à une question : qu'est-ce qui est dans l'esprit

  8   des gens qu'on doit commander et contrôler ? C'est une situation de défense

  9   très difficile, chaotique, et cetera, mais avant tout qu'est-ce qu'ils ont

 10   à l'esprit ? Voilà.

 11   Ma consoeur me suggère d'ajouter une phrase. Dans un dossier

 12   classique de meurtre, entre autres il nous faut poser la question de  mens

 13   rea. Il faut savoir ce qui a entraîné ce meurtre pour qu'on puisse

 14   apprécier la question de mens rea.

 15   Q.  Le général Praljak voulait ajouter quelque chose.

 16   R.  Nous viendrons plus tard à ce que je dois dire, à savoir des exemples

 17   que je dois apporter, et ces exemples qui me permettront de démontrer que

 18   tout cela doit être connu pour bien agir.

 19   Voilà un exemple que vous avez vu, Messieurs les Juges, dans un de

 20   mes documents de Rama, où je dis combien de militaires j'ai, et quelle est

 21   la situation sur le plan général, et cetera, et j'ai dit que j'ai des

 22   volontaires de la 5e Brigade de la Garde. Elle a été mise sur pied et a

 23   fonctionnée en Slavonie orientale. Maintenant la question serait la

 24   suivante : pourquoi la Croatie envoie des militaires, pourquoi on envoie

 25   ceux de Slavonie ? Pourquoi elle n'envoie pas ceux de Split, Zadar, ou

 26   Sibenik ? Pourquoi de

 27   Slavonie ? Parce que c'est en Slavonie qu'il y avait beaucoup de

 28   "folksdeutchers" qui eux ont été chassés. Leurs biens ont été pris, et des

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  1   Hongrois en partie ont été chassés, c'est là qu'on a installé des

  2   Monténégrins de régions arides, en partie des Herzégovins, des Serbes du

  3   Kosovo, de 1948 à 1951.

  4   On a tourné un film là-dessus, "Un train sans horaire." On embarquait

  5   les gens et on les mettait dans des maisons. C'est pourquoi vous avez des

  6   descendants de ces gens qui viennent d'Herzégovine et qui ont des noms de

  7   famille herzégovins, c'était des volontaires qui sont venus combattre en

  8   bas. C'est l'explication à la question qui est de dire, pourquoi, viennent-

  9   ils de la 5e Brigade et non pas de la 4e qui elle est basée à Split. On sait

 10   qu'il s'agit de descendants qui sont en Herzégovine depuis quelque temps et

 11   qui ont des sentiments patriotiques.

 12   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] Monsieur Praljak, je ne voudrais pas

 13   vous arrêter pendant vous expliquez votre cause, mais j'aimerais ajouter ma

 14   voix à celle du Juge Trechsel, nous vous demandons vraiment de vous

 15   concentrer sur les faits; en fait l'acte d'accusation. Je sais que bientôt

 16   nous allons aller en pause, mais j'ai quand même quelque chose à dire avant

 17   la pause, tout ce que vous nous racontez est très intéressant, tous ces

 18   détails historiques sont passionnants, je ne suis pas seulement juriste

 19   international, je suis aussi historien donc tout ceci m'intéresse; j'ai

 20   toujours été très proche du sort de votre pays et de l'histoire de l'Europe

 21   centrale. Mais je répète, je réitère ce qui a déjà été dit, veuillez vous

 22   concentrer sur l'acte d'accusation, parler de l'acte d'accusation et de ce

 23   qui est dans l'acte d'accusation, nous ne sommes pas ici pour faire un

 24   colloque sur l'histoire en général et surtout l'histoire de l'ex-

 25   Yougoslavie, cela ne nous mène à rien.

 26    Nous perdons du temps. Vous perdez votre temps, surtout, temps qui

 27   pourrait être utilisé à bien meilleur escient. La Chambre de première

 28   instance, et je parle bien de tous les Juges, n'est pas contre le fait que

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  1   vous présentiez votre cause autant que vous le vouliez. Mais nous

  2   considérons vraiment que vous pourriez vous y prendre autrement. On n'est

  3   pas là pour écouter une leçon d'histoire. Ceci est parfaitement contre-

  4   productif et ne vous sert pas à grand-chose.

  5   Je vous remercie.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Attendez. Les Juges se sont exprimés, et je dois

  7   aussi m'exprimer. Et là, je serai sur un positionnement différent que je me

  8   dois d'expliciter afin qu'il n'y ait pas d'incompréhension.

  9   Dans l'acte d'accusation qui est reproché à l'accusé, il y a deux chefs de

 10   responsabilité tirés de l'article 7(1), et 7(3) du Statut. Comme tout le

 11   monde le sait, l'article 7(1) vise principalement à imputer une

 12   responsabilité à un individu qui aurait ordonné, commis, et on rentre

 13   évidemment dans la théorie de l'entreprise criminelle commune des crimes.

 14   L'article 7(3), lui, concerne plus précisément la responsabilité du

 15   supérieur hiérarchique qui n'aurait pas fait le nécessaire pour éviter les

 16   crimes. L'accusé Praljak doit donc répondre de ces deux chefs de

 17   responsabilité.

 18   Si je comprends bien la théorie de la Défense, mais qui vaut d'ailleurs

 19   pour tous les accusés, il y a au niveau de la Défense une contestation de

 20   la responsabilité au titre du 7(1), et notamment au titre de l'entreprise

 21   criminelle commune. La Défense conteste l'existence même d'une entreprise

 22   criminelle commune quelconque. Si j'ai bien compris de la part de la

 23   Défense, il y a donc des crimes qui ont été commis, ce que ne semble pas

 24   contester le général Praljak dans certains cas, mais que si ces crimes ont

 25   été commis, c'est pour d'autres raisons que celles tirées de l'entreprise

 26   criminelle commune.

 27   Ce seraient des crimes qui auraient été commis soit pour se venger de

 28   ce qui a pu se passer antérieurement dans l'histoire, d'où ce document

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  1   établi par M. Tomislav Djonlic, qui permettrait de comprendre les

  2   mécanismes au niveau du mens rea des auteurs des crimes, soit les crimes

  3   commis n'auraient rien à voir avec l'histoire, mais pourraient, comme dans

  4   Stupni Do, être le fait de soldats qui voulaient se venger de la mort de

  5   leurs camarades tués quelques jours, quelques semaines auparavant. Voilà.

