Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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  1   Le mercredi 3 décembre 2008

  2   [Audience publique]

  3   [Le témoin est introduit dans le prétoire]

  4   --- L'audience est ouverte à 8 heures 32.

  5   [L'accusé est introduit dans le prétoire]

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, appelez le numéro de

  7   l'affaire, s'il vous plaît.

  8   M. LE GREFFIER : [interprétation] Bonjour, Monsieur le Président, bonjour,

  9   Madame et Messieurs les Juges, bonjour à tous. Il s'agit de l'affaire IT-

 10   03-67-T, l'Accusation contre Vojislav Seselj.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Merci, Monsieur le Greffier.

 12   En ce mercredi 3 décembre 2008, je salue en premier M. le Témoin, je salue

 13   les représentants du bureau du Procureur, je salue M. Seselj, et je salue

 14   toutes les personnes qui nous assistent.

 15   Monsieur le Témoin, pouvez-vous me donner votre nom, prénom et date de

 16   naissance, s'il vous plaît.

 17   LE TÉMOIN : [aucune interprétation]

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous êtes donc né le 26 novembre 1951. La cabine --

 19   Bien. Vous êtes-vous né le 26 novembre 1951. Quelle est actuellement votre

 20   profession ou qualité ?

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais président adjoint de la Chambre des

 22   nations au Parlement de la Bosnie-Herzégovine, et j'étais vice-président du

 23   Parti de l'action démocratique.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur, avez-vous déjà témoigné devant ce

 25   Tribunal; et si oui, dans quelle affaire, si vous vous en

 26   rappelez ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'ai témoigné à plusieurs reprises. La

 28   première fois dans l'affaire contre M. Tadic, la deuxième fois, Blagoje

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  1   Simic, l'équipe de Samac, et la troisième fois contre Slobodan Milosevic.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Dans ces trois procès, vous étiez témoin de

  3   l'Accusation ou témoin de la Défense ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] J'étais témoin de l'Accusation.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Je vous demande de lire le serment.

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

  7   vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

  8   LE TÉMOIN : SULEJMAN TIHIC [Assermenté]

  9   [Le témoin répond par l'interprète]

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Merci. Vous pouvez vous asseoir.

 11   Monsieur, quelques éléments d'information de ma part qui ne vont pas vous

 12   surprendre, dans la mesure où vous êtes déjà venu plusieurs fois devant ce

 13   Tribunal et vous avez témoigné pendant de nombreux jours. Donc vous savez

 14   comment cela se passe.

 15   Vous allez devoir répondre à des questions qui vont vous être posées

 16   par le représentant de l'Accusation, à partir d'une déclaration que vous

 17   avez faite au bureau du Procureur, et le bureau du Procureur vous

 18   présentera certainement des documents. Et vous avez pu, lors de l'entretien

 19   qui a dû intervenir hier, vous avez dû avec le Procureur passer en revue

 20   certainement quelques documents.

 21   A l'issue de cette phase, M. Seselj, qui est accusé dans ce procès, vous

 22   posera des questions dans le cadre du contre-interrogatoire, et M. Seselj

 23   ayant le droit de se défendre seul, comme l'avait fait d'ailleurs feu

 24   Milosevic, vous posera directement des questions dans le cadre du contre-

 25   interrogatoire.

 26   Les trois Juges qui sont devant vous, vous poseront également des questions

 27   aux fins d'éclaircir certains points, soit pour combler des lacunes qu'ils

 28   peuvent déceler dans certains faits ou événements.

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  1   Essayez d'être très précis dans vos réponses, mais vu les fonctions

  2   imminentes que vous avez exercées, je n'ai aucun doute à cet égard, vous

  3   serez certainement synthétique et précis dans vos réponses. Si vous ne

  4   comprenez pas le sens d'une question, n'hésitez pas à demander à celui qui

  5   vous pose la question de la reformuler, même si c'est un Juge, un Juge peut

  6   également parfois mal poser des questions, donc n'hésitez à ce moment-là à

  7   demander qu'on vous précise la question.

  8   Nous faisons, comme vous le savez, des pauses toutes les heures et demie,

  9   des pauses de 20 minutes, mais si par extraordinaire vous avez besoin d'un

 10   repos en raison d'un quelconque problème de santé, n'hésitez pas à lever la

 11   main et à nous le demander.

 12   Compte tenu du temps que nous avons alloué aux uns et aux autres, deux

 13   heures pour l'Accusation et deux heures pour M. Seselj, il est quasi

 14   certain que nous continuerons demain. Je pense que vous avez dû prendre vos

 15   précautions pour rester au moins jusqu'à demain.

 16   Voilà ce que je tenais à vous dire afin que l'audience se déroule de

 17   la meilleure façon possible.

 18   Je salue le représentant de l'Accusation, qui est déjà prêt puisqu'il a son

 19   pupitre et ses documents devant lui, et je lui cède la parole.

 20   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je vous remercie, et bonjour à tous.

 21   Je vais commencer tout de suite mon interrogatoire principal.

 22   Interrogatoire principal par M. Mussemeyer :

 23   Q.  [interprétation] Monsieur Tihic, pouvez-vous nous décrire votre

 24   parcours éducatif, universitaire et professionnel.

 25   R.  J'ai fait mes écoles primaire et secondaire à Bosanski Samac, ma

 26   faculté de droit, à Sarajevo, et après mon examen en matière de

 27   jurisprudence, j'ai été élu juge au tribunal municipal de Bosanski Samac,

 28   puis j'ai été procureur à Madrica, Bosanski Samac, et Odzak. Par la suite,

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  1   j'ai travaillé en tant qu'avocat pendant neuf ans.

  2   Suite à l'agression lancée contre la Bosnie-Herzégovine, j'ai travaillé

  3   pendant certains temps à l'ambassade à Bonn en tant que conseiller au

  4   ministère des Affaires étrangères. Puis j'ai par la suite été vice-

  5   président du Parti de l'Action démocratique. Et aux élections en 2002, j'ai

  6   remporté les élections et j'étais devenu membre de la présidence de Bosnie-

  7   Herzégovine. Puis après, j'ai exercé les fonctions d'adjoint ou de

  8   président de cette chambre des peuples ou des nations du Parlement de

  9   Bosnie-Herzégovine. Et je suis membre de la direction du plus grand des

 10   partis politiques de Bosnie-Herzégovine depuis 2001.

 11   Q.  Je vous remercie, Monsieur Tihic. Pourriez-vous nous dire si avant le

 12   conflit vous faisiez déjà de la politique; et si oui, au sein de quel parti

 13   ?

 14   R.  A l'époque, c'est-à-dire avant les changements démocratiques, comme bon

 15   nombre d'autres personnes, j'étais membre de la Ligue des Communistes,

 16   j'étais seulement membre. J'étais actif sur le plan social parce que

 17   j'étais, par exemple, le président de la communauté locale à Bosanski

 18   Samac, j'étais président de l'association des sapeurs-pompiers à Bosanski

 19   Samac. Avant les premières élections démocratiques, je me suis affilié au

 20   Parti de l'Action démocratique, j'ai été élu député à l'assemblée

 21   municipale de Bosanski Samac, par la suite j'ai été élu aux fonctions de

 22   président de l'organisation municipale du parti à Bosanski Samac, puis

 23   membre du conseil principal du parti pour la Yougoslavie.

 24   Et par la suite sont venues les fonctions que j'ai déjà énumérées.

 25   Q.  Aviez-vous aussi un poste dans la région de Doboj ?

 26   R.  J'étais vice-président du comité régional du SDA pour la région de

 27   Doboj.

 28   Q.  Etant donné le poste et les fonctions que vous occupez aujourd'hui, je

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  1   pense que vous pouvez nous parler de la composition ethnique de la Bosnie-

  2   Herzégovine; et c'est pour cette raison que j'aimerais vous présenter un

  3   document.

  4   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pourrions-nous avoir, s'il vous plaît,

  5   Monsieur le Greffier, la pièce 140 à l'écran.

  6   Q.  Monsieur Tihic, dès que ce document s'affiche, j'aimerais que vous le

  7   commentiez.

  8   R.  C'est une carte bien connue. C'est à peu près la structure ethnique de

  9   la population en Bosnie-Herzégovine; bien que ceci, à ceux qui ne le

 10   sauraient pas, laisserait à penser que la Bosnie-Herzégovine est

 11   ethniquement départagée, or, ce n'est pas le cas.

 12   La Bosnie-Herzégovine -- ou plutôt sa structure ethnique est plus mélangée.

 13   Parce que là, où vous avez du vert qui est censé représenter les Bosniens,

 14   et le rouge qui est pour les Serbes, et le bleu qui est là pour dire qu'il

 15   y a majorité croate; là aussi il y avait des ressortissants des autres

 16   groupes ethniques. Rares étaient les municipalités où il y avait

 17   prédominance à 80 %, disons, des représentants d'un seul groupe ethnique.

 18   Et si on se penche sur cette carte, j'ai l'impression qu'il y a certains

 19   écarts, par exemple, Banja Luka. Banja Luka est montrée comme s'il y avait

 20   50 % de Serbes, c'était le cas en 1991. Et je pense qu'à Banja Luka,

 21   c'était à peu près autant de Serbes, Croates et Bosniens, ils étaient à peu

 22   près 30 % pour chaque groupe ethnique. Peut-être que les Serbes étaient-ils

 23   à quelques pourcents de plus. Et les Croates à quelques pourcents de moins,

 24   mais c'est à peu près cela. Et il en allait de façon analogue dans d'autres

 25   localités, dans d'autres villes. Pendant des centaines d'années, il y avait

 26   en parallèle l'église catholique, l'église orthodoxe, les mosquées. Il y

 27   avait dans les grandes villes aussi des synagogues. Ce qui fait que la

 28   population a été mélangée, ça faisait penser à une peau de léopard. Il n'y

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  1   avait pas que du rouge, du bleu et du vert. Là où il y a du rouge, du bleu

  2   et du vert, c'était quand même mixte, surtout notamment avant l'agression

  3   contre la Bosnie-Herzégovine.

  4   Q.  Cette carte est basée sur le recensement de 1991, pouvez-vous nous dire

  5   si la couleur est correcte et qu'elle reflète bien les régions ?

  6   R.  C'est à peu près le cas. Je viens de vous mentionner le cas de Banja

  7   Luka. Parce qu'il me semble que là, il n'y avait pas 50 % de Serbes. Je ne

  8   pense pas, j'en suis certain, j'en suis convaincu. Il se peut qu'il y ait

  9   eu plus de Serbes que d'autres, mais ils n'étaient pas à plus de 50 %.

 10   L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Le Procureur était censé nous

 11   fournir un aperçu de la population au niveau du recensement de 1991, et non

 12   pas de placer cette carte et de demander au témoin de se perdre en

 13   conjecture. Ça n'a aucune valeur de preuve ce qu'il est dit ici parce que,

 14   par exemple, si on avait le tableau pour Banja Luka, on aurait des chiffres

 15   exacts pour ce qui est de la structure ethnique.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Monsieur le Témoin, j'ai écouté avec attention

 17   ce que vous dites, il semblerait que le tableau que nous ayons sous les

 18   yeux soit le reflet du recensement de 1991, mais avec les critères de la

 19   majorité au-dessus de 50 %. Et vous nous avez expliqué, c'était très

 20   intéressant, qu'en réalité, pour vous, les couleurs ne restituent pas le

 21   fait qu'il y avait dans certaines régions des minorités; et qu'en réalité,

 22   pour reprendre votre expression, ça serait plutôt une véritable peau de

 23   léopard qu'on devrait voir.

 24   Alors, est-ce qu'il n'aurait pas fallu, selon vous, qu'une carte de cette

 25   nature ait d'autres couleurs accentuant où -- les majorités ethniques;

 26   qu'en pensez-vous ?

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que c'est ce qui aurait dû être fait

 28   dès le départ. En sus de ces couleurs prédominantes, il eut fallu avoir

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  1   d'autres couleurs avec la représentation des autres groupes ethniques, cela

  2   traduirait la véritable situation. Et là, on a essentiellement politisé en

  3   parlant des territoires serbes, bosniens ou croates, ce qui n'est pas une

  4   bonne chose.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Vos propos sont au script.

  6   Continuez, Monsieur le Procureur.

  7   M. MUSSEMEYER : [interprétation] L'intention de l'Accusation était

  8   d'utiliser cette carte pour donner une idée générale aux Juges, pour les

  9   aider plus tard lors des délibérations, c'est pour cela que nous voudrions

 10   verser cette pièce au dossier.

 11   [La Chambre de première instance se concerte]

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : On donne un numéro. Là on va donner un numéro.

 13   M. LE GREFFIER : [interprétation] Le document recevra la pièce P669.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, cette carte, je vois la

 15   mention en dessous, elle a été établie par le bureau du Procureur; c'est

 16   bien ça, par l'unité démographique du bureau du Procureur.

 17   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Oui. C'est ce qui est écrit en pied de

 18   page, mais c'est une carte qui est fondée sur les résultats du recensement

 19   de 1991, comme je l'ai déjà dit.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Allez-y.

 21   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, j'aimerais

 22   maintenant afficher la carte suivante. Il s'agit de la carte de Bosanski

 23   Samac. Numéro 65 ter 2579.

 24   Q.  Monsieur Tihic, pourriez-vous procéder au même exercice et commenter

 25   cette carte.

 26   R.  Ça, c'est une carte de cette région de la vallée de Sava; il n'y a pas

 27   qu'un Bosanski Samac. On voit la municipalité de Bosanski Samac, et c'est

 28   d'ailleurs indiqué.

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  1   Q.  Pourriez-vous nous montrer Sagrina, par exemple --

  2   L'ACCUSÉ : [interprétation] Pourquoi certains noms sont-ils barrés au

  3   feutre noir sur cette carte ? On voit toute une série d'appellations, de

  4   noms de localités qui ont été --

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, il y a des traits noirs et on

  6   a l'impression qu'il y a des noms qui ont été barrés. Il y a certainement

  7   une raison.

  8   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je pense que c'est parce que ces

  9   municipalités ou ces bourgades ne sont pas importantes en l'espèce. Toutes

 10   les municipalités et petits hameaux autour de Bosanski Samac sont

 11   mentionnés juste pour que vous ayez un meilleur aperçu de la région.

 12   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, ici on a caviardé une

 13   localité qui se trouve dans la municipalité de Bosanski Samac, qui fait que

 14   cette explication apportée par le Procureur n'est pas conforme à la vérité.

 15   Dans le cadre de cette communauté de Bosanski Samac, il y a une localité

 16   qui est caviardé. Alors, j'insiste pour que le Procureur nous donne une

 17   carte non caviardée.

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Dites-nous le nom de la municipalité caviardée,

 19   comme ça on y verra plus clair. C'est laquelle qui a été omise, Monsieur

 20   Seselj ?

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je n'ai pas dit qu'il y en a eu une d'omise. On

 22   nous a placé une carte de la région de la vallée de la Save. C'est ainsi

 23   qu'on l'appelle, la Posavina, et on voit Bosanski Samac et les

 24   municipalités environnantes, puis on voit deux, quatre, six, sept noms de

 25   localités caviardés au feutre. Alors ça, c'est tendancieux dans cette

 26   procédure de présentation d'éléments de preuve, et même dans la

 27   municipalité de Bosanski Samac on a caviardé une localité.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous n'avez pas une carte vierge, sans caviardage ?

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  1   M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'ai une carte. Il faut juste que je la

  2   trouve. Donnez-moi une seconde. Il me semble que c'est la 2874 sur la liste

  3   des pièces, mais je n'ai pas vérifié.

  4   Mais nous avons caviardé certains endroits, parce que Bosanski Samac est

  5   une municipalité éloignée. L'Accusation n'a le droit de poser des questions

  6   qu'à propos de cette municipalité. C'est pour ça que nous sommes concentrés

  7   sur ces emplacements, parce qu'ils sont absolument essentiels pour la ligne

  8   de conduite délibérée qui est dans l'acte d'accusation. Cela dit, si vous

  9   insistez, nous pouvons vous montrer une autre carte.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : En tant qu'on ait une autre carte avec les

 11   localités.

 12   L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, cette explication

 13   apportée par le Procureur est encore plus dénuée de sens de la précédente.

 14   On a laissé Bosanski Brod, qui se trouve tout à fait à l'ouest, puis

 15   Derventa. On ne nous a pas expliqué pourquoi les noms de certaines

 16   localités proches de cette municipalité de Bosanski Samac et dans Bosanski

 17   Samac se trouvent être caviardés au feutre. Je pense que vous ne pouvez pas

 18   accepter une explication insensée, dénuée de sens de la part du Procureur.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, il y a une carte nouvelle où

 20   rien n'est caviardé.

 21   L'ACCUSÉ : [interprétation] Et je viens de remarquer, Monsieur le

 22   Président, qu'on avait caviardé Crkvina sur l'autre carte de tout à

 23   l'heure, parce que je n'ai pas pu tout voir, ne sais pas tout par cœur. Et

 24   je vois que la localité de Crkvina a été caviardée. Or, cette localité est

 25   mentionnée dans la déclaration de M. Tihic. Pourquoi est-ce qu'on a

 26   caviardé ? Qu'est-ce que le Procureur cherche à faire ? Nous prendre par

 27   surprise ? Parce que vous avez, par exemple, une grande tache rouge sous le

 28   jaune. C'est là qu'on avait caviardé dans la carte de tout à l'heure.

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Monsieur le Procureur, il y a une carte où il y

  2   a toutes les municipalités avec des points rouges. Est-ce que, compte tenu

  3   des objections, vous voulez toujours la première carte ou la deuxième ?

  4   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Ça ne me dérange pas d'utiliser la

  5   deuxième.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Utilisez la deuxième.

  7   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  8   Q.  Pourriez-vous, s'il vous plaît, examiner cette carte ?

  9   R.  C'est la carte de Bosanski Samac. On voit l'esquisse des limites des

 10   municipalités voisines. On voit ces noms de villages. Il y a ce village de

 11   Crkvina, où a été commis un crime en masse. Que voulez-vous que je vous

 12   dise encore ? Je connais bien la municipalité de Bosanski Samac. Je connais

 13   les villages. J'y suis allé. J'ai fréquenté des gens là-bas, et cetera.

 14   M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Monsieur Tihic, j'aimerais un petit

 15   éclaircissement à propos de cette carte. On dirait que la région au nord de

 16   la rivière est vierge. J'aimerais savoir si le village de Bosanski Samac

 17   s'étendait de l'autre côté de la rivière aussi.

 18   LE TÉMOIN : [interprétation] En haut, vous avez la rivière la Save, et de

 19   l'autre côté de la rive de la Save, c'est la République de Croatie, et de

 20   l'autre côté, il y avait la localité de Slavonski Samac. Cela appartenait à

 21   la Croatie, et ça n'avait aucune corrélation ni territoriale ni

 22   administrative avec Bosanski Samac.

 23   M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Tihic, la carte a le nom "Bosanski Samac."

 25   Est-ce que toute la zone verte correspond à la circonscription

 26   administrative de la localité ou bien la municipalité de Bosanski Samac est

 27   réduite au point rouge ou jaune ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Le jaune ne se rapporte qu'à la ville. La

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  1   municipalité, c'est tout le reste, là où il y a tous ces points rouges. Ce

  2   sont les noms des différentes localités faisant partie de cette

  3   municipalité de Bosanski Samac. Il y avait les villages, des communautés

  4   locales, les hameaux, et cetera.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Très bien.

  6   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  7   Q.  J'aimerais maintenant que nous parlions de la situation telle qu'elle

  8   était avant que la guerre n'éclate. Pourriez-vous nous parler de la

  9   composition ethnique de Bosanski Samac et des différentes personnes qui y

 10   habitaient ?

 11   R.  Dans la municipalité de Bosanski Samac, la composition ethnique se

 12   présentait comme suit : 44 % étaient des Croates, 42 % étaient des Serbes,

 13   et environ 7 % étaient des Bosniens. Les autres étaient des Yougoslaves et

 14   autres. Dans la ville même de Bosanski Samac, la structure ethnique était

 15   quelque peu différente, parce que c'était les Bosniens qui étaient plus

 16   nombreux. Ensuite venaient les Serbes, et en dernière position les Croates.

 17   Les villages étaient essentiellement monoethniques. La ville, elle, était à

 18   composition mixte.

 19   Q.  Pourriez-vous nous dire quelles étaient les relations entre ces

 20   différents groupes ethniques avant que le conflit n'éclate ?

 21   R.  A Bosanski Samac, les relations interethniques ont toujours été bonnes.

 22   Nous avons vécu ensemble. On allait les uns chez les autres aux fêtes

 23   religieuses, au "slava" [phon], et en ma qualité d'avocat, personnellement

 24   j'étais, par exemple, régulièrement invité aux fêtes de Pâques ou de Noël,

 25   et les gens venaient chez moi pour le Bajram, les uns et les autres

 26   d'ailleurs. Et à la veille de l'attaque contre Bosanski Samac, j'ai reçu le

 27   président du SDS et du HDZ le 6 avril, et l'attaque a été lancée le 17

 28   avril.

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  1   Les relations étaient bonnes entre les gens, entre les individus. Il me

  2   semble que pendant la  Deuxième Guerre mondiale, d'après ce que nos anciens

  3   nous avaient relaté, les relations étaient plutôt correctes à la différence

  4   des autres parties de la Bosnie-Herzégovine, ce qui fait que nous avons

  5   vécu ensemble. On se fréquentait. On se respectait mutuellement. Et je suis

  6   convaincu que non seulement à Bosanski Samac, mais en premier lieu à

  7   Bosanski Samac, tout comme en Bosnie-Herzégovine, il n'y aurait jamais eu

  8   de conflit entre les Serbes, Bosniens et Croates s'il n'y avait pas eu

  9   d'intervention de l'extérieur. Et ça a d'ailleurs été la conséquence de

 10   conflits mondiaux, de conflits régionaux ou d'ingérence directe ou

 11   indirecte de la part des pays voisins.

 12   Et après cette dernière guerre, je vais très souvent à Bosanski Samac. L'un

 13   de mes enfants vit là-bas, mes petits-enfants vivent là-bas. Et je vois que

 14   les relations se rétablissent au niveau de la tolérance et d'une vie

 15   commune, et j'espère qu'il en sera ainsi à l'avenir.

 16   Q.  Monsieur Tihic, bien évidemment il existait déjà un conseil de sécurité

 17   à Bosanski Samac. Pouvez-vous confirmer cela, et quel était l'objectif de

 18   ce conseil et qui en était membre ?

 19   R.  Dans toutes les municipalités de Bosnie-Herzégovine, comme dans les

 20   autres républiques d'ailleurs, il existait des conseils de sécurité ou

 21   conseils de défense. C'étaient les deux instances les plus importantes dans

 22   toutes les municipalités, et ils étaient composés en général de

 23   personnalités les plus connues sur le plan politique à cette époque-là. Et

 24   au cours des réunions de ces instances, on discutait de la situation du

 25   point de vue de la sécurité avant les événements; il s'agissait de discuter

 26   de problèmes de criminalité, de respect de l'ordre, d'aspects de ce genre;

 27   et c'est ce qu'on appelait à l'époque l'ennemi interne, car il n'était pas

 28   encore question d'ennemi externe qui est venu plus tard.

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  1   Et dans la plupart des cas, lors de ces discussions, nous essayions

  2   d'éviter tout affrontement interethnique. Nous nous efforcions de résoudre

  3   les problèmes éventuels ou les incidents éventuels qui étaient survenus,

  4   sans tenir compte des rumeurs répandues ou des craintes, de façon à ce que

  5   la crainte ne prévale pas sur la discussion. Nous nous efforcions de

  6   convaincre la population de rester calme et d'éviter les affrontements. Tel

  7   était notre objectif. Mais on ne nous demandait pas grand-chose. Si les

  8   gens nous avaient demandé quelque chose à Samac, je suis sûr qu'aucun

  9   affrontement n'aurait eu lieu.

 10   Q.  Des partis politiques ont été créés. Si tel est le cas et si c'est

 11   vrai, quels partis ont été créés à ce moment-là ?

 12   R.  C'était l'époque des premières élections multipartites, comme on les a

 13   appelées à l'époque. A ce moment-là, des partis ont été créés, qui étaient

 14   en fait des sections de partis déjà créés au niveau de l'Etat, au niveau de

 15   la République. Donc à côté de la Ligue des Communistes qui existait déjà

 16   avant, ont été créés le Parti d'action démocratique, l'Union démocratique

 17   croate, le Parti démocratique serbe, le Parti libéral, le Parti réformiste.

 18   Le SDS et le SDA étant traités principalement comme des partis ethniques,

 19   monoethniques.

 20   Mme LE JUGE LATTANZI : J'ai une petite question, Monsieur le Témoin.

 21   Vous dites tout est venu de l'extérieur. Qu'est-ce que vous entendez pas là

 22   ? De "l'extérieur" par rapport à l'ex-Yougoslavie ou de "l'extérieur" par

 23   rapport à Bosnie-Herzégovine ?

 24   R.  De l'extérieur par rapport à la Bosnie-Herzégovine. Pour l'essentiel,

 25   tout venait de Belgrade, donc du côté serbe; de la JNA et d'autres

 26   instances au niveau de l'Etat.

 27   Mme LE JUGE LATTANZI : Merci.

 28   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Comment étaient les relations entre les

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  1   partis politiques, est-ce qu'ils partageaient un objectif commun ?

  2   R.  Au début, les relations étaient assez correctes, assez bonnes,

  3   l'objectif étant d'écarter les communistes du pouvoir, et dans la foulée de

  4   résoudre un certain nombre d'autres problèmes, entre autres, les problèmes

  5   liés aux appartenances ethniques. Mais au fil des événements, nous avons

  6   commencé à nous interroger de plus en plus sur les questions générales

  7   plutôt que municipales, et donc tout problème qui existait au niveau

  8   général se retransmettait au niveau local avec de petites différentes.

