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1 Le mercredi 3 décembre 2008
2 [Audience publique]
3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]
4 --- L'audience est ouverte à 8 heures 32.
5 [L'accusé est introduit dans le prétoire]
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de
7 l'affaire, s'il vous plaît.
8 M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, bonjour,
9 Madame et Messieurs les Juges, bonjour à tous. Il s'agit de l'affaire IT-
10 03-67-T, l'Accusation contre Vojislav Seselj.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.
12 En ce mercredi 3 décembre 2008, je salue en premier M. le Témoin, je salue
13 les représentants du bureau du Procureur, je salue M. Seselj, et je salue
14 toutes les personnes qui nous assistent.
15 Monsieur le Témoin, pouvez-vous me donner votre nom, prénom et date de
16 naissance, s'il vous plaît.
17 LE TÉMOIN : [aucune interprétation]
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous êtes donc né le 26 novembre 1951. La cabine --
19 Bien. Vous êtes-vous né le 26 novembre 1951. Quelle est actuellement votre
20 profession ou qualité ?
21 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais président adjoint de la Chambre des
22 nations au Parlement de la Bosnie-Herzégovine, et j'étais vice-président du
23 Parti de l'action démocratique.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, avez-vous déjà témoigné devant ce
25 Tribunal; et si oui, dans quelle affaire, si vous vous en
26 rappelez ?
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai témoigné à plusieurs reprises. La
28 première fois dans l'affaire contre M. Tadic, la deuxième fois, Blagoje
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1 Simic, l'équipe de Samac, et la troisième fois contre Slobodan Milosevic.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Dans ces trois procès, vous étiez témoin de
3 l'Accusation ou témoin de la Défense ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais témoin de l'Accusation.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Je vous demande de lire le serment.
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la
7 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
8 LE TÉMOIN : SULEJMAN TIHIC [Assermenté]
9 [Le témoin répond par l'interprète]
10 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Merci. Vous pouvez vous asseoir.
11 Monsieur, quelques éléments d'information de ma part qui ne vont pas vous
12 surprendre, dans la mesure où vous êtes déjà venu plusieurs fois devant ce
13 Tribunal et vous avez témoigné pendant de nombreux jours. Donc vous savez
14 comment cela se passe.
15 Vous allez devoir répondre à des questions qui vont vous être posées
16 par le représentant de l'Accusation, à partir d'une déclaration que vous
17 avez faite au bureau du Procureur, et le bureau du Procureur vous
18 présentera certainement des documents. Et vous avez pu, lors de l'entretien
19 qui a dû intervenir hier, vous avez dû avec le Procureur passer en revue
20 certainement quelques documents.
21 A l'issue de cette phase, M. Seselj, qui est accusé dans ce procès, vous
22 posera des questions dans le cadre du contre-interrogatoire, et M. Seselj
23 ayant le droit de se défendre seul, comme l'avait fait d'ailleurs feu
24 Milosevic, vous posera directement des questions dans le cadre du contre-
25 interrogatoire.
26 Les trois Juges qui sont devant vous, vous poseront également des questions
27 aux fins d'éclaircir certains points, soit pour combler des lacunes qu'ils
28 peuvent déceler dans certains faits ou événements.
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1 Essayez d'être très précis dans vos réponses, mais vu les fonctions
2 imminentes que vous avez exercées, je n'ai aucun doute à cet égard, vous
3 serez certainement synthétique et précis dans vos réponses. Si vous ne
4 comprenez pas le sens d'une question, n'hésitez pas à demander à celui qui
5 vous pose la question de la reformuler, même si c'est un Juge, un Juge peut
6 également parfois mal poser des questions, donc n'hésitez à ce moment-là à
7 demander qu'on vous précise la question.
8 Nous faisons, comme vous le savez, des pauses toutes les heures et demie,
9 des pauses de 20 minutes, mais si par extraordinaire vous avez besoin d'un
10 repos en raison d'un quelconque problème de santé, n'hésitez pas à lever la
11 main et à nous le demander.
12 Compte tenu du temps que nous avons alloué aux uns et aux autres, deux
13 heures pour l'Accusation et deux heures pour M. Seselj, il est quasi
14 certain que nous continuerons demain. Je pense que vous avez dû prendre vos
15 précautions pour rester au moins jusqu'à demain.
16 Voilà ce que je tenais à vous dire afin que l'audience se déroule de
17 la meilleure façon possible.
18 Je salue le représentant de l'Accusation, qui est déjà prêt puisqu'il a son
19 pupitre et ses documents devant lui, et je lui cède la parole.
20 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je vous remercie, et bonjour à tous.
21 Je vais commencer tout de suite mon interrogatoire principal.
22 Interrogatoire principal par M. Mussemeyer :
23 Q. [interprétation] Monsieur Tihic, pouvez-vous nous décrire votre
24 parcours éducatif, universitaire et professionnel.
25 R. J'ai fait mes écoles primaire et secondaire à Bosanski Samac, ma
26 faculté de droit, à Sarajevo, et après mon examen en matière de
27 jurisprudence, j'ai été élu juge au tribunal municipal de Bosanski Samac,
28 puis j'ai été procureur à Madrica, Bosanski Samac, et Odzak. Par la suite,
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1 j'ai travaillé en tant qu'avocat pendant neuf ans.
2 Suite à l'agression lancée contre la Bosnie-Herzégovine, j'ai travaillé
3 pendant certains temps à l'ambassade à Bonn en tant que conseiller au
4 ministère des Affaires étrangères. Puis j'ai par la suite été vice-
5 président du Parti de l'Action démocratique. Et aux élections en 2002, j'ai
6 remporté les élections et j'étais devenu membre de la présidence de Bosnie-
7 Herzégovine. Puis après, j'ai exercé les fonctions d'adjoint ou de
8 président de cette chambre des peuples ou des nations du Parlement de
9 Bosnie-Herzégovine. Et je suis membre de la direction du plus grand des
10 partis politiques de Bosnie-Herzégovine depuis 2001.
11 Q. Je vous remercie, Monsieur Tihic. Pourriez-vous nous dire si avant le
12 conflit vous faisiez déjà de la politique; et si oui, au sein de quel parti
13 ?
14 R. A l'époque, c'est-à-dire avant les changements démocratiques, comme bon
15 nombre d'autres personnes, j'étais membre de la Ligue des Communistes,
16 j'étais seulement membre. J'étais actif sur le plan social parce que
17 j'étais, par exemple, le président de la communauté locale à Bosanski
18 Samac, j'étais président de l'association des sapeurs-pompiers à Bosanski
19 Samac. Avant les premières élections démocratiques, je me suis affilié au
20 Parti de l'Action démocratique, j'ai été élu député à l'assemblée
21 municipale de Bosanski Samac, par la suite j'ai été élu aux fonctions de
22 président de l'organisation municipale du parti à Bosanski Samac, puis
23 membre du conseil principal du parti pour la Yougoslavie.
24 Et par la suite sont venues les fonctions que j'ai déjà énumérées.
25 Q. Aviez-vous aussi un poste dans la région de Doboj ?
26 R. J'étais vice-président du comité régional du SDA pour la région de
27 Doboj.
28 Q. Etant donné le poste et les fonctions que vous occupez aujourd'hui, je
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1 pense que vous pouvez nous parler de la composition ethnique de la Bosnie-
2 Herzégovine; et c'est pour cette raison que j'aimerais vous présenter un
3 document.
4 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pourrions-nous avoir, s'il vous plaît,
5 Monsieur le Greffier, la pièce 140 à l'écran.
6 Q. Monsieur Tihic, dès que ce document s'affiche, j'aimerais que vous le
7 commentiez.
8 R. C'est une carte bien connue. C'est à peu près la structure ethnique de
9 la population en Bosnie-Herzégovine; bien que ceci, à ceux qui ne le
10 sauraient pas, laisserait à penser que la Bosnie-Herzégovine est
11 ethniquement départagée, or, ce n'est pas le cas.
12 La Bosnie-Herzégovine -- ou plutôt sa structure ethnique est plus mélangée.
13 Parce que là, où vous avez du vert qui est censé représenter les Bosniens,
14 et le rouge qui est pour les Serbes, et le bleu qui est là pour dire qu'il
15 y a majorité croate; là aussi il y avait des ressortissants des autres
16 groupes ethniques. Rares étaient les municipalités où il y avait
17 prédominance à 80 %, disons, des représentants d'un seul groupe ethnique.
18 Et si on se penche sur cette carte, j'ai l'impression qu'il y a certains
19 écarts, par exemple, Banja Luka. Banja Luka est montrée comme s'il y avait
20 50 % de Serbes, c'était le cas en 1991. Et je pense qu'à Banja Luka,
21 c'était à peu près autant de Serbes, Croates et Bosniens, ils étaient à peu
22 près 30 % pour chaque groupe ethnique. Peut-être que les Serbes étaient-ils
23 à quelques pourcents de plus. Et les Croates à quelques pourcents de moins,
24 mais c'est à peu près cela. Et il en allait de façon analogue dans d'autres
25 localités, dans d'autres villes. Pendant des centaines d'années, il y avait
26 en parallèle l'église catholique, l'église orthodoxe, les mosquées. Il y
27 avait dans les grandes villes aussi des synagogues. Ce qui fait que la
28 population a été mélangée, ça faisait penser à une peau de léopard. Il n'y
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1 avait pas que du rouge, du bleu et du vert. Là où il y a du rouge, du bleu
2 et du vert, c'était quand même mixte, surtout notamment avant l'agression
3 contre la Bosnie-Herzégovine.
4 Q. Cette carte est basée sur le recensement de 1991, pouvez-vous nous dire
5 si la couleur est correcte et qu'elle reflète bien les régions ?
6 R. C'est à peu près le cas. Je viens de vous mentionner le cas de Banja
7 Luka. Parce qu'il me semble que là, il n'y avait pas 50 % de Serbes. Je ne
8 pense pas, j'en suis certain, j'en suis convaincu. Il se peut qu'il y ait
9 eu plus de Serbes que d'autres, mais ils n'étaient pas à plus de 50 %.
10 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Le Procureur était censé nous
11 fournir un aperçu de la population au niveau du recensement de 1991, et non
12 pas de placer cette carte et de demander au témoin de se perdre en
13 conjecture. Ça n'a aucune valeur de preuve ce qu'il est dit ici parce que,
14 par exemple, si on avait le tableau pour Banja Luka, on aurait des chiffres
15 exacts pour ce qui est de la structure ethnique.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur le Témoin, j'ai écouté avec attention
17 ce que vous dites, il semblerait que le tableau que nous ayons sous les
18 yeux soit le reflet du recensement de 1991, mais avec les critères de la
19 majorité au-dessus de 50 %. Et vous nous avez expliqué, c'était très
20 intéressant, qu'en réalité, pour vous, les couleurs ne restituent pas le
21 fait qu'il y avait dans certaines régions des minorités; et qu'en réalité,
22 pour reprendre votre expression, ça serait plutôt une véritable peau de
23 léopard qu'on devrait voir.
24 Alors, est-ce qu'il n'aurait pas fallu, selon vous, qu'une carte de cette
25 nature ait d'autres couleurs accentuant où -- les majorités ethniques;
26 qu'en pensez-vous ?
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que c'est ce qui aurait dû être fait
28 dès le départ. En sus de ces couleurs prédominantes, il eut fallu avoir
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1 d'autres couleurs avec la représentation des autres groupes ethniques, cela
2 traduirait la véritable situation. Et là, on a essentiellement politisé en
3 parlant des territoires serbes, bosniens ou croates, ce qui n'est pas une
4 bonne chose.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vos propos sont au script.
6 Continuez, Monsieur le Procureur.
7 M. MUSSEMEYER : [interprétation] L'intention de l'Accusation était
8 d'utiliser cette carte pour donner une idée générale aux Juges, pour les
9 aider plus tard lors des délibérations, c'est pour cela que nous voudrions
10 verser cette pièce au dossier.
11 [La Chambre de première instance se concerte]
12 M. LE JUGE ANTONETTI : On donne un numéro. Là on va donner un numéro.
13 M. LE GREFFIER : [interprétation] Le document recevra la pièce P669.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, cette carte, je vois la
15 mention en dessous, elle a été établie par le bureau du Procureur; c'est
16 bien ça, par l'unité démographique du bureau du Procureur.
17 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Oui. C'est ce qui est écrit en pied de
18 page, mais c'est une carte qui est fondée sur les résultats du recensement
19 de 1991, comme je l'ai déjà dit.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Allez-y.
21 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, j'aimerais
22 maintenant afficher la carte suivante. Il s'agit de la carte de Bosanski
23 Samac. Numéro 65 ter 2579.
24 Q. Monsieur Tihic, pourriez-vous procéder au même exercice et commenter
25 cette carte.
26 R. Ça, c'est une carte de cette région de la vallée de Sava; il n'y a pas
27 qu'un Bosanski Samac. On voit la municipalité de Bosanski Samac, et c'est
28 d'ailleurs indiqué.
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1 Q. Pourriez-vous nous montrer Sagrina, par exemple --
2 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourquoi certains noms sont-ils barrés au
3 feutre noir sur cette carte ? On voit toute une série d'appellations, de
4 noms de localités qui ont été --
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, il y a des traits noirs et on
6 a l'impression qu'il y a des noms qui ont été barrés. Il y a certainement
7 une raison.
8 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je pense que c'est parce que ces
9 municipalités ou ces bourgades ne sont pas importantes en l'espèce. Toutes
10 les municipalités et petits hameaux autour de Bosanski Samac sont
11 mentionnés juste pour que vous ayez un meilleur aperçu de la région.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, ici on a caviardé une
13 localité qui se trouve dans la municipalité de Bosanski Samac, qui fait que
14 cette explication apportée par le Procureur n'est pas conforme à la vérité.
15 Dans le cadre de cette communauté de Bosanski Samac, il y a une localité
16 qui est caviardé. Alors, j'insiste pour que le Procureur nous donne une
17 carte non caviardée.
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Dites-nous le nom de la municipalité caviardée,
19 comme ça on y verra plus clair. C'est laquelle qui a été omise, Monsieur
20 Seselj ?
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je n'ai pas dit qu'il y en a eu une d'omise. On
22 nous a placé une carte de la région de la vallée de la Save. C'est ainsi
23 qu'on l'appelle, la Posavina, et on voit Bosanski Samac et les
24 municipalités environnantes, puis on voit deux, quatre, six, sept noms de
25 localités caviardés au feutre. Alors ça, c'est tendancieux dans cette
26 procédure de présentation d'éléments de preuve, et même dans la
27 municipalité de Bosanski Samac on a caviardé une localité.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous n'avez pas une carte vierge, sans caviardage ?
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1 M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'ai une carte. Il faut juste que je la
2 trouve. Donnez-moi une seconde. Il me semble que c'est la 2874 sur la liste
3 des pièces, mais je n'ai pas vérifié.
4 Mais nous avons caviardé certains endroits, parce que Bosanski Samac est
5 une municipalité éloignée. L'Accusation n'a le droit de poser des questions
6 qu'à propos de cette municipalité. C'est pour ça que nous sommes concentrés
7 sur ces emplacements, parce qu'ils sont absolument essentiels pour la ligne
8 de conduite délibérée qui est dans l'acte d'accusation. Cela dit, si vous
9 insistez, nous pouvons vous montrer une autre carte.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : En tant qu'on ait une autre carte avec les
11 localités.
12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, cette explication
13 apportée par le Procureur est encore plus dénuée de sens de la précédente.
14 On a laissé Bosanski Brod, qui se trouve tout à fait à l'ouest, puis
15 Derventa. On ne nous a pas expliqué pourquoi les noms de certaines
16 localités proches de cette municipalité de Bosanski Samac et dans Bosanski
17 Samac se trouvent être caviardés au feutre. Je pense que vous ne pouvez pas
18 accepter une explication insensée, dénuée de sens de la part du Procureur.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, il y a une carte nouvelle où
20 rien n'est caviardé.
21 L'ACCUSÉ : [interprétation] Et je viens de remarquer, Monsieur le
22 Président, qu'on avait caviardé Crkvina sur l'autre carte de tout à
23 l'heure, parce que je n'ai pas pu tout voir, ne sais pas tout par cœur. Et
24 je vois que la localité de Crkvina a été caviardée. Or, cette localité est
25 mentionnée dans la déclaration de M. Tihic. Pourquoi est-ce qu'on a
26 caviardé ? Qu'est-ce que le Procureur cherche à faire ? Nous prendre par
27 surprise ? Parce que vous avez, par exemple, une grande tache rouge sous le
28 jaune. C'est là qu'on avait caviardé dans la carte de tout à l'heure.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Monsieur le Procureur, il y a une carte où il y
2 a toutes les municipalités avec des points rouges. Est-ce que, compte tenu
3 des objections, vous voulez toujours la première carte ou la deuxième ?
4 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Ça ne me dérange pas d'utiliser la
5 deuxième.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Utilisez la deuxième.
7 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
8 Q. Pourriez-vous, s'il vous plaît, examiner cette carte ?
9 R. C'est la carte de Bosanski Samac. On voit l'esquisse des limites des
10 municipalités voisines. On voit ces noms de villages. Il y a ce village de
11 Crkvina, où a été commis un crime en masse. Que voulez-vous que je vous
12 dise encore ? Je connais bien la municipalité de Bosanski Samac. Je connais
13 les villages. J'y suis allé. J'ai fréquenté des gens là-bas, et cetera.
14 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Monsieur Tihic, j'aimerais un petit
15 éclaircissement à propos de cette carte. On dirait que la région au nord de
16 la rivière est vierge. J'aimerais savoir si le village de Bosanski Samac
17 s'étendait de l'autre côté de la rivière aussi.
18 LE TÉMOIN : [interprétation] En haut, vous avez la rivière la Save, et de
19 l'autre côté de la rive de la Save, c'est la République de Croatie, et de
20 l'autre côté, il y avait la localité de Slavonski Samac. Cela appartenait à
21 la Croatie, et ça n'avait aucune corrélation ni territoriale ni
22 administrative avec Bosanski Samac.
23 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Tihic, la carte a le nom "Bosanski Samac."
25 Est-ce que toute la zone verte correspond à la circonscription
26 administrative de la localité ou bien la municipalité de Bosanski Samac est
27 réduite au point rouge ou jaune ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Le jaune ne se rapporte qu'à la ville. La
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1 municipalité, c'est tout le reste, là où il y a tous ces points rouges. Ce
2 sont les noms des différentes localités faisant partie de cette
3 municipalité de Bosanski Samac. Il y avait les villages, des communautés
4 locales, les hameaux, et cetera.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Très bien.
6 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
7 Q. J'aimerais maintenant que nous parlions de la situation telle qu'elle
8 était avant que la guerre n'éclate. Pourriez-vous nous parler de la
9 composition ethnique de Bosanski Samac et des différentes personnes qui y
10 habitaient ?
11 R. Dans la municipalité de Bosanski Samac, la composition ethnique se
12 présentait comme suit : 44 % étaient des Croates, 42 % étaient des Serbes,
13 et environ 7 % étaient des Bosniens. Les autres étaient des Yougoslaves et
14 autres. Dans la ville même de Bosanski Samac, la structure ethnique était
15 quelque peu différente, parce que c'était les Bosniens qui étaient plus
16 nombreux. Ensuite venaient les Serbes, et en dernière position les Croates.
17 Les villages étaient essentiellement monoethniques. La ville, elle, était à
18 composition mixte.
19 Q. Pourriez-vous nous dire quelles étaient les relations entre ces
20 différents groupes ethniques avant que le conflit n'éclate ?
21 R. A Bosanski Samac, les relations interethniques ont toujours été bonnes.
22 Nous avons vécu ensemble. On allait les uns chez les autres aux fêtes
23 religieuses, au "slava" [phon], et en ma qualité d'avocat, personnellement
24 j'étais, par exemple, régulièrement invité aux fêtes de Pâques ou de Noël,
25 et les gens venaient chez moi pour le Bajram, les uns et les autres
26 d'ailleurs. Et à la veille de l'attaque contre Bosanski Samac, j'ai reçu le
27 président du SDS et du HDZ le 6 avril, et l'attaque a été lancée le 17
28 avril.
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1 Les relations étaient bonnes entre les gens, entre les individus. Il me
2 semble que pendant la Deuxième Guerre mondiale, d'après ce que nos anciens
3 nous avaient relaté, les relations étaient plutôt correctes à la différence
4 des autres parties de la Bosnie-Herzégovine, ce qui fait que nous avons
5 vécu ensemble. On se fréquentait. On se respectait mutuellement. Et je suis
6 convaincu que non seulement à Bosanski Samac, mais en premier lieu à
7 Bosanski Samac, tout comme en Bosnie-Herzégovine, il n'y aurait jamais eu
8 de conflit entre les Serbes, Bosniens et Croates s'il n'y avait pas eu
9 d'intervention de l'extérieur. Et ça a d'ailleurs été la conséquence de
10 conflits mondiaux, de conflits régionaux ou d'ingérence directe ou
11 indirecte de la part des pays voisins.
12 Et après cette dernière guerre, je vais très souvent à Bosanski Samac. L'un
13 de mes enfants vit là-bas, mes petits-enfants vivent là-bas. Et je vois que
14 les relations se rétablissent au niveau de la tolérance et d'une vie
15 commune, et j'espère qu'il en sera ainsi à l'avenir.
16 Q. Monsieur Tihic, bien évidemment il existait déjà un conseil de sécurité
17 à Bosanski Samac. Pouvez-vous confirmer cela, et quel était l'objectif de
18 ce conseil et qui en était membre ?
19 R. Dans toutes les municipalités de Bosnie-Herzégovine, comme dans les
20 autres républiques d'ailleurs, il existait des conseils de sécurité ou
21 conseils de défense. C'étaient les deux instances les plus importantes dans
22 toutes les municipalités, et ils étaient composés en général de
23 personnalités les plus connues sur le plan politique à cette époque-là. Et
24 au cours des réunions de ces instances, on discutait de la situation du
25 point de vue de la sécurité avant les événements; il s'agissait de discuter
26 de problèmes de criminalité, de respect de l'ordre, d'aspects de ce genre;
27 et c'est ce qu'on appelait à l'époque l'ennemi interne, car il n'était pas
28 encore question d'ennemi externe qui est venu plus tard.
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1 Et dans la plupart des cas, lors de ces discussions, nous essayions
2 d'éviter tout affrontement interethnique. Nous nous efforcions de résoudre
3 les problèmes éventuels ou les incidents éventuels qui étaient survenus,
4 sans tenir compte des rumeurs répandues ou des craintes, de façon à ce que
5 la crainte ne prévale pas sur la discussion. Nous nous efforcions de
6 convaincre la population de rester calme et d'éviter les affrontements. Tel
7 était notre objectif. Mais on ne nous demandait pas grand-chose. Si les
8 gens nous avaient demandé quelque chose à Samac, je suis sûr qu'aucun
9 affrontement n'aurait eu lieu.
10 Q. Des partis politiques ont été créés. Si tel est le cas et si c'est
11 vrai, quels partis ont été créés à ce moment-là ?
12 R. C'était l'époque des premières élections multipartites, comme on les a
13 appelées à l'époque. A ce moment-là, des partis ont été créés, qui étaient
14 en fait des sections de partis déjà créés au niveau de l'Etat, au niveau de
15 la République. Donc à côté de la Ligue des Communistes qui existait déjà
16 avant, ont été créés le Parti d'action démocratique, l'Union démocratique
17 croate, le Parti démocratique serbe, le Parti libéral, le Parti réformiste.
18 Le SDS et le SDA étant traités principalement comme des partis ethniques,
19 monoethniques.
20 Mme LE JUGE LATTANZI : J'ai une petite question, Monsieur le Témoin.
21 Vous dites tout est venu de l'extérieur. Qu'est-ce que vous entendez pas là
22 ? De "l'extérieur" par rapport à l'ex-Yougoslavie ou de "l'extérieur" par
23 rapport à Bosnie-Herzégovine ?
24 R. De l'extérieur par rapport à la Bosnie-Herzégovine. Pour l'essentiel,
25 tout venait de Belgrade, donc du côté serbe; de la JNA et d'autres
26 instances au niveau de l'Etat.
27 Mme LE JUGE LATTANZI : Merci.
28 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Comment étaient les relations entre les
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1 partis politiques, est-ce qu'ils partageaient un objectif commun ?
2 R. Au début, les relations étaient assez correctes, assez bonnes,
3 l'objectif étant d'écarter les communistes du pouvoir, et dans la foulée de
4 résoudre un certain nombre d'autres problèmes, entre autres, les problèmes
5 liés aux appartenances ethniques. Mais au fil des événements, nous avons
6 commencé à nous interroger de plus en plus sur les questions générales
7 plutôt que municipales, et donc tout problème qui existait au niveau
8 général se retransmettait au niveau local avec de petites différentes.