  6   En quelques instants, j'ai résumé la position des uns et des autres.

  7   En tant que Juge pénaliste qui ai derrière moi des décennies de

  8   procès pénaux, une infraction doit être caractérisée par l'actus reus et le

  9   mens rea. Donc, le Juge pénal doit au niveau du mens rea rechercher si

 10   l'accusé avait l'intention de commettre des crimes et caractériser cette

 11   intention. Tout le débat est là. Voilà ce que je tenais à dire sur cette

 12   question qui est très importante, puisqu'on est, nous en tant que Juges, à

 13   la frontière de la théorie du Procureur étayée dans son acte d'accusation

 14   et de la théorie de la Défense étayée par tout ce qui a été dit, par tous

 15   les éléments de preuve et par les documents qu'on nous met sous les yeux.

 16   En tant que Juge impartial ne prenant partie ni pour la théorie de

 17   l'un ni pour la théorie de l'autre, je me dois en tant que Juge pénaliste

 18   d'examiner à la loupe ce que la Défense me présente, et je ne peux pas en

 19   mon âme et conscience écarter d'un revers de main des éléments qui me sont

 20   présentés. Je peux le faire quand j'estime que ça n'a aucune pertinence et

 21   qu'on perd son temps, mais je ne peux pas quand il y a des documents tels

 22   que j'ai, le document sous les yeux, dire que ceci n'a aucun intérêt.

 23   Voilà ce que je tenais à dire pour que ça soit au transcript.

 24   Il est 6 heures moins quart. Nous allons faire la pause, mais je donne la

 25   parole à mon collègue.

 26   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Oui, excusez-moi. Ce que le

 27   Président vient de dire pourrait être mal compris, comme si ça voulait dire

 28   que les autres Juges de la Chambre sont d'un avis différent ou manquent

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  1   d'impartialité ou n'ont pas d'expérience en droit pénal. Ce n'est sûrement

  2   pas le cas. Moi, je ne vois aucun inconvénient à cette démarche. Je suis

  3   tout à fait d'accord. C'est simplement que nous avons peut-être des

  4   différences d'opinion quant à la pertinence de ce qui nous est soumis ici,

  5   c'est-à-dire qu'il y a une distance entre le fait historique dont on

  6   discute et l'acte d'accusation. Et c'est là peut-être, s'agissant de cette

  7   distance, qu'il n'y a pas nécessairement conformité ou coïncidence de

  8   points de vue, mais sur le principe, il n'y a aucune différence quant à

  9   notre démarche.

 10   M. KARNAVAS : [interprétation] En quelques mots, pour bien enfoncer le

 11   clou, à Kalabrita, pratiquement tous les habitants de la ville avaient été

 12   tués par les Nazis qui se sont vengés de ceux qui avaient attaqué les Nazis

 13   à l'époque. Si vous alliez dans cet endroit aujourd'hui, je peux vous le

 14   garantir, l'incident est toujours aussi vif que le jour où il s'est passé.

 15   S'il y avait une autre guerre, si des soldats allemands se retrouvaient sur

 16   ce sol, je peux vous le dire, ceux qui ont survécu, c'est eux qui sont les

 17   enfants des gens qui ont connu ça. Ils ne ménageraient pas leurs efforts

 18   pour se venger. Je ne dis pas que c'est justifié. Je dis simplement qu'ici,

 19   on est en face de certains faits historiques qui sont très bruts, très vifs

 20   et à fleur de peau. On vit dans un monde très sophistiqué, peut-être que

 21   tout le monde ne pense pas comme nous, malheureusement. C'est simplement ce

 22   que je voulais dire.

 23   Merci beaucoup de votre compréhension, Messieurs les Juges.

 24   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Tout ce que j'ai dit, je ne l'aurais

 25   pas dit si on avait parlé de crimes commis par des Musulmans sur les

 26   Croates. Mais ici, on parle de crimes commis par des Serbes. C'est ça que

 27   je trouve, c'est un peu éloigné, pour vous montrer la différence, comme je

 28   la vois.

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Il est 6 heures moins dix, 6 heures moins le

  2   quart, en fait, 6 heures moins dix. Nous allons faire 20 minutes de pause,

  3   et nous reprendrons avec les questions de Me Kovacic.

  4   --- L'audience est suspendue à 17 heures 48.

  5   --- L'audience est reprise à 18 heures 11.

  6    M. LE JUGE ANTONETTI : L'audience est reprise.

  7   Maître Kovacic, pour éviter des problèmes, je crois qu'il y a un

  8   problème qui est lié à la technique des questions, je pense que tous les

  9   Juges aimeraient connaître quel est le but de présenter un document. Donc

 10   dans le cas d'espèce, si vous aviez procédé de la manière suivante, je

 11   pense qu'on aurait évité tout problème. Vous auriez pu demander à M.

 12   Praljak : est-ce vous qui avez demandé à cet historien de faire ce travail

 13   ? Il aurait répondu oui. Vous lui auriez demandé mais pour quelle raison

 14   avez-vous voulu qu'il fasse un travail historique. M. Praljak aurait

 15   répondu, parce que je veux démontrer que le passé historique a pu avoir une

 16   influence sur certains soldats lors de certaines opérations. Et à ce

 17   moment-là, vous lui auriez dit, est-ce que vous avez des exemples à citer ?

 18   Lui, il aurait peut-être cité des exemples, et cetera. Alors vous auriez pu

 19   enchaîner en lui disant, pourquoi vous voulez mettre en évidence la

 20   question du passé historique ? Et là, il aurait dit que c'est pour montrer

 21   le rôle de la vengeance parfois. Et alors vous lui auriez dit, mais

 22   pourquoi la vengeance ? Parce que là, à ce moment-là, il aurait dit, c'est

 23   pour dire que ce n'est pas dans le cadre d'une entreprise criminelle

 24   commune que certains ont commis des crimes, mais dans un autre cadre.

 25   Et à ce moment-là, vous aurez embrayé en lui disant, mais est-ce que

 26   vous avez des exemples, et cetera. Comme ça, les Juges auraient compris.

 27   Sinon, c'est vrai que quand on voit ce document qui est très important avec

 28   des tas de références d'articles, la première réaction qu'on peut avoir : à

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  1   quoi ça sert ? D'autant que tous les sujets quasiment on les a déjà évoqués

  2   et on en a déjà parlé.

  3   Essayez de réfléchir de quelle manière vous pouvez nous aider pour

  4   nous faire comprendre ce que vous voulez démontrer. Et comme ça, tout le

  5   monde comprendra. Et comme l'ont dit mes deux collègues, nous, tout ce que

  6   nous demandons, c'est de comprendre, d'avoir un maximum d'éléments pour

  7   nous permettre de saisir le problème et pour délibérer après sereinement.

  8   De ce point de vue, il n'y a aucune divergence entre les Juges qui tous à

  9   leur niveau, les quatre Juges oeuvrent pour la manifestation de la vérité.

