LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge David Hunt
M. le Juge Mohamed Bennouna

Assistée de :
Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier

Décision rendue :
18 octobre 2000

LE PROCUREUR

c/

BLAGOJE SIMIC
MILAN SIMIC
MIROSLAV TADIC
STEVAN TODOROVIC
SIMO ZARIC

_____________________________________________________________

DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS D’ASSISTANCE JUDICIAIRE DE LA PART DE LA SFOR ET D’AUTRES ENTITÉS

_____________________________________________________________

Le Bureau du Procureur :

Mme Nancy Paterson

Les Conseils de la Défense :

M. Slobodan Zecevic pour Milan Simic
MM. Igor Pantelic et Novak Lukic pour Miroslav Tadic
M. Deyan Ranko Brashich pour Stevan Todorovic
MM. Borislav Pisarevic et Aleksander Lazarevic pour Simo Zaric

 

I. INTRODUCTION

1. La présente Chambre de première instance du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le «Tribunal international») est saisie d’une «Notification de la Requête aux fins d’assistance judiciaire» (la «Requête»), déposée le 24 novembre 1999 par le conseil de l’accusé Stevan Todorovic (la «Défense»). Il s’agit d’une requête en vue d’obtenir une ordonnance de la Chambre de première instance enjoignant à la Force de stabilisation (la «SFOR ») ou à d’autres forces militaires et forces de sécurité agissant sur le territoire de Bosnie-Herzégovine de présenter à la Défense des documents et des témoins concernant l’arrestation de l’accusé ainsi que son transfert de sa résidence en République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) à la base aérienne de Tuzla en Bosnie -Herzégovine, événements qui se seraient tous les deux produits entre les 26 et  28 septembre 1998 et ce, en vue de les utiliser comme éléments de preuve lors de l’audience relative à la légalité de cette arrestation actuellement contestée devant la Chambre de première instance.

2. Le 8 décembre 1999, le Bureau du Procureur (l’«Accusation») a déposé sa réponse portant objection à la mesure sollicitée et a affirmé que la Requête et la procédure y afférente concernant la légalité de l’arrestation ne sont «rien d’autre qu’une partie de “pêche aux informations” juridique». La Défense a déposé une réplique le 13 décembre 1999.

3. Le 7 mars 2000, en réponse à une requête supplémentaire de la Défense aux fins d’obtenir de l’Accusation des documents similaires, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance enjoignant à l’Accusation de communiquer copie des rapports et autres documents pertinents, y compris l’identité de diverses personnes impliquées dans le transport et l’arrestation de l’accusé à la base aérienne de Tuzla. Parallèlement , la Chambre de première instance a exigé de la Défense qu’elle l’informe des démarches entreprises pour obtenir les documents et les pièces de la SFOR.

4. Le 8 mai 2000, l’Accusation s’est acquittée de son obligation de communiquer lesdits documents, après avoir, sans succès, interjeté appel de l’ordonnance. L’Accusation n’a fourni qu’un rapport d’une page concernant l’arrestation de l’accusé, rapport préparé par M. Ole Brøndum, enquêteur qui a procédé à l’arrestation le 27 septembre  1998. L’Accusation affirme n’avoir en sa possession ou sous son contrôle aucun des documents mentionnés, à l’exception de ce rapport.

5. Les 20 mars et 12 mai 2000, la Défense a précisé les démarches entreprises directement auprès de la SFOR en vue d’obtenir les documents. Elle a soumis la copie d’une lettre datée du 24 mars 2000, par laquelle le colonel James M. Coyne du Bureau du Conseiller juridique de la SFOR refusait de fournir les documents sollicités et affirmait : «la SFOR estime donc que le TPIY n’est pas en droit de lui ordonner de communiquer quelque information que ce soit».

6. La Chambre de première instance a ensuite ordonné que la Requête soit signifiée à la SFOR. Une audience a été fixée au 23 juin 2000 et la SFOR a été informée qu’elle pouvait déposer une réponse écrite à la Requête et être entendue sur celle-ci. Le  5 juin 2000, la Défense a déposé un «Mémoire des points de droit avancés par la Défense pour démontrer que la compétence du TPIY s’étend à la SFOR». Le 16 juin  2000, la SFOR a sollicité une prorogation du délai de dépôt de sa réponse écrite à la Requête. Le 21 juin 2000, la Chambre de première instance a annulé l’audience et ordonné à la SFOR de présenter, le 28 juin 2000 au plus tard, les motifs de sa requête aux fins de report. La SFOR a déposé une lettre le 28 juin 2000 affirmant que la Requête soulevait «des points de droit qui exigent un examen minutieux et une coordination rigoureuse de la part de la SFOR et du SHAPE»1. L’Accusation et la Défense ont répondu à cette lettre respectivement les 30 juin  et 3 juillet 2000.

7. Le 7 juillet 2000, la Chambre de première instance a fait droit à la demande de prorogation de délai formulée par la SFOR et a reporté l’audience relative à la Requête au 25 juillet 2000. Le 10 juillet 2000, la SFOR a déposé une réponse écrite à la Requête ; les parties ont ensuite déposé des écritures complémentaires , respectivement les 17 et 25 juillet 2000 et le 1er août 2000 s’agissant de la Défense et le 31 juillet 2000 s’agissant de l’Accusation. Le 25 juillet 2000, la Défense a précisé la mesure demandée et a inclut pour la première fois une requête aux fins d’assistance judiciaire adressée aux États-Unis d’Amérique.

8. Une audience relative à la Requête a été tenue publiquement le 25 juillet 2000 , à laquelle la SFOR n’a pas comparu.

II. LES ARGUMENTS DES PARTIES

A. La Défense

9. La Défense soutient qu’elle est en droit de solliciter une assistance en vue de la production d’éléments de preuve concernant les faits et les circonstances de l’arrestation dont il est fait état et de la détention de l’accusé. Elle souhaite notamment obtenir2 :

a) la comparution de la personne ou des personnes qui ont transporté l’accusé par hélicoptère jusqu’à la base aérienne de Tuzla ;

b) la comparution de la personne qui a arrêté l’accusé et signifié le mandat d’arrêt  ;

c) la production des bandes audio et vidéo de l’arrestation et de la détention initiales de l’accusé à la base aérienne de Tuzla, enregistrées le 27 septembre 1998 ;

d) les rapports d’opération de la SFOR antérieurs et postérieurs à l’arrestation et concernant la capture et la détention de l’accusé.

10. Dans son mémoire du 25 juillet 20003, la Défense précise en détail les mesures qu’elle sollicite :

i) une ordonnance et injonction de produire adressée au général commandant de la SFOR et concernant les pièces suivantes :

a) tous les rapports d’opérations, antérieurs ou postérieurs à l’arrestation, concernant la capture, l’enlèvement et l’arrestation de l’accusé, y compris les ordres en matière de mouvements de personnel ;

b) les ordres, autorisations et carnets de bord relatifs aux mouvements de véhicules , notamment des hélicoptères ayant servi à ces opérations ;

c) les rapports de terrain, rapports d’opérations, comptes rendus de mouvements, rapports d’état-major, notes, procès verbaux et mémorandums concernant la capture , l’enlèvement et l’arrestation de l’accusé ;

d) les enregistrements vidéo ou audio de la capture, de l’enlèvement et de l’arrestation de l’accusé ;

e) les ordres de paiement en faveur de membres de la SFOR et de tiers, ainsi que les preuves de tels paiements ;

f) les noms, grades et numéros matricules des membres du personnel de la SFOR ayant participé à la capture, l’enlèvement et l’arrestation de l’accusé et

g) les noms et dernières adresses connues de personnes extérieures à la SFOR ayant participé à la capture, l’enlèvement et l’arrestation de l’accusé ;

ii) une injonction à comparaître adressée au général Shinseki, général commandant de la base aérienne de Tuzla ainsi qu’aux membres du personnel de la SFOR ayant participé à la capture, l’enlèvement et l’arrestation de l’accusé et

iii) une demande aux fins d’assistance judiciaire adressée aux États-Unis d’Amérique concernant les mêmes pièces.

11. En se fondant sur l’arrêt rendu par la Chambre d’appel du Tribunal international dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic4, la Défense affirme5 que les membres de la SFOR peuvent être contraints à comparaître. L’accusé ayant été transféré de la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (la «RFY») en Bosnie -Herzégovine, l’arrivée d’un hélicoptère quelques minutes à peine après un message radio demandant qu’il soit transporté à la base aérienne de la SFOR à Tuzla démontrerait la participation de la SFOR à l’enlèvement dont il est fait état6.

