DEVANT LE JUGE DE CONFIRMATION

Devant : M. le Juge David Hunt

Assisté de : M. Hans Holthuis, Greffier

Décision rendue le : 29 juin 2001

LE PROCUREUR

c/

Slobodan MILOSEVIC, Milan MILUTINOVIC, Nikola SAINOVIC,
Dragoljub OJDANOVIC & Vlajko STOJILJKOVIC

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DÉCISION RELATIVE À LA REQUÊTE AUX FINS DE MODIFICATION DE L’ACTE D’ACCUSATION ET À LA CONFIRMATION DE L’ACTE D’ACCUSATION MODIFIÉ

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla del Ponte, Procureur
M. Dirk Ryneveld, Premier Substitut du Procureur

 

1. Le 24 mai 1999, nous avons confirmé un acte d’accusation présenté par le Procureur à l’encontre de Slobodan Milosevic, Milan Milutinovic, Nikola Sainovic, Dragoljub Ojdanovic et Vlajko Stojiljkovic, reprochant à chacun d’eux des crimes contre l’humanité (persécutions, expulsion et assassinat) et une violation des lois ou coutumes de la guerre (meurtre)1. Le Procureur demande maintenant l’autorisation de modifier cet acte d’accusation2. En application de l’article 50 A) i) b) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal (le « Règlement »), nous sommes saisis de cette requête en notre qualité de juge ayant confirmé l’acte d’accusation initial. Les dispositions conjuguées des articles 47 et 50 A) ii) du Règlement montrent clairement que l’acte d’accusation modifié doit également être confirmé.

2. Lors de la confirmation de l’acte d’accusation initial, nous avions appliqué le critère suivant : au vu de l’exposé des faits matériels dans l’acte d’accusation, existait-il des présomptions suffisantes pour engager des poursuites ainsi que des éléments de preuve à l’appui de ces faits matériels3 ? Nous avions alors convenu que des présomptions seraient considérées comme suffisantes si, tels qu’exposés dans l’acte d’accusation, les faits matériels relatifs à un chef d’accusation constituaient une cause crédible qui (en l’absence de réfutation valable) suffirait à déclarer l’accusé coupable sous ce chef4.

3. Depuis la décision précédente, la question du caractère suffisant des présomptions a été abondamment examinée. À l’heure actuelle, le critère est formulé différemment, bien qu’à notre sens, il soit identique en substance. Désormais, on se demande s’il existe des moyens de preuve au vu desquels (s’ils sont admis), un juge du fond raisonnable pourrait être convaincu au-delà du doute raisonnable que l’accusé est coupable du chef d’accusation précis en cause5. C’est le critère que nous avons appliqué en l’espèce. Attendu qu’en général, on ne saurait permettre au Procureur de modifier un acte d’accusation en y ajoutant des faits matériels ou des chefs d’accusation en l’absence d’éléments de preuve suffisants pour étayer ces faits ou chefs supplémentaires, les critères appliqués pour autoriser la modification de l’acte d’accusation en l’espèce et pour confirmer l’acte d’accusation modifié sont donc les mêmes.

4. Les chefs d’infraction, tels qu’exposés dans l’acte d’accusation initial, demeurent inchangés dans l’acte d’accusation proposé aux fins de modification. Plusieurs paragraphes ont été réorganisés et certains sont également désignés différemment. L’acte d’accusation initial ayant été établi avant la fin de ce que le Procureur présente comme un conflit armé dans la Province autonome du Kosovo sur le territoire de la République fédérale de Yougoslavie, la plupart des faits y sont exposés au présent. Dans le nouvel acte d’accusation, le temps des verbes a été modifié. Les fonctions et titres officiels de chacun des accusés ont été mis à jour. Une loi a été renommée et d’autres changements de pure forme ont été apportés à la présentation de certaines allégations. Ce sont là des modifications mineures, et aucun élément important de l’acte d’accusation initial n’a été supprimé.

5. Le nouvel acte d’accusation présente cependant deux différences majeures par rapport au précédent. La période couverte par les quatre chefs d’accusation a été étendue, passant ainsi du 1er janvier au 22 mai 1999 (dans l’acte d’accusation initial) à la période allant du 1er janvier au 20 juin 1999 ; cinq incidents liés à plusieurs meurtres perpétrés en divers endroits du Kosovo ont été ajoutés à sept autres déjà mentionnés dans l’acte d’accusation initial. La plupart de ces incidents sont censés s’être déroulés pendant la période visée par l’acte d’accusation initial. Quelques-uns, cependant, se seraient déroulés ou se seraient poursuivis après la fin de cette période. Sans rapport avec ces allégations, le Procureur a également ajouté deux paragraphes - 100 et 101 - pour relater ce qu’il décrit comme la résolution de la crise au Kosovo en juin 1999.