 10   M. KOVACIC : [interprétation] Merci, Monsieur le Président. J'accepte

 11   entièrement vos instructions.

 12   Vous savez qu'une partie du problème c'est le temps, et M. Praljak

 13   sait comment les témoins ont témoigné, quelles sont les choses dont ils ont

 14   discuté, et j'ai estimé qu'en posant des questions directes, sans couper

 15   par outre mesure, que je pourrais gagner du temps. Or, je n'y arrive pas,

 16   c'est évident, et il y a des débats qui en découlent par la suite. Donc je

 17   vais m'efforcer de le faire. Allons de l'avant.

 18   Q.  Mon Général, afin d'établir un lien entre la théorie et le comportement

 19   pratique sur le terrain, pourriez-vous nous dire si vous vous souvenez d'un

 20   exemple ou d'une situation où vous jugeriez que vous avez entravé la

 21   perpétration d'un crime, et ce, notamment grâce à vos connaissances, à

 22   votre éducation en matière d'histoire et en sociologie ? Donc vous auriez

 23   peut-être pu anticiper une situation de perpétration d'un crime et vous

 24   auriez envisagé certaines séquelles, raison pour laquelle vous avez été à

 25   même d'empêcher la chose. Vous souvenez vous d'une situation de ce genre ?

 26   R.  Oui. Messieurs les Juges, d'abord je voudrais vous dire que la plupart

 27   des renseignements figurants dans le livre rédigé par Djonlic en

 28   concertation avec moi - il a accompli une bonne partie des tâches

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  1   techniques notamment - jamais jusqu'à la chute du communisme il n'y a eu

  2   présentation publique de la chose en Yougoslavie. C'était des données

  3   plutôt secrètes.

  4   Jamais en Yougoslavie on osait parler ni de Blajburg, ni --

  5   M. STRINGER : [interprétation] Excusez-moi. Nous faisons objection, le

  6   témoin ne répond pas à la question qui lui a été posé.

  7   M. KOVACIC : [interprétation] Je pense que le général Praljak a le droit de

  8   faire une phrase ou deux en guise d'introduction. Il cherche à placer les

  9   choses dans le contexte, et il me semble que l'intervention de mon confrère

 10   est prématurée.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, je voulais faire une brève introduction.

 12   J'affirme qu'il est normal, par exemple, le Général Petkovic ou Nika, elle

 13   a entendu parler de Blajburg en 1990. C'était un sujet tabou. On ne devait

 14   pas en parler. On ne devait pas le faire savoir, on ne devait pas dire

 15   combien de personnes à l'étranger ont été tuées par les services secrets

 16   yougoslaves.

 17   Et en 1992, par exemple, il y a un évènement où je me trouvais être

 18   commandant en Herzégovine du sud-ouest et où nous étions censés nous

 19   emparer de la caserne à Capljina, la caserne de la JNA à Capljina. La

 20   Bosnie-Herzégovine se trouvait déjà être reconnue comme Etat, et l'armée

 21   populaire yougoslave était une puissance armée étrangère dans ce pays-là.

 22   Il y avait des combats en cours et nous avons eu dans une seule unité

 23   quatre morts et 17 blessés.

 24   A un moment donné, j'étais à ce moment-là en train de négocier avec le

 25   général Perisic, je vais sauter tout cela, mais à un moment donné, lui,

 26   avec toutes les armes qu'il avait, il avait pilonné Capljina et les sites

 27   autour de la caserne, et il y a eu une attaque, un assaut à l'hélicoptère

 28   et il a fait sortir beaucoup de gens de cette caserne. Mais il est resté

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  1   quand même 30 soldats de la JNA à l'intérieur de la caserne. A un moment

  2   donné, je ne veux pas vous donner la date, mais ces gens-là se sont rendus

  3   au matin.

  4   Et là je voudrais qu'on passe à huis clos partiel parce que je me

  5   propose de citer des noms.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, huis clos.

  7    M. LE GREFFIER : [interprétation] Nous sommes à huis clos partiel,

  8   Monsieur le Président.

  9   [Audience à huis clos partiel]

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  6   [Audience publique]

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Alors c'était des gens qui, ayant travaillé en

  8   Allemagne, s'étaient fait de l'argent.

  9   M. LE GREFFIER : [interprétation] Désolé, Monsieur le Président. Nous

 10   sommes de nouveau en audience publique. Merci.

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Alors je disais, ces gens avaient acheté un

 12   autocar qui coûtait 200 à 250 000 marks allemands, et ils transportaient

 13   les gens travaillant à l'étranger jusqu'à Duvno, Livno, Siroki Brijeg et

 14   que sais-je. Alors je n'ai pas de loi qui me permettrait de confisquer cet

 15   autobus. Je ne pouvais pas le lui saisir. Je peux le prier. Il pourrait

 16   être bombardé et il risquerait de perdre son autocar, je ne peux lui

 17   garantir rien du tout. Et c'était son pétrole en plus, son diesel. Et donc

 18   quand je m'attendais à une réponse, il y avait ces deux jeunes gaillards

 19   qui étaient haineux et qui voulaient tuer tout le monde.

 20   Alors, comment les stopper ? Il n'y avait pas d'autre moyen que de vous le

 21   montrer. Il faut que je sois plus bestial qu'eux. Donc je m'étais dit que

 22   s'ils se lançaient, il faut que je tue le premier, il faut que j'aie des

 23   flammes dans mes yeux. Ce n'est pas un entretien d'homme civilisé à homme

 24   civilisé.

 25   Et il y en avait un qui s'est pointé, j'ai sorti mon pistolet et je lui ai

 26   mis le canon dans la bouche. J'avais les yeux écarquillés et j'étais prêt à

 27   tirer. Bien sûr, devant toute cette passion, et si vous voulez, je peux

 28   vous le montrer, vous allez avoir le sang glacé, vous allez voir qu'il faut

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  1   que vous ayez l'aspect d'une bête sauvage. Et quand ils ont vu ça, ils se

  2   sont arrêtés. Et je les ai mis de côté, je les ai écartés.

  3   J'ai fait monter les gens à bord de l'autobus. Bien sûr, la première des

  4   choses à faire, étant donné qu'il y avait au fil de toute l'histoire plein

  5   d'antagonismes, je les ai fait passer en Croatie, et je les ai fait emmener

  6   à Metkovic, et c'est ainsi que je les ai sauvés.

  7   Alors si je m'étais comporté de façon strictement militaire, il y avait des

  8   prisonniers, il y avait des jeunes gars qui représentaient la police

  9   militaire, moi, j'étais général, j'avais donné des ordres et je pouvais

 10   aller vaquer à mes affaires, donc ces gens-là ou une bonne partie de ces

 11   gens-là auraient été tués.

