Affaire n° IT-02-54

Le Procureur c/ Slobodan Milosevic

DÉCISION

LE GREFFIER ADJOINT,

VU la Résolution 827 du 25 mai 1993 (la « Résolution 827 »), par laquelle le Conseil de sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a décidé « de créer un tribunal international dans le seul but de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit humanitaire international commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie […] » afin de contribuer à « la restauration de la paix, et d’adopter à cette fin le Statut du Tribunal international » (le « Tribunal »),

VU le Statut du Tribunal adopté par le Conseil de sécurité en vertu de ladite Résolution du 25 mai 1993, modifié ultérieurement,

VU le « Règlement portant régime de détention des personnes en attente de jugement ou d’appel devant le Tribunal ou détenues sur l’ordre du Tribunal » (le « Règlement sur la détention »), adopté par le Tribunal le 5 mai 1994, modifié ultérieurement,

VU l’article 2 du Règlement sur la détention, qui dispose que l’Organisation des Nations Unies « est l’entité qui, en définitive, doit rendre compte de tous les aspects de la détention conformément au présent Règlement et qui est responsable », et que tous les détenus sont « à tout moment soumis à l’autorité exclusive du Tribunal, même lorsqu’ils sont physiquement absents du quartier pénitentiaire, jusqu’à leur libération définitive ou leur transfert dans un autre établissement »,

ATTENDU que si le Règlement sur la détention garantit le respect et la protection sans faille des droits individuels des détenus, l’application de ses dispositions relatives aux communications et aux visites exige également de tenir compte de l’intérêt de l’administration de la justice et de l’objet du Statut du Tribunal,

ATTENDU, par conséquent, que le Règlement sur la détention prévoit qu’en cas de conflit d’intérêts, il peut être nécessaire de mettre en balance les droits individuels du détenu et les devoirs et les obligations institutionnels du Tribunal,

RAPPELANT que par la Résolution 827, le Conseil de sécurité s’est déclaré « gravement alarmé par les informations qui continuent de faire état de violations flagrantes et généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et spécialement dans la République de Bosnie-Herzégovine, particulièrement celles qui font état de tueries massives, de la détention et du viol massifs, organisés et systématiques des femmes et de la poursuite de la pratique du "nettoyage ethnique", notamment pour acquérir et conserver un territoire », et résolu « à mettre fin à de tels crimes et à prendre des mesures efficaces pour que les personnes qui en portent la responsabilité soient poursuivies en justice »,

RAPPELANT aussi que par la Résolution 827, le Conseil de sécurité a indiqué que la création du Tribunal et l’engagement de poursuites contre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire contribueraient à la restauration et au maintien de la paix en ex-Yougoslavie,

ATTENDU que l’article 29 du Statut du Tribunal exige des États qu’ils « collaborent avec le Tribunal à la recherche et au jugement des personnes accusées d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire »,

ATTENDU que Slobodan Milošević (« l’Accusé ») est actuellement jugé par le Tribunal pour des actes qu’il aurait commis alors qu’il occupait de hautes fonctions politiques en ex-Yougoslavie,

ATTENDU que l’Accusé est candidat aux élections législatives qui doivent avoir lieu en Serbie le 28 décembre 2003,

ATTENDU, EN PARTICULIER, que le commandant du Quartier pénitentiaire des Nations Unies (le « Quartier pénitentiaire ») a été informé que l’Accusé a récemment recouru aux moyens de communication du Quartier pénitentiaire pour faire des déclarations à l’attention de son parti politique et de ses partisans, qui ont ensuite été diffusées dans les médias,

ATTENDU que l’article 63 B) du Règlement sur la détention dispose qu’aux fins d’une bonne administration de la justice, « le Greffier peut interdire à toute personne de visiter un détenu s’il a des raisons de croire que le but de la visite est d’obtenir des informations qui pourraient par la suite être diffusées par les médias », qu’il ressort de cet article et du principe qui le fonde qu’il est possible d’interdire toute communication entre un détenu et des tiers s’il existe des raisons de penser que ces communications conduiraient à la diffusion dans les médias de déclarations du détenu, en particulier si celles-ci compromettent le mandat du Tribunal de contribuer à la restauration et au maintien de la paix en ex-Yougoslavie,

ATTENDU, comme il a été dit plus haut, qu’en violation du Règlement sur la détention, l’Accusé s’est directement mis en rapport avec les médias ou s’est servi de l’avantage qu’il avait de communiquer avec des tiers pour, par leur intermédiaire, diffuser des messages dans les médias, de sorte que ceux-ci ont largement relayé le fait qu’une personne devant, comme l’Accusé, répondre de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, participe aisément à la campagne en cours pour les élections législatives en Serbie,

ATTENDU que les facilités disponibles au Quartier pénitentiaire sont destinées au bien-être de l’Accusé, et qu’elles n’ont pas pour objet de contrecarrer la fonction du Tribunal de contribuer à l’établissement de la paix et de la sécurité en ex-Yougoslavie, et ATTENDU que le fait qu’un détenu puisse, grâce aux facilités mises à sa disposition par le Quartier pénitentiaire, participer à la campagne en cours pour les élections législatives en Serbie est susceptible de contrecarrer le mandat du Tribunal,

ATTENDU que si l’on met en balance les droits de l’Accusé de communiquer avec des tiers et de recevoir des visites et le droit du Tribunal de remplir effectivement son mandat et ses fonctions, la situation particulière de l’Accusé nécessite pour l’heure d’ordonner des mesures indispensables si l’on veut éviter que l’exercice illimité du droit de communiquer avec des tiers et de recevoir des visites n’aboutisse à une couverture médiatique potentiellement néfaste,

DÉCIDE, en application des articles 60 et 63 du Règlement sur la détention, et pour une période de trente (30) jours à compter de la présente, période au terme de laquelle la décision sera reconsidérée :

i) que toute communication téléphonique entre l’Accusé et les tiers (en particulier les journalistes) sera interdite, à l’exception des communications avec sa famille immédiate, son conseil juridique (le cas échéant) et des représentants diplomatiques ou consulaires, sous réserve que ce moyen de communication ne soit pas utilisé pour entrer d’une quelconque manière en relation avec les médias ;

ii) que toutes les conversations téléphoniques autorisées seront placées sur écoute, à l’exception de celles avec les représentants juridiques attitrés (le cas échéant) et les représentants diplomatiques ou consulaires, en conformité avec les pratiques actuellement en vigueur au Quartier pénitentiaire ;

iii) que l’Accusé ne recevra aucune visite (en particulier pas de journalistes), à l’exception de sa famille immédiate, de son conseil juridique (le cas échéant), et des représentants diplomatiques ou consulaires ;

iv) que toutes les visites autorisées se dérouleront sous la surveillance du commandant du Quartier pénitentiaire ou d’un représentant qu’il aura désigné ;

v) que les restrictions susmentionnées ne s’appliqueront pas aux communications écrites, pour lesquelles les pratiques en cours continueront de s’appliquer, de même que les règles en vigueur au Quartier pénitentiaire concernant la réception et l’envoi du courrier.

 

Le Greffier adjoint
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David Tolbert

[cachet du Tribunal]

Le 11 décembre 2003
La Haye (Pays-Bas)