Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mercredi 30 janvier 2002.)

2 (Audience d'appel interlocutoire, sur requête du Procureur.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 35.)

4 (Audience publique.)

5 M. le Président: Veuillez vous asseoir.

6 Madame la Greffière, pouvez-vous faire entrer l'accusé, s'il vous plaît?

7 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

8 Bien. C'est terminé. S'il vous plaît, la presse sort du prétoire.

9 Je voudrais d'abord saluer les interprètes et m'assurer qu'ils sont dans

10 leur cabine prêts à leur poste comme toujours.

11 Les interprètes: Bonjour, Monsieur le Président.

12 M. le Président: Je voudrais saluer le banc du Procureur, le banc des

13 "amici curiae". Je voudrais saluer également l'accusé.

14 Je voudrais demander d'abord à Madame la Greffière de bien vouloir

15 identifier l'affaire qui est inscrite à notre rôle, s'il vous plaît.

16 Mme Atanasio (interprétation): Bonjour, Monsieur le Président, Messieurs

17 les Juges. Affaire n°IT-99-37-AR-73, IT-01-50-AR-73, IT-01-51-AR-73, le

18 Procureur contre Slobodan Milosevic.

19 M. le Président: Merci, Madame la Greffière.

20 Je voudrais que chacune des parties s'identifient. D'abord le banc de

21 l'accusation qui est l'appelant dans l'affaire.

22 Mme Del Ponte: Le banc de l'accusation est représenté par moi-même, Carla

23 Del Ponte, Procureure avec mes collègues Geoffrey Nice, Norman Farrell et

24 Peggy Kuo.

25 Merci, Monsieur le Président.

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1 M. le Président: Merci.

2 L'accusé n'a pas de défenseur. En tout cas, pas à ma connaissance, il est

3 donc présent.

4 Et nous avons, dans cette affaire, des "amici curiae" qui pourraient

5 s'identifier également pour le bon ordonnancement de nos travaux.

6 M. Kay (interprétation): Je m'appelle Steven Kay, je suis queen's counsel

7 et je représente les "amici curiae" avec Branislav Tapuskovic du barreau

8 yougoslave.

9 M. le Président: Merci.

10 Alors, à présent que tout le monde s'est identifié, je voudrais faire un

11 bref rappel de la procédure avant de débuter la présente audience.

12 Je vous rappelle et je rappelle également à l'accusé qu'en date du 13

13 décembre 2001, la Chambre de première instance n°3 a ordonné que:

14 Premièrement, les Actes d'accusation dans les trois affaires identifiées

15 par le Greffier, les Actes d'accusation relatifs à la Croatie et à la

16 Bosnie soient joints et qu'ils reçoivent un numéro d'affaire commun.

17 Deuxièmement, que l'accusation dépose dans les 28 jours de la décision

18 dont je viens de rappeler les dates, dépose un Acte d'accusation conjoint.

19 Troisièmement, que l'Acte d'accusation relatif au Kosovo fasse l'objet

20 d'un procès distinct qui s'ouvrira le 12 février prochain.

21 Quatrièmement, que le procès portant sur les événements de la Croatie et

22 de la Bosnie s'engagent immédiatement après devant la même Chambre.

23 Voilà la décision du 13 décembre 2001.

24 En date du 20 décembre 2001, le Procureur a adressé à la Chambre d'appel

25 une requête aux fins d'être autorisé à interjeter un appel interlocutoire

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1 de la partie de la décision qui rejette la jonction de l'Acte d'accusation

2 concernant le Kosovo aux Actes d'accusation concernant respectivement la

3 Bosnie et la Croatie, et ce conformément à l'Article 73 du Règlement de

4 procédure et de preuve.

5 En date du 9 janvier 2002, la Chambre d'appel a autorisé le Procureur à

6 interjeter un appel interlocutoire de la décision du 13 décembre 2001, en

7 soulignant toutefois que cette autorisation ne devait pas être interprétée

8 comme empêchant la Chambre de première instance, si elle en décide ainsi,

9 d'ouvrir le procès relatif à l'Acte d'accusation du Kosovo à la date

10 précédemment fixée -je le rappelle- le 12 février prochain.

11 Enfin, en date du 15 janvier 2002, le Procureur a adressé à la Chambre

12 d'appel un appel interlocutoire contre la décision relative à la requête

13 aux fins de jonction demandant en substance que la Chambre d'appel annule

14 la décision de la Chambre de première instance et ordonne la jonction des

15 Actes d'accusation relatifs à la Croatie et à la Bosnie avec l'Acte

16 d'accusation relatif au Kosovo.

17 Le Procureur estime, et je vais citer les quatre points qui font l'objet

18 de notre débat de ce matin:

19 Premièrement: la Chambre de première instance, d'après le Procureur a, à

20 tort, conclu que les Actes d'accusation Bosnie et Croatie et l'Acte

21 d'accusation Kosovo ne pouvaient être joints au motif qu'ils ne

22 participaient pas de la même opération.

23 Deuxième point, du Procureur toujours; la Chambre de première instance

24 aurait, à ses yeux, commis une erreur d'appréciation en ne tenant pas

25 compte du véritable préjudice qu'elle inflige à l'accusation en exigeant

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1 de certains témoins qu'ils comparaissent dans des procès distincts.

2 Troisième point de l'argumentation du Procureur: la Chambre de première

3 instance a commis une erreur d'appréciation en concluant qu'un procès

4 conjoint serait préjudiciable à l'accusé au mépris de tous les arguments

5 figurant dans le dossier.

6 Et quatrième point: la Chambre de première instance aurait commis une

7 erreur d'appréciation en considérant, au titre des motifs justifiant son

8 refus de joindre, que la Chambre de première instance ne serait pas en

9 mesure de gérer un procès conjoint sans préciser les raisons étayant cette

10 conclusion. Les "amici curiae" dans la présente instance n'ont pas fait

11 part à la Chambre d'appel d'observations écrites concernant cet appel.

12 Néanmoins, la Chambre d'appel, aujourd'hui réunie, a souhaité qu'ils

13 soient ici même entendus, s'ils le souhaitent.

14 En plein accord avec mes collègues, nous avons décidé que l'audience se

15 déroulerait de la manière suivante.

16 Après la présente introduction, le Procureur présentera la requête en

17 trente minutes environ; ceci peut bien sûr être un peu flexible.

18 Après quoi -il devrait être environ 10 heures 15-, les Juges lui poseront

19 des questions.

20 Ensuite, il sera donné la parole à l'accusé, s'il le souhaite, pour le

21 même temps d'argumentation.

22 Et bien sûr, les Juges auront l'occasion de poser des questions à

23 l'accusé, s'ils le souhaitent.

24 Vers 11 heures 30, nous ferons une pause.

25 Ensuite, pour un temps plus court d'environ quinze minutes, nous

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1 entendrons les "amici curiae". Peut-être les Juges auront-ils également le

2 souhait de poser des questions aux "amici curiae".

3 Et le cas échéant, mais uniquement si l'accusé a présenté des objections

4 -car le défenseur, c'est l'accusé, bien entendu-, une réplique pourra être

5 réservée au Procureur.

6 Dans ces conditions, je donne tout de suite la parole à Madame la

7 Procureure.

8 Mme Del Ponte: Merci, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

9 En trente minutes, nous essaierons, moi et mon collègue Geoffrey Nice, de

10 compléter les considérants que nous avons déjà exprimés dans notre mémoire

11 écrit.

12 Nous confirmons que l'application de l'Article 49 de la procédure

13 s'impose. Il s'agit de la même opération: un seul schéma, un seul plan,

14 une seule stratégie. Et on ajoute: un seul accusé, le même accusé, les

15 mêmes crimes -une série de crimes-, les mêmes faits. Tout cela, Messieurs

16 les Juges, court sur un fil rouge qui lie les trois Actes d'accusation. Et

17 c'est l'expulsion forcée et violente de populations non serbes de grands

18 secteurs du territoire de la Croatie, de la Bosnie-Herzégovine et du

19 Kosovo.

20 Le grand projet, le plan global de l'accusé Milosevic, qui se manifeste

21 déjà à partir de 1989, c'était un Etat essentiellement serbe et dominé par

22 Belgrade.

23 Il y a une connexion dans ces événements, une connexion de faits que nous

24 allons prouver dans leur examen chronologique. Et le dénominateur commun

25 de toute cette activité criminelle était, on ne peut jamais l'oublier,

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1 l'expulsion forcée. Mon collaborateur vous expliquera les détails.

2 Pour ma part, je veux souligner, comme vous le savez déjà -mais je le

3 souligne à nouveau-, que nous sommes prêts pour le procès du Kosovo. Nous

4 serons prêts pour le procès des deux autres Actes d'accusation le 1er

5 juillet 2002; dès le 1er juillet 2002, nous sommes prêts à commencer les

6 deux autres procès. De plus, dans deux mois à partir d'aujourd'hui, nous

7 pourrons présenter la liste des témoins, la liste des documents exhibit et

8 le pre-trial brief; naturellement, je l'appellerai provisoire, comme me

9 l'autorise le Code de procédure.

10 Mais je veux encore faire quelques considérations, Monsieur le Président,

11 sur l'indication qui a été donnée dans la décision de motivation de refus

12 de jonction sur le fait que, plus de trois ans sont passés entre les

13 événements de Bosnie-Herzégovine et les premiers épisodes sur le Kosovo.

14 Cela ne veut pas dire que ces trois ans ne sont pas une période qui devra

15 être examinée pendant le procès, parce qu'il ne faut pas méconnaître

16 qu'après quatre ans et demi de guerre, en Croatie et en Bosnie, les Serbes

17 en avaient assez de la guerre: la situation économique du pays était un

18 désastre, la guerre avait été un échec total, le soutien populaire en

19 Serbie disparaissait et, surtout, les moyens de mener une autre guerre, un

20 autre conflit au Kosovo n'étaient plus disponibles.

21 L'exemple éclatant qui nous montre que l'accusé Milosevic avait bien

22 l'intention de continuer son plan de nettoyage ethnique, c'est le fait

23 que, dans les négociations des Accords de Dayton, Milosevic n'a pas voulu

24 inclure le Kosovo.

25 Vous le savez, Messieurs les Juges, M. Rugova avait demandé aux Américains

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1 d'inclure la situation du Kosovo, qui n'était pas du tout tranquille, mais

2 M. Milosevic, l'accusé Milosevic, avait refusé absolument. Donc toutes les

3 négociations qui sont intervenues entre le 1996 et le 1997 sur le Kosovo,

4 indépendamment de l'Accord de Dayton de 1995, ont échoué.

5 1998, vous avez les démissions de la direction de l'armée et des services

6 secrets parce qu'ils protestent, ces chefs protestent contre la politique

7 de Milosevic au Kosovo.

8 Et en tout dernier, le fameux accord négocié par Hollbrooke, l'accusé

9 Milosevic ne l'applique pas; et on est toujours au Kosovo. Les

10 agissements, le comportement, l'attitude de l'accusé pendant cette période

11 qui est d'ailleurs très importante aussi, c'est la période préparatoire au

12 conflit du Kosovo. Parce que la question serbe, l'accusé Milosevic l'avait

13 dans sa tête dès le début: expulsion des non-Serbes. Une notion

14 naturellement qui n'exclut pas le Kosovo, surtout parce qu'on se bat pour

15 le contrôle du territoire.

16 Voilà, Monsieur le Président.

17 Une toute dernière considération: on a dit, et vous l'avez répété ce

18 matin, il faut qu'aucun préjudice naisse contre l'accusé dans le fait de

19 joindre ce procès.

20 Je vous demande, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, qu'aucun

21 préjudice naisse pour les victimes. Les victimes ont le droit de pouvoir

22 assister à un seul procès. On n'aura pas de victimes qui ont une priorité

23 parce qu'ils passent devant d'autres, les victimes de la Bosnie et de la

24 Croatie. Aucun préjudice aussi pour les victimes.

25 C'est bien vrai, Monsieur le Président, la partie civile n'est pas admise

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1 ici, mais les victimes sont là et sont nombreuses.

2 Merci, Monsieur le Président.

3 M. le Président: Merci, Madame la Procureure. Dans le temps qui vous reste

4 et qui est d'ailleurs flexible –je tiens à le dire-, j'ai fixé bien

5 entendu un cadre d'organisation. Je crois que c'est un de vos

6 collaborateurs.

7 Maître Geoffrey Nice, nous vous écoutons.

8 M. Nice (interprétation): Eh bien, je crois qu'il m'appartient de parler

9 pendant le reste de ces 30 minutes. Et quand nous en arriverons aux

10 questions, je ferai sans doute appel à mon collègue, Me Farrell, qui s'est

11 chargé plus particulièrement de la rédaction du mémoire. Il pourra donc

12 mieux répondre à vos questions éventuelles.

13 La question est débattue très longuement dans notre mémoire écrit, et ce

14 que je vais faire ce matin consistera à ajouter quelques arguments sans

15 reprendre ceux qui sont dans le mémoire. Peut-être est-ce le moment où il

16 importe particulièrement que cette Chambre d'appel se penche avec la plus

17 grande attention sur l'Article 49 du Règlement de procédure et de preuve

18 de ce Tribunal. Et j'aimerais apporter quelques arguments pour que cet

19 examen se déroule dans le cadre requis.

20 J'aimerais appeler votre attention, Monsieur le Président, Messieurs les

21 Juges, sur cet Article 49 du Règlement. J'espère que vous ne m'en voudrez

22 pas de le faire en anglais, mais il est certain que la version en

23 française est tout aussi précise.

24 "L'Article 49 permet la jonction de crimes dans un seul et même acte

25 d'accusation si les actes incriminés ont été commis à l'occasion de la

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1 même opération et par le même accusé". (Fin de citation.)

2 Ce que nous aimerions dire rapidement d'emblée, c'est que les mots "commis

3 ensemble" ne sont peut-être pas repris à l'identique dans la version

4 française de cet Article. Et il est possible que ces mots n'ajoutent rien

5 de particulier mais qu'ils soient considérés comme uniquement des mots

6 superflus. Cela étant, il est possible aussi qu'ils constituent une

7 considération importante par rapport à l'Article 2 qui est construit avec

8 le plus grand soin et où il est question d'une série d'actes. Donc

9 l'expression est "une série d'actes", plutôt que "actes commis ensemble".

10 (Note de l'interprète: ou plusieurs infractions ou commis à l'occasion de

11 la même opération.)