12. La Défense ajoute qu’elle a décrit les documents et les pièces sollicités de manière suffisamment précise pour satisfaire aux critères fixés par l’arrêt Blaskic rendu par la Chambre d’appel. Cette Requête n’est pas d’une exécution excessivement laborieuse et l’on pourrait accorder un délai suffisant.

13. En outre, la Défense prétend que, même si la SFOR à proprement parler n’est pas soumise à la compétence du Tribunal international, les différents États membres restent, en revanche, responsables et tenus de remplir les obligations attachées à leur statut de membres des Nations Unies et doivent par conséquent coopérer avec le Tribunal international. La Défense soutient que la Chambre de première instance n’a pas à déterminer si la compétence du TPIY s’étend à la SFOR, en tant qu’entité car il va sans dire que la compétence du TPIY s’étend aux membres constitutifs de celle-ci7. La Défense fait remarquer que dans sa résolution 1088 adoptée le 12 décembre 1996 et portant création de la  SFOR8, le Conseil de sécurité «souligne que cette coopération sans réserve avec le Tribunal international suppose notamment que les États et les Entités défèrent à ce dernier toutes les personnes inculpées et lui fournissent des informations pour l’aider dans ses enquêtes».

B. L’Accusation

14. L’Accusation se fonde sur les arguments relatifs à la légalité de l’arrestation qui ont été soulevés dans des écritures précédentes déposées au cours de la procédure 9. Fondamentalement, l’Accusation affirme que :

a) la Requête n’établit aucun début de présomption justifiant un examen judiciaire  ;

b) aucune irrégularité entourant les circonstances de l’arrestation de l’accusé, pour autant qu’elle existe, ne justifierait les mesures demandées.

15. L’Accusation soutient que «certaines lois internationales ne lient pas des institutions internationales ?...g» car, d’une part «certaines lois internationales ont pour seul objet de réglementer la conduite des États entre eux et ne s’appliquent nullement aux institutions internationales» et car, d’autre part, «dans l’exercice légitime de ses fonctions, le Tribunal dispose de pouvoirs supérieurs aux intérêts traditionnels [...] touchant à la souveraineté des États»10. Pour prouver le bien-fondé de la légalité de l’arrestation, l’Accusation fait remarquer que la compétence ratione loci du Tribunal international s’étend à tout le territoire de l’ex-Yougoslavie et qu’il n’existe aucun fondement permettant d’exciper d’une violation de la souveraineté. En outre, l’arrestation de personnes en exécution d’un mandat d’arrêt valable et délivré par le Tribunal international ne saurait constituer une violation de la souveraineté ; s’il n’en était pas ainsi, les enquêtes , la mise en accusation de tout accusé, la tenue d’audiences et la détention de personnes accusées, toutes ces questions constitueraient également une violation de la souveraineté11. La Charte des Nations Unies permet expressément au Tribunal international d’entreprendre des actions qui, si elles étaient conduites par un État, constitueraient une atteinte à la souveraineté d’un autre État.

16. L’Accusation affirme qu’aucun élément de preuve crédible n’a été présenté qui indiquerait que les membres du Bureau du Procureur ou de toute autre institution , dont la SFOR, ont violé les droits de l’accusé. L’Accusation qualifie la requête de «pêche aux informations» et demande à la Chambre de première instance de rejeter non seulement la requête mais aussi les contestations sous-jacentes de la légalité de l’arrestation12.

17. L’Accusation ajoute que les opérations d’arrestation menées par la SFOR «impliquent manifestement de graves problèmes de sécurité et d’autres risques pour les États concernés, notamment pour la vie des membres du personnel impliqués. On peut aisément comprendre le souhait des États et des forces concernées de maintenir le plus haut degré de confidentialité s’agissant des détails opérationnels de ces activités»13 ?Traduction non officielleg. La Défense a contesté cette affirmation au motif que l’Accusation ne représente pas les intérêts de la SFOR en la matière14.

C. La SFOR

18. Dans son mémoire du 10 juillet 2000 (le «Mémoire de la SFOR»)15, la SFOR fait valoir que : i) la divulgation de faits supplémentaires est inutile puisque l’accusé ne serait pas autorisé à obtenir la mesure qu’il demande même dans l’hypothèse où ses allégations étaient admises car a) la jurisprudence pertinente n’exige pas la mise en liberté de l’accusé, b) l’accusé n’est pas autorisé à demander son élargissement et c) l’accusé ne devrait pas être renvoyé dans un État qui défie ses obligations juridiques envers le Tribunal international ; et ii) les conditions requises obligatoires à la sécurité des opérations excluent la communication par la SFOR de faits supplémentaires relatifs à la détention de l’accusé16.

19. La SFOR soutient qu’aucun élément ne permet d’établir la participation d’une entité quelconque liée au Tribunal international au prétendu enlèvement et que les actes de tiers ne constituent pas un fondement suffisant pour autoriser la mise en liberté de l’accusé alors même que le Tribunal international est de toute évidence doté des compétences ratione materiae et ratione personae à son égard 17. À l’appui de son allégation selon laquelle on ne saurait accorder une mise en liberté en raison d’un comportement qui n’est pas imputable à l’Accusation, la SFOR se fonde sur l’«arrêt relatif à la demande du Procureur en révision ou réexamen» rendu par la Chambre d’appel du Tribunal pénal international pour le Rwanda (le «TPIR») dans l’affaire Barayagwisa18. La SFOR fait également remarquer que l’accusé ne saurait étayer sa demande sur la décision rendue par le Tribunal international dans l’affaire Dokmanovic19, laquelle affirmait la légalité d’une arrestation impliquant le recours à la «ruse »20. Le principe selon lequel un enlèvement en violation du droit d’un État ne prive pas un autre État de sa compétence, a été affirmé dans certaines affaires portant sur la légalité des «rapts» transfrontaliers . D’autres affaires suggèrent cependant que les juridictions peuvent à leur discrétion refuser d’exercer leur compétence lorsque les agents de l’État concerné se sont rendus complices d’un enlèvement. La SFOR souligne qu’en l’espèce, c’est le Bureau du Procureur, et non pas la SFOR, qui a un rôle analogue à celui des agents d’un État qui a engagé des poursuites21. La SFOR fait remarquer que l’accusé ne conteste pas la légalité de l’acte d’accusation établi à son encontre et qu’il ne soutient pas non plus que les autorités de la RFY n’auraient pas le droit de l’arrêter à nouveau après son retour. La SFOR avance donc que la Requête de l’accusé ne repose pas sur un droit à rester en liberté mais sur «un prétendu droit à rester fugitif dans un État qui passe outre ses obligations de le livrer»22.

20. La SFOR affirme ensuite qu’une violation prétendue du droit interne de la RFY ne permet pas à l’accusé de bénéficier du droit à être remis en liberté, notamment dans la mesure où il «a délibérément créé une situation dans laquelle tout transfert ou arrestation régulière dans les formes était d’après lui impossible»23. La Chambre de première instance n’est donc pas tenue de lui accorder la mesure exceptionnelle que constitue la mise en liberté.

21. S’agissant à présent de la question du retour de l’accusé dans un État qui ne respecte pas ses obligations internationales, la SFOR estime qu’une décision selon laquelle le Tribunal international ne serait pas compétent pour juger une personne appréhendée sur le territoire de la RFY, à moins que cette arrestation soit conforme au droit interne de cette dernière, pourrait avoir de graves conséquences sur la capacité fondamentale du Tribunal international à juger les accusés et aurait pour effet de reconnaître légalement la RFY comme un sanctuaire pour les personnes accusées de crimes de guerre.

22. La SFOR s’oppose également à toute divulgation supplémentaire d’informations relatives à la détention de l’accusé, au motif que cela porterait atteinte aux intérêts primordiaux de la sécurité des opérations et compromettrait la protection et l’efficacité des forces de la SFOR engagées dans des efforts d’arrestation, ainsi que les sources confidentielles de renseignement sur lesquelles elles reposent24. La SFOR affirme que la divulgation d’informations supplémentaires est inutile puisque l’accusé ne pourrait être admis à bénéficier de la mesure qu’il demande, quelle que soit la version des faits25.

23. La Défense a répondu au Mémoire de la SFOR tant par écrit qu’oralement. Dans sa réponse écrite datée du 17 juillet 2000, la Défense conteste l’argument de la SFOR selon lequel c’est le Bureau du Procureur qui tient un rôle analogue à celui d’agents de l’État et affirme que c’est plutôt la SFOR qui, aux termes du mandat que lui a conféré le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, tient un tel rôle26. La Défense affirme que le Conseil de sécurité a délégué au TPIY une partie de son pouvoir et de sa compétence envers la SFOR et que celle-ci et son personnel ressortissent à la compétence , au contrôle et à la supervision du TPIY27.

