Affaire n° : IT-03-67-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
11 février 2004

LE PROCUREUR

c/

VOJISLAV SESELJ

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE NON-DIVULGATION DE PIÈCES COMMUNIQUÉES EN APPLICATION DES ARTICLES 66 A) ii) ET 68 DU RÈGLEMENT ET AUX FINS DE MISE EN PLACE DE MESURES DE PROTECTION DE TÉMOINS PENDANT LA MISE EN ÉTAT DE L’AFFAIRE

_____________________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Urlich Mussemeyer
M. Daniel Saxon

Le Conseil d’appoint :

M. Aleksandar Lazarevic

L’Accusé :

Vojislav Seselj

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

Vu la requête confidentielle de l’Accusation aux fins de non-divulgation de pièces communiquées en application des articles 66 A) ii) et 68 du Règlement et aux fins de mise en place de mesures de protection de témoins pendant la mise en état de l’affaire et ses Annexes confidentielles et ex parte A, B, C et D (Prosecution’s Motion for Non-Disclosure of Materials Provided pursuant to Rules 66 A) ii) and 68 and for Protective Measures for Witnesses during the pre-Trial Phase) (la « Requête »), déposée par le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») le 15 septembre 2003,

ATTENDU que dans sa Requête, l’Accusation demande

1. qu’il soit ordonné à Vojislav Seselj (l’« Accusé ») de ne rendre publique aucune des pièces qui lui ont été communiquées en application des articles 66 A) ii) et 68 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») (ci-après la « Première Demande »),

2. que soient mises en place, pendant la mise en état de l’affaire, des mesures de protection pour certains témoins, dont le nom est cité dans les annexes confidentielles et ex parte jointes à la Requête (ci-après la « Deuxième Demande »),

OUÏ l’objection soulevée oralement par l’Accusé lors de la conférence de mise en état à l’égard de la Première et de la Deuxième Demandes1,

ATTENDU que s’agissant de la Première Demande, il convient de rappeler la « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance de non-divulgation », rendue le 13 mars 2003 par la Chambre de première instance et faisant droit à une requête aux fins de non-divulgation des pièces justificatives communiquées à l’Accusé en application de l’article 66 A) i) du Règlement,

VU l’obligation faite à l’Accusation par l’article 66 A) ii) du Règlement de fournir à l’Accusé les copies des déclarations de tous les témoins qu’elle entend citer à l’audience et de toutes les déclarations écrites recueillies en application de l’article 92 bis du Règlement,

VU l’obligation faite à l’Accusation par l’article 68 du Règlement de fournir à l’Accusé tous éléments dont elle a connaissance qui sont de nature à le disculper,

ATTENDU que l’article 53 A) du Règlement dispose que « [l]orsque des circonstances exceptionnelles le commandent, un juge ou une Chambre de première instance peut ordonner dans l’intérêt de la justice la non-divulgation au public de tous documents ou informations et ce, jusqu’à décision contraire »,

ATTENDU que pour justifier la Première Demande, l’Accusation tire argument du fait que les circonstances exceptionnelles mentionnées tiennent non seulement à la spécificité de l’espèce en ce qu’elle concerne la poursuite d’un personnage politique de premier plan, ce qui rend le procès complexe et historiquement important, mais également au comportement de l’Accusé, qui a fréquemment exprimé son intention de faire obstruction à la procédure,

ATTENDU que pareilles justifications ne valent que pour les déclarations émanant des victimes et témoins en question ou pour les pièces les concernant qui n’ont pas été utilisées dans d’autres affaires portées devant ce Tribunal ou qui ont donné lieu à des mesures de protection,

ATTENDU, PAR CONSÉQUENT, qu’il n’y a lieu de rendre une ordonnance de non-divulgation qu’en ce qui concerne les déclarations de témoins et les pièces confidentielles,

S’AGISSANT, EN OUTRE, de la Deuxième Demande, concernant les mesures de protection,

ATTENDU que dans sa Requête, l’Accusation ne fournit pas à la Chambre suffisamment d’informations pour lui permettre d’examiner les mesures de protection accordées dans d’autres procès du Tribunal et de déterminer quelles mesures sont demandées pour chaque témoin et si celles-ci sont conformes aux normes fixées dans le Statut et le Règlement, telles qu’interprétées dans la jurisprudence de ce Tribunal,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION des articles 53 A), 54, 66 A) ii) et 68 du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

1. L’Accusation doit fournir à la Chambre de première instance davantage d’informations sur la nature des mesures de protection demandées pour chaque témoin et sur les raisons fondant la Deuxième Demande ;