  9   Donc en gros, la partie serbe était favorable au maintien de la

 10   Yougoslavie à tout prix, maintien d'une Yougoslavie qui était considérée

 11   comme devant être plus ou moins unitaire avec un pouvoir fortement

 12   centralisé. Quant au SDA et au HDZ, ils étaient favorables à une

 13   Yougoslavie différente. Le HDZ souhaitant davantage d'autonomie ou même

 14   l'indépendance totale. Et le SDA étant favorable au maintien de la

 15   Yougoslavie sous forme de fédération ou confédération avec un certain

 16   niveau de fédéralisme.

 17   Nous étions bien conscients qu'en tant que peuple, les Musulmans de

 18   Bosnie n'étaient pas suffisamment forts et que s'il y avait affrontement ou

 19   conflit, ils seraient les premières victimes. C'est la raison pour laquelle

 20   M. Izetbegovic s'est déclaré favorable au maintien de la Yougoslavie avec,

 21   éventuellement, un certain degré de fédéralisme ou confédéralisme proposé

 22   d'ailleurs par le président de Macédoine et considéré comme une solution

 23   plus intelligente.

 24   Q.  Y avait-il également une unité de la TO à Bosanski Samac ?

 25   R.  Dans l'ex-Yougoslavie, en dehors des forces armées représentées par la

 26   JNA, il existait ce qu'on appelait le système de la Défense territoriale

 27   qui, pour l'essentiel, relevait de la responsabilité des républiques.

 28   Toutes les municipalités avaient leur état-major de la Défense territoriale

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  1   qui existait également au niveau de la république. Donc très concrètement,

  2   à Samac, il y avait un état-major de la Défense territoriale comme il y en

  3   avait un à Sarajevo au niveau de l'état-major de la république. Ces états-

  4   majors avaient leurs propres unités, elles avaient leurs armes et un

  5   certain moment, je crois que c'est en 1990, suite à une décision prise par

  6   la JNA ou par une autre instance de l'Etat, les armes ont été enlevées à la

  7   Défense territoriale et déplacées dans les dépôts et entrepôts de la JNA.

  8   Q.  Est-ce qu'une unité spéciale a été créée à Bosanski Samac à ce moment-

  9   là ?

 10   R.  L'état-major de la Défense territoriale a été créé, mais il ne

 11   fonctionnait pas. Puis l'état-major de la Défense territoriale au niveau de

 12   la République a nommé un nouveau commandant et un nouveau chef d'état-major

 13   qui se sont mis à l'œuvre pour actualiser les documents. Donc l'état-major

 14   de la Défense territoriale ne fonctionnait pas réellement à Bosanski Samac.

 15   Q.  D'après ce que je sais, il y a eu une unité qui a été créée et à qui on

 16   a donné un numéro. Est-ce que vous vous souvenez de

 17   ceci ?

 18   R.  Il existait une unité créée par la JNA. Moi, je parlais de la Défense

 19   territoriale jusqu'à présent. Donc c'est la garnison de la JNA de Brcko qui

 20   a créé cette unité qui s'appelait, si je me souviens bien, 4e Détachement

 21   du 17e Groupe d'assaut. Cette unité comptait 400 hommes environ, en

 22   majorité Serbes, mais il y avait également des Musulmans et des Croates au

 23   sein de cette unité. Ces hommes ont reçu des armes, ils ont été bien armés

 24   pour l'époque, ils disposaient de fusils automatiques, de canons, de lance-

 25   roquettes manuels,  de mitrailleuses, et cetera.

 26   Cela a créé pas mal de troubles dans la ville. Ils étaient sous le

 27   commandement direct de la JNA, je parle des hommes de ce détachement, même

 28   s'il y avait également des civils de Bosanski Samac parmi eux. Pas mal de

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  1   civils avaient fait l'armée auparavant ou étaient dans les forces de police

  2   ou dans les services de sécurité de façon générale. Donc le détachement a

  3   été créé à partir des membres de leurs familles ou des gens qu'ils

  4   connaissaient.

  5   Q.  Quelles raisons ont été avancées pour créer ce 4e Détachement ?

  6   R.  Ce qui a été dit publiquement, c'est que ce détachement était chargé de

  7   prévenir les affrontements interethniques et d'éliminer éventuellement

  8   toute tentative de créer une formation paramilitaire à Bosanski Samac, et

  9   de prévenir même l'arrivée de telles formations éventuellement à partir de

 10   la Croatie à Bosanski Samac. Ceci a été déclaré publiquement aussi, de

 11   sorte que certains, faisant confiance à ce qui était déclaré en public, se

 12   sont joints à ce détachement, des gens qui croyaient qu'il était possible

 13   de maintenir en vie la Yougoslavie, et qui croyaient que l'armée populaire

 14   yougoslave pouvait continuer à être une armée commune de tous les peuples

 15   et citoyens du pays.

 16   Alors que dans la réalité les choses étaient différentes, car dans la

 17   réalité - et cela été prouvé à Bosanski Samac, y compris - ce détachement

 18   avait été instrumentalisé pour servir la politique lancée à Belgrade en vue

 19   de créer la Grande-Serbie, et de concert avec d'autres unités, ce

 20   détachement a participé à l'occupation réelle et effective de Bosanski

 21   Samac.

 22   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, j'aimerais

 23   maintenant montrer au témoin le document 996 de la liste 65 ter. Il s'agit

 24   d'une décision prise sur l'établissement de la municipalité serbe de

 25   Bosanski Samac. Je souhaite montrer ceci à M. Tihic, et je souhaite qu'il

 26   lise la première phrase du paragraphe 2, article 2.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Mussemeyer, il doit y avoir une erreur au

 28   transcript. Le numéro, c'est 966 et pas 996.

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  1   M. MUSSEMEYER : [interprétation] C'est exact. En fait, c'est l'inverse.

  2   C'est bien le 996.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Ça dépend comment on le lit. Bien. Donc 996. Très

  4   bien.

  5   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  6   Q.  Monsieur Tihic, veuillez lire la première phrase de l'article 2, s'il

  7   vous plaît.

  8   R.  Oui, je peux. Première phrase, n'est-ce pas.

  9   "Les municipalités serbes de Bosanski Samac et Pelagicevo se composent des

 10   localités suivantes : Bosanski Samac, Pisaric, Karic, Donja Crkvina,

 11   Kruskovo --

 12   L'INTERPRÈTE : L'interprète lisait la première phrase de l'article 2 dans

 13   la version anglaise. Or le témoin dit ce qui suit :

 14   LE TÉMOIN : [interprétation]

 15   R.  "En vertu de l'article 256 d'un acte de Bosnie-Herzégovine, et

 16   s'agissant du secteur de Bosanski Samac, Gradacac, Odzak, selon la volonté

 17   exprimée lors du référendum des 9 et 10 novembre 1991, et en vertu de la

 18   décision relative à la création de la République serbe de Bosnie-

 19   Herzégovine, le 29 février 1992, l'assemblée du peuple serbe adopte la

 20   décision relative à la création de la municipalité serbe de Bosanski Samac

 21   et de la municipalité serbe de Pelagicevo en cours de création.

 22   "Article 1. Les municipalités serbes de Bosanski Samac et Pelagicevo sont

 23   créées. Le siège de la municipalité est à Bosanski Samac."

 24   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 25   Q.  Première phrase de l'article 2.

 26   R.  "Les municipalités serbes de Bosanski Samac et Pelagicevo se composent

 27   des localités suivantes : Bosanski Samac…" --

 28   Q.  Monsieur Tihic, je souhaitais m'arrêter là. Connaissez-vous cette

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  1   décision et quel commentaire avez-vous à faire dessus ?

  2   R.  Oui. Je connais cette décision, et mon commentaire consiste à dire que

  3   cette décision est contraire à la constitution de Bosnie-Herzégovine,

  4   qu'elle a été prise en allant contre les procédures fondamentales qui

  5   régissent la création des municipalités, car comme vous pouvez le voir dans

  6   ce texte, un certain nombre de personnes se sont réunies et ont pris cette

  7   décision. Or, il ne s'agissait que députés du Parti démocratique serbe.

  8   C'est-à-dire qu'en réalité, c'est un seul parti qui a pris cette décision

  9   avec quelques rares députés provenant d'autres partis qui étaient d'accord

 10   pour participer à la réunion.

 11   Mais nous ne voyons pas ici de députés de Croatie ou de Musulmans de

 12   Bosnie ou d'autres groupes. Donc cette décision n'a pas de validité légale

 13   ou juridique. C'est simplement un apport supplémentaire aux affrontements

 14   et à la division. Et comme on peut le voir dans ce document, les noms de

 15   lieux ont été changés, et le qualificatif serbe a été ajouté devant les

 16   toponymes comme, par exemple, Gradacac serbe, Slatina serbe, et cetera.

 17   Aucune de ces localités n'existait auparavant avec ce qualificatif de

 18   "serbe" avant le nom de la localité. Donc ceci est un acte illégal. Puis il

 19   y a eu débordement de territoires, certaines communautés locales qui ne

 20   comptaient pas uniquement une population serbe ont été modifiées sur le

 21   plan territorial.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Pour une fois, on a un témoin qui a la particularité

 23   d'être homme politique d'envergure, d'avoir été avocat, d'avoir été juge et

 24   d'avoir été procureur. Donc on a un juriste devant nous. Donc c'est au

 25   juriste que je m'adresse.

 26   Il me m'a pas échappé que dans ce texte on a mis devant certaines

 27   municipalités le terme "serbe," "Serbian." Mais en regardant ce texte, on

 28   voit qu'il y a une référence explicite à l'article 258 de la constitution

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  1   de l'ex -- de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine. Alors, moi,

  2   je n'ai pas la constitution sous les yeux, mais que disait cet article 258

  3   ?

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suppose que ceci est le fondement juridique

  5   utilisable pour créer une municipalité; mais ce n'est une base juridique

  6   que de façon générale, car de ce principe général découle une loi qui

  7   établit les conditions dans lesquelles on peut créer une organisation

  8   territoriale en République de Bosnie-Herzégovine, donc les conditions dans

  9   lesquelles des municipalités peuvent être créées. Donc cela ne stipule

 10   qu'une condition générale.

 11   L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Je crois que l'Accusation devrait

 12   nous montrer l'article 258 de la constitution de façon à éviter toute forme

 13   de conjecture. L'Accusation est en possession de tout le texte de la

 14   constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine.

 15   M. LE JUGE ANTONETTI : La Chambre peut aussi rechercher l'article 258, je

 16   pense que la juriste de la Chambre est en train de s'y activer.

 17   Mais indépendamment de cela, Monsieur le Témoin, il semble qu'il y a dans

 18   ce texte une configuration inédite, à savoir qu'il y a la République

 19   socialiste de la République de Bosnie-Herzégovine qui avait une existence

 20   légale, mais que le 29 février a été établie la République serbe de Bosnie-

 21   Herzégovine, alors même qu'il y avait eu le référendum, comme le dit le

 22   texte, les 9 et 10 novembre 1991. Et également, la déclaration

 23   d'indépendance de la Bosnie-Herzégovine.

 24   Alors, vous qui êtes juriste, d'après vous, quel est le texte qui

 25   doit prédominer ? J'ai cru comprendre que c'était la constitution de la

 26   République de Bosnie-Herzégovine. Alors dites-nous, quelle

 27   date ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Avant tout, je tiens à dire que ce référendum

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  1   dont il est question dans le préambule de la décision est un référendum

  2   illégal qui a été organisé les 9 et 10 novembre 1991, parce que la cour

  3   constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a abrogé la décision en question

  4   comme anticonstitutionnelle.

  5   Donc l'ensemble des fondements qui sont évoqués dans le préambule du

  6   texte ici sont nuls et non avenus, en tout cas, déclarés tels par la cour

  7   constitutionnelle, et la décision a été annulée. Le référendum relatif à

  8   l'indépendance de la Bosnie s'est tenu le 21 février et le 1er mars 1992, et

  9   ça c'est quelque chose d'entièrement différent qui n'est pas évoqué dans

 10   cette décision.

 11   Par ailleurs, aucune loi de l'époque, pas plus d'ailleurs que les

 12   lois actuelles de Bosnie-Herzégovine, n'autorisent une municipalité à se

 13   doter d'un qualificatif ethnique, il n'y a pas d'utilisation des épithètes

 14   serbe, musulman de Bosnie, croate ou autre, à côté des lieux de localités,

 15   ce sont uniquement les Serbes qui ont imposé ce qualificatif de serbe, en

 16   parlant de Sarajevo serbe, de telle et telle localité serbe, et cetera,

 17   toutes sortes de localités se sont vu apposer ce qualificatif de serbe et

 18   la cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine a annulé et déclaré nulle

 19   et non avenue ce genre de décision, parce qu'elle l'a estimée contraire à

 20   la Déclaration des droits de l'homme. Encore aujourd'hui en Bosnie-

 21   Herzégovine, on ne trouve pas un nom de localité suivi d'un qualificatif

 22   ethnique de ce type, car c'est contraire à la constitution et à la

 23   convention européenne sur les droits de l'homme et les libertés.

 24   Donc cette décision est totalement illégale. C'est un groupe de

 25   personnes qui se sont regroupées, qui ont proclamé la création de ces

 26   municipalités et de la République serbe, et cetera.

 27   M. MUSSEMEYER : [interprétation] 

 28   Q.  -- décision également, s'il vous plaît.

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  1   A.  "Les fonctionnaires, les employés avec habilitation particulière, les

  2   employés travaillant pour des organes administratifs, des entreprises ou

  3   institutions ou organismes financiers de l'Etat conserveront…"

  4   Et là, il faudrait remonter le texte à l'écran.

  5   "…les haut fonctionnaires, les responsables de la gestion et des

  6   financements conserveront leurs postes, leurs droits et leurs devoirs

  7   jusqu'à répartition définitive des actifs," ce qui signifie que là encore

  8   il est question de Serbes.

  9   Des décisions comme celles-ci ont été votées un peu partout en Bosnie-

 10   Herzégovine, et les membres de tous les autres groupes ethniques, qui

 11   travaillaient en tant qu'employés ou en tant que responsables de gestion,

 12   et cetera, se sont retrouvés sans emploi. Ils ont été démis de leurs

 13   fonctions. Les seules personnes qui ont conservé leur emploi étaient les

 14   représentants du peuple serbe, une nouvelle preuve de l'illégalité de

 15   telles décisions.

 16   M. MUSSEMEYER : [aucune interprétation]

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro à ce document.

 18   Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Voilà, Monsieur le Juge, ce sera le

 19   numéro P670. Merci.

 20   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 21   Q.  Monsieur Tihic, je souhaite maintenant évoquer la situation avant

 22   l'attaque de Bosanski Samac. Y a-t-il eu des rumeurs qui ont circulé dans

 23   le village; et si oui, quelles étaient ces rumeurs ?

 24   R.  Je parle bien de la ville, mais c'était peut-être le cas aussi dans les

 25   villages. Des rumeurs circulaient au sujet de risques d'attaques et du

 26   danger que Bosanski Samac soit prise en tant que municipalité et en tant

 27   que ville. Ces rumeurs étaient très diverses, elles circulaient rapidement.

 28   Il y avait des gens qui disaient que des unités de la Défense territoriale

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  1   serbe et de la JNA allaient arriver et s'emparer de Samac; et par ailleurs,

  2   il y en avait d'autres qui disaient que des unités croates stationnées à

  3   Slavonski Samac allaient traverser la rivière et s'emparer de Bosanski

  4   Samac. Les Serbes avaient peur de ce que pourraient faire les unités venues

  5   de Croatie, étant donné l'expérience déjà vécue à Bosanski Brod.

  6   Donc toutes ces craintes ne cessaient de s'intensifier, et toutes sortes

  7   d'informations diverses circulaient, mais ce n'était que des rumeurs. Nous

  8   avions peur des deux. Nous étions opposés à ce que quiconque s'empare de

  9   Bosanski Samac, nous ne voulions pas que les unités croates le fassent, pas

 10   plus que les unités serbes ou la JNA. Nous voulions que Bosanski Samac

 11   demeure bosniaque et ne soit pas placée entre les mains d'un seul groupe

 12   ethnique, qu'il soit serbe ou croate.

 13   Mais comme je l'ai déjà dit, ces rumeurs se sont intensifiées, et nous

 14   avons fini par en prendre l'habitude. Il y avait toutes sortes de rumeurs

 15   qui circulaient, nous pensions que personne ne serait assez fou pour

 16   s'attaquer à Samac et l'occuper, parce que cela signifiait la guerre, cela

 17   signifiait des souffrances et des victimes humaines. Mais nous avons pris

 18   l'habitude d'entendre circuler ces rumeurs sans davantage y attacher

 19   d'importance finalement.

 20   Q.  [aucune interprétation]

 21   R.  Voyez-vous, là, je m'exprime comme un Musulman de Bosnie : nous étions

 22   minoritaires à Bosanski Samac, pas plus de 7 %; et on ne cessait d'entendre

 23   des rumeurs indiquant que les Serbes étaient en train de s'armer, que la

 24   JNA avait distribué des armes, ce qui était vrai, que les Croates étaient

 25   en train de s'armer à partir de la Croatie.

 26   Qu'est-ce que nous pouvions faire, nous, les Musulmans de Bosnie ?

 27   Nous nous rendions compte que nous risquions d'être victimes des uns ou des

 28   autres. Alors nous avons commencé à réfléchir à ce que nous pourrions

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  1   faire, à nous organiser, conscients du fait que même si nous nous

  2   organisions, nous ne parviendrions jamais à être sur un pied d'égalité avec

  3   les autres groupes ethniques, puisque je vous ai donné les pourcentages de

  4   44 % de Croates, 42 % de Serbes et 7 % de Musulmans de Bosnie. Les Croates,

  5   d'une certaine façon, pouvaient s'appuyer sur la Croatie voisine; les

  6   Serbes pouvaient s'appuyer sur la JNA; mais nous, les Musulmans, que

  7   pouvions-nous faire dans une situation de ce genre ?

  8    Quoi qu'il en soit, nous avons organisé des patrouilles de gardes qui ont

  9   été placées à l'entrée de Bosanski Samac pour empêcher la pénétration dans

 10   la ville d'unités paramilitaires et empêcher tout massacre de la population

 11   ou choses de ce genre.

 12   M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'aimerais montrer à l'écran le document

 13   1117 de la liste 65 ter.

 14   Q.  Monsieur Tihic, lorsque vous verrez ce document, pourriez-vous

 15   nous dire de quoi il s'agit ?

 16   R.  Oui. Ceci est une lettre ou un document adressé à l'état-major de la

 17   Défense territoriale et accompagné d'une liste dans laquelle tous ceux qui

 18   voulaient participer à la défense de Bosanski Samac pouvaient inscrire

 19   leurs noms, parce qu'en tant que Musulmans de Bosnie, nous pensions qu'il

 20   serait bon que l'état-major de la Défense territoriale commence à

 21   fonctionner en tant qu'institution légale, en dehors de création de quelque

 22   parti que ce soit, de quelque armée, de quelque armée ethnique que ce soit,

 23   ou de quelque groupe distinct de ce genre.

 24   Je pense que vous avez sans doute la liste qui est annexée à ce document.

 25   Vous voyez les noms des hommes qui étaient prêts à rejoindre l'état-major

 26   de la Défense territoriale et à agir dans le cadre de la défense de

 27   Bosanski Samac. Je pense qu'il y a une centaine de noms dans cette liste.

 28   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pour votre information, je tiens à dire

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  1   que c'est à la page suivante, c'est là qu'on a la liste

  2   des noms.

  3   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais que

  4   cette pièce soit versée au dossier, s'il vous plaît.

  5   L'ACCUSÉ : [interprétation] Je pense, Madame et Monsieur les Juges qu'on

  6   devrait vous montrer cette liste. C'est très important pour l'opinion

  7   publique aussi, non seulement pour le dossier seul pour que vous puissiez

  8   le voir ultérieurement, qu'on le voit tout de suite, en raison du public,

  9   et pour qu'on voie que sur cette liste il n'y a que des noms de Musulmans.

 10   M. LE JUGE ANTONETTI : C'est justement la question que j'allais vous poser

 11   si M. Seselj n'était pas intervenu.

 12   Pendant que vous répondiez au Procureur, j'ai consulté la liste. Et je vois

 13   qu'il y a 212 noms. Avec, semble-t-il, sauf erreur de ma part, des

 14   affectations de ces personnes dans des unités, vous-même d'ailleurs vous

 15   figurez au numéro 1 de la liste, et je vois Brigade 3. Alors j'ai pris note

 16   que vous étiez 7 % de Musulmans, donc très minoritaire, mais vous estimez

 17   devoir constituer une Défense territoriale quasiment musulmane, puisque la

 18   liste semble - peut-être que vous allez me dire qu'il y a quelques Serbes

 19   ou Croates dans cette liste.

 20   Comment dans une situation comme celle-là, 7 % de personnes créent une

 21   force armée, pouvez-vous nous expliquer cela. Répondez d'abord; est-ce que

 22   les 212 personnes sont toutes Musulmanes; et quel était l'objectif de cette

 23   force.

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Pour la plupart des cas, il y avait des

 25   Musulmans, mais il y avait des ressortissants d'autres groupes ethniques.

 26   On peut voir d'après les noms et prénoms, ceux qui résident en Bosnie

 27   savent quels sont les noms musulmans et quels sont ceux des catholiques et

 28   orthodoxes.

Page 12543

  1   L'ACCUSÉ : [interprétation] Il n'y a que quelques Croates, je n'ai trouvé

  2   aucun Serbe d'après ce que j'ai pu conclure en fonction des noms. Que M.

  3   Tihic nous dise où est-ce qu'il a vu les Serbes.

  4   LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais continuer à répondre.

  5   Nous avons communiqué la liste des Bosniens qui étaient disposés à faire

  6   partie de ce QG de la Défense territoriale. Le QG était constitué par des

  7   ressortissants du groupe croate et serbe. Nous nous attendions à ce que, de

  8   la part des Croates et des Serbes, on nous communique les noms de plus de

  9   personnes. Nous n'avons pas prétendu vouloir en avoir que des Musulmans

 10   parce qu'ils étaient 7 % sur cette liste; les Croates et les Musulmans

 11   étaient censés communiquer leurs noms, ils étaient censés nous fournir des

 12   listes de 1 000 ou 2 000 noms.

 13   Pour ce qui nous concerne les gens, les habitants de Bosanski Samac, qui

 14   avait une majorité musulmane, et nous l'avons fait, c'était ce qui étaient

 15   censés faire les ressortissants du groupe ethnique croate ou serbe et leurs

 16   listes auraient été plus longues puisqu'ils étaient plus nombreux.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Y a-t-il dans la liste des

 18   Serbes ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Revenez un peu plus haut là, là ce n'est que

 20   la dernière page. Passez à l'autre page. Plus loin encore. Un peu plus loin

 21   encore. Continuons. Poursuivons.

 22   Je n'ai reconnu aucun nom ici du groupe ethnique serbe, je veux dire.

 23   M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro, puisque le Procureur voulait

 24   l'admission du document avec la liste.

 25   Monsieur le Greffier, un numéro.

 26   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la cote P671. Je vous

 27   remercie.

 28   L'ACCUSÉ : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, juste une

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  1   observation. Je pense que ce serait important pour vous de le faire

  2   constater. Il y a six Croates, il n'y a pas un seul Serbe; sur 212

  3   personnes, il y a six Croates et pas un seul Serbe.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. C'est au transcript.

  5   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  6   Q.  Monsieur Tihic, pourriez-vous, s'il vous plaît, nous dire maintenant si

  7   vous avez remarqué à l'époque que vos voisins serbes commençaient à avoir

  8   un comportement un peu bizarre ?

  9   R.  Etrange, inhabituel ? Je dirais qu'il y a eu des lignes de partage pour

 10   ce qui date de la création de la Yougoslavie. Ça peut paraître inhabituel,

 11   mais quand on avait un week-end et que les gens rentraient dans leur

 12   village d'origine, j'imagine que c'était par peur de voir la ville de Samac

 13   attaquée. Probablement, avaient-ils obtenu des informations particulières

 14   et ils avaient l'air de suivre une politique telle que la mise en œuvre

 15   dans la direction serbe du point de vue de l'avenir de cette ex-

 16   Yougoslavie.

 17   Il y avait parmi eux des gens qui n'étaient pas d'accord, qui étaient

 18   préoccupés. Et moi, en ma qualité d'avocat, j'ai eu à entendre un client

 19   qui m'a raconté qu'au village de Batkusa, non loin de Bosanska Samac, il

 20   est arrivé un hélicoptère de la JNA, et qu'ils avaient amené des Bérets

 21   rouges, une unité spéciale. Ces gens-là s'étaient comportés de façon très

 22   brutale vis-à-vis de ces villageois de Batkusa. Ils auraient tabassé une

 23   garde serbe qui montait la garde face à Ostra Luka, un village croate. Et

 24   après cela, les gardes serbes et croates étaient partis au resto et ils se

 25   sont saoulés et les Bérets rouges les ont tabassés, leur ont coupé les

 26   cheveux avec boule à zéro, alors qu'ils buvaient et qu'il n'y avait

 27   personne pour monter la garde.

 28   Ils se comportaient de façon brutale vis-à-vis des femmes aussi, ce qui

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  1   fait que leur venue sur les lieux n'a pas été accueillie avec une

  2   approbation générale.

  3   Q.  Pourriez-vous nous clarifier quelque chose. Vous nous dites que le

  4   vendredi, les gens quittaient la ville. Pouvez-vous nous dire de qui il

  5   s'agissait, tous les groupes ethniques ou un certain groupe ethnique

  6   uniquement ?

  7   L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Je ne me souviens pas que M. Tihic

  8   ait dit cela. J'exige que M. Mussemeyer nous dise à quelle page du compte

  9   rendu cela a été consigné pour ce qui est des départs le vendredi. Je ne

 10   pense pas qu'on ait entendu cela.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Je ne sais pas dans votre langue ce que vous dites,

 12   mais vous n'avez rien à exiger. Vous pouvez faire une demande, mais vous

 13   n'exigez pas. Alors, dans ma langue, c'est traduit : "J'exige." Ce n'est

 14   peut-être pas ça que vous avez voulu dire.