6. Le Règlement indique clairement que le juge de confirmation ne s’attache qu’au fond de l’acte d’accusation, et que son rôle est de déterminer s’il existe des présomptions suffisantes pour engager des poursuites, au sens précédemment défini. Il ne lui appartient pas d’examiner l’acte d’accusation d’un point de vue formel, examen qui échoit à la Chambre de première instance à laquelle le Président attribue l’affaire après le transfert d’un accusé au siège du Tribunal6. Partant, en tant que juge de confirmation, il ne nous appartient pas de décider si un acte d’accusation peut être modifié pour y inclure des faits qui se sont déroulés après son dépôt initial.

7. Après avoir examiné l’acte d’accusation proposé aux fins de modification, ainsi que les nouvelles pièces justificatives produites par le Procureur, et après avoir entendu Madame le Procureur en personne ainsi que l’un de ses substituts, nous sommes convaincus qu’au vu de l’exposé des faits matériels dans l’acte d’accusation modifié, il existe des présomptions suffisantes pour chacun des chefs reprochés, et qu’il existe des éléments de preuve à l’appui de ces faits matériels. En conséquence, nous décidons d’autoriser le Procureur à modifier l’acte d’accusation initial en le remplaçant par l’acte d’accusation modifié, tel qu’il nous a été soumis. Nous estimons que les critères fixés à l’article 19 du Statut du Tribunal international et à l’article 47 de son Règlement ont été remplis. Partant, nous décidons de confirmer l’acte d’accusation dont nous avons été saisis pour examen.

8. Notre ordonnance du 24 mai 1999, aux termes de laquelle les éléments justificatifs produits par le Procureur en application de l’article 47 B) du Règlement ne seront pas divulgués avant que tous les accusés ne soient arrêtés, reste en vigueur et s’appliquera également aux nouveaux éléments justificatifs présentés à l’appui de l’acte d’accusation modifié.

    Dispositif

9. Les mesures suivantes sont accordées :

i) Nous autorisons le Procureur à modifier l’acte d’accusation initial en le remplaçant par l’acte d’accusation modifié joint à sa Requête.

ii) Nous confirmons l’acte d’accusation modifié présenté aux fins d’examen.

iii) L’ordonnance du 24 mai 1999, aux termes de laquelle les éléments justificatifs produits par le Procureur en application de l’article 47 B) du Règlement ne seront pas divulgués avant que tous les accusés ne soient arrêtés, reste en vigueur et s’appliquera également aux nouveaux éléments justificatifs présentés à l’appui de l’acte d’accusation modifié.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Fait le 29 juin 2001
La Haye (Pays-Bas)

/signé/
M. le Juge David Hunt

[Sceau du Tribunal]


1. Décision relative à l'examen de l'acte d'accusation et ordonnances y relatives, 24 mai 1999 (la « Décision précédente »).
2. Requête aux fins d'autorisation de déposer un acte d'accusation modifié et de confirmation de l'acte d'accusation modifié, 26 juin 2001 (la « Requête »).
3. Décision précédente, par. 3.
4. Ibid., par. 4. Nous reprenions le critère tel que défini par le Juge McDonald dans l'affaire Le Procureur c/ Kordic, affaire n° IT-95-14-1, Confirmation de l'acte d'accusation, 10 novembre 1995, p. 3.
5. Voir, p. ex., Le Procureur c/ Delalic, affaire n° IT-96-21-A, Arrêt, 20 février 2001, par. 434, reprenant la formulation du critère adoptée dans les affaires Le Procureur c/ Kordic, affaire n° IT-95-14/2-T, Décision relative aux demandes d'acquittement de la Défense, 6 avril 2000, par. 26 ; Le Procureur c/ Kunarac, affaire n° IT-96-23-T & IT-96-23/1-T, Décision relative à la requête aux fins d'acquittement, 3 juillet 2000, par. 3. Voir plus généralement l'article 19 1) du Statut du Tribunal et l'article 47 E) de son Règlement.
6. Article 72 A) du Règlement.