12 Ce qui importe donc c'est que le contenu de l'Article 49 corresponde bien

13 à celui de l'Article 2 du Règlement, sur lequel j'appelle l'attention des

14 Juges de cette Chambre d'appel.

15 Dans le préambule de l'Article 2, nous trouvons des définitions qui sont

16 assez souples en fonction du contexte. Et s'agissant de la définition du

17 mot "opération", nous lisons ce qui suit: "un certain nombre d'actions ou

18 d'omissions survenant à l'occasion d'un seul événement ou de plusieurs –

19 nous insistons sur le mot "événement"- en un seul endroit ou en plusieurs,

20 et faisant partie d'un plan, d'une stratégie ou d'un dessein commun". (Fin

21 de citation.)

22 De l'avis du Procureur, cette définition est tout à fait claire dans le

23 sens où il est possible de joindre plusieurs actes criminels dans un seul

24 et même acte d'accusation si on est en présence: premièrement, d'un seul

25 événement, ou deuxièmement, de plusieurs événements mais faisant commun

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1 d'un plan, d'une stratégie ou d'un dessein commun.

2 Il apparaît à l'évidence que si les mots "commis ensemble" de l'Article 49

3 sont contraignants par rapport à l'Acte d'accusation et s'ils sont

4 obligatoires, exécutoires s'agissant de joindre des actes criminels dans

5 un même acte d'accusation, alors la deuxième partie de la définition n'a

6 plus guère d'importance. Il n'a jamais été dit par ce Tribunal que c'était

7 le cas.

8 Il a toujours été admis dans la pratique de ce Tribunal que des actes

9 commis à différents endroits et à différents moments, mais qui ont un lien

10 les uns avec les autres peuvent être à la base d'un seul et même acte

11 d'accusation. Donc de l'avis du Procureur, c'est une définition, la

12 lecture simple de la définition du mot "opération" de l'Article 2 qui

13 permet de montrer que les mots "commis ensemble", utilisés dans l'Article

14 49 version anglaise du Règlement, nous mènent là où ils nous mènent.

15 J'ai dit cela au début de mon exposé pour la raison suivante: si la

16 Chambre le veut bien, j'aimerais que nous reprenions la décision de la

17 Chambre de première instance et, puisque je sais que vous la connaissez

18 bien, je peux la résumer en commençant par le paragraphe 31.

19 Alors, arrivé à ce stade de la décision, l'architecture élaborée par les

20 Juges est la suivante: pour utiliser l'expression "même opération", une

21 aide a été demandée à des décisions rendues par le Tribunal pénal

22 international du Rwanda.

23 Au paragraphe 32, nous trouvons une référence aux exigences du droit

24 romano-germanique en matière de connexité.

25 Au paragraphe 33, on revient à la common law, et notamment aux Règles de

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1 procédures pénales utilisées aux Etats-Unis d'Amérique.

2 Article 8, qui est cité presque en intégralité, cet article a été divisé

3 en plusieurs parties. La grammaire intervient également dans la

4 construction de cet article mais nous vous invitons, quelle que soit la

5 façon dont vous allez le lire, à y voir quatre parties. Nous en parlons

6 dans la note en bas de page 28 de notre mémoire écrit que vous trouverez.

7 Je vous le signale pour plus grande facilité de lecture, en page 10 de ce

8 mémoire.

9 Ce qui est soumis à la considération des Juges qui ont rendu la décision

10 dans la Chambre de première instance sont deux lignes de cet article

11 américain, à partir du mot anglais "or", "O-R". Cela se trouve au

12 paragraphe 33 de la décision -je cite-: "Ou de deux ou plusieurs actions,

13 ou opérations liées les unes aux autres ou faisant partie d'un plan ou

14 d'un dessein commun." (Fin de citation.)

15 Les Juges se rendront compte que la Chambre de première instance a insisté

16 sur les mots "liées les unes aux autres" qui sont soulignés dans le texte

17 de la décision.

18 Ensuite, l'article, la citation de l'article se poursuit en parlant de

19 "plan ou de dessein commun".

20 Donc, d'une part, nous avons cet article, cette règle divisée en plusieurs

21 parties que l'on trouve dans le Code de procédure pénale des Etats-Unis

22 qui envisage un acte d'accusation commun lorsque les actes ont été commis

23 ensemble ou sont liés les uns aux autres, et puis nous voyons qu'il y a

24 concordance avec la jurisprudence en cas d'événements communs ou uniques.

25 C'est-à-dire que dans les deux cas il est possible de procéder à une

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1 jonction d'instances lorsqu'il y a plan ou dessein commun.

2 Le mot "stratégie" n'apparaît pas ici, même s'il figure dans les Règles du

3 Tribunal pénal de l'ex-Yougoslavie.

4 Poursuivons avec la décision rendue par les Juges de première instance au

5 paragraphe 35. Des affaires britanniques sont mentionnées qui ont des

6 fondements différents, donc sans guère d'importance.

7 Au paragraphe 36, la Chambre dit et, sauf le respect que nous devons au

8 Tribunal, nous disons que c'est une erreur "que les sens des critères à

9 appliquer consistent à déterminer s'il y a eu une série d'actes commis qui

10 constituent ensemble la même opération, c'est-à-dire qu'ils sont la marque

11 d'un dessein, d'une stratégie ou d'un plan commun". Nous n'avons pas

12 d'objection sur ces mots-là.

13 Mais, un peu plus tard, nous voyons qu'il est fait référence à une série

14 d'actes communs comme dans l'Article 49 et que ces actes doivent être liés

15 les uns aux autres et correspondent au système judiciaire de la common law

16 et du droit romano-germanique.

17 Je poursuis la lecture de ce paragraphe: "Il n'existe pas d'actes non

18 reliés les uns aux autres qui pourraient faire partie d'un même plan."

19 (Fin de citation.)

20 Avec le respect que nous devons au Tribunal, nous disons que ceci est

21 totalement faux. Contrairement à la définition de l'Article 2 du

22 Règlement, les choses sont dites ainsi et, s'agissant de retirer de l'aide

23 de la situation aux Etats-Unis, cela ne fait que rendre compte d'une

24 partie de cet article du Code de procédure pénal américain.

25 L'épisode criminel particulier: nous regardons pour les détails dans une

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1 autre direction si c'est nécessaire. Je vais rappeler votre attention sur

2 une affaire tout à fait particulière, Monsieur le Président, Messieurs les

3 Juges, à savoir le fait que lorsqu'il y a un chef d'accusation, il y a un

4 épisode unique qui est traité. C'est le sujet d'une requête de

5 modification qui a été présentée. Mais nous disons que la définition d'un

6 épisode unique ne justifie pas nécessairement une jonction.

7 La Chambre est allée jusqu'à dire qu'il n'y avait pas de série d'actes et

8 donc aucun plan permettant de demander une jonction. S'il n'y a pas

9 similitude de lieux et de temps, la conclusion consistant à dire que les

10 chefs d'accusation représentent des parties liées les unes aux autres d'un

11 même épisode criminel, sera difficile, sinon impossible à tirer.

12 Encore une fois, la Chambre de première instance semble s'être concentrée

13 sur les mots "commis ensemble", que l'on trouve dans l'Article 49 du

14 Règlement. Et nous disons que ces mots n'ont pas d'effet en l'espèce.

15 Apparemment, elle s'est concentrée également sur ces mots sans se pencher

16 sur la définition du mot "opération", c'est-à-dire "événement unique".

17 Elle a considéré l'opération commune comme stipulant un événement unique

18 et sans voir qu'il pouvait également y avoir multiplicité d'événements.

19 En conclusion, et je sais que j'ai déjà parlé assez longuement ce matin

20 -ce sera la partie la plus longue de mon exposé, d'ailleurs-, la Chambre a

21 utilisé pour la première fois l'Article 49 de façon détaillée. Donc nous

22 souhaitons proposer à la Chambre d'appel des définitions du dictionnaire.

23 Je prierai Monsieur l'huissier de les distribuer en anglais et français.

24 (Intervention de l'huissier.)

25 On trouve donc les définitions du mot "dessein", du mot "stratégie" et du

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1 mot "plan" sur ce document. J'espère que cela pourra aider les Juges de la

2 Chambre d'appel, car il semble qu'il y ait une logique précise dans la

3 façon dont l'Article 2 du Règlement est rédigé, notamment s'agissant du

4 mot "dessein". Et je lis la définition qui vient d'être distribuée:

5 "Dessein: intention précise, propos, résolution, visée, volonté". Je vous

6 lis à présent la définition du mot "stratégie": "Ensemble d'objectifs

7 opérationnels choisis pour mettre en oeuvre une politique préalablement

8 définie", selon le document.

9 Et j'en arrive à mon dernier argument, avant de passer à un autre sujet:

10 la façon dont les "amici curiae" ont traité de la question devant la

11 Chambre de première instance. Ils ont dit que le mot "stratégie" suffisait

12 à lui seul, en droit, pour justifier la jonction en disant que la

13 stratégie était donc le lien existant entre un modus operandi commun.

14 Nous n'avons pas adopté cette proposition, mais nous ne l'avons pas non

15 plus rejetée. Nous ne l'avons cependant pas adoptée, car, apparemment,

16 elle a quelque mal à se conformer aux dispositions de l'Article 2 du

17 Règlement. Cependant, dans les arguments des "amici curiae", nous avons

18 trouvé l'existence d'une politique de jonction, pratiquée un peu partout

19 dans le monde, et il est possible de dire que le mot "dessein" -maintenant

20 que nous avons regardé la définition de ce mot- pourrait effectivement

21 justifier une jonction des activités similaires pour donner lieu à une

22 instance commune.

23 Bien entendu, quand les "amici curiae" ont parlé de similitude des actions

24 justifiant une jonction, quelque chose qui n'a d'ailleurs pas été une

25 concession de leur part, cette façon d'aborder les choses soutient

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1 entièrement notre argument selon lequel il y a eu plan unique, similitude

2 d'activités et donc justification de la jonction d'instances. Et cela

3 vient également à l'appui de ce que nous disons, à savoir qu'il y a eu un

4 plan. Ce plan était dans l'esprit de l'accusé, il a évolué dans le temps,

5 il s'est appliqué et il est reflété désormais dans un certain nombre

6 d'actes d'accusation, à savoir les trois Actes d'accusations dressés

7 contre l'accusé.

8 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, s'agissant de la capacité du

9 droit à unir les infractions, nous nous appuyons sur tout ce qui a été dit

10 par écrit dans notre mémoire, parce que je tiens compte de l'heure; je ne

11 vais donc pas répéter. Nous appelons particulièrement votre attention, par

12 exemple, sur l'Acte d'accusation du procès de Nuremberg où ce sujet a été

13 exploré en détail, avec des évolutions dans le temps. Mais nous nous

14 appuyons également sur d'autres bases, que nous mentionnons dans nos

15 écritures.

16 J'en arrive maintenant à d'autres sujets importants également. L'un d'eux

17 est la situation de la Croatie, du Kosovo ou de la Bosnie, s'agissant de

18 cette jonction d'instances.

19 Deux points, brièvement, qui viennent à l'appui l'un de l'autre. Je l'ai

20 déjà dit, la situation des organes attaqués est sans pertinence. Une

21 personne, par un acte criminel, cherche à obtenir ou à récupérer du

22 territoire selon un plan qui lui est propre. Il n'est pas important de

23 savoir où se situe le territoire; rien ne découle du fait de savoir qu'il

24 existe ou pas une armée entre ces deux territoires.

25 Mais le deuxième point un peu plus précis, me semble-t-il, un peu plus

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1 spécifique, qui vient à l'appui du premier est le suivant: dans l'histoire

2 les différences n'ont pas été aussi importantes que la Chambre de première

3 instance semble le considérer.

4 Si nous parlons de la Croatie, l'indépendance de celle-ci a été finalement

5 reconnue le 15 janvier 1992, alors qu'elle avait été déclarée déjà en

6 octobre 1991 de facto.

7 L'Acte d'accusation ne présente donc pas d'importance majeure pour ces

8 parties de l'ex-Yougoslavie ou pour le Kosovo, sauf à dire que le Kosovo

9 avait une histoire différente étant donné qu'elle était une région

10 autonome. Autonomie, d'ailleurs, qui a pris fin sous les faits des actes

11 de l'accusé.

12 Donc dans le cas de la Croatie, la première partie de la période ayant été

13 traitée comme intérieure, la deuxième partie comme donnant lieu à un

14 conflit armé international; pour la Croatie il y a similitude, sinon

15 identité, avec la situation du Kosovo.

16 Il est permis également de se rendre compte qu'il y a d'autres similitudes

17 qui viennent des documents fournis à l'appui des arguments du Procureur

18 s'agissant des trois territoires où la même pré-indépendance a existé, et

19 ceci où les mêmes actes ont été commis à l'instigation de l'accusé sous la

20 forme de référendum et de déclaration d'indépendance, etc., etc.

21 Lorsque nous revenons à la Bosnie, nous voyons que les actions

22 préparatoires ont été très similaires, s'agissant notamment des charges de

23 persécutions qui pèsent sur l'accusé et qui ont été reconnues comme

24 débutant en mars et non en avril 1992, mais c'est donc dans la même

25 période.

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1 Bien entendu, pour la Bosnie comme pour la Croatie le plan était

2 préexistant; c'est en tout cas ce qu'affirme le Procureur, préexistant à

3 l'indépendance. Donc ce plan était dans l'esprit de l'accusé dans les

4 trois cas, et c'est ce plan qui a une importance substantielle et qui

5 montre que la situation n'est pas très différente de celle du Kosovo.

6 S'agissant du Kosovo en tant que tel, là encore vous trouverez des preuves

7 d'actions préparatoires dans les plébiscites qui ont eu lieu, etc. Mais

8 s'agissant du Kosovo en tant que tel, la Chambre d'appel se souviendra que

9 le Procureur, lui-même, nous a rappelé l'époque qui nous intéresse,

10 l'époque où des déclarations d'indépendance, des prétentions

11 d'indépendance étaient exprimées et l'existence d'institutions assez

12 semblables à celles dont nous avons parlé dans les deux autres régions.

13 L'indépendance de facto accordée à cette région pendant une partie

14 importante de la période nous montre simplement la similitude dont je

15 parlais, que l'on retrouve dans les Actes d'accusation.

16 Donc selon les propos du Procureur, et avec le respect que celui-ci doit

17 au Tribunal, rien ne découle de ce qu'on aurait pu appeler "une différence

18 de statut entre ces territoires" et, en fait, les similitudes de situation

19 sont beaucoup plus importantes que les différences.

20 Le Procureur général du Tribunal vous a dit tout à l'heure, et c'était

21 d'ailleurs quelque chose qui avait déjà été dit précédemment, que des

22 actes de violence ont été commis dans cette région depuis la mi-1996 déjà,

23 c'est-à-dire six mois après la fin de la période couverte dans l'Acte

24 d'accusation de la Bosnie.