 12   Je vais vous donner d'autres exemples ultérieurement, mais du fait de

 13   connaître les faits historiques et du fait d'avoir étudié la psychologie

 14   sociale pendant deux semestres, ça m'a permis d'anticiper de façon autre

 15   les choses.

 16   Vous allez pouvoir entendre les témoignages de ces gens-là, et les

 17   noms que je vous ai évoqués, je vais vous dire comment ça s'est passé. Il y

 18   en a un qui me dit, que vais-je faire ? Alors je lui dis, écoute, mon cher,

 19   soit a, je te fais passer de l'autre côté vers les Serbes, ou alors b, tu

 20   vas en Croatie, ou c, tu vas vers des pays tiers, ou alors, rejoins les

 21   rangs du HVO. C'est les tiens. Tu vis là, dans cette région. Il est parti

 22   au HVO, il est devenu capitaine et il a spécialisé par la suite avec un

 23   coup de main de ma part. Il vit, il travaille et il a des enfants. C'est la

 24   raison pour laquelle j'ai voulu intervenir de la sorte.

 25   J'affirme que si ces jeunes gars qui s'appelaient la police militaire

 26   avaient pris les choses en main, ils n'auraient pas eu la force de

 27   s'opposer, parce que la volonté, le désir ardent de ces vengeurs était plus

 28   fort que leur volonté de s'y opposer. Et moi, je m'y suis opposé et je vais

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  1   vous donner des dizaines d'exemples de ce type. C'est ce type de guerre que

  2   nous avons eu là-bas, et c'est la tentative que j'ai effectuée. Et je ne

  3   veux pas par là, Messieurs les Juges, vous jouer du tra-la-la.

  4   Il faut qu'on comprenne bien les choses. Voilà, c'est le récit.

  5   Mais si voulez voir quel est l'aspect de l'homme qui doit s'opposer avec la

  6   volonté d'autrui de tuer, je vais vous le montrer, et vous allez voir que

  7   ça n'a rien à voir avec le comportement d'un homme civilisé. Il faut que

  8   vous soyez une bête féroce, et encore, c'est peu dire. Voilà comment les

  9   choses doivent être surmontées et je l'ai fait de la sorte.

 10   Q.  Je vous remercie de ce descriptif, je crois que la démonstration est

 11   claire. Mais une question se pose à moi. S'agissant de l'incident que vous

 12   venez de nous décrire avec le détail dramaturgique nécessaire, vos

 13   connaissances en matière de théâtre et de la nature humaine vous ont-elles

 14   aidé aussi ?

 15   R.  Oui, bien sûr. J'aurais pu être moins en colère et que ça paraisse plus

 16   dangereux encore, mais peu importe. Il faut que vous vous placiez dans une

 17   situation où vous vous diriez que vous êtes capable de tuer pour empêcher

 18   que cet homme ne tue d'autres personnes. Et là, vous vous dites que vous

 19   allez peut-être, vous allez probablement vous arrêter au dernier

 20   millimètre, mais ce n'est pas sûr, parce que c'est un moment de rupture où

 21   vous n'êtes pas tout à fait certain du fait de savoir si l'instinct va

 22   maîtriser l'esprit ou l'esprit va maîtriser l'instinct, ou alors vous allez

 23   le faire vous n'allez pas le faire. Autre chose qui se poserait comme

 24   question, et les Juges vont peut-être me poser la question aussi, qu'ai-je

 25   fait de ces deux gaillards ? Rien -- oui, je vais ralentir. Je n'ai pas le

 26   temps de m'occuper d'eux, j'aurai été chargé de les désarmer. Mais voyez-

 27   vous j'ai remporté une victoire, si je m'étais aventuré à les désarmer, je

 28   ne savais pas d'où ils venaient, ce n'étaient pas des gens de là-bas. Je ne

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  1   suis pas sûr que la victoire était complète, ils auraient pu peut-être

  2   refuser de rendre leurs armes, et si là, là peut-être j'aurais dû tirer et

  3   j'aurais perdu l'avantage que je me suis fait dans cette espèce de

  4   règlement de compte avec la haine dont ils faisaient preuve.

  5   J'ai remporté une victoire à ce moment-là. J'ai quand même gardé 30

  6   personnes vivantes. J'ai trouvé un autobus et ce n'était pas facile, j'ai

  7   quand même réussi à faire sortir ces gens à l'extérieur d'un territoire où

  8   ils pouvaient périr.

  9   Bien sûr, oui, en vouloir plus, oui, peut-être aurais-je pu les

 10   capturer, les désarmer, les traduire devant la justice, mais ce n'était pas

 11   possible à ce moment-là.

 12   Q.  Merci. Pour changer maintenant de sujet.

 13   Au cours des deux ou trois derniers jours, Général Praljak, vous avez dit à

 14   plusieurs reprises, directement ou de façon implicite, que dans toutes les

 15   parties de la Bosnie-Herzégovine -- à partir de toutes les parties de la

 16   Bosnie-Herzégovine sont menées des opérations d'agression dirigées contre

 17   la Croatie. Nous allons nous reporter à des ouvrages d'auteurs qui ont

 18   participé justement de l'autre côté pour voir ce qu'était leur propre plan,

 19   ce qu'eux-mêmes ont déclaré.

 20   Pouvez-vous vous reporter à la pièce 3D 02654, c'est une pièce séparée et

 21   il y a là des pages qui sont -- 3D 03541, donc les numéros de ces pièces

 22   sont 3D 02654 et 3D 03541. L'auteur est Nebojsa Jovanovic. Le titre est

 23   "Avançons vers Zagreb." Il s'agit des réservistes serbes et d'un journal en

 24   "Compagnie des réservistes serbes," c'est le sous-titre de l'ouvrage.

 25   J'attire votre attention là-dessus parce que nous avons vu précédemment

 26   comment des attaques étaient menées contre les villes croates.

 27   R.  Je vois que cela a été édité en 2001 ou 2002. L'éditeur, M. Pavicic,

 28   qui est mon ami, s'est adressé à moi. Il m'a demandé si au sein du Club des

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  1   écrivains croates j'étais disposé à présenter l'ouvrage d'un écrivain serbe

  2   qui s'appelle Nebojsa Jovanovic. J'ai répondu pourquoi pas, mais je

  3   souhaite pouvoir lire ce livre. Il me l'a donné à lire, je l'ai lu. Ce

  4   n'est pas une littérature qui présenterait vraiment de l'intérêt, mais

  5   c'est écrit de façon honnête, c'est de la prose de guerre qui nous montre

  6   le déroulement des événements, et Pavisic m'a expliqué qu'il avait

  7   rencontré ce jeune homme à Francfort le 12 octobre 2001, et qu'il était

  8   historien. Ils ont eu une conversation. Pavicic lui a demandé, est-ce que

  9   vous nous avez pilonnés ? Il a répondu oui. Où ça, à Vukovar ? Non, à

 10   Karlovac. Est-ce que vous avez pilonné Zagreb, lui a-t-il demandé, il a

 11   répondu, oui. Y compris le palais présidentiel ? Il a répondu oui,

 12   également. Afin de sauter l'ensemble de cette histoire, il lui a dit à la

 13   fin qu'il n'a pas écrit au sujet du pilonnage du palais présidentiel parce

 14   qu'autrement il n'aurait pas pu publier son ouvrage et que même ainsi il

 15   avait eu des difficultés.