 15   Bien. Mais c'est peut-être un problème de traduction.

 16   L'INTERPRÈTE : Non, ce n'est pas un problème de traduction, Monsieur

 17   le Président. Il a dit "zarteva," "exige."

 18   M. LE JUGE ANTONETTI : Bon. Alors, les interprètes me disent que vous

 19   avez bien dit "exige." Vous avez rien à exiger. Vous demandez.

 20   Monsieur le Témoin, l'histoire du week-end, il y a peut-être une confusion.

 21   Qu'est-ce que vous vouliez dire ? J'ai pas très bien compris. Des deux

 22   choses l'une. Ou les gens qui travaillaient dans votre localité partaient

 23   dans les villages parce que c'est le week-end et revenaient avec des

 24   informations; ou bien, c'est des gens qui étaient dans le village, qui,

 25   pendant le week-end, venaient dans la ville pour peut-être aller acheter

 26   des marchandises, et à ce moment-là rapportait des rumeurs ?

 27   Pourriez-vous nous dire ce que vous aviez voulu dire ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] D'habitude, les week-ends, les citoyens de

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  1   Samac, surtout ceux du groupe ethnique serbe et croate qui résident à

  2   Bosanski Samac à titre permanent et qui y travaillent, prenaient leurs

  3   familles pour aller vers leurs villages, des villages monoethniques. Les

  4   Serbes allaient vers les villages serbes, les Croates vers des villages

  5   croates, en raison d'une peur, d'une appréhension qui était celle de voir

  6   que le week-end à venir, Bosanski Samac serait attaqué par les Serbes,

  7   voire par les Croates. Il y a eu des rumeurs qui avaient couru avant le

  8   week-end disant que c'étaient des informations confidentielles ou soi-

  9   disant confidentielles, et les gens avaient pris peur. Ils ne voulaient pas

 10   être là lorsqu'il y aurait eu attaques des unités, voire serbes, voire

 11   croates, parce qu'ils se sentaient plus en sécurité dans leurs villages

 12   respectifs. Le lundi venu, ils rentraient parce qu'ils devaient forcément

 13   aller au travail.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors, si je comprends bien, c'est dans le cadre de

 15   ces allées et venues que vous aviez appris que les Bérets rouges seraient

 16   arrivés en hélicoptère ?

 17   LE TÉMOIN : [interprétation] De la part de mon parti au sein de mon cabinet

 18   d'avocat, j'ai eu à apprendre que les Bérets rouges étaient venus.

 19   Quelqu'un, un homme me l'a dit à titre confidentiel. Ça doit être consigné

 20   au compte rendu. Je ne sais pas si c'est une bonne chose que de donner son

 21   nom en public pour ne pas qu'il n'ait des problèmes.

 22   M. LE JUGE ANTONETTI : Ce n'est pas la peine. Alors, moi, ce détail est

 23   important, parce que cette organisation des Bérets rouges, si elle vient en

 24   hélicoptère de l'armée de la JNA, c'est qu'il y a manifestement un contrôle

 25   de l'armée sur cette unité. Vous, qu'est-ce que vous en dites ?

 26   LE TÉMOIN : [interprétation] Bien entendu. Bien entendu que l'armée avait

 27   contrôlé toutes ces unités paramilitaires. Ce n'était pas des

 28   paramilitaires. C'étaient des unités spéciales du ministère de l'Intérieur

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  1   de la Serbie, voire de l'armée, de la JNA. A titre officiel peut-être ne se

  2   présentaient-ils pas ainsi, mais on ne peut pas arriver à bord d'un

  3   hélicoptère et être une unité paramilitaire. D'où pouvaient-ils sortir

  4   toutes ces armes ? Donc de facto, c'étaient des unités qui intervenaient

  5   suivant les ordres, voire de la police, voire des services de

  6   Renseignements, voire des services militaires. Ils disposaient d'uniformes

  7   du reste, d'uniformes militaires avec des insignes autres, pas ceux de la

  8   JNA.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Alors donc, ces Bérets rouges, tel que je comprends

 10   ce que vous dites, pour vous c'étaient des unités spéciales de l'armée et

 11   non pas des paramilitaires. Donc ça, c'est déjà important, cette

 12   distinction. Mais vous avez rajouté un petit détail, où vous avez dit que

 13   c'étaient des unités qui venaient du MUP.

 14   Mais alors, le MUP, c'est le ministère de l'Intérieur, c'est pas le

 15   ministère de la Défense ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Voyez-vous, par la suite j'ai appris que les

 17   Bérets rouges faisaient partie du ministère de l'Intérieur, c'est-à-dire de

 18   la police de Serbie. A ce moment-là, ils portaient des uniformes

 19   militaires. Aussi avais-je pensé que ça faisait partie de l'armée. Par la

 20   suite, après la guerre, j'ai appris que les Bérets rouges faisaient partie

 21   de la police de Serbie, et le dénommé Zvezdan Jovanovic, celui qui a tué

 22   Djindjic, était à Bosanski Samac. Il était là-bas le maître de la vie et de

 23   la mort. C'était un criminel. Il nous a battus. Il a pillé. Il pillait tout

 24   ce qu'il pouvait piller, et pour les Serbes c'était un héros national, mais

 25   dans la réalité c'était un simple criminel. Parce que les criminels n'ont

 26   ni religion ni nation. A la fin, il a fini par tuer son propre premier

 27   ministre. Il se trouvait à Bosanski Samac, lui.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors, si on comprend, vous avez appris que

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  1   les Bérets verts - mais c'est après - relevaient du MUP. Mais alors, si des

  2   Bérets verts relevant du ministère de l'Intérieur sont transportés à bord

  3   d'hélicoptères de l'armée, est-ce à dire que le ministère de l'Intérieur et

  4   le ministère de la Défense dans l'opération en question se sont coordonnés

  5   ?

  6   LE TÉMOIN : [interprétation] Certainement. Pas seulement dans la situation

  7   concrète dont je viens de parler, mais sur le territoire de la Bosnie-

  8   Herzégovine tout entière, ils intervenaient ensemble.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Bon.

 10   Monsieur le Procureur.

 11   M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'aimerais que nous revenions un

 12   petit peu en arrière, juste poursuivre le déroulement chronologique des

 13   événements. Vous nous avez dit, Monsieur le Témoin, que des armes avaient

 14   été distribuées. Pourriez-vous nous dire à qui ces armes ont été

 15   distribuées et si tous les groupes ethniques en ont reçu de façon égale ?

 16   R.  En premier lieu, les armes étaient distribuées par la JNA. Ils

 17   distribuaient cela pour l'essentiel, ou pour dire plus concrètement et

 18   uniquement à des ressortissants du groupe ethnique serbe. Eux, ils se

 19   trouvaient dans les villages de Bosanski Samac. Ce 4e Détachement, qui se

 20   trouvait à Bosanski Samac de quelque --L'INTERPRÈTE : L'interprète n'a pas

 21   entendu combien de personnes.

 22   LE TÉMOIN : [interprétation]

 23   R.  Il y avait 80 % de Serbes et 20 % autres. Et il y a eu des Musulmans,

 24   enfin, des Bosniens et des Croates à recevoir des armes également. De même,

 25   nous nous sommes efforcés de nous procurer des armes, nous autres,

 26   Bosniens. J'image que les Croates ont dû le faire en passant par la

 27   Croatie, mais nous, ce que nous avons eu, c'était plutôt symbolique.

 28   Je me souviens d'un cas où nous avons reçu depuis la Croatie d'en face

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  1   quelque 50 fusils automatiques, et j'ai demandé à ce que ce soit remis au

  2   QG de la TO, avec un bordereau de réception de façon tout à fait légale. On

  3   a vu quelques personnes chargées de ces armes, parce que j'avais peur que

  4   ces armes aux restaurants, dans les cafèts, pour des raisons privées,

  5   personnelles, ne viennent à être utilisées, parce qu'il y avait eu des

  6   armes même avant.

  7   Il y a toujours eu cette appréhension avec les fusils de chasse, des fusils

  8   automatiques, de voir quelqu'un abuser de la situation ou occasionner des

  9   incidents. C'est la raison pour laquelle nous avons insisté pour que le QG

 10   de la TO se mette à fonctionner, que ce soit là le commandement où les

 11   armes privées et autres seraient recensées, contrôlées, confiées, contre

 12   bordereaux de réception, et cetera.

 13   Q.  Pouvez-vous dire ce qui est arrivé au pont de Bosanski Samac à la mi-

 14   avril ?

 15   R.  Je pense que ça s'est passé mi-mars, un mois à peu près avant l'attaque

 16   de Samac. On a endommagé, plastiqué le pont de Bosanski Samac. Ça n'a pas

 17   été détruit à part entière, mais il n'a plus été possible de l'utiliser

 18   pour le trafic. Des rumeurs variées ont couru pour savoir qui est-ce qui

 19   l'avait fait. Les uns ont affirmé que c'était les Serbes, la JNA, d'autres

 20   affirmaient que c'était l'œuvre de la partie croate. Toujours est-il que le

 21   pont n'était pas en service. Il eut été plus logique de penser que c'était

 22   fait du côté serbe, parce que ce pont, du reste, servait pour l'entrée

 23   illégale des armes pour la Bosnie-Herzégovine, et il est logique de penser

 24   que la partie serbe avait souhaité couper cette filière, et il serait

 25   logique de penser que c'était eux qui l'avaient fait.

 26   Sur d'autres parties de la Sava, il y avait, me semble-t-il, déjà des

 27   plasticages de ponts, et le trafic avec la Croatie était réduit au pont de

 28   Samac et peut-être encore un ou deux ponts ça et là.

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  1   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourrions-nous

  2   avoir la photographie numéro 2235 de la liste 65 ter à l'écran, s'il vous

  3   plaît.

  4   Q.  Témoin, c'est le point endommagé ?

  5   R.  Oui, le pont à Samac. C'est la partie du pont qui est utilisée pour la

  6   circulation des voitures, il y a la partie ferroviaire ailleurs.

  7   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander

  8   le versement de cette pièce au dossier, s'il vous plaît.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, un numéro pour cette photo du

 10   pont.

 11   M. LE GREFFIER : [interprétation] Cette pièce recevra la cote P672. Je vous

 12   remercie.

 13   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 14   Q.  Témoin, avant que le conflit n'éclate, pourriez-vous nous dire si vous

 15   avez observé l'arrivée d'étrangers dans le village ?

 16   R.  Oui, je l'ai remarqué. Je l'ai vu dans les rues en partie, et surtout

 17   dans les restaurants. On pouvait voir des gens qui parlaient l'ékavien,

 18   c'étaient des gens de Serbie, et ils fréquentaient les membres de ce 4e

 19   Détachement, ils étaient en civil, bien entendu. J'ai appris que du côté

 20   croate, il était venu trois hommes qui se présentaient comme étant des

 21   membres du HOS, mais c'est arrivé, me semble-t-il, une seule fois.

 22   Q.  Pouvez-vous nous raconter comment vous avez vécu l'éclatement de la

 23   guerre ?

 24   R.  Ce soir-là, j'ai eu plusieurs réunions. La réunion était fort tendue en

 25   ville. Il y a, une fois de plus, eu les rumeurs disant que Samac serait

 26   attaqué. Et de chez moi avec ma femme, et mon frère depuis chez lui avec sa

 27   femme, on est passés vers la maison de notre mère. Et il y a eu des tirs.

 28   Il y a eu toujours des tirs, toutes les nuits, ça et là. Maintenant cette

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  1   fois-là, ça a duré quand même longtemps. Et depuis ma maison, j'ai regardé

  2   par la fenêtre, j'ai pu voir ces unités du 4e Détachement dans le jardin,

  3   dans la cour, vers le remblai. Il devait être vers 2 heures, 3 heures.

  4   Les gens de mon parti sont venus chez moi pour me dire de fuir Bosanski

  5   Samac, ils sont venus pour m'appeler. J'ai refusé, parce que j'ai pensé que

  6   je devais rester à Bosanski Samac avec mes gens à moi pour négocier,

  7   m'entretenir avec la partie serbe. Je ne pouvais pas m'imaginer tout ce qui

  8   pouvait se produire, je n'avais pas connu d'expérience de ce type jusque-

  9   là. Les lignes téléphoniques à un moment donné ont été coupées, puis elles

 10   ont été rétablies ultérieurement.

 11   Au matin, j'ai appelé mon voisin du groupe ethnique serbe pour lui

 12   demander de passer chez lui dans sa maison. Compte tenu de cette situation,

 13   parce que j'ai vu que Samac était occupé, je suis donc allé chez lui, chez

 14   Pavlovic Miso. Son père et sa mère étaient là d'ailleurs. On s'est assis

 15   ensemble, on s'est entretenus. A un moment donné, Blagoje Simic m'a

 16   contacté, il était président du SDS, il m'a appelé au téléphone. Et j'ai

 17   essayé de converser avec lui comme nous avions conversé auparavant : "Que

 18   cela cesse, qu'on s'assoie, qu'on négocie, qu'on se mette d'accord."

 19   Des paramilitaires à Donja Mahala de Samac avaient tué déjà un homme.

 20   J'ai dit à Blagoje : "Mais attends, qu'on s'installe à table." Il m'a dit :

 21   "Il n'y a pas à s'installer. Nous sommes en guerre. Le peuple serbe est en

 22   guerre avec le peuple musulman et le peuple croate. Jusqu'à la victoire, il

 23   n'y a pas de négociations. Vous n'avez qu'à restituer vos armes." Je ne

 24   pouvais pas m'attendre à ce que l'on puisse se comporter de la sorte, parce

 25   que c'était quelqu'un que je connaissais d'avant. On se fréquentait,

 26   notamment au travers de ces conversations politiques que nous avions eues.

 27   Mes voisins m'ont conseillé d'aller un peu plus loin, parce que je

 28   n'allais plus être en sécurité dans cette maison. J'ai appelé Borislav

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  1   Pisarevic, un avocat, un collègue. On avait travaillé ensemble au tribunal.

  2   Il était à l'époque président du tribunal; moi, j'étais juge. Je voulais

  3   aller chez lui, et je voulais que Boro m'aide de quelque façon que ce soit

  4   pour ce qui était de quitter Samac parce que j'ai perçu le danger. Boro est

  5   venu me chercher dans l'après-midi, je suis allé chez lui à la maison avec

  6   mon épouse, et Boro a essayé de contacter Simo Zaric, qui faisait partie à

  7   l'époque des structures militaires ou policières, je ne sais plus trop. Il

  8   n'a pas pu le contacter ou il ne pouvait pas venir, je ne sais trop, mais

  9   toujours est-il que je n'ai pas pu quitter Samac.

 10   Au lendemain, il est venu un membre de ces Loups gris de Serbie, je

 11   ne sais plus trop comment ils s'appelaient, il y avait un policier du cru

 12   et lui et Boro m'ont emmené à la police. A côté de la voiture, le chef de

 13   la police serbe nous a accueillis, Stevan Todorovic, surnommé Stivi. Il

 14   avait brandi son pistolet, il nous avait menacés tous les deux. Il a

 15   demandé pourquoi je ne m'étais pas rendu, pourquoi Boro m'avait gardé chez

 16   lui. On m'a emmené ensuite à la police, et là je suis allé d'un côté, Boro,

 17   d'un autre. Et le capitaine Crni a demandé à ce que j'aille à la radio pour

 18   convier les citoyens à restituer leurs armes, à ne pas tirer; bien que plus

 19   personne ne tirait, sauf eux, il n'y avait qu'eux à tirer. Ce matin-là, le

 20   peu de Bosniens qui avaient eu des armes s'étaient rassemblés au centre-

 21   ville et ils ne savaient pas trop que faire.

 22   Je me suis entretenu au téléphone avec l'un d'entre eux, un dénommé

 23   Sakic Ibrahim. Je lui ai demandé ce qui se passait, comment la situation se

 24   présentait. Je lui ai dit qu'on m'avait contacté avec une offre qui était

 25   celle de faire entrer la JNA dans Bosanski Samac pour garantir la paix. Et

 26   ultérieurement, le dénommé Sakic Ibrahim s'est entretenu avec le

 27   lieutenant-colonel Nikolic, l'un des commandants de la JNA, et ils ont

 28   restitué leurs armes. Il était devant les blindés de transport de troupes

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  1   pour aller d'une maison à l'autre, il savait qui avait des armes, et les

  2   gens ont restitué leurs armes. Ensuite, il est venu des véhicules

  3   militaires dans Samac, ce qui fait qu'une vingtaine d'hommes à avoir ces

  4   petits fusils ne pouvaient pas faire grand-chose. C'est une bonne chose 

  5   qu'ils aient restitué leurs armes.

  6   Ce qui fait que mes appels lancés par Radio Samac n'ont pas eu de

  7   finalité véritable parce qu'il n'y a pas eu de résistance proprement dite.

  8   Que voulez-vous qu'on fasse avec une vingtaine de fusils, avec ceux

  9   qu'avait la JNA lorsqu'elle est entrée avec tout ce qui accompagnait la

 10   JNA, la Défense territoriale serbe, les Chetniks, les paramilitaires

 11   serbes.

 12   Depuis le moment où je me suis trouvé au poste de police, j'ai déjà

 13   été tabassé avant que d'aller à la station radio. Et dans le couloir, j'ai

 14   été approché par Slobodan Mirkovic, surnommé Lugar. Il m'avait demandé,

 15   celui-là, comment je m'appelais. Je lui ai dit : "Sulejman Tihic." "Et

 16   qu'est-ce que tu es ?" Je lui ai dit que j'étais "président du SDA." Il a

 17   fait celui qui n'entendait pas, et il m'a dit : "Qu'est-ce que tu es ?"

 18   Alors comme je me suis un peu approché de lui pour lui dire la chose une

 19   fois de plus, il m'a donné un coup de poing dans le ventre. Je suis tombé

 20   et les autres qui étaient là m'ont donné des coups de pied. Et celui qui

 21   était censé m'accompagner jusqu'à la station radio de Samac leur a dit de

 22   stopper. Il m'a d'abord emmené à la radio de Samac, où j'ai prononcé cette

 23   déclaration qui était déjà imprimée sur une feuille de papier, donc je n'ai

 24   eu qu'à la lire pour appeler les citoyens à cesser de tirer, à se rendre,

 25   que tout irait bien, que la JNA allait reprendre la responsabilité sans

 26   problème, c'était quelque chose comme ça qui était écrit sur ce papier.

 27   Après ils m'ont fait revenir au poste de police, et là il y a eu

 28   encore des interrogatoires. Le Lugar dont j'ai déjà parlé m'a à nouveau

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  1   frappé. D'ailleurs, quelquefois, les questions n'avaient aucun sens comme,

  2   par exemple : "Qui constitue la direction du SDA ?" Comme si c'était un

  3   secret. C'était public, tout le monde le savait. Je sais qu'il a appelé un

  4   moment une amie à lui ou je ne sais trop qui à Valjevo pour lui raconter --

  5   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je suis désolé de vous interrompre,

  6   mais je pense qu'il est l'heure de faire la pause. Je reviendrai sur tout

  7   ça après la pause, s'il vous plaît.

  8   L'ACCUSÉ : [interprétation] J'aurais quelques mots à dire avant la pause.

  9   Est-ce que je peux ?

 10   Monsieur le Président, dans le système judiciaire serbe, un accusé peut

 11   exiger, il peut proposer et il peut porter plainte ou se pourvoir en appel.

 12   Dans le système judiciaire serbe, il n'est jamais prévu qu'un accusé prie

 13   ou supplie pour avoir quelque chose, il peut éventuellement le faire au

 14   niveau de la sentence, mais pas dans le reste de la procédure. Je n'ai

 15   jamais jusqu'à présent vu un condamné qui était en situation de dire "je

 16   vous prie," s'agissant d'une demande faite par lui. Si jusqu'à présent il

 17   m'est arrivé de dire "je vous prie," c'était par pure amabilité de ma part,

 18   et je vais m'efforcer dorénavant de ne plus jamais utiliser cette

 19   expression consistant dans les mots "je vous prie." Voilà ce que je voulais

 20   vous dire.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Nous ne sommes pas dans le système serbe, nous

 22   sommes un Tribunal international qui fonctionne avec des règles

 23   particulières. Voilà. Et donc, il y a des requêtes, il y a des demandes. Il

 24   n'y a pas d'exigences. C'est ce que je voulais vous dire. C'est très clair

 25   pour moi.

 26   Nous faisons une pause de 20 minutes.

 27   --- L'audience est suspendue à 10 heures 04.

 28   --- L'audience est reprise à 10 heures 26.

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. L'audience est reprise.

  2   Avant de continuer, Monsieur le Procureur, je vais donner au témoin

  3   en B/C/S l'article 258, et je vais lui demander qu'il le lise parce que

  4   nous n'avons pas trouvé de version en anglais. Donc j'ai un document et je

  5   vais demander à M. le Témoin de nous l'article 258, ce qui permettra aux

  6   interprètes de traduire immédiatement.

  7   Monsieur l'Huissier, donnez à M. le Témoin le document.

  8   Monsieur le Témoin, je vais vous faire travailler, je vous demande de lire

  9   l'article 258 et les interprètes vont traduire.

 10   LE TÉMOIN : [interprétation] "Les organisations du travail associé, les

 11   communautés d'intérêt autogestionnaire, et autres organisations et

 12   communautés autogestionnaires ont le droit et le devoir de participer

 13   activement à la défense du pays; et en rapport avec cette tâche,

 14   d'organiser et de se préparer, de s'approvisionner dans les moyens

 15   nécessaires et d'accomplir les autres tâches indispensables dans l'intérêt

 16   de la défense nationale, dans le respect de la constitution, des lois, des

 17   plans et décisions rendus par les communautés politiques et sociales. Ces

 18   organismes et communautés sont responsables de l'accomplissement de ces

 19   tâches."

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Je remercie d'avoir lu cet article qui semble

 21   donner une certaine entité, un rôle en matière de défense.

 22   Est-ce que vous avez un commentaire à faire supplémentaire par rapport à

 23   cet article ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Il est évident que ce n'est pas le bon article

 25   qui a été utilisé, pas le bon alinéa, pas le bon paragraphe dans la

 26   décision. Car ça n'a rien à voir avec l'organisation territoriale.

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. Monsieur le Président, vous venez

 28   d'avoir l'occasion de vous convaincre de ce qui se passe lorsqu'on débat

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  1   dans ce prétoire sur la base de conjectures. Car en vertu de l'article qui

  2   vient d'être lu, cet article de la constitution, une municipalité

  3   nouvellement créée définit ses droits du point de vue de la défense

  4   nationale et ceci n'a pas été utilisé comme fondement juridique pour la

  5   création d'une nouvelle municipalité en brisant, en fracturant, divisant

  6   une municipalité existante. C'est une interprétation arbitraire dans ce

  7   prétoire.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc l'article a été traduit, il est au transcript,

  9   le témoin a fait son commentaire et M. Seselj a donné son point de vue.

 10   Bien. Alors nous allons maintenant continuer.

 11   Monsieur Mussemeyer, je vous redonne la parole.

 12   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 13   Q.  Monsieur Tihic, je souhaite revenir à la nuit du conflit. Vous nous

 14   dites avoir reçu des coups de fil. Vous souvenez-vous avoir reçu des coups

 15   de fil des membres musulmans du 4e Détachement, que vous ont-ils dit ?

 16   R.  Je ne sais pas de quels appels téléphoniques vous me parlez. Est-ce que

 17   ce sont des appels à la veille de l'attaque de Samac ou des appels après la

 18   chute de Samac ?

 19   Q.  A la veille [comme interprété] de l'attaque, vous assistiez à une

 20   réunion et au cours de cette réunion vous avez reçu des appels

 21   téléphoniques ?

 22   R.  Oui. Quelqu'un m'a appelé au téléphone juste avant la réunion qui

 23   devait se dérouler dans la soirée à Bosanski Samac, la veille de l'attaque

 24   de Samac. A ce moment-là, un des habitants, un de mes sympathisants du SDA

 25   m'a téléphoné pour me dire que des camions étaient arrivés dans la

 26   périphérie de la ville et qu'à bord de ces camions se trouvaient des

 27   soldats en uniforme. J'ai écouté cela en pensant que c'était un

 28   renseignement parmi tant d'autres, comme tous ceux que l'on entendait

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  1   circuler dans la ville.

  2   Mais dans la soirée, j'ai réalisé quelle était la signification de

  3   cette information. Par le passé, ce qui s'était passé c'est que plus tard

  4   on se rendait compte que certaines informations étaient justes ou que

  5   d'autres ne l'étaient pas. Mais là, je me suis rendu compte de la

  6   signification de cette information et je me suis rendu compte aussi que je

  7   n'aurais de toute façon rien pu faire.

  8   Q.  Vous a-t-on informé du fait que les gens avaient été tués à ce moment-

  9   là ?

 10   R.  Je l'ai appris le lendemain quand Samac a été attaquée, à ce moment-là

 11   j'ai appris à Donja Mahala, un quartier de la ville, ce qu'on appelait déjà

 12   les paramilitaires, je parle des membres de cette unité spéciales avaient

 13   tué des gens. Oui, j'avais appris ce renseignement et c'était dans la

 14   matinée du lendemain.

 15   Q.  Est-ce que le nom de l'unité ou des unités auxquelles appartenaient ces

 16   soldats, a-t-il été évoqué ?

 17   R.  Il me semble qu'à l'époque on évoquait les Loups gris, des hommes

 18   d'Arkan. Pour nous, tous ceux qui venaient de Serbie, tous ceux qu'on

 19   appelait les "spéciaux," ou les bigarrés, bien, ils étaient tous plus ou

 20   moins symbolisés par Arkan. Alors il y en avait qui les appelait les "Loups

 21   gris," il y en a d'autres qui les appelaient les "hommes d'Arkan," parce

 22   qu'Arkan c'était un concept, mais en tout cas ce n'était pas des membres de

 23   la JNA.

 24   Q.  Vous souvenez-vous, si oui ou non, l'expression les "hommes de Seselj"

 25   a été évoquée ?

