DEVANT UN JUGE DE LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE
Devant : M. le Juge David Hunt
Assisté de : Mme Dorothee de Sampayo Garrido-Nijgh, Greffier
Décision rendue le : 24 mai 1999
LE PROCUREUR
C/
Slobodan MILOSEVIC, Milan MILUTINOVIC, Nikola SAINOVIC, Dragoljub OJDANIC et Vlajko STOJILJKOVIC
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DÉCISION RELATIVE A LEXAMEN DE LACTE DACCUSATION ET ORDONNANCES Y RELATIVES
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Le Bureau du Procureur :
Mme Louise Arbour, Procureur
I. Introduction
1. En application de larticle 19 du Statut du Tribunal international et de larticle 47 du Règlement de procédure et de preuve, le Procureur a soumis pour examen un acte daccusation concernant Slobodan Milosevic, Milan Milutinovic, Nikola Sainovic, Dragoljub Ojdanic et Vlajko Stojiljkovic. Chacun des accusés est inculpé de crimes contre lhumanité, parmi lesquels, aux termes de larticle 5 du Statut, la persécution, la déportation et lassassinat. Le meurtre a également été retenu comme chef daccusation pour chacun des accusés en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre aux termes de larticle 3 du Statut, puisquil est sanctionné en tant que tel par larticle 3 1) a) commun aux Conventions de Genève de 1949.
II. Examen et confirmation de lacte daccusation
2. En notre qualité de Juge dune Chambre de première instance et en application des articles 18 et 19 du Statut, nous avons été saisis de lacte daccusation. Larticle 19 stipule que si, après avoir examiné lacte daccusation, le Juge est convaincu que le Procureur a établi quau vu des présomptions, il y a lieu dengager des poursuites, il confirme lacte daccusation. Larticle 47 E) du Règlement dispose que le Juge, aux fins de la confirmation de lacte daccusation, examine aussi tout élément que le Procureur présenterait à lappui des chefs daccusation en application de larticle 47 B) du Règlement. Lobjet de larticle 47 E) du Règlement nest pas de permettre que les éléments présentés à lappui des chefs daccusation soient utilisées pour pallier les insuffisances des faits matériels exposés dans lacte daccusation1. Il est de veiller à ce quil existe des éléments de preuve à lappui de lexposé des faits matériels, de sorte à ce que le juge chargé de confirmer lacte daccusation joue en quelque sorte le rôle de jury daccusation (ou dun committing magistrate) à linstar des systèmes de common law, ou de juge dinstruction dans certains systèmes de tradition civiliste2.
3. Par conséquent, les dispositions conjuguées de larticle 19 du Statut et de larticle 47 E) du Règlement, demandent que nous soyons convaincus quau vu de lexposé des faits matériels dans lacte daccusation, il existe des présomptions suffisantes pour engager des poursuites ainsi que des éléments de preuve à lappui de ces faits matériels. La structure du Règlement de procédure et de preuve stipule sans ambiguité que le juge chargé de confirmer lacte daccusation nest appelé à se prononcer que sur le fond de lacte daccusation, et non sur sa forme3.
4. En lespèce, les présomptions sont suffisantes pour engager des poursuites au titre de chacun des chefs daccusation retenus, pour autant que les faits matériels exposés dans lacte daccusation constituent une cause crédible qui (si laccusé napporte pas à cet égard déléments contradictoires valables) suffirait à déclarer laccusé coupable au titre de ce chef4.
5. Les faits reprochés dans lacte daccusation sont présumés sêtre déroulés dans la Province autonome du Kosovo, située dans la partie méridionale de la République de Serbie, une république constitutive de la République fédérale de Yougoslavie, entre le 1er janvier 1999 et la fin du mois davril de la même année. Au début de cette période, presque 90% de la population de la province était de souche albanaise, et le reste dorigine serbe.