 16   Je me rappelle cette anecdote intéressante, parce que c'est le moment où

 17   Janisa Kostelic a remporté quatre médailles de ski à Salt Lake City, et il

 18   y a eu beaucoup de gens qui se sont rassemblés sur cette place. C'est alors

 19   que Nebojsa Jovanovic et moi étions allés prendre un café à l'époque et je

 20   lui ai répondu c'est à cause de toi, parce que tu es arrivé de Belgrade.

 21   Donc en page 15, il écrit la façon dont les Serbes ont été mobilisés. En

 22   page 16 ou plutôt 17, ce qui est important, c'est que la question de savoir

 23   combien ils étaient, il répond environ 4 300 dans cette brigade

 24   d'infanterie. On demande est-ce que vous partiez en direction de la

 25   Croatie, il répond oui, on se dirige vers la Croatie.

 26   Puis en page 18 il parle de la façon dont ils ont parcouru une

 27   cinquantaine de kilomètres par le chemin, par la route de Sabac, c'est

 28   encore en Serbie, et d'autres parties de la Serbie.

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  1   Puis nous avons la page 26, c'est le 3D 33166, et il a explique qu'un

  2   lieutenant-colonel et un major ont été envoyés d'urgence de Novi Sad,

  3   qu'ils ont découvert que ces deux personnes avaient été présentes au cours

  4   des événements en Slovénie, et que l'un d'eux avait même été blessé à cette

  5   occasion, que tous deux avaient pris part à la guerre en Slovénie.

  6   La page suivante, il dit que c'était avant l'aube, que tous les 

  7   préparatifs en cours avaient été faits pour se mettre en route en direction

  8   de Croatie.

  9   C'est la référence 3D 331867, et il dit que à ce moment-là, ils sont

 10   déjà passés en Bosnie-Herzégovine, ils ont passé la clôture métallique sur

 11   la Drina, ils sont passés en Bosnie-Herzégovine autour de ces montagnes

 12   environnantes qui sont très élevées, et il affirme, nous étions gênants

 13   pour les "bulas" qui est un terme péjoratif pour désigner les Musulmans. Il

 14   fait état ici de cette anecdote où l'un deux fait des clins d'œil à une

 15   femme "bula" et il l'insulte et lui adresse des propos insultants du type

 16   "nique ta mère turque."

 17   Ensuite à la page suivante, page 88, il dit qu'ils ont déjà parcouru

 18   300 kilomètres, qu'ils ont fait le plein d'essence, et que leur colonne

 19   poursuit son chemin et puis ensuite quelqu'un lui dit qu'à Kostajnica il

 20   n'y a plus de danger. Kostajnica c'est une ville en Croatie.

 21   M. STRINGER : [interprétation] Je suis désolé, mais est-ce que nous

 22   sommes sur la pièce 3D 03541 ou la 3D 02654 ?

 23   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Les deux numéros pour les mêmes je

 24   crois dans mon classeur.

 25   M. STRINGER : [interprétation] Parce que moi je travaille à partir de ce

 26   qui est dans le prétoire électronique, dans l'e-court, mais je ne trouve

 27   pas le document dans le système. Le numéro 3541, je ne le trouve nulle

 28   part.

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  1   M. KOVACIC : [hors micro]

  2   M. STRINGER : [interprétation] Ce n'est pas là, je ne le trouve pas.

  3   M. KOVACIC : [interprétation] On a le 3D 03541.

  4   M. STRINGER : [interprétation] Très bien. Pourrais-je avoir le numéro de la

  5   page et le numéro de la pièce, sa cote ? Parce que je ne vois vraiment pas

  6   de quel document on parle.

  7   M. KOVACIC : [interprétation] Je pense que nous avons des copies

  8   supplémentaires en papier, et en anglais qui plus est.

  9   Le général Praljak a commencé à partir de la page de la version

 10   anglaise. Non, nous n'avons pas de document papier, je suis désolé, je me

 11   suis trompé. Nous avons tout envoyé. Si ça peut vous aider le général

 12   Praljak a commencé dans la version anglaise à partir de la pièce 3D 401654.

 13   M. STRINGER : [interprétation] Il n'y a pas de traduction pour cette pièce

 14   qui finit par 3541.

 15   M. KOVACIC : [interprétation] Nous avons tout communiqué. Vendredi ils

 16   avaient la liste. On va vous prêter notre classeur. On a tout communiqué et

 17   tout est dans le système.

 18   M. STRINGER : [interprétation] Il n'y a pas de traduction de la pièce qui

 19   finit par 3541 dans le prétoire électronique.

 20   M. KOVACIC : [interprétation] On peut vous prêter notre classeur. Un grand

 21   nombre de pages ont été communiquées vendredi à l'Accusation.

 22   M. STRINGER : [interprétation] Monsieur le Président, nous travaillons à

 23   partir de l'e-court avec tous ces documents, parce que nous ne voulons pas

 24   être inondé de papier. Si les documents et leur traduction ne sont pas dans

 25   l'e-court, pourtant un critère nécessaire, dans ce cas nous allons soulever

 26   une objection.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Kovacic, 3541 c'est dans l'e-court ou pas, a

 28   priori oui, puisque à l'écran --

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  1   Mme TOMANOVIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je souhaite

  2   simplement dire que c'est il y a cinq minutes à peine que j'ai extrait de

  3   l'e-court la version croate et la version anglaise de chacun des deux

  4   ouvrages. Peut-être que le commis aux affaires du Procureur pourrait porter

  5   assistance à mon estimé confrère pour qu'il retrouve ces mêmes versions. Je

  6   les ai devant moi qui s'affichent.

  7   M. KOVACIC : [interprétation] Messieurs les Juges, je sais que c'est dans

  8   l'e-court parce que mes collaborateurs me l'ont dit et je l'ai vérifié en

  9   personne. Voilà maintenant ça s'affiche à l'écran.