 26   R.  L'expression les "Chetniks" était utilisée. Je me souviens quand ils

 27   m'ont amené au poste de police j'y ai vu des uniformes très variés, très

 28   divers. Et ici et là, on voyait des Chetniks avec une longue barbe, avec ce

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  1   couvre-chef très particulier, vous savez, comme s'ils étaient sortis des

  2   images de film relatif à la Seconde Guerre mondiale, comme si on était en

  3   train de rêver.

  4   Q.  Merci, Monsieur Tihic.

  5   M. LE JUGE ANTONETTI : Votre présence me permet de poser la question

  6   suivante, parce que je pense que vous allez pouvoir y répondre.

  7   Tout à l'heure, vous avez dit, il y avait des hommes d'Arkan, des unités

  8   paramilitaires, et cetera, et cetera. Comment se fait-il qu'une armée comme

  9   la JNA qui avait à l'époque une réputation mondiale, n'ait pas ses propres

 10   unités spéciales, comme l'ont certaines armées dans le monde, et préfère

 11   recourir à des unités du type de celles de Arkan ? Vous avez une

 12   explication ?

 13   LE TÉMOIN : [interprétation] La JNA de l'époque avait perdu son commandant.

 14   La présidence de la RSFY, en tant qu'organe collectif, ne parvenait pas à

 15   atteindre le consensus sur pas mal de questions et notamment sur des

 16   questions relatives à la défense. Donc la JNA était dirigée à l'époque par

 17   ces commandants qui étaient majoritairement dans le groupe d'appartenance

 18   ethnique serbe, avec sans doute une certaine influence exercée par le

 19   président de la Serbie, Slobodan Milosevic, je parle d'une influence

 20   effective, pas simplement formelle.

 21   Donc d'après moi, il y avait là un mélange de l'armée et de ses

 22   unités qui agissaient aux alentours de l'armée ou de la police dont les

 23   membres portaient des uniformes de couleur verte, qui étaient commandés par

 24   les officiers de la JNA sur le terrain, mais aussi par d'autres hommes

 25   venus de Belgrade et issus de service de Renseignements.

 26   Pourquoi est-ce que la JNA a autorisé cela. Bien, voilà, parce que l'armée

 27   avait perdu son commandant suprême et que de ce fait, les commandants

 28   militaires se sont vu contraints à commencer à diriger la défense en

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  1   déterminant par eux-mêmes ce qu'ils avaient le droit de faire, ce qu'ils

  2   n'avaient pas le droit de faire, ce qu'ils pouvaient ou ne pouvaient pas.

  3   Et finalement, l'objectif s'est un peu perdu.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Donc, d'après vous, c'est le fait même que la JNA

  5   n'avait plus à sa tête un commandant. Que les généraux, enfin semble-t-il,

  6   ceux qui étaient dans des cercles inférieurs, ont géré la situation de

  7   cette façon. Ce qui peut expliquer à ce moment-là la constitution de ces

  8   unités. Bien. Votre explication est intéressante et mérite évidemment un

  9   examen en profondeur par les Juges.

 10   J'ai un autre point dans cette lignée.

 11   On nous a dit - et l'accusé Seselj en personne nous l'a dit lors de ses

 12   multiples contre-interrogatoires concernant plusieurs témoins - qu'il y

 13   avait vis-à-vis de la JNA une défiance, car la JNA symbolisait en quelque

 14   sorte le communisme. Et que de ce fait, la JNA ayant des difficultés à

 15   recruter des soldats, la loi permettait à ce moment-là à des volontaires de

 16   ne pas être intégrés avec l'estampille JNA, mais néanmoins de pouvoir

 17   participer à la défense de la patrie, par le volontariat qui était prévu

 18   par la loi. Et on a vu un texte de loi en la matière.

 19   Alors, vous-même, au niveau de la municipalité que vous aviez eu l'honneur

 20   de présider un moment donné, est-ce que vous aviez ressenti à l'égard de la

 21   JNA cette hostilité quelles que soient les ethnies, musulmanes, serbes,

 22   croates, et ce qui pourrait expliquer ce phénomène de volontaires ? Qu'en

 23   pensez-vous ?

 24   LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense, si l'on parle des Musulmans et des

 25   Croates, qu'ils considéraient surtout la JNA comme une armée serbe car ses

 26   commandants étaient avant tout serbes. Et je ne pense pas que parmi les

 27   Serbes il y avait le moindre problème pour recruter le nombre nécessaire

 28   d'hommes au sein de cette armée dans leur respect plein et entier de la

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  1   loi. Je pense que ces unités de volontaires sont la conséquence davantage

  2   de la situation politique régnant dans le pays et qu'elles ont, en fait,

  3   été créées par les Services secrets qui étaient chargés de la sale besogne,

  4   en particulier, par exemple, d'arriver avant la JNA, de commettre tel ou

  5   tel crime, ensuite la JNA fait son apparition comme une espèce de sauveur,

  6   puis elle part, elle repart, et elle laisse sur place des unités de Serbes

  7   locaux et les paramilitaires.

  8   Ces unités paramilitaires, je ne pense pas qu'elles étaient

  9   constituées de volontaires au sens propre ou traditionnel du terme. Je

 10   pense qu'elles regroupaient, en fait, toute une série de gens achetés, des

 11   mercenaires, et même des délinquants et des criminels. Nous voyons bien

 12   comment ils se sont comportés. Nous voyons les assassinats qu'ils ont

 13   commis, les exactions, les actes de pillage. Je me souviens que certains

 14   d'entre eux sont venus à Samac et qu'ils se sont vantés d'avoir fait de la

 15   prison par le passé. Je sais que certains habitants de Samac qui avaient

 16   fait de la prison ont retrouvé au sein des unités spéciales des camarades à

 17   eux qu'ils avaient connus en prison. Donc ce n'était pas des volontaires au

 18   sens classique du terme qui étaient venus pour se battre pour la liberté de

 19   leur pays. Il y a eu de nombreux crimes commis par nombre d'entre eux qui

 20   étaient, en fait, des criminels. Avec le temps, on a pu voir qu'il ne

 21   s'agissait ni de patriotes ni de nationalistes. C'étaient des criminels

 22   finalement.

 23   J'ai parlé de Zvezdan Jovanovic qui, pendant un certain temps, aurait pu

 24   être considéré comme un patriote ou une espèce de héros national, et

 25   finalement c'était un criminel. Mais à Samac, nous savions cela dès le

 26   départ.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : J'ai l'impression qu'il y a trois moments-clés. Le

 28   premier moment, c'est que les Services secrets, d'après ce que vous dites,

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  1   instrumentent certains individus qui, à ce moment-là, vont commettre dans

  2   un endroit donné des exactions ou des crimes. Ça, c'est le premier temps.

  3   Le deuxième temps, la JNA intervient, rétablit l'ordre, puis s'en va. Et le

  4   troisième temps, des unités paramilitaires restent sur place et à son tour

  5   vont commettre des exactions.

  6   Est-ce que j'ai bien synthétisé votre pensée et vos propos ?

  7   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, avec une petite nuance au niveau de la

  8   troisième étape, c'est-à-dire que dans la troisième étape à côté des

  9   paramilitaires, il reste aussi des unités serbes locales. Donc ça, c'est

 10   simplement une petite nuance de la Défense territoriale. Mais les unités

 11   paramilitaires restent sur place, effectivement. Elles jouent toujours un

 12   rôle dominant. Elles sont, en fait, maîtresses de la vie ou de la mort.

 13   Elles sont celles qui commettent les assassinats, les actes de pillage, et

 14   qui ont, entre autres objectifs, celui de briser tout rapport interethnique

 15   harmonieux.

 16   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 17   Q.  Monsieur Tihic, j'aimerais revenir à la situation qui a suivi le moment

 18   où vous avez donné un entretien. On vous a ramené au poste de police et

 19   vous nous avez déjà dit que vous avez été fortement battu par un certain

 20   Lugar. Vous souvenez-vous lorsqu'on vous a passé à tabac que Lugar était en

 21   train de passer des coups de fil ?

 22   R.  Oui. Il était en train de parler avec une femme au téléphone. En tout

 23   cas, c'est ce qu'on pouvait comprendre d'après ce qu'il disait, une amie à

 24   lui. Il lui disait : "Tu veux savoir ce que je fais ? Bien, écoute ce que

 25   je fais." A ce moment-là, il retourne le récepteur dans l'autre sens et un

 26   de ses collègues me tape dessus, et il place l'écouteur de façon à ce

 27   qu'elle entende bien ce que le collègue fait.

 28   Q.  Avez-vous jamais été frappé par des gens qui étaient originaires de

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  1   Bosanski Samac ?

  2   R.  Non. Les Serbes de Bosanski Samac ne m'ont jamais frappé. S'ils en

  3   avaient la possibilité, ils m'ont aidé, voyez-vous. Mais ces spéciaux,

  4   enfin, vous, vous les appeler des paramilitaires. Pour moi c'est une

  5   expression tout à fait inadaptée. Mais en tout cas, quand ils sont partis,

  6   le commandant de police, qui était Serbe, m'a envoyé un médecin pour qu'il

  7   voie dans quel état j'étais, puis il me faisait apporter de la nourriture.

  8   Il m'apportait des boissons gazeuses. Il me laissait aller aux toilettes,

  9   ce qui était très important, voyez-vous, pour moi, parce que --

 10   En tout cas, tant que j'étais là, aucun d'entre eux ne m'a jamais frappé.

 11   Les Serbes de Bosanski Samac n'ont jamais porté la main sur moi. Voyez-

 12   vous, je les connaissais. Ils me connaissaient. Je connaissais leurs

 13   parents, leurs pères. Ils connaissaient mon grand-père. Je connaissais

 14   leurs familles. Très souvent ils venaient même me présenter leurs excuses

 15   quand ils devaient m'emmener quelque part et qu'on me frappait, il me

 16   disait "Docteur, on est désolés."

 17   Q.  Quand les interrogatoires avaient cessé et les passages à tabac avaient

 18   cessé, où vous a-t-on emmené ?

 19   R.  Ce soir-là, on m'a d'abord emmené au QG de la Défense territoriale qui

 20   se trouve en face du poste de police. C'est comme une espèce d'entrepôt qui

 21   fait 15 mètres sur 20. Là il y avait déjà une cinquantaine de personnes

 22   rassemblées. Puis on a été obligé de chanter des chants chetniks. On nous a

 23   frappés à l'extérieur, à l'intérieur. On nous a soumis à des

 24   interrogatoires qui n'avaient pas le moindre sens, qui étaient simplement

 25   destinés à distribuer des coups sur nous. Ça a duré toute la nuit.

 26   On nous a donné des espèces de morceaux de carton pour que soi-disant

 27   on s'allonge dessus, à même le béton, mais personne ne pouvait s'allonger

 28   ou dormir, puisqu'il y avait sans arrêt quelqu'un qui arrivait et qui se

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  1   présentait comme, "Je suis un homme d'Arkan, je suis ceci, je suis cela."

  2   Il citait des noms d'unités, qui existaient ou pas, je n'en sais rien. Puis

  3   il y en avait qui arrivaient, qui faisaient sortir quelqu'un avec le bout

  4   de leurs mitraillettes, peut-être parce que cette personne lui plaisait,

  5   qui sait, et qui forçaient cette personne une fois à l'extérieur à chanter,

  6   allez plus fort, plus fort, plus fort. Plus tard, les gens de Samac ont dit

  7   qu'on entendait ces chants jusqu'au centre de la ville et même dans les

  8   environs.

  9   Q.  Veuillez nous expliquer dans le détail ce que Lugar vous a fait

 10   et comment il vous a frappé.

 11   R.  J'ai eu à plusieurs reprises, comment est-ce que je peux appeler

 12   cela, ce genre de rencontre avec lui. Avant d'aller à la radio de Samac, je

 13   l'ai rencontré une fois. Puis après l'émission de la radio Samac aussi,

 14   dont je vous ai parlé il y a un instant, au moment où il parlait à

 15   quelqu'un en Serbie, puis une autre rencontre encore. Quand un soldat serbe

 16   a été tué - maintenant, est-ce qu'il a été tué par le HVO ? Je ne sais pas

 17   - enfin, il a aussi fait partie de ceux qui n'ont frappé quand je me

 18   trouvais dans le bâtiment du poste de police, dans une pièce qui faisait à

 19   peine 2 mètres sur 1 mètre 20, et nous étions neuf à l'intérieur de cette

 20   pièce. Il y avait un banc. Nous y sommes restés presque une semaine. On

 21   dormait dans cette pièce. On s'asseyait sur le banc. On ne pouvait pas

 22   aller aux toilettes. Si on avait vraiment besoin d'aller se soulager dans

 23   les toilettes, à ce moment-là, au passage ils nous tabassaient tellement

 24   qu'on en sortait tout bleu. En tout cas, ils ne nous autorisaient qu'à

 25   uriner et pas à déféquer. Voilà comment les jours se passaient.

 26   Je me souviens que de temps en temps, Lugar arrivait. Il portait des

 27   grenades et il avait l'habitude de dire : "Je viens simplement pour

 28   l'enterrement de ce soldat serbe, et j'ai juré devant sa tombe que je le

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  1   vengerais." Et il jetait un coup d'œil dans la cellule. Nous étions neuf.

  2   Il disait : "Président," - moi, j'étais président du SDA, en tout cas c'est

  3   comme ça qu'il me connaissait - alors, il disait : "Président, tu seras le

  4   dernier." Puis il faisait sortir les autres un par un. Il leur assénait des

  5   coups, un, deux, trois, cinq coups, puis il retournait avec la personne en

  6   question, et mon tour a fini par venir. Je pensais qu'il allait me tuer,

  7   parce qu'il avait dit qu'il allait se venger et j'étais le dernier.

  8   Puis, il y avait ce hall devant les cellules. Il faisait peut-être 4 ou 5

  9   mètres de long. Alors qu'il était sur le point de frapper, il m'a donné un

 10   coup sans grande intensité. Je suis tombé, mais il a fallu que je me

 11   relève, parce que si je ne me relevait pas, il était prêt à me piétiner,

 12   puis encore, et encore et encore de plus en plus fort. Je ne sais pas

 13   combien de fois cela s'est passé. Finalement, quand je ne réussissais plus

 14   à me relever, je gisais sur le sol, il m'a sauté sur la poitrine, j'ai

 15   relevé les mains pour me protéger, j'ai entendu quelque chose qui se

 16   brisait. J'ai essayé de me protéger avec les mains, et à ce moment-là il

 17   m'a dit : "Lève-toi."

 18   Quand je me suis levé, il m'a regardé, je ne savais pas ce qui se

 19   passait, j'ai enlevé ma montre, je ne sais pas, je pensais que cela me

 20   soulagerait, il m'a pris la montre et il m'a frappé encore une ou deux fois

 21   sur la tête. J'avais du sang qui coulait sur le visage. J'avais

 22   l'impression qu'il hésitait entre deux possibilités. A un certain moment il

 23   a dit : "Va-t-en, écarte-toi de moi, rentre dans ta cellule." Je ne sais

 24   pas ce qui a fait que tout cela s'est arrêté, l'a empêché de me tuer, mais

 25   en tout cas --

 26   Les gens qui étaient dans la cellule m'ont apporté de l'aide, je ne

 27   pouvais plus respirer, j'étais très, très bouleversé, parce qu'il m'avait

 28   aussi piétiné sur la poitrine.

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  1   Q.  [aucune interprétation]

  2   R.  Dikan, oui, oui, ça me dit quelque chose. C'est un Croate qui était

  3   aussi prisonnier, il était de Slavonski Samac en République de Croatie. Il

  4   avait été fait prisonnier. Il se trouvait à Samac dans un café une nuit, et

  5   quand ils ont vu qu'il était Croate, ils l'ont mis dans un camp. Quoi qu'il

  6   en soit ils l'ont beaucoup frappé. Je sais qu'une fois quand on

  7   m'interrogeais au poste de police, j'ai entendu quelqu'un qui tirait au QG

  8   de la Défense territoriale, qui tirait des coups de feu, je ne l'ai pas vu,

  9   mais je l'ai entendu parce que c'était juste en face, de l'autre côté de la

 10   rue.

 11   Et ce Simo Zaric qui m'interrogeait, a appelé pour voir ce qui se

 12   passait, qu'est-ce que c'était que ces coups de feu. On lui a dit que

 13   c'était Lugar qui avait tué Dikan. Je vous ai dit qui était Dikan. Je pense

 14   que ses fils étaient membres de la Garde patriotique, et donc il a tapé sur

 15   lui avec un soin particulier.

 16   Je sais que Simo Zaric a appelé Blagoje Simic à ce moment-là et a dit

 17   : "C'est idiot," en parlant de Lugar, "vient de tuer un homme." Et selon

 18   les conversations, Simo Zaric qui parlait à Blagoje Simic, j'ai compris

 19   dans la conversation que Blagoje lui demandait si quelqu'un avait vu ce qui

 20   s'était passé, et l'autre a répondu qu'au moins 50 personnes l'avaient vu.

 21   Je sais que Simo a appelé le lieutenant-colonel Nikolic et a dit : "Ces

 22   idiots vont tuer des gens, ils ont déjà tué un homme et l'armée est venue

 23   pour nous tirer de là."

 24   Alors je sais que Simo est parti. Est-ce qu'il est allé à l'usine de

 25   Samac ou à Utva, je ne sais pas, mais le lieutenant-colonel Nikolic se

 26   trouvait à cet endroit-là.

 27   Q.  S'il vous plaît, nous donner la liste des centres d'exemption dont vous

 28   aviez connaissance à l'époque lorsque vous étiez à Bosanski Samac.

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  1   R.  Lorsque je me suis trouvé à Bosanski Samac, il y a eu un QG de la TO et

  2   un poste de police qui ont servi de camp, où les citoyens ont été mis en

  3   détention. Je sais que par la suite, il y a eu des camps d'organisés à

  4   l'école secondaire technique, à l'école primaire, à Crkvina, un village non

  5   loin de Samac, dans un entrepôt d'une entreprise de commerce qui s'appelait

  6   Bosanka. Et il y avait tout un village croate Zasilica qui a été vidé, qui

  7   a servi de camp, et où on a également installé des Bosniens et des Croates.

  8   M. LE JUGE ANTONETTI : Apparemment le Procureur a changé de sujet, il

  9   aborde maintenant les camps de détention. Juste un petit détail à

 10   éclaircir, vous allez pouvoir l'éclaircir très vite.

 11   En vous écoutant et en regardant votre déclaration, ce fameux Lugar, vous

 12   semblez dire - c'est au paragraphe 44 de votre déclaration - qu'il fait

 13   partie des Loups gris. Et au paragraphe 52 de votre déclaration, vous dites

 14   que Lugar est membre des hommes d'Arkan. Alors, les hommes d'Arkan et Loups

 15   gris, c'est pareil ?

 16   LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas vous dire au juste, est-ce

 17   qu'il faisait partie des Loups gris ou des hommes d'Arkan. Lorsqu'on les

 18   rencontrait, ces gens, à première vue on ne savait pas trop qui est-ce

 19   qu'on osait regarder. On devait suivant la règle, mettre les mains dans le

 20   dos et baisser la tête. C'était un homme qui parlait l'ékavien, qui faisait

 21   partie des unités spéciales. De là à savoir à laquelle des unités il

 22   appartenait ou une troisième, une unité tierce, que sais-je ? Je ne pouvais

 23   pas savoir quels étaient tous ces insignes qu'il portait.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Alors donc vous dites en complément de ce que

 25   vous avez dit dans votre déclaration, bon, Lugar, vous savez pas exactement

 26   à quelle unité il appartenait. Les Loups gris ou les hommes d'Arkan ou une

 27   unité X. Vous ne savez pas à coup sûr quelle était son unité

 28   d'appartenance. On est bien

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  1   d'accord ?

  2   LE TÉMOIN : [interprétation] C'est d'accord.

  3   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.

  4   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, pouvons-nous avoir à

  5   l'écran, s'il vous plaît, la pièce 1553 à l'écran, de la liste 65 ter. Il

  6   s'agit d'un ordre de la station de sécurité publique de Bosanski Samac

  7   signé par le témoin Stevan Todorovic qui est mort il y a quelques années.

  8   Donc ça c'est juste pour information.

  9   Q.  Pourriez-vous nous lire cet ordre, s'il vous plaît. Le lire et le

 10   commenter, s'il vous plaît.

 11   R.  "Conformément à la législation régissant le domaine de l'intérieur de

 12   Bosnie-Herzégovine, il est donné ordre de :

 13   "Premièrement : Interdiction de regroupement de plus de trois Musulmans ou

 14   plus de trois Croates à un seul et même endroit.

 15   "Deuxièment : Tout groupement doit être prévenu de cette interdiction. Et

 16   si cela se répète, les intervenants doivent être appréhendés et arrêtés.

 17   "Troisièment : Il est dit que sont responsables en personne de l'exécution

 18   de ces ordres, le chef du peloton de la police militaire et le chef du

 19   poste de police à Bosanski Samac, chef du centre de la sécurité publique,

 20   Stevan Todorovic, ingénieur diplômé."

 21   C'est un ordre notoirement connu, ça été mis en œuvre, parce que voyez-

 22   vous, lorsqu'on enterrait même des gens, les Musulmans, on ne pouvait pas

 23   créer une colonne, une multitude de personnes raccompagnant le décédé. Il

 24   ne pouvait y avoir que les personnes qui conduisaient ce défunt pour

 25   l'enterrement. Il n'y avait pas de rites religieux pour l'enterrement, pas

 26   même cela n'était autorisé, et encore moins autre chose.

 27   Q.  Je vous remercie, Monsieur Tihic.

 28   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander

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  1   le versement au dossier de cette pièce.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Veuillez donner un numéro à ce document.

  3   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la cote P673, je vous

  4   remercie.

  5   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  6   Q.  Monsieur Tihic, j'aimerais que nous parlions maintenant d'un autre

  7   endroit. Vous nous avez dit que vous aviez quitté Bosanski Samac, enfin,

  8   vous avez été emmenés ailleurs. Pouvez-vous nous dire

  9   où ?

 10   R.  On nous a presque tous emmenés, il n'en est resté que cinq ou six. On a

 11   été emmené à la caserne militaire de Brcko, c'est à une cinquantaine de

 12   kilomètres de Bosanski Samac. C'est là qu'on est arrivé. Il y a eu fouille

 13   à nouveau. On nous a confisqué ce qui nous restait d'objets, les

 14   portefeuilles, les montres, les bagues, et ainsi de suite. On nous a

 15   installés dans des cellules. Moi, Dragan Lukac et Osman Isarevic [phon], on

 16   a été mis dans une pièce à part, parce qu'on était considérés comme une

 17   espèce d'extrémistes. On nous a mis des menottes aux poignets, et c'est

 18   ainsi qu'on a dormi une nuit.

 19   D'une façon générale, je dirais que le traitement au sein de la

 20   caserne était beaucoup meilleur qu'à Bosanski Samac parce qu'on ne nous a

 21   pas passés à tabac. On pouvait aller aux W.-C.

 22   Q.  Vous n'avez pas été battus, mais avez-vous été menacés ?

 23   R.  Il y a eu des cas de ce genre, oui. Il venait aussi, je m'en souviens,

 24   des Chetniks avec ces espèces de toques à la tête de mort et leur barbe

 25   très longue, qui menaçaient de nous égorger et de nous abattre. Il en

 26   venait d'autres aussi, des hommes à Arkan, ou du moins ils disaient être

 27   des hommes à Arkan.

 28   Mais les militaires ne les laissaient pas entrer, et ils ne les

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  1   laissaient pas nous passer à tabac.

  2   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, un petit détail. Vous parlez des

  3   Chetniks, et notamment quelque chose qui m'intéresse. Vous avez dit qu'ils

  4   avaient des barbes très longues. Nous avons vu des vidéos, on a vu des

  5   photos. Mais avant ces événements, avant l'année 1992, il y avait des

  6   personnes qui avaient des barbes très longues, ou bien c'est un phénomène

  7   qui est apparu au moment de ces événements ?

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Croyez-moi bien, je me suis posé la question

  9   de savoir quand est-ce que ces barbes ont bien pu leur pousser à ce point-

 10   là, parce qu'il n'y avait pas chez nous des gens qui portaient des barbes

 11   longues. Parce que ça faisait penser au Mouvement chetnik, justement, qui

 12   était conduit par Draza Mihajlovic, qui était un mouvement criminel. Peut-

 13   être les artistes portaient-ils la barbe, des peintres, des compositeurs;

 14   mais les gens ordinaires ne portaient pas de barbe, notamment pas des

 15   barbes longues et mal taillées.

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. Donc vous vous demandez comment elles ont pu

 17   pousser si rapidement ? Moi aussi, d'ailleurs. Bon.

 18   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 19   Q.  Avez-vous remarqué une coopération entre la JNA et les unités

 20   paramilitaires à Brcko?

 21   R.  Il est certain que ça a existé. Je ne sais pas trop quel type, mais ils

 22   accédaient aux casernes, ils s'adressaient à nous, ils nous parlaient, nous

 23   menaçaient, nous menaçaient de nous tuer. Je pense que d'une façon

 24   générale, il devait y avoir une coopération entre la JNA et ces unités,

 25   c'est certain. Parce qu'autrement, cela n'aurait pas pu se faire. Comment

 26   voulez-vous que quelqu'un accède à la caserne, à l'intérieur, s'il n'y

 27   avait pas eu accord ? Et quand on parle d'unités paramilitaires, comment

 28   voulez-vous que ces unités paramilitaires accèdent s'il n'y a pas d'accord

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  1   là-dessus ? Parce que les casernes, c'étaient des endroits où on ne pouvait

  2   prendre de photos, on ne pouvait pas accéder, il fallait des cartes

  3   d'identité, des autorisations particulières pour des gens ordinaires, et

  4   encore moins pour des gens en armes d'entrer à l'intérieur, pensez-vous.

  5   Q.  Vous souvenez-vous si à ce moment-là on vous a demandé de faire une

  6   interview télévisée ?