9 Donc en gros, la partie serbe était favorable au maintien de la
10 Yougoslavie à tout prix, maintien d'une Yougoslavie qui était considérée
11 comme devant être plus ou moins unitaire avec un pouvoir fortement
12 centralisé. Quant au SDA et au HDZ, ils étaient favorables à une
13 Yougoslavie différente. Le HDZ souhaitant davantage d'autonomie ou même
14 l'indépendance totale. Et le SDA étant favorable au maintien de la
15 Yougoslavie sous forme de fédération ou confédération avec un certain
16 niveau de fédéralisme.
17 Nous étions bien conscients qu'en tant que peuple, les Musulmans de
18 Bosnie n'étaient pas suffisamment forts et que s'il y avait affrontement ou
19 conflit, ils seraient les premières victimes. C'est la raison pour laquelle
20 M. Izetbegovic s'est déclaré favorable au maintien de la Yougoslavie avec,
21 éventuellement, un certain degré de fédéralisme ou confédéralisme proposé
22 d'ailleurs par le président de Macédoine et considéré comme une solution
23 plus intelligente.
24 Q. Y avait-il également une unité de la TO à Bosanski Samac ?
25 R. Dans l'ex-Yougoslavie, en dehors des forces armées représentées par la
26 JNA, il existait ce qu'on appelait le système de la Défense territoriale
27 qui, pour l'essentiel, relevait de la responsabilité des républiques.
28 Toutes les municipalités avaient leur état-major de la Défense territoriale
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1 qui existait également au niveau de la république. Donc très concrètement,
2 à Samac, il y avait un état-major de la Défense territoriale comme il y en
3 avait un à Sarajevo au niveau de l'état-major de la république. Ces états-
4 majors avaient leurs propres unités, elles avaient leurs armes et un
5 certain moment, je crois que c'est en 1990, suite à une décision prise par
6 la JNA ou par une autre instance de l'Etat, les armes ont été enlevées à la
7 Défense territoriale et déplacées dans les dépôts et entrepôts de la JNA.
8 Q. Est-ce qu'une unité spéciale a été créée à Bosanski Samac à ce moment-
9 là ?
10 R. L'état-major de la Défense territoriale a été créé, mais il ne
11 fonctionnait pas. Puis l'état-major de la Défense territoriale au niveau de
12 la République a nommé un nouveau commandant et un nouveau chef d'état-major
13 qui se sont mis à l'œuvre pour actualiser les documents. Donc l'état-major
14 de la Défense territoriale ne fonctionnait pas réellement à Bosanski Samac.
15 Q. D'après ce que je sais, il y a eu une unité qui a été créée et à qui on
16 a donné un numéro. Est-ce que vous vous souvenez de
17 ceci ?
18 R. Il existait une unité créée par la JNA. Moi, je parlais de la Défense
19 territoriale jusqu'à présent. Donc c'est la garnison de la JNA de Brcko qui
20 a créé cette unité qui s'appelait, si je me souviens bien, 4e Détachement
21 du 17e Groupe d'assaut. Cette unité comptait 400 hommes environ, en
22 majorité Serbes, mais il y avait également des Musulmans et des Croates au
23 sein de cette unité. Ces hommes ont reçu des armes, ils ont été bien armés
24 pour l'époque, ils disposaient de fusils automatiques, de canons, de lance-
25 roquettes manuels, de mitrailleuses, et cetera.
26 Cela a créé pas mal de troubles dans la ville. Ils étaient sous le
27 commandement direct de la JNA, je parle des hommes de ce détachement, même
28 s'il y avait également des civils de Bosanski Samac parmi eux. Pas mal de
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1 civils avaient fait l'armée auparavant ou étaient dans les forces de police
2 ou dans les services de sécurité de façon générale. Donc le détachement a
3 été créé à partir des membres de leurs familles ou des gens qu'ils
4 connaissaient.
5 Q. Quelles raisons ont été avancées pour créer ce 4e Détachement ?
6 R. Ce qui a été dit publiquement, c'est que ce détachement était chargé de
7 prévenir les affrontements interethniques et d'éliminer éventuellement
8 toute tentative de créer une formation paramilitaire à Bosanski Samac, et
9 de prévenir même l'arrivée de telles formations éventuellement à partir de
10 la Croatie à Bosanski Samac. Ceci a été déclaré publiquement aussi, de
11 sorte que certains, faisant confiance à ce qui était déclaré en public, se
12 sont joints à ce détachement, des gens qui croyaient qu'il était possible
13 de maintenir en vie la Yougoslavie, et qui croyaient que l'armée populaire
14 yougoslave pouvait continuer à être une armée commune de tous les peuples
15 et citoyens du pays.
16 Alors que dans la réalité les choses étaient différentes, car dans la
17 réalité - et cela été prouvé à Bosanski Samac, y compris - ce détachement
18 avait été instrumentalisé pour servir la politique lancée à Belgrade en vue
19 de créer la Grande-Serbie, et de concert avec d'autres unités, ce
20 détachement a participé à l'occupation réelle et effective de Bosanski
21 Samac.
22 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, j'aimerais
23 maintenant montrer au témoin le document 996 de la liste 65 ter. Il s'agit
24 d'une décision prise sur l'établissement de la municipalité serbe de
25 Bosanski Samac. Je souhaite montrer ceci à M. Tihic, et je souhaite qu'il
26 lise la première phrase du paragraphe 2, article 2.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mussemeyer, il doit y avoir une erreur au
28 transcript. Le numéro, c'est 966 et pas 996.
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1 M. MUSSEMEYER : [interprétation] C'est exact. En fait, c'est l'inverse.
2 C'est bien le 996.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Ça dépend comment on le lit. Bien. Donc 996. Très
4 bien.
5 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
6 Q. Monsieur Tihic, veuillez lire la première phrase de l'article 2, s'il
7 vous plaît.
8 R. Oui, je peux. Première phrase, n'est-ce pas.
9 "Les municipalités serbes de Bosanski Samac et Pelagicevo se composent des
10 localités suivantes : Bosanski Samac, Pisaric, Karic, Donja Crkvina,
11 Kruskovo --
12 L'INTERPRÈTE : L'interprète lisait la première phrase de l'article 2 dans
13 la version anglaise. Or le témoin dit ce qui suit :
14 LE TÉMOIN : [interprétation]
15 R. "En vertu de l'article 256 d'un acte de Bosnie-Herzégovine, et
16 s'agissant du secteur de Bosanski Samac, Gradacac, Odzak, selon la volonté
17 exprimée lors du référendum des 9 et 10 novembre 1991, et en vertu de la
18 décision relative à la création de la République serbe de Bosnie-
19 Herzégovine, le 29 février 1992, l'assemblée du peuple serbe adopte la
20 décision relative à la création de la municipalité serbe de Bosanski Samac
21 et de la municipalité serbe de Pelagicevo en cours de création.
22 "Article 1. Les municipalités serbes de Bosanski Samac et Pelagicevo sont
23 créées. Le siège de la municipalité est à Bosanski Samac."
24 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
25 Q. Première phrase de l'article 2.
26 R. "Les municipalités serbes de Bosanski Samac et Pelagicevo se composent
27 des localités suivantes : Bosanski Samac…" --
28 Q. Monsieur Tihic, je souhaitais m'arrêter là. Connaissez-vous cette
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1 décision et quel commentaire avez-vous à faire dessus ?
2 R. Oui. Je connais cette décision, et mon commentaire consiste à dire que
3 cette décision est contraire à la constitution de Bosnie-Herzégovine,
4 qu'elle a été prise en allant contre les procédures fondamentales qui
5 régissent la création des municipalités, car comme vous pouvez le voir dans
6 ce texte, un certain nombre de personnes se sont réunies et ont pris cette
7 décision. Or, il ne s'agissait que députés du Parti démocratique serbe.
8 C'est-à-dire qu'en réalité, c'est un seul parti qui a pris cette décision
9 avec quelques rares députés provenant d'autres partis qui étaient d'accord
10 pour participer à la réunion.
11 Mais nous ne voyons pas ici de députés de Croatie ou de Musulmans de
12 Bosnie ou d'autres groupes. Donc cette décision n'a pas de validité légale
13 ou juridique. C'est simplement un apport supplémentaire aux affrontements
14 et à la division. Et comme on peut le voir dans ce document, les noms de
15 lieux ont été changés, et le qualificatif serbe a été ajouté devant les
16 toponymes comme, par exemple, Gradacac serbe, Slatina serbe, et cetera.
17 Aucune de ces localités n'existait auparavant avec ce qualificatif de
18 "serbe" avant le nom de la localité. Donc ceci est un acte illégal. Puis il
19 y a eu débordement de territoires, certaines communautés locales qui ne
20 comptaient pas uniquement une population serbe ont été modifiées sur le
21 plan territorial.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Pour une fois, on a un témoin qui a la particularité
23 d'être homme politique d'envergure, d'avoir été avocat, d'avoir été juge et
24 d'avoir été procureur. Donc on a un juriste devant nous. Donc c'est au
25 juriste que je m'adresse.
26 Il me m'a pas échappé que dans ce texte on a mis devant certaines
27 municipalités le terme "serbe," "Serbian." Mais en regardant ce texte, on
28 voit qu'il y a une référence explicite à l'article 258 de la constitution
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1 de l'ex -- de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine. Alors, moi,
2 je n'ai pas la constitution sous les yeux, mais que disait cet article 258
3 ?
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suppose que ceci est le fondement juridique
5 utilisable pour créer une municipalité; mais ce n'est une base juridique
6 que de façon générale, car de ce principe général découle une loi qui
7 établit les conditions dans lesquelles on peut créer une organisation
8 territoriale en République de Bosnie-Herzégovine, donc les conditions dans
9 lesquelles des municipalités peuvent être créées. Donc cela ne stipule
10 qu'une condition générale.
11 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Je crois que l'Accusation devrait
12 nous montrer l'article 258 de la constitution de façon à éviter toute forme
13 de conjecture. L'Accusation est en possession de tout le texte de la
14 constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine.
15 M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre peut aussi rechercher l'article 258, je
16 pense que la juriste de la Chambre est en train de s'y activer.
17 Mais indépendamment de cela, Monsieur le Témoin, il semble qu'il y a dans
18 ce texte une configuration inédite, à savoir qu'il y a la République
19 socialiste de la République de Bosnie-Herzégovine qui avait une existence
20 légale, mais que le 29 février a été établie la République serbe de Bosnie-
21 Herzégovine, alors même qu'il y avait eu le référendum, comme le dit le
22 texte, les 9 et 10 novembre 1991. Et également, la déclaration
23 d'indépendance de la Bosnie-Herzégovine.
24 Alors, vous qui êtes juriste, d'après vous, quel est le texte qui
25 doit prédominer ? J'ai cru comprendre que c'était la constitution de la
26 République de Bosnie-Herzégovine. Alors dites-nous, quelle
27 date ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Avant tout, je tiens à dire que ce référendum
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1 dont il est question dans le préambule de la décision est un référendum
2 illégal qui a été organisé les 9 et 10 novembre 1991, parce que la cour
3 constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a abrogé la décision en question
4 comme anticonstitutionnelle.
5 Donc l'ensemble des fondements qui sont évoqués dans le préambule du
6 texte ici sont nuls et non avenus, en tout cas, déclarés tels par la cour
7 constitutionnelle, et la décision a été annulée. Le référendum relatif à
8 l'indépendance de la Bosnie s'est tenu le 21 février et le 1er mars 1992, et
9 ça c'est quelque chose d'entièrement différent qui n'est pas évoqué dans
10 cette décision.
11 Par ailleurs, aucune loi de l'époque, pas plus d'ailleurs que les
12 lois actuelles de Bosnie-Herzégovine, n'autorisent une municipalité à se
13 doter d'un qualificatif ethnique, il n'y a pas d'utilisation des épithètes
14 serbe, musulman de Bosnie, croate ou autre, à côté des lieux de localités,
15 ce sont uniquement les Serbes qui ont imposé ce qualificatif de serbe, en
16 parlant de Sarajevo serbe, de telle et telle localité serbe, et cetera,
17 toutes sortes de localités se sont vu apposer ce qualificatif de serbe et
18 la cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a annulé et déclaré nulle
19 et non avenue ce genre de décision, parce qu'elle l'a estimée contraire à
20 la Déclaration des droits de l'homme. Encore aujourd'hui en Bosnie-
21 Herzégovine, on ne trouve pas un nom de localité suivi d'un qualificatif
22 ethnique de ce type, car c'est contraire à la constitution et à la
23 convention européenne sur les droits de l'homme et les libertés.
24 Donc cette décision est totalement illégale. C'est un groupe de
25 personnes qui se sont regroupées, qui ont proclamé la création de ces
26 municipalités et de la République serbe, et cetera.
27 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
28 Q. -- décision également, s'il vous plaît.
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1 A. "Les fonctionnaires, les employés avec habilitation particulière, les
2 employés travaillant pour des organes administratifs, des entreprises ou
3 institutions ou organismes financiers de l'Etat conserveront…"
4 Et là, il faudrait remonter le texte à l'écran.
5 "…les haut fonctionnaires, les responsables de la gestion et des
6 financements conserveront leurs postes, leurs droits et leurs devoirs
7 jusqu'à répartition définitive des actifs," ce qui signifie que là encore
8 il est question de Serbes.
9 Des décisions comme celles-ci ont été votées un peu partout en Bosnie-
10 Herzégovine, et les membres de tous les autres groupes ethniques, qui
11 travaillaient en tant qu'employés ou en tant que responsables de gestion,
12 et cetera, se sont retrouvés sans emploi. Ils ont été démis de leurs
13 fonctions. Les seules personnes qui ont conservé leur emploi étaient les
14 représentants du peuple serbe, une nouvelle preuve de l'illégalité de
15 telles décisions.
16 M. MUSSEMEYER : [aucune interprétation]
17 M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro à ce document.
18 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Voilà, Monsieur le Juge, ce sera le
19 numéro P670. Merci.
20 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
21 Q. Monsieur Tihic, je souhaite maintenant évoquer la situation avant
22 l'attaque de Bosanski Samac. Y a-t-il eu des rumeurs qui ont circulé dans
23 le village; et si oui, quelles étaient ces rumeurs ?
24 R. Je parle bien de la ville, mais c'était peut-être le cas aussi dans les
25 villages. Des rumeurs circulaient au sujet de risques d'attaques et du
26 danger que Bosanski Samac soit prise en tant que municipalité et en tant
27 que ville. Ces rumeurs étaient très diverses, elles circulaient rapidement.
28 Il y avait des gens qui disaient que des unités de la Défense territoriale
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1 serbe et de la JNA allaient arriver et s'emparer de Samac; et par ailleurs,
2 il y en avait d'autres qui disaient que des unités croates stationnées à
3 Slavonski Samac allaient traverser la rivière et s'emparer de Bosanski
4 Samac. Les Serbes avaient peur de ce que pourraient faire les unités venues
5 de Croatie, étant donné l'expérience déjà vécue à Bosanski Brod.
6 Donc toutes ces craintes ne cessaient de s'intensifier, et toutes sortes
7 d'informations diverses circulaient, mais ce n'était que des rumeurs. Nous
8 avions peur des deux. Nous étions opposés à ce que quiconque s'empare de
9 Bosanski Samac, nous ne voulions pas que les unités croates le fassent, pas
10 plus que les unités serbes ou la JNA. Nous voulions que Bosanski Samac
11 demeure bosniaque et ne soit pas placée entre les mains d'un seul groupe
12 ethnique, qu'il soit serbe ou croate.
13 Mais comme je l'ai déjà dit, ces rumeurs se sont intensifiées, et nous
14 avons fini par en prendre l'habitude. Il y avait toutes sortes de rumeurs
15 qui circulaient, nous pensions que personne ne serait assez fou pour
16 s'attaquer à Samac et l'occuper, parce que cela signifiait la guerre, cela
17 signifiait des souffrances et des victimes humaines. Mais nous avons pris
18 l'habitude d'entendre circuler ces rumeurs sans davantage y attacher
19 d'importance finalement.
20 Q. [aucune interprétation]
21 R. Voyez-vous, là, je m'exprime comme un Musulman de Bosnie : nous étions
22 minoritaires à Bosanski Samac, pas plus de 7 %; et on ne cessait d'entendre
23 des rumeurs indiquant que les Serbes étaient en train de s'armer, que la
24 JNA avait distribué des armes, ce qui était vrai, que les Croates étaient
25 en train de s'armer à partir de la Croatie.
26 Qu'est-ce que nous pouvions faire, nous, les Musulmans de Bosnie ?
27 Nous nous rendions compte que nous risquions d'être victimes des uns ou des
28 autres. Alors nous avons commencé à réfléchir à ce que nous pourrions
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1 faire, à nous organiser, conscients du fait que même si nous nous
2 organisions, nous ne parviendrions jamais à être sur un pied d'égalité avec
3 les autres groupes ethniques, puisque je vous ai donné les pourcentages de
4 44 % de Croates, 42 % de Serbes et 7 % de Musulmans de Bosnie. Les Croates,
5 d'une certaine façon, pouvaient s'appuyer sur la Croatie voisine; les
6 Serbes pouvaient s'appuyer sur la JNA; mais nous, les Musulmans, que
7 pouvions-nous faire dans une situation de ce genre ?
8 Quoi qu'il en soit, nous avons organisé des patrouilles de gardes qui ont
9 été placées à l'entrée de Bosanski Samac pour empêcher la pénétration dans
10 la ville d'unités paramilitaires et empêcher tout massacre de la population
11 ou choses de ce genre.
12 M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'aimerais montrer à l'écran le document
13 1117 de la liste 65 ter.
14 Q. Monsieur Tihic, lorsque vous verrez ce document, pourriez-vous
15 nous dire de quoi il s'agit ?
16 R. Oui. Ceci est une lettre ou un document adressé à l'état-major de la
17 Défense territoriale et accompagné d'une liste dans laquelle tous ceux qui
18 voulaient participer à la défense de Bosanski Samac pouvaient inscrire
19 leurs noms, parce qu'en tant que Musulmans de Bosnie, nous pensions qu'il
20 serait bon que l'état-major de la Défense territoriale commence à
21 fonctionner en tant qu'institution légale, en dehors de création de quelque
22 parti que ce soit, de quelque armée, de quelque armée ethnique que ce soit,
23 ou de quelque groupe distinct de ce genre.
24 Je pense que vous avez sans doute la liste qui est annexée à ce document.
25 Vous voyez les noms des hommes qui étaient prêts à rejoindre l'état-major
26 de la Défense territoriale et à agir dans le cadre de la défense de
27 Bosanski Samac. Je pense qu'il y a une centaine de noms dans cette liste.
28 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pour votre information, je tiens à dire
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1 que c'est à la page suivante, c'est là qu'on a la liste
2 des noms.
3 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais que
4 cette pièce soit versée au dossier, s'il vous plaît.
5 L'ACCUSÉ : [interprétation] Je pense, Madame et Monsieur les Juges qu'on
6 devrait vous montrer cette liste. C'est très important pour l'opinion
7 publique aussi, non seulement pour le dossier seul pour que vous puissiez
8 le voir ultérieurement, qu'on le voit tout de suite, en raison du public,
9 et pour qu'on voie que sur cette liste il n'y a que des noms de Musulmans.
10 M. LE JUGE ANTONETTI : C'est justement la question que j'allais vous poser
11 si M. Seselj n'était pas intervenu.
12 Pendant que vous répondiez au Procureur, j'ai consulté la liste. Et je vois
13 qu'il y a 212 noms. Avec, semble-t-il, sauf erreur de ma part, des
14 affectations de ces personnes dans des unités, vous-même d'ailleurs vous
15 figurez au numéro 1 de la liste, et je vois Brigade 3. Alors j'ai pris note
16 que vous étiez 7 % de Musulmans, donc très minoritaire, mais vous estimez
17 devoir constituer une Défense territoriale quasiment musulmane, puisque la
18 liste semble - peut-être que vous allez me dire qu'il y a quelques Serbes
19 ou Croates dans cette liste.
20 Comment dans une situation comme celle-là, 7 % de personnes créent une
21 force armée, pouvez-vous nous expliquer cela. Répondez d'abord; est-ce que
22 les 212 personnes sont toutes Musulmanes; et quel était l'objectif de cette
23 force.
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Pour la plupart des cas, il y avait des
25 Musulmans, mais il y avait des ressortissants d'autres groupes ethniques.
26 On peut voir d'après les noms et prénoms, ceux qui résident en Bosnie
27 savent quels sont les noms musulmans et quels sont ceux des catholiques et
28 orthodoxes.
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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] Il n'y a que quelques Croates, je n'ai trouvé
2 aucun Serbe d'après ce que j'ai pu conclure en fonction des noms. Que M.
3 Tihic nous dise où est-ce qu'il a vu les Serbes.
4 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais continuer à répondre.
5 Nous avons communiqué la liste des Bosniens qui étaient disposés à faire
6 partie de ce QG de la Défense territoriale. Le QG était constitué par des
7 ressortissants du groupe croate et serbe. Nous nous attendions à ce que, de
8 la part des Croates et des Serbes, on nous communique les noms de plus de
9 personnes. Nous n'avons pas prétendu vouloir en avoir que des Musulmans
10 parce qu'ils étaient 7 % sur cette liste; les Croates et les Musulmans
11 étaient censés communiquer leurs noms, ils étaient censés nous fournir des
12 listes de 1 000 ou 2 000 noms.
13 Pour ce qui nous concerne les gens, les habitants de Bosanski Samac, qui
14 avait une majorité musulmane, et nous l'avons fait, c'était ce qui étaient
15 censés faire les ressortissants du groupe ethnique croate ou serbe et leurs
16 listes auraient été plus longues puisqu'ils étaient plus nombreux.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Y a-t-il dans la liste des
18 Serbes ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Revenez un peu plus haut là, là ce n'est que
20 la dernière page. Passez à l'autre page. Plus loin encore. Un peu plus loin
21 encore. Continuons. Poursuivons.
22 Je n'ai reconnu aucun nom ici du groupe ethnique serbe, je veux dire.
23 M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro, puisque le Procureur voulait
24 l'admission du document avec la liste.
25 Monsieur le Greffier, un numéro.
26 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la cote P671. Je vous
27 remercie.
28 L'ACCUSÉ : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, juste une
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1 observation. Je pense que ce serait important pour vous de le faire
2 constater. Il y a six Croates, il n'y a pas un seul Serbe; sur 212
3 personnes, il y a six Croates et pas un seul Serbe.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. C'est au transcript.
5 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
6 Q. Monsieur Tihic, pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire maintenant si
7 vous avez remarqué à l'époque que vos voisins serbes commençaient à avoir
8 un comportement un peu bizarre ?
9 R. Etrange, inhabituel ? Je dirais qu'il y a eu des lignes de partage pour
10 ce qui date de la création de la Yougoslavie. Ça peut paraître inhabituel,
11 mais quand on avait un week-end et que les gens rentraient dans leur
12 village d'origine, j'imagine que c'était par peur de voir la ville de Samac
13 attaquée. Probablement, avaient-ils obtenu des informations particulières
14 et ils avaient l'air de suivre une politique telle que la mise en œuvre
15 dans la direction serbe du point de vue de l'avenir de cette ex-
16 Yougoslavie.
17 Il y avait parmi eux des gens qui n'étaient pas d'accord, qui étaient
18 préoccupés. Et moi, en ma qualité d'avocat, j'ai eu à entendre un client
19 qui m'a raconté qu'au village de Batkusa, non loin de Bosanska Samac, il
20 est arrivé un hélicoptère de la JNA, et qu'ils avaient amené des Bérets
21 rouges, une unité spéciale. Ces gens-là s'étaient comportés de façon très
22 brutale vis-à-vis de ces villageois de Batkusa. Ils auraient tabassé une
23 garde serbe qui montait la garde face à Ostra Luka, un village croate. Et
24 après cela, les gardes serbes et croates étaient partis au resto et ils se
25 sont saoulés et les Bérets rouges les ont tabassés, leur ont coupé les
26 cheveux avec boule à zéro, alors qu'ils buvaient et qu'il n'y avait
27 personne pour monter la garde.
28 Ils se comportaient de façon brutale vis-à-vis des femmes aussi, ce qui
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1 fait que leur venue sur les lieux n'a pas été accueillie avec une
2 approbation générale.
3 Q. Pourriez-vous nous clarifier quelque chose. Vous nous dites que le
4 vendredi, les gens quittaient la ville. Pouvez-vous nous dire de qui il
5 s'agissait, tous les groupes ethniques ou un certain groupe ethnique
6 uniquement ?
7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Je ne me souviens pas que M. Tihic
8 ait dit cela. J'exige que M. Mussemeyer nous dise à quelle page du compte
9 rendu cela a été consigné pour ce qui est des départs le vendredi. Je ne
10 pense pas qu'on ait entendu cela.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Je ne sais pas dans votre langue ce que vous dites,
12 mais vous n'avez rien à exiger. Vous pouvez faire une demande, mais vous
13 n'exigez pas. Alors, dans ma langue, c'est traduit : "J'exige." Ce n'est
14 peut-être pas ça que vous avez voulu dire.