24. La réponse de la Défense porte principalement sur des arguments soulevés lors des procédures sous-jacentes contestant la légalité de l’arrestation de l’accusé et non pas sur la présente Requête. Cependant, la Défense fait remarquer que, dans l’affaire Stocke c/ la République fédérale d’Allemagne portée devant la Cour européenne des droits de l’homme (la «CEDH»)28, les autorités allemandes ont mené une enquête pour déterminer si ses agents avaient agi de manière illégale. La Défense soutient qu’en refusant de divulguer les informations permettant de confirmer ou d’infirmer les faits en question, la SFOR essaie précisément d’empêcher qu’une telle enquête soit menée29.

25. La Défense ajoute ensuite que la conduite, passée, présente et future, adoptée par la RFY n’est pas pertinente devant la Chambre de première instance ; affirmer le contraire reviendrait à politiser les actions du Tribunal international. La Défense soutient que la Chambre doit fonder ses décisions sur des principes juridiques sans tenir comptes des éventuelles conséquences politiques30.

26. S’agissant de la divulgation d’informations sensibles, la Défense affirme être disposée à trouver une solution acceptable qui répondrait à la nécessité pour elle -même d’obtenir des informations et à la nécessité pour la SFOR de protéger ses méthodes en matière de sécurité et d’opérations31.

D. Arguments soulevés à l’audience

27. Au cours de l’audience, la Défense a soumis certaines propositions à la Chambre de première instance sur la façon de procéder. Elle a notamment suggéré que la Chambre se renseigne pour savoir si l’Accusation souhaitait présenter des éléments de preuve supplémentaires venant contredire les témoignages entendus à ce jour. La Défense a soutenu qu’en l’absence de tels éléments de preuve, la Chambre de première instance pourrait conclure que la Défense a fourni un commencement de preuve et ordonner alors le retour de l’accusé en RFY. Cela permettrait d’éviter toute confrontation avec la SFOR32.

28. Si la Chambre de première instance ne suit pas cette proposition, la Défense réitère alors sa demande aux fins d’une ordonnance adressée aux États-Unis d’Amérique , État souverain dont les forces étaient responsables de la base aérienne de Tuzla , ainsi que d’une injonction de comparution adressée au général Shinseki, alors général commandant de la SFOR, ainsi qu’à d’autres personnes non identifiées33.

29. L’Accusation a rappelé qu’aucun des documents sollicités n’apporteraient, s’ils étaient produits, d’élément permettant d’établir qu’elle aurait été impliquée dans quelque activité illégale que ce soit. La question de l’illégalité de l’arrestation doit être portée devant les juridictions de la RFY et non pas devant le Tribunal international34. L’Accusation a indiqué qu’elle souhaiterait présenter des moyens de preuve relatifs à la légalité de l’arrestation et que ceux-ci démontreraient également qu’elle n’a participé à aucune activité illégale.

30. L’Accusation a avancé qu’il ne s’agissait pas de savoir si la Chambre de première instance était habilitée à délivrer des ordonnances à la SFOR mais si les documents sollicités permettraient d’approfondir les deux questions suivantes : la participation de l’Accusation à l’arrestation et à la détention d’une part, et à la légalité du mandat d’arrêt d’autre part. L’Accusation estimant qu’aucune des informations sollicitées ne seraient utiles dans le cadre de ces enquêtes, la Requête devrait être rejetée 35.

31. L’Accusation, après avoir répondu aux questions des juge, a déclaré s’être conformée à toutes les ordonnances de la Chambre de première instance et avoir produit «tous les documents qu’elle ait jamais eu en sa possession concernant l’arrestation de M. Todorovic»36. L’Accusation a soutenu que la Chambre de première instance n’est pas habilitée à ordonner à la SFOR de produire des documents, même s’il appartient à la SFOR de soulever un tel argument , l’Accusation n’étant pas autorisée à parler au nom de celle-ci37. L’Accusation a ensuite précisé sa position, en affirmant que même si dans certaines circonstances, il conviendrait que la Chambre de première instance délivre une telle ordonnance, ce n’est pas le cas en l’espèce38.

32. La Défense a admis que, si elle parvenait à contester la validité de l’arrestation et que l’accusé était renvoyé en RFY, deux cas de figure se présenteraient : soit l’accusé est immédiatement remis entre les mains du Tribunal international, soit la RFY ne respecte pas ses obligations. Cependant, cette question «dépasse les intérêts du Tribunal international et devrait être abordée dans un cadre politique»39. La Défense a reconnu que tous les précédents qu’elle a cités concernaient des juridictions internes. Elle n’avait connaissance d’aucun précédent relatif à «un organe international impliqué dans un enlèvement ou tenu responsable d’un tel acte». La Défense a affirmé que selon elle, la participation avérée à un enlèvement et à la capture d’une personne sur le territoire de la RFY serait sanctionnée par l’incompétence du Tribunal international 40. La Défense ajoute qu’il serait inconcevable qu’un organe international ne soit pas responsable devant quelque autorité que ce soit pour un acte qui serait considéré comme illégal41.

33. En réponse à une question posée par les juges, la Défense a confirmé qu’elle cherchait toujours des informations attestant la participation de l’Accusation à l’enlèvement de l’accusé et ce, notamment parce que celle-ci n’a produit qu’une copie d’un rapport d’une page en réponse à l’ordonnance rendue le 7 mars 2000 par la Chambre de première instance42.

E. Arguments postérieurs à l’audience

34. Suite à l’audience relative à la Requête, qui a eu lieu le 25 juillet 2000, l’Accusation a déposé, le 31 juillet 2000, sa réponse à la notification de la Défense concernant des mesures spécifiques43. La Défense a déposé une réplique le 2 août 2000. Les parties n’ont ni l’une ni l’autre demandé à la Chambre de première instance l’autorisation de déposer ces documents .

35. Ceux-ci traitent principalement de la contestation sous-jacente de la légalité de l’arrestation de l’accusé. Cependant, l’Accusation a admis dans sa réponse que la Chambre de première instance était habilitée à délivrer des ordonnances contraignantes aux membres du personnel de la SFOR. L’Accusation fait valoir qu’en tout état de cause, la Chambre ne devrait user de ce pouvoir discrétionnaire qu’avec une extrême précaution et après avoir soigneusement mis en balance tous les intérêts contradictoires en présence. Il faut donc comparer le préjudice qu’entraînerait la divulgation d’informations confidentielles à celui qui serait causé à la bonne administration de la justice si lesdites informations n’étaient pas communiquées à la Chambre de première instance .

36. L’Accusation estime qu’en l’espèce, la mise en balance des intérêts en présence plaiderait contre la délivrance des ordonnances sollicitées à un général de la SFOR et aux États-Unis d’Amérique44. L’Accusation soutient que, pour des raisons majeures d’ordre public, la SFOR doit empêcher la divulgation d’informations sensibles pour ses opérations et sa sécurité en matière d’arrestations et que la Requête de la Défense ne doit pas être agréée, à moins que celle-ci n’établisse l’existence de raisons décisives et impérieuses justifiant le recours à de telles mesures45. La Défense réplique en faisant valoir que la Chambre de première instance a déjà déterminé que les informations et les témoignages sollicités étaient importants pour la Défense et ordonné que l’Accusation les produise46. L’Accusation ayant continuellement déclaré n’avoir aucune connaissance des opérations de la SFOR, elle n’est pas en mesure d’invoquer l’effet néfaste de la divulgation des informations sur ces opérations et ses tentatives en ce sens sont de simples spéculations47.

III. DROIT APPLICABLE

37. Les dispositions pertinentes du Statut et du Règlement de procédure et de preuve (le «Règlement») sont exposées ci-après.

Article 29 du Statut
Coopération et entraide judiciaire

1. Les États collaborent avec le Tribunal à la recherche et au jugement des personnes accusées d'avoir commis des violations graves du droit international humanitaire .

2. Les États répondent sans retard à toute demande d’assistance ou à toute ordonnance émanant d’une Chambre de première instance et concernant, sans s’y limiter :

a) l’identification et la recherche des personnes ;

b) la réunion des témoignages et la production des preuves ;

c) l’expédition des documents ;

d) l’arrestation ou la détention des personnes ;

e) le transfert ou la traduction de l’accusé devant le Tribunal.

