LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba, Président
Mme le Juge Sharon A. Williams
M. le Juge Per-Johan Viktor Lindholm

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 février 2003

LE PROCUREUR

c/

BLAGOJE SIMIC
MIROSLAV TADIC
SIMO ZARIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE CONJOINTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE CERTIFICATION D’UN APPEL EN VERTU DE L’ARTICLE 73 DU RÈGLEMENT (RAPPORT D’EXPERT)

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Le Bureau du Procureur :

M. Gramsci Di Fazio
M. Philip Weiner
M. David Re

Les Conseils des accusés :

MM. Igor Pantelic et Srdjan Vukovic pour Blagoje Simic
MM. Novak Lukic et Dragan Krgovic pour Miroslav Tadic
MM. Borislav Pisarevic et Aleksandar Lazarevic pour Simo Zaric

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal »),

VU la requête conjointe aux fins de certification d’un appel en vertu de l’article 73 du Règlement (Joint Defense Request for Rule 73 Certification, la « Requête »), déposée par la défense de Blagoje Simic, Miroslav Tadic et Simo Zaric (la « Défense ») le 5 février 2003, demandant à la Chambre

A) de certifier, en application de l’article 73 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), l’appel relatif à la décision par laquelle la Chambre a rejeté le rapport de Mme Kron1 (le « Rapport Kron »), ou, si cette demande était écartée,

B) d’autoriser le dépôt d’un addendum audit rapport d’expert, addendum qui concernerait uniquement la municipalité de Samac et les observations de Mme Kron sur des déclarations de témoins faites en l’espèce (l’« Addendum »),

VU les arguments que la Défense présente dans sa Requête, entre autres :

i) que l’objectif du Rapport Kron était de tenter d’expliquer le comportement collectif des habitants qui ont quitté la municipalité de Samac pendant le conflit, principalement en raison de l’insécurité créée par les opérations militaires,2

ii) que Mme Kron a examiné les « déclarations » faites par les témoins à charge au stade de la mise en état et lors du procès, et qu’elle avait connaissance de tous les faits pertinents, y compris de la situation dans la municipalité de Samac,

iii) que la Chambre de première instance a admis au dossier le rapport de M. Donia (le « Rapport Donia3 ») alors que celui–ci ne contient qu’un seul paragraphe se rapportant à Samac, et que M. Donia n’avait aucune connaissance de la situation à Samac,4

iv) que la Défense n’aura pas la possibilité de présenter des éléments de preuve qui sont d’une importance capitale pour contrer les allégations formulées par le Procureur lors de la présentation des moyens de preuve à charge,5

Attendu qu’aux termes de l’article 73 B) du Règlement, la Chambre de première instance peut certifier un appel à condition

i) que la décision attaquée touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue,

ii) que la Chambre soit d’avis qu’un règlement immédiat par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure,

VU l’article 20 du Statut du Tribunal, qui dispose que la Chambre de première instance doit veiller à ce que le procès soit équitable et rapide, les droits de l’accusé étant pleinement respectés,

Attendu que la Chambre de première instance a déclaré le 29 janvier 2003 dans sa Décision orale

i) que le Rapport Kron est à différencier du rapport présenté par M. Stuart Turner dans l’affaire Galic, parce que ce dernier se rapportait directement aux faits visés dans l’acte d’accusation, alors que le Rapport Kron est un exposé général sur la psychologie en temps de guerre, qui n’a ni pertinence ni valeur probante pour les faits spécifiques de l’espèce, qu’il ne traite pas du comportement de la population de Bosanski Samac, et qu’il ne se fonde sur aucune étude scientifique permettant d’analyser les actes de persécution, de déportation et de transfert de populations reprochés dans l’acte d’accusation,

ii) qu’en application de l’article 89 du Règlement, et nonobstant l’article 94 bis, la Chambre de première instance peut exclure tout élément de preuve qui n’est pas pertinent et dont la valeur probante est largement inférieure à l’exigence d’un procès équitable,

iii) que la Chambre de première instance a attentivement examiné le rapport Kron et conclu, en conformité avec l’article 89 du Règlement et nonobstant l’article 94 bis, que ce rapport n’est pas pertinent pour les faits ou éléments de preuve de l’espèce,

iv) qu’elle exclut donc le Rapport Kron, en raison de son manque de pertinence et de valeur probante pour l’espèce,

Attendu que, dans sa Décision orale, la Chambre de première instance a exposé de manière détaillée les raisons pour lesquelles elle s’oppose à ce que le Rapport Kron soit versé au dossier,

Attendu que le Rapport Kron n’aborde pas les allégations spécifiquement formulées par l’Accusation lors de la présentation des moyens à charge, ni les raisons pour lesquelles des habitants de Samac ont quitté la municipalité pendant le conflit,

Attendu que, même si Mme Kron a examiné les « déclarations » des témoins, son rapport n’est qu’un exposé général sur la psychologie en temps de guerre et qu’il n’aborde pas la question spécifique des mouvements de population à Bosanski Samac pendant la guerre, pas plus qu’il ne présente d’étude ou d’analyse pouvant être pertinente au regard des accusations portées dans l’acte d’accusation,

Attendu que la Défense a eu la possibilité, en toute équité et égalité, de citer et d’interroger des témoins à décharge afin qu’ils s’expriment sur des points particuliers de l’acte d’accusation, et que ces témoins ont évoqué ce qu’ils ont éprouvé et vécu suite aux opérations militaires à Samac, évoquant notamment la pénurie de produits de première nécessité et les motifs qui ont poussé des personnes de toutes origines ethniques à quitter Samac,

Attendu que le Rapport Donia se différencie du Rapport Kron en ceci que le premier est une étude qui vise à placer l’affaire dans son contexte historique, tandis qu’à en croire la Défense le Rapport Kron contiendrait des éléments de preuve pertinents pour les crimes allégués dans l’acte d’accusation et pour la participation des accusés aux actes de persécution, de déportation et de transfert de populations,

Attendu que la Décision orale ne touche aucune question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et que la Défense n’a pas démontré que les accusés subiront un quelconque préjudice si l’appel n’est pas certifié,

Attendu que l’exclusion de l’Addendum par la Chambre de première instance ne portera aucun préjudice à la cause de la Défense, et que le droit des accusés à être jugés équitablement est pleinement respecté,

EN APPLICATION de l’article 73 B) du Règlement,

REJETTE la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
__________________
Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba

Le 28 février 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Leposava Kron, War and Collective Behaviour : A Psychological Analysis, 20 décembre 2002.
2 - Requête, par. 4 à 6.
3 - Robert J. Donia, Statement of Expert Witnesses Presented to the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia Under Rule 94 bis, 5 septembre 2001.
4 - Requête, par. 8.
5 - Requête, par. 9.