  7   R.  Oui. Lorsque j'étais à Brcko, on m'a demandé d'accorder une interview

  8   pour la télévision, et j'étais censé aller à Bosanski Samac. Bien que je

  9   n'avais pas envie d'y aller, j'ai dû y aller à Bosanski Samac. On nous a

 10   d'abord conduits chez nous pour qu'on puisse se laver, qu'on puisse mettre

 11   nos costumes pour que nous ayons une apparence tout à fait décente; et dans

 12   le bureau de Simo Zaric, il y a eu cette interview avec la présence -- en

 13   plus du journaliste et du cameraman, il y avait la télévision de Novi Sad,

 14   il y avait Stevan Todorovic, qui était chef de ce poste de police. Simo

 15   Zaric a même conduit l'interview, de temps à autre, il venait d'autres

 16   personnes, je sais que le capitaine Crni entrait et me demandait de dire

 17   qui est-ce qui donnait les coordonnées de pilonnage aux Croates pour taper

 18   sur Samac. Alors je leur répondais que je n'en avais aucune idée. Après

 19   l'interview, il a dit : "Amenez-le chez moi, je vais m'entretenir avec

 20   lui."

 21   Alors j'ai fait cette déclaration comme on devait forcément le faire dans

 22   ce type de circonstances. Je sais qu'à la fin Stevan Todorovic a demandé

 23   que je déclare que je n'ai été battu par personne. Ils ont enregistré cela

 24   et j'ai donc déclaré que je n'avais pas été battu par la police serbe de

 25   Bosanski Samac, et ça, c'était vrai. Je n'ai pas dit que c'étaient des gens

 26   du poste de police de Samac qui m'avaient battu, mais c'était ceux qui

 27   étaient venus de Serbie.

 28   Ils ont pas relevé la différence. Et c'est par la suite qu'on nous a

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  1   ramenés à Brcko. Je peux vous donner d'autres détails, si cela vous

  2   intéresse.

  3   M. MUSSEMEYER : [interprétation] J'aimerais montrer une séquence vidéo

  4   rapide. C'est un passage de cette interview. Nous l'avons dans notre

  5   dossier. C'est la pièce 6449 de la liste 65 ter, veuillez, s'il vous plaît,

  6   regarder l'œil gauche du témoin.

  7   [Diffusion de la cassette vidéo]

  8   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix]

  9   L'INTERPRÈTE : Il y a un vrai problème au niveau de l'audition de ce

 10   témoin. Soit il parle plus fort, soit on nous monte le volume de ses

 11   micros.

 12   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin. Attendez. Monsieur le Témoin.

 13   Essayez de parler plus fort quand vous parlez parce que les interprètes ont

 14   du mal à vous entendre.

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Certes.

 16   [Diffusion de la cassette vidéo]

 17   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] :

 18   "Question : Monsieur Tihic, dites-moi très sincèrement, quelles sont

 19   vos impressions concernant les autorités actuelles sur le territoire de la

 20   République de Bosnie-Herzégovine, à savoir la police serbe vis-à-vis de la

 21   population musulmane, vis-à-vis de vous-même et des autres habitants. Mais

 22   soyez sincère, je vous prie.

 23    Réponse : Pour ce qui est de l'attitude de la police serbe, des membres de

 24   la police serbe vis-à-vis de moi-même, moi, je n'ai pas eu de problèmes. Je

 25   pourrais dire que le comportement a été correct.

 26   Question : Est-ce que quiconque, parce qu'il était Musulman, aurait

 27   souffert de la part de la police serbe ?

 28   Réponse : D'après ce que j'ai eu comme informations accessibles, il n'y a

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  1   pas eu un seul Musulman à avoir été tué. La politique du parti, et

  2   notamment celle du président Izetbegovic, c'est que nous ne devions pas

  3   nous placer dans une situation subalterne et que nous ne soyons des

  4   exécutants de qui que ce soit. Je ne sais pas. On m'a posé la question de

  5   savoir si le parti croate vous donnait des armes, du matériel, est-ce que

  6   cela vous permettrait de créer un QG où le commandement serait conjoint et

  7   où chacun devrait se conformer en accordance avec ceci. Le président a dit

  8   : 'Pour ce qui est des armes, vous pouviez les accepter, mais sans

  9   conditions, sans commandements conjoints, sans uniformes identiques. Mais

 10   qui voulez-vous qu'ils nous donnent des armes sans pour autant faire partie

 11   de cette hiérarchie ?' Il se peut qu'il y ait eu cela à Bosanski Samac, une

 12   volonté de créer un QG de crise conjoint. Mais j'ai déjà déclaré que j'ai

 13   assisté à une réunion qui a été conviée, je ne savais pas quel était

 14   l'ordre du jour, mais quand je suis arrivé, j'ai vu que…" --

 15   [Fin de la diffusion de la cassette vidéo]

 16   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 17   Q.  Monsieur Tihic, vous souvenez-vous de cela, est-ce bien l'interview que

 18   vous avez faite ?

 19   R.  Oui, c'est cette interview.

 20   Q.  Savez-vous si au cours de cette interview, d'autres détenus ont aussi

 21   été interviewés, et dans ce cas, où étaient-ils ?

 22   R.  Oui. Il y a eu des entretiens avec d'autres détenus, il y avait

 23   Izetbegovic, Safet Mihajlovic [phon]. Ils étaient dans le bâtiment, mais

 24   nous ne pouvions pas entrer en contact les uns avec les autres.

 25   Q.  Les détenus ont-ils été interviewés uniquement oralement et sans qu'on

 26   les voie, parce qu'ils avaient des blessures ?

 27   R.  Je ne sais pas. Je suis arrivé de Brcko avec Omer [inaudible] Safet

 28   [inaudible] et [inaudible] était à Samac. On nous a filmés de façon

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  1   séparée, je sais qu'ils se sont efforcés par les positions des caméras de

  2   dissimuler les bleus, Izetbegovic, on lui avait mis des lunettes pour qu'on

  3   ne voie pas les coups qu'il avait reçus au niveau des yeux. Et Omer

  4   [inaudible], on l'a pris de côté pour qu'on ne voie pas les parties

  5   tuméfiées sur son visage.

  6   Q.  C'est une honte pour le journaliste qui était là et qui nous a vus, qui

  7   a vu de quoi on avait l'air. Puis il me demande de dire sincèrement si on

  8   nous avait battus, s'il y avait eu des gens à périr. Comment voulez-vous

  9   qu'on parle sincèrement ? On sait ce qui serait advenu si j'avais été

 10   sincère. On nous aurait tués tout de suite.

 11   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Témoin, j'ai regardé comme tout le monde

 12   la vidéo. J'ai noté qu'il y avait une petite tasse de café devant vous. On

 13   vous avait offert le café avant ou elle était là pour le besoin de la cause

 14   ?

 15   LE TÉMOIN : [interprétation] Mais c'est comme le costume, la tasse était là

 16   pour montrer que c'était un entretien normal. C'était déjà là quand je suis

 17   arrivé, il y avait du café dedans, me semble-t-il.

 18   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Président, j'aimerais demander

 19   le versement de cette séquence vidéo au dossier.

 20   M. LE JUGE ANTONETTI : Un numéro.

 21   M. MUSSEMEYER : [interprétation] On vient de me dire que le script de cette

 22   vidéo n'a pas le bon numéro. Au lieu d'être le 6049, c'est le "6449." Le

 23   6449 est le numéro erroné.

 24   L'ACCUSÉ : [interprétation] Le Procureur est censé savoir quand est-ce que

 25   ça a été diffusé et à quelle chaîne de télévision.

 26   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Procureur, la vidéo a été diffusée ?

 27   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Une minute. Il faut que je recherche. La

 28   source n'est pas connue, cette séquence vidéo a été saisie le 11 décembre

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  1   1994. Et elle vient d'une bande vidéo "Génocide, Bosanski Samac." Elle a

  2   déjà été admise et versée au dossier dans deux autres affaires, dans

  3   l'affaire Milosevic, elle portait la cote 6008 [comme interprété],

  4   intercalaire 12. Et dans l'affaire Bosanski Samac, IT-95-9/2, c'était la

  5   pièce P16/A. C'est tout ce que je sais.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Témoin, à votre connaissance, cette vidéo a été

  7   diffusée ? Il y a des personnes qui l'ont vue et qui vous en ont parlé

  8   après ? Ou bien, vous ne le savez pas. Parce que là le Procureur ne peut

  9   pas répondre. Il nous dit que cette vidéo a été admise, mais est-ce qu'elle

 10   a été diffusée. Vous le savez ou vous ne le savez pas ?

 11   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, j'en ai connaissance, ça a été diffusé à

 12   deux reprises par le biais de la télévision de Novi Sad, que l'on capte

 13   bien à Bosanski Samac. Puisque c'est une région de plaines, le signal est

 14   bien reçu. La première fois ça a été diffusé, d'après ce que m'ont dit les

 15   villageois, il y a d'abord eu une coupure de courant, et on a rediffusé

 16   pour cette raison, pour qu'une fois de plus la chose puisse être bien vue.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Et vous pouvez nous donner une date approximative de

 18   la diffusion ?

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] Ça s'est passé dès le lendemain et le

 20   surlendemain. Ça a été diffusé pendant deux journées consécutives. Je ne

 21   sais pas vous dire, mais j'imagine que ça dû être le 27 ou le 28 avril,

 22   c'est vers ces dates-là que ça dû être diffusé. Mais je ne peux pas être

 23   certain, c'est à peu près cela.

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien. On va demander un numéro.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document recevra la pièce P674. Je

 26   vous remercie.

 27   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 28   Q.  Monsieur Tihic, après Brcko, est-ce qu'on vous a amenés dans un autre

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  1   centre de détention; et si oui, pouvez-vous nous dire lequel ?

  2   R.  On nous a transférés depuis Brcko. Suite à l'attaque de Brcko, le matin

  3   même c'est une explosion qui nous a réveillés, ça a fait voler les vitres

  4   en éclats, et il y a eu destruction du pont qui reliait Brcko avec la

  5   Croatie. Le lendemain, on nous a transférés vers Bijeljina, à la caserne

  6   Fadil Jahic Spana de Bijeljina. Là aussi nous avons été exposés à tous ces

  7   mauvais traitements, à des coups. Moi, en particulier.

  8   On m'a amené pour nettoyer des toilettes qui étaient pleines à ras bord

  9   d'excréments. On m'a demandé de gratter toutes les parties jaunies et on ne

 10   m'avait pas donné de brosse, et c'était un W.-C. à la turque. Donc on m'a

 11   demandé de tout nettoyer. Puis un ordre est arrivé pour que je sois ramené

 12   dans la pièce où étaient installés les prisonniers originaires de Samac.

 13   Puis on a été interpellé, quelques-uns d'entre nous, on nous a donné

 14   l'ordre de faire demi-tour et de retourner vers un hélicoptère pour être

 15   transférés à Batajnica, un aéroport à proximité de Belgrade.

 16   Q.  Avant de passer à Batajnica, j'aimerais savoir si l'un des gardes vous

 17   a reconnu suite à l'interview télévisée que vous avez donnée, que nous

 18   avons vue d'ailleurs il y a quelques minutes ?

 19   R.  Justement, il y a un gardien qui m'a reconnu suite à ce qui a été

 20   diffusé à la télévision. J'ai cru comprendre, partant de là, qu'on nous

 21   avait présentés sous un éclairage négatif comme étant des personnes ayant

 22   commis des crimes. Et c'est ce policier qui m'a reconnu qui m'a amené vers

 23   ces W.-C., ces toilettes, et qui m'a demandé de nettoyer.

 24   Q.  Pourriez-vous nous dire quand et comment on vous a amenés à Batajnica ?

 25   R.  Sur ce groupe de 50 personnes originaires de Samac, nous étions six,

 26   sept, je ne sais trop à avoir été transférés. On nous a amenés d'abord

 27   jusqu'à l'hélicoptère, on nous a placé des bandeaux sur les yeux, mais on

 28   pouvait voir au travers qu'il y avait au milieu une espèce de cercueil avec

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  1   des lettres dessus. J'ai cru comprendre que c'était un soldat serbe qui a

  2   été tué, Vuk ou Vukmirovic, quelque chose de ce genre.

  3   Et on a trouvé dans l'hélicoptère Izet Izetbegovic, le Dr Keracic et

  4   Dragicevic, Ante, non pas Benko, Benko, c'était son père, le chef du poste

  5   de police à Samac, celui d'avant-guerre, il s'entend. On avait des menottes

  6   aux poignets. Et il y avait ce paramilitaire ou ce membre des unités

  7   spéciales à avoir cette espèce de couvre-chef noir; et quand l'hélicoptère

  8   a décollé, il voulait nous jeter à l'extérieur de l'hélicoptère. L'autre

  9   personne qui était un civil à bord de l'hélicoptère ne l'a pas laissé

 10   faire. Et par la suite, j'ai appris que cet autre homme, c'était un chef

 11   chargé de la sécurité à l'aéroport.

 12   Une fois arrivés à Batajnica, procédure habituelle, on nous a éjectés de

 13   l'hélicoptère, donné des coups, on nous a mis à bord d'une camionnette, un

 14   Pizgauer. On nous a amenés dans une pièce qui se trouvait dans les sous-

 15   sols où il n'y avait pas de lumière du jour, mais une lampe électrique

 16   allumée. Et là aussi il y a eu des mauvais traitements, des coups

 17   d'assénés, des chansons chetniks. Il y avait aussi la photo de Draza

 18   Mihajlovic.

 19   Le matin, lorsqu'on voulait aller aux toilettes, il fallait aller

 20   d'abord faire la bise à Draza Mihajlovic et lui dire "Bonjour, Mon

 21   Général." Une fois, il y a un Croate qui est arrivé par la suite et il a

 22   embrassé Draza sur la bouche. Le policier lui a donné des coups et lui a

 23   dit, "Ce n'est pas un pédé. Qu'est-ce que tu as à l'embrasser sur la bouche

 24   ?" Il y a eu toutes sortes de choses, toutes sortes de mauvais traitements

 25   de ce type. On ne pouvait pas dormir, on nous interpellait constamment,

 26   chacun nous posait des questions, nous donnait des coups.

 27   Il y a plein de détails, je ne sais combien vous en conter.

 28   Q.  Je vous remercie de nous avoir dit cela. Pourriez-vous nous dire où se

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  1   trouve Batajnica, s'il vous plaît ?

  2   R.  Batajnica c'est un aéroport militaire se trouvant non loin de Belgrade,

  3   c'était le plus grand des aéroports militaires. On était transféré là. Au

  4   début, nous ne savions pas où on était. On nous a dissimulé le fait que

  5   c'était Batajnica. Par la suite, on nous l'a dit. Et d'après ce que j'ai pu

  6   apprendre, nous étions dans les sous-sols d'un dispensaire sanitaire. Et

  7   comme on était assez mal en point, on nous a fait venir une femme docteur

  8   qui était originaire de Zadar, me semble-t-il. Partant de ce qu'elle avait

  9   dit, j'ai cru comprendre qu'elle travaillait à l'étage au-dessus.

 10   Il y avait de bons soldats, de bons militaires qui ne laissaient pas les

 11   autres nous battre, qui empêchaient les coups, qui savaient faire venir des

 12   médecins. Il y avait un Aco Ilic, un brave homme. Quand lui était d'équipe,

 13   personne n'osait nous taper dessus. Il y avait un certain Ivitza [phon],

 14   originaire de Slankamen, qui lui aussi était un brave homme. Il y avait des

 15   réservistes qui étaient pénibles, les réservistes plus âgés, c'est eux qui

 16   nous donnaient le plus de coups.

 17   Q.  Vous souvenez-vous si on vous a obligé à donner une autre interview

 18   télévisée à Batajnica ?

 19   R.  Oui, j'ai dû, une fois de plus. Un jour, on m'a fait venir pour

 20   une interview. Je me souviens que c'était Miroslav Lazanski qui avait

 21   conduit l'interview, c'est un commentateur très connu chez nous. Il y avait

 22   la police militaire, il y avait les caméras, et il m'a demandé comment

 23   avons-nous pu expulser les Serbes de Sabac, et j'ai dit que ce n'était pas

 24   le cas, que c'était eux qui nous avaient expulsés. Comment avons-nous, a-t-

 25   il demandé, expulsé les policiers serbes du poste de police. J'ai dit que

 26   ce n'était pas vrai. Sur 18 policiers, il y en avait 12 qui étaient Serbes.

 27   Il m'a posé d'autres questions de ce style et j'ai répondu tout à fait le

 28   contraire. Alors il a consulté ses papiers, il a regardé le policier

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  1   militaire à côté et le membre de la police militaire m'a dit, "Fais gaffe à

  2   ce que tu racontes, on se verra après l'interview." Alors je lui ai dit,

  3   mais écoutez, penchez-vous sur mes déclarations. Vous verrez que tout

  4   coïncide avec ce que je suis en train de dire maintenant.

  5   On a achevé cet entretien avec moi; et je sais que le membre de la

  6   police militaire m'a frappé à la tête devant lui, et l'autre qui était là

  7   n'a plus laissé faire, il m'a ramené en bas, au sous-sol. Cependant, avec

  8   cet enregistrement et celui d'Izetbegovic et du troisième individu qui a

  9   également été interviewé, ils ont fait une émission qui laissait entendre

 10   qu'on a égorgé des enfants serbes, qu'on a commis des crimes.

 11   Quand on a diffusé cela à la télévision, il est venu des policiers

 12   chez nous qui nous ont tabassés et qui nous ont asséné tant de coups que je

 13   ne savais plus, parce qu'on nous avait présenté comme si on était ce type

 14   de monstre qui était placé dans le contexte d'un crime commis ailleurs qui

 15   n'avait rien à voir avec nous. Mais ils ont monté les choses de la sorte,

 16   le crime aurait été commis ailleurs, à Bosanski Brod qui n'avait rien à

 17   voir avec Bosanski Samac, et c'était l'impression qu'on avait voulu

 18   laisser, et c'est la police militaire qui nous avait tabassés.

 19   Q. Avez-vous ensuite été emmené dans un autre centre de détention

 20   après Batajnica ?

 21   R.  Je suis resté à Batajnica du 3 mai au 27 mai 1992, après quoi on a été

 22   transféré dans la prison militaire de Sremska Mitrovica. Là, on était

 23   enfermé avec les gens de Vukovar. Les tortures qu'on a subies à notre

 24   arrivée dans ce camp de Sremska Mitrovica c'est vraiment le maximum des

 25   souffrances humaines.

 26   Je crois pouvoir dire qu'on nous frappait de 6 heures du soir à 3 heures du

 27   matin. On nous faisait nous mettre nus et on nous faisait nous allonger sur

 28   des tables qui étaient un peu comme des tables d'opération, et moi j'ai été

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  1   opéré aux hanches, et je l'ai dit, et c'est justement à cet endroit qu'ils

  2   donnaient l'ordre qu'on me frappe. Et une fois que c'était terminé, on me

  3   jetait dans la cellule à moitié évanoui et quand je revenais à moi on me

  4   ramenait dans la salle et on recommençait, et ainsi de suite, à plusieurs

  5   reprises. C'était la torture jusqu'à 3 heures du matin. Puis à un moment,

  6   le silence s'est fait et le capitaine, celui qu'on surnommait le capitaine

  7   Bleu Six - plus tard, j'ai découvert que c'était le chef du KOS, en tout

  8   cas c'était un Croate qui était resté dans la JNA - il nous a demandé si

  9   quelqu'un nous avait frappé. J'ai dit, "Non, personne," parce que je

 10   parlais en présence de celui qui m'avait frappé. Alors cet homme a demandé

 11   que j'enlève mes vêtements et quand je l'ai fait, il a vu les ecchymoses

 12   sur ma peau et il m'a demandé, "Quelle est votre profession ?", j'ai dit,

 13   "Je suis avocat," il a dit, "Honte à vous. Vous êtes avocat et vous avez

 14   menti." Et j'ai dit "Non, il y a des ecchymoses qui datent de Batajnica."

 15   Je ne pouvais pas avouer que c'étaient eux qui m'avaient frappé.

 16   Je sais que d'autres ont dit au capitaine Bleu Six que nous avions été

 17   frappés à Batajnica; mais dès qu'il a tourné les talons, ils se sont remis

 18   à nous frapper. Le capitaine Bleu Six a emmené un médecin qui nous a donné

 19   des espèces de cachets et des médicaments en poudre. C'était une femme qui

 20   ne pouvait pas croire les chiffres qu'elle voyait quand elle a pris notre

 21   tension, parce que pour elle, c'était incroyable, absolument inconcevable

 22   qu'un être humain puisse survivre à de telles tortures. Nous étions cinq ou

 23   six.

 24   Plus tard, j'ai appris qu'une personne dont le prénom était Simo, c'était

 25   un homme qui nous a beaucoup frappés, il nous a appelés à sortir de la

 26   cellule après cinq ou six jours, bien entendu, nous avions les mains

 27   derrière le dos et la tête baissée. Et il a dit, "On nous a dit que vous

 28   aviez égorgé des enfants serbes, et nous vous avons frappés. Mais

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  1   maintenant je vois dans les documents que vous ne l'avez pas fait, donc je

  2   ne vous frapperai plus." Mais il y en a d'autres qui ont continué à nous

  3   frapper à Sremska Mitrovica.

  4    Q.  [aucune d'interprétation]

  5   R.  Ça, c'était vraiment un problème, la nourriture. Il n'y en avait jamais

  6   assez. Le matin, il arrivait qu'ils nous apportent un peu de thé et une

  7   tranche de pain, et certaines tranches de pain étaient plus épaisses,

  8   d'autres plus fines. Il arrivait qu'entre nous, nous nous jetions les uns

  9   sur les autres pour nous battre à cause de l'épaisseur de ces tranches de

 10   pain car nous avions tout le temps faim. Et si on se battait devant les

 11   policiers militaires, ils emportaient toutes les tranches de pain qu'on

 12   avait et on avait encore plus faim. Et le soir, par exemple, il arrivait

 13   qu'ils nous apportent des macaronis, vous savez, il y avait une dizaine de

 14   macaronis dans l'assiette et très, très peu de temps après, on avait de

 15   nouveau faim.

 16   Et ce qui était intéressait, c'est qu'après tous les petits déjeuners et

 17   après tous les dîners, ils nous rouaient de coups. Ça c'était inévitable.

 18   Il y avait des gens qu'on emmenait dans la journée hors de la cellule et

 19   qui recevaient des coups mais les passages à tabac après le petit déjeuner,

 20   après le dîner, étaient réguliers et il fallait chanter des chants

 21   chetniks.

 22   Q.  -- quelques-uns des titres de ces chants chetniks ?

 23   R.  Il y avait les chants standard, "De Topola jusqu'à Ravna Gora, tous les

 24   hommes sont à Draza." Draza c'était le général dont j'ai parlé tout à

 25   l'heure, puis il y avait d'autres chants, "Allez, faisons la fête cette

 26   nuit, arrachons les yeux des Croates, le sang des Croates va couler comme

 27   de la sauce chocolat et ça, ça va nous plaire." Il y en avait qui inventait

 28   de nouvelles paroles. Il y avait aussi ce chant sur le mont Velebit. Il y a

Page 12584

  1   aussi un chant qu'on nous forçait à chanter qui disait qu'une femme

  2   musulmane déclarait que les hommes qu'elle préférait étaient des hommes

  3   serbes, et cetera. Vous savez, on nous a obligés aussi à réciter le Notre

  4   Père, et cetera.

  5   Il y avait aussi une chanson populaire qui parlait d'un oiseau que l'un

  6   d'entre eux aimait bien. Il nous ordonnait de la chanter régulièrement,

  7   c'était une chanson folklorique.

  8   Q.  Y avait-il également un chant intitulé, "Nous allons massacrer les

  9   Musulmans" ?

 10   R.  Oui, il y en avait. De toute façon, la plupart de ces chansons

 11   parlaient toujours de la même chose, "nous allons égorger, assassiner,"

 12   c'étaient des chants qui étaient interdits à l'époque du socialisme.

 13   C'étaient des chants que les Chetniks chantaient durant la Seconde Guerre

 14   mondiale, mais du temps du socialisme, si quelqu'un la chantait il était

 15   condamné à faire de la prison.

 16   Q.  Vous souvenez-vous avoir donné une audition à une chaîne de télévision

 17   britannique à l'époque ?

 18   R.  Je me souviens d'une fois. Un matin, le commandant du camp est arrivé.

 19   Il a prononcé mon nom, celui de Filip Karaul, qui était commandant de

 20   Mitnica, un quartier de Vukovar, et il a appelé le nom d'un volontaire

 21   aussi, c'était un Allemand qui avait été volontaire en Croatie. Donc il

 22   nous a fait sortir tous les trois. Lui, il était accompagné de plusieurs

 23   policiers qui avaient à la main une matraque électrique. 

 24   Il a dit : "Il va falloir que vous donniez une interview à une

 25   télévision étrangère. Moi, ce que je veux c'est que vous disiez que

 26   personne ne vous a frappés, que vous avez des bonnes conditions d'hygiène,

 27   que vous pouvez prendre un bain, que vous avez droit à la promenade, enfin,

 28   tout ce qu'exige le CICR." J'ai demandé si j'avais le droit de dire que

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  1   j'avais été frappé à Bosanski Samac. Il m'a répondu : "Fais ce que tu veux,

  2   mais je te conseillerais d'éviter de dire ça aussi, parce que ta famille

  3   est en Croatie à Rijeka, et donc ils peuvent très bien aller là-bas pour

  4   s'en prendre à elle."

  5   Je crois que c'était SkyNews qui demandait cette interview. Et là, encore

  6   une fois pendant l'interview le commandant du camp et le chef du KOS du

  7   camp étaient présents. Donc bien entendu, nos réponses ont obligatoirement

  8   concordé avec ce qu'ils avaient exigé que nous disions. Ils nous avaient

  9   bien habillés. Ils nous avaient bien coupé les cheveux pour donner une

 10   allure décente.

 11   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Nous disposons d'un extrait de cette

 12   interview. Je souhaite vous le montrer. Il s'agit du numéro 65 ter 1059.

 13   [Diffusion de la cassette vidéo]

 14   L'INTERPRÈTE : [voix sur voix] 

 15   "Une équipe de la télévision britannique "Agency News" a visité la

 16   prison de Sremska Mitrovica et tourné des images dans cette prison. Nous

 17   vous présentons cette émission.