6. Les forces armées de la République fédérale de Yougoslavie et les forces de police de la Serbie, ainsi que certaines unités de la police de la République fédérale de Yougoslavie et des unités paramilitaires proches de celles-ci auraient lancé de concert, durant cette période, une série doffensives systématiques et à grande échelle contre un nombre important de villes et villages peuplés en majorité de Kosovars de souche albanaise. Ces offensives étaient, en règle générale, menées de la façon suivante: les habitants kosovars de souche albanaise de ces villes et villages étaient sommés, sous peine dêtre tués, de quitter leur foyer. Après leur départ, les biens quils avaient laissé derrière eux étaient pillés et les habitations détruites ou incendiées afin de les rendre inhabitables. Ils étaient ensuite contraints de se joindre aux colonnes de kosovars de souche albanaise qui avaient subi le même sort et se dirigeaient vers les frontières séparant la province des pays avoisinants. Ils ont été physiquement soumis à des mauvais traitements. Souvent, les hommes kosovars de souche albanaise, qui avaient été déplacés, étaient séparés des femmes et des enfants et exécutés. A la frontière, les biens que ces gens avaient emmené avec eux, y compris leurs papiers didentité et leurs véhicules, étaient volés. Dans certains cas, les villages étaient dabord pilonnés, et des Kosovars de souche albanaise ont ainsi trouvé la mort.
7. Durant cette période, et à de nombreuses reprises, les forces de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie sont également présumées avoir délibérément ouvert le feu et tué des Kosovars de souche albanaise sans armes, y compris des femmes et des enfants. De tels événements se sont déroulés à Racak (où 45 Kosovars de souche albanaise ont été tués), Velika Krusa (où 105 Kosovars de souche albanaise ont été tués et leurs corps brûlés), Izbica (où 130 Kosovars de souche albanaise ont été tués) ainsi que dans dautres villages. Il est allégué quenviron 740 000 civils kosovars de souche albanaise auraient été déportés du Kosovo par la force, et quenviron 385 Kosovars de même souche, identifiés, ont été exécutés.
8. Lacte daccusation allègue que les opérations dirigées contre les Kosovars de souche albanaise ont été menées dans lintention déloigner du Kosovo lessentiel de la population de souche albanaise et de permettre ainsi aux Serbes de maintenir leur emprise sur la province. Si les faits incriminés sont avérés, ils démontrent que les forces de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie ont persécuté la population civile kosovar de souche albanaise pour des motifs dordre politique, racial ou religieux et se sont rendues coupables à la fois de déportations et dassassinats, qui sont des crimes contre lhumanité et des violations des lois ou coutumes de la guerre.
9. Les cinq accusés sont présumés être pénalement responsables des actes commis par ces forces pour deux motifs:
a) au titre de leur responsabilité individuelle, puisquils ont planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter lesdits actes (article 7.1) et,
b) sagissant de quatre dentre eux (laccusé Sainovic faisant exception), au titre de leur responsabilité de supérieur hiérarchique, puisquils savaient ou avaient des raisons de savoir que leurs subordonnés sapprêtaient à commettre ces actes ou lavaient fait et quils nont pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que lesdits actes ne soient commis ou en punir les auteurs (article 7.3).
Les subordonnés étaient des membres des forces armées de la République fédérale de Yougoslavie, les forces de police de la Serbie, les unités de police de la République et les unités paramilitaires proches de celles-ci. Les faits reprochés en lespèce à chacun des accusés tiennent à ce quils étaient liés juridiquement et dans les faits avec ces forces.
10. Durant la période pertinente, les forces armées de la République fédérale de Yougoslavie étaient sous le contrôle, entre autres, des personnes suivantes:
1) laccusé Milosevic, en sa qualité de Président de la République fédérale de Yougoslavie et de commandant suprême des Forces armées de la République fédérale de Yougoslavie ("VJ"), investi du pouvoir de mettre en oeuvre le Plan national de défense arrêté par le Conseil suprême de la défense en application des décisions adoptées par ce Conseil (dont il était Président).
2) laccusé Milutinovic, en sa qualité de Président de la Serbie et, à ce titre, membre du Conseil suprême de la défense, participant ainsi à la prise de décisions concernant les activités de la VJ.
3) laccusé Ojdanic, en sa qualité de chef de létat-major général de la VJ, investi officiellement du pouvoir de commander la VJ.
11. Durant la période pertinente (ou une partie non négligeable de cette période), les forces de police de la Serbie étaient sous le contrôle, entre autres, des personnes suivantes:
1) laccusé Milosevic, en sa qualité de Président de la République fédérale de Yougoslavie, exerçant un pouvoir hiérarchique sur les unités de police républicaines et fédérales relevant de la VJ en période de menace de guerre imminente et déclarée ou détat de guerre déclaré (létat de menace imminente de guerre a été décrété le 23 mars 1999, et létat de guerre le jour suivant).