25 Deuxièmement, comme nous le savons, sur la base de plusieurs documents

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1 préalables au procès et je pense que c'est particulièrement valable pour

2 le Kosovo, la campagne de violence a provoqué des expulsions et avait

3 commencé en octobre. Donc le cours international du conflit ne peut être

4 nié quelle que soit la conclusion que l'on tire.

5 Nous ne parlons pas de trois ans ou d'une période de similaire à trois

6 ans, la période dont nous parlons est beaucoup plus courte et plus

7 pertinente en même temps. Pour les Albanais du Kosovo, de nombreux

8 documents montrent à quel point les droits humains ont été violés

9 s'agissant d'eux, et ils l'ont été par les Serbes à l'époque où l'accusé

10 avait le plein contrôle sur la région.

11 Nous disons donc que ce qui est important en droit consiste à se poser la

12 question de savoir s'il existait un plan unique et que la période

13 considérée n'a aucune influence sur la réponse à cette question.

14 Il semble que la Chambre de première instance ait été exagérément

15 préoccupée par les mots "commis ensemble" utilisés dans la version

16 anglaise de l'Article 49 du Règlement, et repris dans l'article du Code de

17 procédure pénal américain. Mais ceci, selon l'application de l'Article 2

18 de notre Règlement, n'est pas de la même importance s'agissant de

19 permettre ou non une jonction d'instances.

20 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, je vous demande à présent une

21 minute.

22 Un argument sans doute qu'il faut que j'ajoute encore s'agissant de la

23 période qui va du début des années 90 jusqu'à 1999.

24 Nous disons que la menace faite au nom du Président américain à l'accusé,

25 dans la période de Noël de cette année, est un des actes qui a limité un

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1 peu les velléités de l'accusé s'agissant de Kosovo, parce que le Président

2 américain lui a fait savoir que cela risquait de déboucher sur un conflit

3 international. Nous disons que c'est l'une des raisons pour lesquelles on

4 peut dire que son crime a été retardé.

5 Une autre raison pour le retard de ce crime, ce sont les différentes

6 mesures prises par l'accusé pour réduire l'autonomie du Kosovo dans cette

7 même période qui allaient toutes dans le sens de la réalisation de son

8 objectif, qui consistait à contrôler le Kosovo. Et c'est un contrôle qui

9 se faisait dans le cadre de l'application de ce plan unique, de ce plan

10 commun qui montre bien l'intention qu'il avait de l'appliquer à cet

11 endroit comme ailleurs, mais notamment dans cette province.

12 J'aimerais à présent parler de la question du pouvoir discrétionnaire des

13 Juges avec quelques détails. Un peu plus peut-être que ceux que nous avons

14 mis par écrit dans notre mémoire.

15 De l'avis du Procureur, cette intervention est justifiée. Le critère de

16 l'intervention pour déterminer s'il y a eu erreur ou pas de la part d'une

17 Chambre de première instance consiste donc à essayer de voir s'il y a eu

18 erreur ou pas.

19 Parlons des témoins du Procureur. Aucune intention n'a été consacrée au

20 préjudice réel pour l'accusation de l'existence de deux procès.

21 Pour la Chambre de première instance, ce préjudice a été apprécié de la

22 façon suivante: les témoins allaient témoigner dans deux procès s'il y

23 avait deux procès, et les témoins n'étaient pas toujours des victimes,

24 mais les victimes allaient le faire également. Les témoins les plus connus

25 étant les témoins initiés des faits et des événements qui viendraient donc

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1 témoigner en personne pour dire ce qu'a fait l'accusé, ce qu'il a pensé,

2 ce qu'il a dit.

3 Le Tribunal sait bien quelles pressions peuvent être exercées sur des

4 témoins de cette nature, les difficultés qu'il y a à obtenir leur

5 coopération et leur témoignage, et quelles sont les seules possibilités

6 réelles pour qu'ils témoignent. Témoigner devant ce Tribunal, pour des

7 personnes appartenant à cette catégorie, peut avoir des conséquences

8 importantes sur leur existence et donc une incidence importante sur leur

9 volonté ou sur leur manque d'enthousiasme par rapport au fait de venir

10 témoigner.

11 S'il y a deux procès et que les témoins de cette qualité tout à fait

12 capitale doivent revenir deux fois, la situation sera très différente de

13 celle où ils pourraient venir ne témoigner qu'une seule fois, car les

14 raisons qu'ils pourraient fournir pour refuser de le faire seraient moins

15 faciles à fournir. Or il s'agit de tenir compte de l'importance de leur

16 témoignage.

17 Le préjudice pour l'accusé: je peux en parler très rapidement. La question

18 a été étudiée, examinée dans le détail par la Chambre de première

19 instance. Il s'est agi de dire…, mais le Procureur affirme qu'il n'y

20 aurait pas préjudice contre l'accusé s'il y avait procès unique et qu'en

21 fait, cela lui rendrait la vie beaucoup plus facile. Les procès sont

22 toujours quelque chose de très astreignant, de très difficile à vivre et

23 donc un seul procès sera moins dur que deux.

24 L'accusé n'a rien dit dans le sens inverse et il est possible de préjuger

25 du fait qu'il accepterait un seul procès. Au stade actuel, les "amici

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1 curiae" ont dit qu'ils se plieraient à la décision de la Chambre de

2 première instance.

3 Dans ces conditions, nous citons un certain nombre d'arguments qui

4 justifient le fait de dire que le préjudice pour l'accusé serait

5 pratiquement inexistant et que la Chambre de première instance s'est

6 trompée, a fait erreur en tirant cette conclusion.

7 S'agissant de la mise en état, la conclusion est la même: les choses

8 seraient plus simples -il n'y a pas besoin d'insister là-dessus-, plus

9 faciles à gérer. A notre avis, avec deux procès, les problèmes concernant

10 la communication de pièces, la préparation et autres seraient beaucoup

11 plus compliqués.

12 Monsieur le Président, en conclusion, je souhaite dire que, bien qu'on

13 m'ait conseillé de ne pas aborder la question, je tiens néanmoins à le

14 faire et à parler quelque peu du calendrier. Ce point est traité dans nos

15 écritures, mais j'en dirai toutefois quelques mots.

16 S'il y avait jonction d'instances, bien sûr, il y a des raisons qui

17 justifieraient que le procès commence par des déclarations liminaires;

18 après quoi, il y aurait présentation des témoins par ordre chronologique;

19 et l'ordre chronologique s'expliquerait mieux sans doute si l'on

20 commençait par la Croatie, la Bosnie, pour terminer par le Kosovo.

21 Mais une fois que nous constatons que la Chambre de première instance a

22 décidé de joindre la Croatie et la Bosnie dans un seul procès, et de

23 garder le Kosovo dans un troisième procès distinct, en commençant le

24 premier procès le 12 février 2002 et que ce procès devait être le Kosovo

25 pour tenir compte de la façon dont ont été rédigés les Actes d'accusation,

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1 nous disons que les préparatifs et autres éléments sont à prendre en

2 compte également, bien entendu. Donc peut-être y aura-t-il interversion

3 chronologique.

4 Des Juges professionnels, jugeant dans le cadre d'un procès de cette

5 importance, ne devraient pas être dérangés par ce genre de situation. Bien

6 sûr, entendre les arguments d'une situation plus récente en premier peut

7 être plus ou moins bénéfique. Mais nous disons, de la façon la plus

8 claire, que nous estimons que les Juges d'une Chambre de première instance

9 de ce Tribunal, des Juges professionnels doivent pouvoir traiter de la

10 meilleure façon qui soit de ce genre de situation, quel que soit l'ordre

11 chronologique des procès.

12 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'en ai terminé pour ma part.

13 M. le Président: Je vous remercie, Maître Nice.

14 Je me tourne vers mes collègues pour savoir s'il y a des questions à

15 poser?

16 Monsieur le Juge Hunt. Ensuite, Monsieur le Juge Güney.

17 M. Hunt (interprétation): Monsieur Nice, partons du principe que nous

18 acceptons votre argument, c'est-à-dire qu'il ne faut pas prendre en compte

19 le libellé de l'Article 49 et estimer que, pour cette raison et pour

20 d'autres, la Chambre de première instance a mal utilisé son pouvoir

21 discrétionnaire.

22 Dans ces conditions, ce que vous nous demandez, c'est de réétudier la

23 question nous-mêmes, de vous dire ce que signifie véritablement l'Article

24 49, de faire notre propre conclusion sur les faits et d'utiliser notre

25 pouvoir discrétionnaire? Est-ce que c'est bien cela que vous nous

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1 demandez?

2 M. Nice (interprétation): Eh bien, nous vous demandons de dire que la

3 Chambre de première instance s'est trompée en matière de droit, et que

4 dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire elle s'est également

5 trompée. Et qu'en conséquence, il faudrait joindre ces instances parce que

6 c'est la conséquence de ses conclusions, la conséquence logique.

7 M. Hunt (interprétation): Mais cela signifie que notre Chambre doit faire

8 usage de son pouvoir discrétionnaire à la place de la Chambre de première

9 instance?

10 M. Nice (interprétation): Oui.

11 M. Hunt (interprétation): Dans ces conditions, je vais poser un certain

12 nombre de questions en relation directe avec cela.

13 Premièrement, en ce qui concerne les faits: pour expliquer cette

14 interruption de trois ans qui a été évoquée et utilisée dans son argument

15 par la Chambre de première instance, ce que vous nous dites dans votre

16 mémoire -vous répétez ce qui a été dit à l'audience-, c'est qu'il

17 s'agissait en fait d'un crime qui devait arriver et qui avait été reporté

18 du fait de la pression internationale. J'imagine, dans ces conditions, que

19 vous disposez d'éléments de preuve, en dehors des conclusions assez

20 indirectes que vous avez évoquées ce matin. J'imagine que vous avez des

21 éléments qui vous indiquent que ceci existait, que ceci existait avant

22 1995, à savoir que l'attaque contre le Kosovo faisait partie de cette

23 grande stratégie ou de ce plan.

24 Est-ce que c'est bien la situation de l'accusation?

25 M. Nice (interprétation): Je crois que j'ai présenté les choses un peu

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1 différemment, je les ai présentées de la manière suivante.

2 Le plan, et bien entendu, on peut toujours inter-changer ces mots "plan",

3 "dessein", etc. Mais je pense que le mot de "plan" dans l'esprit de

4 l'accusé, c'était un plan qui avait pour objectif de prendre le contrôle

5 ou de garder -c'est ce que j'ai expliqué la dernière fois- des régions,

6 des zones de territoires occupés par des Serbes, sous le contrôle serbe.

7 Ce plan-là devait prendre effet au moment où c'était nécessaire. Ce plan

8 était toujours en existence, mais son exécution à un certain degré

9 dépendait de la possibilité qui s'offrait ou des événements extérieurs.

10 Exemple, supposons qu'en Vojvodine, au lieu de se plier, au lieu

11 d'accepter la situation, supposons qu'en Vojvodine se soit manifesté le

12 désir de ne pas rester sous le contrôle serbe, alors nous, nous avançons

13 qu'il y aurait eu les mêmes événements que les événements qui ont eu lieu

14 au Kosovo pour garder le contrôle de la Vojvodine. Et ceci aurait fait

15 partie d'un même plan parce que ce plan était dans l'esprit de l'accusé;

16 plan qui consistait à retenir au maximum le contrôle des zones occupées

17 par les Serbes.

18 M. Hunt (interprétation): Un instant, j'attends la fin de la traduction.

19 Cela signifie donc qu'en ce qui concerne le paragraphe 113 de votre

20 mémoire préalable au procès, nous devons avoir une vision différente des

21 choses; que vous nous dites dans ce mémoire c'est la chose suivante: les

22 éléments de preuve présentés par l'accusation vont montrer que l'accusé et

23 ses coaccusés ont mis en place un plan qui avait pour objectif d'expulser

24 une bonne partie de la population du Kosovo, albanaise, d'ici la fin 1998.

25 Et ce plan a été mis en action à la mi-mars 1999, l'objectif c'était

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1 d'atteindre le contrôle par les Serbes et, en tant que tel, cet objectif

2 allait dans le sens des mesures prises par la RFY et les autorités serbes

3 entre 1989 et 1991.

4 Ceci est cohérent si l'on examine les activités criminelles de l'accusé en

5 Croatie et en Bosnie, donc ceci semblerait montrer qu'il s'agit en fait

6 d'un plan ou d'une stratégie complètement différente?

7 M. Nice (interprétation): Si l'on l'interprète le paragraphe de cette

8 manière mais tout le monde n'est pas obligé de l'interpréter de cette

9 manière. Si on l'interprète de cette manière, c'est malheureux, mais ce

10 n'est pas la façon dont cela a été entendu. Ce plan existait fin 1998;

11 cela reflète ce que j'ai déjà dit précédemment, à savoir que le plan

12 relatif aux deux autres entités existait avant que les crimes ne soient

13 commis. Ce plan existait au moment où aucune de ces entités n'était un

14 Etat indépendant. Le plan existait donc à ce moment-là. Et à ce moment-là,

15 je me suis appuyé, comme je le fais aujourd'hui, sur la cohérence, la

16 continuité, la cohérence de ce plan et le fait que cela va dans le sens de

17 ce qui s'est passé en Croatie et en Bosnie. Tout cela s'inscrit dans un

18 même plan, une même logique dans l'esprit de l'accusé.

19 M. Hunt (interprétation): Bien. Maintenant, passons à ce que vous nous

20 avez dit au sujet des témoins, au paragraphe 55 de votre mémoire. Vous

21 nous dites -je cite-: "En tant qu'anciens proches de l'accusé, ces

22 personnes se sont dites préoccupées de devoir éventuellement témoigner. En

23 tant qu'anciens proches de l'accusé, ces personnes ont exprimé des

24 inquiétudes légitimes quant à leur sécurité." (Fin de citation.)

25 Or, moi, j'estime que vous n'avez pas produit de détails à ce sujet. Vous

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1 nous dites qu'il y a des problèmes de sécurité, etc., mais rien, dans

2 aucune des déclarations faites précédemment, ne nous montre ce genre de

3 préoccupation. Si vous examinez ce qui se passe en matière de mesures de

4 protection au Tribunal, généralement la Chambre dispose d'une trace

5 indiquant que les témoins sont préoccupés. Or, ceci n'a jamais été

6 indiqué.