 10   M. STRINGER : [interprétation] On a qu'à poursuivre. Je vais m'enquérir

 11   auprès de ma commise aux affaires. Je ne sais pas si ça a été communiqué ou

 12   pas. En tout cas, on n'a pas la traduction. On voit le document dans sa

 13   version originale mais n'a pas la traduction dans l'e-court. Peut-être que

 14   c'est en train d'être téléchargé. Peut-être que ça mis un petit peu à être

 15   téléchargé. Je ne sais pas si ça va être un problème si ça met autant de

 16   temps.

 17   M. KOVACIC : [interprétation] Mais je le vois là tout de suite. Je le vois

 18   en anglais sur l'e-court. Alors est-ce qu'on travaille avec le même

 19   système, oui ou non ? Cela dit, ce n'est pas grave, on peut vous donner un

 20   classeur. On a un classeur on peut vous le fournir. Ce n'est pas du tout un

 21   problème. Si vous voulez ce document nous serons ravis de vous prêter le

 22   classeur en anglais.

 23   M. STRINGER : [interprétation] Tout à fait. Tout à fait. Parce que vraiment

 24   je ne sais pas ce qui se passe, c'est un problème avec le système. Peut-

 25   être que c'est disponible pour la Défense mais pas encore communiqué à

 26   l'Accusation, je ne sais pas. Mais en tout cas, ce qui est certain c'est

 27   que nous n'avons pas la traduction en anglais dans le système électronique.

 28   M. KOVACIC : [interprétation] Comment ça se fait que le Greffier l'ait ? On

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  1   travaille tous avec le même système pourtant.

  2   M. LE GREFFIER : [interprétation] Je tiens à dire pour le compte rendu que

  3   je n'ai que la version originale de la pièce 3D 3541. Je n'ai pas de

  4   traduction.

  5   M. KOVACIC : [interprétation] Mais nous on l'a, on voit la page en anglais

  6   dans notre système à nous.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Kovacic, pour des questions techniques il

  8   faut nous indiquer précisément le numéro de la page de la traduction du

  9   livre, pour que nous puissions l'intégrer si c'est nécessaire dans le

 10   jugement. Deuxièmement, il y a également un autre problème de date. Ce

 11   soldat serbe, Monsieur Praljak, il parle de quelle époque, 1992, 1993 ?

 12   Quelle époque ?

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est l'automne 1991, Monsieur le Président.

 14   M. KOVACIC : [interprétation] On voit dans le texte.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Automne 1991. Bien.

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est l'automne 1991. Page 46 en croate,

 17   3D 331870. Il dit, à Prijedor j'enlève ma chemise, et il m'arrose jusqu'à

 18   la ceinture. C'est lui qui pose la question, il explique à Hasan, celui est

 19   à côté du camion. Je tiens uniquement à dire qu'ils sont près de Prijedor

 20   en Bosnie-Herzégovine, et que c'est auprès de Hasan qu'il se lave. Ce n'est

 21   pas une situation de guerre en Bosnie-Herzégovine du tout.

 22   M. KOVACIC : [interprétation]

 23   Q.  Un instant, s'il vous plaît, Général Praljak. Page anglaise 3D

 24   401657. C'est la page que je signale pour la traduction.

 25   [Le conseil de la Défense se concerte] 

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Maître Kovacic, on a un document d'un soldat

 27   serbe qui raconte ce qu'il a fait. Bon, très bien. Maintenant posez la

 28   question à M. Praljak pour mettre en évidence ce que vous voulez démontrer,

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  1   parce que là pour le moment je ne vois pas du tout où vous voulez aller.

  2   J'ai écouté avec attention tout ce qui a été dit mais moi ce qui m'importe

  3   c'est quelle démonstration vous voulez faire.

  4   M. KOVACIC : [interprétation] Précisément j'allais y venir. Le général

  5   Praljak voulait simplement parcourir en diagonale le texte pour qu'on

  6   puisse nous tirer nos conclusions.

  7   Q.  Général Praljak, vous venez de nous donner lecture de quelques

  8   paragraphes intéressants, mais quel est le message que nous envoient ces

  9   récits ? Qu'est-ce que vous en avez conclu ?

 10   R.  Que la JNA non seulement par ses forces agissantes mais également de

 11   par la mobilisation en Serbie transporte ses hommes en passant par la

 12   Bosnie-Herzégovine sans aucun problème, sans aucune résistance, aucune

 13   entrave, et les emmène en Croatie près de Karlovac dans la Banja pour

 14   qu'ils combattent près de Gornji Vidusevac qui se situe tout près de Sunja.

 15   Peut-être que cet homme se trouvait être mon adversaire là-bas également.

 16   Je tiens à illustrer mon propos. Premièrement il s'agit d'une guerre

 17   des Serbes contre les autres; et deuxièmement, la Bosnie-Herzégovine à

 18   l'époque s'était déjà dotée de son Parlement, avait son président de la

 19   présidence, et cetera, tout simplement n'a pas bougé du petit doigt pour

 20   empêcher l'agression contre la République de Croatie, agression menée

 21   depuis son territoire.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, ce que vous dites nous le savons. Enfin, nous

 23   le savons parce que ça déjà été dit, à savoir qu'Izetbegovic avait dit ceci

 24   n'est pas notre guerre. Très bien. Mais à l'automne 1991, sur le plan de

 25   l'Etat, l'Etat reconnu par la communauté internationale à l'époque c'est la

 26   Yougoslavie. Est-ce que vous êtes d'accord ou pas ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Exact.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : C'est donc la Yougoslavie. D'après vous, est-ce que

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  1   l'appareil de l'Etat yougoslave en 1991 avait le droit de déplacer ses

  2   troupes au travers des républiques ? Pour vous faire comprendre, prenons le

  3   cas des Etats-Unis, est-ce que le président des Etats-Unis a le droit de

  4   faire déplacer ses troupes à travers tous les Etats des Etats-Unis ?

  5   LE TÉMOIN : [interprétation] Le président américain, Monsieur le Président,

  6   a ce droit tout à fait. Mais le président américain ne peut pas déployer

  7   ses troupes pour attaquer la Pennsylvanie. Là, la Croatie venait de

  8   déclarer sa souveraineté, elle l'a déjà fait, et c'est l'expression de la

  9   volonté du peuple, et la Bosnie-Herzégovine l'a fait.

 10   La reconnaissance internationale, quant à elle, ce n'est pas une

 11   reconnaissance céleste. La Bosnie-Herzégovine avait son Parlement, à ce

 12   moment-là, avait son caractère d'étaticité, avait son gouvernement et donc

 13   du moins formellement, par la voie des déclarations, pouvait résister à ce

 14   que des forces la traversent qui vont attaquer un autre Etat. Donc la

 15   Croatie est un Etat de par la volonté de son peuple, et puis en fin de

 16   compte, tout autre Etat peut choisir s'il veut la reconnaître ou pas. 