15 Bien. Mais c'est peut-être un problème de traduction.
16 L'INTERPRÈTE : Non, ce n'est pas un problème de traduction, Monsieur
17 le Président. Il a dit "zarteva," "exige."
18 M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Alors, les interprètes me disent que vous
19 avez bien dit "exige." Vous avez rien à exiger. Vous demandez.
20 Monsieur le Témoin, l'histoire du week-end, il y a peut-être une confusion.
21 Qu'est-ce que vous vouliez dire ? J'ai pas très bien compris. Des deux
22 choses l'une. Ou les gens qui travaillaient dans votre localité partaient
23 dans les villages parce que c'est le week-end et revenaient avec des
24 informations; ou bien, c'est des gens qui étaient dans le village, qui,
25 pendant le week-end, venaient dans la ville pour peut-être aller acheter
26 des marchandises, et à ce moment-là rapportait des rumeurs ?
27 Pourriez-vous nous dire ce que vous aviez voulu dire ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] D'habitude, les week-ends, les citoyens de
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1 Samac, surtout ceux du groupe ethnique serbe et croate qui résident à
2 Bosanski Samac à titre permanent et qui y travaillent, prenaient leurs
3 familles pour aller vers leurs villages, des villages monoethniques. Les
4 Serbes allaient vers les villages serbes, les Croates vers des villages
5 croates, en raison d'une peur, d'une appréhension qui était celle de voir
6 que le week-end à venir, Bosanski Samac serait attaqué par les Serbes,
7 voire par les Croates. Il y a eu des rumeurs qui avaient couru avant le
8 week-end disant que c'étaient des informations confidentielles ou soi-
9 disant confidentielles, et les gens avaient pris peur. Ils ne voulaient pas
10 être là lorsqu'il y aurait eu attaques des unités, voire serbes, voire
11 croates, parce qu'ils se sentaient plus en sécurité dans leurs villages
12 respectifs. Le lundi venu, ils rentraient parce qu'ils devaient forcément
13 aller au travail.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, si je comprends bien, c'est dans le cadre de
15 ces allées et venues que vous aviez appris que les Bérets rouges seraient
16 arrivés en hélicoptère ?
17 LE TÉMOIN : [interprétation] De la part de mon parti au sein de mon cabinet
18 d'avocat, j'ai eu à apprendre que les Bérets rouges étaient venus.
19 Quelqu'un, un homme me l'a dit à titre confidentiel. Ça doit être consigné
20 au compte rendu. Je ne sais pas si c'est une bonne chose que de donner son
21 nom en public pour ne pas qu'il n'ait des problèmes.
22 M. LE JUGE ANTONETTI : Ce n'est pas la peine. Alors, moi, ce détail est
23 important, parce que cette organisation des Bérets rouges, si elle vient en
24 hélicoptère de l'armée de la JNA, c'est qu'il y a manifestement un contrôle
25 de l'armée sur cette unité. Vous, qu'est-ce que vous en dites ?
26 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien entendu. Bien entendu que l'armée avait
27 contrôlé toutes ces unités paramilitaires. Ce n'était pas des
28 paramilitaires. C'étaient des unités spéciales du ministère de l'Intérieur
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1 de la Serbie, voire de l'armée, de la JNA. A titre officiel peut-être ne se
2 présentaient-ils pas ainsi, mais on ne peut pas arriver à bord d'un
3 hélicoptère et être une unité paramilitaire. D'où pouvaient-ils sortir
4 toutes ces armes ? Donc de facto, c'étaient des unités qui intervenaient
5 suivant les ordres, voire de la police, voire des services de
6 Renseignements, voire des services militaires. Ils disposaient d'uniformes
7 du reste, d'uniformes militaires avec des insignes autres, pas ceux de la
8 JNA.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Alors donc, ces Bérets rouges, tel que je comprends
10 ce que vous dites, pour vous c'étaient des unités spéciales de l'armée et
11 non pas des paramilitaires. Donc ça, c'est déjà important, cette
12 distinction. Mais vous avez rajouté un petit détail, où vous avez dit que
13 c'étaient des unités qui venaient du MUP.
14 Mais alors, le MUP, c'est le ministère de l'Intérieur, c'est pas le
15 ministère de la Défense ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Voyez-vous, par la suite j'ai appris que les
17 Bérets rouges faisaient partie du ministère de l'Intérieur, c'est-à-dire de
18 la police de Serbie. A ce moment-là, ils portaient des uniformes
19 militaires. Aussi avais-je pensé que ça faisait partie de l'armée. Par la
20 suite, après la guerre, j'ai appris que les Bérets rouges faisaient partie
21 de la police de Serbie, et le dénommé Zvezdan Jovanovic, celui qui a tué
22 Djindjic, était à Bosanski Samac. Il était là-bas le maître de la vie et de
23 la mort. C'était un criminel. Il nous a battus. Il a pillé. Il pillait tout
24 ce qu'il pouvait piller, et pour les Serbes c'était un héros national, mais
25 dans la réalité c'était un simple criminel. Parce que les criminels n'ont
26 ni religion ni nation. A la fin, il a fini par tuer son propre premier
27 ministre. Il se trouvait à Bosanski Samac, lui.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, si on comprend, vous avez appris que
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1 les Bérets verts - mais c'est après - relevaient du MUP. Mais alors, si des
2 Bérets verts relevant du ministère de l'Intérieur sont transportés à bord
3 d'hélicoptères de l'armée, est-ce à dire que le ministère de l'Intérieur et
4 le ministère de la Défense dans l'opération en question se sont coordonnés
5 ?
6 LE TÉMOIN : [interprétation] Certainement. Pas seulement dans la situation
7 concrète dont je viens de parler, mais sur le territoire de la Bosnie-
8 Herzégovine tout entière, ils intervenaient ensemble.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Bon.
10 Monsieur le Procureur.
11 M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'aimerais que nous revenions un
12 petit peu en arrière, juste poursuivre le déroulement chronologique des
13 événements. Vous nous avez dit, Monsieur le Témoin, que des armes avaient
14 été distribuées. Pourriez-vous nous dire à qui ces armes ont été
15 distribuées et si tous les groupes ethniques en ont reçu de façon égale ?
16 R. En premier lieu, les armes étaient distribuées par la JNA. Ils
17 distribuaient cela pour l'essentiel, ou pour dire plus concrètement et
18 uniquement à des ressortissants du groupe ethnique serbe. Eux, ils se
19 trouvaient dans les villages de Bosanski Samac. Ce 4e Détachement, qui se
20 trouvait à Bosanski Samac de quelque --L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas
21 entendu combien de personnes.
22 LE TÉMOIN : [interprétation]
23 R. Il y avait 80 % de Serbes et 20 % autres. Et il y a eu des Musulmans,
24 enfin, des Bosniens et des Croates à recevoir des armes également. De même,
25 nous nous sommes efforcés de nous procurer des armes, nous autres,
26 Bosniens. J'image que les Croates ont dû le faire en passant par la
27 Croatie, mais nous, ce que nous avons eu, c'était plutôt symbolique.
28 Je me souviens d'un cas où nous avons reçu depuis la Croatie d'en face
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1 quelque 50 fusils automatiques, et j'ai demandé à ce que ce soit remis au
2 QG de la TO, avec un bordereau de réception de façon tout à fait légale. On
3 a vu quelques personnes chargées de ces armes, parce que j'avais peur que
4 ces armes aux restaurants, dans les cafèts, pour des raisons privées,
5 personnelles, ne viennent à être utilisées, parce qu'il y avait eu des
6 armes même avant.
7 Il y a toujours eu cette appréhension avec les fusils de chasse, des fusils
8 automatiques, de voir quelqu'un abuser de la situation ou occasionner des
9 incidents. C'est la raison pour laquelle nous avons insisté pour que le QG
10 de la TO se mette à fonctionner, que ce soit là le commandement où les
11 armes privées et autres seraient recensées, contrôlées, confiées, contre
12 bordereaux de réception, et cetera.
13 Q. Pouvez-vous dire ce qui est arrivé au pont de Bosanski Samac à la mi-
14 avril ?
15 R. Je pense que ça s'est passé mi-mars, un mois à peu près avant l'attaque
16 de Samac. On a endommagé, plastiqué le pont de Bosanski Samac. Ça n'a pas
17 été détruit à part entière, mais il n'a plus été possible de l'utiliser
18 pour le trafic. Des rumeurs variées ont couru pour savoir qui est-ce qui
19 l'avait fait. Les uns ont affirmé que c'était les Serbes, la JNA, d'autres
20 affirmaient que c'était l'œuvre de la partie croate. Toujours est-il que le
21 pont n'était pas en service. Il eut été plus logique de penser que c'était
22 fait du côté serbe, parce que ce pont, du reste, servait pour l'entrée
23 illégale des armes pour la Bosnie-Herzégovine, et il est logique de penser
24 que la partie serbe avait souhaité couper cette filière, et il serait
25 logique de penser que c'était eux qui l'avaient fait.
26 Sur d'autres parties de la Sava, il y avait, me semble-t-il, déjà des
27 plasticages de ponts, et le trafic avec la Croatie était réduit au pont de
28 Samac et peut-être encore un ou deux ponts ça et là.
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1 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourrions-nous
2 avoir la photographie numéro 2235 de la liste 65 ter à l'écran, s'il vous
3 plaît.
4 Q. Témoin, c'est le point endommagé ?
5 R. Oui, le pont à Samac. C'est la partie du pont qui est utilisée pour la
6 circulation des voitures, il y a la partie ferroviaire ailleurs.
7 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander
8 le versement de cette pièce au dossier, s'il vous plaît.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, un numéro pour cette photo du
10 pont.
11 M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce recevra la cote P672. Je vous
12 remercie.
13 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
14 Q. Témoin, avant que le conflit n'éclate, pourriez-vous nous dire si vous
15 avez observé l'arrivée d'étrangers dans le village ?
16 R. Oui, je l'ai remarqué. Je l'ai vu dans les rues en partie, et surtout
17 dans les restaurants. On pouvait voir des gens qui parlaient l'ékavien,
18 c'étaient des gens de Serbie, et ils fréquentaient les membres de ce 4e
19 Détachement, ils étaient en civil, bien entendu. J'ai appris que du côté
20 croate, il était venu trois hommes qui se présentaient comme étant des
21 membres du HOS, mais c'est arrivé, me semble-t-il, une seule fois.
22 Q. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu l'éclatement de la
23 guerre ?
24 R. Ce soir-là, j'ai eu plusieurs réunions. La réunion était fort tendue en
25 ville. Il y a, une fois de plus, eu les rumeurs disant que Samac serait
26 attaqué. Et de chez moi avec ma femme, et mon frère depuis chez lui avec sa
27 femme, on est passés vers la maison de notre mère. Et il y a eu des tirs.
28 Il y a eu toujours des tirs, toutes les nuits, ça et là. Maintenant cette
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1 fois-là, ça a duré quand même longtemps. Et depuis ma maison, j'ai regardé
2 par la fenêtre, j'ai pu voir ces unités du 4e Détachement dans le jardin,
3 dans la cour, vers le remblai. Il devait être vers 2 heures, 3 heures.
4 Les gens de mon parti sont venus chez moi pour me dire de fuir Bosanski
5 Samac, ils sont venus pour m'appeler. J'ai refusé, parce que j'ai pensé que
6 je devais rester à Bosanski Samac avec mes gens à moi pour négocier,
7 m'entretenir avec la partie serbe. Je ne pouvais pas m'imaginer tout ce qui
8 pouvait se produire, je n'avais pas connu d'expérience de ce type jusque-
9 là. Les lignes téléphoniques à un moment donné ont été coupées, puis elles
10 ont été rétablies ultérieurement.
11 Au matin, j'ai appelé mon voisin du groupe ethnique serbe pour lui
12 demander de passer chez lui dans sa maison. Compte tenu de cette situation,
13 parce que j'ai vu que Samac était occupé, je suis donc allé chez lui, chez
14 Pavlovic Miso. Son père et sa mère étaient là d'ailleurs. On s'est assis
15 ensemble, on s'est entretenus. A un moment donné, Blagoje Simic m'a
16 contacté, il était président du SDS, il m'a appelé au téléphone. Et j'ai
17 essayé de converser avec lui comme nous avions conversé auparavant : "Que
18 cela cesse, qu'on s'assoie, qu'on négocie, qu'on se mette d'accord."
19 Des paramilitaires à Donja Mahala de Samac avaient tué déjà un homme.
20 J'ai dit à Blagoje : "Mais attends, qu'on s'installe à table." Il m'a dit :
21 "Il n'y a pas à s'installer. Nous sommes en guerre. Le peuple serbe est en
22 guerre avec le peuple musulman et le peuple croate. Jusqu'à la victoire, il
23 n'y a pas de négociations. Vous n'avez qu'à restituer vos armes." Je ne
24 pouvais pas m'attendre à ce que l'on puisse se comporter de la sorte, parce
25 que c'était quelqu'un que je connaissais d'avant. On se fréquentait,
26 notamment au travers de ces conversations politiques que nous avions eues.
27 Mes voisins m'ont conseillé d'aller un peu plus loin, parce que je
28 n'allais plus être en sécurité dans cette maison. J'ai appelé Borislav
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1 Pisarevic, un avocat, un collègue. On avait travaillé ensemble au tribunal.
2 Il était à l'époque président du tribunal; moi, j'étais juge. Je voulais
3 aller chez lui, et je voulais que Boro m'aide de quelque façon que ce soit
4 pour ce qui était de quitter Samac parce que j'ai perçu le danger. Boro est
5 venu me chercher dans l'après-midi, je suis allé chez lui à la maison avec
6 mon épouse, et Boro a essayé de contacter Simo Zaric, qui faisait partie à
7 l'époque des structures militaires ou policières, je ne sais plus trop. Il
8 n'a pas pu le contacter ou il ne pouvait pas venir, je ne sais trop, mais
9 toujours est-il que je n'ai pas pu quitter Samac.
10 Au lendemain, il est venu un membre de ces Loups gris de Serbie, je
11 ne sais plus trop comment ils s'appelaient, il y avait un policier du cru
12 et lui et Boro m'ont emmené à la police. A côté de la voiture, le chef de
13 la police serbe nous a accueillis, Stevan Todorovic, surnommé Stivi. Il
14 avait brandi son pistolet, il nous avait menacés tous les deux. Il a
15 demandé pourquoi je ne m'étais pas rendu, pourquoi Boro m'avait gardé chez
16 lui. On m'a emmené ensuite à la police, et là je suis allé d'un côté, Boro,
17 d'un autre. Et le capitaine Crni a demandé à ce que j'aille à la radio pour
18 convier les citoyens à restituer leurs armes, à ne pas tirer; bien que plus
19 personne ne tirait, sauf eux, il n'y avait qu'eux à tirer. Ce matin-là, le
20 peu de Bosniens qui avaient eu des armes s'étaient rassemblés au centre-
21 ville et ils ne savaient pas trop que faire.
22 Je me suis entretenu au téléphone avec l'un d'entre eux, un dénommé
23 Sakic Ibrahim. Je lui ai demandé ce qui se passait, comment la situation se
24 présentait. Je lui ai dit qu'on m'avait contacté avec une offre qui était
25 celle de faire entrer la JNA dans Bosanski Samac pour garantir la paix. Et
26 ultérieurement, le dénommé Sakic Ibrahim s'est entretenu avec le
27 lieutenant-colonel Nikolic, l'un des commandants de la JNA, et ils ont
28 restitué leurs armes. Il était devant les blindés de transport de troupes
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1 pour aller d'une maison à l'autre, il savait qui avait des armes, et les
2 gens ont restitué leurs armes. Ensuite, il est venu des véhicules
3 militaires dans Samac, ce qui fait qu'une vingtaine d'hommes à avoir ces
4 petits fusils ne pouvaient pas faire grand-chose. C'est une bonne chose
5 qu'ils aient restitué leurs armes.
6 Ce qui fait que mes appels lancés par Radio Samac n'ont pas eu de
7 finalité véritable parce qu'il n'y a pas eu de résistance proprement dite.
8 Que voulez-vous qu'on fasse avec une vingtaine de fusils, avec ceux
9 qu'avait la JNA lorsqu'elle est entrée avec tout ce qui accompagnait la
10 JNA, la Défense territoriale serbe, les Chetniks, les paramilitaires
11 serbes.
12 Depuis le moment où je me suis trouvé au poste de police, j'ai déjà
13 été tabassé avant que d'aller à la station radio. Et dans le couloir, j'ai
14 été approché par Slobodan Mirkovic, surnommé Lugar. Il m'avait demandé,
15 celui-là, comment je m'appelais. Je lui ai dit : "Sulejman Tihic." "Et
16 qu'est-ce que tu es ?" Je lui ai dit que j'étais "président du SDA." Il a
17 fait celui qui n'entendait pas, et il m'a dit : "Qu'est-ce que tu es ?"
18 Alors comme je me suis un peu approché de lui pour lui dire la chose une
19 fois de plus, il m'a donné un coup de poing dans le ventre. Je suis tombé
20 et les autres qui étaient là m'ont donné des coups de pied. Et celui qui
21 était censé m'accompagner jusqu'à la station radio de Samac leur a dit de
22 stopper. Il m'a d'abord emmené à la radio de Samac, où j'ai prononcé cette
23 déclaration qui était déjà imprimée sur une feuille de papier, donc je n'ai
24 eu qu'à la lire pour appeler les citoyens à cesser de tirer, à se rendre,
25 que tout irait bien, que la JNA allait reprendre la responsabilité sans
26 problème, c'était quelque chose comme ça qui était écrit sur ce papier.
27 Après ils m'ont fait revenir au poste de police, et là il y a eu
28 encore des interrogatoires. Le Lugar dont j'ai déjà parlé m'a à nouveau
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1 frappé. D'ailleurs, quelquefois, les questions n'avaient aucun sens comme,
2 par exemple : "Qui constitue la direction du SDA ?" Comme si c'était un
3 secret. C'était public, tout le monde le savait. Je sais qu'il a appelé un
4 moment une amie à lui ou je ne sais trop qui à Valjevo pour lui raconter --
5 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je suis désolé de vous interrompre,
6 mais je pense qu'il est l'heure de faire la pause. Je reviendrai sur tout
7 ça après la pause, s'il vous plaît.
8 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aurais quelques mots à dire avant la pause.
9 Est-ce que je peux ?
10 Monsieur le Président, dans le système judiciaire serbe, un accusé peut
11 exiger, il peut proposer et il peut porter plainte ou se pourvoir en appel.
12 Dans le système judiciaire serbe, il n'est jamais prévu qu'un accusé prie
13 ou supplie pour avoir quelque chose, il peut éventuellement le faire au
14 niveau de la sentence, mais pas dans le reste de la procédure. Je n'ai
15 jamais jusqu'à présent vu un condamné qui était en situation de dire "je
16 vous prie," s'agissant d'une demande faite par lui. Si jusqu'à présent il
17 m'est arrivé de dire "je vous prie," c'était par pure amabilité de ma part,
18 et je vais m'efforcer dorénavant de ne plus jamais utiliser cette
19 expression consistant dans les mots "je vous prie." Voilà ce que je voulais
20 vous dire.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Nous ne sommes pas dans le système serbe, nous
22 sommes un Tribunal international qui fonctionne avec des règles
23 particulières. Voilà. Et donc, il y a des requêtes, il y a des demandes. Il
24 n'y a pas d'exigences. C'est ce que je voulais vous dire. C'est très clair
25 pour moi.
26 Nous faisons une pause de 20 minutes.
27 --- L'audience est suspendue à 10 heures 04.
28 --- L'audience est reprise à 10 heures 26.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'audience est reprise.
2 Avant de continuer, Monsieur le Procureur, je vais donner au témoin
3 en B/C/S l'article 258, et je vais lui demander qu'il le lise parce que
4 nous n'avons pas trouvé de version en anglais. Donc j'ai un document et je
5 vais demander à M. le Témoin de nous l'article 258, ce qui permettra aux
6 interprètes de traduire immédiatement.
7 Monsieur l'Huissier, donnez à M. le Témoin le document.
8 Monsieur le Témoin, je vais vous faire travailler, je vous demande de lire
9 l'article 258 et les interprètes vont traduire.
10 LE TÉMOIN : [interprétation] "Les organisations du travail associé, les
11 communautés d'intérêt autogestionnaire, et autres organisations et
12 communautés autogestionnaires ont le droit et le devoir de participer
13 activement à la défense du pays; et en rapport avec cette tâche,
14 d'organiser et de se préparer, de s'approvisionner dans les moyens
15 nécessaires et d'accomplir les autres tâches indispensables dans l'intérêt
16 de la défense nationale, dans le respect de la constitution, des lois, des
17 plans et décisions rendus par les communautés politiques et sociales. Ces
18 organismes et communautés sont responsables de l'accomplissement de ces
19 tâches."
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je remercie d'avoir lu cet article qui semble
21 donner une certaine entité, un rôle en matière de défense.
22 Est-ce que vous avez un commentaire à faire supplémentaire par rapport à
23 cet article ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Il est évident que ce n'est pas le bon article
25 qui a été utilisé, pas le bon alinéa, pas le bon paragraphe dans la
26 décision. Car ça n'a rien à voir avec l'organisation territoriale.
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Monsieur le Président, vous venez
28 d'avoir l'occasion de vous convaincre de ce qui se passe lorsqu'on débat
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1 dans ce prétoire sur la base de conjectures. Car en vertu de l'article qui
2 vient d'être lu, cet article de la constitution, une municipalité
3 nouvellement créée définit ses droits du point de vue de la défense
4 nationale et ceci n'a pas été utilisé comme fondement juridique pour la
5 création d'une nouvelle municipalité en brisant, en fracturant, divisant
6 une municipalité existante. C'est une interprétation arbitraire dans ce
7 prétoire.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Donc l'article a été traduit, il est au transcript,
9 le témoin a fait son commentaire et M. Seselj a donné son point de vue.
10 Bien. Alors nous allons maintenant continuer.
11 Monsieur Mussemeyer, je vous redonne la parole.
12 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
13 Q. Monsieur Tihic, je souhaite revenir à la nuit du conflit. Vous nous
14 dites avoir reçu des coups de fil. Vous souvenez-vous avoir reçu des coups
15 de fil des membres musulmans du 4e Détachement, que vous ont-ils dit ?
16 R. Je ne sais pas de quels appels téléphoniques vous me parlez. Est-ce que
17 ce sont des appels à la veille de l'attaque de Samac ou des appels après la
18 chute de Samac ?
19 Q. A la veille [comme interprété] de l'attaque, vous assistiez à une
20 réunion et au cours de cette réunion vous avez reçu des appels
21 téléphoniques ?
22 R. Oui. Quelqu'un m'a appelé au téléphone juste avant la réunion qui
23 devait se dérouler dans la soirée à Bosanski Samac, la veille de l'attaque
24 de Samac. A ce moment-là, un des habitants, un de mes sympathisants du SDA
25 m'a téléphoné pour me dire que des camions étaient arrivés dans la
26 périphérie de la ville et qu'à bord de ces camions se trouvaient des
27 soldats en uniforme. J'ai écouté cela en pensant que c'était un
28 renseignement parmi tant d'autres, comme tous ceux que l'on entendait
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1 circuler dans la ville.
2 Mais dans la soirée, j'ai réalisé quelle était la signification de
3 cette information. Par le passé, ce qui s'était passé c'est que plus tard
4 on se rendait compte que certaines informations étaient justes ou que
5 d'autres ne l'étaient pas. Mais là, je me suis rendu compte de la
6 signification de cette information et je me suis rendu compte aussi que je
7 n'aurais de toute façon rien pu faire.
8 Q. Vous a-t-on informé du fait que les gens avaient été tués à ce moment-
9 là ?
10 R. Je l'ai appris le lendemain quand Samac a été attaquée, à ce moment-là
11 j'ai appris à Donja Mahala, un quartier de la ville, ce qu'on appelait déjà
12 les paramilitaires, je parle des membres de cette unité spéciales avaient
13 tué des gens. Oui, j'avais appris ce renseignement et c'était dans la
14 matinée du lendemain.
15 Q. Est-ce que le nom de l'unité ou des unités auxquelles appartenaient ces
16 soldats, a-t-il été évoqué ?
17 R. Il me semble qu'à l'époque on évoquait les Loups gris, des hommes
18 d'Arkan. Pour nous, tous ceux qui venaient de Serbie, tous ceux qu'on
19 appelait les "spéciaux," ou les bigarrés, bien, ils étaient tous plus ou
20 moins symbolisés par Arkan. Alors il y en avait qui les appelait les "Loups
21 gris," il y en a d'autres qui les appelaient les "hommes d'Arkan," parce
22 qu'Arkan c'était un concept, mais en tout cas ce n'était pas des membres de
23 la JNA.