2) laccusé Milutinovic, en sa qualité de Président de la Serbie investi du pouvoir, en période de menace de guerre imminente et déclarée ou détat de guerre déclaré, de promulguer des mesures aux fins de ladministration de la République.
3) laccusé Stojiljkovic, en sa qualité de Ministre de lintérieur de la Serbie et de responsable de lapplication des lois de la République, y compris des activités de la police.
12. Durant la période pertinente (ou une partie non négligeable de cette période), les unités de la police de la République fédérale de Yougoslavie étaient sous le contrôle, entre autres, de laccusé Milosevic, pour les raisons exposées au paragraphe ci-dessus. Il exerçait également un contrôle de fait tant sur les institutions fédérales que sur les institutions serbes (y compris la police) relevant nominalement de la compétence des Gouvernements ou des Assemblées concernées.
13. Durant la période considérée, les unités paramilitaires ont opéré avec le concours des autres forces de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie ou de concert avec elles, et sous leurs ordres.
14. De plus, durant la période considérée, cest laccusé Milosevic, représentant la République fédérale de Yougoslavie et la Serbie, qui était linterlocuteur principal de la communauté internationale lors des négociations relatives à la poursuite du conflit dans les Balkans et ce depuis 1989, notamment lors des négociations menées avec les représentants de lOrganisation du Traité de lAtlantique Nord (OTAN) et, en octobre 1998, avec ceux de lOrganisation pour la coopération et la sécurité en Europe, qui ont débouché sur la signature, le 16 octobre 1998, de lAccord sur la Mission de vérification de lOSCE au Kosovo. Laccusé Milutinovic était également, depuis 1995, un des personnages de premier plan lors des négociations avec la communauté internationale et il était présent lors des pourparlers internationaux visant à rétablir la paix au Kosovo menés à Rambouillet (France) en février 1999.
15. Si la responsabilité au titre du supérieur hiérarchique na pas été retenue contre laccusé Sainovic, il nen reste pas moins quen sa qualité de Vice-Premier Ministre de la République fédérale de Yougoslavie, il a été désigné par laccusé Milosevic comme son représentant chargé de la question du Kosovo. Les diplomates et autres fonctionnaires internationaux étaient priés de sadresser à lui à ce sujet. Il a signé lAccord Clark-Naumann en octobre 1998, lequel prévoyait le retrait partiel des forces de la République fédérale de Yougoslavie et de la Serbie présentes au Kosovo, des restrictions quant à lacheminement de troupes et matériels supplémentaires, et le déploiement dobservateurs de lOSCE sans armes. Il comptait parmi les membres de la délégation serbe lors des négociations de Rambouillet. Comme dans la plupart des cas où un accusé est inculpé à la fois au titre de sa responsabilité individuelle (qui ne concerne pas les crimes effectivement commis en personne) et de sa responsabilité de supérieur hiérarchique, les liens entre laccusé et les auteurs des crimes en question sont directement pertinents afin détablir sil a planifié, incité à commettre, ordonné ou de toute autre manière aidé et encouragé à planifier, préparer ou exécuter les crimes visés. Labsence de tout lien juridique entre laccusé Sainovic et ces personnes explique indéniablement en lespèce pourquoi la responsabilité au titre du supérieur hiérarchique na pas été retenue contre lui, mais ne préjuge en rien de sa responsabilité individuelle dans les circonstances exposées dans le présent paragraphe.
16. Jai donné ici un bref aperçu de ce quil me semble être le dossier de lAccusation. Les éléments à lappui des chefs daccusation sont considérablement plus détaillés que le présent aperçu ne le laisserait penser.
17. Après avoir examiné et étudié lacte daccusation et les éléments présentés par le Procureur à lappui de ses chefs daccusation, et après avoir entendu le Procureur en personne, nous sommes convaincus quau vu de lexposé des faits dans lacte daccusation, il existe des présomptions justifiant dengager des poursuites au titre de chacun des chefs daccusation sans exception et quil existe des éléments de preuve à lappui de ces faits matériels. Nous sommes en outre convaincus que les dispositions de larticle 19 du Statut et de larticle 47 du Règlement ont été respectées. En conséquence, nous confirmons lacte daccusation qui nous a été soumis pour examen.