7 M. Nice (interprétation): Oui, je suis tout à fait conscient de l'approche

8 que vous avez vous-même apportée en tant que Président de Chambre dans le

9 cadre de l'octroi de mesures de protection. Il est possible que la

10 pratique ait évoluée et se soit modifiée en matière d'octroi de mesures de

11 protection. Il est possible également qu'il y ait des approches

12 différentes adoptées par différentes Chambres de première instance en la

13 matière.

14 Je sais très bien et je reconnais qu'à ce moment-là il n'y a pas eu de

15 préoccupations exprimées ouvertement, les préoccupations sur lesquelles

16 vous vous appuyez pour octroyer des mesures de protection dans le cas des

17 affaires que vous avez présidées.

18 Mais, cependant, permettez-moi de dire la chose suivante: tout d'abord

19 comme je l'ai déjà dit, les témoins proches de l'accusé, ces témoins, nous

20 les cherchons et nous sommes encore en train de les chercher parce que

21 pour beaucoup d'entre eux, ils ne se sont présentés ou ne sont devenus

22 disponibles qu'au moment de l'arrestation de l'accusé. Donc, tout ceci

23 prend beaucoup de temps à trouver ces témoins, à faire en sorte qu'ils

24 soient prêts à venir témoigner, etc.

25 De ce fait, dans certains cas, je ne peux faire rien de plus que de vous

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1 présenter la position telle que nous pensons qu'elle doit être en ce qui

2 les concerne, parce que nous n'en sommes pas encore arrivés au point où

3 certains témoins nous ont exprimés formellement leur crainte.

4 Mais nous avançons, quant à nous, que la Chambre est en droit et, en fait,

5 est obligée de se pencher non seulement sur les documents, les éléments

6 que je puis lui donner aujourd'hui au sujet de ces témoins, mais la

7 Chambre doit regarder ce qui s'est passé dans d'autres affaires, doit

8 puiser dans son expérience dans d'autres affaires et réfléchir à tout ce

9 que nous savons de témoins, de témoins qui disparaissent parfois. Et on

10 doit penser à ce qui se passe dans d'autres affaires, à des actes concrets

11 qui suivent des expressions, l'expression de témoins qui manifestent leur

12 peur et qui montrent que ces peurs étaient bien fondées.

13 La Chambre doit penser à tout cela et se dire qu'en ce qui concerne ces

14 témoins, cette catégorie de témoins que nous avons ici identifiés, il est

15 tout à fait normal que la crainte, la peur soit un élément récurrent quand

16 on parle de ce genre de témoins.

17 Permettez-moi de dire la chose suivante: dans une affaire telle que la

18 nôtre, avec un accusé –là, je reprends la formulation des "amici curiae"-

19 dont le modus operandi a été de laisser des empreintes de pas derrière

20 lui, il est possible que les meilleurs éléments de preuve on les obtienne

21 justement de seulement un ou deux de ces témoins. Nous n'en savons rien

22 encore, mais c'est possible. Et de ce fait, il y a un risque, un risque

23 qui doit être pris très au sérieux et qui n'a pas été pris en compte par

24 la Chambre de première instance.

25 M. Hunt (interprétation): Oui, mais seulement parce que vous-même vous

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1 n'aviez jamais dit précédemment que ces témoins, ces témoins envisagés

2 avaient exprimé une certaine inquiétude. Moi, je me contente ici de

3 reprendre ce que vous dites dans votre mémoire. Vous nous dites qu'ils ont

4 exprimé des "inquiétudes légitimes"; ça, c'est malheureux comme

5 formulation.

6 M. Nice (interprétation): Oui, si cela dépasse la réalité. Oui mais peut-

7 être pas. Cela reflète peut-être cette formulation des éléments que nous

8 n'avons pas noir sur blanc.

9 M. Hunt (interprétation): Il y a une question que la Chambre de première

10 instance n'a pas examinée, mais nous pouvons le faire si nous voulons

11 réexaminer tout cela: c'est le constat judiciaire et l'Article 94.

12 Qu'en est-il de cet article? Je pense qu'il s'agit véritablement d'une de

13 ces affaires où le constat judiciaire devrait s'appliquer, n'est-ce pas?

14 M. Nice (interprétation): Si vous avancez, Monsieur le Juge, qu'un témoin

15 qui peut se révéler un témoin très précieux et qui dépose sur des

16 questions de contexte dans une affaire et si l'on devait en dresser

17 constat judiciaire et utiliser cela dans d'autres affaires, à ce moment-

18 là, permettez-moi de faire deux ou trois remarques sur la base de mon

19 expérience personnelle.

20 Ici même, au Tribunal, je n'ai pas connu beaucoup de réussite dans

21 l'application de cet article. J'ai trouvé qu'il était assez restreint dans

22 son application.

23 M. Hunt (interprétation): Ceci, je pense, se passe lorsque vous avez

24 différents accusés dans différents procès: vous avez des documents

25 différents qui vont influencer les conclusions et le jugement. Ici, c'est

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1 différent. Vous avez un seul accusé et vous nous dites d'ailleurs que les

2 trois domaines traités par ces Actes d'accusation sont les mêmes et que

3 les mêmes témoins peuvent témoigner dans toutes les affaires.

4 M. Nice (interprétation): Justement, cela m'amène à ma deuxième remarque

5 qui est la suivante: la Chambre de première instance, dans sa décision, a

6 clairement envisagé le fait que l'on puisse séparer la présentation des

7 éléments de preuve. Elle le fait clairement en disant qu'on pourrait

8 exclure un certain nombre d'éléments de preuve qui pourraient porter

9 préjudice aux autres éléments de preuve.

10 Si c'est exact, à ce moment-là, on pourrait tout à fait envisager que la

11 Chambre de première instance réduise les éléments de preuve pour un acte

12 d'accusation à ce qu'elle estime être le minimum absolu et qu'elle ne

13 permette pas à un témoin de dire tout ce qu'il a à dire, de donner tous

14 ses éléments de preuve. C'est peut-être une des raisons pour laquelle la

15 jonction devrait d'ailleurs être octroyée.

16 Mais il semble que la Chambre nous a dit qu'il convient de bien distinguer

17 les éléments de preuve. Donc, si vous avez un témoin qui dépose dans

18 l'affaire du Kosovo et qu'on limite sa déposition parce qu'on dit: "Nous

19 n'avons pas à entendre ce qu'il a à nous dire sur la Bosnie et la Croatie,

20 cela viendra plus tard", à ce moment-là, on ne pourrait pas appliquer

21 l'Article 94 et le constat judiciaire.

22 Et troisièmement, il y a la question du contre-interrogatoire qui se pose.

23 Pour les raisons que j'ai déjà données précédemment, la Chambre se verrait

24 limitée dans le contre-interrogatoire ou limiterait le contre-

25 interrogatoire de l'accusé, qui pourrait être utilisé ensuite par les

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1 amici et par les Juges dans leurs questions. Donc on limiterait la portée

2 de la déposition des témoins, et l'Article 94 n'apporterait pas une

3 solution.

4 M. Hunt (interprétation): Dernière chose que j'ai à vous dire: c'est sur

5 l'état de préparation de l'accusation et le fait que l'accusation soit ou

6 non prête à commencer le procès relatif à la Bosnie et à la Croatie.

7 Dans le cadre de l'audience, vous nous avez dit que vous seriez prêts

8 d'ici l'été, bien que l'automne serait préférable en ce qui vous concerne,

9 et seulement si vous travailliez énormément et si vous disposiez de

10 ressources supplémentaires.

11 Moi, je vous souhaite énormément de chance pour obtenir ces ressources,

12 mais partons du principe que vous les obteniez. Pour moi, qui viens des

13 antipodes, c'est un peu difficile à comprendre ces termes "d'été",

14 "d'automne". Pour vous, quand est-ce que c'est l'automne? Je veux dire: de

15 quel mois de l'année parlez-vous?

16 M. Nice (interprétation): Il me semble que, dans notre hémisphère, ici,

17 c'est septembre et c'est le mois de septembre que nous avions envisagé au

18 départ.

19 J'espère que je vais apaiser vos préoccupations en vous disant la chose

20 suivante: il est vrai que notre institution, globalement, a du mal à se

21 procurer des ressources supplémentaires. Il est exact qu'au moment où j'ai

22 fait les remarques que vous avez reprises, on connaissait des difficultés

23 considérables en matière de ressources pour préparer le procès; il est

24 vrai que ces difficultés persistent. Mais quand on ne trouve pas de

25 nouvelles ressources, on peut procéder à un redéploiement des ressources

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1 existantes pour remplir les objectifs dont le Procureur estime qu'ils sont

2 prioritaires. Nous avons mis en place un plan qui a impliqué beaucoup de

3 travail et, de ce fait, nous pensons que nous pourrons avoir, disons d'ici

4 le 1er avril, une liste des témoins, mémoires, etc. Et nous pourrions à ce

5 moment-là être prêts pour le 1er juillet.

6 M. Hunt (interprétation): Donc ceci, c'est beaucoup plus tôt que ce que

7 vous aviez dit précédemment, cette estimation.

8 Justement, en ce qui concerne l'Acte d'accusation de Bosnie, il fait appel

9 à des incidents que tout le monde connaît, que nous connaissons tous:

10 Foca, Srebrenica, Sarajevo. Il s'agit de tous incidents qui ont fait

11 l'objet de procès qui soit ont commencé, soit sont terminés. Donc vous

12 n'aurez pas de mal à être prêts en ce qui concerne l'Acte d'accusation

13 pour la Bosnie.

14 Mais il y a un grand nombre d'incidents qui ont trait à l'affaire

15 Krajisnik. Et je ne sais pas si vous êtes au fait des difficultés

16 rencontrées par vos collègues pour mettre en état cette affaire. Je

17 pourrais vous donner une chronologie rapide des rebondissements qui ont eu

18 lieu dans la préparation de cette affaire, mais, à un moment donné, vu les

19 problèmes rencontrés en matière de traduction, on avait dit qu'il faudrait

20 attendre mars 2003 pour que les traductions soient prêtes. Ceci

21 évidemment, on y a remédié.

22 Mais, quoi qu'il en soit, ils ne sont pas en mesure de nous dire quand

23 l'affaire sera mise en état; la dernière estimation pour l'ouverture du

24 procès, je crois, c'était septembre de cette année. Alors, quel poids

25 pouvons-nous accorder aux estimations que vous nous avez données, quand

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1 vous dites que vous pourriez être prêts en juillet de cette année?

2 M. Nice (interprétation): Eh bien, deux ou trois choses pour répondre à ce

3 que vous venez de me dire, Monsieur le Juge.

4 Nous sommes, bien entendu, conscients des difficultés rencontrées par

5 d'autres affaires, mais nous n'avons pas la même connaissance que ceux qui

6 s'en occupent directement.

7 Deuxièmement, du fait que les faits incriminés sont communs à beaucoup de

8 ces affaires, vous serez soulagé de savoir que ceux qui sont à la tête de

9 ces enquêtes, les Procureurs, etc., ont fait tout ce qui était possible

10 pour éviter de refaire ce qui avait déjà été fait par d'autres, pour

11 gagner du temps et des ressources.

12 Troisièmement, je pense que vu les faits incriminés qui sont très

13 importants en Bosnie, si en juillet il y avait encore du travail à

14 accomplir en ce qui concerne les faits, nous pourrions quand même

15 commencer; même s'il restait du travail à accomplir concernant certains

16 crimes, soit on pourrait retarder les éléments de preuve à apporter au

17 sujet de ces crimes ou de ces infractions, soit on pourrait réduire un peu

18 l'Acte d'accusation à ce moment-là, parce qu'il n'est pas toujours

19 nécessaire de parler de toutes les municipalités concernées.

20 Mais le principe qui nous a guidés ici, c'est qu'il fallait prendre en

21 compte toutes les infractions, tous les crimes. Mais je dois dire que

22 parfois il faut trouver un bon équilibre, un bon équilibre qui convient

23 peut-être à ne pas présenter tous les éléments.

24 M. le Président: Merci, Juge Hunt.

25 M. Güney: Monsieur Nice, à la lumière de l'argumentation que vous avez

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1 développée dans votre mémoire ainsi que soumise devant la Chambre

2 aujourd'hui même. J'aimerais que vous développiez un peu plus ou clarifiez

3 vos idées sur le point spécifique qui est le suivant. La différence

4 décisive entre les époques et les lieux visés par l'Acte d'accusation

5 concernant le Kosovo et par les autres.

6 Est-ce que l'intervalle de trois années a anéanti la thèse de l'existence

7 d'un dessein commun? Voilà le point. Merci.

8 M. Nice (interprétation): Merci, Monsieur le Juge, de me permettre de

9 présenter aussi clairement que possible la position qui est la nôtre. Cela

10 ne nie pas du tout, n'annule pas du tout cette position pour deux ou trois

11 raisons.

12 Premièrement, cet intervalle de temps est moins long parce que les

13 violences ont commencé presque immédiatement après Dayton et tout avait

14 déjà commencé en 1998. L'acte d'accusation commence en 1999, mais peu

15 importe. Donc la période concernée, cet intervalle est beaucoup plus

16 court.

17 Deuxièmement chose, cet intervalle finalement n'a aucune importance si les

18 éléments de preuve nous montrent que tout ceci fait partie d'un même plan.

19 Beaucoup d'exemples ont été évoqués dans notre mémoire qui viennent de

20 différents systèmes juridiques. Par exemple, l'exemple d'un homme

21 politique aux Etats-Unis accusé de corruption, d'acte de corruption qui

22 ont eu lieu pendant six ans, etc. Donc le fait qu'il y ait une

23 interruption, un intervalle de temps entre des actes ne signifie pas qu'on

24 ne puisse pas les juger en même temps.

25 Nous, nous avançons que tout ceci fait partie d'un même plan, nous disons

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1 qu'il est clair ou du moins cela deviendra clair lorsqu'on verra tous les

2 éléments de preuve. Nous disons que le plan qui existait dans l'esprit de

3 l'accusé se reflétait dans ses différents comportements et ces différents

4 événements.

5 Peut-être pourrais-je ajouter la chose suivante? Partons de l'hypothèse

6 qu'il y ait eu deux autres lieux, deux autres régions où son plan l'aurait

7 contraint de prendre des mesures, par exemple au Monténégro ou ailleurs,

8 en 1996 ou en 1998 disons. Partons de cette hypothèse. Eh bien, à ce

9 moment-là, la présence de ces deux nouvelles entités ne ferait aucune

10 différence puisque, pour nous, tout ce qui importe c'est que tous ces

11 actes relèvent d'un seul et même plan.