24 Q. Vous souvenez-vous, si oui ou non, l'expression les "hommes de Seselj"
25 a été évoquée ?
26 R. L'expression les "Chetniks" était utilisée. Je me souviens quand ils
27 m'ont amené au poste de police j'y ai vu des uniformes très variés, très
28 divers. Et ici et là, on voyait des Chetniks avec une longue barbe, avec ce
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1 couvre-chef très particulier, vous savez, comme s'ils étaient sortis des
2 images de film relatif à la Seconde Guerre mondiale, comme si on était en
3 train de rêver.
4 Q. Merci, Monsieur Tihic.
5 M. LE JUGE ANTONETTI : Votre présence me permet de poser la question
6 suivante, parce que je pense que vous allez pouvoir y répondre.
7 Tout à l'heure, vous avez dit, il y avait des hommes d'Arkan, des unités
8 paramilitaires, et cetera, et cetera. Comment se fait-il qu'une armée comme
9 la JNA qui avait à l'époque une réputation mondiale, n'ait pas ses propres
10 unités spéciales, comme l'ont certaines armées dans le monde, et préfère
11 recourir à des unités du type de celles de Arkan ? Vous avez une
12 explication ?
13 LE TÉMOIN : [interprétation] La JNA de l'époque avait perdu son commandant.
14 La présidence de la RSFY, en tant qu'organe collectif, ne parvenait pas à
15 atteindre le consensus sur pas mal de questions et notamment sur des
16 questions relatives à la défense. Donc la JNA était dirigée à l'époque par
17 ces commandants qui étaient majoritairement dans le groupe d'appartenance
18 ethnique serbe, avec sans doute une certaine influence exercée par le
19 président de la Serbie, Slobodan Milosevic, je parle d'une influence
20 effective, pas simplement formelle.
21 Donc d'après moi, il y avait là un mélange de l'armée et de ses
22 unités qui agissaient aux alentours de l'armée ou de la police dont les
23 membres portaient des uniformes de couleur verte, qui étaient commandés par
24 les officiers de la JNA sur le terrain, mais aussi par d'autres hommes
25 venus de Belgrade et issus de service de Renseignements.
26 Pourquoi est-ce que la JNA a autorisé cela. Bien, voilà, parce que l'armée
27 avait perdu son commandant suprême et que de ce fait, les commandants
28 militaires se sont vu contraints à commencer à diriger la défense en
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1 déterminant par eux-mêmes ce qu'ils avaient le droit de faire, ce qu'ils
2 n'avaient pas le droit de faire, ce qu'ils pouvaient ou ne pouvaient pas.
3 Et finalement, l'objectif s'est un peu perdu.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Donc, d'après vous, c'est le fait même que la JNA
5 n'avait plus à sa tête un commandant. Que les généraux, enfin semble-t-il,
6 ceux qui étaient dans des cercles inférieurs, ont géré la situation de
7 cette façon. Ce qui peut expliquer à ce moment-là la constitution de ces
8 unités. Bien. Votre explication est intéressante et mérite évidemment un
9 examen en profondeur par les Juges.
10 J'ai un autre point dans cette lignée.
11 On nous a dit - et l'accusé Seselj en personne nous l'a dit lors de ses
12 multiples contre-interrogatoires concernant plusieurs témoins - qu'il y
13 avait vis-à-vis de la JNA une défiance, car la JNA symbolisait en quelque
14 sorte le communisme. Et que de ce fait, la JNA ayant des difficultés à
15 recruter des soldats, la loi permettait à ce moment-là à des volontaires de
16 ne pas être intégrés avec l'estampille JNA, mais néanmoins de pouvoir
17 participer à la défense de la patrie, par le volontariat qui était prévu
18 par la loi. Et on a vu un texte de loi en la matière.
19 Alors, vous-même, au niveau de la municipalité que vous aviez eu l'honneur
20 de présider un moment donné, est-ce que vous aviez ressenti à l'égard de la
21 JNA cette hostilité quelles que soient les ethnies, musulmanes, serbes,
22 croates, et ce qui pourrait expliquer ce phénomène de volontaires ? Qu'en
23 pensez-vous ?
24 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense, si l'on parle des Musulmans et des
25 Croates, qu'ils considéraient surtout la JNA comme une armée serbe car ses
26 commandants étaient avant tout serbes. Et je ne pense pas que parmi les
27 Serbes il y avait le moindre problème pour recruter le nombre nécessaire
28 d'hommes au sein de cette armée dans leur respect plein et entier de la
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1 loi. Je pense que ces unités de volontaires sont la conséquence davantage
2 de la situation politique régnant dans le pays et qu'elles ont, en fait,
3 été créées par les Services secrets qui étaient chargés de la sale besogne,
4 en particulier, par exemple, d'arriver avant la JNA, de commettre tel ou
5 tel crime, ensuite la JNA fait son apparition comme une espèce de sauveur,
6 puis elle part, elle repart, et elle laisse sur place des unités de Serbes
7 locaux et les paramilitaires.
8 Ces unités paramilitaires, je ne pense pas qu'elles étaient
9 constituées de volontaires au sens propre ou traditionnel du terme. Je
10 pense qu'elles regroupaient, en fait, toute une série de gens achetés, des
11 mercenaires, et même des délinquants et des criminels. Nous voyons bien
12 comment ils se sont comportés. Nous voyons les assassinats qu'ils ont
13 commis, les exactions, les actes de pillage. Je me souviens que certains
14 d'entre eux sont venus à Samac et qu'ils se sont vantés d'avoir fait de la
15 prison par le passé. Je sais que certains habitants de Samac qui avaient
16 fait de la prison ont retrouvé au sein des unités spéciales des camarades à
17 eux qu'ils avaient connus en prison. Donc ce n'était pas des volontaires au
18 sens classique du terme qui étaient venus pour se battre pour la liberté de
19 leur pays. Il y a eu de nombreux crimes commis par nombre d'entre eux qui
20 étaient, en fait, des criminels. Avec le temps, on a pu voir qu'il ne
21 s'agissait ni de patriotes ni de nationalistes. C'étaient des criminels
22 finalement.
23 J'ai parlé de Zvezdan Jovanovic qui, pendant un certain temps, aurait pu
24 être considéré comme un patriote ou une espèce de héros national, et
25 finalement c'était un criminel. Mais à Samac, nous savions cela dès le
26 départ.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : J'ai l'impression qu'il y a trois moments-clés. Le
28 premier moment, c'est que les Services secrets, d'après ce que vous dites,
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1 instrumentent certains individus qui, à ce moment-là, vont commettre dans
2 un endroit donné des exactions ou des crimes. Ça, c'est le premier temps.
3 Le deuxième temps, la JNA intervient, rétablit l'ordre, puis s'en va. Et le
4 troisième temps, des unités paramilitaires restent sur place et à son tour
5 vont commettre des exactions.
6 Est-ce que j'ai bien synthétisé votre pensée et vos propos ?
7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, avec une petite nuance au niveau de la
8 troisième étape, c'est-à-dire que dans la troisième étape à côté des
9 paramilitaires, il reste aussi des unités serbes locales. Donc ça, c'est
10 simplement une petite nuance de la Défense territoriale. Mais les unités
11 paramilitaires restent sur place, effectivement. Elles jouent toujours un
12 rôle dominant. Elles sont, en fait, maîtresses de la vie ou de la mort.
13 Elles sont celles qui commettent les assassinats, les actes de pillage, et
14 qui ont, entre autres objectifs, celui de briser tout rapport interethnique
15 harmonieux.
16 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
17 Q. Monsieur Tihic, j'aimerais revenir à la situation qui a suivi le moment
18 où vous avez donné un entretien. On vous a ramené au poste de police et
19 vous nous avez déjà dit que vous avez été fortement battu par un certain
20 Lugar. Vous souvenez-vous lorsqu'on vous a passé à tabac que Lugar était en
21 train de passer des coups de fil ?
22 R. Oui. Il était en train de parler avec une femme au téléphone. En tout
23 cas, c'est ce qu'on pouvait comprendre d'après ce qu'il disait, une amie à
24 lui. Il lui disait : "Tu veux savoir ce que je fais ? Bien, écoute ce que
25 je fais." A ce moment-là, il retourne le récepteur dans l'autre sens et un
26 de ses collègues me tape dessus, et il place l'écouteur de façon à ce
27 qu'elle entende bien ce que le collègue fait.
28 Q. Avez-vous jamais été frappé par des gens qui étaient originaires de
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1 Bosanski Samac ?
2 R. Non. Les Serbes de Bosanski Samac ne m'ont jamais frappé. S'ils en
3 avaient la possibilité, ils m'ont aidé, voyez-vous. Mais ces spéciaux,
4 enfin, vous, vous les appeler des paramilitaires. Pour moi c'est une
5 expression tout à fait inadaptée. Mais en tout cas, quand ils sont partis,
6 le commandant de police, qui était Serbe, m'a envoyé un médecin pour qu'il
7 voie dans quel état j'étais, puis il me faisait apporter de la nourriture.
8 Il m'apportait des boissons gazeuses. Il me laissait aller aux toilettes,
9 ce qui était très important, voyez-vous, pour moi, parce que --
10 En tout cas, tant que j'étais là, aucun d'entre eux ne m'a jamais frappé.
11 Les Serbes de Bosanski Samac n'ont jamais porté la main sur moi. Voyez-
12 vous, je les connaissais. Ils me connaissaient. Je connaissais leurs
13 parents, leurs pères. Ils connaissaient mon grand-père. Je connaissais
14 leurs familles. Très souvent ils venaient même me présenter leurs excuses
15 quand ils devaient m'emmener quelque part et qu'on me frappait, il me
16 disait "Docteur, on est désolés."
17 Q. Quand les interrogatoires avaient cessé et les passages à tabac avaient
18 cessé, où vous a-t-on emmené ?
19 R. Ce soir-là, on m'a d'abord emmené au QG de la Défense territoriale qui
20 se trouve en face du poste de police. C'est comme une espèce d'entrepôt qui
21 fait 15 mètres sur 20. Là il y avait déjà une cinquantaine de personnes
22 rassemblées. Puis on a été obligé de chanter des chants chetniks. On nous a
23 frappés à l'extérieur, à l'intérieur. On nous a soumis à des
24 interrogatoires qui n'avaient pas le moindre sens, qui étaient simplement
25 destinés à distribuer des coups sur nous. Ça a duré toute la nuit.
26 On nous a donné des espèces de morceaux de carton pour que soi-disant
27 on s'allonge dessus, à même le béton, mais personne ne pouvait s'allonger
28 ou dormir, puisqu'il y avait sans arrêt quelqu'un qui arrivait et qui se
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1 présentait comme, "Je suis un homme d'Arkan, je suis ceci, je suis cela."
2 Il citait des noms d'unités, qui existaient ou pas, je n'en sais rien. Puis
3 il y en avait qui arrivaient, qui faisaient sortir quelqu'un avec le bout
4 de leurs mitraillettes, peut-être parce que cette personne lui plaisait,
5 qui sait, et qui forçaient cette personne une fois à l'extérieur à chanter,
6 allez plus fort, plus fort, plus fort. Plus tard, les gens de Samac ont dit
7 qu'on entendait ces chants jusqu'au centre de la ville et même dans les
8 environs.
9 Q. Veuillez nous expliquer dans le détail ce que Lugar vous a fait
10 et comment il vous a frappé.
11 R. J'ai eu à plusieurs reprises, comment est-ce que je peux appeler
12 cela, ce genre de rencontre avec lui. Avant d'aller à la radio de Samac, je
13 l'ai rencontré une fois. Puis après l'émission de la radio Samac aussi,
14 dont je vous ai parlé il y a un instant, au moment où il parlait à
15 quelqu'un en Serbie, puis une autre rencontre encore. Quand un soldat serbe
16 a été tué - maintenant, est-ce qu'il a été tué par le HVO ? Je ne sais pas
17 - enfin, il a aussi fait partie de ceux qui n'ont frappé quand je me
18 trouvais dans le bâtiment du poste de police, dans une pièce qui faisait à
19 peine 2 mètres sur 1 mètre 20, et nous étions neuf à l'intérieur de cette
20 pièce. Il y avait un banc. Nous y sommes restés presque une semaine. On
21 dormait dans cette pièce. On s'asseyait sur le banc. On ne pouvait pas
22 aller aux toilettes. Si on avait vraiment besoin d'aller se soulager dans
23 les toilettes, à ce moment-là, au passage ils nous tabassaient tellement
24 qu'on en sortait tout bleu. En tout cas, ils ne nous autorisaient qu'à
25 uriner et pas à déféquer. Voilà comment les jours se passaient.
26 Je me souviens que de temps en temps, Lugar arrivait. Il portait des
27 grenades et il avait l'habitude de dire : "Je viens simplement pour
28 l'enterrement de ce soldat serbe, et j'ai juré devant sa tombe que je le
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1 vengerais." Et il jetait un coup d'œil dans la cellule. Nous étions neuf.
2 Il disait : "Président," - moi, j'étais président du SDA, en tout cas c'est
3 comme ça qu'il me connaissait - alors, il disait : "Président, tu seras le
4 dernier." Puis il faisait sortir les autres un par un. Il leur assénait des
5 coups, un, deux, trois, cinq coups, puis il retournait avec la personne en
6 question, et mon tour a fini par venir. Je pensais qu'il allait me tuer,
7 parce qu'il avait dit qu'il allait se venger et j'étais le dernier.
8 Puis, il y avait ce hall devant les cellules. Il faisait peut-être 4 ou 5
9 mètres de long. Alors qu'il était sur le point de frapper, il m'a donné un
10 coup sans grande intensité. Je suis tombé, mais il a fallu que je me
11 relève, parce que si je ne me relevait pas, il était prêt à me piétiner,
12 puis encore, et encore et encore de plus en plus fort. Je ne sais pas
13 combien de fois cela s'est passé. Finalement, quand je ne réussissais plus
14 à me relever, je gisais sur le sol, il m'a sauté sur la poitrine, j'ai
15 relevé les mains pour me protéger, j'ai entendu quelque chose qui se
16 brisait. J'ai essayé de me protéger avec les mains, et à ce moment-là il
17 m'a dit : "Lève-toi."
18 Quand je me suis levé, il m'a regardé, je ne savais pas ce qui se
19 passait, j'ai enlevé ma montre, je ne sais pas, je pensais que cela me
20 soulagerait, il m'a pris la montre et il m'a frappé encore une ou deux fois
21 sur la tête. J'avais du sang qui coulait sur le visage. J'avais
22 l'impression qu'il hésitait entre deux possibilités. A un certain moment il
23 a dit : "Va-t-en, écarte-toi de moi, rentre dans ta cellule." Je ne sais
24 pas ce qui a fait que tout cela s'est arrêté, l'a empêché de me tuer, mais
25 en tout cas --
26 Les gens qui étaient dans la cellule m'ont apporté de l'aide, je ne
27 pouvais plus respirer, j'étais très, très bouleversé, parce qu'il m'avait
28 aussi piétiné sur la poitrine.
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1 Q. [aucune interprétation]
2 R. Dikan, oui, oui, ça me dit quelque chose. C'est un Croate qui était
3 aussi prisonnier, il était de Slavonski Samac en République de Croatie. Il
4 avait été fait prisonnier. Il se trouvait à Samac dans un café une nuit, et
5 quand ils ont vu qu'il était Croate, ils l'ont mis dans un camp. Quoi qu'il
6 en soit ils l'ont beaucoup frappé. Je sais qu'une fois quand on
7 m'interrogeais au poste de police, j'ai entendu quelqu'un qui tirait au QG
8 de la Défense territoriale, qui tirait des coups de feu, je ne l'ai pas vu,
9 mais je l'ai entendu parce que c'était juste en face, de l'autre côté de la
10 rue.
11 Et ce Simo Zaric qui m'interrogeait, a appelé pour voir ce qui se
12 passait, qu'est-ce que c'était que ces coups de feu. On lui a dit que
13 c'était Lugar qui avait tué Dikan. Je vous ai dit qui était Dikan. Je pense
14 que ses fils étaient membres de la Garde patriotique, et donc il a tapé sur
15 lui avec un soin particulier.
16 Je sais que Simo Zaric a appelé Blagoje Simic à ce moment-là et a dit
17 : "C'est idiot," en parlant de Lugar, "vient de tuer un homme." Et selon
18 les conversations, Simo Zaric qui parlait à Blagoje Simic, j'ai compris
19 dans la conversation que Blagoje lui demandait si quelqu'un avait vu ce qui
20 s'était passé, et l'autre a répondu qu'au moins 50 personnes l'avaient vu.
21 Je sais que Simo a appelé le lieutenant-colonel Nikolic et a dit : "Ces
22 idiots vont tuer des gens, ils ont déjà tué un homme et l'armée est venue
23 pour nous tirer de là."
24 Alors je sais que Simo est parti. Est-ce qu'il est allé à l'usine de
25 Samac ou à Utva, je ne sais pas, mais le lieutenant-colonel Nikolic se
26 trouvait à cet endroit-là.
27 Q. S'il vous plaît, nous donner la liste des centres d'exemption dont vous
28 aviez connaissance à l'époque lorsque vous étiez à Bosanski Samac.
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1 R. Lorsque je me suis trouvé à Bosanski Samac, il y a eu un QG de la TO et
2 un poste de police qui ont servi de camp, où les citoyens ont été mis en
3 détention. Je sais que par la suite, il y a eu des camps d'organisés à
4 l'école secondaire technique, à l'école primaire, à Crkvina, un village non
5 loin de Samac, dans un entrepôt d'une entreprise de commerce qui s'appelait
6 Bosanka. Et il y avait tout un village croate Zasilica qui a été vidé, qui
7 a servi de camp, et où on a également installé des Bosniens et des Croates.
8 M. LE JUGE ANTONETTI : Apparemment le Procureur a changé de sujet, il
9 aborde maintenant les camps de détention. Juste un petit détail à
10 éclaircir, vous allez pouvoir l'éclaircir très vite.
11 En vous écoutant et en regardant votre déclaration, ce fameux Lugar, vous
12 semblez dire - c'est au paragraphe 44 de votre déclaration - qu'il fait
13 partie des Loups gris. Et au paragraphe 52 de votre déclaration, vous dites
14 que Lugar est membre des hommes d'Arkan. Alors, les hommes d'Arkan et Loups
15 gris, c'est pareil ?
16 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas vous dire au juste, est-ce
17 qu'il faisait partie des Loups gris ou des hommes d'Arkan. Lorsqu'on les
18 rencontrait, ces gens, à première vue on ne savait pas trop qui est-ce
19 qu'on osait regarder. On devait suivant la règle, mettre les mains dans le
20 dos et baisser la tête. C'était un homme qui parlait l'ékavien, qui faisait
21 partie des unités spéciales. De là à savoir à laquelle des unités il
22 appartenait ou une troisième, une unité tierce, que sais-je ? Je ne pouvais
23 pas savoir quels étaient tous ces insignes qu'il portait.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors donc vous dites en complément de ce que
25 vous avez dit dans votre déclaration, bon, Lugar, vous savez pas exactement
26 à quelle unité il appartenait. Les Loups gris ou les hommes d'Arkan ou une
27 unité X. Vous ne savez pas à coup sûr quelle était son unité
28 d'appartenance. On est bien
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1 d'accord ?
2 LE TÉMOIN : [interprétation] C'est d'accord.
3 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.
4 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, pouvons-nous avoir à
5 l'écran, s'il vous plaît, la pièce 1553 à l'écran, de la liste 65 ter. Il
6 s'agit d'un ordre de la station de sécurité publique de Bosanski Samac
7 signé par le témoin Stevan Todorovic qui est mort il y a quelques années.
8 Donc ça c'est juste pour information.
9 Q. Pourriez-vous nous lire cet ordre, s'il vous plaît. Le lire et le
10 commenter, s'il vous plaît.
11 R. "Conformément à la législation régissant le domaine de l'intérieur de
12 Bosnie-Herzégovine, il est donné ordre de :
13 "Premièrement : Interdiction de regroupement de plus de trois Musulmans ou
14 plus de trois Croates à un seul et même endroit.
15 "Deuxièment : Tout groupement doit être prévenu de cette interdiction. Et
16 si cela se répète, les intervenants doivent être appréhendés et arrêtés.
17 "Troisièment : Il est dit que sont responsables en personne de l'exécution
18 de ces ordres, le chef du peloton de la police militaire et le chef du
19 poste de police à Bosanski Samac, chef du centre de la sécurité publique,
20 Stevan Todorovic, ingénieur diplômé."
21 C'est un ordre notoirement connu, ça été mis en œuvre, parce que voyez-
22 vous, lorsqu'on enterrait même des gens, les Musulmans, on ne pouvait pas
23 créer une colonne, une multitude de personnes raccompagnant le décédé. Il
24 ne pouvait y avoir que les personnes qui conduisaient ce défunt pour
25 l'enterrement. Il n'y avait pas de rites religieux pour l'enterrement, pas
26 même cela n'était autorisé, et encore moins autre chose.
27 Q. Je vous remercie, Monsieur Tihic.
28 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander
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1 le versement au dossier de cette pièce.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Veuillez donner un numéro à ce document.
3 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la cote P673, je vous
4 remercie.
5 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
6 Q. Monsieur Tihic, j'aimerais que nous parlions maintenant d'un autre
7 endroit. Vous nous avez dit que vous aviez quitté Bosanski Samac, enfin,
8 vous avez été emmenés ailleurs. Pouvez-vous nous dire
9 où ?
10 R. On nous a presque tous emmenés, il n'en est resté que cinq ou six. On a
11 été emmené à la caserne militaire de Brcko, c'est à une cinquantaine de
12 kilomètres de Bosanski Samac. C'est là qu'on est arrivé. Il y a eu fouille
13 à nouveau. On nous a confisqué ce qui nous restait d'objets, les
14 portefeuilles, les montres, les bagues, et ainsi de suite. On nous a
15 installés dans des cellules. Moi, Dragan Lukac et Osman Isarevic [phon], on
16 a été mis dans une pièce à part, parce qu'on était considérés comme une
17 espèce d'extrémistes. On nous a mis des menottes aux poignets, et c'est
18 ainsi qu'on a dormi une nuit.
19 D'une façon générale, je dirais que le traitement au sein de la
20 caserne était beaucoup meilleur qu'à Bosanski Samac parce qu'on ne nous a
21 pas passés à tabac. On pouvait aller aux W.-C.
22 Q. Vous n'avez pas été battus, mais avez-vous été menacés ?
23 R. Il y a eu des cas de ce genre, oui. Il venait aussi, je m'en souviens,
24 des Chetniks avec ces espèces de toques à la tête de mort et leur barbe
25 très longue, qui menaçaient de nous égorger et de nous abattre. Il en
26 venait d'autres aussi, des hommes à Arkan, ou du moins ils disaient être
27 des hommes à Arkan.
28 Mais les militaires ne les laissaient pas entrer, et ils ne les
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1 laissaient pas nous passer à tabac.
2 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, un petit détail. Vous parlez des
3 Chetniks, et notamment quelque chose qui m'intéresse. Vous avez dit qu'ils
4 avaient des barbes très longues. Nous avons vu des vidéos, on a vu des
5 photos. Mais avant ces événements, avant l'année 1992, il y avait des
6 personnes qui avaient des barbes très longues, ou bien c'est un phénomène
7 qui est apparu au moment de ces événements ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Croyez-moi bien, je me suis posé la question
9 de savoir quand est-ce que ces barbes ont bien pu leur pousser à ce point-
10 là, parce qu'il n'y avait pas chez nous des gens qui portaient des barbes
11 longues. Parce que ça faisait penser au Mouvement chetnik, justement, qui
12 était conduit par Draza Mihajlovic, qui était un mouvement criminel. Peut-
13 être les artistes portaient-ils la barbe, des peintres, des compositeurs;
14 mais les gens ordinaires ne portaient pas de barbe, notamment pas des
15 barbes longues et mal taillées.
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc vous vous demandez comment elles ont pu
17 pousser si rapidement ? Moi aussi, d'ailleurs. Bon.
18 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
19 Q. Avez-vous remarqué une coopération entre la JNA et les unités
20 paramilitaires à Brcko?
21 R. Il est certain que ça a existé. Je ne sais pas trop quel type, mais ils
22 accédaient aux casernes, ils s'adressaient à nous, ils nous parlaient, nous
23 menaçaient, nous menaçaient de nous tuer. Je pense que d'une façon
24 générale, il devait y avoir une coopération entre la JNA et ces unités,
25 c'est certain. Parce qu'autrement, cela n'aurait pas pu se faire. Comment
26 voulez-vous que quelqu'un accède à la caserne, à l'intérieur, s'il n'y
27 avait pas eu accord ? Et quand on parle d'unités paramilitaires, comment
28 voulez-vous que ces unités paramilitaires accèdent s'il n'y a pas d'accord
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1 là-dessus ? Parce que les casernes, c'étaient des endroits où on ne pouvait
2 prendre de photos, on ne pouvait pas accéder, il fallait des cartes
3 d'identité, des autorisations particulières pour des gens ordinaires, et
4 encore moins pour des gens en armes d'entrer à l'intérieur, pensez-vous.
