Affaire n° : IT-02-54-T

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Richard May, Président

M. le Juge Patrick Robinson M. le Juge O-Gon Kwon

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le :
15 septembre 2003

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

VERSION PUBLIQUE

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CINQUIÈME DÉCISION RELATIVE AUX DEMANDES DE L’ACCUSATION ET DE LA SERBIE-ET-MONTÉNÉGRO EN APPLICATION DE L’ARTICLE 54 bis DU RÈGLEMENT

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Le Bureau du Procureur :

M. Geoffrey Nice
Mme Hildegaard Uertz-Retzlaff
M. Dermot Groome

Les amici curiae :

M. Steven Kay
M. Branislav Tapuskovic
M. Timothy McCormack

Le Gouvernement de Serbie-et-Monténégro :

M. Vladimir Djeric

L’accusé :

M. Slobodan Milosevic

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal  international »),

VU la Demande de l’Accusation aux fins d’une ordonnance en application de l’article 54 bis du Règlement enjoignant à la République fédérale de Yougoslavie de donner suite aux demandes d’assistance en suspens (Prosecution’s Application for an Order Pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply With Outstanding Requests for Assistance), déposée le 13 décembre 2002 par le Bureau du Procureur (« l’Accusation »),

VU les écritures déposées ultérieurement par les parties, les arguments présentés oralement devant la Chambre de première instance les 10 mars et 3 juin 2003, ainsi que les ordonnances de procédure rendues par la Chambre de première instance1,

VU les décisions suivantes de la Chambre de première instance : « Décision partielle relative à la requête de l'Accusation aux fins d'ordonnances en application de l'article 54 bis du Règlement à l'adresse de la Serbie-et-Monténégro », rendue le 5 juin 2003 (la « Première Décision »)2 ; « Deuxième décision relative à la requête de l'Accusation aux fins d'ordonnances en application de l'article 54 bis du Règlement à l'adresse de la Serbie- et-Monténegro », rendue le 12 juin 2003 (la « Deuxième Décision »)3 ; « Troisième décision relative à la requête de l'Accusation aux fins d'ordonnances en application de l'article 54 bis du Règlement à l'adresse de la Serbie- et-Monténégro », rendue le 18 juin 2003 (la « Troisième Décision ») ; et [supprimé]4,

VU les écritures déposées par l’Accusation et par le Gouvernement de Serbie-et-Monténégro (la « Serbie-et-Monténégro ») en application de la Deuxième Décision5, et notamment les affirmations de l’Accusation concernant l’existence d’organes appelés « Commandement suprême » et « État-major du Commandement suprême »6,

VU les dispositions de l’article 54 bis du Règlement de procédure et de preuve (le « Règlement ») et la jurisprudence du Tribunal international concernant l’obligation faite aux États de collaborer avec ce dernier7,

EN APPLICATION de l’article 29 du Statut du Tribunal international et de l’article 54 bis du Règlement,

ORDONNE ce qui suit :

1) a) La Serbie-et-Monténégro précisera à l’Accusation, dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision, si des réunions du Conseil suprême de la défense de la République fédérale de Yougoslavie se sont tenues entre le 23 mars 1999 et le 5 octobre 2000.

b) Au cas où de telles réunions se seraient tenues, la Serbie-et-Monténégro fournira à l’Accusation, dans un délai de deux semaines à compter de date de la présente décision, les procès-verbaux et comptes rendus sténographiques de ces réunions ( voir Première Décision, p. 3 ; Deuxième Décision, mesure n° 1 ; [supprimé] ; Demande d’assistance de l’Accusation (« RFA ») 117, datée du 15 août 2001 ; RFA 219, datée du 25 juin 2002).

c) Si de telles réunions n’ont pas eu lieu, la Serbie-et-Monténégro le précisera dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision, au moyen d’un document public écrit déposé inter partes auprès de la Chambre de première instance.

d) Si la Serbie-et-Monténégro ne peut fournir cette précision, elle en informera la Chambre de première instance en déposant inter partes auprès d’elle, dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision, un document public écrit qui en expliquera les raisons.

2) a) La Serbie-et-Monténégro précisera à l’Accusation, dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision, si des réunions de l’Assemblée de la République de Serbie et du Conseil d’harmonisation des positions en matière de politiques de l’État se sont tenues entre avril 1990 et juin 1997, en dehors des 2 avril 1991, 8 avril 1991, 12 décembre 1991, 13 décembre 1991 et 17 décembre 1991 .

b) Au cas où de telles réunions se seraient tenues, la Serbie-et-Monténégro fournira à l’Accusation, dans un délai de deux semaines à compter de la date de la présente décision, les procès-verbaux et comptes rendus sténographiques de ces réunions ( voir Deuxième Décision, mesure n° 7 ; RFA 203, datée du 17 mai 2002 ; RFA 279, datée du 16 septembre 2002).

c) Si de telles réunions n’ont pas eu lieu, la Serbie-et-Monténégro le précisera dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision, au moyen d’un document public écrit déposé inter partes auprès de la Chambre de première instance.

d) Si la Serbie-et-Monténégro ne peut fournir cette précision, elle en informera la Chambre de première instance en déposant inter partes auprès d’elle, dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision, un document public écrit qui en expliquera les raisons.

