Affaire n° : IT-02-54-T-R77.4

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE

Composée comme suit :
M. le Juge Patrick Robinson, Président
M. le Juge O-Gon Kwon
M. le Juge Iain Bonomy

Assistée de :
M. Hans Holthuis, Greffier

Ordonnance rendue le :
3 mai 2005

LE PROCUREUR

c/

SLOBODAN MILOSEVIC

PROCÉDURE POUR OUTRAGE ENGAGÉE CONTRE KOSTA BULATOVIC

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ORDONNANCE RELATIVE À LA REQUÊTE DE LA DÉFENSE AUX FINS DE RÉEXAMEN DE L’ORDONNANCE RELATIVE À UNE AFFAIRE D’OUTRAGE CONCERNANT LE TÉMOIN KOSTA BULATOVIC ET À TITRE SUBSIDIAIRE REQUÊTE AUX FINS DE CERTIFICATION

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Le Bureau du Procureur :

Mme Carla Del Ponte
M. Geoffrey Nice

L’Accusé :

Slobodan Milosevic

Le Conseil de Kosta Bulatovic :

M. Stéphane Bourgon, Conseil de permanence

Les Conseils commis d’office par la Chambre :

M. Steven Kay
Mme Gillian Higgins

L’Amicus Curiae :

M. Timothy McCormack

 

LA CHAMBRE DE PREMIÈRE INSTANCE du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991 (le « Tribunal international »),

VU la requête de la Défense aux fins de réexamen de l’ordonnance relative à une affaire d’outrage concernant le témoin Kosta Bulatovic et à titre subsidiaire requête aux fins de certification (Defence Motion Seeking Reconsideration of Order on Contempt Concerning Witness Kosta Bulatovic and Alternatively Motion Requesting Certification), déposée à titre confidentiel le 27 avril 2005 (la « Requête »), par laquelle la Défense de Kosta Bulatovic (le « Témoin accusé ») demande 1) que la Chambre reconsidčre sa décision de poursuivre le Témoin accusé pour outrage (la « Demande de réexamen ») ou sinon 2) que la Chambre certifie un appel de sa décision de « rester saisie de l’affaire » et de ne pas renvoyer la procédure pour outrage à une autre Chambre (la « Demande de certification »),

ATTENDU qu’une Chambre peut reconsidérer une décision si les circonstances ont changé ou lorsqu’elle est persuadée que sa décision antérieure n’était pas fondée et a entraîné un préjudice1,

ATTENDU que la décision d’une Chambre de réexaminer ou non une décision antérieure relève, en soi, du pouvoir souverain d’appréciation qui lui est reconnu en vertu de ses pouvoirs inhérents2,

VU les arguments avancés dans la Demande de réexamen, à savoir :

    1. Depuis que la Chambre a décidé d’engager des poursuites contre le Témoin accusé pour outrage, les circonstances ont considérablement changé car le Témoin accusé a mené à bonne fin sa déposition, manifesté son respect envers le Tribunal international et informé la Chambre qu’il n’avait pas eu l’intention d’entraver le cours de la justice ;

    2. Lorsque la Chambre a reproché au Témoin accusé de s’être rendu coupable d’outrage, elle ne disposait pas de certaines informations pertinentes, parmi lesquelles :

      1. le fait que l’accusé Slobodan Milosevic « n’avait pas été autorisé à assister aux débats »,

      2. le fait que le Témoin accusé terminerait sa déposition le 25 avril 2005,

      3. le point de vue du Témoin accusé selon lequel il n’avait pas eu l’intention de ralentir les débats, point de vue qu’il « n’avait pas eu la possibilité d’exprimer » ;
    3. La décision de la Chambre de continuer le contre-interrogatoire du Témoin accusé en l’absence de l’accusé Slobodan Milosevic était fondée sur le fait que, selon elle, la poursuite du procčs dans ces conditions était acceptable, une décision prise le même jour sans connaître les arguments précis des parties ; et

    4. Plusieurs facteurs tendent à indiquer qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice de poursuivre la procédure pour outrage, dont :
      1. la complexité juridique de la décision sous-jacente de continuer le contre-interrogatoire en l’absence de l’accusé Slobodan Milosevic,
      2. la bonne administration de la justice devant le Tribunal, où le temps d’audience devient limité,

      3. le coût impliqué par les frais de voyage et les honoraires du conseil, compte tenu du fait que le Témoin accusé a demandé à être reconnu indigent,