Article 54 bis du Règlement
Ordonnances adressées aux États aux fins de production de documents

A) Une partie sollicitant la délivrance à un État d’une ordonnance aux fins de production de documents ou d’informations en application de l’article 54, dépose une requête écrite devant le Juge ou la Chambre de première instance compétents et :

i) identifie autant que possible les documents ou les informations visés par la requête,

ii) indique dans quelle mesure ils sont pertinents pour toute question soulevée devant le Juge ou la Chambre de première instance et nécessaires au règlement équitable de celle-ci, et

iii) expose les démarches qui ont été entreprises par le requérant en vue d’obtenir l’assistance de l’État.

B) Le Juge ou la Chambre de première instance peut rejeter in limine une requête déposée en application du paragraphe A) si il / elle est convaincu(e) que  :

i) les documents ou les informations ne sont pas pertinents pour la question concernée soulevée devant le Juge ou la Chambre de première instance ou ne sont pas nécessaires au règlement équitable de celle-ci ou

ii) le requérant n’a pas entrepris de démarches raisonnables en vue d’obtenir de l’État des documents ou informations sollicités.

C) Une décision de rejet de la requête rendue par Juge ou une Chambre de première instance en vertu du paragraphe B) est susceptible d’appel en application de l’article  116 bis.

D) Sous réserve d’une décision rendue en application des paragraphes B) ou E), l’État concerné est notifié de la requête 15 jours au moins avant la tenue d’une audience sur cette dernière. L’État pourra être entendu durant ladite audience.

E) Si, au vu des circonstances, le Juge ou la Chambre de première instance a de bonnes raisons de le faire, il / elle peut délivrer une ordonnance en vertu du présent article sans que l’État soit notifié ou ait la possibilité d’être entendu en application du paragraphe D). Une telle ordonnance est soumise aux dispositions suivantes :

i) l’ordonnance est signifiée à l’État concerné,

ii) sous réserve de l’alinéa iv), l’ordonnance ne prend effet que quinze jours après cette signification,

iii) un État peut, dans les quinze jours de ladite signification demander au Juge ou à la Chambre de première instance l’annulation de l’ordonnance, au motif que la divulgation porterait atteinte à ses intérêts de sécurité nationale. Le paragraphe  F) s’applique à cette demande d’annulation de la même manière qu’à un acte d’opposition ,

iv) si une demande est présentée en vertu de l’alinéa iii), l’ordonnance est suspendue jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande,

v) les paragraphes F) et G) s’appliquent à l’examen des demandes d’annulation présentées en application de l’alinéa iii) de la même manière qu’à celui des requêtes notifiées conformément au paragraphe D),

vi) sous réserve de toute mesure spécifique obtenue au titre d’une requête en application des paragraphes F) ou G), l’État et la partie sollicitant l’ordonnance peuvent être entendus au cours de l’audience relative à la requête déposée conformément à l’alinéa  iii).

F) Si l’État soulève une objection en application du paragraphe D), au motif que la divulgation porterait atteinte à ses intérêts de sécurité nationale, il dépose au plus tard cinq jours avant la date prévue pour l’audience, un acte d’opposition , dans lequel il :

i) précise, dans la mesure du possible, les arguments sur lesquels il se fonde pour déclarer que ses intérêts de sécurité nationale seraient compromis et,

ii) peut demander au Juge ou à la Chambre de première instance d’ordonner des mesures de protection appropriées en vue de l’audience relative à l’opposition, parmi lesquelles  :

a) la tenue à huis clos et / ou ex parte de ladite audience,

b) l’autorisation de présenter les documents sous forme expurgée, accompagnés d’une déclaration sous serment signée par un représentant officiel de l’État, exposant les motifs de l’expurgation,

c) la délivrance d’une ordonnance enjoignant qu’il ne soit établi aucun compte rendu d’audience et que les documents dont le Tribunal n’a plus besoin soient directement restitués à l’État sans qu’ils fassent l’objet de la procédure de dépôt auprès du Greffe ou soient de toute autre manière conservés.

G) S’agissant de la procédure prévue au paragraphe F) ci-dessus, le Juge ou la Chambre de première instance peut ordonner que les mesures de protection suivantes soient mises en place lors de l’audience relative à l’opposition :

i) la nomination d’un juge unique d’une Chambre en vue d’examiner les documents et d’entendre les exposés, et / ou

ii) l’autorisation accordée à l’État de fournir ses propres interprètes pour l’audience et ses propres traductions des documents sensibles.

H) Le rejet d’une requête déposée au titre du présent article n’exclut pas la possibilité d’introduire une demande ultérieure relative aux mêmes documents ou informations si des faits nouveaux interviennent.

I) Une ordonnance rendue en application du présent article peut prévoir que les documents ou informations concernés que l’État doit produire fassent l’objet de mesures appropriées afin de protéger ses intérêts, parmi lesquelles peuvent figurer les mesures énumérées au paragraphe F) ii) ou G).

IV. EXAMEN

A. Le pouvoir de délivrer les ordonnances sollicitées

38. L’article 29 du Statut traite de la coopération des États avec le Tribunal international pour «la recherche et ?leg jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire». L’arrêt rendu par la Chambre d’appel dans l’affaire Le Procureur c/ Blaskic48 confirme ce qui ressort clairement de la lecture de cet article, à savoir que le Tribunal international est habilité à délivrer des ordonnances contraignantes aux États. Il s’agit ici de savoir si le Tribunal international peut, en vertu de l’article 29 du Statut, délivrer une ordonnance à la SFOR, sachant que cet article est limité, à première vue, aux États. Pour répondre à cette question, il convient d’examiner tant la création et la structure de la SFOR que la portée de l’article  29 du Statut.

1. La création de la SFOR

39. L’IFOR (désormais la SFOR) a été créée par l’OTAN en décembre 1995 en vertu de l’Accord de paix de Dayton et sous l’autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’article I de l’Annexe 1-A de l’Accord de paix (qui porte sur les aspects militaires du Règlement de paix) invite le Conseil de sécurité «à adopter une résolution par laquelle il autorisera des États Membres ou des organisations et arrangements régionaux à créer une Force d’application militaire multinationale (ci-après dénommée “l’IFOR”)»49.

40. L’article I 1) b) prévoit que «l’OTAN pourra créer ladite force, qui opérera sous l’autorité du Conseil de l’Atlantique Nord (le «Conseil») et sera soumise à la direction et au contrôle politique de celui-ci par l’intermédiaire de la chaîne de commandement de l’OTAN»50. Parmi les objectifs des obligations auxquelles les parties à l’Accord de paix ont souscrit et qui sont énumérés à l’article I 2) b) figure celui de contribuer à ce que l’IFOR dispose de l’appui et des autorisations voulus et, «en particulier, ?d’gautoriser l’IFOR à prendre les mesures requises, y compris l’emploi de la force nécessaire , pour veiller au respect des dispositions de la présente Annexe et pour assurer sa propre protection». Les paragraphes 2 et 3 de l’article VI décrivent la mission de l’IFOR51. L’article VI 4), dans son passage pertinent, prévoit que «les Parties considèrent comme entendu et conviennent que le Conseil de l’Atlantique Nord, au moyen de nouvelles directives, pourra assigner à l’IFOR des devoirs et des responsabilités supplémentaires en ce qui concerne l’application de la présente Annexe».

41. Le paragraphe 14 de la résolution 1031 adoptée par le Conseil de sécurité le  15 décembre 1995 «?agutorise les États Membres agissant par l’intermédiaire de l’organisation visée à l’annexe 1-A de l’Accord de paix52 [...] à créer une Force multinationale de mise en oeuvre de la paix (IFOR), placée sous un commandement et un contrôle unifiés, chargée de s’acquitter du rôle décrit à l’annexe 1-A et à l’Annexe 2 de l’Accord de paix»53. Le paragraphe 16 de la résolution «?agutorise les états Membres agissant en vertu du paragraphe 14 ci-dessus, conformément à l’Annexe 1-A de l’Accord de paix, à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect des règles et des procédures qui seront établies par le Commandant de l’IFOR».

42. Le 16 décembre 1995, le Conseil de l’Atlantique Nord a approuvé la stratégie opérationnelle du Commandant en chef allié en Europe (SACEUR) et autorisé le déploiement sur le théâtre des opérations des forces principales de l’IFOR. En 1996, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1088 (12 décembre 1996) a autorisé les États Membres agissant par l’intermédiaire de l’organisation visée à l’Annexe 1-A de l’Accord de paix ou en coopération avec elle à établir, pour une durée prévue de 18 mois, la SFOR en tant que successeur légal de l’IFOR. Les résolutions 1174 (15 juin 1998 ), 1247 (18 juin 1999) et 1305 (21 juin 2000) ont chacune successivement renouvelé le mandat de la SFOR pour une période de douze mois. Dix-huit États Membres de l’OTAN participent actuellement à la SFOR ainsi que quinze autres États impliqués au titre d’accords spéciaux.