12 M. le Président: Juge Pocar et puis Juge Meron.

13 Juge Pocar.

14 M. Pocar (interprétation): Une question, je vous prie.

15 J'aimerais, Monsieur Nice, que le Procureur nous donne davantage de

16 détails sur l'interprétation qu'il fait de l'Article 49 du Règlement de

17 procédure et de preuve de ce Tribunal.

18 En effet, mon impression, Monsieur Nice, c'est que votre interprétation

19 consiste à dire en fait qu'il faudrait appliquer le même critère en

20 application de l'Article 49 que celui que l'on pourrait appliquer en

21 application de l'Article 48. C'est-à-dire le même critère que celui qui

22 régit la jonction d'instances.

23 Alors, voyez-vous, pour votre part, dans l'Article 49 un effet ou un poids

24 plus important, alors que les termes utilisés sont un peu différents de

25 ceux de l'Article 48? Je suis bien conscient que la version française est

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1 encore un peu différente, mais les deux doivent être examinées de toute

2 façon.

3 Donc je souhaitais vous demander quelle est la signification que vous

4 accordez à la différence de libellé qu'il y a dans l'Article 48 et dans

5 l'Article 49, dans les deux langues; et si cela peut avoir un effet

6 quelconque à votre avis s'agissant du lien que vous avez établi entre

7 l'Article 49 et l'Article 2?

8 M. Nice (interprétation): Oui, Monsieur le Juge, j'ai réfléchi beaucoup

9 récemment à l'effet potentiel de l'Article 48. Et il me semble que les

10 deux s'appliquent s'agissant de la définition de l'Article 2, dans la

11 mesure où la définition n'est pas modifiée, ne peut pas être changée ou

12 rendue plus élastique en fonction du contexte.

13 L'Article 2 semble pouvoir s'appliquer en présence d'un événement unique

14 aussi bien qu'en présence d'événements multiples à condition qu'il y ait

15 un plan unique. Et j'ajouterais d'ailleurs que l'Article 48 peut

16 d'ailleurs, à mon avis, être interprété de façon relativement étroite si

17 le procès concerné est bien construit.

18 Je parle d'autres procès jugés par d'autres Chambres de première instance.

19 En effet, dans de nombreux procès militaire de niveaux moyens ou

20 supérieurs ou de responsables politiques de ces mêmes niveaux, on ne peut

21 pas dire que l'interprétation ait été particulièrement limitée par le lieu

22 ou le temps!

23 Donc je reviens sur le fait de dire que l'Article 48, pour sa part, se

24 construit un peu différemment de la définition de l'Article 2, puisque

25 nous y lisons que des personnes accusées d'une même infraction ou

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1 d'infractions différentes commises à l'occasion de la même opération

2 peuvent être mises en accusation et jugées ensemble. Alors que l'Article

3 49 énonce que plusieurs infractions peuvent faire l'objet d'un seul ou

4 même acte d'accusation si les actes incriminés ont été commis à l'occasion

5 de la même opération et par le même accusé.

6 Alors, si nous les regardons de très près, si nous comparons les libellés,

7 je ne suis pas sûr qu'il y ait une très grande différence dans la

8 construction ou dans l'interprétation que l'on peut faire de l'événement

9 en tout cas.

10 Les deux expressions ne nous mènent guère plus loin que cela, d'ailleurs

11 elles sont peut-être superfétatoires ou exagérément interprétées si l'on

12 ajoute une virgule ici ou là, mais je ne pense pas qu'il en découle autres

13 choses que ce que nous avons dit.

14 M. le Président: Monsieur le Juge Meron?

15 M. Meron (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

16 Monsieur le Juge Güney vous a interrogé au sujet de cette période de trois

17 ans et j'aimerais revenir sur ce même sujet, mais sous un autre angle, si

18 vous le voulez bien.

19 Vous vous rappellerez que, lors de l'analyse de l'opération conjointe, la

20 Chambre de première instance a cité une date comme indiquant une

21 séparation très claire entre les actes d'accusation relatifs à la Bosnie

22 et à la Croatie, d'une part, et l'Acte d'accusation relatif au Kosovo,

23 d'autre part.

24 Est-ce que Dayton donc, la date citée par la Chambre, a la moindre

25 influence sur cette opération conjointe et votre argumentation à cet

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1 égard?

2 M. Nice (interprétation): Pas du tout! On se rappellera que cette question

3 a été évoquée par Mme la Procureure générale lorsqu'elle a dit qu'elle

4 espérait que les problèmes du Kosovo pourraient être réglés. Elle a

5 également mentionné M. Rugova. Donc la signature des Accords de Dayton n'a

6 pas d'influence s'agissant de ce problème de temps.

7 M. Meron (interprétation): Merci. Ma deuxième question porte sur

8 l'importance de l'examen à accomplir par les Juges.

9 Vous vous rappellerez que, dans les arguments oraux du Procureur, ainsi

10 que dans sa requête en vue d'une jonction d'instances, que dans l'analyse

11 qui en a été faite, le Juge May a évoqué une analyse en deux temps

12 s'agissant de l'existence d'une opération unique. Il a été également

13 question du pouvoir discrétionnaire des Juges et d'un certain nombre de

14 facteurs qu'il convenait d'évaluer, d'apprécier à cet égard.

15 La question que je vous pose, c'est, si nous partons du principe que la

16 Chambre d'appel accepte qu'il y a eu erreur en droit au sujet de l'analyse

17 relative à l'opération conjointe, quelles sont les limites de l'examen que

18 peut faire la Chambre d'appel des décisions et des pouvoirs

19 discrétionnaires de la Chambre de première instance? En d'autres termes,

20 est-ce que la Chambre de première instance peut être privée -si l'on peut

21 dire- de son pouvoir discrétionnaire?

22 M. Nice (interprétation): Je pense que, dans notre mémoire, nous sommes

23 très clairs à cet égard; en tout cas, dans les documents soumis à la

24 Chambre et précédemment à la Chambre de première instance.

25 Donc il n'est pas nécessaire, une fois que les critères juridiques ont été

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1 définis, de déterminer avec précision quel est le pouvoir qu'une Chambre

2 d'appel peut exercer sur la Chambre de première instance, en tout cas

3 s'agissant du pouvoir discrétionnaire. Il ne semble donc pas qu'un

4 transfert de ce pouvoir discrétionnaire soit nécessaire pour que la

5 Chambre d'appel intervienne.

6 Par ailleurs, essayons de prendre la situation inverse. Imaginons que l'on

7 découvre qu'il y a eu erreur: dans ce cas, il serait peut-être possible de

8 renvoyer la décision à plus tard mais, au vu des événements, nous vous

9 demanderions de ne pas retarder les choses de cette façon et de rendre

10 votre décision immédiatement.

11 Par ailleurs, la Chambre de première instance a rendu sa décision

12 relativement récemment, ce qui justifie de l'examiner immédiatement.

13 M. Meron (interprétation): Ma dernière question porte sur la mise en état

14 du procès. Vous vous rappellerez, Monsieur Nice, que les Juges de la

15 Chambre de première instance ont été très préoccupés par l'objectif de

16 l'économie judiciaire et du calendrier affecté aux trois procès.

17 Si les trois Actes d'accusation devaient être joints, je crois comprendre

18 que le Procureur est en mesure de nous donner des assurances quant au fait

19 que l'accusation sera prête à commencer le procès, la partie Kosovo du

20 procès conjoint, le 12 février et que, en cas d'injonction, l'accusation

21 sera également capable d'éviter les interruptions qu'il pourrait y avoir

22 entre les trois parties du procès conjoint?

23 M. Nice (interprétation): Oui. Je réponds oui à vos deux questions. Nous

24 pouvons vous donner ces assurances.

25 Mais j'aimerais vous poser une question sur un point que, je pense, il est

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1 important de souligner, car il relève de la même problématique. Nous

2 n'avons aucun doute quant au fait que l'économie judiciaire et l'économie

3 de façon générale seraient beaucoup mieux importantes, beaucoup mieux

4 assurées dans un procès unique que dans des procès distincts, et ce, pour

5 diverses raisons.

6 D'abord, le fait que des témoins, en cas d'instances multiples, devraient

7 revenir plusieurs fois. Deuxièmement, la liste des témoins nous le montre;

8 lorsqu'une Chambre de première instance démarre un procès, pour des

9 raisons d'économie, elle s'efforce d'appliquer l'Article 92bis et d'autres

10 moyens d'obtention d'éléments de preuve, dans les délais les plus brefs.

11 Et ceci, peu à peu, a un effet cumulatif. Donc nous pensons que tous ces

12 documents pourraient être disponibles à la Chambre s'il y avait un procès.

13 M. le Président: Merci, Monsieur le Juge Meron.

14 Oui, beaucoup de questions ont été posées. Je me limiterai d'abord à une

15 observation préalable, qui peut-être s'adresse à la Procureure elle-même.

16 Vous mettez une très grande énergie, une énergie très importante pour

17 démontrer le plan et la stratégie commune. Ce que je ne comprends pas,

18 c'est comment ce plan, cette stratégie commune et cette énergie donc n'ont

19 pas été disposés en amont. C'est-à-dire, finalement, comment, au Bureau du

20 Procureur, on n'a pas conçu ce plan préalablement, puisque, finalement,

21 nous sommes arrivés à trois Actes d'accusations, qui ont été séparés dans

22 le temps -il est vrai, par deux Procureurs différents, mais le parquet est

23 indivisible, nous le savons.

24 Donc je ne comprends pas comment –et c'est une question en même temps

25 juridique que je pose- peut-on parler aujourd'hui d'un vaste plan commun,

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1 d'un dessein commun, alors que votre propre Bureau ne les a pas jugés à ce

2 point communs lorsqu'il a établi les Actes d'accusation au moment des

3 enquêtes?

4 Question de stratégie aussi, Monsieur Nice, voyez-vous.

5 M. Nice (interprétation): J'espère que ce n'est pas une question de

6 stratégie, Monsieur le Président, car je suis certain que le Procureur

7 n'aurait pas agi avec des objectifs stratégiques, même si ces objectifs

8 concrets, eux, existent bel et bien.

9 Le fait que les actes commis dans le cadre du Kosovo étaient prêts pour un

10 jugement préalable aux autres jugements est une chose. Effectivement, les

11 Actes d'accusation ont été émis dans cet ordre. Les enquêtes relatives aux

12 deux autres régions sont arrivées à bonne fin dans des délais plus

13 importants. Cela se comprend tout à fait, en raison notamment d'un manque

14 de coopération de la part d'un certain nombre d'Etats concernés.

15 Mais lorsqu'on parle de disponibilité pour l'accusation, deux options sont

16 possibles: l'une consistait à modifier l'Acte d'accusation, nous

17 l'admettons; l'autre consistait à donner la préférence à des Actes

18 d'accusation distincts dans lesquels chacun pourrait voir comment les

19 situations sont présentées en fonction des victimes.

20 Quelles que soient les raisons qui ont poussé à agir de la sorte, je pense

21 que c'étaient des raisons générales qui n'incombent à la responsabilité de

22 personne en particulier. La décision a été prise de rédiger trois Actes

23 d'accusation distincts plutôt qu'un Acte d'accusation modifié unique.

24 Alors, ce qui s'est passé, qui a eu une certaine importance pour l'accusé,

25 c'est que les modifications étaient apportées; l'accusé a dit ne pas

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1 reconnaître la compétence du Tribunal, et donc il lui revenait la

2 responsabilité d'obtenir une disjonction s'il le souhaitait. Les choses

3 ont suivi leur cours.

4 Dans l'affaire Kovacevic, je ne suis pas sûr que ce soit de là que cela

5 vienne, mais en tout cas, la définition des charges -qui appartient en

6 fait à l'histoire et ne devrait pas être modifiée par telle ou telle

7 décision prise dans le cadre d'un Acte d'accusation ou d'un autre- en tout

8 cas, cette définition a été réexaminée par quelqu'un au Bureau du

9 Procureur. Et je sais que le Procureur général, compte tenu du système

10 judiciaire ou de l'expérience judiciaire qui est la sienne par rapport au

11 problème de jonction d'instances, quelle que soit la situation, ce

12 problème est toujours considéré au Bureau du Procureur avec une grande

13 attention. Lorsque les Actes d'accusation et les documents à l'appui de

14 ceux-ci sont disponibles, le Procureur estime qu'il serait faux ou

15 inopportun de ne pas commencer le procès, même lorsque des éléments

16 d'histoire interviennent.

17 Avec tout le respect que le Procureur doit au Tribunal, je dis que deux

18 procès nous paraissent superflus et que, même pour des raisons

19 historiques, il serait beaucoup plus juste, y compris pour les témoins

20 -comme cela a déjà été dit- et y compris en raison de la responsabilité

21 qui est la sienne et qui va être prouvée par rapport à ces malheureux

22 événements de l'ex-Yougoslavie, il serait bon qu'un seul procès ait lieu.

23 M. le Président: Deuxième question: pourtant, vous aurez bien deux procès.

24 On oublie toujours que M. Milosevic est seul dans deux Actes d'accusation,

25 Bosnie et Croatie, mais qu'il n'est pas seul dans l'Acte d'accusation

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1 Kosovo. Et si, comme nous le souhaitons tous dans ce Tribunal, les accusés

2 doivent être présents ici, il y aura bien, à un moment donné, un deuxième

3 procès Kosovo, puisque d'ici le 12 février, bien sûr, il est illusoire de

4 penser que le procès Kosovo pourra réunir ici MM. Milutinovic, Sajinovic,

5 Ojdanic et Stojiljkovic.

6 Ma question est simplement celle-ci: par rapport aux témoins, vous avez

7 répondu au Juge Hunt qu'il y avait vraiment un préjudice pour l'accusation

8 concernant notamment les témoins, ces témoins qui semblent proches de

9 l'accusé et si importants. Est-ce que cela veut dire que, pour ce futur

10 deuxième procès Kosovo, vous estimez que la question de ce procès est

11 vraiment compromise? Est-ce que vous voyez ma question?

12 M. Nice (interprétation): Oui, oui, je vois tout à fait. Et c'est un

13 problème concret très important; je vous remercie de l'avoir mentionné.

14 J'ai deux réponses à apporter à cela. Premièrement, de quelque façon que

15 les affaires se mènent, il est fort possible qu'il y aura deux procès

16 Kosovo. La seule façon pour qu'il n'y en ait qu'un, ce serait que tous les

17 accusés se rendent simultanément ou qu'ils soient remis simultanément au

18 Tribunal par quelqu'un et que cela se passe d'emblée. Compte tenu de la

19 situation, il est plus que probable qu'il y aura deux procès Kosovo.