III. Ordonnances consécutives à lacte daccusation
18. Le Procureur sollicite un certain nombre dordonnances consécutives à lacte daccusation. Larticle 19 du Statut stipule que sur réquisition du Procureur, le juge peut décerner des ordonnances et mandats darrêt, de détention, damener ou de remise de personnes et toutes autres ordonnances nécessaires pour la conduite du procès.
a) Exécution des mandats darrêts
19. Après confirmation de lacte daccusation, le juge de confirmation peut délivrer un mandat darrêt5, qui doit comprendre une ordonnance aux fins du transfert rapide du (ou des) accusé(s) au Tribunal, une fois son (ou leur) arrestation opérée6. Le Greffier transmet ensuite une copie certifiée conforme du mandat darrêt, entre autres, aux autorités nationales de lÉtat sur le territoire ou sous la juridiction duquel laccusé réside ou a eu sa dernière résidence connue, ou sur le territoire ou sous la juridiction duquel le Greffier pense quil est susceptible de se trouver7.
20. Le Procureur sollicite, en lespèce, une ordonnance prescrivant que le Greffier transmette les mandats darrêt des accusés à la République fédérale de Yougoslavie, à lattention de M. Zoran Knezevic, Ministre fédéral de la justice à Belgrade. Dans la mesure où laccusé Milosevic est le chef dÉtat de la République fédérale de Yougoslavie et que les autres accusés sont de hauts responsables gouvernementaux et militaires de la République fédérale, le Procureur estime que le Ministre fédéral de la justice est lautorité la mieux à même dexécuter ces mandats darrêt sur le territoire de la République fédérale. Nous en convenons et nous admettons quil convient de délivrer cette ordonnance en lespèce.
21. Compte tenu de la possibilité que certains ou tous les accusés peuvent chercher refuge en dehors du territoire de la République fédérale de Yougoslavie, le Procureur sollicite également une ordonnance prescrivant que le Greffier transmette, en application de larticle 55 D) du Règlement, des copies certifiées conformes de chaque mandat darrêt à tous les États membres de lOrganisation des Nations Unies et à la Confédération helvétique.
22. Larticle 61 D) du Règlement autorise la délivrance de mandats darrêt internationaux devant être transmis à tous ces États, mais seulement au cas où le mandat darrêt décerné en application de larticle 55 du Règlement naurait pas été exécuté au terme dun délai raisonnable, et ces mandats darrêts internationaux ne peuvent être décernés que par une Chambre de première instance. Toutefois, le Procureur soutient que le pouvoir de transmettre des copies certifiées conformes du mandat darrêt international en application de larticle 55 D) du Règlement est un pouvoir étendu et quaucune disposition expresse ne le limite à la seule transmission aux autorités nationales des États ou des territoires où réside laccusé ou où lon pense quil est susceptible de résider. En tout état de cause, le Procureur soutient que la procédure de transmission de copies certifiées conformes de loriginal du mandat darrêt prévue à larticle 55 D) du Règlement diffère de celle que prévoit larticle 61 D) du Règlement consacré aux mandats darrêt internationaux. Larticle 54 du Règlement autorise un juge du Tribunal à délivrer un certain nombre dordonnances dans la mesure où elles peuvent être nécessaires aux fins de la préparation ou de la conduite du procès. Il ne peut y avoir de procès tant que les accusés ne sont pas arrêtés. Les ordonnances sollicitées devraient pouvoir garantir larrestation des accusés.
23. Nous souscrivons à largument du Procureur et admettons que lordonnance sollicitée en application de larticle 55 D) du Règlement devrait être délivrée en lespèce. Les États membres de lOrganisation des Nations Unies sont tenus de répondre sans retard excessif à toute ordonnance délivrée par le Tribunal aux fins de larrestation ou de la détention des personnes8. Cependant, rien nindique que la Confédération suisse est soumise à la même obligation. La transmission de la copie certifiée conforme des mandats darrêts devant être envoyés à la Confédération helvétique devrait, pas conséquent, être présentée comme une demande dassistance et non comme une ordonnance.
24. Le Procureur sollicite, pour les mêmes raisons, une ordonnance similaire prescrivant que le Greffier lui transmette des copies certifiées conformes des mandats darrêt, afin quil puisse sen servir pour solliciter, en application de larticle 39 du Règlement, lassistance de lOrganisation Internationale de Police Criminelle (INTERPOL), en faisant circuler lesdites copies selon sa procédure dite de "notice rouge". Je consens également quune telle ordonnance devrait être délivrée en lespèce.