5 Q. Vous souvenez-vous si à ce moment-là on vous a demandé de faire une
6 interview télévisée ?
7 R. Oui. Lorsque j'étais à Brcko, on m'a demandé d'accorder une interview
8 pour la télévision, et j'étais censé aller à Bosanski Samac. Bien que je
9 n'avais pas envie d'y aller, j'ai dû y aller à Bosanski Samac. On nous a
10 d'abord conduits chez nous pour qu'on puisse se laver, qu'on puisse mettre
11 nos costumes pour que nous ayons une apparence tout à fait décente; et dans
12 le bureau de Simo Zaric, il y a eu cette interview avec la présence -- en
13 plus du journaliste et du cameraman, il y avait la télévision de Novi Sad,
14 il y avait Stevan Todorovic, qui était chef de ce poste de police. Simo
15 Zaric a même conduit l'interview, de temps à autre, il venait d'autres
16 personnes, je sais que le capitaine Crni entrait et me demandait de dire
17 qui est-ce qui donnait les coordonnées de pilonnage aux Croates pour taper
18 sur Samac. Alors je leur répondais que je n'en avais aucune idée. Après
19 l'interview, il a dit : "Amenez-le chez moi, je vais m'entretenir avec
20 lui."
21 Alors j'ai fait cette déclaration comme on devait forcément le faire dans
22 ce type de circonstances. Je sais qu'à la fin Stevan Todorovic a demandé
23 que je déclare que je n'ai été battu par personne. Ils ont enregistré cela
24 et j'ai donc déclaré que je n'avais pas été battu par la police serbe de
25 Bosanski Samac, et ça, c'était vrai. Je n'ai pas dit que c'étaient des gens
26 du poste de police de Samac qui m'avaient battu, mais c'était ceux qui
27 étaient venus de Serbie.
28 Ils ont pas relevé la différence. Et c'est par la suite qu'on nous a
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1 ramenés à Brcko. Je peux vous donner d'autres détails, si cela vous
2 intéresse.
3 M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'aimerais montrer une séquence vidéo
4 rapide. C'est un passage de cette interview. Nous l'avons dans notre
5 dossier. C'est la pièce 6449 de la liste 65 ter, veuillez, s'il vous plaît,
6 regarder l'œil gauche du témoin.
7 [Diffusion de la cassette vidéo]
8 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
9 L'INTERPRÈTE : Il y a un vrai problème au niveau de l'audition de ce
10 témoin. Soit il parle plus fort, soit on nous monte le volume de ses
11 micros.
12 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin. Attendez. Monsieur le Témoin.
13 Essayez de parler plus fort quand vous parlez parce que les interprètes ont
14 du mal à vous entendre.
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Certes.
16 [Diffusion de la cassette vidéo]
17 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] :
18 "Question : Monsieur Tihic, dites-moi très sincèrement, quelles sont
19 vos impressions concernant les autorités actuelles sur le territoire de la
20 République de Bosnie-Herzégovine, à savoir la police serbe vis-à-vis de la
21 population musulmane, vis-à-vis de vous-même et des autres habitants. Mais
22 soyez sincère, je vous prie.
23 Réponse : Pour ce qui est de l'attitude de la police serbe, des membres de
24 la police serbe vis-à-vis de moi-même, moi, je n'ai pas eu de problèmes. Je
25 pourrais dire que le comportement a été correct.
26 Question : Est-ce que quiconque, parce qu'il était Musulman, aurait
27 souffert de la part de la police serbe ?
28 Réponse : D'après ce que j'ai eu comme informations accessibles, il n'y a
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1 pas eu un seul Musulman à avoir été tué. La politique du parti, et
2 notamment celle du président Izetbegovic, c'est que nous ne devions pas
3 nous placer dans une situation subalterne et que nous ne soyons des
4 exécutants de qui que ce soit. Je ne sais pas. On m'a posé la question de
5 savoir si le parti croate vous donnait des armes, du matériel, est-ce que
6 cela vous permettrait de créer un QG où le commandement serait conjoint et
7 où chacun devrait se conformer en accordance avec ceci. Le président a dit
8 : 'Pour ce qui est des armes, vous pouviez les accepter, mais sans
9 conditions, sans commandements conjoints, sans uniformes identiques. Mais
10 qui voulez-vous qu'ils nous donnent des armes sans pour autant faire partie
11 de cette hiérarchie ?' Il se peut qu'il y ait eu cela à Bosanski Samac, une
12 volonté de créer un QG de crise conjoint. Mais j'ai déjà déclaré que j'ai
13 assisté à une réunion qui a été conviée, je ne savais pas quel était
14 l'ordre du jour, mais quand je suis arrivé, j'ai vu que…" --
15 [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]
16 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
17 Q. Monsieur Tihic, vous souvenez-vous de cela, est-ce bien l'interview que
18 vous avez faite ?
19 R. Oui, c'est cette interview.
20 Q. Savez-vous si au cours de cette interview, d'autres détenus ont aussi
21 été interviewés, et dans ce cas, où étaient-ils ?
22 R. Oui. Il y a eu des entretiens avec d'autres détenus, il y avait
23 Izetbegovic, Safet Mihajlovic [phon]. Ils étaient dans le bâtiment, mais
24 nous ne pouvions pas entrer en contact les uns avec les autres.
25 Q. Les détenus ont-ils été interviewés uniquement oralement et sans qu'on
26 les voie, parce qu'ils avaient des blessures ?
27 R. Je ne sais pas. Je suis arrivé de Brcko avec Omer [inaudible] Safet
28 [inaudible] et [inaudible] était à Samac. On nous a filmés de façon
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1 séparée, je sais qu'ils se sont efforcés par les positions des caméras de
2 dissimuler les bleus, Izetbegovic, on lui avait mis des lunettes pour qu'on
3 ne voie pas les coups qu'il avait reçus au niveau des yeux. Et Omer
4 [inaudible], on l'a pris de côté pour qu'on ne voie pas les parties
5 tuméfiées sur son visage.
6 Q. C'est une honte pour le journaliste qui était là et qui nous a vus, qui
7 a vu de quoi on avait l'air. Puis il me demande de dire sincèrement si on
8 nous avait battus, s'il y avait eu des gens à périr. Comment voulez-vous
9 qu'on parle sincèrement ? On sait ce qui serait advenu si j'avais été
10 sincère. On nous aurait tués tout de suite.
11 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, j'ai regardé comme tout le monde
12 la vidéo. J'ai noté qu'il y avait une petite tasse de café devant vous. On
13 vous avait offert le café avant ou elle était là pour le besoin de la cause
14 ?
15 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais c'est comme le costume, la tasse était là
16 pour montrer que c'était un entretien normal. C'était déjà là quand je suis
17 arrivé, il y avait du café dedans, me semble-t-il.
18 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander
19 le versement de cette séquence vidéo au dossier.
20 M. LE JUGE ANTONETTI : Un numéro.
21 M. MUSSEMEYER : [interprétation] On vient de me dire que le script de cette
22 vidéo n'a pas le bon numéro. Au lieu d'être le 6049, c'est le "6449." Le
23 6449 est le numéro erroné.
24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Le Procureur est censé savoir quand est-ce que
25 ça a été diffusé et à quelle chaîne de télévision.
26 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, la vidéo a été diffusée ?
27 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Une minute. Il faut que je recherche. La
28 source n'est pas connue, cette séquence vidéo a été saisie le 11 décembre
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1 1994. Et elle vient d'une bande vidéo "Génocide, Bosanski Samac." Elle a
2 déjà été admise et versée au dossier dans deux autres affaires, dans
3 l'affaire Milosevic, elle portait la cote 6008 [comme interprété],
4 intercalaire 12. Et dans l'affaire Bosanski Samac, IT-95-9/2, c'était la
5 pièce P16/A. C'est tout ce que je sais.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Témoin, à votre connaissance, cette vidéo a été
7 diffusée ? Il y a des personnes qui l'ont vue et qui vous en ont parlé
8 après ? Ou bien, vous ne le savez pas. Parce que là le Procureur ne peut
9 pas répondre. Il nous dit que cette vidéo a été admise, mais est-ce qu'elle
10 a été diffusée. Vous le savez ou vous ne le savez pas ?
11 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'en ai connaissance, ça a été diffusé à
12 deux reprises par le biais de la télévision de Novi Sad, que l'on capte
13 bien à Bosanski Samac. Puisque c'est une région de plaines, le signal est
14 bien reçu. La première fois ça a été diffusé, d'après ce que m'ont dit les
15 villageois, il y a d'abord eu une coupure de courant, et on a rediffusé
16 pour cette raison, pour qu'une fois de plus la chose puisse être bien vue.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Et vous pouvez nous donner une date approximative de
18 la diffusion ?
19 LE TÉMOIN : [interprétation] Ça s'est passé dès le lendemain et le
20 surlendemain. Ça a été diffusé pendant deux journées consécutives. Je ne
21 sais pas vous dire, mais j'imagine que ça dû être le 27 ou le 28 avril,
22 c'est vers ces dates-là que ça dû être diffusé. Mais je ne peux pas être
23 certain, c'est à peu près cela.
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. On va demander un numéro.
25 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la pièce P674. Je
26 vous remercie.
27 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
28 Q. Monsieur Tihic, après Brcko, est-ce qu'on vous a amenés dans un autre
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1 centre de détention; et si oui, pouvez-vous nous dire lequel ?
2 R. On nous a transférés depuis Brcko. Suite à l'attaque de Brcko, le matin
3 même c'est une explosion qui nous a réveillés, ça a fait voler les vitres
4 en éclats, et il y a eu destruction du pont qui reliait Brcko avec la
5 Croatie. Le lendemain, on nous a transférés vers Bijeljina, à la caserne
6 Fadil Jahic Spana de Bijeljina. Là aussi nous avons été exposés à tous ces
7 mauvais traitements, à des coups. Moi, en particulier.
8 On m'a amené pour nettoyer des toilettes qui étaient pleines à ras bord
9 d'excréments. On m'a demandé de gratter toutes les parties jaunies et on ne
10 m'avait pas donné de brosse, et c'était un W.-C. à la turque. Donc on m'a
11 demandé de tout nettoyer. Puis un ordre est arrivé pour que je sois ramené
12 dans la pièce où étaient installés les prisonniers originaires de Samac.
13 Puis on a été interpellé, quelques-uns d'entre nous, on nous a donné
14 l'ordre de faire demi-tour et de retourner vers un hélicoptère pour être
15 transférés à Batajnica, un aéroport à proximité de Belgrade.
16 Q. Avant de passer à Batajnica, j'aimerais savoir si l'un des gardes vous
17 a reconnu suite à l'interview télévisée que vous avez donnée, que nous
18 avons vue d'ailleurs il y a quelques minutes ?
19 R. Justement, il y a un gardien qui m'a reconnu suite à ce qui a été
20 diffusé à la télévision. J'ai cru comprendre, partant de là, qu'on nous
21 avait présentés sous un éclairage négatif comme étant des personnes ayant
22 commis des crimes. Et c'est ce policier qui m'a reconnu qui m'a amené vers
23 ces W.-C., ces toilettes, et qui m'a demandé de nettoyer.
24 Q. Pourriez-vous nous dire quand et comment on vous a amenés à Batajnica ?
25 R. Sur ce groupe de 50 personnes originaires de Samac, nous étions six,
26 sept, je ne sais trop à avoir été transférés. On nous a amenés d'abord
27 jusqu'à l'hélicoptère, on nous a placé des bandeaux sur les yeux, mais on
28 pouvait voir au travers qu'il y avait au milieu une espèce de cercueil avec
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1 des lettres dessus. J'ai cru comprendre que c'était un soldat serbe qui a
2 été tué, Vuk ou Vukmirovic, quelque chose de ce genre.
3 Et on a trouvé dans l'hélicoptère Izet Izetbegovic, le Dr Keracic et
4 Dragicevic, Ante, non pas Benko, Benko, c'était son père, le chef du poste
5 de police à Samac, celui d'avant-guerre, il s'entend. On avait des menottes
6 aux poignets. Et il y avait ce paramilitaire ou ce membre des unités
7 spéciales à avoir cette espèce de couvre-chef noir; et quand l'hélicoptère
8 a décollé, il voulait nous jeter à l'extérieur de l'hélicoptère. L'autre
9 personne qui était un civil à bord de l'hélicoptère ne l'a pas laissé
10 faire. Et par la suite, j'ai appris que cet autre homme, c'était un chef
11 chargé de la sécurité à l'aéroport.
12 Une fois arrivés à Batajnica, procédure habituelle, on nous a éjectés de
13 l'hélicoptère, donné des coups, on nous a mis à bord d'une camionnette, un
14 Pizgauer. On nous a amenés dans une pièce qui se trouvait dans les sous-
15 sols où il n'y avait pas de lumière du jour, mais une lampe électrique
16 allumée. Et là aussi il y a eu des mauvais traitements, des coups
17 d'assénés, des chansons chetniks. Il y avait aussi la photo de Draza
18 Mihajlovic.
19 Le matin, lorsqu'on voulait aller aux toilettes, il fallait aller
20 d'abord faire la bise à Draza Mihajlovic et lui dire "Bonjour, Mon
21 Général." Une fois, il y a un Croate qui est arrivé par la suite et il a
22 embrassé Draza sur la bouche. Le policier lui a donné des coups et lui a
23 dit, "Ce n'est pas un pédé. Qu'est-ce que tu as à l'embrasser sur la bouche
24 ?" Il y a eu toutes sortes de choses, toutes sortes de mauvais traitements
25 de ce type. On ne pouvait pas dormir, on nous interpellait constamment,
26 chacun nous posait des questions, nous donnait des coups.
27 Il y a plein de détails, je ne sais combien vous en conter.
28 Q. Je vous remercie de nous avoir dit cela. Pourriez-vous nous dire où se
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1 trouve Batajnica, s'il vous plaît ?
2 R. Batajnica c'est un aéroport militaire se trouvant non loin de Belgrade,
3 c'était le plus grand des aéroports militaires. On était transféré là. Au
4 début, nous ne savions pas où on était. On nous a dissimulé le fait que
5 c'était Batajnica. Par la suite, on nous l'a dit. Et d'après ce que j'ai pu
6 apprendre, nous étions dans les sous-sols d'un dispensaire sanitaire. Et
7 comme on était assez mal en point, on nous a fait venir une femme docteur
8 qui était originaire de Zadar, me semble-t-il. Partant de ce qu'elle avait
9 dit, j'ai cru comprendre qu'elle travaillait à l'étage au-dessus.
10 Il y avait de bons soldats, de bons militaires qui ne laissaient pas les
11 autres nous battre, qui empêchaient les coups, qui savaient faire venir des
12 médecins. Il y avait un Aco Ilic, un brave homme. Quand lui était d'équipe,
13 personne n'osait nous taper dessus. Il y avait un certain Ivitza [phon],
14 originaire de Slankamen, qui lui aussi était un brave homme. Il y avait des
15 réservistes qui étaient pénibles, les réservistes plus âgés, c'est eux qui
16 nous donnaient le plus de coups.
17 Q. Vous souvenez-vous si on vous a obligé à donner une autre interview
18 télévisée à Batajnica ?
19 R. Oui, j'ai dû, une fois de plus. Un jour, on m'a fait venir pour
20 une interview. Je me souviens que c'était Miroslav Lazanski qui avait
21 conduit l'interview, c'est un commentateur très connu chez nous. Il y avait
22 la police militaire, il y avait les caméras, et il m'a demandé comment
23 avons-nous pu expulser les Serbes de Sabac, et j'ai dit que ce n'était pas
24 le cas, que c'était eux qui nous avaient expulsés. Comment avons-nous, a-t-
25 il demandé, expulsé les policiers serbes du poste de police. J'ai dit que
26 ce n'était pas vrai. Sur 18 policiers, il y en avait 12 qui étaient Serbes.
27 Il m'a posé d'autres questions de ce style et j'ai répondu tout à fait le
28 contraire. Alors il a consulté ses papiers, il a regardé le policier
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1 militaire à côté et le membre de la police militaire m'a dit, "Fais gaffe à
2 ce que tu racontes, on se verra après l'interview." Alors je lui ai dit,
3 mais écoutez, penchez-vous sur mes déclarations. Vous verrez que tout
4 coïncide avec ce que je suis en train de dire maintenant.
5 On a achevé cet entretien avec moi; et je sais que le membre de la
6 police militaire m'a frappé à la tête devant lui, et l'autre qui était là
7 n'a plus laissé faire, il m'a ramené en bas, au sous-sol. Cependant, avec
8 cet enregistrement et celui d'Izetbegovic et du troisième individu qui a
9 également été interviewé, ils ont fait une émission qui laissait entendre
10 qu'on a égorgé des enfants serbes, qu'on a commis des crimes.
11 Quand on a diffusé cela à la télévision, il est venu des policiers
12 chez nous qui nous ont tabassés et qui nous ont asséné tant de coups que je
13 ne savais plus, parce qu'on nous avait présenté comme si on était ce type
14 de monstre qui était placé dans le contexte d'un crime commis ailleurs qui
15 n'avait rien à voir avec nous. Mais ils ont monté les choses de la sorte,
16 le crime aurait été commis ailleurs, à Bosanski Brod qui n'avait rien à
17 voir avec Bosanski Samac, et c'était l'impression qu'on avait voulu
18 laisser, et c'est la police militaire qui nous avait tabassés.
19 Q. Avez-vous ensuite été emmené dans un autre centre de détention
20 après Batajnica ?
21 R. Je suis resté à Batajnica du 3 mai au 27 mai 1992, après quoi on a été
22 transféré dans la prison militaire de Sremska Mitrovica. Là, on était
23 enfermé avec les gens de Vukovar. Les tortures qu'on a subies à notre
24 arrivée dans ce camp de Sremska Mitrovica c'est vraiment le maximum des
25 souffrances humaines.
26 Je crois pouvoir dire qu'on nous frappait de 6 heures du soir à 3 heures du
27 matin. On nous faisait nous mettre nus et on nous faisait nous allonger sur
28 des tables qui étaient un peu comme des tables d'opération, et moi j'ai été
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1 opéré aux hanches, et je l'ai dit, et c'est justement à cet endroit qu'ils
2 donnaient l'ordre qu'on me frappe. Et une fois que c'était terminé, on me
3 jetait dans la cellule à moitié évanoui et quand je revenais à moi on me
4 ramenait dans la salle et on recommençait, et ainsi de suite, à plusieurs
5 reprises. C'était la torture jusqu'à 3 heures du matin. Puis à un moment,
6 le silence s'est fait et le capitaine, celui qu'on surnommait le capitaine
7 Bleu Six - plus tard, j'ai découvert que c'était le chef du KOS, en tout
8 cas c'était un Croate qui était resté dans la JNA - il nous a demandé si
9 quelqu'un nous avait frappé. J'ai dit, "Non, personne," parce que je
10 parlais en présence de celui qui m'avait frappé. Alors cet homme a demandé
11 que j'enlève mes vêtements et quand je l'ai fait, il a vu les ecchymoses
12 sur ma peau et il m'a demandé, "Quelle est votre profession ?", j'ai dit,
13 "Je suis avocat," il a dit, "Honte à vous. Vous êtes avocat et vous avez
14 menti." Et j'ai dit "Non, il y a des ecchymoses qui datent de Batajnica."
15 Je ne pouvais pas avouer que c'étaient eux qui m'avaient frappé.
16 Je sais que d'autres ont dit au capitaine Bleu Six que nous avions été
17 frappés à Batajnica; mais dès qu'il a tourné les talons, ils se sont remis
18 à nous frapper. Le capitaine Bleu Six a emmené un médecin qui nous a donné
19 des espèces de cachets et des médicaments en poudre. C'était une femme qui
20 ne pouvait pas croire les chiffres qu'elle voyait quand elle a pris notre
21 tension, parce que pour elle, c'était incroyable, absolument inconcevable
22 qu'un être humain puisse survivre à de telles tortures. Nous étions cinq ou
23 six.
24 Plus tard, j'ai appris qu'une personne dont le prénom était Simo, c'était
25 un homme qui nous a beaucoup frappés, il nous a appelés à sortir de la
26 cellule après cinq ou six jours, bien entendu, nous avions les mains
27 derrière le dos et la tête baissée. Et il a dit, "On nous a dit que vous
28 aviez égorgé des enfants serbes, et nous vous avons frappés. Mais
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1 maintenant je vois dans les documents que vous ne l'avez pas fait, donc je
2 ne vous frapperai plus." Mais il y en a d'autres qui ont continué à nous
3 frapper à Sremska Mitrovica.
4 Q. [aucune d'interprétation]
5 R. Ça, c'était vraiment un problème, la nourriture. Il n'y en avait jamais
6 assez. Le matin, il arrivait qu'ils nous apportent un peu de thé et une
7 tranche de pain, et certaines tranches de pain étaient plus épaisses,
8 d'autres plus fines. Il arrivait qu'entre nous, nous nous jetions les uns
9 sur les autres pour nous battre à cause de l'épaisseur de ces tranches de
10 pain car nous avions tout le temps faim. Et si on se battait devant les
11 policiers militaires, ils emportaient toutes les tranches de pain qu'on
12 avait et on avait encore plus faim. Et le soir, par exemple, il arrivait
13 qu'ils nous apportent des macaronis, vous savez, il y avait une dizaine de
14 macaronis dans l'assiette et très, très peu de temps après, on avait de
15 nouveau faim.
16 Et ce qui était intéressait, c'est qu'après tous les petits déjeuners et
17 après tous les dîners, ils nous rouaient de coups. Ça c'était inévitable.
18 Il y avait des gens qu'on emmenait dans la journée hors de la cellule et
19 qui recevaient des coups mais les passages à tabac après le petit déjeuner,
20 après le dîner, étaient réguliers et il fallait chanter des chants
21 chetniks.
22 Q. -- quelques-uns des titres de ces chants chetniks ?
23 R. Il y avait les chants standard, "De Topola jusqu'à Ravna Gora, tous les
24 hommes sont à Draza." Draza c'était le général dont j'ai parlé tout à
25 l'heure, puis il y avait d'autres chants, "Allez, faisons la fête cette
26 nuit, arrachons les yeux des Croates, le sang des Croates va couler comme
27 de la sauce chocolat et ça, ça va nous plaire." Il y en avait qui inventait
28 de nouvelles paroles. Il y avait aussi ce chant sur le mont Velebit. Il y a
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1 aussi un chant qu'on nous forçait à chanter qui disait qu'une femme
2 musulmane déclarait que les hommes qu'elle préférait étaient des hommes
3 serbes, et cetera. Vous savez, on nous a obligés aussi à réciter le Notre
4 Père, et cetera.
5 Il y avait aussi une chanson populaire qui parlait d'un oiseau que l'un
6 d'entre eux aimait bien. Il nous ordonnait de la chanter régulièrement,
7 c'était une chanson folklorique.
8 Q. Y avait-il également un chant intitulé, "Nous allons massacrer les
9 Musulmans" ?
10 R. Oui, il y en avait. De toute façon, la plupart de ces chansons
11 parlaient toujours de la même chose, "nous allons égorger, assassiner,"
12 c'étaient des chants qui étaient interdits à l'époque du socialisme.
13 C'étaient des chants que les Chetniks chantaient durant la Seconde Guerre
14 mondiale, mais du temps du socialisme, si quelqu'un la chantait il était
15 condamné à faire de la prison.
16 Q. Vous souvenez-vous avoir donné une audition à une chaîne de télévision
17 britannique à l'époque ?
18 R. Je me souviens d'une fois. Un matin, le commandant du camp est arrivé.
19 Il a prononcé mon nom, celui de Filip Karaul, qui était commandant de
20 Mitnica, un quartier de Vukovar, et il a appelé le nom d'un volontaire
21 aussi, c'était un Allemand qui avait été volontaire en Croatie. Donc il
22 nous a fait sortir tous les trois. Lui, il était accompagné de plusieurs
23 policiers qui avaient à la main une matraque électrique.
24 Il a dit : "Il va falloir que vous donniez une interview à une
25 télévision étrangère. Moi, ce que je veux c'est que vous disiez que
26 personne ne vous a frappés, que vous avez des bonnes conditions d'hygiène,
27 que vous pouvez prendre un bain, que vous avez droit à la promenade, enfin,
28 tout ce qu'exige le CICR." J'ai demandé si j'avais le droit de dire que
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1 j'avais été frappé à Bosanski Samac. Il m'a répondu : "Fais ce que tu veux,
2 mais je te conseillerais d'éviter de dire ça aussi, parce que ta famille
3 est en Croatie à Rijeka, et donc ils peuvent très bien aller là-bas pour
4 s'en prendre à elle."