20 Deuxième réponse: oui, effectivement, quelques inquiétudes existent par

21 rapport à certains témoins qui pourraient venir témoigner dans un procès

22 Kosovo et qui pourraient éprouver des difficultés, avoir quelques craintes

23 ou réticences à venir une deuxième fois dans le deuxième procès Kosovo.

24 Ceci aura bien sûr des conséquences sur cet accusé, mais également sur les

25 autres accusés. Mais les conséquences pour cet accusé, qui est ici

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1 aujourd'hui, pourraient être particulièrement graves; nous préférons ne

2 pas les envisager.

3 M. le Président: Une autre question: dans votre mémoire, vous avez cité à

4 différentes reprises des références par rapport au procès de Nuremberg.

5 Notamment, s'agissant de la question des opérations distinctes. Et vous

6 avez affirmé qu'à Nuremberg, on avait conçu cela comme un grand dessein

7 commun; d'après vos dires, on a même remonté jusqu'en 1919.

8 Est-ce que vous pouvez apporter des précisions à cet égard à la Cour?

9 M. Nice (interprétation): Je pourrais avoir besoin d'assistance sur ce

10 point.

11 Je crois que, dans l'Acte d'accusation, il est fait référence à des

12 arguments qui ont été donnés, qui portent effectivement sur 1919. Mais

13 dans le registre des sources de droit, on peut sans doute trouver le moyen

14 de répondre à votre question. Je pourrais demander l'aide de quelqu'un

15 pour ce faire, si vous me le permettez.

16 En tout cas, il est tout à fait clair, sur la base de la présentation des

17 éléments de preuve, que la période précédant le procès a été très, très

18 longue. Mais je devrais peut-être vérifier si j'ai raison ou pas en disant

19 cela.

20 M. le Président: Vous vouliez une aide immédiate ou une aide qui était

21 reportée? C'était peut-être une aide immédiate? Monsieur Farrell, vous

22 voulez répondre? Je suppose que vous avez étudié les actes d'accusation de

23 Nuremberg et que vous avez regardé s'il y avait plusieurs actes

24 d'accusation au départ. C'est cela qui aiderait peut-être le Tribunal.

25 Non, il n'y a pas de réponse immédiate?

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1 M. Nice (interprétation): Un seul acte d'accusation. Il y avait un seul

2 acte d'accusation, un acte unique. Ce n'est pas une question de

3 modification de l'Acte d'accusation; que nous sachions, il y avait un seul

4 acte d'accusation.

5 M. le Président: Ma dernière question: vous savez que la présente Chambre

6 a pris une décision "provisionnelle", en disant qu'en toute hypothèse, et

7 cela n'empêchait pas la Chambre, c'est-à-dire son pouvoir discrétionnaire

8 -et à cet égard, il n'est pas question d'avoir un quelconque pouvoir de

9 supériorité-, mais nous avons bien dit, dans notre précédente décision,

10 celle qui a autorisé l'appel, qu'en toute hypothèse, le 12 février,

11 commencerait le procès Kosovo.

12 Concrètement, comment cela va-t-il se passer? Plusieurs Juges ont posé ces

13 questions. Je voudrais vraiment comprendre. Le 12 février, on commence par

14 quoi, à supposer que la Cour répondre à votre satisfaction à votre

15 demande? Le 12 février, qu'est-ce qui se passe? On commence par le Kosovo

16 comme si de rien n'était, ou bien modifiez-vous, demandez-vous tout de

17 suite un report à la Chambre III? Concrètement?

18 M. Nice (interprétation): Si la Chambre d'appel ordonnait la jonction

19 d'instances, il ne fait aucun doute que ce ne serait que courtoisie à

20 l'égard de la Chambre de première instance que de lui donner la

21 possibilité de prévoir de diriger son procès en fonction de cette

22 décision.

23 Mais ce que nous proposons à la Chambre de première instance, c'est que le

24 démarrage se situe le 12 février: donc audition des déclarations

25 liminaires, le 12 février, limitées au Kosovo et, bien sûr, déclarations

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1 liminaires au sujet du Kosovo qui reprendront tous les éléments anciens de

2 l'histoire, ainsi que certains événements survenus entre-temps, mais sans

3 entrer dans tous les détails. Et viendraient ensuite les éléments de

4 preuve relatifs au Kosovo, avec, si possible, comme premiers éléments de

5 preuve, les éléments relatifs aux crimes les plus importants, constituant

6 la base du procès, et l'absence de liaison avec d'autres procès à ce

7 stade.

8 Ensuite, nous fournirions la liste provisoire des témoins et des pièces à

9 conviction provisoires, le mémoire préalable au procès, les éléments

10 modifiés dans le cadre de la mise en état préalablement au procès, le 1er

11 avril.

12 Et, aucun doute, la Chambre de première instance, à ce moment-là, pourra

13 conduire ce procès avec l'équilibre nécessaire dans le cadre d'une

14 jonction d'instances.

15 Mon point de vue provisoire, c'est que nous devrions encourager la Chambre

16 à diviser les choses en trois parties, notamment en fonction des années et

17 de la fin de la dernière session du Tribunal, avec évidemment présentation

18 des preuves dans le même ordre que cette division. C'est mon idée

19 préalable.

20 M. le Président: Je pensais que, dans la mesure où vous étiez prêts à une

21 jonction puisque vous la souhaitez, le 12 février, vous auriez à cœur de

22 présenter un vaste tableau d'ensemble devant la Chambre III, que vous

23 présenteriez une sorte de vaste fresque, puisque vous êtes sûr qu'il y a

24 un plan et un dessein communs dans ces trois Actes d'accusation. Or, vous

25 avez l'air de dire que non, qu'en fait, cela commencera par le Kosovo et

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1 qu'ensuite cela se poursuivra par les autres. Est-ce que je me trompe?

2 M. Nice (interprétation): J'aimerais beaucoup présenter cette grande

3 fresque le 12 février, vraiment beaucoup, dans la mesure de mes

4 possibilités. Si c'est ce que la Chambre souhaite, je le ferai, mais je

5 devrai également réfléchir au fait que l'accusé n'aura pas reçu à ce

6 moment-là la liste des pièces à conviction et la liste des témoins. Et que

7 cela constituera une limite pour moi, car je n'ai pas encore décidé des

8 éléments de preuve que je communiquerai. Mais j'aimerais beaucoup que cela

9 se passe.

10 M. le Président: Je ne comptais pas m'interférer dans ce que ferait la

11 Chambre III dans l'hypothèse.

12 Je voulais simplement savoir si cette notion de dessein commun, à laquelle

13 vous faites référence pour justifier l'application de l'Article 49, allait

14 se manifester dès le 12 février ou si, au contraire, nous allions vers un

15 cheminement tout simplement chronologique des affaires. C'était ma seule

16 observation.

17 Je me tourne à nouveau vers mes collègues: y a-t-il des questions

18 supplémentaires? Il n'y en a pas.

19 Je me tourne à présent vers M. Milosevic. Vous avez entendu ce long débat

20 autour de la jonction éventuelle de deux séries d'Acte d'accusation,

21 Monsieur Milosevic, puisque d'ores et déjà une décision a été prise pour

22 joindre la Bosnie et la Croatie. La question étant, vous l'avez fort bien

23 compris, de savoir si on joignait l'Acte d'accusation Kosovo avec l'Acte

24 d'accusation Bosnie et Croatie. Vous disposez bien sûr du même temps, si

25 vous le souhaitez, que l'accusation. Souhaitez-vous, bien sûr, disposer de

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1 ce temps et qu'avez-vous à dire à la Cour?

2 Merci. Vous pouvez rester assis si vous le souhaitez ou rester debout,

3 c'est comme vous préférez.

4 Nous vous écoutons, Monsieur Milosevic.

5 M. Milosevic (interprétation): Si l'on veut faire l'addition de trois

6 mensonges, on n'obtient pas la vérité, on ne fait que grossir le mensonge.

7 Tous les trois Actes d'accusation au fait présentent et possèdent un fil

8 rouge, ce dont j'ai entendu parler.

9 Le fil rouge serait, à mon sens et à mes yeux, le crime prolongé contre la

10 Yougoslavie et à l'encontre de mon peuple. Ici, il s'agit de toute

11 évidence d'un énorme abus de pouvoir pour pouvoir produire une supercherie

12 historique dans le cadre de laquelle ceux qui ont tout fait pour conserver

13 la Yougoslavie finiront par être inculpés de sa décomposition, de son

14 démantèlement. Ceux qui ont défendu leurs pays finiront par être accusés

15 de crime. Alors que d'autres qui ont tout fait pour mettre en oeuvre la

16 sécession, le séparatisme, voire par voie de terrorisme, seront amnistiés,

17 graciés, parce que derrière eux il se tenait toujours une puissance ou des

18 puissances qui n'avaient d'autres buts que de mettre sous leur contrôle

19 les Balkans, pour qu'à partir de ce point stratégique ils soient en mesure

20 de faire exercer leur contrôle vers d'autres actes et directions.

21 Ici, vous êtes en train de parler de trois affaires à joindre et en

22 jonction. Or, les auteurs du soi-disant plan dont ils parlent avec tant de

23 complaisance, se voient maintenant, seulement dix ans après, dresser un

24 Acte d'accusation Bosnie et Croatie. Ce qui me paraît absurde, insensé,

25 parce que l'ensemble de la politique pratiquée par la Serbie, par moi-

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1 même, ne se préoccupait d'autre chose que de paix et pas de guerre. Et la

2 Serbie et moi-même et tous, nous avons tout fait pour que la paix soit

3 rétablie.

4 Au début même du conflit en Croatie, nous avions opté en faveur d'une

5 solution politique et c'est à lumière et sur la base d'une telle option

6 qu'ont été établies les zones protégées sous le contrôle de l'ONU. Et

7 voilà comment la situation a été apaisée.

8 Le 24 mars 1992, le feu chef de la Croatie Tudjman avait lancé un message

9 à sa nation du haut de la place Jelacic, d'où il a dit littéralement qu'il

10 n'y aurait pas eu de guerre si celle-ci n'avait été souhaitée par la

11 Croatie. Or, c'était notre assertion à nous et estimation à nous que

12 c'était la seule voie par laquelle nous avons pu aboutir à l'indépendance.

13 Certainement, il n'y aurait pas eu de guerre si dans cette guerre-là la

14 Serbie n'était pas présente comme une partie belligérante, mais pour moi

15 ce n'était qu'un conflit intérieur.

16 Pourquoi la Croatie a-t-elle désiré cette guerre? Non pas pour que le

17 peuple croate puisse avoir son droit à l'auto-détermination, voire à la

18 sécession, certes pas dans cette fin-là.

19 Par exemple, la Macédoine s'en est servi, de ce droit-là, pour évidemment

20 s'écarter, sortir de la Yougoslavie. Mais la Croatie a voulu aboutir à un

21 autre objectif, à savoir elle voulait voir presque un demi million quitter

22 la Croatie, un demi million de gens qui ont, pendant des siècles durant,

23 vécu dans leur propre foyer, sur leur propre terre et pas en tant

24 qu'usurpateurs.

25 Jusqu'à l'avènement des autorités croates qui, elles, souhaitaient cette

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1 guerre et qui se sont déclarées comme telles, la Croatie avait une

2 constitution dans laquelle on pouvait lire que la Croatie était un Etat

3 des peuples croates serbes et autres peuples et nationalités qui habitent

4 la Croatie.

5 Voilà que cette constitution a été modifiée. Les Serbes, quant à eux, ont

6 perdu leur droit et leur statut de peuple constitutif en Croatie, et ils

7 se sont révoltés. A cette époque-là, en Serbie, il n'y avait même pas un

8 brin de prise de conscience, du fait qu'il y avait des Serbes par exemple

9 qui habiteraient telle ou telle région de la Croatie.

10 Or, vous, vous parlez d'un plan où, avec le soutien de l'Allemagne, déjà

11 fin 1991 il y a eu une reconnaissance prématurée de la Croatie, sans

12 attendre une solution politique quelconque et où évidemment les conflits

13 se sont fait déclencher et où la Serbie -je le répète- n'avait autre

14 contribution que celle visant la paix. Même la direction croate ne nous a

15 jamais évidemment interpellés pour parler de ces conflits.

16 Alors, maintenant, j'entends parler d'un plan, plan qui serait de toute

17 évidence à l'encontre de l'Etat, d'un Etat qui, à mon sens, semble être le

18 modèle pur et simple du fédéralisme européen à venir seulement. C'était

19 donc la Yougoslavie, c'est de cela que je parle. Il y avait plusieurs

20 ethnies, plusieurs nationalités qui vivaient dans le cadre d'un système

21 fédéral où chacun pouvait vivre sur un pied d'égalité, évoluer avec succès

22 et offrir un exemple au monde entier de la façon dont on peut vivre

23 ensemble. Pendant tout ce temps, nous avons combattu pour la conservation

24 de la sauvegarde de la Yougoslavie et, en fin de compte, les faits, à les

25 prendre dans leur totalité, ne font que prouver ce dont je parle.

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1 Seule la République fédérative de Yougoslavie, quant à elle, a sauvegardé

2 sa structure nationale. Là, il n'y a pas eu de persécution depuis le début

3 jusqu'à la fin même de la crise de la Yougoslavie. Toutes les autres

4 Républiques ont tout modifié.

5 La Croatie a expulsé plus d'un demi million de Serbes. Que s'est-il passé

6 en Bosnie? Sans évidemment parler d'autres régions et d'autres pays

7 yougoslaves.

8 Par conséquent, je dirai: il s'agit là d'une activité mal intentionnée,

9 menée avec inimitié à l'extrême où tous les moyens ont été utilisés pour

10 imposer la guerre à mon peuple et à mon Etat.

11 Regardez la Bosnie-Herzégovine. Dès le début même, nous avons tout fait

12 pour faire régner la paix. Que s'est-il passé avec le plan Cutillero,

13 lequel a été soutenu par tous? A l'initiative de l'ambassadeur des Etats-

14 Unis d'Amérique, ce plan a été refusé par des Musulmans. Après quoi,

15 évidemment il y a eu les conflits.

16 Comment la Serbie a-t-elle pu être inculpée de quoi que ce soit en Bosnie,

17 lorsque nous savons que nous avons toujours voulu nous servir de

18 l'influence qui était la nôtre pour que la paix soit rétablie en Bosnie,

19 non seulement la paix rétablie, mais que les accords soient mis en oeuvre.