2. La coopération entre la SFOR et le Tribunal international

43. En décembre 1995, le Conseil a autorisé la transmission à l’IFOR de copies des actes d’accusation et des mandats d’arrêt établis par le Tribunal international et a convenu que toute personne accusée détenue par l’IFOR serait mise en détention , immédiatement informée des charges retenues à son encontre et transférée dès que possible au Tribunal international (la «décision du Conseil»). L’ordonnance rendue le 24 décembre 1995 par le Juge Jorda fait référence à la décision du Conseil et observe notamment :

1. que le Conseil de l’Atlantique Nord a convenu, le 16 décembre 1995, qu’eu égard aux résolutions 827 (1993) et 1031 (1995) du Conseil de sécurité de l’ONU et à l’Annexe  1-A de l’accord-cadre général pour la Paix en Bosnie-Herzégovine, la force multinationale de mise en oeuvre de l’OTAN (IFOR) devra placer en détention toutes personnes mises en accusation par le Tribunal pénal international qui entreraient en contact avec l’IFOR dans le cadre de l’exécution par cette dernière de tâches lui incombant, aux fins d’assurer leur transfert audit Tribunal ;

2. que le Conseil de l’Atlantique Nord a approuvé, le 16 décembre 1995 une règle d’engagement supplémentaire sur la détention et le transfert de telles personnes mises en accusation, applicable exclusivement à la Bosnie-Herzégovine, destinée à être mise en oeuvre dès que les modalités pratiques auront été convenues avec le Tribunal pénal international pour le transfert à ce dernier des personnes mises en accusation54.

44. En mai 1996, le SHAPE et le Tribunal international ont conclu un accord confidentiel relatif aux modalités pratiques de la détention et du transfert au Tribunal de personnes accusées de crimes de guerre par ledit Tribunal (l’«Accord du SHAPE»)55. Parmi les dispositions pertinentes de cet Accord figurent :

1.2 Les points de contact sont le Bureau du Procureur, pour le Tribunal de La Haye , et le Bureau du Conseiller juridique (OLA), pour le SHAPE, lesquels traiteront toutes les questions de politique générale.

L’article 2 expose les modalités précises concernant l’arrestation de personnes accusées de crimes de guerre.

3.2 À l’arrivée du représentant compétent du Tribunal, ledit représentant est également chargé de confirmer que la personne détenue par l’IFOR est bien celle nommée dans le mandat d’arrêt en cause, et d’informer ladite personne des charges retenues contre elle dans le mandat d’arrêt dont elle fait l’objet. Par ailleurs, le Tribunal défendra le SHAPE et l’IFOR pour toutes omissions ou erreurs éventuelles découlant de l’application des articles 1, 2 et 3 du mémorandum par le personnel de l’IFOR agissant de bonne foi dans le cadre de ces détentions.

[...]

3.5 Lors du transfert de l’inculpé détenu devant le représentant compétent du Tribunal , le Chef de la Prévôté de l’IFOR doit fournir à ce représentant un compte rendu succinct des circonstances de la mise en détention de l’inculpé, y compris tout procès-verbal ou autre relation d’éventuelles déclarations faites par l’inculpé eu égard à son acte d’accusation et à son mandat d’arrêt [Non souligné dans l’original] .

45. Dans une lettre datée du 9 mai 1996, le conseiller juridique du SHAPE a officiellement clarifié l’objectif et le sens de l’article 3 2) ci-dessus comme suit :

Il est entendu que les Nations Unies n’assume aucune responsabilité juridique pour les actes ou omissions des membres du personnel de l’IFOR au titre du présent mémorandum d’accord. L’article 3 2) dudit mémorandum ne doit pas être interprété comme valant renonciation de quelque privilège ou immunité que ce soit de la part des Nations Unies ou du Tribunal. L’article 3 2) vise uniquement à garantir l’accord des participants , selon lequel en cas de conflit, le Procureur du Tribunal présentera, lors des procédures menées devant le Tribunal, ses arguments juridiques à l’appui des actes ou omissions faits de bonne foi par des membres du personnel de l’IFOR dans le cadre de l’application des articles premier, 2 et 3 dudit mémorandum d’accord. Il est entendu que les nations et les états-majors militaires internationaux concernés demeurent juridiquement responsables des actes ou omissions des membres du personnel de l’IFOR, et non les Nations Unies56 [Traduction non officielle].

3. La portée de l’article 29 du Statut

46. Le libellé de l’article 29 du Statut prévoit qu’il s’applique à tous les États , qu’ils agissent individuellement ou collectivement. En principe, rien ne s’oppose à ce qu’il s’applique aux actions collectives entreprises par les États dans le cadre d’organisations internationales, et notamment leurs organes compétents, à l’instar de la SFOR dans le cas présent. Une interprétation téléologique de l’article  29 du Statut plaide en faveur de son applicabilité à ces actions collectives de la même manière qu’aux États. L’objectif de l’article 29 du Statut est de veiller à la coopération avec le Tribunal international pour la recherche et le jugement de personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire en ex-Yougoslavie. La nécessité d’une telle coopération est flagrante , le Tribunal international ne disposant pas de force d’exécution propre, c’est- à-dire qu’il ne dispose pas de force de police. Bien que cette obligation de coopération s’adresse logiquement aux États, elle est également possible grâce à l’aide des organisations internationales, par l’intermédiaire de leurs organes compétents qui , du fait de leurs fonctions, peuvent disposer d’informations concernant les personnes accusées par le Tribunal international de violations graves du droit international humanitaire ou entrer en contact avec ces dernières. La relation existant entre la SFOR et le Tribunal international illustre cette coopération mise en pratique .

47. Le Tribunal international, pour interpréter le Statut, a eu recours à plusieurs reprises à la règle générale d’interprétation des traités, énoncée à l’article 31  1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (la «Convention de Vienne »)57. L’article 31 1) de la Convention de Vienne prévoit qu’un «traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but». La jurisprudence du Tribunal international a constamment insisté sur l’importance qu’il y a à accorder le poids qui lui revient à l’objet et au but du Statut en vue de l’interpréter. Le simple fait que l’article 29 soit limité aux États et ne mentionne pas d’autres actions collectives menées par des d’États ne signifie pas que l’intention était que le Tribunal international ne bénéficie pas de l’assistance des États agissant par le biais de telles actions pour la recherche et le jugement de personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire.

48. Selon une interprétation téléologique du Statut, une telle ordonnance devrait pouvoir être adressée tant aux actions collectives entreprises par les États qu’aux États pris individuellement ; l’article 29 devrait donc être interprété comme conférant au Tribunal international le pouvoir d’exiger d’une organisation internationale, ou de ses organes compétents tels la SFOR, qu’elle l’assiste dans la réalisation de son objectif fondamental, à savoir la poursuite de personnes responsables de violations graves du droit international humanitaire, en fournissant les différents types d’assistance décrits ici.

49. La Chambre de première instance est convaincue que la SFOR est un organe suffisamment organisé et structuré pour recevoir et mettre en oeuvre les ordonnances du Tribunal international rendues en application de l’article 29 du Statut.

4. La jurisprudence du Tribunal international relative à des questions similaires

50. Il convient à présent d’examiner la jurisprudence du Tribunal international qui, par le passé, aurait penché pour une conclusion différente en la matière, tout du moins en ce qui concerne les organisations internationales.