3) a) La Serbie-et-Monténégro fournira à l’Accusation, dans un délai de deux semaines à compter de la date de la présente décision, les documents demandés concernant le Commandement suprême et l’État-major du Commandement suprême, y compris, mais sans s’y limiter, les deux documents intitulés « Stratégie de lutte armée » et « Doctrine militaire de la République fédérale de Yougoslavie » (voir Deuxième Décision, mesures n° 8 et 9 ; RFA 118, datée du 15 août 2001 ; RFA 118B, datée du 25 mars 2003 ; RFA 119B, datée du 16 octobre 2002 ; RFA 119C, datée du 16 octobre 2002 ; RFA 119D, datée du 8 août 2003).

b) Si la Serbie-et-Monténégro soutient que les organes appelés « Commandement suprême  » et « État-major du Commandement suprême » n’ont jamais existé, ni aucun autre organe, quel qu’en fût le nom, ayant rempli des fonctions similaires à celles des organes décrits dans la présente décision — par exemple, des organes i) responsables de la sécurité nationale en temps de guerre ou du contrôle d’organisations armées engagées dans la défense nationale durant l’état de guerre en vigueur en République fédérale de Yougoslavie du 24 mars 1999 au 10 juin 1999, ii) composés de membres du Conseil suprême de la défense à voix délibérative ou consultative et de toute autre personne invitée par la loi ou par tout autre instrument juridique, ordonnance ou convocation, à assister à leurs réunions, ou iii) composés de membres de l’État -major général de l’Armée de la République fédérale de Yougoslavie en temps de guerre (voir, par exemple, la note 6 ci-dessus ; RFA 118, datée du 15 août 2001 ; RFA 118B , datée du 25 mars 2003 ; RFA 119B, datée du 16 octobre 2002 ; RFA 119C, datée du 16 octobre 2002 ; RFA 119D, datée du 8 août 2003) — elle le précisera au moyen d’un document public écrit déposé inter partes auprès de la Chambre de première instance, dans un délai d’une semaine à compter de la date de la présente décision .