5 Je crois que c'était SkyNews qui demandait cette interview. Et là, encore
6 une fois pendant l'interview le commandant du camp et le chef du KOS du
7 camp étaient présents. Donc bien entendu, nos réponses ont obligatoirement
8 concordé avec ce qu'ils avaient exigé que nous disions. Ils nous avaient
9 bien habillés. Ils nous avaient bien coupé les cheveux pour donner une
10 allure décente.
11 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Nous disposons d'un extrait de cette
12 interview. Je souhaite vous le montrer. Il s'agit du numéro 65 ter 1059.
13 [Diffusion de la cassette vidéo]
14 L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]
15 "Une équipe de la télévision britannique "Agency News" a visité la
16 prison de Sremska Mitrovica et tourné des images dans cette prison. Nous
17 vous présentons cette émission.
18 "Plus de 450 prisonniers membres de diverses formations croates, ZNG, MUP
19 et autres se trouvent maintenant dans la prison de Sremska Mitrovica. Il
20 s'y trouve également un groupe de Musulmans. Nous avons enregistré les
21 déclarations de Sulejman Tihic, prisonnier désormais et ancien président de
22 Bosanski Samac.
23 "Tihic : Un groupe de prisonniers de Bosnie-Herzégovine, 50 d'entre nous à
24 peu près, a fait appel aux organes de Bosnie-Herzégovine en leur demandant
25 instamment de prendre notre situation et nos idées en considération. Nous
26 avons proposé qu'ils libèrent des prisons militaires ou des endroits où ils
27 se trouvent les soldats de la JNA, à peu près 25 soldats, et que la JNA
28 s'en aille hors de Bosnie en compagnie de ceux qui se trouvent actuellement
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1 dans le camp militaire de Sremska Mitrovica. Bien entendu, moi, en tant que
2 président de parti, j'ai envoyé personnellement une lettre à Alija
3 Izetbegovic, président du SDA de Bosnie-Herzégovine. J'aimerais saisir
4 l'occasion qui m'est donnée pour une nouvelle fois faire appel à eux pour
5 que les problèmes se règlent, que les parents, les enfants, les frères et
6 les sœurs soient rendus à leurs familles, et que chacun sorte de prison. Il
7 est certain que ce n'est sans doute pas facile pour eux, pas plus que ça ne
8 l'est pour nous ici, mais je pense que le problème doit être réglé.
9 "Le seul prisonnier en isolement est une certaine Manda bien connue qui a
10 commis des crimes de guerre graves. La raison pour son isolement c'est
11 aussi qu'elle est la seule femme ici. Il y a Kresimir Dzalto également,
12 aussi un membre de la Garde nationale yougoslave."
13 [Fin de la diffusion de cassette vidéo]
14 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
15 Q. Monsieur Tihic, s'agit-il de la vidéo que nous avons évoquée ?
16 R. Oui. C'est la vidéo qui a été diffusée plus tard à la télévision
17 croate. C'est à ce moment-là que ma mère et mon épouse ont vu des images de
18 moi pour la première fois et ont donc appris que j'étais en vie, car elles
19 habitaient à Rijeka, en Croatie.
20 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je souhaite demander le versement au
21 dossier de cette vidéo, s'il vous plaît.
22 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Quand ceci a-t-il été filmé ?
23 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Veuillez m'accorder quelques instants,
24 s'il vous plaît. Ceci a été filmé le 6 décembre 1994, a été saisi à ce
25 moment-là. Je peux vous donner, si ça vous intéresse, le numéro de la pièce
26 dans l'affaire Bosanski Samac. C'est le document P17.
27 M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro.
28 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce document
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1 aura le numéro P675. Merci.
2 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pouvez-vous me dire, s'il vous plaît,
3 combien de temps il me reste ?
4 M. LE JUGE ANTONETTI : Pas beaucoup. Monsieur le Greffier. A mon avis, il
5 doit vous rester entre dix à 15 minutes, mais je vais vous le dire.
6 Continuez. Le greffier va nous informer.
7 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je souhaite afficher un document à
8 l'écran, s'il vous plaît. Pardonnez-moi, le greffier doit faire deux choses
9 à la fois. Le document est le numéro 1581. Il s'agit d'un article de presse
10 extrait du journal "Borba" daté du 15 août 1992 et qui s'intitule, "Il n'y
11 a que les gens ordinaires qui restent," et le nom de l'accusé est cité.
12 Q. Monsieur Tihic, vous souvenez-vous de cet article ?
13 R. J'ai donné cette interview le lendemain du tournage de l'émission à la
14 télévision pour "Vis News", cette émission britannique. Donc l'émission
15 c'était le 11 ou le 12, ensuite il y a eu l'interview que j'ai donnée au
16 journaliste de Borba et qui a donné lieu à la publication de l'article que
17 vous voyez ici. Le policier militaire m'a même apporté un exemplaire de cet
18 article. Donc je l'avais sur moi.
19 Q. On y dit que Bosanski Samac est une prison extrêmement confortable.
20 Etes-vous d'accord avec cela ?
21 R. Non, je ne suis pas d'accord. Une prison ne peut pas être confortable.
22 Si, comme je l'ai déjà dit, on est neuf dans un espace de 1 mètre 20 sur 1
23 mètre 80, 1 mètre 90 pendant huit jours avec simplement un banc sur lequel
24 on doit tous dormir et s'asseoir.
25 L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. L'Accusation parle de la prison de
26 Bosanski Samac, mais ce n'est pas ça, c'est la prison de Sremska Mitrovica.
27 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est la prison de --
28 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pardonnez-moi. C'est une erreur.
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1 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.
2 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Puis-je demande le versement au dossier de
3 cette pièce, s'il vous plaît.
4 M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro pour cet article.
5 Monsieur le Greffier.
6 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera le numéro P676.
7 Merci, Madame, Messieurs les Juges.
8 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
9 Q. Monsieur Tihic, combien de temps êtes-vous resté à Sremska Mitrovica ?
10 R. Je suis resté à Sremska Mitrovica entre le 27 mai et le 4 août, date
11 d'un échange de prisonniers.
12 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous nous
13 montrer le document 1597 à l'écran, s'il vous plaît.
14 Q. Monsieur Tihic, pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit ?
15 R. Ceci est une attestation que nous avons reçue après notre échange à
16 Nemetin, non loin d'Osijek, et nous l'avons reçue du ministère de la
17 Défense de la République de Croatie. J'ai été échangé en même temps que cet
18 homme de Vukovar qui était prisonnier avec moi. Il y a eu un accord entre
19 Panic et Gregoric, qui stipulait que l'échange aurait lieu. Et donc j'ai
20 reçu comme tous les prisonniers du camp cette attestation.
21 Mais là il y a une erreur, parce qu'il est écrit que j'étais à
22 Sremska Mitrovica à partir du 18 avril. Or, le 18 avril j'ai été emprisonné
23 à Bosanski Samac, le 18 avril 1992. Et on indique que j'ai été prisonnier
24 jusqu'au 14 août 1992. Mais à Mitrovica j'étais depuis le 27 mai jusqu'au
25 14 août.
26 Q. [aucune interprétation]
27 M. MUSSEMEYER : -- cette pièce, s'il vous plaît.
28 M. LE JUGE ANTONETTI : Numéro.
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1 M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce sera la
2 pièce P677. Merci.
3 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
4 Q. Monsieur Tihic, pourriez-vous maintenant nous dire à quel moment vous
5 avez été échangé, comment les choses se sont-elles passées ? J'entends
6 entre la période où vous avez quitté la prison et le moment où vous avez
7 été remis en liberté.
8 R. Voyez-vous, on ne savait pas très bien au début si les prisonniers
9 musulmans seraient échangés. Et vingt-quatre heures avant l'échange,
10 évidemment, on a été obligé de mettre de l'ordre dans la pièce, de
11 nettoyer, de ranger ces espèces de matelas sur lesquels nous dormions, de
12 préparer nos affaires. Tout ça, c'était des préparatifs en vue de
13 l'échange.
14 Dans la soirée du 13, ils ont commencé à appeler nos noms pour nous faire
15 sortir des pièces dans lesquelles nous étions et nous emmener dans la cour.
16 Alors on appelait notre nom, et on nous disait d'aller d'un côté de la
17 cour, ensuite d'autres, on appelait leurs noms, ils devaient aller de
18 l'autre côté, ensuite il y a encore eu un appel pour l'entrée dans les
19 autobus. Et je me souviens que durant l'appel pour l'autobus, il y avait
20 ces policiers sur la gauche de la porte d'entrée, et chaque fois que
21 quelqu'un passait, clac, il recevait un coup de matraque. Puisque je
22 voulais éviter le coup de matraque, je n'ai pas bien regardé dans quel
23 autobus j'entrais ni comment ça se passait pour entrer dans l'autobus. Donc
24 j'ai trébuché sur les marches qui permettaient de monter dans l'autobus, et
25 je suis tombé en arrière et tombé sur le fusil du policier qui a pensé
26 qu'en fait c'était de ma part une tentative d'évasion et que pour m'évader
27 j'ai essayé de m'emparer de son arme. Mais mon siège se trouvait dans la
28 dernière rangée de sièges dans l'autobus, et je crois que ça été bon pour
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1 moi, parce que cela a évité que je reçoive autant de coups que les autres
2 passagers.
3 Nous avons pris le départ tard dans la soirée, et le voyage a duré toute la
4 journée jusqu'à 18 heures avant que nous n'arrivions à Nemetin, qui se
5 trouve à une distance de 150 kilomètres. On n'a pas cessé d'être frappés
6 pendant tout le voyage. Chaque fois qu'il y avait un arrêt, les habitants
7 de la localité montaient à bord et nous frappaient.
8 Il y avait à bord de l'autobus un Monténégrin qui buvait de l'eau-de-
9 vie. Et il nous frappait beaucoup. Il appelait les civils à monter à bord
10 de l'autobus pour nous assener des coups.
11 Quand nous sommes arrivés à Nemetin, nous étions en train d'attendre que
12 l'échange se passe, parce que nous hésitions encore, nous n'étions pas sûrs
13 que cet échange aurait effectivement lieu, nous ne savions pas si les
14 Croates nous avaient tous fait venir jusque là pour réellement être
15 échangés ou pas. Un commandant est entré dans l'autobus à un moment, il a
16 vu les coups que nous recevions, et il a dit : "Mais vous, espèce de
17 paysans idiots, est-ce que vous ne voyez pas que la télévision est en train
18 de tourner des images de tous ces hommes ? Nous avons fait en sorte de ne
19 pas les frapper les quelques dernières fois de façon à ce qu'ils ne
20 présentent pas de nouvelles ecchymoses, de nouvelles marques, et maintenant
21 vous leur donnez de nouvelles marques un peu partout." Et l'homme en
22 question a répondu : "Ils ont insulté ma mère." Le commandant a exigé que
23 nous relevions la tête, parce que nous avions l'obligation pendant tout le
24 voyage de garder la tête entre les genoux, d'ailleurs, c'était très
25 douloureux. Puis le commandant est descendu de l'autobus, et le policier a
26 frappé l'homme qui se trouvait le plus près de lui. Le commandant est une
27 nouvelle fois entré dans l'autobus, et il a insulté la mère du policier.
28 Ce voyage était en fait constamment dans un climat d'incertitude. On a été
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1 frappé pendant tout le voyage, il nous a fallu longtemps pour arriver à
2 destination. Les policiers militaires disaient : "L'échange a été annulé,
3 nous allons tous vous tuer." Mais heureusement l'échange a eu lieu. Moi,
4 j'ai été échangé à Nemetin. Les Serbes ont emmené des prisonniers. Moi,
5 j'ai retrouvé mon épouse, mon fils, ma sœur.
6 Q. -- le médecin a-t-il constaté ?
7 R. Oui. J'ai été examiné à Rijeka. On a fait des radios qui ont montré que
8 j'avais une fracture de trois côtes du côté droit, et de deux côtes du côté
9 gauche, qui avaient cicatrisé. Puis au niveau du sternum ici, cet os qui se
10 trouve entre les côtes, il s'était fracturé, et en dessous de la dernière
11 vertèbre, l'os qu'on a là était fracturé aussi, mais avait déjà cicatrisé
12 entre-temps. Plus tard, j'ai dû subir une intervention chirurgicale, un
13 remplacement du col du fémur, sans doute une conséquence des tortures
14 subies. Il est possible aussi que le stress ait produit des conséquences,
15 parce que j'ai fini par être atteint d'un carcinome du côlon. J'ai dû subir
16 une intervention pour enlever cette tumeur. Mes dents de devant ont toutes
17 été brisées, et elles ont donc été couronnées.
18 Q. -- toujours des conséquences de ces blessures ?
19 R. Je ne sais pas. Je crois pouvoir dire que j'ai repoussé cela dans le
20 passé, et que je ne ressens pas de conséquences trop graves. Peut-être de
21 temps en temps un souvenir qui me ramène à cette époque bien noire, mais ma
22 vie a repris normalement, je ne vis pas de problèmes particuliers en raison
23 de cela. Je continue à vivre en ayant foi dans une Bosnie-Herzégovine dans
24 laquelle tous les peuples, Serbes, Croates et Musulmans pourront vivre
25 ensemble dans l'harmonie et la coexistence pacifique. Je n'ai jamais cessé
26 de croire à cela. D'ailleurs dans tous les camps où j'ai été enfermé, j'ai
27 toujours trouvé des gens qui m'ont apporté leur aide et se sont opposés au
28 mal.
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1 Je ne fais pas partie de ceux qui auraient tendance à assimiler un
2 peuple ou un groupe ethnique avec des crimes, autrement dit à généraliser.
3 Je pense que nous sommes plusieurs peuples et que nous devrions vivre
4 ensemble comme nous le faisions par le passé dans une Bosnie unifiée,
5 c'est-à-dire dans la coexistence et la tolérance les uns vis-à-vis des
6 autres.
7 M. MUSSEMEYER : [interprétation] On m'a indiqué qu'il me reste quelques
8 minutes, donc je souhaite verser au dossier quelques documents que je n'ai
9 pas présentés.
10 Monsieur le Greffier, est-ce que nous pouvons avoir la pièce 65 ter 4012,
11 s'il vous plaît.
12 Q. Monsieur Tihic, je vous demande de bien vouloir commenter ceci. Qu'est-
13 ce que nous y voyons ?
14 R. Mais ça m'a l'air d'être l'insigne des Loups gris. Je me souviens de ce
15 membre de l'unité spéciale, à l'uniforme de plusieurs couleurs, qui est
16 arrivé et qui a dit : les lettres ne sont pas bien placées. Parce que les
17 "C" que vous voyez là --
18 L'INTERPRÈTE : En fait, sont des "S" en cyrillique.
19 LE TÉMOIN : [interprétation] On dirait là qu'ils ont le cul l'un contre
20 l'autre, excusez-moi de parler ainsi, mais normalement ils se font face. La
21 partie ouverte du C fait face à la partie ouverte de l'autre C, et là, ils
22 se touchent dos à dos, donc ils sont à l'envers.
23 M. MUSSEMEYER : [aucune interprétation]
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Veuillez donner un numéro.
25 M. LE GREFFIER : [interprétation] Il faut donner à ce document la cote P678
26 [comme interprété].
27 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je souhaite montrer le document suivant
28 qui est le numéro 65 ter 2241.
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1 Q. Monsieur le Témoin, je souhaite que vous nous disiez de quoi il s'agit.
2 R. Ici, on voit le bâtiment de ce QG de la TO avec ses fenêtres, et à
3 gauche, un entrepôt de la Défense territoriale où nous avons été détenus,
4 c'est une espèce d'entrepôt, cet autre bâtiment. De ce côté-ci de la rue
5 se trouvait le bâtiment du poste de police.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, un numéro.
7 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document aura le numéro P679. Merci,
8 Madame, Monsieur les Juges.
9 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Le dernier document que je souhaite
10 montrer à l'écran est le numéro 65 ter 669. Il s'agit d'un extrait du
11 procès-verbal de la session de la SAO de l'assemblée de Bosnie du Nord,
12 lorsque cette session a créé l'assemblée.
13 Q. Monsieur Tihic, je souhaite que vous lisiez la dernière décision que
14 vous trouvez à la page 3.
15 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je demande de bien vouloir faire remonter
16 ce document un petit peu, s'il vous plaît, vers le bas.
17 Q. Il y a là la dernière décision, je vous demande de bien vouloir la
18 lire, s'il vous plaît.
19 R. Je vois la page 2, si je vois bien, mais bon. Est-ce qu'il y a une
20 autre page, parce que vous avez parlé d'une page 3, je vois page 2 ici.
21 Q. Le numéro, c'est le numéro 4, le numéro d'identification. Je dispose
22 d'une copie papier.
23 R. "Décision portant proclamation de la SAO de Bosnie du nord, partie
24 inaliénable de l'Etat fédéral. Une partie des intervenants ont demandé à
25 intervenir et à tenir des discours. Le président du parlement a clos la
26 réunion à 18 heures et quelques, puisqu'on avait épuisé l'ordre du jour. "
27 Et on dit : "Perisic, Nikola."
28 M. MUSSEMEYER : [interprétation]
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1 Q. Monsieur Tihic, je vous demande de bien vouloir lire ceci pour les
2 interprètes qui ne pouvaient voir le texte.
3 R. "Décision portant proclamation de la SAO de la Bosnie du nord en sa
4 qualité de partie inaliénable, indissociable de l'Etat fédéral.
5 "Une grande partie des invités et des intervenants ont demandé à prendre la
6 parole pour tenir des allocutions aux fins de saluer l'assistance. Etant
7 donné que l'ordre du jour a été épuisé, le président du parlement a clos
8 ses travaux à dix-huit heures et quart.
9 "Le président de l'assemblée, Perisic, Nikola."
10 Q. Monsieur Tihic, aviez-vous connaissance de cette décision, et pourriez-
11 vous nous commenter ceci, s'il vous plaît ?
12 R. Oui. J'ai été mis au courant aussi au moment où la décision a été
13 prise, c'est un acte unilatéral d'un groupe de députés du groupe ethnique,
14 pas de tous les Serbes au niveau de l'assemblée, mais les Serbes qui
15 étaient membres du SDS et autres qui avaient voulu être présents, cela n'a
16 pas été conforme à la constitution parce que l'on n'a pas respecté la
17 procédure constitutionnelle.
18 Un territoire de la région de Doboj est déclaré comme étant un territoire
19 serbe, comme s'il n'y résidait pas dans un nombre égal des Croates, et
20 aussi parce que sur ce territoire on voit qu'il y a un tiers de Serbes, un
21 tiers de Croates et un tiers de Bosniens. Mais ils se sont arrogés le droit
22 de s'autoproclamer région autonome serbe de Bosnie du Nord et dire ce que
23 cela allait constituer. C'est un acte anticonstitutionnel et illégal qui a
24 également contribué à des partages et à des conflits, parce que si les
25 Serbes s'arrogent pour eux seul le territoire entier, et ils ne sont que le
26 tiers de la population, il est normal que les autres peuples en présence ne
27 sauraient accepter la chose.
28 Vous verrez cela selon l'appellation qui est utilisée, et on voit aussi que
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1 les autres dispositions sont discriminatoires, donc c'est une décision type
2 qui est de celles qui ont été adoptées dans d'autres régions de la Bosnie-
3 Herzégovine où on a cherché à s'arroger des territoires, où il n'y avait
4 pas que des Serbes, il y avait aussi d'autres groupes ethniques, en se
5 référant aux principes qui les arrangeaient. Si c'est une majorité
6 démographique, on parle de "majorité démographique." Si jadis, avant la
7 Deuxième Guerre mondiale, ils étaient majoritaires, on se réfère à ce
8 principe, en disant avant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait une
9 majorité tant. Alors ou on disait aussi où il y avait un Serbe ou une tombe
10 serbe, c'était une terre serbe, et ainsi de suite.
11 Bien entendu, on s'arrogeait, à chaque fois, plus qu'il ne fallait, de
12 façon tout à fait illégale et contraire à la constitution. Et d'une
13 certaine façon, ils ont nié le système constitutionnel mis en place en
14 Bosnie-Herzégovine, nié les lois, les institutions en place en proclamant
15 la création de leurs propres institutions, et de la sorte cela générait des
16 conflits.
17 R. Merci, Monsieur Tihic.
18 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Quelle est la date de cette
19 proclamation ?
20 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Ce n'est pas inscrit.
21 LE TÉMOIN : [interprétation] Ici, on voit la date du 14 novembre.
22 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci.
23 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je demande le versement au dossier, s'il
24 vous plaît.
25 M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce le numéro P680.
26 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Ceci conclut --
27 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai une petite objection, Madame, Messieurs
28 les Juges, au sujet de la question posée par M. Harhoff. Je dirais que
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1 cette a du sens parce que c'est en 1991, c'est le 14 novembre 1991, et il
2 est dénué de sens de lui demander de donner lecture de la dernière partie
3 où on dit que la SAO reste une partie indissociable de la République
4 socialiste fédérative de Yougoslavie, de la SRFY, et non pas de la
5 République fédérale de Yougoslavie, qui elle, a été créée en 1992.
6 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous êtes bien d'accord, 14 novembre 1991, le
7 document ?
8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis d'accord, c'était la RSFY à l'époque.
9 M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Bien.
10 Monsieur le Procureur, vous avez terminé l'interrogatoire principal; c'est
11 bien ça ?
12 M. MUSSEMEYER : [interprétation] Tout à fait. Merci, Madame, Messieurs les
13 Juges, c'était ma dernière question.
14 M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons faire 20 minutes de pause, on reprendra
15 à 12 heures 20, ensuite nous irons jusqu'à 1 heures 15, et M. Seselj
16 commencera le contre-interrogatoire.
17 --- L'audience est suspendue à 12 heures 03.
18 --- L'audience est reprise à 12 heures 21.
19 M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, l'audience est donc reprise.
20 Je donne la parole à M. Seselj, qui va commencer son contre-
21 interrogatoire.
22 Contre-interrogatoire par M. Seselj :
23 Q. [interprétation] Monsieur Tihic --
24 M. LE JUGE ANTONETTI : Un conseil aux deux intervenants.
25 Monsieur le Témoin, vous attendez que M. Seselj ait fini de poser sa
26 question avant de répondre, parce que sinon il y a un chevauchement des
27 voix. Monsieur Seselj, faites aussi attention à cela.
28 Allez-y, Monsieur Seselj.
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1 M. SESELJ : [interprétation]
2 Q. Monsieur Tihic, au travers de cette destinée tragique et pénible que
3 vous nous avez relatée et que j'ai déjà eu l'occasion de lire dans vos
4 déclarations précédentes, je voudrais savoir si au fil de tout ceci vous
5 avez eu à connaître des gens qui s'étaient présentés comme étant des
6 volontaires du Parti radical serbe, des hommes à Seselj, ou est-ce que
7 c'est quelqu'un d'autre qui vous les a pointés du doigt en disant, ce sont
8 les hommes à Seselj ? Je n'ai pu retrouver ce type de renseignement nulle
9 part dans vos déclarations.
10 R. J'ai dit que j'ai rencontré des gens qui se présentaient comme étant
11 des Chetniks, et qui avaient d'ailleurs l'air d'être des Chetniks, qui
12 avaient cette apparence, et vous, vous étiez le chef politique de ce parti
13 qui avait promu la chose. Moi, personne ne s'est présenté à moi en disant
14 que c'était un homme à Seselj, ils se sont présentés comme étant des
15 Chetniks.
16 Q. Mais le Parti radical serbe, selon ce que vous en savez, était-ce le
17 seul à avoir affirmé le mouvement chetnik-serbe, soit en Serbie ou en
18 Bosnie-Herzégovine ?
19 R. Ce n'est pas le seul, mais vous avez personnellement affirmé cela vous-
20 même dans une mesure considérable.
21 Q. Donc pour bien interpréter la chose, vous saviez que j'étais un Chetnik
22 éminent, mais personne des gens que vous avez rencontrés ne s'était
23 présenté comme étant un homme de Seselj, et non plus personne ne vous l'a
24 indiqué comme étant des hommes à Seselj ? Qu'on fasse une différence, une
25 distinction entre les Chetniks.
26 R. [aucune interprétation]
27 Q. Bien. Est-ce qu'on s'était connu à l'époque de nos études à la faculté
28 de droit à Sarajevo ?
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1 R. Je ne m'en souviens pas.
2 Q. Vous, vous êtes un juriste.
3 R. Moi, je suis né en 1951.
4 Q. Je suis né en 1954. Je pense vous avoir trouvé à la faculté une fois
5 arrivé, mais peu importe. Vous êtes un juriste. Vous avez été juge, vous
6 avez été procureur, vous avez été avocat, et maintenant vous êtes un homme
7 politique notoirement connu.
8 Lorsque vous avez été cité à comparaître par le bureau du Procureur
9 de La Haye pour témoigner pour l'Accusation dans le procès diligenté à mon
10 encontre, n'avez-vous pas trouvé cela quelque peu étrange ? Est-ce que vous
11 vous êtes posé la question de savoir ce que vous pourriez bien témoigner
12 contre moi ?