51. Dans l’affaire Blaskic58, la Chambre d’appel a décidé que :

a) S’agissant des états, le Tribunal international est habilité en vertu de l’article  29 du Statut, à délivrer des ordonnances contraignantes mais il ne peut pas délivrer de subpoena (injonction sous peine de sanction) (paragraphes 25 et 28).

b) S’agissant des agents de l’État, le Tribunal international n’est pas habilité à délivrer de subpoena, en vertu du principe de l’immunité fonctionnelle, selon laquelle un individu ne peut être sanctionné pour les actes entrepris ès qualité (paragraphe 38)

c) S’agissant des agents de l’État, le Tribunal n’a pas le pouvoir de délivrer une ordonnance contraignante car chaque État «est en droit d’exiger que les actes ou opérations accomplis par l’un de ses organes agissant ès qualité soient imputés à l’État, si bien que l’organe en question ne peut être tenu de répondre de ces actes et opérations» (paragraphe 41).Cette règle connaît deux exceptions. Il s’agit premièrement du cas où les informations demandées à un agent de l’État portent sur des actes ou des renseignements obtenus en dehors de ses fonctions officielles ; il faut alors considérer que la personne a agi à titre privé et peut faire l’objet d’une ordonnance contraignante concernant les informations pertinentes. Il s’agit deuxièmement du cas où un agent de l’État refuse d’exécuter une demande soumise par ses autorités aux fins de remettre certains éléments de preuves ou certaines informations. La Chambre d’appel a décidé que dans ces circonstances et «?pgour les objectifs limités de la procédure pénale, il est sage de ramener, pour ainsi dire, le responsable officiel d’un État au rang d’individu agissant à titre privé et de prendre contre lui toutes les mesures et toutes les sanctions auxquelles il est fait référence ci-après» (paragraphes 49 à 51).

d) S’agissant des agents de l’État agissant en qualité de membre d’une force internationale de maintien de la paix, telle que la FORPRONU, l’IFOR ou la SFOR, le Tribunal international est habilité à délivrer des ordonnances contraignantes dans la mesure où ils agissent en tant que membres d’une «force armée internationale chargée du maintien ou de l’imposition de la paix et non en tant que membre?sg de la structure militaire de ?leurg propre pays» (paragraphe 50). Cependant, la Chambre d’appel n’a pas examiné la question de savoir si, en vertu de l’article 29 du Statut, le Tribunal international est en droit de délivrer des ordonnances contraignantes directement aux organes tels que la FORPRONU, l’IFOR et la SFOR.

52. Dans l’affaire Kovacevic, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance succincte en réponse à une requête de la Défense aux fins d’adresser une injonction de produire à la mission de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) en Bosnie ; la Chambre a conclu que le Tribunal international n’était pas habilité à délivrer à l’OSCE une ordonnance contraignante en application de l’article 29 du Statut, cette disposition s’appliquant aux Etats et non pas aux organisations internationales (la «Décision relative à l’OSCE»)59.

53. Dans l’affaire Simic (la «Décision relative au CICR»)60, la présente Chambre de première instance traité la question de savoir si le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) avait un privilège de confidentialité concernant les informations recueillies par un ancien employé dans l’exercice de ses fonctions officielles. La Chambre de première instance a conclu que «l’arrêt relatif aux ordonnances contraignantes de la Chambre d’appel n’est pas applicable en l’espèce dans la mesure où il s’agit ici de la relation entre deux institutions internationales» et a ajouté que «l’arrêt précité traite de la relation entre le Tribunal international et les États en application de l’article 29 du Statut, disposition qui ne s’applique pas aux organisations internationales»61.

54. Dans l’affaire Kordic, la Chambre de première instance a demandé dans un premier temps à la Mission de contrôle de la Communauté européenne (MCCE) de produire des documents et s’est adressée dans un second temps à ses autorités compétentes , à savoir la présidence du Conseil européen et la Commission de l’Union européenne . Aucun document n’ayant été produit en réponse à ces demandes, la Chambre de première instance a rendu une ordonnance enjoignant aux différents États membres de la Communauté européenne lors de la création de la MCCE de produire les documents pertinents ( la «Décision relative à la MCCE»)62. En réponse, la présidence du Conseil européen a produit des documents.

55. La Décision relative au CICR, rendue par la présente Chambre de première instance , est manifestement différente dans la mesure où la question ne portait pas sur l’applicabilité de l’article 29 du Statut à une organisation internationale mais plutôt sur le point de savoir si une organisation donnée avait en droit un privilège de confidentialité eu égard à des informations recueillies par un ancien employé dans l’exercice de ses fonctions officielles. Le principe formulé par la Chambre de première instance au paragraphe 53 de ladite Décision doit être interprété dans son contexte. La Chambre de première instance expliquait que l’arrêt Blaskic n’était pas applicable en l’espèce puisqu’il s’agissait, dans le premier cas , de la relation entre le Tribunal international et les États au titre de l’article  29 du Statut, alors que la Décision relative au CICR concernait les liens entre le CICR et le Tribunal international. Dans ce contexte, la Chambre de première instance a déclaré que l’article 29 du Statut ne s’appliquait pas aux organisations internationales . Il apparaît donc clairement que ce principe formulé par la Chambre dans cette décision ne constituait pas un élément de la ratio decidendi et n’a donc que valeur d’obiter.

56. La Décision relative à l’OSCE63, rendue par une autre Chambre de première instance (et non motivée) ne lie pas la présente Chambre et celle-ci n’est pas convaincue qu’il convient de la suivre64.

57. La Chambre de première instance estime que la Décision relative à la MCCE est particulièrement pertinente ; la Chambre de première instance III a tout d’abord demandé directement à la MCCE de produire certains documents aux conseils de la Défense dans le procès en question, puis a ordonné aux États alors membres de la Communauté européenne lors de l’entrée en vigueur du «Mémorandum d’accord relatif aux activités de surveillance en Bosnie-Herzégovine» de faire de même65.

B. Les ordonnances spécifiques requises

1. L’ordonnance adressée à la SFOR

58. Sur la base de l’analyse développée aux paragraphes 46 à 49, la Chambre de première instance conclut qu’elle est habilitée à délivrer, en application de l’article 29 du Statut, une ordonnance contraignante aux 33 États participant à la SFOR, ainsi qu’à cette dernière, par l’intermédiaire du Conseil de l’Atlantique Nord, sous le commandement duquel elle est placée. Cette ordonnance est adressée aux divers États concernés en application de l’article 54 bis E) du Règlement et une procédure similaire sera adoptée, par analogie, s’agissant de l’ordonnance délivrée à la SFOR et au Conseil de l’Atlantique Nord. Une procédure similaire a en effet déjà été suivie en l’espèce, lorsque la Requête a été notifiée à la SFOR et que cette dernière a été invitée à comparaître à l’audience tenue en juillet 2000. D’autres dispositions du Règlement autorisent un État visé à demander l’annulation d’une telle ordonnance , au motif que la divulgation porterait atteinte à ses intérêts de sécurité nationale ou l’examen de ladite ordonnance par la Chambre d’appel.

59. La Requête de la Défense a pour but d’obtenir certaines informations et certains documents qui, selon l’accusé, se trouveraient en la possession et sous le contrôle de la SFOR et l’aideraient à fonder ses requêtes portant contestation de la légalité de son arrestation66. La SFOR et l’Accusation s’opposent à cette Requête, principalement au motif que Todorovic ne saurait bénéficier de la mesure sollicitée, même dans l’hypothèse où ses allégations étaient admises 67. Cet argument part du principe que les éléments de preuve présentés à ce jour sont complets. Or ce n’est pas le cas et Todorovic s’efforce en fait d’obtenir de la SFOR des éléments supplémentaires qui viendront appuyer sa demande. Ce n’est que lorsque Todorovic aura eu la possibilité de présenter tous les éléments de preuve disponibles que la Chambre de première instance pourra se prononcer sur la mesure requise. L’Accusation a cherché une nouvelle fois à faire valoir que les éléments de preuve soumis à ce jour ne sauraient justifier que Todorovic obtienne lesdits documents68. La Chambre de première instance ayant déjà conclu le contraire dans son ordonnance du 7 mars 2000 et la requête introduite par l’Accusation aux fins d’interjeter appel de cette ordonnance ayant été rejetée, cette dernière n’a plus désormais la faculté de relancer le débat.

60. S’agissant de l’autre argument de la SFOR, selon lequel des «conditions requises obligatoires à la sécurité des opérations»69 interdisent une divulgation «supplémentaire» d’informations, la Chambre de première instance rejette une objection de nature aussi générale. La SFOR était libre de soulever à l’audience des objections précises à la divulgation de certains documents ou d’autres pièces, en conformité avec une procédure similaire à celle prévue par l’article 54 bis F) du Règlement, mais elle n’en a rien fait.

61. La Chambre de première instance est convaincue que l’existence de documents en possession ou sous le contrôle de la SFOR et susceptibles d’aider Todorovic à obtenir la mesure qu’il sollicite a été suffisamment établie et que la production desdits documents sert un but légitime juridiquement pertinent. La Chambre de première instance est également convaincue que l’Accusation n’ayant pas été en mesure de produire des copies des documents, il convient désormais d’exiger de la SFOR qu’elle les communique.