 18   "Plus de 450 prisonniers membres de diverses formations croates, ZNG, MUP

 19   et autres se trouvent maintenant dans la prison de Sremska Mitrovica. Il

 20   s'y trouve également un groupe de Musulmans. Nous avons enregistré les

 21   déclarations de Sulejman Tihic, prisonnier désormais et ancien président de

 22   Bosanski Samac.

 23   "Tihic : Un groupe de prisonniers de Bosnie-Herzégovine, 50 d'entre nous à

 24   peu près, a fait appel aux organes de Bosnie-Herzégovine en leur demandant

 25   instamment de prendre notre situation et nos idées en considération. Nous

 26   avons proposé qu'ils libèrent des prisons militaires ou des endroits où ils

 27   se trouvent les soldats de la JNA, à peu près 25 soldats, et que la JNA

 28   s'en aille hors de Bosnie en compagnie de ceux qui se trouvent actuellement

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  1   dans le camp militaire de Sremska Mitrovica. Bien entendu, moi, en tant que

  2   président de parti, j'ai envoyé personnellement une lettre à Alija

  3   Izetbegovic, président du SDA de Bosnie-Herzégovine. J'aimerais saisir

  4   l'occasion qui m'est donnée pour une nouvelle fois faire appel à eux pour

  5   que les problèmes se règlent, que les parents, les enfants, les frères et

  6   les sœurs soient rendus à leurs familles, et que chacun sorte de prison. Il

  7   est certain que ce n'est sans doute pas facile pour eux, pas plus que ça ne

  8   l'est pour nous ici, mais je pense que le problème doit être réglé.

  9   "Le seul prisonnier en isolement est une certaine Manda bien connue qui a

 10   commis des crimes de guerre graves. La raison pour son isolement c'est

 11   aussi qu'elle est la seule femme ici. Il y a Kresimir Dzalto également,

 12   aussi un membre de la Garde nationale yougoslave."

 13   [Fin de la diffusion de cassette vidéo]

 14   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

 15   Q.  Monsieur Tihic, s'agit-il de la vidéo que nous avons évoquée ?

 16   R.  Oui. C'est la vidéo qui a été diffusée plus tard à la télévision

 17   croate. C'est à ce moment-là que ma mère et mon épouse ont vu des images de

 18   moi pour la première fois et ont donc appris que j'étais en vie, car elles

 19   habitaient à Rijeka, en Croatie.

 20   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je souhaite demander le versement au

 21   dossier de cette vidéo, s'il vous plaît.

 22   M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Quand ceci a-t-il été filmé ?

 23   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Veuillez m'accorder quelques instants,

 24   s'il vous plaît. Ceci a été filmé le 6 décembre 1994, a été saisi à ce

 25   moment-là. Je peux vous donner, si ça vous intéresse, le numéro de la pièce

 26   dans l'affaire Bosanski Samac. C'est le document P17.

 27   M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro.

 28   M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce document

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  1   aura le numéro P675. Merci.

  2   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pouvez-vous me dire, s'il vous plaît,

  3   combien de temps il me reste ?

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : Pas beaucoup. Monsieur le Greffier. A mon avis, il

  5   doit vous rester entre dix à 15 minutes, mais je vais vous le dire.

  6   Continuez. Le greffier va nous informer.

  7   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je souhaite afficher un document à

  8   l'écran, s'il vous plaît. Pardonnez-moi, le greffier doit faire deux choses

  9   à la fois. Le document est le numéro 1581. Il s'agit d'un article de presse

 10   extrait du journal "Borba" daté du 15 août 1992 et qui s'intitule, "Il n'y

 11   a que les gens ordinaires qui restent," et le nom de l'accusé est cité.

 12   Q.  Monsieur Tihic, vous souvenez-vous de cet article ?

 13   R.  J'ai donné cette interview le lendemain du tournage de l'émission à la

 14   télévision pour "Vis News", cette émission britannique. Donc l'émission

 15   c'était le 11 ou le 12, ensuite il y a eu l'interview que j'ai donnée au

 16   journaliste de Borba et qui a donné lieu à la publication de l'article que

 17   vous voyez ici. Le policier militaire m'a même apporté un exemplaire de cet

 18   article. Donc je l'avais sur moi.

 19   Q.  On y dit que Bosanski Samac est une prison extrêmement confortable.

 20   Etes-vous d'accord avec cela ?

 21   R.  Non, je ne suis pas d'accord. Une prison ne peut pas être confortable.

 22   Si, comme je l'ai déjà dit, on est neuf dans un espace de 1 mètre 20 sur 1

 23   mètre 80, 1 mètre 90 pendant huit jours avec simplement un banc sur lequel

 24   on doit tous dormir et s'asseoir.

 25   L'ACCUSÉ : [interprétation] Objection. L'Accusation parle de la prison de

 26   Bosanski Samac, mais ce n'est pas ça, c'est la prison de Sremska Mitrovica.

 27   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, c'est la prison de --

 28   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Pardonnez-moi. C'est une erreur.

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  1   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien.

  2   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Puis-je demande le versement au dossier de

  3   cette pièce, s'il vous plaît.

  4   M. LE JUGE ANTONETTI : On va donner un numéro pour cet article.

  5   Monsieur le Greffier.

  6   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera le numéro P676.

  7   Merci, Madame, Messieurs les Juges.

  8   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  9   Q.  Monsieur Tihic, combien de temps êtes-vous resté à Sremska Mitrovica ?

 10   R.  Je suis resté à Sremska Mitrovica entre le 27 mai et le 4 août, date

 11   d'un échange de prisonniers.

 12   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Monsieur le Greffier, pourriez-vous nous

 13   montrer le document 1597 à l'écran, s'il vous plaît.

 14   Q.  Monsieur Tihic, pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit ?

 15   R.  Ceci est une attestation que nous avons reçue après notre échange à

 16   Nemetin, non loin d'Osijek, et nous l'avons reçue du ministère de la

 17   Défense de la République de Croatie. J'ai été échangé en même temps que cet

 18   homme de Vukovar qui était prisonnier avec moi. Il y a eu un accord entre

 19   Panic et Gregoric, qui stipulait que l'échange aurait lieu. Et donc j'ai

 20   reçu comme tous les prisonniers du camp cette attestation.

 21   Mais là il y a une erreur, parce qu'il est écrit que j'étais à

 22   Sremska Mitrovica à partir du 18 avril. Or, le 18 avril j'ai été emprisonné

 23   à Bosanski Samac, le 18 avril 1992. Et on indique que j'ai été prisonnier

 24   jusqu'au 14 août 1992. Mais à Mitrovica j'étais depuis le 27 mai jusqu'au

 25   14 août.

 26   Q.  [aucune interprétation]

 27   M. MUSSEMEYER : -- cette pièce, s'il vous plaît.

 28   M. LE JUGE ANTONETTI : Numéro.

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  1   M. LE GREFFIER : [interprétation] Madame, Messieurs les Juges, ce sera la

  2   pièce P677. Merci.

  3   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

  4   Q.  Monsieur Tihic, pourriez-vous maintenant nous dire à quel moment vous

  5   avez été échangé, comment les choses se sont-elles passées ? J'entends

  6   entre la période où vous avez quitté la prison et le moment où vous avez

  7   été remis en liberté.

  8   R.  Voyez-vous, on ne savait pas très bien au début si les prisonniers

  9   musulmans seraient échangés. Et vingt-quatre heures avant l'échange,

 10   évidemment, on a été obligé de mettre de l'ordre dans la pièce, de

 11   nettoyer, de ranger ces espèces de matelas sur lesquels nous dormions, de

 12   préparer nos affaires. Tout ça, c'était des préparatifs en vue de

 13   l'échange.

 14   Dans la soirée du 13, ils ont commencé à appeler nos noms pour nous faire

 15   sortir des pièces dans lesquelles nous étions et nous emmener dans la cour.

 16   Alors on appelait notre nom, et on nous disait d'aller d'un côté de la

 17   cour, ensuite d'autres, on appelait leurs noms, ils devaient aller de

 18   l'autre côté, ensuite il y a encore eu un appel pour l'entrée dans les

 19   autobus. Et je me souviens que durant l'appel pour l'autobus, il y avait

 20   ces policiers sur la gauche de la porte d'entrée, et chaque fois que

 21   quelqu'un passait, clac, il recevait un coup de matraque. Puisque je

 22   voulais éviter le coup de matraque, je n'ai pas bien regardé dans quel

 23   autobus j'entrais ni comment ça se passait pour entrer dans l'autobus. Donc

 24   j'ai trébuché sur les marches qui permettaient de monter dans l'autobus, et

 25   je suis tombé en arrière et tombé sur le fusil du policier qui a pensé

 26   qu'en fait c'était de ma part une tentative d'évasion et que pour m'évader

 27   j'ai essayé de m'emparer de son arme. Mais mon siège se trouvait dans la

 28   dernière rangée de sièges dans l'autobus, et je crois que ça été bon pour

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  1   moi, parce que cela a évité que je reçoive autant de coups que les autres

  2   passagers.

  3   Nous avons pris le départ tard dans la soirée, et le voyage a duré toute la

  4   journée jusqu'à 18 heures avant que nous n'arrivions à Nemetin, qui se

  5   trouve à une distance de 150 kilomètres. On n'a pas cessé d'être frappés

  6   pendant tout le voyage. Chaque fois qu'il y avait un arrêt, les habitants

  7   de la localité montaient à bord et nous frappaient.

  8   Il y avait à bord de l'autobus un Monténégrin qui buvait de l'eau-de-

  9   vie. Et il nous frappait beaucoup. Il appelait les civils à monter à bord

 10   de l'autobus pour nous assener des coups.

 11   Quand nous sommes arrivés à Nemetin, nous étions en train d'attendre que

 12   l'échange se passe, parce que nous hésitions encore, nous n'étions pas sûrs

 13   que cet échange aurait effectivement lieu, nous ne savions pas si les

 14   Croates nous avaient tous fait venir jusque là pour réellement être

 15   échangés ou pas. Un commandant est entré dans l'autobus à un moment, il a

 16   vu les coups que nous recevions, et il a dit : "Mais vous, espèce de

 17   paysans idiots, est-ce que vous ne voyez pas que la télévision est en train

 18   de tourner des images de tous ces hommes ? Nous avons fait en sorte de ne

 19   pas les frapper les quelques dernières fois de façon à ce qu'ils ne

 20   présentent pas de nouvelles ecchymoses, de nouvelles marques, et maintenant

 21   vous leur donnez de nouvelles marques un peu partout." Et l'homme en

 22   question a répondu : "Ils ont insulté ma mère." Le commandant a exigé que

 23   nous relevions la tête, parce que nous avions l'obligation pendant tout le

 24   voyage de garder la tête entre les genoux, d'ailleurs, c'était très

 25   douloureux. Puis le commandant est descendu de l'autobus, et le policier a

 26   frappé l'homme qui se trouvait le plus près de lui. Le commandant est une

 27   nouvelle fois entré dans l'autobus, et il a insulté la mère du policier.

 28   Ce voyage était en fait constamment dans un climat d'incertitude. On a été

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  1   frappé pendant tout le voyage, il nous a fallu longtemps pour arriver à

  2   destination. Les policiers militaires disaient : "L'échange a été annulé,

  3   nous allons tous vous tuer." Mais heureusement l'échange a eu lieu. Moi,

  4   j'ai été échangé à Nemetin. Les Serbes ont emmené des prisonniers. Moi,

  5   j'ai retrouvé mon épouse, mon fils, ma sœur.

  6   Q.  -- le médecin a-t-il constaté ?

  7   R.  Oui. J'ai été examiné à Rijeka. On a fait des radios qui ont montré que

  8   j'avais une fracture de trois côtes du côté droit, et de deux côtes du côté

  9   gauche, qui avaient cicatrisé. Puis au niveau du sternum ici, cet os qui se

 10   trouve entre les côtes, il s'était fracturé, et en dessous de la dernière

 11   vertèbre, l'os qu'on a là était fracturé aussi, mais avait déjà cicatrisé

 12   entre-temps. Plus tard, j'ai dû subir une intervention chirurgicale, un

 13   remplacement du col du fémur, sans doute une conséquence des tortures

 14   subies. Il est possible aussi que le stress ait produit des conséquences,

 15   parce que j'ai fini par être atteint d'un carcinome du côlon. J'ai dû subir

 16   une intervention pour enlever cette tumeur. Mes dents de devant ont toutes

 17   été brisées, et elles ont donc été couronnées.

 18   Q.  -- toujours des conséquences de ces blessures ?

 19   R.  Je ne sais pas. Je crois pouvoir dire que j'ai repoussé cela dans le

 20   passé, et que je ne ressens pas de conséquences trop graves. Peut-être de

 21   temps en temps un souvenir qui me ramène à cette époque bien noire, mais ma

 22   vie a repris normalement, je ne vis pas de problèmes particuliers en raison

 23   de cela. Je continue à vivre en ayant foi dans une Bosnie-Herzégovine dans

 24   laquelle tous les peuples, Serbes, Croates et Musulmans pourront vivre

 25   ensemble dans l'harmonie et la coexistence pacifique. Je n'ai jamais cessé

 26   de croire à cela. D'ailleurs dans tous les camps où j'ai été enfermé, j'ai

 27   toujours trouvé des gens qui m'ont apporté leur aide et se sont opposés au

 28   mal.

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  1   Je ne fais pas partie de ceux qui auraient tendance à assimiler un

  2   peuple ou un groupe ethnique avec des crimes, autrement dit à généraliser.

  3   Je pense que nous sommes plusieurs peuples et que nous devrions vivre

  4   ensemble comme nous le faisions par le passé dans une Bosnie unifiée,

  5   c'est-à-dire dans la coexistence et la tolérance les uns vis-à-vis des

  6   autres.

  7   M. MUSSEMEYER : [interprétation] On m'a indiqué qu'il me reste quelques

  8   minutes, donc je souhaite verser au dossier quelques documents que je n'ai

  9   pas présentés.

 10   Monsieur le Greffier, est-ce que nous pouvons avoir la pièce 65 ter 4012,

 11   s'il vous plaît.

 12   Q.  Monsieur Tihic, je vous demande de bien vouloir commenter ceci. Qu'est-

 13   ce que nous y voyons ?

 14   R.  Mais ça m'a l'air d'être l'insigne des Loups gris. Je me souviens de ce

 15   membre de l'unité spéciale, à l'uniforme de plusieurs couleurs, qui est

 16   arrivé et qui a dit : les lettres ne sont pas bien placées. Parce que les

 17   "C" que vous voyez là --

 18   L'INTERPRÈTE : En fait, sont des "S" en cyrillique.

 19   LE TÉMOIN : [interprétation] On dirait là qu'ils ont le cul l'un contre

 20   l'autre, excusez-moi de parler ainsi, mais normalement ils se font face. La

 21   partie ouverte du C fait face à la partie ouverte de l'autre C, et là, ils

 22   se touchent dos à dos, donc ils sont à l'envers.

 23   M. MUSSEMEYER : [aucune interprétation]

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Veuillez donner un numéro.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Il faut donner à ce document la cote P678

 26   [comme interprété].

 27   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je souhaite montrer le document suivant

 28   qui est le numéro 65 ter 2241.

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  1   Q.  Monsieur le Témoin, je souhaite que vous nous disiez de quoi il s'agit.

  2   R.  Ici, on voit le bâtiment de ce QG de la TO avec ses fenêtres, et à

  3   gauche, un entrepôt de la Défense territoriale où nous avons été détenus,

  4   c'est une espèce d'entrepôt, cet autre bâtiment.  De ce côté-ci de la rue

  5   se trouvait le bâtiment du poste de police.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur le Greffier, un numéro.

  7   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce document aura le numéro P679. Merci,

  8   Madame, Monsieur les Juges.

  9   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Le dernier document que je souhaite

 10   montrer à l'écran est le numéro 65 ter 669. Il s'agit d'un extrait du

 11   procès-verbal de la session de la SAO de l'assemblée de Bosnie du Nord,

 12   lorsque cette session a créé l'assemblée.

 13   Q.  Monsieur Tihic, je souhaite que vous lisiez la dernière décision que

 14   vous trouvez à la page 3.

 15   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je demande de bien vouloir faire remonter

 16   ce document un petit peu, s'il vous plaît, vers le bas.

 17   Q.  Il y a là la dernière décision, je vous demande de bien vouloir la

 18   lire, s'il vous plaît.

 19   R.  Je vois la page 2, si je vois bien, mais bon. Est-ce qu'il y a une

 20   autre page, parce que vous avez parlé d'une page 3, je vois page 2 ici.

 21   Q.  Le numéro, c'est le numéro 4, le numéro d'identification. Je dispose

 22   d'une copie papier.

 23   R.  "Décision portant proclamation de la SAO de Bosnie du nord, partie

 24   inaliénable de l'Etat fédéral. Une partie des intervenants ont demandé à

 25   intervenir et à tenir des discours. Le président du parlement a clos la

 26   réunion à 18 heures et quelques, puisqu'on avait épuisé l'ordre du jour. "

 27   Et on dit : "Perisic, Nikola."

 28   M. MUSSEMEYER : [interprétation]

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  1   Q.  Monsieur Tihic, je vous demande de bien vouloir lire ceci pour les

  2   interprètes qui ne pouvaient voir le texte.

  3   R.  "Décision portant proclamation de la SAO de la Bosnie du nord en sa

  4   qualité de partie inaliénable, indissociable de l'Etat fédéral.

  5   "Une grande partie des invités et des intervenants ont demandé à prendre la

  6   parole pour tenir des allocutions aux fins de saluer l'assistance. Etant

  7   donné que l'ordre du jour a été épuisé, le président du parlement a clos

  8   ses travaux à dix-huit heures et quart.

  9   "Le président de l'assemblée, Perisic, Nikola."

 10   Q.  Monsieur Tihic, aviez-vous connaissance de cette décision, et pourriez-

 11   vous nous commenter ceci, s'il vous plaît ?

 12   R.  Oui. J'ai été mis au courant aussi au moment où la décision a été

 13   prise, c'est un acte unilatéral d'un groupe de députés du groupe ethnique,

 14   pas de tous les Serbes au niveau de l'assemblée, mais les Serbes qui

 15   étaient membres du SDS et autres qui avaient voulu être présents, cela n'a

 16   pas été conforme à la constitution parce que l'on n'a pas respecté la

 17   procédure constitutionnelle.

 18   Un territoire de la région de Doboj est déclaré comme étant un territoire

 19   serbe, comme s'il n'y résidait pas dans un nombre égal des Croates, et

 20   aussi parce que sur ce territoire on voit qu'il y a un tiers de Serbes, un

 21   tiers de Croates et un tiers de Bosniens. Mais ils se sont arrogés le droit

 22   de s'autoproclamer région autonome serbe de Bosnie du Nord et dire ce que

 23   cela allait constituer. C'est un acte anticonstitutionnel et illégal qui a

 24   également contribué à des partages et à des conflits, parce que si les

 25   Serbes s'arrogent pour eux seul le territoire entier, et ils ne sont que le

 26   tiers de la population, il est normal que les autres peuples en présence ne

 27   sauraient accepter la chose.

 28   Vous verrez cela selon l'appellation qui est utilisée, et on voit aussi que

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  1   les autres dispositions sont discriminatoires, donc c'est une décision type

  2   qui est de celles qui ont été adoptées dans d'autres régions de la Bosnie-

  3   Herzégovine où on a cherché à s'arroger des territoires, où il n'y avait

  4   pas que des Serbes, il y avait aussi d'autres groupes ethniques, en se

  5   référant aux principes qui les arrangeaient. Si c'est une majorité

  6   démographique, on parle de "majorité démographique." Si jadis, avant la

  7   Deuxième Guerre mondiale, ils étaient majoritaires, on se réfère à ce

  8   principe, en disant avant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait une

  9   majorité tant. Alors ou on disait aussi où il y avait un Serbe ou une tombe

 10   serbe, c'était une terre serbe, et ainsi de suite.

 11   Bien entendu, on s'arrogeait, à chaque fois, plus qu'il ne fallait, de

 12   façon tout à fait illégale et contraire à la constitution. Et d'une

 13   certaine façon, ils ont nié le système constitutionnel mis en place en

 14   Bosnie-Herzégovine, nié les lois, les institutions en place en proclamant

 15   la création de leurs propres institutions, et de la sorte cela générait des

 16   conflits.

 17   R.  Merci, Monsieur Tihic.

 18   M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Quelle est la date de cette

 19   proclamation ?

 20   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Ce n'est pas inscrit.

 21   LE TÉMOIN : [interprétation] Ici, on voit la date du 14 novembre.

 22   M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Merci.

 23   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Je demande le versement au dossier, s'il

 24   vous plaît.

 25   M. LE GREFFIER : [interprétation] Ce sera la pièce le numéro P680.

 26   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Ceci conclut --

 27   L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai une petite objection, Madame, Messieurs

 28   les Juges, au sujet de la question posée par M. Harhoff. Je dirais que

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  1   cette a du sens parce que c'est en 1991, c'est le 14 novembre 1991, et il

  2   est dénué de sens de lui demander de donner lecture de la dernière partie

  3   où on dit que la SAO reste une partie indissociable de la République

  4   socialiste fédérative de Yougoslavie, de la SRFY, et non pas de la

  5   République fédérale de Yougoslavie, qui elle, a été créée en 1992.

  6   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous êtes bien d'accord, 14 novembre 1991, le

  7   document ?

  8   LE TÉMOIN : [interprétation] Je suis d'accord, c'était la RSFY à l'époque.

  9   M. LE JUGE ANTONETTI : Très bien. Bien.

 10   Monsieur le Procureur, vous avez terminé l'interrogatoire principal; c'est

 11   bien ça ?

 12   M. MUSSEMEYER : [interprétation] Tout à fait. Merci, Madame, Messieurs les

 13   Juges, c'était ma dernière question.

 14   M. LE JUGE ANTONETTI : Nous allons faire 20 minutes de pause, on reprendra

 15   à 12 heures 20, ensuite nous irons jusqu'à 1 heures 15, et M. Seselj

 16   commencera le contre-interrogatoire.

 17   --- L'audience est suspendue à 12 heures 03.

 18   --- L'audience est reprise à 12 heures 21.

 19   M. LE JUGE ANTONETTI : Bien, l'audience est donc reprise.

 20   Je donne la parole à M. Seselj, qui va commencer son contre-

 21   interrogatoire.

 22   Contre-interrogatoire par M. Seselj :

 23   Q.  [interprétation] Monsieur Tihic --

 24   M. LE JUGE ANTONETTI : Un conseil aux deux intervenants.

 25   Monsieur le Témoin, vous attendez que M. Seselj ait fini de poser sa

 26   question avant de répondre, parce que sinon il y a un chevauchement des

 27   voix. Monsieur Seselj, faites aussi attention à cela.

 28   Allez-y, Monsieur Seselj.

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  1   M. SESELJ : [interprétation]

  2   Q.  Monsieur Tihic, au travers de cette destinée tragique et pénible que

  3   vous nous avez relatée et que j'ai déjà eu l'occasion de lire dans vos

  4   déclarations précédentes, je voudrais savoir si au fil de tout ceci vous

  5   avez eu à connaître des gens qui s'étaient présentés comme étant des

  6   volontaires du Parti radical serbe, des hommes à Seselj, ou est-ce que

  7   c'est quelqu'un d'autre qui vous les a pointés du doigt en disant, ce sont

  8   les hommes à Seselj ? Je n'ai pu retrouver ce type de renseignement nulle

  9   part dans vos déclarations.

 10   R.  J'ai dit que j'ai rencontré des gens qui se présentaient comme étant

 11   des Chetniks, et qui avaient d'ailleurs l'air d'être des Chetniks, qui

 12   avaient cette apparence, et vous, vous étiez le chef politique de ce parti

 13   qui avait promu la chose. Moi, personne ne s'est présenté à moi en disant

 14   que c'était un homme à Seselj, ils se sont présentés comme étant des

 15   Chetniks.

 16   Q.  Mais le Parti radical serbe, selon ce que vous en savez, était-ce le

 17   seul à avoir affirmé le mouvement chetnik-serbe, soit en Serbie ou en

 18   Bosnie-Herzégovine ?

 19   R.  Ce n'est pas le seul, mais vous avez personnellement affirmé cela vous-

 20   même dans une mesure considérable.

 21   Q.  Donc pour bien interpréter la chose, vous saviez que j'étais un Chetnik

 22   éminent, mais personne des gens que vous avez rencontrés ne s'était

 23   présenté comme étant un homme de Seselj, et non plus personne ne vous l'a

 24   indiqué comme étant des hommes à Seselj ? Qu'on fasse une différence, une

 25   distinction entre les Chetniks.

 26   R.  [aucune interprétation]

 27   Q.  Bien. Est-ce qu'on s'était connu à l'époque de nos études à la faculté

 28   de droit à Sarajevo ?

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  1   R.  Je ne m'en souviens pas.

  2   Q.  Vous, vous êtes un juriste.

  3   R.  Moi, je suis né en 1951.

  4   Q.  Je suis né en 1954. Je pense vous avoir trouvé à la faculté une fois

  5   arrivé, mais peu importe. Vous êtes un juriste. Vous avez été juge, vous

  6   avez été procureur, vous avez été avocat, et maintenant vous êtes un homme

  7   politique notoirement connu.

  8   Lorsque vous avez été cité à comparaître par le bureau du Procureur

  9   de La Haye pour témoigner pour l'Accusation dans le procès diligenté à mon

 10   encontre, n'avez-vous pas trouvé cela quelque peu étrange ? Est-ce que vous

 11   vous êtes posé la question de savoir ce que vous pourriez bien témoigner

 12   contre moi ?

 13   R.  Oui, je me suis posé la question de savoir ce que je pourrais dire en

 14   témoignage, et je me suis dit que je pouvais témoigner au sujet des

 15   circonstances de mon séjour dans mon camp, au sujet de la situation

 16   politique à l'époque dans cette ville, dans cette municipalité en Bosnie-

 17   Herzégovine et en Yougoslavie.

 18   Q.  Dans mon contre-interrogatoire, je me propose de procéder à une

 19   inversion. Nous allons d'abord parler de vos expériences en matière de

 20   détention au camp, parce que je dois reconnaître que d'une certaine façon

 21   c'est ce qui m'a affecté et touché le plus, si je puis m'exprimer ainsi. 