13 R. Oui, je me suis posé la question de savoir ce que je pourrais dire en
14 témoignage, et je me suis dit que je pouvais témoigner au sujet des
15 circonstances de mon séjour dans mon camp, au sujet de la situation
16 politique à l'époque dans cette ville, dans cette municipalité en Bosnie-
17 Herzégovine et en Yougoslavie.
18 Q. Dans mon contre-interrogatoire, je me propose de procéder à une
19 inversion. Nous allons d'abord parler de vos expériences en matière de
20 détention au camp, parce que je dois reconnaître que d'une certaine façon
21 c'est ce qui m'a affecté et touché le plus, si je puis m'exprimer ainsi.
22 Vous savez, en homme politique, vous savez qu'il y a des
23 associations, plusieurs associations d'ex-détenus en Bosnie-Herzégovine ?
24 R. Oui.
25 Q. Et ces ex-détenus ont publié pas mal de récits, de confessions
26 personnelles, et c'est assez tragique à chaque fois, n'est-ce pas ?
27 R. Oui.
28 Q. On va en rester à ce qui s'est passé avec vous, parce qu'à l'époque
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1 vous n'étiez pas coupable de ce qui se passait ailleurs, n'est-ce pas.
2 Alors est-ce que vous pensez que je suis coupable et responsable de tout ce
3 qui s'est passé à vous concernant ce camp de détention à Sremska Mitrovica,
4 à Batajnica et ainsi de suite ?
5 R. Vous, en personne ? C'est la politique qui est coupable. Vous avez été
6 l'un de ceux à avoir promu cette politique, de cette exclusion ethnique, de
7 ce partage de la Yougoslavie et de la Bosnie-Herzégovine.
8 Q. Mais saviez-vous en application de la réglementation en vigueur en RSFY
9 que la police militaire avait des ingérences uniquement vis-à-vis des
10 prisonniers de guerre, et qu'elle était responsable de la mise en œuvre de
11 cette réglementation pour ce qui est d'installer ou d'assurer un
12 gardiennage, les conditions d'hébergement, et cetera.
13 R. Probablement est-ce le cas.
14 Q. Vous souvenez-vous qui est-ce qui à l'époque se trouvait être chef du
15 service de Sécurité au sein de la JNA ?
16 R. Je ne suis pas très certain.
17 Q. Est-ce que vous avez entendu parler du général Aleksandar Vasiljevic ?
18 R. Oui, j'ai entendu parler de lui.
19 Q. Il était chef de la sécurité de la Région militaire de Sarajevo à
20 l'époque. Le saviez-vous ?
21 R. Ce, je ne le savais pas.
22 Q. Lorsque vous vous trouviez dans ces prisons ou ces camps de détention,
23 appelons-les comme on veut, en sus de la police militaire il y avait à
24 chaque fois des officiers chargés de la sécurité, le Kosovo, comme vous
25 l'avez dit ?
26 R. Il y avait un dénommé Petrovic à Brcko qui était chef de la sécurité du
27 KOS. J'en ai rencontré un à Batajnica, un commandant, et à Sremska
28 Mitrovica il y avait Plavi Cest, qui était le chef du KOS.
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1 Q. Et c'est eux qui ont géré votre destinée, votre sort ?
2 R. Oui et ceux qui étaient à côté d'eux.
3 Q. Je ne dis pas que c'est bon, mais comme ça s'est produit, essayons de
4 voir comment et pourquoi ça s'est produit. Est-ce que la politique d'un
5 parti d'opposition peut être considérée comme étant coupable, ou c'est le
6 parti au pouvoir ? Vous savez que le collaborateur du général Vasiljevic,
7 dont le nom vous a dit quelque chose, qui était à l'époque colonel, ensuite
8 le général Simeon Tumanov, ensuite le colonel de l'époque, général ensuite
9 Branko Gajic, et le général Mile Babic qui se trouvait être chef de la
10 sécurité militaire dans la 1ère Région militaire.
11 Avez-vous entendu parler de ces noms ?
12 R. J'ai entendu parler de ce Tumanov. Il est, je pense, venu à Samac. Les
13 autres je ne les connais pas.
14 Q. C'est lui qui avait organisé les échanges à Samac.
15 R. Il me semble. Je ne suis pas sûr.
16 Q. Bien. Vous savez qu'il y avait un parti politique qui a été créé par
17 les généraux. Il s'appelait la Ligue des communistes, Mouvement pour la
18 Yougoslavie ?
19 R. Je m'en souviens.
20 Q. Est-ce que vous avez quels étaient les objectifs fondamentaux de ce
21 parti ?
22 R. Je ne saurais vous le dire à présent. Je peux supposer qu'il s'agissait
23 de la préservation de la Yougoslavie.
24 Q. Oui, mais sous des conditions particulières. Leur planning était de
25 faire chuter les directions nationalistes, tant en Serbie qu'en Croatie
26 qu'en Bosnie-Herzégovine, à savoir Milosevic, Tudjman et Izetbegovic, et
27 avec l'aide étrangère reconstruire une Yougoslavie où ils joueraient un
28 rôle prépondérant en prenant l'exemple sur Tito. Est-ce que c'était à peu
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1 près l'idée qu'ils avaient défendue ?
2 R. Je ne peux pas vous le confirmer. Je ne suis pas sûr.
3 Q. Quand vous ne savez pas ou que vous ne pouvez pas confirmer, on va tout
4 de suite de l'avant. Je ne vais pas insister outre mesure, et je ne vais
5 pas tirer de votre part des informations que vous n'êtes pas en mesure de
6 nous fournir. Alors, saviez-vous que c'étaient des communistes orthodoxes,
7 comme on le dit, ces officiers chargés de la sécurité militaire ?
8 R. Oui.
9 Q. Etaient-ce les communistes les plus éminents de l'armée ?
10 R. Oui, la règle voulait que c'était justement eux à jouer un rôle,
11 comment dirais-je, qui veillait à la pureté de l'idée.
12 Q. Communiste ?
13 R. Oui.
14 Q. Est-ce que vous ne pensez pas qu'il est surprenant que ces communistes
15 extrémistes ou orthodoxes, en vous gardant dans des prisons, fassent ou
16 manifestent des éléments chetniks, vous incitent à chanter des chants
17 chetniks, qui ne sont pas chetniks, qui sont horribles, mais qui vous ont
18 paru être chetniks ? Parce que les chansons qui parlent de tuer, d'égorger,
19 et cetera, c'est plutôt les supporteurs aux matchs de foot qui chantaient
20 cela.
21 R. Ça, ça a été chanté dans tous les camps.
22 Q. Non, moi je ne nie pas ce fait. Ce qui est surprenant, c'est qu'en
23 présence de ces officiers de la sécurité, on vous fasse chanter ce type de
24 chansons.
25 R. Moi, je n'en revenais pas. Je n'arrivais pas à y croire. Je me souviens
26 qu'à Mitrovica, j'étais en train de nettoyer quelque chose et je voyais la
27 photo du camarade Tito. J'étais content de voir sa photo par rapport à tout
28 ce que j'avais pu voir, ils avaient encore la photo du président Tito.
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1 Q. Mais vous, on vous a constamment battu, on vous a obligé à chanter des
2 chansons chetniks et à embrasser, comme vous nous l'avez dit, la photo de
3 Draza Mihajlovic, n'est-ce pas ?
4 R. Je pense que ce n'était pas une photo, on avait dessiné Draza
5 Mihajlovic.
6 Q. Peu importe.
7 R. Oui. C'était exact ?
8 Q. Que pensez-vous de l'intention ? Vous êtes un intellectuel, vous êtes
9 un homme politique. Il y avait une intention derrière tout cela. Ce n'était
10 pas fortuit.
11 R. J'étais surpris de voir que cela ait pu pénétrer, percer au sein de la
12 JNA. Parce que nous avions pensé, pendant deux ou trois années au départ,
13 que c'était l'armée conjointe, et notamment les jeunes. J'ai été surpris de
14 voir les jeunes avoir autant de haine parce que je m'appelais Sulejman et
15 qu'on me batte rien que pour cela.
16 Je sais que mes enfants -- nos enfants, on les a éduqués d'une façon
17 à l'école et à la maison. Et maintenant, voir ceci se produire dans des
18 prisons comme, par exemple, à l'aéroport de Batajnica, voir l'image de
19 Draza Mihajlovic ?
20 Q. Voilà ma thèse. On vous a battu sans pitié, on a forcé à outrance
21 l'appartenance chetnik pour que vous attribuiez cela aux Chetniks. En
22 réalité, c'étaient des officiers du KOS, à savoir de la sécurité militaire,
23 qui étaient des communistes invétérés.
24 Je l'affirme. Est-ce que j'ai raison de le dire, Monsieur
25 Tihic ?
26 R. Il y a eu toutes sortes de combinaisons qui étaient présentes. Il me
27 semble que dans la JNA il y avait des gens qui s'efforçaient de nous
28 protéger, des officiers, je m'en souviens, indépendamment de l'appartenance
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1 ethnique. Il y avait probablement de ceux qui avaient rejoint les
2 mouvements nationalistes.
3 Q. Monsieur Tihic, ceux qui cherchaient à vous protéger le faisaient de
4 leur propre initiative, parce que c'était personnellement de braves gens.
5 R. Oui, probablement était-ce de braves gens, mais ils devaient le faire
6 sans cela, même.
7 Q. Ne pensez-vous pas que le général Vasiljevic était au courant de ce qui
8 se passait avec vous à Sremska Mitrovica et Batajnica ?
9 R. Il était chef des services de renseignements. Il devait le savoir.
10 Q. Il était chef de la sécurité, c'est plus haut placé. C'est ce qu'on
11 appelait le contre-espionnage à l'époque. Donc vous êtes d'accord avec moi
12 pour penser et dire qu'il devait le savoir ?
13 R. Je pense que oui.
14 Q. Il n'a pas bougé du petit doigt pour empêcher la chose, n'est-ce pas ?
15 L'INTERPRÈTE : Les interprètes sauraient gré à M. Seselj de ne pas crier
16 autant.
17 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, moins fort parce que les
18 interprètes ont un problème.
19 L'INTERPRÈTE : Le problème, c'est que le témoin, on augmente le volume pour
20 l'entendre, et M. Seselj explose nos tympans.
21 M. SESELJ : [interprétation]
22 Q. Monsieur Tihic, vous avez témoigné dans le procès contre M. Milosevic ?
23 R. Oui.
24 Q. Ne savez-vous pas que dans l'acte d'accusation contre Milosevic, il y a
25 eu plusieurs personnes d'énumérées à avoir à ses côtés prétendument
26 participé à une entreprise criminelle commune ?
27 Les médias l'ont publié, j'imagine que ça a été le cas de la Bosnie.
28 R. Je ne sais pas. Maintenant vous énumérez tous ceux qui ont été énumérés
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1 à ses côtés, mais je sais que ça a été dit dans les médias.
2 Q. Mais il y a bon nombre de noms retentissants. Parmi ces noms il y avait
3 Aleksandar Vasiljevic, vous en souvenez-vous ?
4 R. Je n'arrive pas à m'en souvenir. Cela se peut.
5 Q. Dans l'un des actes d'accusation dressés à mon encontre, il n'y a pas
6 eu de nom d'Aleksandar Vasiljevic, mais ça, j'imagine que vous ne le savez
7 pas. Mais ne pensez-vous pas qu'il soit étrange que le bureau du Procureur
8 de La Haye n'ait jamais mis en accusation le général Vasiljevic pour sa
9 participation à la perpétration de crimes de guerre ?
10 R. Je ne sais pas trop. Je ne sais pas quels ont été les motifs qui ont
11 animé le bureau du Procureur de La Haye. Je sais qu'il y a pas mal de gens
12 qui auraient dû comparaître devant ce Tribunal.
13 Q. Mais voyez-vous, lorsqu'on se penche sur les comportements vis-à-vis
14 des prisonniers de guerre, c'était lui le plus
15 responsable ?
16 R. Probablement, lui et ses supérieurs.
17 Q. Il n'y avait personne au-dessus de lui. Il n'y avait que le ministre.
18 R. Mais n'y avait-il pas le chef d'état-major ?
19 Q. Non. Pour autant que je sache, il était chef des services de sécurité
20 du ministère de la Défense. C'est au-dessus de l'état-major principal.
21 R. Je ne connais pas la structure.
22 Q. Vous savez que Kadijevic était ministre de la Défense ?
23 R. Ça, je le sais.
24 Q. Saviez-vous que le bureau du Procureur de La Haye, ce même général
25 Vasiljevic, à plusieurs reprises, il l'a cité à comparaître en tant que
26 témoin de l'Accusation dans bon nombre d'autres
27 affaires ?
28 R. Je ne le sais pas.
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1 Q. Le Procureur le sait fort bien. Je ne vais pas m'y attarder outre
2 mesure.
3 Vous nous avez dit à plusieurs reprises qu'il y a eu une agression
4 d'organisée contre la Bosnie-Herzégovine. Qui est-ce qui a organisé cette
5 agression ?
6 R. L'agression contre la Bosnie-Herzégovine est l'œuvre de la JNA.
7 Q. Comment la JNA peut-elle organiser une agression contre la Bosnie-
8 Herzégovine alors que la Bosnie-Herzégovine à l'époque était partie
9 intégrante de la Yougoslavie ?
10 R. Parce que la JNA s'était placée au service de la politique Grande-
11 Serbie et que c'est partant de ces instructions-là qu'il y a eu agression
12 contre la Bosnie-Herzégovine. Il y avait cinq corps d'armée qui s'y
13 trouvaient, et les unités qui sont retirées de la Slovénie, celles qui sont
14 retirées de la Croatie et la JNA a été placée au service de ce projet de la
15 Grande-Serbie, et les armes ont été confisquées à la Défense territoriale.
16 Q. Monsieur Tihic, c'est un slogan politique, j'espère que vous en êtes
17 conscient vous-même. La JNA n'a pas été au service de la Grande-Serbie. La
18 JNA voulait préserver la Yougoslavie, et comme elle n'a pas pu préserver la
19 Slovénie, elle a voulu garder les autres républiques. Et quand elle n'a pas
20 pu garder dans les rangs de la Yougoslavie la Croatie, elle a voulu garder
21 dans la Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Macédoine et le
22 Monténégro.
23 Jamais personne au sein de cette JNA n'a parlé de la Grande-Serbie;
24 ai-je raison ?
25 R. Si vous vous en souvenez, ça n'a jamais été dit officiellement, mais le
26 plan RAM, c'était un plan de l'armée, de la JNA, et c'était un plan qui a
27 porté sur la Grande-Serbie.
28 Q. Monsieur Tihic, ce plan est une invention du Tribunal de La Haye, du
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1 Procureur du Tribunal. Vous ne l'avez jamais vu vous-même ?
2 R. Je n'ai jamais été en position, les autres probablement l'ont vu.
3 Q. Mais vous ne l'avez pas vu lorsque vous êtes devenu un haut responsable
4 de la Bosnie-Herzégovine ?
5 R. Je n'ai jamais vaqué à des questions militaires de façon intensive pour
6 savoir ce qui s'était passé auparavant.
7 Q. Mais attendez. Nous sommes des hommes sérieux, lorsque nous faisons des
8 déclarations à des endroits sérieux, il faut que nous fassions des
9 déclarations qui se fondent sur quelque chose, n'est-ce pas ? Enfin, oui,
10 on va faire des pauses. Les interprètes sont à bout.
11 Je vais parcourir plusieurs de vos déclarations et nous allons avoir encore
12 demain l'occasion de parler de tous ces sujets-là plus en détail.
13 Vous avez déjà dit que le 17 avril, il y a eu une attaque de lancée sur
14 Samac. Alors comment Samac a-t-il pu être attaqué, il s'y trouvait une JNA,
15 il y avait un 17e Groupe tactique qui était déployé là; il y a eu création
16 d'un 4e Détachement, qui était prévu pour être une unité de la Défense
17 territoriale sous la coupe de la JNA; ai-je raison de le dire ? Donc c'est
18 une forme d'organisation qui était celle de la Défense territoriale avec
19 des gens du terrain, mais sous la coupe stricte de la JNA ?
20 R. Ce n'était pas la TO; c'était une unité faisant partie de la JNA.
21 Q. Bon. Mais ne saviez-vous pas qu'au cas où la JNA interviendrait avec
22 ses opérations sur un territoire, toutes les unités de la TO étaient
23 incorporées dans les rangs de ses troupes, c'était le concept de la défense
24 populaire généralisée.
25 R. C'était logique quand il s'agissait d'un ennemi de l'extérieur.
26 Q. Alors pourquoi s'attaqueraient-ils à Samac alors qu'ils sont déjà à
27 Samac et qu'ils ont tout entre leurs mains.
28 R. Tout d'abord, ils se sont attaqués à la ville de Bosanski Samac; et
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1 d'après moi, ils voulaient assumer un contrôle plein et entier vis-à-vis de
2 la ville, notamment du pont, révoquer les autorités élues du moment et tout
3 remettre entre les mains de la partie serbe.
4 Q. Mais il n'y a pas eu d'attaque ?
5 R. Ils voulaient sécuriser ce fameux corridor qui les rattachait à la
6 Serbie, parce que c'était important sur le plan géographique et c'était
7 important, parce qu'il y avait là un port fluvial, il y avait un pont, une
8 voie ferrée, la frontière, et cetera.
9 Q. Et il y avait un danger qui ouvrait la possibilité aux forces croates
10 d'accéder à la Bosnie ?
11 R. Oui, le côté serbe disait qu'on pouvait voir l'histoire de Bosanski
12 Brod se reproduire.
13 Q. Ça s'est passé à Bosanski Brod ?
14 R. Oui.
15 Q. Etes-vous au courant du village de Sijekovac, où des forces de Croatie
16 ont perpétré un massacre vis-à-vis des civils serbes, plus de civils serbes
17 ? En avez-vous entendu parler ?
18 R. J'ai entendu parler de Sijekovac et du crime, je ne sais pas qui est-ce
19 qui l'a commis.
20 Q. Mais on a dit que c'était des forces croates qui étaient venus de
21 Croatie, parce qu'à l'époque les Musulmans n'ont pas commis de crimes ?
22 R. Les Musulmans n'ont jamais été un facteur prépondérant sur le plan
23 militaire, il y avait surtout des Croates, puis ensuite des Serbes, et
24 ensuite nous.
25 M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Monsieur Tihic, je vais vous donner
26 un petit conseil. Si vous regardez l'écran du compte rendu, vous voyez
27 qu'il y a du texte qui s'affiche lorsque vous parlez. Puisque c'est la
28 traduction, voilà ce qui s'affiche. Vous le voyez, je pense. S'il vous
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1 plaît, ne répondez pas à la question avant que le curseur ne se soit
2 arrêté. Quand le curseur s'est arrêté, cela signifie que la traduction
3 anglaise est terminée et que le sténotypiste a tout noté. Donc vous pouvez
4 répondre à ce moment-là.
5 M. SESELJ : [interprétation]
6 Q. Monsieur Tihic, il n'a pas pu y avoir d'attaque, parce qu'il n'y a pas
7 eu de conflit à Sabac, n'est-ce pas ? La JNA est tout simplement sortie
8 avec ses véhicules, avec ses moyens de combat dans les rues, n'est-ce pas ?
9 R. Ils sont entrés dans Bosanski Samac sans que les instances au pouvoir
10 le sachent et qu'elles l'approuvent. Ils ont d'abord tiré en l'air, puis
11 ils ont tiré vers des installations, ils ont désarmé la police en place.
12 Ils sont entrés dans toutes les institutions publiques et ils ont remis
13 l'autorité --
14 Q. Ils ont reçu des informations qui étaient justifiées, disant que vous
15 aviez déjà créé un commandement de la ville ainsi qu'un détachement de la
16 Défense territoriale avec 212 membres de cette TO dont ne faisait partie
17 que pratiquement des Musulmans. Il n'y avait que six Croates, et les
18 autres, c'étaient tous des Musulmans, n'est-ce pas ?
19 R. Ça a été un projet de liste de la part des Bosniens et des Musulmans
20 qui se déclaraient disposés à faire partie de la Défense territoriale de
21 Bosanski Samac.
22 Q. Mais vous avez disposé d'armes, vous avez dit vous-même que vous aviez
23 50 fusils automatiques et des armes de chasse, et vous aviez quelque 200
24 kilos d'explosifs, n'est-ce pas ?
25 R. Attendez, 50 fusils automatiques, j'ai dit qu'on les déjà déposés au QG
26 de la Défense territoriale. Ces fusils, ils n'ont pas pu être distribués.
27 Ils ont été confisqués dès que la JNA est entrée dans Bosanski Samac.
28 Q. Mais votre Défense territoriale était illégale, parce que vous vous
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1 êtes conformés aux instructions de la direction politique à Sarajevo ?
2 R. Ce n'était pas illégal. Le QG de la Défense territoriale était légal.
3 Q. Ce QG que vous avez créé ?
4 R. C'est le QG de la république au niveau de la TO qui a nommé Marko
5 Bozanovic, et Alija Fitozovic pour être chef, Bozanovic était commandant,
6 lui, du QG de la TO.
7 Q. Mais en partant de quel fondement juridique a-t-on nommé ce
8 commandement de la TO de la ville Bosanski Samac ?
9 R. Ce n'était pas un commandement.
10 Q. Mais attendez. Dans le document que le Procureur nous a montré, on dit
11 bien "commandement de la ville."
12 Q. C'est ce qui est écrit, mais c'était des gens qui étaient préoccupés
13 par leur avenir, et ils avaient voulu lancer une initiative, dans le cadre
14 des instructions légales du QG de la Défense territoriale, la création
15 d'une unité de la TO. Ils se sont portés volontaires pour participer. Les
16 Croates et les Serbes étaient censés donner quelques milliers de noms.
17 Q. Ne saviez-vous pas que les unités de la Défense territoriale ne
18 pouvaient exister qu'en coopération avec la JNA; et que, en dehors de la
19 JNA, il ne pouvait pas y avoir d'unités de la Défense territoriale ?
20 R. Ça, je n'en ai pas connaissance. La Défense territoriale relevait des
21 compétences de la république et la JNA relevait des compétences de la
22 fédération.
23 Q. Ça, Monsieur Tihic, c'était en vigueur jusqu'en 1997. En 1987, ça a été
24 modifié. C'était quelques années avant la guerre.
25 R. Je ne pense pas.
26 Q. Monsieur Tihic --
27 R. Je ne connais pas toutes ces réglementations, mais je pense savoir que
28 les Défenses territoriales relevaient des compétences des républiques.
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1 Q. C'est un expert qui vous parle, Monsieur Tihic, en 1987, l'état-major
2 de la JNA est devenu l'état-major des forces armées, la présidence de la
3 RSFY a pris sur soi le commandement de la Défense territoriale aussi et non
4 pas seulement de la JNA, et en application des ordres émis par la
5 présidence de la RSFY en 1990, il y a prise des armes des entrepôts de la
6 Défense territoriale, parce que la présidence de la RSFY a conclu, suite à
7 une proposition émanant de l'état-major général, qu'il était dangereux de
8 voir ces directions des républiques et avoir autant d'attributions vis-à-
9 vis de la Défense nationale, il fallait que la Défense nationale soit
10 unifiée. Ne le saviez-vous pas ?
11 R. Je ne me souviens pas de tous ces détails tels que vous les énoncez. Je
12 sais que la JNA a pris les armes dans les entrepôts de la Défense
13 territoriale. Je sais qu'il y a eu un ordre de ce genre. Je ne sais pas qui
14 a donné cet ordre, est-ce que la présidence, est-ce le ministère ou l'état-
15 major, je ne sais pas.
16 R. La presse a publié dans son ensemble que cela était conforme à une
17 décision prise par la présidence de la République socialiste fédérative de
18 Yougoslavie ?
19 R. Il devait y avoir un document approprié.
20 Q. Le Procureur a tous ces documents, mais on ne vous les a pas montrés
21 malheureusement à l'occasion de votre récolement. Bon.
22 On a constaté de quelle façon la JNA a pris contrôle à Samac, vous avez dit
23 qu'un massacre avait été commis à Supina, alors qu'en fait il ne s'agit que
24 de rumeurs, car une enquête a été faite à ce sujet, au moment du procès de
25 ce qu'on appelle le procès du groupe de Samac, procès intenté à Blagoje
26 Simic et consorts, et rien n'a été prouvé. On n'a pas trouvé la moindre
27 trace de crimes, de massacre, on n'a pas trouvé de cadavres, rien; il n'a
28 pas été établi non plus quelle était l'identité de ceux qui auraient pu
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1 avoir été tués là.