2. L’injonction aux fins de comparution de membres du personnel de la  SFOR

62. Sur la base de l’arrêt rendu par la Chambre d’appel dans l’affaire Blaskic , mentionné au paragraphe 51 de la présente décision, la Chambre de première instance peut adresser une injonction aux fins de comparution aux membres du personnel de la SFOR. Cette injonction s’adresse notamment au général Shinseki puisqu’aux termes de l’arrêt, il n’a pas agi en qualité de représentant de son gouvernement et doit être considéré à titre privé eu égard à tout événement auquel il a personnellement assisté, même si cela s’est produit dans l’exercice de ses fonctions officielles . Il peut donc faire l’objet d’une injonction, non pas en tant que commandant général de la SFOR mais en qualité d’individu ayant personnellement connaissance des événements sur lesquels porte la Requête. Des observations similaires vaudront pour tout autre membre du personnel de la SFOR dont on peut établir qu’ils ont une connaissance directe de ces événements.

63. La Chambre de première instance est convaincue qu’il serait approprié d’adresser , le moment venu, une injonction au général Shinseki, lui enjoignant de témoigner au cours de l’audience en cours relative aux éléments de preuve en la matière.

3. L’ordonnance adressée aux États-Unis d’Amérique

64. La Chambre de première instance estime qu’il n’est pas nécessaire de rendre l’ordonnance requise à l’égard des États-Unis puisqu’elle a l’intention de suivre la position adoptée dans la décision relative à la MCCE, à savoir d’exiger des États participant à la SFOR, parmi lesquels figurent les États-Unis, de fournir les informations et les documents sollicités. Ce faisant, la Chambre de première instance remarque que tous les États sont tenus par la résolution 827 du Conseil de sécurité70 de coopérer pleinement avec le Tribunal international et qu’en application de l’article  103 de la Charte des Nations Unies, en cas de conflit entre les obligations d’un État à l’égard de l’OTAN et de la SFOR d’une part, et ses obligations au titre de la Charte d’autre part, ces dernières prévalent.

V. DISPOSITIF

Sur la base de ce qui précède, la Chambre de première instance FAIT DROIT à la requête et ORDONNE comme suit :

1. Le vendredi 17 novembre 2000 au plus tard, la SFOR et l’autorité dont elle relève , le Conseil de l’Atlantique Nord, communiqueront à la Défense de Stevan Todorovic  :

a) copie de toute la correspondance et de tous les rapports de la SFOR concernant l’arrestation de l’accusé Stevan Todorovic ;

b) l’original ou une copie de toutes les bandes audio et vidéo de l’arrestation et de la détention initiales de l’accusé Stevan Todorovic à la base aérienne de Tuzla, enregistrées par la SFOR le 27 septembre 1998 ;

c) copie de tous les rapports d’opérations de la SFOR, antérieurs ou postérieurs à l’arrestation, concernant la capture et la détention de l’accusé Stevan Todorovic  ;

d) le nom, s’il est connu, de la personne ou des personnes ayant transporté l’accusé Stevan Todorovic en hélicoptère à la base aérienne de Tuzla, en Bosnie-Herzégovine , vers les 26 ou 27 septembre 1998 et

e) le nom, s’il est connu, de la personne ou des personnes qui ont procédé à l’arrestation de l’accusé Stevan Todorovic et ont exécuté le mandat d’arrêt délivré par le Tribunal international à l’encontre de celui-ci, aux alentours du 28 septembre 1998.

Le vendredi 17 novembre 2000 au plus tard, la SFOR et le Conseil de l’Atlantique Nord informeront la Chambre de première instance de la divulgation desdites pièces ou lui feront savoir, ainsi qu’à la Défense de Stevan Todorovic, que ces pièces ne sont pas en leur possession ou sous leur contrôle ou qu’elles n’ont pas connaissance de l’identité des personnes mentionnées aux alinéas d) et e) ci-dessus.

Cette ordonnance est rendue en application de la procédure prévue à l’article 54  bis et notamment à son paragraphe E) iii), qui dispose que la SFOR peut « dans les quinze jours de ladite signification demander au Juge ou à la Chambre de première instance l’annulation de l’ordonnance, au motif que la divulgation porterait atteinte à ses intérêts de sécurité nationale».

2. Le vendredi 17 novembre 2000 au plus tard, les États participant à la SFOR, à savoir l’Albanie, l’Allemagne, l’Argentine, l’Autriche, la Belgique, la Bulgarie , le Canada, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, les États-Unis d’Amérique, la Finlande , la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Maroc, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède et la Turquie, produiront à la Défense de Stevan Todorovic :

a) copie de toute la correspondance et de tous les rapports de la SFOR concernant l’arrestation de l’accusé Stevan Todorovic ;

b) l’original ou une copie de toutes les bandes audio et vidéo de l’arrestation et de la détention initiales de l’accusé Stevan Todorovic à la base aérienne de Tuzla, enregistrées par la SFOR le 27 septembre 1998 ;

c) copie de tous les rapports d’opérations de la SFOR, antérieurs ou postérieurs à l’arrestation, concernant la capture et la détention de l’accusé Stevan Todorovic  ;

d) le nom, s’il est connu, de la personne ou des personnes ayant transporté l’accusé Stevan Todorovic en hélicoptère à la base aérienne de Tuzla, en Bosnie-Herzégovine , vers les 26 ou 27 septembre 1998 et

e) le nom, s’il est connu, de la personne ou des personnes qui ont procédé à l’arrestation de l’accusé Stevan Todorovic et ont exécuté le mandat d’arrêt délivré par le Tribunal international à l’encontre de celui-ci, aux alentours du 28 septembre 1998.

Le vendredi 17 novembre 2000 au plus tard, les États susmentionnés informeront la Chambre de première instance de la divulgation desdites pièces ou lui feront savoir , ainsi qu’à la Défense de Stevan Todorovic, qu’ils n’ont pas ces pièces en leur possession ou sous leur contrôle ou qu’ils n’ont pas connaissance de l’identité des personnes mentionnées aux alinéas d) et e) ci-dessus.

Cette ordonnance est rendue en application de la procédure prévue à l’article 54  bis et notamment à son paragraphe E), qui dispose qu’un État participant à la SFOR peut «dans les quinze jours de ladite signification demander au Juge ou à la Chambre de première instance l’annulation de l’ordonnance, au motif que la divulgation porterait atteinte à ses intérêts de sécurité nationale».

3. Le général Shinseki recevra en temps opportun une injonction aux fins de témoigner dans le cadre de l’audience en cours relative aux éléments de preuve en la matière , à une date et heure qui seront fixées ultérieurement.

Une fois que les pièces requises auront été divulguées, en application de la présente décision, la Défense est libre de demander à la Chambre de première instance d’adresser des injonctions supplémentaires aux individus ainsi nommés.

4. La Chambre de première instance DEMANDE au Greffier du Tribunal international de prendre toutes les mesures nécessaires aux fins de signifier la présente ordonnance à la SFOR, au Conseil de l’Atlantique Nord et aux États figurant au paragraphe 2  ci-dessus, en conformité avec l’article 54 bis E) du Règlement, et d’informer la Chambre de première instance des dates de signification.

5. En application de l’article 54 bis E) ii) du Règlement, et nonobstant la date fixée pour la production des pièces, la présente ordonnance ne prendra effet que quinze jours après cette signification.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

 

Le Président de la Chambre de première instance
/signé/
Patrick Robinson

Le Juge Patrick Robinson joint une Opinion individuelle à la présente décision.

