Affaire n° : IT-03-67-PT

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
M. le Juge Carmel Agius, Président
M. le Juge Jean-Claude Antonetti
M. le Juge Kevin Parker

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
27 mai 2005

LE PROCUREUR

c/

VOJISLAV SESELJ

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE NON-COMMUNICATION DE NOMS ET AUTRES ÉLÉMENTS D’IDENTIFICATION PRÉSENTÉE PAR L’ACCUSATION

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Le Bureau du Procureur :

Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Ulrich Mussemeyer
M. Daniel Saxon

L’Accusé :

M. Vojislav Seselj 

Le Conseil d’appoint :

M. Tjarda Eduard van der Spoel

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II (la « Chambre de première instance ») du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la trentième requête (« Motion number 30 »), déposée le 26 mars 2004 par l’accusé Vojislav Seselj (l’« Accusé »), dans laquelle celui-ci présente au Greffe du Tribunal (le « Greffe ») un certain nombre de demandes, et demande notamment que l’Accusation lui communique les déclarations de tous les témoins entendus dans les affaires portées devant le Tribunal, qui ont mentionné son nom, quel que soit le contexte, devant les membres du Bureau du Procureur ou devant une chambre de première instance (la « Troisième Demande »)1,

ATTENDU que le Greffe a informé l’Accusé qu’il avait transmis la Troisième Demande à la Chambre de première instance2,

ATTENDU que, pendant la conférence de mise en état du 14 juin 2004, la Chambre de première instance a ordonné à l’Accusation de donner copie de toutes les déclarations des témoins à charge faisant mention de l’Accusé mais, avant de communiquer des versions expurgées de ces déclarations, de les lui soumettre pour examen et approbation3,

VU la demande de non-communication de noms et autres éléments d’identification (Prosecution’s Motion for Non-Disclosure of Names and Other Identifying Information) (la « Requête »), déposée à titre confidentiel et partiellement ex parte le 21 juillet 2004, dans laquelle l’Accusation demande à expurger un certain nombre de déclarations de témoin, dans la mesure où elles figurent dans les annexes A, B et C confidentielles et ex parte à la Requête,

ATTENDU que la Chambre a examiné les passages supprimés des déclarations des témoins que l’Accusation entend citer à comparaître en l’espèce dans la décision relative à la troisième demande de mesures de protection présentée par l’Accusation pour des témoins pendant la mise en état de l’affaire (Decision on the Prosecution’s Third Motion for Protective Measures for Witnesses During the Pre-Trial Phase)4,

ATTENDU que ce n’est pas l’Accusation qui contrôle l’accès aux comptes rendus des dépositions des témoins entendus dans les autres affaires, mais les chambres concernées, et que c’est à l’Accusé qu’il revient de demander à consulter ces documents suivant la procédure prévue,

ATTENDU que la Requête concerne des déclarations de témoins que l’Accusation n’entend pas citer à comparaître en l’espèce5, et que l’on peut classer dans trois catégories différentes :

    1. les témoins auxquels d’autres chambres de première instance ont déjà accordé des mesures de protection en application de l’article 75 du Règlement6 ;

    2. trois témoins détenant des informations sensibles7- ;

    3. les témoins qui ont été victimes de violences sexuelles ou qui mentionnent le nom de telles victimes8 ;

ATTENDU qu’à ce stade, l’Accusé n’a pas besoin de connaître l’identité des témoins protégés de la catégorie a) pour déterminer si une partie précise de leurs déclarations l’aiderait à préparer sa défense. Si, après avoir pris connaissance de ces témoignages, l’Accusé souhaite en examiner une partie de manière plus approfondie, avec l’intention soit d’en citer l’auteur au procès soit de l’interroger pour obtenir des informations supplémentaires, il sera à ce moment-là en mesure de justifier une demande de communication de l’identité de ce témoin protégé9,

ATTENDU que l’Accusation a justifié de circonstances exceptionnelles, et établi que les mesures de protection demandées étaient nécessaires pour assurer la protection de ces victimes et de ces témoins et qu’elles ne portent pas atteinte aux droits de l’Accusé,

VU, s’agissant des témoins susvisés de la catégorie b), les raisons que l’Accusation a invoquées à l’annexe B confidentielle et ex parte pour justifier la demande de suppression, en application de l’article 69 du Règlement, des éléments d’identification contenus dans les déclarations des trois témoins « détenant des informations sensibles »,