 22   Vous savez, en homme politique, vous savez qu'il y a des

 23   associations, plusieurs associations d'ex-détenus en Bosnie-Herzégovine ?

 24   R.  Oui.

 25   Q.  Et ces ex-détenus ont publié pas mal de récits, de confessions

 26   personnelles, et c'est assez tragique à chaque fois, n'est-ce pas ?

 27   R.  Oui.

 28   Q.  On va en rester à ce qui s'est passé avec vous, parce qu'à l'époque

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  1   vous n'étiez pas coupable de ce qui se passait ailleurs, n'est-ce pas.

  2   Alors est-ce que vous pensez que je suis coupable et responsable de tout ce

  3   qui s'est passé à vous concernant ce camp de détention à Sremska Mitrovica,

  4   à Batajnica et ainsi de suite ?

  5   R.  Vous, en personne ? C'est la politique qui est coupable. Vous avez été

  6   l'un de ceux à avoir promu cette politique, de cette exclusion ethnique, de

  7   ce partage de la Yougoslavie et de la Bosnie-Herzégovine.

  8   Q.  Mais saviez-vous en application de la réglementation en vigueur en RSFY

  9   que la police militaire avait des ingérences uniquement vis-à-vis des

 10   prisonniers de guerre, et qu'elle était responsable de la mise en œuvre de

 11   cette réglementation pour ce qui est d'installer ou d'assurer un

 12   gardiennage, les conditions d'hébergement, et cetera.

 13   R.  Probablement est-ce le cas.

 14   Q.  Vous souvenez-vous qui est-ce qui à l'époque se trouvait être chef du

 15   service de Sécurité au sein de la JNA ?

 16   R.  Je ne suis pas très certain.

 17   Q.  Est-ce que vous avez entendu parler du général Aleksandar Vasiljevic ?

 18   R.  Oui, j'ai entendu parler de lui.

 19   Q.  Il était chef de la sécurité de la Région militaire de Sarajevo à

 20   l'époque. Le saviez-vous ?

 21   R.  Ce, je ne le savais pas.

 22   Q.  Lorsque vous vous trouviez dans ces prisons ou ces camps de détention,

 23   appelons-les comme on veut, en sus de la police militaire il y avait à

 24   chaque fois des officiers chargés de la sécurité, le Kosovo, comme vous

 25   l'avez dit ?

 26   R.  Il y avait un dénommé Petrovic à Brcko qui était chef de la sécurité du

 27   KOS. J'en ai rencontré un à Batajnica, un commandant, et à Sremska

 28   Mitrovica il y avait Plavi Cest, qui était le chef du KOS.

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  1   Q.  Et c'est eux qui ont géré votre destinée, votre sort ?

  2   R.  Oui et ceux qui étaient à côté d'eux.

  3   Q.  Je ne dis pas que c'est bon, mais comme ça s'est produit, essayons de

  4   voir comment et pourquoi ça s'est produit. Est-ce que la politique d'un

  5   parti d'opposition peut être considérée comme étant coupable, ou c'est le

  6   parti au pouvoir ? Vous savez que le collaborateur du général Vasiljevic,

  7   dont le nom vous a dit quelque chose, qui était à l'époque colonel, ensuite

  8   le général Simeon Tumanov, ensuite le colonel de l'époque, général ensuite

  9   Branko Gajic, et le général Mile Babic qui se trouvait être chef de la

 10   sécurité militaire dans la 1ère Région militaire.

 11   Avez-vous entendu parler de ces noms ?

 12   R.  J'ai entendu parler de ce Tumanov. Il est, je pense, venu à Samac. Les

 13   autres je ne les connais pas.

 14   Q.  C'est lui qui avait organisé les échanges à Samac.

 15   R.  Il me semble. Je ne suis pas sûr.

 16   Q.  Bien. Vous savez qu'il y avait un parti politique qui a été créé par

 17   les généraux. Il s'appelait la Ligue des communistes, Mouvement pour la

 18   Yougoslavie ?

 19   R.  Je m'en souviens.

 20   Q.  Est-ce que vous avez quels étaient les objectifs fondamentaux de ce

 21   parti ?

 22   R.  Je ne saurais vous le dire à présent. Je peux supposer qu'il s'agissait

 23   de la préservation de la Yougoslavie.

 24   Q.  Oui, mais sous des conditions particulières. Leur planning était de

 25   faire chuter les directions nationalistes, tant en Serbie qu'en Croatie

 26   qu'en Bosnie-Herzégovine, à savoir Milosevic, Tudjman et Izetbegovic, et

 27   avec l'aide étrangère reconstruire une Yougoslavie où ils joueraient un

 28   rôle prépondérant en prenant l'exemple sur Tito. Est-ce que c'était à peu

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  1   près l'idée qu'ils avaient défendue ?

  2   R.  Je ne peux pas vous le confirmer. Je ne suis pas sûr.

  3   Q.  Quand vous ne savez pas ou que vous ne pouvez pas confirmer, on va tout

  4   de suite de l'avant. Je ne vais pas insister outre mesure, et je ne vais

  5   pas tirer de votre part des informations que vous n'êtes pas en mesure de

  6   nous fournir. Alors, saviez-vous que c'étaient des communistes orthodoxes,

  7   comme on le dit, ces officiers chargés de la sécurité militaire ?

  8   R.  Oui.

  9   Q.  Etaient-ce les communistes les plus éminents de l'armée ?

 10   R.  Oui, la règle voulait que c'était justement eux à jouer un rôle,

 11   comment dirais-je, qui veillait à la pureté de l'idée.

 12   Q.  Communiste ?

 13   R.  Oui.

 14   Q.  Est-ce que vous ne pensez pas qu'il est surprenant que ces communistes

 15   extrémistes ou orthodoxes, en vous gardant dans des prisons, fassent ou

 16   manifestent des éléments chetniks, vous incitent à chanter des chants

 17   chetniks, qui ne sont pas chetniks, qui sont horribles, mais qui vous ont

 18   paru être chetniks ? Parce que les chansons qui parlent de tuer, d'égorger,

 19   et cetera, c'est plutôt les supporteurs aux matchs de foot qui chantaient

 20   cela.

 21   R.  Ça, ça a été chanté dans tous les camps.

 22   Q.  Non, moi je ne nie pas ce fait. Ce qui est surprenant, c'est qu'en

 23   présence de ces officiers de la sécurité, on vous fasse chanter ce type de

 24   chansons.

 25   R.  Moi, je n'en revenais pas. Je n'arrivais pas à y croire. Je me souviens

 26   qu'à Mitrovica, j'étais en train de nettoyer quelque chose et je voyais la

 27   photo du camarade Tito. J'étais content de voir sa photo par rapport à tout

 28   ce que j'avais pu voir, ils avaient encore la photo du président Tito.

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  1   Q.  Mais vous, on vous a constamment battu, on vous a obligé à chanter des

  2   chansons chetniks et à embrasser, comme vous nous l'avez dit, la photo de

  3   Draza Mihajlovic, n'est-ce pas ?

  4   R.  Je pense que ce n'était pas une photo, on avait dessiné Draza

  5   Mihajlovic.

  6   Q.  Peu importe.

  7   R.  Oui. C'était exact ?

  8   Q.  Que pensez-vous de l'intention ? Vous êtes un intellectuel, vous êtes

  9   un homme politique. Il y avait une intention derrière tout cela. Ce n'était

 10   pas fortuit.

 11   R.  J'étais surpris de voir que cela ait pu pénétrer, percer au sein de la

 12   JNA. Parce que nous avions pensé, pendant deux ou trois années au départ,

 13   que c'était l'armée conjointe, et notamment les jeunes. J'ai été surpris de

 14   voir les jeunes avoir autant de haine parce que je m'appelais Sulejman et

 15   qu'on me batte rien que pour cela.

 16   Je sais que mes enfants -- nos enfants, on les a éduqués d'une façon

 17   à l'école et à la maison. Et maintenant, voir ceci se produire dans des

 18   prisons comme, par exemple, à l'aéroport de Batajnica, voir l'image de

 19   Draza Mihajlovic ?

 20   Q.  Voilà ma thèse. On vous a battu sans pitié, on a forcé à outrance

 21   l'appartenance chetnik pour que vous attribuiez cela aux Chetniks. En

 22   réalité, c'étaient des officiers du KOS, à savoir de la sécurité militaire,

 23   qui étaient des communistes invétérés.

 24   Je l'affirme. Est-ce que j'ai raison de le dire, Monsieur

 25   Tihic ?

 26   R.  Il y a eu toutes sortes de combinaisons qui étaient présentes. Il me

 27   semble que dans la JNA il y avait des gens qui s'efforçaient de nous

 28   protéger, des officiers, je m'en souviens, indépendamment de l'appartenance

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  1   ethnique. Il y avait probablement de ceux qui avaient rejoint les

  2   mouvements nationalistes.

  3   Q.  Monsieur Tihic, ceux qui cherchaient à vous protéger le faisaient de

  4   leur propre initiative, parce que c'était personnellement de braves gens.

  5   R.  Oui, probablement était-ce de braves gens, mais ils devaient le faire

  6   sans cela, même.

  7   Q.  Ne pensez-vous pas que le général Vasiljevic était au courant de ce qui

  8   se passait avec vous à Sremska Mitrovica et Batajnica ?

  9   R.  Il était chef des services de renseignements. Il devait le savoir.

 10   Q.  Il était chef de la sécurité, c'est plus haut placé. C'est ce qu'on

 11   appelait le contre-espionnage à l'époque. Donc vous êtes d'accord avec moi

 12   pour penser et dire qu'il devait le savoir ?

 13   R.  Je pense que oui.

 14   Q.  Il n'a pas bougé du petit doigt pour empêcher la chose, n'est-ce pas ?

 15   L'INTERPRÈTE : Les interprètes sauraient gré à M. Seselj de ne pas crier

 16   autant.

 17   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, moins fort parce que les

 18   interprètes ont un problème.

 19   L'INTERPRÈTE : Le problème, c'est que le témoin, on augmente le volume pour

 20   l'entendre, et M. Seselj explose nos tympans.

 21   M. SESELJ : [interprétation]

 22   Q.  Monsieur Tihic, vous avez témoigné dans le procès contre M. Milosevic ?

 23   R.  Oui.

 24   Q.  Ne savez-vous pas que dans l'acte d'accusation contre Milosevic, il y a

 25   eu plusieurs personnes d'énumérées à avoir à ses côtés prétendument

 26   participé à une entreprise criminelle commune ?

 27   Les médias l'ont publié, j'imagine que ça a été le cas de la Bosnie.

 28   R.  Je ne sais pas. Maintenant vous énumérez tous ceux qui ont été énumérés

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  1   à ses côtés, mais je sais que ça a été dit dans les médias.

  2   Q.  Mais il y a bon nombre de noms retentissants. Parmi ces noms il y avait

  3   Aleksandar Vasiljevic, vous en souvenez-vous ?

  4   R.  Je n'arrive pas à m'en souvenir. Cela se peut.

  5   Q.  Dans l'un des actes d'accusation dressés à mon encontre, il n'y a pas

  6   eu de nom d'Aleksandar Vasiljevic, mais ça, j'imagine que vous ne le savez

  7   pas. Mais ne pensez-vous pas qu'il soit étrange que le bureau du Procureur

  8   de La Haye n'ait jamais mis en accusation le général Vasiljevic pour sa

  9   participation à la perpétration de crimes de guerre ?

 10   R.  Je ne sais pas trop. Je ne sais pas quels ont été les motifs qui ont

 11   animé le bureau du Procureur de La Haye. Je sais qu'il y a pas mal de gens

 12   qui auraient dû comparaître devant ce Tribunal.

 13   Q.  Mais voyez-vous, lorsqu'on se penche sur les comportements vis-à-vis

 14   des prisonniers de guerre, c'était lui le plus

 15   responsable ?

 16   R.  Probablement, lui et ses supérieurs.

 17   Q. Il n'y avait personne au-dessus de lui. Il n'y avait que le ministre.

 18   R.  Mais n'y avait-il pas le chef d'état-major ?

 19   Q.  Non. Pour autant que je sache, il était chef des services de sécurité

 20   du ministère de la Défense. C'est au-dessus de l'état-major principal.

 21   R.  Je ne connais pas la structure.

 22   Q.  Vous savez que Kadijevic était ministre de la Défense ?

 23   R.  Ça, je le sais.

 24    Q.  Saviez-vous que le bureau du Procureur de La Haye, ce même général

 25   Vasiljevic, à plusieurs reprises, il l'a cité à comparaître en tant que

 26   témoin de l'Accusation dans bon nombre d'autres

 27   affaires ?

 28   R.  Je ne le sais pas.

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  1   Q.  Le Procureur le sait fort bien. Je ne vais pas m'y attarder outre

  2   mesure.

  3   Vous nous avez dit à plusieurs reprises qu'il y a eu une agression

  4   d'organisée contre la Bosnie-Herzégovine. Qui est-ce qui a organisé cette

  5   agression ?

  6   R.  L'agression contre la Bosnie-Herzégovine est l'œuvre de la JNA.

  7   Q.  Comment la JNA peut-elle organiser une agression contre la Bosnie-

  8   Herzégovine alors que la Bosnie-Herzégovine à l'époque était partie

  9   intégrante de la Yougoslavie ?

 10   R.  Parce que la JNA s'était placée au service de la politique Grande-

 11   Serbie et que c'est partant de ces instructions-là qu'il y a eu agression

 12   contre la Bosnie-Herzégovine. Il y avait cinq corps d'armée qui s'y

 13   trouvaient, et les unités qui sont retirées de la Slovénie, celles qui sont

 14   retirées de la Croatie et la JNA a été placée au service de ce projet de la

 15   Grande-Serbie, et les armes ont été confisquées à la Défense territoriale.

 16   Q.  Monsieur Tihic, c'est un slogan politique, j'espère que vous en êtes

 17   conscient vous-même. La JNA n'a pas été au service de la Grande-Serbie. La

 18   JNA voulait préserver la Yougoslavie, et comme elle n'a pas pu préserver la

 19   Slovénie, elle a voulu garder les autres républiques. Et quand elle n'a pas

 20   pu garder dans les rangs de la Yougoslavie la Croatie, elle a voulu garder

 21   dans la Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine, la Serbie, la Macédoine et le

 22   Monténégro.

 23   Jamais personne au sein de cette JNA n'a parlé de la Grande-Serbie;

 24   ai-je raison ?

 25   R.  Si vous vous en souvenez, ça n'a jamais été dit officiellement, mais le

 26   plan RAM, c'était un plan de l'armée, de la JNA, et c'était un plan qui a

 27   porté sur la Grande-Serbie.

 28   Q.  Monsieur Tihic, ce plan est une invention du Tribunal de La Haye, du

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  1   Procureur du Tribunal. Vous ne l'avez jamais vu vous-même ?

  2   R.  Je n'ai jamais été en position, les autres probablement l'ont vu.

  3   Q.  Mais vous ne l'avez pas vu lorsque vous êtes devenu un haut responsable

  4   de la Bosnie-Herzégovine ?

  5   R.  Je n'ai jamais vaqué à des questions militaires de façon intensive pour

  6   savoir ce qui s'était passé auparavant.

  7   Q.  Mais attendez. Nous sommes des hommes sérieux, lorsque nous faisons des

  8   déclarations à des endroits sérieux, il faut que nous fassions des

  9   déclarations qui se fondent sur quelque chose, n'est-ce pas ? Enfin, oui,

 10   on va faire des pauses. Les interprètes sont à bout.

 11   Je vais parcourir plusieurs de vos déclarations et nous allons avoir encore

 12   demain l'occasion de parler de tous ces sujets-là plus en détail.

 13   Vous avez déjà dit que le 17 avril, il y a eu une attaque de lancée sur

 14   Samac. Alors comment Samac a-t-il pu être attaqué, il s'y trouvait une JNA,

 15   il y avait un 17e Groupe tactique qui était déployé là; il y a eu création

 16   d'un 4e Détachement, qui était prévu pour être une unité de la Défense

 17   territoriale sous la coupe de la JNA; ai-je raison de le dire ? Donc c'est

 18   une forme d'organisation qui était celle de la Défense territoriale avec

 19   des gens du terrain, mais sous la coupe stricte de la JNA ?

 20   R.  Ce n'était pas la TO; c'était une unité faisant partie de la JNA.

 21   Q.  Bon. Mais ne saviez-vous pas qu'au cas où la JNA interviendrait avec

 22   ses opérations sur un territoire, toutes les unités de la TO étaient

 23   incorporées dans les rangs de ses troupes, c'était le concept de la défense

 24   populaire généralisée.

 25   R.  C'était logique quand il s'agissait d'un ennemi de l'extérieur.

 26   Q.  Alors pourquoi s'attaqueraient-ils à Samac alors qu'ils sont déjà à

 27   Samac et qu'ils ont tout entre leurs mains.

 28   R.  Tout d'abord, ils se sont attaqués à la ville de Bosanski Samac; et

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  1   d'après moi, ils voulaient assumer un contrôle plein et entier vis-à-vis de

  2   la ville, notamment du pont, révoquer les autorités élues du moment et tout

  3   remettre entre les mains de la partie serbe.

  4   Q.  Mais il n'y a pas eu d'attaque ?

  5   R.  Ils voulaient sécuriser ce fameux corridor qui les rattachait à la

  6   Serbie, parce que c'était important sur le plan géographique et c'était

  7   important, parce qu'il y avait là un port fluvial, il y avait un pont, une

  8   voie ferrée, la frontière, et cetera.

  9   Q.  Et il y avait un danger qui ouvrait la possibilité aux forces croates

 10   d'accéder à la Bosnie ?

 11   R.  Oui, le côté serbe disait qu'on pouvait voir l'histoire de Bosanski

 12   Brod se reproduire.

 13   Q.  Ça s'est passé à Bosanski Brod ?

 14   R.  Oui.

 15   Q.  Etes-vous au courant du village de Sijekovac, où des forces de Croatie

 16   ont perpétré un massacre vis-à-vis des civils serbes, plus de civils serbes

 17   ? En avez-vous entendu parler ?

 18   R.  J'ai entendu parler de Sijekovac et du crime, je ne sais pas qui est-ce

 19   qui l'a commis.

 20   Q.  Mais on a dit que c'était des forces croates qui étaient venus de

 21   Croatie, parce qu'à l'époque les Musulmans n'ont pas commis de crimes ?

 22   R.  Les Musulmans n'ont jamais été un facteur prépondérant sur le plan

 23   militaire, il y avait surtout des Croates, puis ensuite des Serbes, et

 24   ensuite nous.

 25   M. LE JUGE HARHOFF : [interprétation] Monsieur Tihic, je vais vous donner

 26   un petit conseil. Si vous regardez l'écran du compte rendu, vous voyez

 27   qu'il y a du texte qui s'affiche lorsque vous parlez. Puisque c'est la

 28   traduction, voilà ce qui s'affiche. Vous le voyez, je pense. S'il vous

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  1   plaît, ne répondez pas à la question avant que le curseur ne se soit

  2   arrêté. Quand le curseur s'est arrêté, cela signifie que la traduction

  3   anglaise est terminée et que le sténotypiste a tout noté. Donc vous pouvez

  4   répondre à ce moment-là.

  5   M. SESELJ : [interprétation]

  6   Q.  Monsieur Tihic, il n'a pas pu y avoir d'attaque, parce qu'il n'y a pas

  7   eu de conflit à Sabac, n'est-ce pas ? La JNA est tout simplement sortie

  8   avec ses véhicules, avec ses moyens de combat dans les rues, n'est-ce pas ?

  9   R.  Ils sont entrés dans Bosanski Samac sans que les instances au pouvoir

 10   le sachent et qu'elles l'approuvent. Ils ont d'abord tiré en l'air, puis

 11   ils ont tiré vers des installations, ils ont désarmé la police en place.

 12   Ils sont entrés dans toutes les institutions publiques et ils ont remis

 13   l'autorité --

 14   Q.  Ils ont reçu des informations qui étaient justifiées, disant que vous

 15   aviez déjà créé un commandement de la ville ainsi qu'un détachement de la

 16   Défense territoriale avec 212 membres de cette TO dont ne faisait partie

 17   que pratiquement des Musulmans. Il n'y avait que six Croates, et les

 18   autres, c'étaient tous des Musulmans, n'est-ce pas ?

 19   R.  Ça a été un projet de liste de la part des Bosniens et des Musulmans

 20   qui se déclaraient disposés à faire partie de la Défense territoriale de

 21   Bosanski Samac.

 22   Q.  Mais vous avez disposé d'armes, vous avez dit vous-même que vous aviez

 23   50 fusils automatiques et des armes de chasse, et vous aviez quelque 200

 24   kilos d'explosifs, n'est-ce pas ?

 25   R.  Attendez, 50 fusils automatiques, j'ai dit qu'on les déjà déposés au QG

 26   de la Défense territoriale. Ces fusils, ils n'ont pas pu être distribués.

 27   Ils ont été confisqués dès que la JNA est entrée dans Bosanski Samac.

 28   Q.  Mais votre Défense territoriale était illégale, parce que vous vous

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  1   êtes conformés aux instructions de la direction politique à Sarajevo ?

  2   R.  Ce n'était pas illégal. Le QG de la Défense territoriale était légal.

  3   Q.  Ce QG que vous avez créé ?

  4   R.  C'est le QG de la république au niveau de la TO qui a nommé Marko

  5   Bozanovic, et Alija Fitozovic pour être chef, Bozanovic était commandant,

  6   lui, du QG de la TO.

  7   Q.  Mais en partant de quel fondement juridique a-t-on nommé ce

  8   commandement de la TO de la ville Bosanski Samac ?

  9   R.  Ce n'était pas un commandement.

 10   Q.  Mais attendez. Dans le document que le Procureur nous a montré, on dit

 11   bien "commandement de la ville."

 12   Q.  C'est ce qui est écrit, mais c'était des gens qui étaient préoccupés

 13   par leur avenir, et ils avaient voulu lancer une initiative, dans le cadre

 14   des instructions légales du QG de la Défense territoriale, la création

 15   d'une unité de la TO. Ils se sont portés volontaires pour participer. Les

 16   Croates et les Serbes étaient censés donner quelques milliers de noms.

 17   Q.  Ne saviez-vous pas que les unités de la Défense territoriale ne

 18   pouvaient exister qu'en coopération avec la JNA; et que, en dehors de la

 19   JNA, il ne pouvait pas y avoir d'unités de la Défense territoriale ?

 20   R.  Ça, je n'en ai pas connaissance. La Défense territoriale relevait des

 21   compétences de la république et la JNA relevait des compétences de la

 22   fédération.

 23   Q.  Ça, Monsieur Tihic, c'était en vigueur jusqu'en 1997. En 1987, ça a été

 24   modifié. C'était quelques années avant la guerre.

 25   R.  Je ne pense pas.

 26   Q.  Monsieur Tihic --

 27   R.  Je ne connais pas toutes ces réglementations, mais je pense savoir que

 28   les Défenses territoriales relevaient des compétences des républiques.

Page 12612

  1   Q.  C'est un expert qui vous parle, Monsieur Tihic, en 1987, l'état-major

  2   de la JNA est devenu l'état-major des forces armées, la présidence de la

  3   RSFY a pris sur soi le commandement de la Défense territoriale aussi et non

  4   pas seulement de la JNA, et en application des ordres émis par la

  5   présidence de la RSFY en 1990, il y a prise des armes des entrepôts de la

  6   Défense territoriale, parce que la présidence de la RSFY a conclu, suite à

  7   une proposition émanant de l'état-major général, qu'il était dangereux de

  8   voir ces directions des républiques et avoir autant d'attributions vis-à-

  9   vis de la Défense nationale, il fallait que la Défense nationale soit

 10   unifiée. Ne le saviez-vous pas ?

 11   R.  Je ne me souviens pas de tous ces détails tels que vous les énoncez. Je

 12   sais que la JNA a pris les armes dans les entrepôts de la Défense

 13   territoriale. Je sais qu'il y a eu un ordre de ce genre. Je ne sais pas qui

 14   a donné cet ordre, est-ce que la présidence, est-ce le ministère ou l'état-

 15   major, je ne sais pas.

 16   R.  La presse a publié dans son ensemble que cela était conforme à une

 17   décision prise par la présidence de la République socialiste fédérative de

 18   Yougoslavie ?

 19   R.  Il devait y avoir un document approprié.

 20   Q.  Le Procureur a tous ces documents, mais on ne vous les a pas montrés

 21   malheureusement à l'occasion de votre récolement. Bon.

 22   On a constaté de quelle façon la JNA a pris contrôle à Samac, vous avez dit

 23   qu'un massacre avait été commis à Supina, alors qu'en fait il ne s'agit que

 24   de rumeurs, car une enquête a été faite à ce sujet, au moment du procès de

 25   ce qu'on appelle le procès du groupe de Samac, procès intenté à Blagoje

 26   Simic et consorts, et rien n'a été prouvé. On n'a pas trouvé la moindre

 27   trace de crimes, de massacre, on n'a pas trouvé de cadavres, rien; il n'a

 28   pas été établi non plus quelle était l'identité de ceux qui auraient pu

Page 12613

  1   avoir été tués là.

  2   R.  Monsieur Seselj, tout cela a été prouvé et démontré. Le crime a été

  3   commis sous les yeux de centaines de personnes dans le camp qui se trouvait

  4   là-bas, dans les entrepôts de l'usine Bosanka, et nous connaissons les gens

  5   qui ont été tués, nous savons combien de temps a duré cette entreprise de

  6   liquidation. Ça, c'est ce que je peux vous dire. Les restes humains de ces

  7   personnes ont été incinérés. Le fait que ces cadavres ont été incinérés et

  8   ne peuvent pas être récupérés, c'est une autre question. Mais le crime a eu

  9   lieu, des Serbes, des Musulmans et des Croates et tout le monde peut vous

 10   en parler. Donc ce n'est pas la peine de le nier.