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
__________
Richard May

Le 15 septembre 2003
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1 - Ordonnance portant calendrier d’une audience consacrée à l’examen d’une requête de l’Accusation aux fins d’une ordonnance contraignante, datée du 10 janvier 2003 ; Written Response of Serbia and Montenegro to "Prosecution’s Application for an Order pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests for Assistance", réponse datée du 7 février 2003 ; Prosecution’s Request for Leave to File a Reply Regarding Outstanding Requests for Assistance, demande datée du 14 février 2003 ; Ordonnance relative à la Requête de l’Accusation aux fins d’autorisation de déposer une réplique, datée du 19 février 2003 ; Prosecution’s Reply to the Serbia and Montenegro Response to the Prosecution’s Application for an Order Pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests for Assistance, document daté du 27 février 2003 ; Submission of Serbia and Montenegro pursuant to the Chamber Order Issued at the Oral Hearing of 10 March 2003 concerning the "Prosecution’s Application for an Order pursuant to Rule 54 bis Directing the Federal Republic of Yugoslavia to Comply with Outstanding Requests for Assistance", document daté du 6 mai 2003 ; Prosecution Response to the 6 May 2003 Submission by Serbia and Montenegro regarding Outstanding Requests for Assistance, document daté du 20 mai 2003 ; Confidential Supplemental Information to the Prosecution Response to the 6 May 2003 Submission by Serbia and Montenegro regarding Outstanding Requests for Assistance, document daté du 5 juin 2003.
2 - La Première Décision avait été rendue initialement à titre confidentiel mais a été rendue publique par la suite.
3 - La Deuxième Décision avait été rendue initialement à titre confidentiel mais a été rendue publique par la suite.
4 - [supprimé].
5 - Request for Assistance from the Office of the Prosecutor of the International Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia to the Authorities of the Government of Serbia and Montenegro, demande datée du 10 juillet 2003 ; Prosecution’s Submission pursuant to the Trial Chamber’s Decision of 12 june 2003, document déposé à titre confidentiel le 12 août 2003 avec, en annexe, la demande d’assistance 119D de l’Accusation, datée du 8 août 2003 ; Prosecution’s Supplement to the “Prosecution’s Submission pursuant to the Trial Chamber’s Decision of 12 june 2003”, document déposé confidentiellement le 21 août 2003 avec, en annexe, la lettre explicative jointe par la Serbie-et-Monténégro aux documents qu’elle a présentés concernant le Conseil suprême de la défense, datée du 6 août 2003 ; Rapport confidentiel de la Serbie-et-Monténégro en exécution des décisions n° 11 et 12 de la « Deuxième Décision relative à la requête de l’Accusation aux fins d’ordonnances en application de l’article 54 bis du Règlement à l’adresse de la Serbie-et-Monténégro » du 12 juin 2003, déposé le 19 août 2003.
6 - L’Accusation a fourni des éléments de preuve à l’appui de l’existence 1) d’un organe appelé « Commandement suprême », qui était la plus haute instance civile responsable de la sécurité nationale en temps de guerre, et 2) d’un organe subordonné appelé « État-major du Commandement suprême », composante du Commandement suprême et qui était une formation de l’état-major général de l’Armée de la République fédérale de Yougoslavie en temps de guerre. Voir, par exemple, le compte rendu du témoignage livré le 17 juin 2003 par Zoran Lilic, Président de la République fédérale de Yougoslavie de 1993 à 1997, p. 22569 et 22570 (« Le Commandement suprême existe seulement en temps de guerre. L’État-major du Commandement suprême est l’organe le plus qualifié qui met en oeuvre les décisions prises par le Commandement suprême. Le Commandement suprême se constitue en partant de la stratégie de lutte armée et de la doctrine de défense qui est celle de la République fédérale de la Yougoslavie. Le Commandement suprême est constitué par des membres du Conseil suprême de la défense. Ce n'est qu'alors, qu'à ce moment-là, que le président du Conseil suprême de la défense est également le commandant suprême des forces armées, et les forces armées opèrent alors ensemble, renforcées par certaines unités du Ministère de l'intérieur. Je ne peux pas vous dire quelles sont ces unités. En sus des membres permanents du Conseil suprême de la défense, le Commandement suprême est constitué par le Ministre de l'intérieur, le Ministre des affaires étrangères et les Présidents des deux chambres du parlement fédéral de Yougoslavie, et l’État-major du Commandement suprême est en fait l’état-major général qui endosse le rôle d’État-major du Commandement suprême. »). Lilic a également affirmé que le Commandement suprême comprenait « [l]e Ministre de la défense » (CR, p. 22569 et 22570). L’Accusation a recueilli un témoignage selon lequel le mandat et les obligations du Commandement suprême et de l’État-major du Commandement suprême figuraient dans « deux documents adoptés par le Conseil suprême de la défense » (CR, p. 22570). Lilic a poursuivi : « Donc, comme les bombardements de l’OTAN ont commencé le 24, je suppose que l’état d’urgence et l’état de guerre ont été décrétés le même jour et que par décision du Président Miloševic, le Commandement suprême a été constitué sur la base de la stratégie de lutte armée et de la doctrine militaire de la République fédérale de Yougoslavie. Ce sont les deux documents en question. Vous pourrez les trouver au gouvernement fédéral – ou plutôt au Ministère fédéral de la défense, la doctrine militaire et la stratégie de lutte ou bataille armée » (CR, p. 22570). Voir aussi, par exemple, le compte rendu du témoignage livré le 12 février 2003 par le général Aleksandar Vasiljevic, p. 15960 (« Question : En période d’exception, comme nous l’avons entendu, l’État-major général prend le nom d’État major du Commandement suprême, et le Président de la RFY, en tant que commandant en chef de la VJ, commande la VJ via le Commandement suprême. Est-ce correct ? Réponse : Oui. Question : Le terme « Commandant suprême » est parfois utilisé. À votre connaissance, ce terme existait-il véritablement dans la législation ? Réponse : Je ne sais pas exactement ce qu’il en est – sur papier, mais en fait, il s’agit du Commandant suprême si la personne concernée commande l’armée. Question : Et était-ce le titre approprié pour l’Accusé ? Réponse : Oui. Question : Le Commandement suprême comprenait l’État-major du Commandement suprême et quoi ou qui d’autre ? Réponse : Eh bien, le Conseil suprême de la défense. C’est ainsi que cela devrait être. Question : Comprenait-il le Ministère de la défense ? Réponse : Oui »). L’existence du « Commandement suprême » transparaît dans certaines déclarations de la Serbie-et-Monténégro. Voir le compte rendu de l’audience du 10 mars 2003, p. 17564 (où le représentant de la Serbie-et-Monténégro a déclaré que la demande de l’Accusation aux fins d’avoir accès à des documents du Commandement suprême « concernait des milliers de documents, en fait l’ensemble des archives du Commandement suprême pour cette période »).
7 - Voir Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d'examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, Chambre d’appel, affaire n° IT9514-A R108 bis (29 octobre 1997), par. 32 (où il est dit que toute requête aux fins d’une ordonnance de production de documents en vertu de l’article 29 2) du Statut doit identifier des documents précis et non pas seulement de larges catégories, énoncer succinctement les raisons pour lesquelles ces documents sont considérés comme pertinents pour le procès, être d’une exécution relativement aisée et laisser à l’État concerné suffisamment de temps pour s’exécuter).