ATTENDU que la Chambre de première instance a examiné la situation de chacun des témoins « détenant des informations sensibles » et qu’elle est convaincue que les préoccupations concernant leur sécurité et celle de leurs proches sont légitimes et justifiées et,

ATTENDU que l’Accusation a suffisamment établi l’existence de circonstances exceptionnelles, et montré que les mesures de protection demandées étaient nécessaires pour assurer la protection de ces victimes et de ces témoins et qu’elles ne portaient pas atteinte aux droits de l’Accusé,

VU, s’agissant des témoins susvisés de la catégorie c), les raisons que l’Accusation a invoquées à l’annexe C confidentielle et ex parte pour justifier la demande de suppression, en application de l’article 69 du Règlement, des éléments d’identification contenus dans les déclarations des témoins qui avaient été victimes de violences sexuelles ou qui mentionnaient le nom de telles victimes,

VU les préoccupations propres aux victimes de violences sexuelles10,

ATTENDU que l’Accusation a assuré que « les informations concernant les violences sexuelles commises contre ces victimes n’avaient aucun rapport avec les accusations portées contre l’Accusé », et que la Chambre de première instance en conclut que l’Accusation ne se fondera pas sur les déclarations de ces témoins pour prouver la culpabilité de l’Accusé,

ATTENDU que, pour trouver un juste équilibre entre le droit d’un accusé à un procès public et équitable et la protection de victimes et de témoins, il a particulièrement été tenu compte des préoccupations propres aux victimes de violences sexuelles,

ATTENDU que l’Accusation a justifié de circonstances exceptionnelles, et établi que les mesures de protection demandées étaient nécessaires pour assurer la protection de ces victimes et de ces témoins et qu’elles ne portaient pas atteinte aux droits de l’Accusé,

PAR CES MOTIFS,

EN APPLICATION DES articles 20 et 21 du Statut et des articles 66, 69 et 75 du Règlement,

AUTORISE l’Accusation à expurger les déclarations de témoin telles qu’elles figurent aux annexes A, B et C confidentielles et ex parte à la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 27 mai 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre de première instance
_____________
Carmel Agius

[Sceau du Tribunal]


1. Motion number 30, 26 mars 2004, sous le point 3).
2. Letter to the Accused from the Deputy Registrar, daté du 9 juin 2004 et déposé le 11 juin 2004. La Chambre de première instance a reconnu, dans l’ordonnance rendue le 30 mars 2004 et intitulée Scheduling Order, qu’elle avait été saisie de cette demande.
3. Compte rendu de la conférence de mise en état du 14 juin 2004, CR, p. 250. Demande de l’Accusation de procéder à des expurgations, voir CR, p. 232.
4. Décision rendue le 27 mai 2005.
5. Voir par. 13 de la Requête, dans lequel l’Accusation a déclaré qu’« il ne s’agit pas des déclarations de personnes qui doivent témoigner à charge au procès ».
6. Voir annexe A confidentielle et ex parte à la Requête.
7. Voir annexe B confidentielle et ex parte à la Requête.
8. Voir annexe A confidentielle et ex parte à la Requête.
9. Voir aussi Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin et Momir Talic, affaire n° IT-99-36-PT, « Deuxième Décision relative aux requêtes de Radoslav Brdjanin et Momir Talic aux fins d’accčs à des documents confidentiels », 15 novembre 2000, par. 9 et 10.
10. Voir, notamment, le Rapport du Secrétaire général conformément au paragraphe 2 de la résolution 808 (1993) du Conseil de sécurité (U.N. DOC. S/25704, 3 mai 1993), dans lequel il est indiqué au paragraphe 108 qu’il faudra prévoir des mesures de protection des victimes et des témoins, « s’agissant notamment des cas de viols ou de sévices sexuels. De telles mesures comprennent, sans y être limitées, la tenue d’audiences à huis clos et la protection de l’identité des victimes ». En outre, compte tenu des préoccupations propres aux victimes de violences sexuelles, l’article 96 du Règlement prévoit des dispositions particulières pour l’admission des preuves en cas de violences sexuelles ; voir aussi Le Procureur c/ Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, « Décision relative à la requête du Procureur aux fins de mesures de protection en faveur des témoins "A" et "D" pendant le procès », 11 juin 1998 ; Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo, affaire n° IT-96-21-T, « Décision relative aux requêtes déposées par l’Accusation aux fins d’obtention de mesures de protection pour les témoins à charge "B" à "M" », 28 avril 1997 ; « Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’expurger le dossier ouvert au public », 5 juin 1997 ; Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-T, « Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par le Procureur aux fins d’obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins », 10 août 1995.