25. En raison de la charge de travail que nécessiterait la transmission des copies certifiées conformes des mandats arrêt à toutes les personnes ou toutes les institutions désignées si, comme lexigerait autrement larticle 55 C) du Règlement, chaque mandat darrêt est accompagné dune copie certifiée conforme de lacte daccusation et dun document rappelant les droits de laccusé et traduit dans la langue quil comprend, nous ordonnons, en vertu de larticle 55 D) du Règlement, que les mandats darrêts ne soient pas accompagnés de ces écritures en lespèce.
b) Le blocage des avoirs des accusés
26. Le Procureur sollicite des ordonnances prescrivant que les États membres de lOrganisation des Nations Unies -
i) mènent des enquêtes pour savoir si lun des accusés possède des avoirs sur leur territoire et
ii) si de tels avoirs existent, de prendre des mesures conservatoires aux fins de les bloquer, sans préjudice des droits de tiers, jusquà ce que les accusés soient placés à la garde du Tribunal.
Il est fait remarquer que lacte daccusation allègue que des biens ont été illégalement pillés des maisons des victimes et que bon nombre de ces dernières ont été dépouillées de leur argent et dautres objets de valeur.
27. La demande se fondait au départ uniquement sur larticle 54 du Règlement, qui habilite un juge (aussi bien quune Chambre de première instance) à délivrer les ordonnances nécessaires à la préparation et à la conduite du procès. Comme il a été mentionné ci-dessus, il ne peut y avoir de procès tant que les accusés se sont pas arrêtés donc largument était quun juge peut, en application de larticle 54 du Règlement, rendre toute ordonnance susceptible dassurer leur arrestation. Le Procureur soutient que le blocage des avoirs des accusés peut avoir deux objectifs distincts : dune part, aux fins de la restitution des biens ou du paiement à partir du produit de leur aliénation (qui peut être ordonnée par la Chambre de première instance après le jugement de culpabilité, en application de larticle 105 du Règlement, à condition que des constats aient été dûment faits dans le jugement comme lexige larticle 98 ter du Règlement) et, dautre part, aux fins dempêcher quun accusé qui est encore en liberté nutilise ses avoirs pour se soustraire à une arrestation et de prendre des dispositions pour dissimuler ses avoirs ou pour les mettre hors de portée du Tribunal.
28. Cependant, bien que les pouvoirs reconnus à un juge par larticle 54 du Règlement semblent étendus, ils peuvent être quelque peu limités par le fait que larticle 61 D) du Règlement habilite une Chambre de première instance (mais pas un juge) à ordonner une telle mesure pour les mêmes raisons, mais à un stade légèrement postérieur, lorsque le mandat darrêt na pas été exécuté dans un délai raisonnable. Toutefois, une telle limitation ne peut être imposée aux pouvoirs reconnus au juge de confirmation par larticle 19 2) du Statut, repris en des termes pratiquement identiques par larticle 54 du Règlement et incorporé à larticle 47 H) i) du Règlement. La demande est ainsi fondée sur larticle 19 2) du Statut.
29. Dans la mesure où la République fédérale de Yougoslavie a, en violation de ses obligations juridiques, constamment ignoré les ordonnances du Tribunal aux fins de larrestation et la comparution des personnes mises en accusation devant le Tribunal et qui se trouvent sur son territoire, et étant donné que le Tribunal ne dispose pas de sa propre force de police pouvant garantir lexécution de ses mandats darrêt, nous convenons quil est de la plus haute importance que toutes mesures acceptables soient prises pour procéder à larrestation de ceux qui sont protégés par la République fédérale de Yougoslavie ou qui cherchent autrement à se soustraire à toute arrestation. Nous convenons que les ordonnances sollicitées devraient être délivrées en lespèce.
c) Ordonnance de non-divulgation
30. Le Procureur a demandé en dernier lieu :
i) quen application des articles 54 et 55 D) du Règlement, la transmission des mandats et de leurs copies certifiées conformes soit repoussée au jeudi 27 mai 1999 à 12h00 (heure locale - La Haye),
ii) quen application de larticle 53 du Règlement, lacte daccusation, ses annexes, le document portant confirmation et les ordonnances prises jusquà cette même date ne soient pas divulgués, sauf à certaines personnes nommément désignées et
iii) que, toujours en application de larticle 53 du Règlement, les pièces à lappui de lacte daccusation, communiquées par le Procureur en application de larticle 47 B) du Règlement ne soient pas divulguées avant larrestation de tous les accusés.