20 A Athènes notamment, en 1993, le plan Vance-Owen a été avancé et presque

21 signé. Tous nous l'avons signé. Je me suis rendu avec Mitzotakis à Pale et

22 avec l'ancien Président de la Yougoslavie Dobrica Cosic où nous avons tout

23 fait pour que ce plan soit accepté. Hélas, le plan en date du 3 ou du 5

24 mai…, je ne m'en souviens plus de cette année, 1993, le plan a été refusé.

25 A cette époque-là même, nous avons imposé un blocus à la Republika Srpska

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1 pour faire en sorte que les dirigeants de le Republika Srpska soient

2 contraints d'accepter ce plan de paix. C'était ce rôle pacificateur de la

3 Serbie, c'est-à-dire qu'il a fallu faire régner la paix. Et nous avons

4 toujours dit que la seule formule suivant laquelle on pouvait rétablir la

5 paix en Bosnie, c'était cette formule qui aurait été capable de protéger

6 les intérêts de tous les peuples constituant la Bosnie-Herzégovine,

7 Serbes, Croates et Musulmans.

8 Dayton a réussi, a été couronné de succès du simple fait que cette formule

9 avait été respectée, car c'est ainsi que les intérêts des trois peuples en

10 présence ont été respectés.

11 J'entends dire maintenant que c'était Dayton qui devait se préoccuper pour

12 discuter de Kosovo. C'est vraiment insensé, c'est absurde. Les Accords de

13 Dayton ont été convoqués en vue de la paix à établir en Bosnie-Herzégovine

14 et personne n'avait la moindre idée d'ouvrir le chapitre de Kosovo qui

15 n'était autre chose qu'un chapitre et une question intérieur de la Serbie

16 et personne n'avait eu l'idée que d'aucuns tenteraient d'internationaliser

17 le problème.

18 D'aucune façon, vous ne serez en mesure d'associer à tous ces crimes la

19 Serbie et la politique serbe. Pour parler de crimes, après dix ans

20 écoulés, au sujet de quels crimes personne d'entre nous n'avons eu aucune

21 attitude, sauf une attitude de respect pour les efforts énormes en faveur

22 de la paix, qui ont été fournis entre autres par nous, par la politique

23 serbe prise dans son ensemble, par la Serbie.

24 Mais revenons à la Bosnie. Savez-vous que, pour parler de 70.000 réfugiés

25 musulmans, ceux-ci se trouvaient en Serbie lorsqu'ils étaient réfugiés

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1 bosniens.

2 Est-ce que vous croyez que quelqu'un serait heureux de quitter son foyer

3 pour passer vers un autre territoire où il serait exposé à des périls?

4 Savez-vous combien d'otages nous, nous avons dû sauver en Bosnie, pour

5 parler évidemment des troupes de l'ONU, des pilotes, etc.? Le tout a été

6 fait par nous, notamment parce que c'étaient les Accords de Dayton qui ont

7 été évidemment couronnés de succès.

8 On peut dire que la paix était absolue, totale. On pouvait s'attendre à

9 une détente absolue. Et je vais vous dire, moi, en ce qui concerne le

10 Kosovo, comment le tout a commencé: parce qu'il y avait un plan de mise

11 sous contrôle du territoire des Balkans. Je me réfère au territoire de

12 l'ex-Yougoslavie. C'est au Kosovo qu'on a tout fait pour créer les

13 préalables à une déstabilisation au moment où tout semblait être fini, et

14 à l'amiable.

15 Et comment ça s'est fait? En novembre 1997, il y avait un sommet de

16 l'Europe du sud-ouest, en Crète. Nous étions tous là, chefs de

17 gouvernement ou d'Etat, enfin de l'Europe du sud-est. Et c'est à notre

18 initiative qu'il a été largement débattu de la nécessité de démanteler

19 toute barrière, tout droit de douane en vue de l'intégration dans le cadre

20 de l'Europe du sud-ouest et en vue de promouvoir la coopération de ces

21 différents pays.

22 J'ai pu rencontrer pour dialoguer avec M. Fatmos Nano. On a parlé de

23 différentes questions pour supprimer les visas, promouvoir la coopération,

24 le commerce. Et nous nous sommes tous les deux mis devant les caméras de

25 télévision; il a dit ce que je viens de vous relater tout à l'heure pour

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1 parler de la nécessité de coopérer et promouvoir nos rapports entre deux

2 Etats.

3 Qui parle de Kosovo ne parle que d'une question intérieure de la Serbie.

4 Le tout semblait promettre une détente, c'est-à-dire une possibilité

5 d'apaiser la situation et tout a été fait notamment par les forces qui ont

6 tout fait pour mettre leur contrôle dans le pays, pour l'imposer, et qui

7 ont tout fait évidemment pour que cette intervention puisse avoir lieu.

8 Un mois ou deux plus tard, une lettre de Kinkel et de Védrine était venue

9 pour nous parler des préoccupations qui étaient les leurs au sujet du

10 Kosovo. Alors, dix ans plus tard, vous parlez de la Serbie qui a pris le

11 contrôle sur son propre territoire. Il n'y a pas eu de meurtre, pas de

12 persécution, pas de pillage, pas d'incendie, pas d'arrestation. Nous

13 n'avions pas un seul détenu de délit d'opinion politique en Yougoslavie.

14 Plus d'une vingtaine de journaux paraissaient au Kosovo, que vous avez pu

15 acheter dans n'importe quel débit de tabac ou kiosque. Rien n'a été

16 interdit, du genre les partis albanais, y compris les partis séparatistes

17 existaient.

18 Quelqu'un a dit ici que nous avons fait preuve de tolérance à leur égard.

19 Non, nous avons voulu dire que tout est libre, sauf évidemment l'accès à

20 la violence. Or, ces forces-là qui se tiennent derrière les efforts visant

21 à démanteler la Yougoslavie ont tout fait pour rassembler des criminels de

22 par le monde, pour évidemment faire en sorte que des agissements criminels

23 s'établissent à partir de l'année 1998. Et c'était leur défaite, dès le

24 début même, d'entrée de jeu. En octobre 1998, ils ont été éliminés et

25 c'est à bord de leurs tracteurs et remorques qu'ils ont dû s'occuper

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1 évidemment du transfert des armes qu'ils ont fait passer de façon

2 illicite, préalablement, par la frontière.

3 Et ce jour-là, c'étaient en général des Albanais qui ont été des victimes.

4 Je n'ai pas eu l'occasion d'y réfléchir. Je n'ai pas été vraiment informé

5 ce qui allait être débattu ici aujourd'hui; par conséquent, je ne me suis

6 pas préparé pour vous apporter force données que je détiens.

7 Mais je pourrais vous dire, qu'il s'agit de dire que deux fois plus

8 d'Albanais ont été tués par des terroristes, enfin deux fois plus

9 d'Albanais que de Serbes. C'étaient des policiers, des facteurs, des

10 gardes forestiers, etc., tous ceux qui ont été tués. Et nous, quant à

11 nous, nous avons tout fait pour protéger nos citoyens, albanais et serbes,

12 contre le terrorisme. Cette action a évidemment connu une déroute en 1998.

13 Après quoi, Hollbrooke était venu pour demander la mise sur pied d'une

14 Commission de vérification, soit un prétexte à l'attaque contre la

15 Yougoslavie.

16 M. le Président: Il ne m'appartient pas de vous enlever votre temps de

17 parole; il va vous être restitué. Même ce Tribunal, dont vous contestez

18 même la légalité, vous donne l'occasion, bien entendu, de vous exprimer

19 totalement.

20 Je voudrais simplement… D'abord, j'ai l'impression -et je vous ferai cette

21 petite remarque- que vous êtes prêt à entamer le procès tout de suite.

22 Vous pourriez même l'entamer aujourd'hui même, j'ai l'impression, et c'est

23 tout à votre honneur. Vous êtes prêt.

24 Mais je voudrais vous ramener simplement à la question. Essayez, si vous

25 voulez bien, de ne pas oublier totalement la question.

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1 Nous ne sommes pas la Chambre d'instance qui va vous juger. Nous avons

2 très bien compris que, pour vous -vous l'avez bien dit-, le fil

3 conducteur, c'est au contraire la victimisation de votre pays. Je crois

4 que nous l'avons entendu.

5 Mais ici, je voudrais que vous ne vous trompiez pas d'instance, Monsieur

6 Milosevic. Vous avez tout votre temps, tel qu'il a été donné au Procureur.

7 Et en tant que Président de la Chambre d'appel, je vous garantis ce temps.

8 Vous allez donc vous exprimer comme vous voulez.

9 Je voudrais simplement que vous ne vous trompiez pas de propos. Ce que

10 vous dites montre à l'évidence que vous croyez beaucoup à votre thèse, que

11 vous avez envie de la défendre. C'est tout à fait votre droit et vous

12 l'aurez ce droit.

13 Je voudrais simplement vous rappeler que la Chambre d'appel est sur un

14 problème procédural qui est important à nos yeux. Peut-être pas pour vous,

15 mais pour nous, qui sommes les gardiens de nos normes, des normes

16 internationales, du procès contradictoire, du procès équitable. Nous

17 voulons votre avis sur cette question de savoir si, en fin de compte, vous

18 préférez que vous soyez jugé sur un procès Kosovo séparé d'un procès

19 Bosnie-Croatie ou, au contraire, des trois procès joints.

20 C'est une question relativement simple; vous pouvez ne pas y répondre,

21 nous l'enregistrerons comme tel. Je comprends que vous preniez des détours

22 pour répondre à cette question.

23 Je vous ai laissé parler, je vais vous laisser parler.

24 Vous êtes un accusé qui n'est pas dénué ni de bon sens ni d'intelligence.

25 Je voudrais simplement que vous compreniez bien la question qui se pose

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1 dans ce prétoire. Merci d'essayer.

2 Vous avez la parole.

3 M. Milosevic (interprétation): Avant tout, c'est pour moi une toute

4 première fois de ne pas me voir interrompu, de pouvoir dire quelque chose.

5 Et toutes les fois où une telle occasion me sera présentée, où je pourrai

6 m'adresser à l'opinion publique au sujet des crimes perpétrés contre mon

7 pays, eh bien, toutes ces occasions, je les saisirai. Et cela, je ne le

8 fais pas pour des raisons de respect de la procédure. Moi, je ne suis pas

9 intéressé à la procédure, mais je veux notamment répliquer à cette attaque

10 perpétrée contre mon pays et mon peuple, et je veux notamment parler de ce

11 crime qui perdure toujours.

12 Je voulais attirer l'attention...

13 M. le Président: Vous avez bien compris que vous aurez tout le temps

14 d'exposer, mais que vous aurez encore plus le temps au moment du procès?

15 J'espère que vous l'avez bien compris, cela? Ce n'était pas l'objet

16 aujourd'hui. Vous allez reprendre votre propos.

17 Mais je voudrais quand même, puisque vous aussi vous vous adressez au-delà

18 de ce prétoire à votre opinion, moi aussi, je suis comptable de l'opinion

19 internationale, je tiens à vous le dire, Monsieur Milosevic, car ce

20 Tribunal a été créé par la Communauté internationale. Moi aussi, je veux

21 qu'il soit bien dit et bien affirmé ici, dans cette enceinte, que les

22 règles de procédure, qui sont très importantes pour vous, mais très

23 importantes aussi pour l'accusation, très importantes aussi pour la

24 civilisation, doivent être respectées.

25 Le débat ici aujourd'hui est de savoir de quelle manière va s'engager le

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1 procès qui sera mené par une autre Chambre.

2 Et maintenant, pour ne pas que vous puissiez dire que je vous ai

3 interrompu dans votre propos -et je défalquerai le temps de

4 l'interruption-, vous avez à nouveau la parole, Monsieur Milosevic.

5 M. Milosevic (interprétation): Je souhaite souligner que le crime qui a

6 été entamé à l'encontre de mon pays dure toujours. Un tout dernier Serbe

7 qui a tué au Kosovo, a été tué cette année à Noël. 350.000 hommes ont été

8 expulsés du Kosovo et cela sous l'égide des Nations Unies, sous la

9 protection et à la faveur des agissements terroristes, c'est-à-dire de

10 ceux qui sont protégés par l'ONU, terroristes albanais notamment, et cela

11 depuis la venue des prétendues forces de protection de Nations Unies qui,

12 par la résolution 1244, sont tenues de garantir à tout citoyen du Kosovo

13 la sécurité de ses propriétés, de ses biens et de sa liberté.

14 Or, sous cette protection-là, 350.000 hommes ont été expulsés par des

15 Albanais. Plusieurs dizaines de maisons de ces gens-là ont été incendiées.

16 Des fois, il y a 50, 60 maisons de Serbes, dans différents villages -pour

17 ne pas parler de toutes les maisons serbes de différents villages- qui ont

18 été incendiées, prises notamment par des groupes venus uniquement hissant

19 le drapeau de l'ONU, et cela, à la faveur de la nuit. Tout simplement pour

20 se déclarer toujours alliés de ces gens-là, lesquels gens ont, quant à

21 eux, ont été et sont à la base de tant de morts, d'incendies.

22 Encore aujourd'hui, peut-on dire qu'on n'a évidemment pas eu en vue le

23 fait que des dizaines de milliers de maisons ont été incendiées, alors

24 qu'on en est pas conscient, parlant de ces forces en présence.

25 Est-ce qu'on peut dire que quelqu'un pourrait démolir 107 églises serbes

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1 -et je parle de cette période où a été mise en place une force de

2 protection de l'ONU-, peut-on vraiment mettre le feu à une église sans que

3 les troupes de l'ONU ne s'en rendent compte?

4 Il s'agit donc là d'une association en vue de perpétrer des crimes par des

5 forces qui sont à la base des crimes contre la Yougoslavie, en association

6 avec des narco-terroristes et la mafia dans le Kosovo, pour que des crimes

7 soient perpétrés non seulement contre des Serbes, mais contre tous autres

8 nationaux non-Albanais, y compris à l'encontre des catholiques albanais, y

9 compris à l'encontre des Albanais qui, d'une manière quelconque, ont fait

10 preuve de loyauté -ne serait-ce qu'au moment où ils ont eu l'occasion de

11 toucher leur retraite-, donc fait preuve de leur loyauté à l'Etat serbe

12 yougoslave.