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Praljak, ce que vous dites est intéressant.

 18   Je ne vais pas citer des cas actuels pour ne pas donner lieu à une

 19   quelconque polémique. Mais prenons aujourd'hui un Etat X et une partie de

 20   cet Etat X, il y aurait un territoire Y qui fait partie de l'Etat X qui se

 21   déclare indépendant, parce qu'ils réunissent les politiques du coin et ils

 22   s'autoproclament indépendants. D'après vous, est-ce que l'Etat X serait en

 23   droit d'intervenir pour faire respecter l'Etat X en envoyant des troupes

 24   contre ceux qui se sont autoproclamés indépendants ?

 25   Je pourrais citer des cas précis, mais je préfère ne pas le faire. Je

 26   reste sur des hypothèses X, Y.

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Il peut le faire, Monsieur le Président,

 28   l'Etat peut le faire sur son territoire, mais la Yougoslavie c'est un Etat

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  1   fédéral qui se compose d'Etats constitutifs, et d'après la constitution,

  2   ils ont droit à l'étaticité, et aussi ils peuvent choisir d'exercer leurs

  3   droits, allant de l'autodétermination jusqu'à la sécession. Et on ne peut

  4   pas contester la jouissance de ce droit. Donc nous sommes entrés dans cette

  5   Yougoslavie avec certaines conditions. Les partisans sont rentrés dans la

  6   Yougoslavie suite aux décisions de l'AVNOH et du ZAVNOH. Donc ils ont

  7   déclaré, voilà, nous allons créer cet Etat, nous allons jouir de notre

  8   droit, et avec le temps, ce droit s'est un petit peu effacé. Mais après de

  9   grandes révoltes, on l'a fait revivre le droit des peuples à choisir

 10   l'autodétermination jusqu'à la sécession. Dans les années '70, il y a eu

 11   beaucoup de contestations. La Macédoine, la Slovénie, la Croatie, la

 12   Bosnie-Herzégovine, sont les Etats qui ne l'ont pas contesté. Seule la

 13   Serbie a contesté ce droit.

 14   Donc au moment où on attaque ces Etats, pour des raisons que je peux

 15   expliquer, parce que Alija Izetbegovic s'est dit qu'il allait se maintenir.

 16   Je ne veux pas dire de mal de lui, ce sont des appréciations politiques, je

 17   ne juge pas. Il savait quelle était leur puissance, il était très

 18   impressionné par ça. Il avait peur pour son peuple, mais le fait est que

 19   ceux qui sont attaqués depuis son territoire le perçoivent différemment. Et

 20   en fin de compte ils disent, mais pourquoi vous n'avez pas résisté,

 21   pourquoi vous ne vous êtes pas opposés ? Vous avez vu que les citoyens de

 22   Zagreb se sont opposés. Vous verrez, il y a eu un mort et je suis dans la

 23   foule.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Pour résumer ce que vous dites, pour que je

 25   comprenne bien et vous direz si j'ai bien compris ou pas.

 26   Vous dites que la JNA n'avait pas le droit d'aller en Croatie en traversant

 27   la Bosnie-Herzégovine parce que la constitution fédérale et la constitution

 28   des Etats permettaient à une République comme celle de la Croatie de

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  1   s'autoproclamer, et que donc ça a empêché le pouvoir fédéral, via la JNA,

  2   d'intervenir en Croatie. Est-ce que j'ai bien résumé ce que vous venez de

  3   dire ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Exact. L'armée populaire yougoslave n'aurait

  5   dû attaquer ni la Slovénie, ni la Croatie après la proclamation de leur

  6   indépendance en tant qu'expression de leur peuple. Ce sont des unités

  7   constitutives de la Yougoslavie qui ont fait part de leur souhait de se

  8   séparer de la fédération. La JNA aurait pu y rester, comme l'armée russe

  9   est restée en Allemagne de l'est pendant des années, elle était rémunérée,

 10   ce n'était pas un problème qu'un tel nombre d'hommes restent sur place, les

 11   officiers, et cetera. Mais pas l'agression. L'agression, c'est la volonté

 12   exclusive d'étendre la Serbie jusqu'à Virovitica, et cetera. C'est un autre

 13   plan. Et d'après tout ce que j'en sais, ce n'est pas autorisé, ce n'est pas

 14   permis.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : Sur des sujets compliqués, on peut faire court en

 16   faisant un effort de synthèse.

 17   M. LE JUGE TRECHSEL : [interprétation] Je suis désolé, je dois dire que je

 18   suis assez surpris d'entendre que la fédération dans sa constitution a une

 19   clause qui permet à chaque Etat constitutif de faire sécession s'il en a

 20   envie ou de son propre gré. Je ne pose pas cette question au témoin qui

 21   n'est pas juriste, mais je pense qu'il serait quand même très utile pour la

 22   Chambre si à un moment ou à un autre ces textes étaient étudiés et

 23   présentés et avec leur interprétation habituelle aussi. Ça serait très

 24   certainement utile.

 25   Une suggestion pour l'avenir, mais je pense que ça nous serait utile, parce

 26   que je suis très surpris par cela, mais je pense que ce n'est pas le bon

 27   moment pour en parler.

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Du temps du communisme, il y avait un principe

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  1   qui n'a jamais été violé, le principe de Lénine, le droit du peuple à

  2   l'indépendance jusqu'à la sécession. C'est Lénine qui l'a proclamé le

  3   premier, bien sûr. Ils ont pensé que jamais ça n'allait se réaliser, que

  4   leur système allait être éternel, mais jamais personne n'a osé nier ce

  5   principe fondamental du marxisme-léninisme, le droit du peuple à

  6   l'autodétermination allant jusqu'à la sécession.

  7   Donc les communistes ont pensé qu'à l'infini, que jamais ils n'ont résolu

  8   le problème national en Yougoslavie, et c'est la raison pour laquelle ils

  9   n'ont jamais cherché à modifier ce principe, ce principe depuis le début du

 10   communisme jusqu'à la fin.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : L'interrogation de mon collègue est importante parce

 12   qu'il veut savoir, et moi aussi et je pense que le Juge Prandler et le Juge

 13   Mindua c'est pareil, nous voudrions savoir si dans la constitution

 14   fédérative, ce droit est inclus. Parce que là vous parlez de principe

 15   léniniste. Très bien. Mais nous, ce que nous voulons savoir, est-ce que ce

 16   droit de l'autodétermination est inscrit dans la constitution fédérative ?