2. Aux fins de l’article 53 A) du Règlement (non-divulgation de documents ou d’informations), la Chambre de première instance donne les définitions suivantes :

a) le terme « Accusation » désigne le Procureur du Tribunal et ses collaborateurs ;

b) le terme « Accusé » désigne Vojislav Seselj ;

c) le terme « Défense » désigne l’Accusé Vojislav Seselj et tout « conseil d’appoint » nommé par le Greffier en application de la « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance portant désignation d’un conseil pour Vojislav Seselj2 » ;

d) le terme « public » désigne toutes les personnes, gouvernements, organisations, entités, clients, associations et groupes autres que les Juges du Tribunal, le personnel du Greffe (travaillant soit pour le Greffe soit pour les Chambres), ainsi que le Procureur et la Défense, tels que définis ci-dessus. Le « public » comprend en particulier, sans limitation aucune, la famille, les amis et les associés de l’Accusé, les accusés et les conseils de la défense dans d’autres affaires ou procédures portées devant le Tribunal, ainsi que les médias et les journalistes ;

e) le terme « médias » désigne tous les organes de la presse télévisuelle, radiophonique et écrite, y compris les journalistes, auteurs, employés de chaînes de télévision et de radio, ainsi que leurs agents et représentants ;

3. Lorsqu’elle communiquera les pièces à l’Accusé en application des articles 66 A) ii) et 68 du Règlement, l’Accusation devra clairement préciser quels éléments sont déjà publics et indiquer ceux qui contiennent des déclarations de victimes et témoins qui n’ont pas été utilisées dans d’autres affaires portées devant ce Tribunal ou qui ont donné lieu à des mesures de protection, ces derniers éléments n’étant donc pas publics ;

4. À moins que cela ne soit directement et spécifiquement nécessaire à la préparation et à la présentation de sa cause, l’Accusé ne communiquera au public aucune des pièces qui lui ont été fournies en application des articles 66 A) ii) et 68 du Règlement et dont l’Accusation a précisé le caractère confidentiel, et notamment :

a) l’identité et l’adresse des témoins, dans la mesure où l’Accusé en a connaissance ;

b) tous éléments de preuve (y compris documentaires, matériels ou autres) ou toutes déclarations écrites de témoins ou de témoins potentiels ou encore la teneur, en tout ou en partie, de tout élément de preuve, déclaration ou témoignage antérieur confidentiels qui ont été communiqués à l’Accusé en application des articles 66 A) ii) et 68 du Règlement.

5. Si l’Accusé considère qu’il est directement et spécifiquement nécessaire à la préparation et à la présentation de sa cause de communiquer des informations confidentielles à un membre du public, il doit informer celui-ci qu’il ne doit ni copier ni reproduire ni rendre publiques les informations ou pièces en question, que ce soit en tout ou en partie, ni les montrer ou les divulguer à qui que ce soit d’autre. Tout membre du public qui aura reçu une telle pièce, qu’il s’agisse d’un exemplaire original ou d’une copie, devra la restituer à l’Accusé dès qu’il n’en aura plus besoin pour la préparation et la présentation de la cause de celui-ci.

6. Dans l’hypothèse où l’Accusé retiendrait les services de conseillers juridiques ou d’un conseil d’appoint, le terme « Défense » désignera également ces personnes et tout assistant juridique immédiat, leur identité devant être précisée dans une liste déposée auprès de la Chambre de première instance. Tout ajout ou suppression par rapport à la liste initiale devra être signalé à la Chambre de première instance dans les sept jours. Si une personne nommée dans la liste se retire de l’affaire, elle doit restituer au conseil principal de la Défense ou à l’Accusé tout document confidentiel qui lui a été communiqué. À l’issue de l’affaire ou dans le cas où le conseil principal cesserait de représenter l’Accusé, la Défense devra également restituer pareilles pièces confidentielles ainsi que les copies au Greffe du Tribunal.

DIT que toute violation des paragraphes 2 à 6 de la présente ordonnance sera sanctionnée en application de l’article 77 du Règlement (« Outrage au Tribunal »).

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 11 février 2004,
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
___________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]
1. Le Procureur c/ Vojislav Seselj, affaire n° IT-03-67-PT, conférence de mise en état, 29 octobre 2003, Compte rendu d’audience, p. 125 à 135.
2. Le Procureur c/ Vojislav Seselj, affaire n° IT-03-67-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance portant désignation d’un conseil pour Vojislav Seselj, 9 mai 2003.