Fait le 18 octobre 2000,
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1- Grand Quartier général des forces alliées en Europe.
2- Déclaration révisée à l’appui de la Requête, 1er décembre 1999, par. 5.
3- Notification de la Défense à la Chambre de première instance concernant des mesures spécifiques sollicitées en rapport avec la requête aux fins d’assistance judiciaire, 25 juillet 2000 (la «Notification concernant les mesures»).
4- Le Procureur c/ Blaskic, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, affaire n° IT-95-14-AR108, Chambre d’appel, 29 octobre 1997, par. 50 et note de bas de page n° 68.
5- Réplique de la Défense de l’accusé Stevan Todorovic à la réponse du Procureur à la requête aux fins d’assistance judiciaire et de production forcée, 13 décembre 1999 (la «Réplique de la Défense»), par. 9.
6- Réplique de la Défense, supra note 5, par. 8 et 12.
7- Mémoire des points de droit avancés par la Défense pour démontrer que la compétence du TPIY s’étend à la SFOR, 5 juin 2000, par. 4, 8 et 9.
8- Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies S/RES/1088, 12 décembre 1996.
9- Notamment, la Réponse du Procureur à la «Notification de requêtes demandant une audience consacrée aux éléments de preuve relatifs à l’arrestation, à la détention et au transfert de l’accusé Stevan Todorovic», 22 février 1999 (la «Réponse de l’Accusation relative à l’arrestation»).
10- Réponse du Procureur à la «Notification de la requête aux fins d’assistance judiciaire», 8 décembre 1999, par. 13 à 16.
11- Ibid., par. 18 à 20.
12- Ibid., par. 25.
13- Réponse de l’Accusation relative à l’arrestation, supra note 9, par. 53.
14- Réponse de la Défense à la requête de la SFOR aux fins de prorogation du délai de dépôt d’une réponse et réplique à la réponse de l’Accusation, 3 juillet 2000, par. 8 et 9.
15- Mémoire de la SFOR, 10 juillet 2000 (le «Mémoire de la SFOR»).
16- L’Accusation a repris à son compte et a développé nombre de ces arguments dans sa Réponse du Procureur à la notification de la Défense à la Chambre de première instance concernant des mesures spécifiques sollicitées en rapport avec la Requête aux fins d’assistance judiciaire, infra, note 43.
17- Mémoire de la SFOR, supra, note 15, p. 2.
18- Jean-Bosco Barayagwiza c/ Le Procureur, Arrêt, affaire n°  ICTR-97-19-AR72, Chambre d’appel du TPIR, 31 mars 2000.
19- Le Procureur c/ Dokmanovic, Décision relative à la requête aux fins de mise en liberté de l’accusé Slavko Dokmanovic, affaire n° IT-95-13a, Chambre de première instance II, 22 octobre 1997.
20- Mémoire de la SFOR, supra, note 15, p. 3 (version en français).
21- Ibid., p. 4, (version en français).
22- Ibid., p. 5, (version en français).
23- Ibid., p. 6, (version en français).
24- Mémoire de la SFOR, supra, note 15, p. 9, (version en français).
25- Ibid., p. 9, (version en français).
26- Réponse de la Défense à l’exposé de la SFOR, 17 juillet 2000 («Réponse de la Défense à la SFOR»), p. 2 (version en français).
27- Ibid., p. 2 (version en français).
28- Stocke c/ République fédérale d’Allemagne, CEDH, Série A, n° 199, 19 mars 1991. 
29- Réponse de la Défense à la SFOR, supra, note 26, p. 9 (version en français).
30- Ibid., p. 10 (version en français).
31- Ibid., p. 11 (version en français).
32- Compte rendu d’audience, 25 juillet 2000 (le «CRA»), p. 747.
33- CRA, p. 748.
34- Ibid., p. 750.
35- Ibid., p. 751.
36- Ibid., p. 759.
37- Ibid.
38- Ibid., p. 768 et 769.
39- Ibid., p. 763.
40- Ibid., p. 765.
41- Ibid.
42- Ibid., p. 766.
43- Réponse du Procureur à la Notification de la Défense à la Chambre de première instance concernant des mesures spécifiques sollicitées en rapport à la Requête aux fins d’assistance judiciaire, 31 juillet 2000.
44- Ibid., par. 10.
45- Ibid., par. 12 à 17.
46- Réplique à la réponse de l’Accusation du 31 juillet 2000 relative à la requête aux fins d’assistance judiciaire, 2 août 2000.
47- Ibid., p. 6 et 7, (version en français).
48- Supra, note 5.
49- L’article VI 1) de l’Annexe 1-A prévoit que l’IFOR agit «en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies».
50- Le Conseil a été crée en application de l’article 9 du Traité de l’Atlantique Nord signé le 4 avril 1949 à Washington D.C., qui habilite également le Conseil à «constituer [...] les organismes subsidiaires qui pourraient être nécessaires». Le Conseil est chargé d’examiner les questions relatives à la mise en oeuvre du Traité de l’Atlantique Nord et tous les États Membres de l’OTAN y sont représentés.
51- L’IFOR est notamment chargée de veiller au respect des aspects militaires de l’Accord de paix, d’établir une liaison avec les autorités locales et les autres organisations internationales, d’aider les organisations internationales dans leurs missions humanitaires, de prévenir les entraves au mouvement des populations civiles et de surveiller les opérations de déminage.
52- Cela fait référence à l’OTAN.
53- L’Annexe 2 de l’Accord de Paix concerne la ligne de démarcation inter-entités et les questions connexes.
54- Le Procureur c/ Blagoje Simic et consorts, affaire n° IT-95-9, Ordonnance du Juge Jorda déposée le 5 février 1996.
55- Le 26 juillet 2000, l’Accord du SHAPE a été transmis à la Chambre à la condition qu’il ne soit communiqué à personne en dehors de la Chambre. Or, vu que l’Accord contient des dispositions en rapport avec la Requête, ainsi qu’avec la requête relative à la légalité de l’arrestation, vu que le Bureau du Procureur l’a toujours eu en sa possession, et puisqu’en tout état de cause, la divulgation des dispositions citées ne risque aucunement d’entraîner un préjudice, la Chambre estime que rien ne justifie qu’elles ne soient pas mentionnées, d’autant plus que cet Accord s’inscrit dans la chaîne des événements concernant la SFOR.
56- L’accord selon lequel le Procureur présentera ses arguments à l’appui des actions entreprises par rapport à la détention contredit sa thèse selon laquelle il n’était pas autorisé à parler au nom de la SFOR : cf. par. 31, supra.
57- Cf. aussi Joseph Kanyabashi c/ Le Procureur, affaire n° ICTR-96-15-A, TPIR Chambre d’appel, Joint and Separate Opinion of Judge McDonald and Judge Vohrah, 3 juin 1999, par. 15 ; Le Procureur c/ Tadic, affaire n° IT-94-1-PT, Décision relative à l’exception préjudicielle soulevée par le Procureur aux fins d’obtenir des mesures de protection pour les victimes et les témoins, Chambre de première instance II, 10 août 1995, p. 10 ; Le Procureur c/ Erdemovic, affaire n° IT-96-22-A, Opinion individuelle présentée conjointement par Madame le Juge McDonald et Monsieur le Juge Vohrah, Chambre d’appel, 7 octobre 1997, par. 3 ; Le Procureur c/ Theoneste Bagasora et 28 autres accusés, affaire n° ICTR-98-37-A, TPIR, Chambre d’appel, Arrêt rendu sur la recevabilité de l’appel formé par le Procureur contre la décision d’un juge confirmateur rejetant un acte d’accusation contre Théoneste Bagosora et 28 autres accusés, 8 juin 1998 et Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, Chambre d’appel, 2 octobre 1995.
58- Supra, note 5.
59- Le Procureur c/ Milan Kovacevic, affaire n° IT-97-24-PT, Décision portant refus d’une requête de la Défense relative à une injonction de produire, Chambre de première instance II, 23 juin 1998 (la «Décision relative à l’OSCE»).
60- Le Procureur c/ Simic et consorts, affaire n° IT-95-9-PT, Décision relative à la requête de l’Accusation en application de l’article 73 du Règlement concernant la déposition d’un témoin, Chambre de première instance III, 27 juillet 1999.
61- Ibid., par. 78.
62- Le Procureur c/ Dario Kordic et consorts, affaire n° IT-95-14/2-T, Ordonnance aux fins de production de documents par la Mission de contrôle de la Communauté européenne et par ses États membres, Chambre de première instance III, 4 août 2000.
63- Supra, note 59.
64- Cf. les principes énoncés au paragraphe 114 de l’arrêt rendu dans Le Procureur c/ Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-A, Chambre d’appel, 24 mars 2000 : « La Chambre d’appel estime que les Chambres de première instance, qui sont des organes exerçant une compétence de même degré, ne sont pas liées par les décisions les unes des autres. Cependant, une Chambre de première instance est libre de suivre toute décision d’une de ses homologues, dès lors qu’elle l’estime fondée».
65- Supra, note 62.
66- Le Procureur c/ Blagoje Simic et consorts, affaire n° IT-95-9-PT, Demande de l’accusé Todorovic aux fins d’une ordonnance d’habeas corpus, 12 novembre 1999 ; Notice of Motion for an Order directing the Prosecutor to Forthwith Return the Accused Stevan Todorovic to the Country of Refuge, 21 octobre 1999.
67- Mémoire de la SFOR, supra, note 15, p. 4, CRA, p. 749.
68- CRA, p. 754, 756 et 758.
69- Mémoire de la SFOR, supra, note 15, p. 4 et 5.
70- S/RES/827 (1993), par. 4.