 17   M. LE JUGE PRANDLER : [interprétation] J'aimerais ajouter une chose. Il y a

 18   très longtemps, il y a 30 ans, j'ai étudié la constitution de la République

 19   fédérative de Yougoslavie, la constitution de 1974, et je dois dire que je

 20   suis d'accord avec M. Praljak. Le droit à l'autodétermination, jusqu'à la

 21   sécession d'ailleurs, est inclus dans la constitution, sous réserve, bien

 22   sûr, de certaines procédures et de certaines règles. Mais c'est inscrit

 23   dans la constitution. Donc je suis tout à fait d'accord avec ce que dit M.

 24   Praljak. Je vous remercie.

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors on va arrêter parce que c'est quasiment 19

 26   heures. Vous savez qu'hier on a déjà joué les prolongations. Demain, on ne

 27   jouera pas les prolongations.

 28    Je remercie le Juge Prandler de nous avoir apporté ce complément comme

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  1   quoi ce droit est dans la constitution de la République fédérative.

  2   Comme vous le savez, nous nous retrouverons donc demain à 14 heures 15. Je

  3   souhaite à tout le monde une bonne fin de soirée, à moins que Me Kovacic --

  4   M. KOVACIC : [interprétation] J'ai une question technique suite à ces

  5   objections.

  6   Nous venons de vérifier cela, nous l'avons à l'écran, une copie de

  7   l'ensemble de la liste envoyée au Procureur, les numéros de pages. C'était

  8   le 1er mai qu'on l'a envoyée. Je ne souhaite pas qu'on nous reproche

  9   quoi que ce soit quand on nous étiquette comme quoi on ne fait pas notre

 10   travail. On a envoyé cela, 3D jusqu'à 02654. Je n'accepte pas qu'on me

 11   reproche des erreurs qui n'ont pas eu lieu. Lorsque ça se produit, je dis

 12   mea culpa, mea maxima culpa, mais là, ça n'a pas eu lieu, pas d'erreur.

 13   M. STRINGER : [interprétation] Les listes nous ont été envoyées de façon

 14   très efficace par le conseil, nous sommes reconnaissants d'ailleurs, mais

 15   le Règlement prévoie que les pièces qu'ils vont présenter au témoin soient

 16   dans le système électronique dans sa version originale et la traduction en

 17   langue anglaise. Je peux le confirmer. Je peux le confirmer.

 18   Monsieur le Président,  il y a peut-être des problèmes techniques ou des

 19   caractéristiques techniques qu'on ne connaît pas à propos du système

 20   électronique, mais le greffier non plus n'arrive pas à voir la version en

 21   anglais. Je n'invente rien et je connais quand même assez bien le système

 22   e-court. Je le connais plutôt bien. Je le connais tellement bien qu'avec ce

 23   témoin, sachant que vous allez employer des centaines de documents, nous

 24   avons décidé de ne pas gâcher d'argent ou de temps pour avoir des copies

 25   papier. Je ne travaille qu'avec le système électronique en ce qui concerne

 26   les choses qui concernent les documents présentés par le biais de ce

 27   témoin. Donc nous sommes censés être un Tribunal sans papier, j'essaie de

 28   le faire. Donc les traductions doivent être dans e-court --

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous dites on est censé être un Tribunal sans

  2   papier, je m'inscris en faux. Je m'inscris en faux. Moi, je ne travaille

  3   qu'avec du papier, les papiers du bureau du Procureur et les papiers de la

  4   Défense. Je ne travaillerai jamais avec le système e-court parce que ce

  5   n'est pas facile pour regarder un document dans tous ces aspects, c'est un

  6   handicap. Voilà. Et donc la règle que vous imposez n'existe pas, sauf dans

  7   votre esprit.

  8   M. STRINGER : [interprétation] Bien, je suis tout à fait d'accord avec

  9   vous. J'ai parlé trop rapidement. Moi aussi j'ai du mal à me passer de

 10   papier. Mais nous, nous faisons des copies papier des documents que nous

 11   allons utiliser.

 12   Et pour le compte rendu je tiens à dire que - et c'est surtout pour

 13   M. Kovacic que je fais référence ici à la pièce qui est la 3D 03541 - c'est

 14   celle-là qu'on ne trouve pas. On ne trouve la traduction en anglais, on ne

 15   sait pas où elle est. Alors peut-être qu'il pense que je parle de l'autre

 16   document, mais ce n'est pas vrai. Il n'a qu'à venir me voir après la séance

 17   d'aujourd'hui et nous lui montrerons à quoi ressemble notre écran. Il ne me

 18   croit pas, il peut regarder.

 19   Mais je soulève cela à nouveau parce que ça arrive très souvent,

 20   enfin c'est arrivé souvent et je ne voudrais pas qu'il y ait un problème

 21   technique qui nous empêche de voir la traduction.

 22   Mme PINTER : [interprétation] Messieurs les Juges, je voudrais que la

 23   réponse soit faite dans le prétoire afin que vous aussi vous entendiez de

 24   quoi il s'agit.

 25   Le 1er mai, notre commise aux affaires a envoyé la liste des

 26   documents, et sur cette liste il est écrit 3D 02654, 3D 03541, et en plus

 27   extrait de l'ouvrage, "Prenons Zagreb", de l'auteur Nebojsa Jovanovic, et

 28   on cite les pages de l'original, commentaires. La traduction anglaise est

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  1   jointe au 3D 02654. Alors est-il seulement possible d'indiquer plus

  2   clairement et de façon plus exhaustive le fait que le document et la

  3   traduction ont été fournis et qu'il s'agit ici d'un malentendu dans lequel

  4   le Procureur s'est retrouvé. Notre équipe a travaillé de façon considérable

  5   pendant tout le week-end, samedi et dimanche, et il est absolument hors de

  6   question que nous n'ayons pas fait notre travail. Je vous remercie.

  7   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez raison tous les deux. Le mieux c'est que

  8   vous vous voyez après. M. Stringer va vous faire voir sur son écran qu'il

  9   n'y a pas, et puis le greffier qui va jouer à Sherlock Holmes va essayer de

 10   savoir pourquoi ce document qui a été envoyé le 1er mai n'est pas dans le

 11   système e-court. Et je demande à M. le Greffier de faire preuve d'esprit

 12   inventif pour essayer de nous faire comprendre où est le problème.

 13   Nous nous retrouverons demain à 14 heures 15, et je m'excuse d'avoir joué

 14   une fois de plus les prolongations.

 15   L'INTERPRÈTE : Note de la cabine française : lors du premier tiers de

 16   l'audience d'aujourd'hui la première fois où le général Praljak a mentionné

 17   le retour du général Petkovic c'était le retour non pas de Stupni Do mais

 18   de Kiseljak.

 19   --- L'audience est levée à 19 heures 05 et reprendra le jeudi 7 mai 2009, à

 20   14 heures 15.

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