Affaire n° : IT-02-54-A-R77.4

LA CHAMBRE D’APPEL

Composée comme suit :
M. le Juge Theodor Meron, Président
M. le Juge Fausto Pocar
M. le Juge Mohamed Shahabuddeen
M. le Juge Mehmet Güney
M. le Juge Wolfgang Schomburg

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
23 juin 2005

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE DE L’ACCUSATION DE REJETER LE MÉMOIRE DÉPOSÉ PAR L’APPELANT DANS LE CADRE DE L’APPEL INTERJETÉ CONTRE LA DÉCISION CONCERNANT LES POURSUITES ENGAGÉES CONTRE KOSTA BULATOVIC POUR OUTRAGE

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice
Mme Hildegard Uertz-Retzlaff
M. Dermot Groome

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Le Conseil de l’Appelant :

M. Stéphane Bourgon

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

L’Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

1. Le 21 juin 2005, l’Accusation a déposé une demande aux fins de rejeter le mémoire déposé par l’Appelant dans le cadre de l’appel interjeté contre la décision rendue par la Chambre de première instance concernant les poursuites engagées contre Kosta Bulatovic pour outrage1.

2. L’Accusation affirme à bon droit que par son Ordonnance portant calendrier du 3 juin 2005, la Chambre d’appel a ordonné à l’Appelant de déposer son mémoire d’appel au plus tard le 17 juin 20052. Cependant, l’Appelant a envoyé son mémoire par télécopie au Greffe le samedi 18 juin 2005 à 0 h 26. Ce dernier n’admettant pas de document pendant le week-end, il a procédé au dépôt dudit mémoire le lundi 20 juin 20053.

3. Lors du dépôt tardif de son mémoire, l’Appelant n’a pas présenté, en application de l’article 127 du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement »), de requête demandant que son mémoire soit considéré comme valablement déposé et présentant des motifs convaincants justifiant son retard. Dans ces conditions, l’Accusation demande que la Chambre d’appel supprime le mémoire de l’Appelant du dossier de procédure au motif qu’il n’a pas été déposé dans le délai prescrit4. À défaut, si la Chambre d’appel accepte le mémoire de l’Appelant comme ayant été valablement déposé, l’Accusation demande que lui soient accordés trois jours supplémentaires pour y répondre afin de parer tout préjudice causé par son dépôt tardif5.

4. Si l’Appelant a déposé une réponse à la Demande de l’Accusation, il a omis de présenter des motifs convaincants justifiant que la Chambre d’appel considère son mémoire d’appel comme valablement déposé, en application de l’article 127 du Règlement6-. Dans cette Réponse, le Conseil de l’Appelant indique qu’il n’est pas parvenu à respecter le délai imparti malgré tous ses efforts en ce sens. Il affirme qu’il a préféré informer le Greffe qu’il ne serait pas en mesure de déposer le mémoire d’appel à temps plutôt que de perdre davantage de temps en demandant à la Chambre d’appel une prorogation de délai7.

5. L’Ordonnance portant calendrier rendue par la Chambre d’appel ne prête pas à équivoque. La date prévue pour le dépôt du mémoire de l’Appelant était le 17 juin 2005. Si des motifs convaincants justifiaient que le Conseil dépose le mémoire de l’Appelant après la date fixée dans l’Ordonnance, ces motifs convaincants auraient dû être exposés devant la Chambre d’appel, et ce, dans une demande de prorogation de délai présentée avant ladite date, ou bien dans une requête aux fins que le mémoire de l’Appelant soit considéré comme valablement déposé en application de l’article 127 du Règlement, requête présentée lors du dépôt tardif dudit mémoire, si ce n’est auparavant. Le fait que le Conseil de l’Appelant n’a pas cherché à justifier son dépôt tardif et qu’il a demandé à la Chambre d’appel de considérer le mémoire comme valablement déposé après coup suffit pour permettre à la Chambre d’appel de considérer que le mémoire n’a pas été valablement déposé et de le rejeter, comme le demande l’Accusation. En effet, lorsque des délais de dépôt précis sont dépassés sans justification, la Chambre d’appel a tendance à rejeter le document. Cependant, elle considère qu’en l’espèce, l’intérêt de la justice justifie de considérer que le mémoire a été valablement déposé même si le Conseil a agi en violation de son Ordonnance.

6. Les procédures pour outrage tiennent une place secondaire dans les procès menés au Tribunal et découlent du pouvoir inhérent des juges de ce Tribunal de préserver l’intégrité des procédures dont ils connaissent. Cependant, l’appel pour outrage dont il est question ici touche aussi au droit fondamental d’un accusé à un procès équitable, en l’espèce Slobodan Milosevic, qui se voit reprocher des infractions particuličrement graves, ce qui n’a pas été le cas dans les autres procédures pour outrage dont le Tribunal a connu.

7. Un argument essentiel avancé par l’Appelant dans ses moyens d’appel est que la Chambre de première instance n’aurait pas dû permettre la poursuite de son contre-interrogatoire en l’absence de l’Accusé et que, partant, il n’aurait jamais dû être amené à se soustraire à une ordonnance du Tribunal ni, par voie de conséquence, être mis en accusation pour outrage au Tribunal pour cette raison. Avant que des poursuites pour outrage ne soient engagées à son encontre, l’Appelant a demandé à la Chambre de première instance de reconsidérer sa décision dans cet esprit. Celle-ci a refusé, indiquant qu’il n’était pas dans ses attributions de réexaminer cette décision, qu’elle avait déjà considérée comme justifiée compte tenu des poursuites engagées contre l’Appelant pour outrage.

8. Dans ces circonstances, si la Chambre d’appel refusait, en raison d’une irrégularité de procédure, de considérer que le mémoire a été valablement déposé, l’Appelant se retrouverait dans une position fâcheuse, accusé d’outrage mais n’ayant pas la possibilité de répondre pleinement à cette accusation pénale. Partant de cette idée, la Chambre d’appel a jugé que les conséquences possibles pour les droits de l’Accusé Milosevic de ces poursuites pour outrage justifiaient d’avoir une certaine indulgence vis-ŕ-vis de l’Appelant malgré le non-respect par son Conseil de l’Ordonnance portant calendrier.

9. Sur la base de ce qui précède, la Chambre d’appel considère que le mémoire de l’Appelant a été valablement déposé le 20 juin 2005. L’Accusation se voit accorder trois jours supplémentaires pour déposer sa réponse au mémoire de l’Appelant, et a donc jusqu’au 30 juin 2005 pour ce faire au lieu du 27 juin 2005, comme il était prévu dans l’Ordonnance portant calendrier.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le 23 juin 2005
La Haye (Pays-Bas)

Le Président de la Chambre d’appel
______________
Theodor Meron

[Sceau du Tribunal international]


1. Prosecution’s Application to Strike Appellant’s Brief, 21 juin 2005 (la « Demande de l’Accusation »). L’Accusation a présenté sa Demande devant la Chambre de première instance et non pas devant la Chambre d’appel. Cependant, le Greffe a donné à la Demande de l’Accusation le numéro d’affaire qui convenait et a transmis le document à la Chambre d’appel. Il s’ensuit que la Demande de l’Accusation a été valablement déposée devant la Chambre d’appel.
2. Ordonnance portant calendrier, 3 juin 2005.
3. Ibidem, par. 1 à 3.
4. Ibid., par. 4.
5. Ibid., par. 2.
6. Appellant’s Response to Prosecution Application to Strike the Appellant’s Brief and Request for Variation of Time Limits, 22 juin 2005 (la « Réponse de l’Appelant »).
7. Ibidem, par. 5 et 6.