Larticle 55 D) du Règlement prévoit que le Greffier transmette des copies certifiées conformes des mandats darrêt sous réserve dune ordonnance prise par le juge dune Chambre de première instance. Larticle 54 du Règlement habilite le juge dune Chambre de première instance à délivrer les ordonnances nécessaires à la préparation du procès. Larticle 53 du Règlement ne permet au Tribunal de délivrer une ordonnance de non-divulgation que dans des circonstances exceptionnelles et lorsque lintérêt de la justice le commande. Elles sont généralement requises et délivrées lorsque la divulgation de lacte daccusation permettrait à laccusé de prendre des mesures pour se soustraire à son arrestation.
31. Le Procureur a fait valoir un certain nombre de raisons censées justifier ses deux premières demandes. Nous examinerons ensemble lopportunité de délivrer lune et lautre.
32. Nous reconnaissons que les accusés en lespèce occupent les fonctions les plus élevées en République fédérale de Yougoslavie et en République de Serbie et que, ayant à leur disposition tout lappareil dÉtat, ils exercent aussi bien ensemble quindividuellement un pouvoir considérable sur ces territoires et sur leurs ressources. Nous admettons également quil nest pas possible de prévoir leur réaction à lacte daccusation. Nous savons de plus que des membres du Bureau du Procureur travaillent dans la zone sur laquelle les accusés exercent ces pouvoirs considérables et quils courraient un risque grave de représailles et dintimidation si lacte daccusation était immédiatement rendu public. Nous estimons quil est légitime de tenir compte de la nécessité de permettre au Bureau du Procureur de minimiser ces risques pour décider sil est dans lintérêt de la justice de délivrer une ordonnance de non-divulgation pour la brève période pour laquelle elle est demandée.
33. De nombreuses autres personnes qui se trouvent en République fédérale de Yougoslavie, à ses frontières ou près de celles-ci (la mission des Nations Unies chargée dune mission denquête et le personnel sur le terrain dautres institutions des Nations Unies et des États ainsi que celui dorganisations humanitaires de la communauté internationale qui soccupent des réfugiés de des personnes déplacées) courent aussi ce même risque grave de représailles et dintimidation. Cela vaut également pour le personnel de divers États qui participent sur place et ailleurs aux négociations visant à trouver une solution au présent conflit armé. La divulgation de lacte daccusation aurait des conséquences graves pour eux tous, conséquences que lon peut atténuer, voire minimiser, en décidant de repousser brièvement la divulgation de lacte daccusation pour permettre la prise de mesures préventives.
34. Il est manifestement dans lintérêt de la justice de repousser la publication de lacte daccusation et des autres documents pour permettre de prendre des mesures permettant de protéger toutes ces personnes déventuelles représailles. Il ne fait aucun doute que toutes ces circonstances sont exceptionnelles.
35. Personne na évoqué les conséquences que pourrait avoir cette divulgation sur les tentatives actuelles de résolution du conflit armé dans la Province du Kosovo comme un élément pertinent pour décider sil est dans lintérêt de la justice dordonner la non-divulgation. Sil est légitime de tenir compte, dans lintérêt de la justice, de la sécurité du personnel participant aux efforts de résolution de ce conflit armé, les éventuelles conséquences politiques et diplomatique sont une autre affaire. Il convient de distinguer nettement entre ce qui peut relever de la liberté reconnue et acceptée quont les instances de poursuites quant à lopportunité de soumettre un acte daccusation et ce qui relève du pouvoir discrétionnaire qua le Tribunal concernant lopportunité de prendre une ordonnance de non-divulgation de cet acte daccusation une fois quil a été soumis et confirmé. Compte tenu des vues que nous avons déjà exprimées, à savoir quil est justifié de prendre une ordonnance de non-divulgation pour une période brève afin de permettre la prise de mesures de sécurité visant à prévenir les risques dintimidation ou de représailles, il me paraît inutile de déterminer si les conséquences sur le processus de paix même dune divulgation de lacte daccusation au public sont une considération qui relève également de lexercice de notre pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance de non-divulgation en application de larticle 53 du Règlement. Nous nous contenterons de dire que nous navons pas tenu compte de ces circonstances lors de lexamen de la demande de non-divulgation en lespèce.
