Affaire n° : IT-95-9-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II

Composée comme suit :
Mme le Juge Florence Ndepele Mwachande Mumba, Président

Mme le Juge Sharon A. Williams
M. le Juge Per-Johan Viktor Lindholm

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
28 avril 2003

LE PROCUREUR

c/

BLAGOJE SIMIC
MIROSLAV TADIC
SIMO ZARIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE DE L’ACCUSATION AUX FINS DE RÉEXAMEN PAR LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE DE SA DÉCISION RENDUE LE 2 AVRIL 2003 CONCERNANT LE CONTRE-INTERROGATOIRE DES TÉMOINS À DÉCHARGE PRÉSENTÉS EN APPLICATION DE L’ARTICLE  92 BIS DU RÈGLEMENT OU, À DÉFAUT, DE CERTIFICATION D’UN APPEL EN APPLICATION DE L’ARTICLE 73 B) DU RÈGLEMENT DE PROCÉDURE ET DE PREUVE

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Le Bureau du Procureur :

M. Gramsci Di Fazio
M. Philip Weiner
M. David Re

Les Conseils des accusés :

MM. Igor Pantelic et Srdjan Vukovic, pour Blagoje Simic
MM. Novak Lukic et Dragan Krgovic, pour Miroslav Tadic
MM. Borislav Pisarevic et Aleksandar Lazarevic, pour Simo Zaric

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE II du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal  »),

VU la décision rendue oralement par la Chambre de première instance le 2  avril 2003 (la « Décision orale1 »), par laquelle cette dernière a rejeté la demande présentée oralement par le Bureau du Procureur (l’« Accusation ») le même jour, aux fins d’obtenir l’autorisation de procéder au contre-interrogatoire du témoin à décharge Ðorde Tubakovic, au sujet d’incohérences constatées entre ce qu’il a dit à l’audience et le contenu d’un paragraphe exclu de sa déclaration recueillie le 18 février 2003, en application de l’article  92 bis du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »),

VU la Requête de l’Accusation aux fins de réexamen par la Chambre de première instance de sa décision rendue le 2 avril 2003 concernant le contre-interrogatoire des témoins à décharge présentés en application de l’article 92 bis du Règlement ou, à défaut, de certification d’un appel en application de l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve (Prosecution’s Motion for Trial Chamber’s Redetermination of its Decision of 2 April 2003 Relating to Cross-Examination of Defence Rule 92  bis Witnesses, or Alternatively Certification Under Rule 73(B) of Rules of Procedure and Evidence), déposée le 3 avril 2003, par laquelle l’Accusation demande :

a) que la Chambre de première instance réexamine sa Décision orale du 2 avril 2003 , par laquelle elle refuse d’autoriser le contre-interrogatoire des témoins à décharge au sujet d’incohérences constatées entre leur déclaration recueillie sous serment en application de l’article 92 bis du Règlement et leur déposition à l’audience , compte tenu des arguments juridiques qui lui ont été soumis ou, à défaut,

b) qu’elle certifie, en application de l’article 73 B) du Règlement, un appel interlocutoire contre la Décision orale de la Chambre datée du 2 avril 2003,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 92 bis A) du Règlement, une Chambre peut admettre les éléments de preuve présentés par un témoin sous la forme d’une déclaration écrite, au lieu et place d’un témoignage oral, et permettant de démontrer un point autre que les actes et le comportement de l’accusé tels qu’allégués dans l’acte d’accusation,

ATTENDU que l’article 92 bis du Règlement vise à limiter l’admissibilité de ce « genre très particulier de preuves indirectes2  », et que c’est la lex specialis qui soustrait au champ d’application de la lex generalis de l’article 89 C) l’admissibilité de telles déclarations écrites de témoins, même si les principes généraux qui découlent implicitement de l’article 89 C) – que l’élément de preuve est recevable uniquement s’il est pertinent et s’il a une valeur probante – demeurent applicables pour l’article 92 bis3,

ATTENDU que la nature de la lex specialis de l’article 92 bis et le caractère particulier du Tribunal rendent inutile toute comparaison avec d’autres tribunaux nationaux,

ATTENDU que l’article 92 bis autorise la Chambre de première instance à admettre, en tout ou en partie, la déclaration écrite d’un témoin, et que les passages de ladite déclaration que la Chambre a rejetés pour non-conformité aux dispositions de l’article 92 bis ne peuvent être à nouveau soumis par les parties aux fins de contre-interrogatoire quant à la crédibilité du témoin, et ne peuvent être traitées comme une ancienne demande en vue de procéder à un contre- interrogatoire, puisqu’ils n’existent que dans l’otique de la procédure relevant de l’article 92 bis et n’ont pas d’existence propre,

ATTENDU que dans la Décision orale de la Chambre, rien n’empêche l’admission ou l’utilisation aux fins de contre-interrogatoire d’une déclaration écrite faite aux inspecteurs de l’Accusation ou à d’autres aux fins de poursuites judiciaires , et recueillie hors du cadre de l’article 92 bis, lorsqu’une telle déclaration est conforme aux dispositions du Règlement,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 90 H) i) du Règlement et lorsque l’intérêt de la justice l’exigeait, la Chambre de première instance a sélectionné des témoins ayant fait des déclarations en application de l’article 92 bis pour qu’ils viennent témoigner à l’audience et/ou soient contre-interrogés au sujet d’une déclaration relevant de l’article 92 bis versée au dossier,

ATTENDU qu’en vertu de l’article 73 B), la Chambre de première instance peut certifier un appel à condition que :

i) la décision attaquée touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et

ii) la Chambre de première instance estime qu’un règlement immédiat de la question par la Chambre d’appel pourrait concrètement faire progresser la procédure,

ATTENDU que la Décision orale touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, s’agissant du droit de l’Accusation à contre-interroger des témoins, ainsi que des droits reconnus à Blagoje Simic, Miroslav Tadic et Simo Zaric (les « Accusés ») à interroger des témoins, consacrés par l’article 21 e) du Statut du Tribunal4,

ATTENDU que le procès des Accusés touche à sa fin, qu’il reste un petit nombre de témoins à entendre, et qu’il est préférable de se prononcer sur la question,

PAR CES MOTIFS, la Chambre de première instance maintient sa Décision orale, et certifie, en application de l’article 73 B) du Règlement, l’appel interlocutoire contre ladite Décision orale.

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
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Florence Ndepele Mwachande Mumba

Le 28 avril 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - CR p. 17 930 à 17 932.
2 - Le Procureur c/ Slobodan Milosevic, « Arrêt relatif à l’admissibilité d’éléments de preuve produits par un enquêteur de l’Accusation », 30 septembre 2002, p. 13.
3 - Idem, p. 13.
4 - Article 6 3) d) de la Convention européenne pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950).