      4. le « retentissement en ex-Yougoslavie de la procédure engagée contre le Témoin accusé » et ses répercussions sur la mission du Tribunal en général et la poursuite du procès Milosevic en particulier, et

      5. les conséquences possibles pour l’état de santé du Témoin accusé ;

ATTENDU que ni les déclarations du Témoin accusé après la reprise du procès Miloševic le 25 avril 2005 ni les informations dont la Chambre ne disposait pas au moment de sa décision n’affectent ni ne modifient la conduite dudit Témoin les 19 et 20 avril 2005, laquelle a donné lieu à l’engagement d’une procédure pour outrage,

ATTENDU que les questions juridiques évoquées dans la Demande de réexamen dépassent le cadre de la procédure spécifique engagée contre le Témoin accusé,

ATTENDU que le Témoin accusé a d’office le droit de faire appel de la décision de la présente Chambre de première instance à l’issue de la procédure pour outrage,

ATTENDU que les autres questions soulevées dans la Demande de réexamen ne sont pas pertinentes dans le cadre de la présente procédure, et qu’aucune de ces questions ne peut convaincre la Chambre que sa décision antérieure n’était pas fondée ou a entraîné un préjudice,

ATTENDU que l’article 73 B) du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal international (le « Règlement ») exige que deux conditions soient remplies avant qu’une Chambre de première instance puisse certifier un appel interlocutoire d’une décision : 1) que ladite décision touche une question susceptible de compromettre sensiblement l’équité et la rapidité du procès, ou son issue, et 2) que le règlement immédiat de cette question par la Chambre d’appel puisse, selon la Chambre de première instance, faire concrètement progresser la procédure,

ATTENDU que dans la Demande de certification, la Défense avance que la principale raison pour laquelle elle considère que la décision de la Chambre de première instance d’engager elle-même des poursuites est que « son impartialité peut être mise en cause en ce qui concerne la question fondamentale du droit d’un accusé à être jugé en sa présence »,

ATTENDU que, bien que la Demande de certification note avec justesse les deux conditions relatives à une certification, les arguments qui y sont présentés sont essentiellement axés sur l’incidence sur le déroulement équitable du procès de la décision de la Chambre de première instance de connaître elle-même de cette question, et n’abordent pas la condition selon laquelle le règlement immédiat de la question par la Chambre d’appel doit pouvoir faire concrètement progresser la procédure,

ATTENDU que, même lorsqu’un point de droit important est soulevé, comme c’est ici le cas, l’article 73 B) du Règlement vise plutôt à interdire la certification d’un appel interlocutoire, à moins que la partie demandant la certification ne prouve que sa requête remplit les deux conditions posées,

ATTENDU en outre que, compte tenu de la nature spécifique de l’accusation portée contre le Témoin accusé et de la date très proche de la tenue de l’audience, à savoir le 5 mai 2005, il est difficile de voir comment le règlement hic et nunc de la question par la Chambre d’appel, au lieu d’attendre que la présente Chambre de première instance rende une décision3, ferait concrètement progresser la procédure,

EN APPLICATION des articles 54 et 73 du Règlement,

REJETTE la Requête.

 

Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi.

Le Président de la Chambre de première instance
_______________
Patrick Robinson

Le 3 mai 2005
La Haye (Pays-Bas)

[Sceau du Tribunal]


1. Le Procureur c/ Zdravko Mucic et consorts, affaire n° IT-96-21-Abis, Arrêt relatif à la sentence, 8 avril 2003, par. 49.
2. Ibidem ; voir aussi Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-A, Décision relative à la « Réponse préliminaire et requête de l’Accusation aux fins de clarification concernant la décision relative à la requête conjointe déposée le 24 janvier 2003 par Hadzihasanovic, Alagic et Kubura », 23 mai 2003, par. 7 ; Le Procureur c/ Momir Nikolic, affaire n° IT-02-60/1-A, Decision on Applicant’s Urgent Motion for Reconsideration of Decision on Second Defence Motion to Enlarge Time for Filing of Replies Dated 1 April 2005, 6 April 2005, p. 4.
3. À cet égard, « règlement immédiat », mentionné à l’article 73 B) du Règlement, a été interprété comme établissant une distinction entre le règlement de la question à ce stade de la procédure et son règlement à l’issue du procès dans le cadre d’un appel du jugement de la Chambre de première instance. Voir Le Procureur c/ Pavle Strugar, affaire n° IT-01-42-T, Décision relative à la requête de la Défense aux fins de certification, 17 juin 2004, par. 6 et 8.