 11   Q.  Mais comment se fait-il que le Tribunal de La Haye n'a pas été en

 12   mesure de prouver que ce massacre a effectivement eu lieu ?

 13   R.  Je pense qu'il l'a prouvé. Il a démontré que ce massacre avait eu lieu

 14   parce qu'il y a des gens des trois groupes, même des trois groupes

 15   ethniques, qui ont vu les choses sur place.  Il s'est agi d'une entreprise

 16   de liquidation menée en public devant un camp de prisonniers, devant 16, 18

 17   personnes, ou je ne sais pas combien exactement. Il y a des noms et des

 18   prénoms de ces personnes qui existent. Donc n'essayez pas de le nier. C'est

 19   quelque chose qui est bien connu.

 20   Q.  Mais je vous interroge simplement. Je ne nie rien du tout. J'attends

 21   une réponse de votre part parce que vous, vous êtes au courant, je n'étais

 22   pas sur place et je n'ai rien vu de tout cela de mes yeux. Ça n'a pas

 23   d'importance, avançons.

 24   Vous avez dit que le conflit n'aurait jamais éclaté s'il n'y avait pas eu

 25   intervention de l'extérieur, notamment de Belgrade  -- ou plutôt de la

 26   partie serbe et de la JNA. Toutefois, je suis sûr que vous savez à quel

 27   point les Croates de votre municipalité s'étaient armés et combien d'armes

 28   ils ont reçu de Croatie, n'est-ce pas ?

Page 12614

  1   R.  J'ai dit qu'en Bosnie-Herzégovine, le conflit n'aurait jamais éclaté si

  2   les Serbes, les Croates et les Musulmans de Bosnie avaient été sollicités

  3   pour apporter leurs solutions, et que les conflits dans toute l'histoire

  4   éclate quand il y a intervention de l'extérieur, ingérence des environs, et

  5   je ne parle pas que des Serbes, je parle des conflits qui ont eu lieu

  6   durant les guerres mondiales, et également de guerres régionales.

  7   Pour être précis, quand nous parlons de cette dernière guerre, il y a eu

  8   ingérence et intervention encore plus intensive de la part des Serbes. Je

  9   ne souhaite pas nier qu'il y ait eu intervention de la partie croate, mais

 10   la Serbie a été plus interventionniste encore parce qu'elle possédait une

 11   armée, à savoir la JNA. C'est la raison pour laquelle les Serbes se sont

 12   comportés comme ils l'ont fait. Ils savaient qu'ils avaient ce qu'il

 13   fallait derrière eux.

 14   Q.  Mais quel a été le rôle de la JNA en dehors de tenter de préserver la

 15   Yougoslavie ? La JNA n'a pas joué d'autre rôle, n'est-ce pas ?

 16   R.  Je pense que d'une certaine façon, plus ou moins, elle a participé au

 17   projet de la création de la Grande-Serbie.

 18   Q.  C'est ce que vous pensez. Vous n'avez aucune preuve, aucun élément pour

 19   le démontrer. Monsieur Tihic, vous n'avez jamais entendu dire qu'un Serbe

 20   aurait défendu la Grande-Serbie publiquement, en dehors de moi, n'est-ce

 21   pas ?

 22   R.  Vous, vous préconisez et vous défendez vos points de vue à haute et

 23   intelligible voix.

 24   Q.  Je le fais aujourd'hui aussi.

 25   R.  Peut-être d'autres personnes ne l'ont-elles pas fait aussi

 26   officiellement ou aussi fort que vous, mais elles l'ont fait.

 27   Q.  Je n'ai jamais entendu parler de quelqu'un d'autre qui aurait dit des

 28   choses comme ça.

Page 12615

  1   R.  Vous êtes le plus cohérent de ce point de vue.

  2   Q.  Si d'autres parlent de cette façon, je ne les ai pas entendus.

  3   R.  Ils travaillent à la réalisation de ce projet.

  4   Q.  Monsieur Tihic, le conflit en Bosnie-Herzégovine a eu lieu alors que

  5   les trois partis nationaux ont commencé à se diviser, à défendre des points

  6   de vue différents ?

  7   R.  Non, pas après cela. Ces partis étaient ceux qu'il valait le moins la

  8   peine d'interroger au sujet de quoi que ce soit, et les Bosniens ont été

  9   sollicités le moins de tous. Nous souhaitions éviter les conflits, nous.

 10   Q.  Vous avez déclaré vous-même, en tant que Musulman, que vous souhaitiez

 11   adopter l'expression "Bosnien" en 1993 déjà ?

 12   Mme LE JUGE LATTANZI : Il y a un retard d'au moins trois questions et trois

 13   réponses dans l'interprétation.

 14   LE TÉMOIN : [interprétation] Non, ce n'est pas ainsi que ça s'est passé. Le

 15   mot "Bosnien" est un terme ancien. Nous l'avons réadopté. Il est utilisé

 16   depuis des centaines d'années.

 17   Q.  Monsieur Tihic, le mot "Bosnien" est une étiquette qui désigne des gens

 18   qui vivaient en Bosnie. Puisque je suis né en Bosnie, je suis aussi

 19   Bosniaque que vous.

 20   L'ACCUSÉ : [interprétation] Nous allons ralentir, et j'espère que nous

 21   parviendrons à la fin.

 22   Q.  Alors, j'ai autant le droit de m'appeler "Bosniaque" que vous. Est-ce

 23   que vous savez que je suis né à Sarajevo ?

 24   R.  Je sais que vous êtes né en Bosnie-Herzégovine. Peut-être en

 25   Herzégovine, peut-être même à Sarajevo.

 26   Q.  Je suis né à Sarajevo. J'espère que vous croyez que je sais où je suis

 27   né.

 28   R.  Je pense que vous êtes originaire d'Herzégovine.

Page 12616

  1   Q.  Je suis né dans la maternité de Sarajevo à l'hôpital. Est-ce que j'ai

  2   le même droit que vous de me désigner sous le nom de "Bosniaque" ?

  3   R.  Tout le monde a le droit de se désigner sous le nom qu'il veut.

  4   Q.  Mais ce droit ne représente aucune affiliation ethnique.

  5   R.  Le mot "Bosnien" désigne une affiliation ethnique, mais pas une

  6   appartenance à un territoire déterminé.

  7   Q.  Mais c'est ce mot qui a été réutilisé en 1991 ?

  8   R.  Non, ce n'est pas exact. Cela fait des centaines d'années que ce terme

  9   est utilisé.

 10   Q.  Mais des gens ont utilisé ce terme pour désigner une nation. Votre

 11   président Alija Izetbegovic lui-même a utilisé ce terme pour désigner son

 12   appartenance à la communauté musulmane.

 13   R.  Les gens se désignaient soit comme Croates, soit comme Serbes, soit

 14   comme indéterminés, soit comme Yougoslaves, mais pendant très longtemps

 15   personne ne pouvait se désigner officiellement comme appartenant au groupe

 16   musulman.

 17   Q.  Bon. Vous avez dit que la JNA a organisé le 4e Détachement du 17e Groupe

 18   tactique, et vous avez dit qu'au sein de ce détachement se trouvait

 19   également des Musulmans. Est-ce que la JNA voulait que tous les Musulmans

 20   entrent dans ce genre de détachement de façon à ce que les hommes musulmans

 21   en âge de porter les armes puissent s'acquitter de leur devoir militaire ?

 22   R.  Je ne sais pas. Je ne suis pas au courant s'agissant de ces

 23   détachements.

 24   Q.  Mais vous savez que la JNA s'est efforcée de mobiliser dans toute la

 25   Bosnie, et que ce sont surtout les Serbes qui ont répondu à ces appels de

 26   mobilisation, les Musulmans en nombre bien inférieur, et les Croates

 27   pratiquement aucun ?

 28   R.  Nous n'avons pas eu beaucoup d'enthousiasme à répondre à ces appels,

Page 12617

  1   parce que nous n'étions pas favorables à une participation de notre part à

  2   la guerre qui menaçait. Nous ne voulions pas participer à la réalisation

  3   d'une politique visant à créer la Grande-Serbie, parce que la JNA avait

  4   déjà montré ce qu'elle souhaitait faire de ce point de vue.

  5   Q.  Monsieur Tihic, les trois partis nationaux, le SDA qui regroupait les

  6   Musulmans, le Parti d'Action démocratique donc, puis le SDS, Parti

  7   démocratique serbe qui regroupait les Serbes, et l'Union démocratique

  8   croate, lors des élections qui ont eu lieu à la fin de l'année 1990, ont

  9   œuvré ensemble pour renverser le régime communiste et créer un gouvernement

 10   de coalition, n'est-ce pas ?

 11   R.  C'est exact. Avant tout, ce qu'ils souhaitaient, c'était le

 12   renversement du gouvernement communiste.

 13   Q.  Et comme le système électoral était très complexe, il fallait voter

 14   séparément pour les listes serbes, croates et musulmanes, par exemple, au

 15   niveau des élections présidentielles en Bosnie-Herzégovine. Donc les trois

 16   partis se sont mutuellement apporté leur soutien. Le SDS a appelé les

 17   Serbes à voter pour Alija Izetbegovic et Fikret Abdic, qui étaient les

 18   candidats du SDA, et le SDA a appelé la population à voter pour Biljana

 19   Plavsic et l'autre candidat serbe, n'est-ce pas ?

 20   R.  Lorsque les gens ont voté pour les élections présidentielles, ils ont

 21   voté sur des lignes ethniques. En d'autres termes, ils ont voté pour les

 22   partis représentant les groupes ethniques. Il est vrai qu'on les avait

 23   aussi appelés à voter mutuellement pour le groupe auquel il n'appartenait

 24   pas.

 25   Q.  Ceci s'est fait parce que le scrutin était proportionnel, et donc on

 26   votait séparément pour les Croates, les Serbes et les Musulmans, n'est-ce

 27   pas ?

 28   R.  Oui, et vice versa.

Page 12618

  1   Q.  Donc les liens entre les trois partis nationaux étaient si forts qu'ils

  2   ont réussi à écarter les communistes du pouvoir. Est-ce que j'ai raison de

  3   dire ça ?

  4   R.  Ils ont travaillé de concert pour écarter les communistes du pouvoir.

  5   Q.  Et à ce moment-là, les trois partis ont créé un gouvernement de

  6   coalition, n'est-ce pas ?

  7   R.  Et ce gouvernement a pu gouverner aussi longtemps que la guerre n'a pas

  8   éclaté en Croatie, n'est-ce pas ?

  9   R.  Le gouvernement a travaillé à peu près jusqu'à --

 10   Q.  Jusqu'à la fin 1991 ?

 11   R.  Oui, jusqu'à la fin 1991, début 1992, et jusqu'au référendum qui est le

 12   moment où les députés SDS du parlement se sont retirés de l'assemblée de

 13   Bosnie-Herzégovine et du gouvernement.

 14   Q.  Donc jusqu'au référendum sur l'indépendance; c'est bien

 15   ça ?

 16   R.  Oui, jusqu'à la date du 28 février et du 1er mars 1992, qui sont les

 17   dates du référendum.

 18   Q.  Est-ce que vous êtes au courant du fait qu'un tel référendum qui porte

 19   sur la question-clé du statut de la Bosnie-Herzégovine ne pouvait être

 20   organisé que suite à une consultation des trois groupes ethniques, des

 21   représentants des trois populations ?

 22   R.  La décision d'organiser un référendum s'est faite en application d'une

 23   procédure parlementaire. La majorité des représentants serbes étaient

 24   opposée à ce référendum. Tous les membres du SDS, tous les députés du SDS

 25   ont voté contre le référendum, mais ce référendum était totalement légal,

 26   organisé en vertu des lois et dans le respect de la constitution, et il

 27   aurait été préférable de lui apporter son appui. C'est ce qu'aurait dû

 28   faire les députés du SDS, mais ils ont quitté l'assemblée au lieu de cela.

Page 12619

  1   Q.  Monsieur Tihic, vous êtes avocat. Vous êtes juriste. Vous connaissez la

  2   constitution de Bosnie-Herzégovine. Est-ce que les trois peuples, les

  3   Serbes, les Croates et les Musulmans - ce sont les mots qui sont utilisés

  4   pour les désigner dans la constitution - est-ce que l'ordre de désignation

  5   de ces trois populations ne change pas régulièrement dans la constitution

  6   de façon à respecter une égalité entre eux ? Est-ce que ces trois peuples

  7   ne sont pas des peuples constitutifs ?

  8   R.  Oui, ils sont des peuples constitutifs.

  9   Q.  Qu'est-ce que ça veut dire "peuple constitutif" ? Cela veut dire que

 10   chacun des trois peuples est un élément constitutionnel qui doit se dire

 11   favorable à une quelconque modification de la constitution si celle-ci doit

 12   avoir lieu. Donc il ne peut pas y avoir amendement de la constitution sans

 13   l'agrément de ces trois groupes constitutifs.

 14   R.  Toutes les organisations internationales, la communauté internationale

 15   dans son ensemble, a accepté le référendum comme étant légal. Plus de 64 %

 16   des habitants de Bosnie-Herzégovine ont voté pour l'indépendance.

 17   Q.  Monsieur Tihic, un nombre très important de pays dans le monde a

 18   reconnu le Tribunal comme une institution légale, même s'il ne l'est pas.

 19   Donc le fait que quelqu'un qui se trouve à l'extérieur, à l'étranger,

 20   reconnaît ce qui a été fait légal ne signifie pas que tel est bien le cas,

 21   car à l'Occident il y a très peu des gens qui comprennent véritablement

 22   bien les spécificités de la théorie yougoslave et cette notion de peuple

 23   constitutif.

 24   R.  Avant tout, je pense que ce Tribunal est légal. Il a été créé par les

 25   Nations Unies, et la question des peuples constitutifs en Bosnie-

 26   Herzégovine et de l'égalité de peuple constitutif a été résolue d'une

 27   manière déterminée dans la constitution communiste ou socialiste, je ne

 28   sais pas comment il faut l'appeler, et d'une autre manière suite aux

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  1   accords de Dayton. Selon la constitution de l'époque, le référendum était

  2   légal.

  3   Q.  Monsieur Tihic, le référendum n'était pas légal, car même la

  4   constitution de la Bosnie-Herzégovine n'a pas été modifiée dans le respect

  5   des conditions à respecter pour modifier une constitution.

  6   R.  Jusqu'à cette date-là, la constitution n'avait pas été modifiée.

  7   Q.  Elle l'a été immédiatement après.

  8   R.  Après la déclaration d'indépendance, il y a eu effectivement un certain

  9   nombre de modifications.

 10   Q.  Ce que je vais vous dire, c'est la chose suivante : le statut de peuple

 11   constitutif est avant tout une formulation juridique qui empêche qu'un

 12   peuple prenne le dessus sur un autre. Donc il y a une constitution qui

 13   empêche que deux des peuples constitutifs s'unissent contre les intérêts du

 14   troisième. Car aucun de ces trois peuples n'avait la majorité absolue en

 15   Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ? Les Musulmans étaient, disons, 42 %, les

 16   Serbes 30 % et quelque, les Croates, si je ne me trompe, 17 %, enfin, les

 17   chiffres ne sont pas le plus important. Ce qui importe le plus, c'est que

 18   la constitution garantissait l'impossibilité pour deux peuples de s'unir

 19   contre le troisième afin d'imposer leur volonté. La constitution, qui

 20   voulait maintenir l'égalité entre les peuples, exigeait que toute question

 21   liée au statut des peuples de Bosnie-Herzégovine soit résolue avec l'accord

 22   plein et entier des trois groupes constitutifs. Est-ce que j'ai raison de

 23   dire ça ?

 24   R.  Le référendum n'était pas une élection nationale, et 64 % des votants

 25   se sont exprimés en faveur de l'indépendance. Combien d'entre eux étaient

 26   Musulmans, Croates ou Serbes, je ne sais pas.

 27   Q.  Mais c'est précisément ce que la constitution interdisait. Car la

 28   constitution n'aurait pas fait mention des peuples constitutifs, elle

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  1   n'aurait pas stipulé quelles étaient les formes d'associations, de

  2   regroupements de ces peuples, elle n'aurait parlé que de citoyens si le

  3   concept de groupe constitutif ou de peuple constitutif n'avait pas été

  4   capital dans le cadre de la constitution.

  5   Et ceci était fait pour que dans certaines villes il n'y ait pas des

  6   votes qui aillent à l'encontre d'autres votes au moment des élections dans

  7   tout le pays. Souvenez-vous du vote qui a eu lieu en Bosnie-Herzégovine

  8   avec présentation de différents candidats et les membres d'une communauté

  9   votant pour les candidats de l'autre communauté, si une majorité de Serbes

 10   votaient pour une disposition et que la majorité des Musulmans votaient

 11   pour cette même disposition et que les Croates votaient pour cette

 12   disposition.

 13   Alors c'est seulement dans ces conditions que l'indépendance pouvait

 14   être déclarée, acceptée par vote.

 15   R.  Aucun des instruments légaux en vigueur ne prévoyait que les peuples

 16   constitutifs votent chacun de son côté, le vote ne concernait que les

 17   citoyens dans leur individualité, tous les instruments juridiques étaient

 18   destinés à protéger les peuples constitutifs de Bosnie-Herzégovine et ils

 19   ont été utilisés, et le référendum a été adopté en application des lois et

 20   constitution en vigueur.

 21   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, par ses questions, affirme que le

 22   référendum était illégal. Ce n'est pas la première fois qu'il le dit et il

 23   vous l'a redit.

 24   Vous-même, vous êtes un juriste, alors moi, ce que je voudrais

 25   savoir : est-ce que la constitution permettait un référendum nonobstant la

 26   question des trois peuples constitutifs ? Est-ce qu'un référendum était

 27   possible par la constitution ?

 28   LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, il était possible d'organiser un

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  1   référendum dans le respect de la constitution pour autant que l'assemblée

  2   de Bosnie-Herzégovine le décide et qu'elle le fasse après application de la

  3   procédure en vigueur, ce qui a été fait d'ailleurs, c'est suite à cette

  4   procédure que le référendum a été décidé.

  5   M. SESELJ : [interprétation]

  6   Q.  Monsieur Tihic, la constitution ne permettait pas de modifier les

  7   dispositions de la constitution par voie de référendum, n'est-ce pas ? La

  8   constitution déterminait de façon très stricte les conditions dans

  9   lesquelles il était possible de changer la constitution, et il n'était pas

 10   possible de changer la constitution par voie référendaire, n'est-ce pas ?

 11   Est-ce que j'ai raison ?

 12   R.  Non.

 13   Q.  Quelles sont les dispositions dans la constitution qui autorisent une

 14   modification de la constitution par voie

 15   référendaire ?

 16   R.  La constitution n'a pas été modifiée par voie référendaire. Le vote a

 17   porté sur le fait de savoir si les citoyens de Bosnie-Herzégovine étaient

 18   favorables à une Bosnie-Herzégovine indépendante et souveraine. Et c'est

 19   là-dessus qu'ils ont voté. Le référendum n'avait rien à voir avec des

 20   dispositions particulières de la constitution.

 21   Q.  Mais la constitution a été violée, car dans les premières dispositions

 22   de la constitution, on lit de la façon la plus claire qu'il soit, que la

 23   République socialiste de Bosnie-Herzégovine, en tant qu'Etat souverain - et

 24   là nous voyons que les peuples sont souverains, les peuples constitutifs -

 25   fait partie de la République fédérative socialiste de Yougoslavie en tant

 26   qu'élément à pied d'égalité avec les autres éléments constitutifs de cette

 27   fédération. Est-ce que ma définition est bonne ?

 28   R.  Non.

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  1   Q.  Donnez-moi la vôtre si elle est meilleure.

  2   R.  L'assemblée a rendu sa décision sur l'organisation du référendum. Le

  3   référendum a été organisé dans le respect des réglementations et lois en

  4   vigueur. Le référendum est totalement légal et si quelqu'un considérait que

  5   par l'organisation de ce référendum il y avait violation de la constitution

  6   il aurait pu porter plainte devant la cour constitutionnelle en disant que

  7   le référendum était anticonstitutionnel.

  8   On peut passer vous et moi la journée à discuter pour dire l'un que le

  9   référendum était légal et l'autre, qu'il ne l'était pas, je me souviens

 10   très bien de l'époque de la Commission Badinter, il y en avait qui étaient

 11   pour ce que disait cette commission et d'autres qui disaient le contraire.

 12   Vous, vous considérez que le référendum n'est pas légal, la Commission

 13   Badinter l'a jugé légal.

 14   Si vous considériez que le référendum n'était pas légal, vous auriez dû

 15   porter plainte devant la cour constitutionnelle. Seule la cour

 16   constitutionnelle pouvait se prononcer.

 17   Q.  Nous savons bien quels sont les gens malveillants que nous avons face à

 18   nous, des membres de la Commission Badinter, d'autres qui se trouvent dans

 19   d'autres enceintes.

 20   Moi, j'insiste pour défendre ce que prévoyait la constitution et pas pour

 21   défendre ce que disent des étrangers qui n'ont même pas lu la constitution

 22   en question. Mais vous, les Musulmans et les Croates, quand vous vous êtes

 23   posé la question de savoir si vous souhaitiez l'indépendance et que les

 24   Serbes vous disaient --

 25   M. LE JUGE ANTONETTI : Monsieur Seselj, vous faites référence à la

 26   Commission Badinter et vous dites "les étrangers qui n'ont pas lu leur

 27   constitution." Bon, c'est énorme ce que vous dites.

 28   Monsieur le Témoin, est-ce que vous pensez que les membres de cette

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  1   commission n'avaient pas lu la constitution de votre pays parce que c'est

  2   ce qu'il dit, M. Seselj.

  3   LE TÉMOIN : [interprétation] La Commission Badinter est une commission

  4   d'experts, de juristes, qui a passé en revue toutes les dispositions de la

  5   constitution de la RSFY et de la Bosnie-Herzégovine et de toutes les autres

  6   républiques et elle a déterminé que les républiques étaient habilitées pour

  7   rendre une décision sur l'indépendance et que la façon de le faire était de

  8   passer par un référendum et c'est ce qui s'est fait. La Commission Badinter

  9   était composée d'experts en droit qui connaissaient parfaitement bien les

 10   dispositions juridiques de la constitution de la RSFY et de la Bosnie-

 11   Herzégovine.

 12   M. SESELJ : [interprétation]

 13   Q.  Donc vous, les Musulmans, vous décidez que vous voulez l'indépendance;

 14   les Croates décident qu'ils veulent l'indépendance; et les Serbes décident

 15   aussi, par référendum, qu'ils veulent rester au sein de la Yougoslavie,

 16   qu'ils avaient vécu au sein de la Yougoslavie jusqu'à ce moment-là et

 17   qu'ils souhaitaient continuer à vitre au sein de la Yougoslavie à l'avenir;

 18   et vous qui souhaitez l'indépendance, vous n'avez qu'à vous séparer et à

 19   obtenir votre indépendance.

 20   Est-ce qu'il est clair pour vous que les Serbes ne pouvaient pas autoriser

 21   une imposition, une domination de cette nature et qu'en voulant exercer

 22   cette domination, vous avez provoqué une sanglante guerre civile ?

 23   R.  Non, ce n'est pas ce qui s'est passé. J'ai dit que les citoyens avaient

 24   voté au référendum dans le respect de la constitution. Mais toutes les

 25   autres conditions préalables qui ont mené à la guerre, depuis la

 26   proclamation de régions autonomes serbes, des Krajina, des municipalités

 27   serbes un peu partout, la remise en cause de la JNA, tout cela s'est passé

 28   déjà bien avant le référendum. Donc cette situation était préalable au

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  1   référendum, et elle était due précisément à la politique de Grande-Serbie,

  2   et au fait que toute la Bosnie-Herzégovine, voire simplement quelques

  3   parties de la Bosnie-Herzégovine, devraient faire partie de cette Grande-

  4   Serbie.

  5   Q.  Mais vous, vous avez défendu la politique de Muhamed Filipovic et de

  6   Zulfikarpasic. Vous avez appuyé la déclaration de Belgrade qui voulait que

  7   la Serbie reste ce qu'elle était ?

  8   R.  Je n'ai jamais appuyé le parti de Zulfikarpasic ou de Filipovic.

  9   C'était un petit parti politique de Bosnie-Herzégovine qui s'efforçait

 10   d'empêcher la guerre sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Nous, nous

 11   étions favorables à ce que la Yougoslavie continue à vivre en tant que

 12   fédération ou confédération dans laquelle toutes les républiques auraient

 13   dû continuer à exister.

 14   Q.  Bien. Demain, nous poursuivrons ce débat intéressant. Pour l'instant,

 15   il ne nous reste que quelques minutes. S'agissant de cette unité --

 16   M. LE JUGE ANTONETTI : Vous avez raison. On va poursuivre demain, parce

 17   qu'il est quasiment l'heure de terminer. Pour votre information, Monsieur

 18   Seselj, je vous indique que vous avez utilisé 45 minutes.

 19   Monsieur le Témoin, comme vous le savez, vous êtes témoin de la justice

 20   puisque vous avez prêté serment. Et mieux que quiconque vous savez que vous

 21   n'avez plus de liens maintenant à avoir avec le bureau du Procureur, ce qui

 22   fait que je vous invite à ne pas vous entretenir au cours de la journée de

 23   cette affaire avec quiconque puisque maintenant vous êtes sous témoignage.

 24   Donc nous aurons le plaisir de vous retrouver demain à 8 heures 30, et

 25   soyez rassuré, M. Seselj terminera son contre-interrogatoire. Il y aura des

 26   questions supplémentaires peut-être, et les Juges vous poseront des

 27   questions. Donc normalement votre audition se terminera demain.

 28   Je souhaite à tout le monde une bonne fin de journée, et nous nous

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  1   retrouverons donc, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, demain à 8 heures

  2   30.

  3   Je vous remercie.

  4   --- L'audience est levée à 13 heures 14 et reprendra le jeudi 4

  5   décembre 2008, à 8 heures 30.

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