2 R. Monsieur Seselj, tout cela a été prouvé et démontré. Le crime a été
3 commis sous les yeux de centaines de personnes dans le camp qui se trouvait
4 là-bas, dans les entrepôts de l'usine Bosanka, et nous connaissons les gens
5 qui ont été tués, nous savons combien de temps a duré cette entreprise de
6 liquidation. Ça, c'est ce que je peux vous dire. Les restes humains de ces
7 personnes ont été incinérés. Le fait que ces cadavres ont été incinérés et
8 ne peuvent pas être récupérés, c'est une autre question. Mais le crime a eu
9 lieu, des Serbes, des Musulmans et des Croates et tout le monde peut vous
10 en parler. Donc ce n'est pas la peine de le nier.
11 Q. Mais comment se fait-il que le Tribunal de La Haye n'a pas été en
12 mesure de prouver que ce massacre a effectivement eu lieu ?
13 R. Je pense qu'il l'a prouvé. Il a démontré que ce massacre avait eu lieu
14 parce qu'il y a des gens des trois groupes, même des trois groupes
15 ethniques, qui ont vu les choses sur place. Il s'est agi d'une entreprise
16 de liquidation menée en public devant un camp de prisonniers, devant 16, 18
17 personnes, ou je ne sais pas combien exactement. Il y a des noms et des
18 prénoms de ces personnes qui existent. Donc n'essayez pas de le nier. C'est
19 quelque chose qui est bien connu.
20 Q. Mais je vous interroge simplement. Je ne nie rien du tout. J'attends
21 une réponse de votre part parce que vous, vous êtes au courant, je n'étais
22 pas sur place et je n'ai rien vu de tout cela de mes yeux. Ça n'a pas
23 d'importance, avançons.
24 Vous avez dit que le conflit n'aurait jamais éclaté s'il n'y avait pas eu
25 intervention de l'extérieur, notamment de Belgrade -- ou plutôt de la
26 partie serbe et de la JNA. Toutefois, je suis sûr que vous savez à quel
27 point les Croates de votre municipalité s'étaient armés et combien d'armes
28 ils ont reçu de Croatie, n'est-ce pas ?
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1 R. J'ai dit qu'en Bosnie-Herzégovine, le conflit n'aurait jamais éclaté si
2 les Serbes, les Croates et les Musulmans de Bosnie avaient été sollicités
3 pour apporter leurs solutions, et que les conflits dans toute l'histoire
4 éclate quand il y a intervention de l'extérieur, ingérence des environs, et
5 je ne parle pas que des Serbes, je parle des conflits qui ont eu lieu
6 durant les guerres mondiales, et également de guerres régionales.
7 Pour être précis, quand nous parlons de cette dernière guerre, il y a eu
8 ingérence et intervention encore plus intensive de la part des Serbes. Je
9 ne souhaite pas nier qu'il y ait eu intervention de la partie croate, mais
10 la Serbie a été plus interventionniste encore parce qu'elle possédait une
11 armée, à savoir la JNA. C'est la raison pour laquelle les Serbes se sont
12 comportés comme ils l'ont fait. Ils savaient qu'ils avaient ce qu'il
13 fallait derrière eux.
14 Q. Mais quel a été le rôle de la JNA en dehors de tenter de préserver la
15 Yougoslavie ? La JNA n'a pas joué d'autre rôle, n'est-ce pas ?
16 R. Je pense que d'une certaine façon, plus ou moins, elle a participé au
17 projet de la création de la Grande-Serbie.
18 Q. C'est ce que vous pensez. Vous n'avez aucune preuve, aucun élément pour
19 le démontrer. Monsieur Tihic, vous n'avez jamais entendu dire qu'un Serbe
20 aurait défendu la Grande-Serbie publiquement, en dehors de moi, n'est-ce
21 pas ?
22 R. Vous, vous préconisez et vous défendez vos points de vue à haute et
23 intelligible voix.
24 Q. Je le fais aujourd'hui aussi.
25 R. Peut-être d'autres personnes ne l'ont-elles pas fait aussi
26 officiellement ou aussi fort que vous, mais elles l'ont fait.
27 Q. Je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un d'autre qui aurait dit des
28 choses comme ça.
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1 R. Vous êtes le plus cohérent de ce point de vue.
2 Q. Si d'autres parlent de cette façon, je ne les ai pas entendus.
3 R. Ils travaillent à la réalisation de ce projet.
4 Q. Monsieur Tihic, le conflit en Bosnie-Herzégovine a eu lieu alors que
5 les trois partis nationaux ont commencé à se diviser, à défendre des points
6 de vue différents ?
7 R. Non, pas après cela. Ces partis étaient ceux qu'il valait le moins la
8 peine d'interroger au sujet de quoi que ce soit, et les Bosniens ont été
9 sollicités le moins de tous. Nous souhaitions éviter les conflits, nous.
10 Q. Vous avez déclaré vous-même, en tant que Musulman, que vous souhaitiez
11 adopter l'expression "Bosnien" en 1993 déjà ?
12 Mme LE JUGE LATTANZI : Il y a un retard d'au moins trois questions et trois
13 réponses dans l'interprétation.
14 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, ce n'est pas ainsi que ça s'est passé. Le
15 mot "Bosnien" est un terme ancien. Nous l'avons réadopté. Il est utilisé
16 depuis des centaines d'années.
17 Q. Monsieur Tihic, le mot "Bosnien" est une étiquette qui désigne des gens
18 qui vivaient en Bosnie. Puisque je suis né en Bosnie, je suis aussi
19 Bosniaque que vous.
20 L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous allons ralentir, et j'espère que nous
21 parviendrons à la fin.
22 Q. Alors, j'ai autant le droit de m'appeler "Bosniaque" que vous. Est-ce
23 que vous savez que je suis né à Sarajevo ?
24 R. Je sais que vous êtes né en Bosnie-Herzégovine. Peut-être en
25 Herzégovine, peut-être même à Sarajevo.
26 Q. Je suis né à Sarajevo. J'espère que vous croyez que je sais où je suis
27 né.
28 R. Je pense que vous êtes originaire d'Herzégovine.
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1 Q. Je suis né dans la maternité de Sarajevo à l'hôpital. Est-ce que j'ai
2 le même droit que vous de me désigner sous le nom de "Bosniaque" ?
3 R. Tout le monde a le droit de se désigner sous le nom qu'il veut.
4 Q. Mais ce droit ne représente aucune affiliation ethnique.
5 R. Le mot "Bosnien" désigne une affiliation ethnique, mais pas une
6 appartenance à un territoire déterminé.
7 Q. Mais c'est ce mot qui a été réutilisé en 1991 ?
8 R. Non, ce n'est pas exact. Cela fait des centaines d'années que ce terme
9 est utilisé.
10 Q. Mais des gens ont utilisé ce terme pour désigner une nation. Votre
11 président Alija Izetbegovic lui-même a utilisé ce terme pour désigner son
12 appartenance à la communauté musulmane.
13 R. Les gens se désignaient soit comme Croates, soit comme Serbes, soit
14 comme indéterminés, soit comme Yougoslaves, mais pendant très longtemps
15 personne ne pouvait se désigner officiellement comme appartenant au groupe
16 musulman.
17 Q. Bon. Vous avez dit que la JNA a organisé le 4e Détachement du 17e Groupe
18 tactique, et vous avez dit qu'au sein de ce détachement se trouvait
19 également des Musulmans. Est-ce que la JNA voulait que tous les Musulmans
20 entrent dans ce genre de détachement de façon à ce que les hommes musulmans
21 en âge de porter les armes puissent s'acquitter de leur devoir militaire ?
22 R. Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant s'agissant de ces
23 détachements.
24 Q. Mais vous savez que la JNA s'est efforcée de mobiliser dans toute la
25 Bosnie, et que ce sont surtout les Serbes qui ont répondu à ces appels de
26 mobilisation, les Musulmans en nombre bien inférieur, et les Croates
27 pratiquement aucun ?
28 R. Nous n'avons pas eu beaucoup d'enthousiasme à répondre à ces appels,
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1 parce que nous n'étions pas favorables à une participation de notre part à
2 la guerre qui menaçait. Nous ne voulions pas participer à la réalisation
3 d'une politique visant à créer la Grande-Serbie, parce que la JNA avait
4 déjà montré ce qu'elle souhaitait faire de ce point de vue.
5 Q. Monsieur Tihic, les trois partis nationaux, le SDA qui regroupait les
6 Musulmans, le Parti d'Action démocratique donc, puis le SDS, Parti
7 démocratique serbe qui regroupait les Serbes, et l'Union démocratique
8 croate, lors des élections qui ont eu lieu à la fin de l'année 1990, ont
9 œuvré ensemble pour renverser le régime communiste et créer un gouvernement
10 de coalition, n'est-ce pas ?
11 R. C'est exact. Avant tout, ce qu'ils souhaitaient, c'était le
12 renversement du gouvernement communiste.
13 Q. Et comme le système électoral était très complexe, il fallait voter
14 séparément pour les listes serbes, croates et musulmanes, par exemple, au
15 niveau des élections présidentielles en Bosnie-Herzégovine. Donc les trois
16 partis se sont mutuellement apporté leur soutien. Le SDS
17 Serbes à voter pour Alija Izetbegovic et Fikret Abdic, qui étaient les
18 candidats du SDA, et le SDA a appelé la population à voter pour Biljana
19 Plavsic et l'autre candidat serbe, n'est-ce pas ?
20 R. Lorsque les gens ont voté pour les élections présidentielles, ils ont
21 voté sur des lignes ethniques. En d'autres termes, ils ont voté pour les
22 partis représentant les groupes ethniques. Il est vrai qu'on les avait
23 aussi appelés à voter mutuellement pour le groupe auquel il n'appartenait
24 pas.
25 Q. Ceci s'est fait parce que le scrutin était proportionnel, et donc on
26 votait séparément pour les Croates, les Serbes et les Musulmans, n'est-ce
27 pas ?
28 R. Oui, et vice versa.
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1 Q. Donc les liens entre les trois partis nationaux étaient si forts qu'ils
2 ont réussi à écarter les communistes du pouvoir. Est-ce que j'ai raison de
3 dire ça ?
4 R. Ils ont travaillé de concert pour écarter les communistes du pouvoir.
5 Q. Et à ce moment-là, les trois partis ont créé un gouvernement de
6 coalition, n'est-ce pas ?
7 R. Et ce gouvernement a pu gouverner aussi longtemps que la guerre n'a pas
8 éclaté en Croatie, n'est-ce pas ?
9 R. Le gouvernement a travaillé à peu près jusqu'à --
10 Q. Jusqu'à la fin 1991 ?
11 R. Oui, jusqu'à la fin 1991, début 1992, et jusqu'au référendum qui est le
12 moment où les députés SDS du parlement se sont retirés de l'assemblée de
13 Bosnie-Herzégovine et du gouvernement.
14 Q. Donc jusqu'au référendum sur l'indépendance; c'est bien
15 ça ?
16 R. Oui, jusqu'à la date du 28 février et du 1er mars 1992, qui sont les
17 dates du référendum.
18 Q. Est-ce que vous êtes au courant du fait qu'un tel référendum qui porte
19 sur la question-clé du statut de la Bosnie-Herzégovine ne pouvait être
20 organisé que suite à une consultation des trois groupes ethniques, des
21 représentants des trois populations ?
22 R. La décision d'organiser un référendum s'est faite en application d'une
23 procédure parlementaire. La majorité des représentants serbes étaient
24 opposée à ce référendum. Tous les membres du SDS
25 ont voté contre le référendum, mais ce référendum était totalement légal,
26 organisé en vertu des lois et dans le respect de la constitution, et il
27 aurait été préférable de lui apporter son appui. C'est ce qu'aurait dû
28 faire les députés du SDS, mais ils ont quitté l'assemblée au lieu de cela.
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1 Q. Monsieur Tihic, vous êtes avocat. Vous êtes juriste. Vous connaissez la
2 constitution de Bosnie-Herzégovine. Est-ce que les trois peuples, les
3 Serbes, les Croates et les Musulmans - ce sont les mots qui sont utilisés
4 pour les désigner dans la constitution - est-ce que l'ordre de désignation
5 de ces trois populations ne change pas régulièrement dans la constitution
6 de façon à respecter une égalité entre eux ? Est-ce que ces trois peuples
7 ne sont pas des peuples constitutifs ?
8 R. Oui, ils sont des peuples constitutifs.
9 Q. Qu'est-ce que ça veut dire "peuple constitutif" ? Cela veut dire que
10 chacun des trois peuples est un élément constitutionnel qui doit se dire
11 favorable à une quelconque modification de la constitution si celle-ci doit
12 avoir lieu. Donc il ne peut pas y avoir amendement de la constitution sans
13 l'agrément de ces trois groupes constitutifs.
14 R. Toutes les organisations internationales, la communauté internationale
15 dans son ensemble, a accepté le référendum comme étant légal. Plus de 64 %
16 des habitants de Bosnie-Herzégovine ont voté pour l'indépendance.
17 Q. Monsieur Tihic, un nombre très important de pays dans le monde a
18 reconnu le Tribunal comme une institution légale, même s'il ne l'est pas.
19 Donc le fait que quelqu'un qui se trouve à l'extérieur, à l'étranger,
20 reconnaît ce qui a été fait légal ne signifie pas que tel est bien le cas,
21 car à l'Occident il y a très peu des gens qui comprennent véritablement
22 bien les spécificités de la théorie yougoslave et cette notion de peuple
23 constitutif.
24 R. Avant tout, je pense que ce Tribunal est légal. Il a été créé par les
25 Nations Unies, et la question des peuples constitutifs en Bosnie-
26 Herzégovine et de l'égalité de peuple constitutif a été résolue d'une
27 manière déterminée dans la constitution communiste ou socialiste, je ne
28 sais pas comment il faut l'appeler, et d'une autre manière suite aux
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1 accords de Dayton. Selon la constitution de l'époque, le référendum était
2 légal.
3 Q. Monsieur Tihic, le référendum n'était pas légal, car même la
4 constitution de la Bosnie-Herzégovine n'a pas été modifiée dans le respect
5 des conditions à respecter pour modifier une constitution.
6 R. Jusqu'à cette date-là, la constitution n'avait pas été modifiée.
7 Q. Elle l'a été immédiatement après.
8 R. Après la déclaration d'indépendance, il y a eu effectivement un certain
9 nombre de modifications.
10 Q. Ce que je vais vous dire, c'est la chose suivante : le statut de peuple
11 constitutif est avant tout une formulation juridique qui empêche qu'un
12 peuple prenne le dessus sur un autre. Donc il y a une constitution qui
13 empêche que deux des peuples constitutifs s'unissent contre les intérêts du
14 troisième. Car aucun de ces trois peuples n'avait la majorité absolue en
15 Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ? Les Musulmans étaient, disons, 42 %, les
16 Serbes 30 % et quelque, les Croates, si je ne me trompe, 17 %, enfin, les
17 chiffres ne sont pas le plus important. Ce qui importe le plus, c'est que
18 la constitution garantissait l'impossibilité pour deux peuples de s'unir
19 contre le troisième afin d'imposer leur volonté. La constitution, qui
20 voulait maintenir l'égalité entre les peuples, exigeait que toute question
21 liée au statut des peuples de Bosnie-Herzégovine soit résolue avec l'accord
22 plein et entier des trois groupes constitutifs. Est-ce que j'ai raison de
23 dire ça ?
24 R. Le référendum n'était pas une élection nationale, et 64 % des votants
25 se sont exprimés en faveur de l'indépendance. Combien d'entre eux étaient
26 Musulmans, Croates ou Serbes, je ne sais pas.
27 Q. Mais c'est précisément ce que la constitution interdisait. Car la
28 constitution n'aurait pas fait mention des peuples constitutifs, elle
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1 n'aurait pas stipulé quelles étaient les formes d'associations, de
2 regroupements de ces peuples, elle n'aurait parlé que de citoyens si le
3 concept de groupe constitutif ou de peuple constitutif n'avait pas été
4 capital dans le cadre de la constitution.
5 Et ceci était fait pour que dans certaines villes il n'y ait pas des
6 votes qui aillent à l'encontre d'autres votes au moment des élections dans
7 tout le pays. Souvenez-vous du vote qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine
8 avec présentation de différents candidats et les membres d'une communauté
9 votant pour les candidats de l'autre communauté, si une majorité de Serbes
10 votaient pour une disposition et que la majorité des Musulmans votaient
11 pour cette même disposition et que les Croates votaient pour cette
12 disposition.
13 Alors c'est seulement dans ces conditions que l'indépendance pouvait
14 être déclarée, acceptée par vote.
15 R. Aucun des instruments légaux en vigueur ne prévoyait que les peuples
16 constitutifs votent chacun de son côté, le vote ne concernait que les
17 citoyens dans leur individualité, tous les instruments juridiques étaient
18 destinés à protéger les peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine et ils
19 ont été utilisés, et le référendum a été adopté en application des lois et
20 constitution en vigueur.
21 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, par ses questions, affirme que le
22 référendum était illégal. Ce n'est pas la première fois qu'il le dit et il
23 vous l'a redit.
24 Vous-même, vous êtes un juriste, alors moi, ce que je voudrais
25 savoir : est-ce que la constitution permettait un référendum nonobstant la
26 question des trois peuples constitutifs ? Est-ce qu'un référendum était
27 possible par la constitution ?
28 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, il était possible d'organiser un
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1 référendum dans le respect de la constitution pour autant que l'assemblée
2 de Bosnie-Herzégovine le décide et qu'elle le fasse après application de la
3 procédure en vigueur, ce qui a été fait d'ailleurs, c'est suite à cette
4 procédure que le référendum a été décidé.
5 M. SESELJ : [interprétation]
6 Q. Monsieur Tihic, la constitution ne permettait pas de modifier les
7 dispositions de la constitution par voie de référendum, n'est-ce pas ? La
8 constitution déterminait de façon très stricte les conditions dans
9 lesquelles il était possible de changer la constitution, et il n'était pas
10 possible de changer la constitution par voie référendaire, n'est-ce pas ?
11 Est-ce que j'ai raison ?
12 R. Non.
13 Q. Quelles sont les dispositions dans la constitution qui autorisent une
14 modification de la constitution par voie
15 référendaire ?
16 R. La constitution n'a pas été modifiée par voie référendaire. Le vote a
17 porté sur le fait de savoir si les citoyens de Bosnie-Herzégovine étaient
18 favorables à une Bosnie-Herzégovine indépendante et souveraine. Et c'est
19 là-dessus qu'ils ont voté. Le référendum n'avait rien à voir avec des
20 dispositions particulières de la constitution.
21 Q. Mais la constitution a été violée, car dans les premières dispositions
22 de la constitution, on lit de la façon la plus claire qu'il soit, que la
23 République socialiste de Bosnie-Herzégovine, en tant qu'Etat souverain - et
24 là nous voyons que les peuples sont souverains, les peuples constitutifs -
25 fait partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie en tant
26 qu'élément à pied d'égalité avec les autres éléments constitutifs de cette
27 fédération. Est-ce que ma définition est bonne ?
28 R. Non.
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1 Q. Donnez-moi la vôtre si elle est meilleure.
2 R. L'assemblée a rendu sa décision sur l'organisation du référendum. Le
3 référendum a été organisé dans le respect des réglementations et lois en
4 vigueur. Le référendum est totalement légal et si quelqu'un considérait que
5 par l'organisation de ce référendum il y avait violation de la constitution
6 il aurait pu porter plainte devant la cour constitutionnelle en disant que
7 le référendum était anticonstitutionnel.
8 On peut passer vous et moi la journée à discuter pour dire l'un que le
9 référendum était légal et l'autre, qu'il ne l'était pas, je me souviens
10 très bien de l'époque de la Commission Badinter, il y en avait qui étaient
11 pour ce que disait cette commission et d'autres qui disaient le contraire.
12 Vous, vous considérez que le référendum n'est pas légal, la Commission
13 Badinter l'a jugé légal.
14 Si vous considériez que le référendum n'était pas légal, vous auriez dû
15 porter plainte devant la cour constitutionnelle. Seule la cour
16 constitutionnelle pouvait se prononcer.
17 Q. Nous savons bien quels sont les gens malveillants que nous avons face à
18 nous, des membres de la Commission Badinter, d'autres qui se trouvent dans
19 d'autres enceintes.
20 Moi, j'insiste pour défendre ce que prévoyait la constitution et pas pour
21 défendre ce que disent des étrangers qui n'ont même pas lu la constitution
22 en question. Mais vous, les Musulmans et les Croates, quand vous vous êtes
23 posé la question de savoir si vous souhaitiez l'indépendance et que les
24 Serbes vous disaient --
25 M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, vous faites référence à la
26 Commission Badinter et vous dites "les étrangers qui n'ont pas lu leur
27 constitution." Bon, c'est énorme ce que vous dites.
28 Monsieur le Témoin, est-ce que vous pensez que les membres de cette
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1 commission n'avaient pas lu la constitution de votre pays parce que c'est
2 ce qu'il dit, M. Seselj.
3 LE TÉMOIN : [interprétation] La Commission Badinter est une commission
4 d'experts, de juristes, qui a passé en revue toutes les dispositions de la
5 constitution de la RSFY et de la Bosnie-Herzégovine et de toutes les autres
6 républiques et elle a déterminé que les républiques étaient habilitées pour
7 rendre une décision sur l'indépendance et que la façon de le faire était de
8 passer par un référendum et c'est ce qui s'est fait. La Commission Badinter
9 était composée d'experts en droit qui connaissaient parfaitement bien les
10 dispositions juridiques de la constitution de la RSFY et de la Bosnie-
11 Herzégovine.
12 M. SESELJ : [interprétation]
13 Q. Donc vous, les Musulmans, vous décidez que vous voulez l'indépendance;
14 les Croates décident qu'ils veulent l'indépendance; et les Serbes décident
15 aussi, par référendum, qu'ils veulent rester au sein de la Yougoslavie,
16 qu'ils avaient vécu au sein de la Yougoslavie jusqu'à ce moment-là et
17 qu'ils souhaitaient continuer à vitre au sein de la Yougoslavie à l'avenir;
18 et vous qui souhaitez l'indépendance, vous n'avez qu'à vous séparer et à
19 obtenir votre indépendance.
20 Est-ce qu'il est clair pour vous que les Serbes ne pouvaient pas autoriser
21 une imposition, une domination de cette nature et qu'en voulant exercer
22 cette domination, vous avez provoqué une sanglante guerre civile ?
23 R. Non, ce n'est pas ce qui s'est passé. J'ai dit que les citoyens avaient
24 voté au référendum dans le respect de la constitution. Mais toutes les
25 autres conditions préalables qui ont mené à la guerre, depuis la
26 proclamation de régions autonomes serbes, des Krajina, des municipalités
27 serbes un peu partout, la remise en cause de la JNA, tout cela s'est passé
28 déjà bien avant le référendum. Donc cette situation était préalable au
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1 référendum, et elle était due précisément à la politique de Grande-Serbie,
2 et au fait que toute la Bosnie-Herzégovine, voire simplement quelques
3 parties de la Bosnie-Herzégovine, devraient faire partie de cette Grande-
4 Serbie.
5 Q. Mais vous, vous avez défendu la politique de Muhamed Filipovic et de
6 Zulfikarpasic. Vous avez appuyé la déclaration de Belgrade qui voulait que
7 la Serbie reste ce qu'elle était ?
8 R. Je n'ai jamais appuyé le parti de Zulfikarpasic ou de Filipovic.
9 C'était un petit parti politique de Bosnie-Herzégovine qui s'efforçait
10 d'empêcher la guerre sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Nous, nous
11 étions favorables à ce que la Yougoslavie continue à vivre en tant que
12 fédération ou confédération dans laquelle toutes les républiques auraient
13 dû continuer à exister.
14 Q. Bien. Demain, nous poursuivrons ce débat intéressant. Pour l'instant,
15 il ne nous reste que quelques minutes. S'agissant de cette unité --
16 M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez raison. On va poursuivre demain, parce
17 qu'il est quasiment l'heure de terminer. Pour votre information, Monsieur
18 Seselj, je vous indique que vous avez utilisé 45 minutes.
19 Monsieur le Témoin, comme vous le savez, vous êtes témoin de la justice
20 puisque vous avez prêté serment. Et mieux que quiconque vous savez que vous
21 n'avez plus de liens maintenant à avoir avec le bureau du Procureur, ce qui
22 fait que je vous invite à ne pas vous entretenir au cours de la journée de
23 cette affaire avec quiconque puisque maintenant vous êtes sous témoignage.
24 Donc nous aurons le plaisir de vous retrouver demain à 8 heures 30, et
25 soyez rassuré, M. Seselj terminera son contre-interrogatoire. Il y aura des
26 questions supplémentaires peut-être, et les Juges vous poseront des
27 questions. Donc normalement votre audition se terminera demain.
28 Je souhaite à tout le monde une bonne fin de journée, et nous nous
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1 retrouverons donc, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, demain à 8 heures
2 30.
3 Je vous remercie.
4 --- L'audience est levée à 13 heures 14 et reprendra le jeudi 4
5 décembre 2008, à 8 heures 30.
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