36. Le Procureur nous a informé quil est actuellement prévu que la mission des Nations Unies quitte la République fédérale de Yougoslavie à 08h00 le jeudi 27 mai. De ce fait, il a jugé approprié de demander une ordonnance repoussant la publication à 12h00 ce même jour. Nous reconnaissons quen lespèce, il est raisonnable de délivrer une ordonnance pour cette durée (un peu moins de soixante-douze heures). Nous estimons quil est également raisonnable que le Procureur, de son propre chef, informe le Secrétaire général des Nations Unies et les États dont le personnel ou les agents risquent dêtre en butte à des représailles ou à des manoeuvres dintimidation, de la soumission et de la confirmation de lacte daccusation ainsi que de la délivrance de mandats darrêt, afin que ceux-ci prennent des mesures de sécurité préventives pour les personnes concernées (y compris les membres dorganisations humanitaires mentionnés plus haut). Je prendrais donc les ordonnances nécessaires.
37. Sagissant de la troisième ordonnance requise, à savoir ne pas divulguer les pièces jointes à lappui de lacte daccusation avant que tous les accusés soient arrêtés, le Procureur fait valoir que le pouvoir considérable quexercent, conjointement et individuellement, les accusés sur les territoires dans lesquels vivent toujours un grand nombre de témoins mettrait gravement en danger lintégrité physique de ces derniers sils étaient identifiés avant que tous les accusés ne soient arrêtés. Je suis disposé à prendre dès à présent une ordonnance sur ce point. Il se peut quelle doive être modifiée si un ou plusieurs des accusés sont arrêtés sans quils le soient tous et quil devienne alors nécessaire délaborer des mesures visant à protéger lidentité des témoins pour que les accusés qui ont été arrêtés puisse être informés des charges portées à leur encontre.
IV. Dispositif
38. Par ces motifs,
1. Nous confirmons tous les chefs de lacte daccusation présenté par le Procureur contre tous les accusés.
2. Nous ordonnons comme suit :
1) que le Greffier transmette des copies certifiées conformes des mandats darrêt émis pour chacun des accusés
a) à la République fédérale de Yougoslavie, à lattention de M. Zoran Knezevic, Ministre fédéral de la Justice, à Belgrade,
b) à tous les États membres des Nations Unies,
c) à la Confédération helvétique et
d) au Procureur,
dès que possible après 12h00 (heure locale - La Haye), le jeudi 27 mai 1999, mais non auparavant, sauf ordre contraire ;
2) que le Greffier nest pas tenu de joindre une copie de lacte daccusation ou un rappel des droits de laccusé aux copies certifiées conformes des mandats darrêt envoyés en vertu de lordonnance précédente ;
3) quà lexception du Procureur, qui peut, sil le souhaite, informer le Secrétaire général des Nations Unies et les États dont les employés ou les agents risquent de faire lobjet de représailles ou de manoeuvres dintimidation, personne ne divulgue lacte daccusation, les écritures relatives à son examen et à sa confirmation, les mandats darrêt et la requête du Procureur en date du 22 mai 1999 avant 12h00 (heure locale - La Haye) le jeudi 27 mai 1999, sauf ordre contraire ;
4) que les pièces jointes à lappui de lacte daccusation et communiquées par le Procureur en application de larticle 47 B) ne soient pas divulguées avant larrestation de tous les accusés ;
5) que tous les États membres des Nations Unies mènent une enquête afin de savoir si les accusés (ou certains dentre eux) disposent davoirs sur leur territoire et si tel est le cas, quils prennent des mesures conservatoires en vue de bloquer ces avoirs, sans préjudice des droits de tiers, jusquà ce que les accusés soient mis en détention.
3. Nous entendrons à tout moment, sans quil soit besoin de le requérir officiellement, toute demande de modification des ordonnances prises ci-dessus jusquà 12h00, le jeudi 27 mai 1999.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.
Fait le 24 mai 1999
La Haye, Pays-Bas
Le Juge chargé de la confirmation
(signé)
Juge David Hunt
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Sceau du Tribunal]