13 Ce qui se passe là-bas notamment n'est autre chose que la réhabilitation

14 de la politique du temps du nazisme, de Hitler, de Mussolini. Le grand

15 vacarme, le grand tollé qu'on entend maintenant sur la Serbie ici, dans ce

16 prétoire où l'on parle évidemment, je dirai que c'est le même grand tollé

17 qui a eu lieu, qui a été organisé par Hitler et Mussolini au cours de la

18 Deuxième Guerre mondiale.

19 Regardez maintenant le schéma mis en place! Selon ce schéma, on voudrait

20 prendre ceci ou cela à la Serbie, au Monténégro, à la Grèce, etc. Demain,

21 lorsque, sur la base du diktat qui leur aurait été imposé par leur chef

22 commun, évidemment, ils devront le faire un jour, ce diktat sera à l'ordre

23 du jour. De toute évidence, il s'agit de crimes. Il est évident que ce fil

24 rouge dont il faut parler, c'est ce crime perpétré contre la Yougoslavie.

25 Je voudrais attirer votre attention sur le fait qu'il n'est pas facile de

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1 falsifier les faits d'histoire, même lorsque peu nombreux sont les gens

2 qui les connaissent. Il est surtout impossible de les falsifier, ces faits

3 historiques, quand ils sont connus des peuples et de millions de gens d'un

4 pays.

5 Sans vouloir froisser qui que ce soit ici, d'après les rôles qui leur sont

6 répartis et distribués, on devrait avoir ici les juges, non pas vous qui

7 portez vos toges, mais on devrait voir pour juges ici ceux qui ont lancé

8 tant de bombes sur mon pays, qui ont été, au nom du pacte de l'Alliance, à

9 la tête de ces agissements. Les victimes de ces bombes lancées étaient des

10 vieillards, des femmes et des enfants.

11 Voilà où devrait être refaite une distribution de rôles. Ici, le juge

12 devrait évidemment être le peuple; pas seulement le peuple de Yougoslavie,

13 mais le peuple de tout pays et de toute région qui tient encore à la

14 liberté et à l'indépendance. Voilà pourquoi on ne dit pas pour rien que

15 seul le jugement du peuple serait le jugement divin. Et il n'y a pas que

16 moi qui opte ici pour que ce que nous avons fait devrait être considéré

17 avec éloge et mérite. Mais ceci devrait concerner ceux qui ont perpétré

18 tant de crimes contre mon pays.

19 Et puisque vous me demandez déjà de dire quelque chose, eh bien, je

20 réclame ma mise en liberté, car vous-mêmes et le monde entier comprenez

21 que je ne pourrai pas m'évader évidemment face à cette bataille que l'on

22 est en train de livrer contre mon pays et mon peuple. Et lorsque je suis

23 maintenu ici, détenu dans des circonstances si peu viables, c'est qu'on a

24 voulu me rendre impossible d'être sur un pied d'égalité pour émettre tout

25 argument à prendre en valeur.

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1 Ceci ne saurait certainement pas servir l'honneur de cette institution,

2 même si cette institution était légale; vous savez très bien qu'elle ne

3 l'est pas. Et je ne parle évidemment pas des doutes que j'ai à l'adresse

4 de vous-mêmes, personnellement, mais à l'adresse de l'institution. S'il

5 n'en était pas ainsi, vous auriez pu admettre ce qui était réclamé par les

6 "amici curiae", à savoir pouvoir avoir recours à la Cour internationale de

7 justice pour traiter de la légalité de cette institution, de ce Tribunal.

8 Mais vous ne l'avez pas fait, vous n'avez pas suivi leurs conseils et

9 leurs réclamations, parce que vous aviez déjà deviné ce qu'il allait

10 advenir.

11 Mais je pense que lorsqu'on aborde de façon criminelle, dirais-je, pour

12 rendre la victime en bourreau et coupable, lorsqu'il s'agit de moi-même,

13 lorsqu'il s'agit de mon peuple tout d'abord, je crois qu'un tel exemple

14 n'a pas encore été enregistré. Par conséquent, je pense qu'il serait tout

15 à fait logique, juste et équitable de me mettre en liberté. Je ne fuirais

16 pas et je serais prêt quant à moi à prendre la parole, dans le cadre de

17 chacun de ces débats, parce que je ne devrais certainement pas faire

18 défaut dans le cadre de cette bataille-là.

19 M. le Président: Merci. Je vous félicite: vous avez utilisé exactement le

20 temps qui vous était imparti et vous avez même pris un peu moins de temps.

21 Je répondrai sur deux points avant la pause. Ensuite, nous verrons si les

22 Juges ont des questions.

23 Je voudrais quand même vous dire que vous êtes sur un pied d'égalité,

24 quand vous le souhaitez, Monsieur Milosevic, et si vous n'avez pas de

25 défenseur à ce banc, c'est uniquement un choix; il faut que ce soit bien

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1 dit et bien clair. Et même si vous avez, en détention, des conseillers

2 juridiques, ce qui est votre droit, c'est votre droit de ne pas avoir de

3 défenseur ici, mais ne parlons pas de rupture de pied d'égalité devant des

4 Juges qui, en toute hypothèse, sont là pour faire respecter totalement

5 l'équité.

6 Quant à votre mise en liberté, bien entendu, vous pouvez toujours la

7 demander devant la Chambre compétente.

8 Il est 11 heures 40. Nous avons pris un peu de retard, mais il était

9 important que chaque partie s'exprime, et je crois que chaque partie s'est

10 exprimée librement.

11 Nous reprendrons l'audience à 12 heures. Les Juges poseront peut-être des

12 questions à l'accusé. Nous verrons bien. Ensuite, nous entendrons les

13 "amici curiae" et peut-être la réplique du Procureur puisque l'accusé a

14 pris la parole.

15 L'audience est suspendue. Elle reprendra à 12 heures.

16 (L'audience, suspendue à 11 heures 38, est reprise à 12 heures 01.)

17 M. le Président: L'audience est reprise. Madame la Greffière pouvez-vous

18 demander que l'accusé soit introduit dans la salle, s'il vous plaît.

19 (L'accusé est introduit dans le prétoire.)

20 Nous reprenons le cours de nos travaux. Il nous restera à entendre les

21 "amici curiae", mais auparavant il était prévu qu'éventuellement mes

22 collègues ou moi-même posions des questions.

23 Je me tourne vers mes collègues. Il n'y a pas de questions? Pas de

24 questions.

25 Si vous permettez, Monsieur Milosevic, j'aurai une question à vous poser

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1 en vous demandant d'y répondre le plus brièvement possible.

2 Est-ce que la Cour, la Chambre d'appel -je dis bien la Chambre d'appel-

3 doit-elle déduire de ce long monologue qui n'a pas été interrompu, de ce

4 long monologue qui a montré a priori que vous aviez une vision comme ici,

5 d'ancien chef d'Etat, une vision géopolitique de l'ensemble des événements

6 qui ont affecté votre pays?

7 Est-ce que sur le plan beaucoup plus concret sur lequel je voudrais vous

8 ramener, la Chambre doit en déduire que vous préféreriez plutôt vous

9 défendre dans le cadre d'un procès unique ou au contraire dans deux

10 procès?

11 Et ma question accessoire serait de vous dire: ou est-ce qu'au contraire

12 cela vous est indifférent?

13 Est-ce que vous pouvez nous répondre très concrètement et très précisément

14 sur cette question que vous pose le Président?

15 M. Milosevic (interprétation): Je pense que tous ces Actes d'accusation

16 qui, de toute évidence, sont faux devraient être rejetés. Je n'ai jamais

17 entendu parler d'actes d'accusations qui ne reposent pas sur des preuves,

18 qui ne sont autre chose que des pamphlets politiques.

19 M. le Président: Là, c'est moi qui pose les questions, Monsieur Milosevic.

20 Et tout à l'heure, vous avez pu vous exprimer librement, donc nous

21 n'allons pas je pense reprendre. Ma question est très précise et je suis

22 bien persuadé qu'un homme qui a exercé des responsabilités comme celles

23 que vous avez exercées doit bien comprendre ce qu'il y a derrière ma

24 question. Ma question n'est nullement une question politique, elle n'a

25 rien de cela, donc n'attire pas une réponse politique.

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1 Je répète donc ma question: est-ce que lorsque vous avez parlé, comme vous

2 avez parlé tout à l'heure pendant 30 minutes, d'une façon très synthétique

3 de l'ensemble des événements, qu'il s'agisse de la Bosnie, de la Croatie,

4 du Kosovo voire même d'autres provinces, est-ce que cela nous permet d'en

5 déduire que vous préféreriez, vous l'accusé, vous défendre dans le cadre

6 d'un procès unique? Voilà ma question.

7 Si vous ne pouvez pas y répondre, vous dites: "je ne peux pas y répondre".

8 Si vous ne voulez pas y répondre, vous dites "Je veux pas y répondre".

9 Mais nous n'allons pas repartir dans tout ce que nous savons et que vous

10 nous avez dit et qui, d'ailleurs, ne doit pas être plaidé devant nous,

11 doit être plaidé devant nos collègues.

12 Voilà ma question est très précise, Monsieur Milosevic, est-ce que vous

13 pouvez me répondre de façon précise?

14 M. Milosevic (interprétation): Justement au sujet de ce que vous venez de

15 dire, la fin; je voulais dire que le monde entier sait très bien qu'il

16 s'agit d'un procès monté, improvisé, il ne s'agit pas de parler d'un

17 procès qui est en cours et ensuite où on ferait des digressions pour

18 parler de politique. C'est un procès politique. Ce qui correspond le plus,

19 c'est la voie de la vérité. La voie se fait faible mais en tout cas cette

20 voie est beaucoup plus puissante, quant à moi, que tous les croiseurs et

21 porte-avions etc.

22 Pour ce qui est de la procédure, c'est à vous de vous en occuper. Moi,

23 c'est la vérité qui m'intéresse. Et dans ce sens-là, pour parler

24 procédure, je n'ai guère besoin de vous donner de suggestion.

25 M. le Président: Je vous remercie pour vos conseils, Monsieur Milosevic,

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1 et sachez bien que la Cour essaiera de déduire de ce que vous venez de

2 dire ce qui correspond tout à fait à sa préoccupation actuelle, judiciaire

3 et procédurale. Merci.

4 S'il n'y a pas d'autres questions, je me tourne à ce moment-là vers les

5 "amici curiae" pour que, sur le débat tel qu'il a été circonscrit par

6 l'appel du Procureur, vous puissiez nous faire connaître vous aussi vos

7 arguments. Merci.

8 M. Tapuskovic (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges

9 de la Chambre d'appel, nous sommes convenus entre nous en notre qualité de

10 "amici curiae" que ce soit moi qui aujourd'hui fasse connaître notre point

11 de vue sur toutes les questions qui nous ont été soumises.

12 Je vais donc m'efforcer d'être le plus direct possible en m'engageant

13 également à respecter les délais qui nous ont été impartis pour l'exposé

14 de nos positions, s'agissant des questions très importantes sur lesquelles

15 une décision est exigée aujourd'hui.

16 Il me faut à cet égard commencer selon les mêmes modalités que celles qui

17 ont été adoptées par le Président de la Chambre d'appel, M. le Juge Jorda,

18 qui a parlé de chronologie. Simplement, de notre avis, et selon ce que

19 nous avons trouvé dans les articles du Règlement, cette chronologie peut

20 être présentée d'une façon un peu différente. Ce que je voudrais dire pour

21 commencer, c'est la chose suivante.

22 Le 11 décembre, comme vous le savez, la Chambre de première instance a

23 rendu une décision orale au sujet de la jonction des Actes d'accusation

24 relatifs à la Bosnie et à la Croatie qui deviendront un seul Acte

25 d'accusation; alors que l'Acte d'accusation relatif au Kosovo devait être

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1 un Acte d'accusation distinct.

2 Deux jours plus tard, une décision écrite a été rendue sur le même sujet

3 et chacun d'entre nous les "amici curiae", dans un accord parfait entre

4 nous, estime que la Chambre de première instance sur ce sujet a fourni des

5 raisons tout à fait acceptables quant aux raisons qui font qu'il ne peut

6 s'agir d'une opération unique. De ce point de vue, il n'y a aucune

7 différence entre les "amici curiae" et, le Procureur l'a dit à très juste

8 titre d'ailleurs, nous ne sommes pas tenus du côté des "amici curiae"

9 d'avoir un point de vue unanime, contrairement à ce qui se passe chez le

10 Procureur.

11 Les "amici curiae" sont chacun un être indépendant et chacun peut donc

12 s'exprimer différemment le cas échéant, mais nous sommes absolument

13 d'accord les uns avec les autres quand au fait que la Chambre de première

14 instance a fourni des raisons tout à fait convaincantes pour justifier le

15 fait qu'il ne peut s'agir d'une seule et unique opération, ceci dans

16 l'application du Règlement. Cela, il me fallait le souligner.

17 Mais dans cette chronologie qui est évoquée ensuite, nous voyons la chose

18 suivante, à savoir que les 12 et 13 décembre déjà -et il me faut souligner

19 ce fait- la 25e session plénière du Tribunal a eu lieu et, en application

20 de l'Article 6, un certain nombre d'articles importants du Règlement ont

21 été modifiés et d'autres articles du Règlement ont été adoptés. Donc deux

22 jours après la décision rendue par la Chambre de première instance au

23 sujet de la disjonction des instances, un article du Règlement qui

24 accélère les modalités d'appel a été adopté. Il s'agit de l'Article

25 116bis.

Page 355

1 Et puis, Monsieur le Président, par la suite le Procureur a demandé

2 d'interjeter appel en application de l'Article 73D). Le 28 décembre, ce

3 nouvel Article est entré en vigueur; et je dis donc qu'il est entré en

4 vigueur uniquement après le moment où le Procureur a soumis sa requête.

5 Comme vous le savez, une conférence préalable au procès a eu lieu où ces

6 questions ont été abordées dans le débat et c'était le 9 janvier. Et ce

7 même jour, le Procureur a été autorisé à soumettre, donc à interjeter

8 appel en application de l'Article 73D).

9 Ce n'est pas le 9, mais le 10 janvier que nous avons reçu ce document, et

10 le 16 janvier nous avons reçu notification de l'appel. D'où l'audience qui

11 est tenue aujourd'hui.

12 Que prévoit l'Article 116 bis du Règlement? Il prévoit une accélération

13 des appels, à savoir que désormais tout appel interjeté en vertu des

14 paragraphes 72 ou 73 échappe en fait aux Articles du Règlement, situés

15 entre les Articles 109 et 114. Autrement dit, une nouvelle règle entre en

16 vigueur, à savoir que l'appel du Procureur pour lequel il existait

17 auparavant une procédure en appel régulière, prévoyant des délais fixés

18 par la procédure, eh bien, tout cela désormais est couvert par cet article

19 qui prévoit une accélération de la procédure. Et ce, parce que la Chambre

20 de première instance avait déjà décidé que le procès allait commencer le

21 12 février.

22 Qu'est-ce que je veux dire par là? Je demande si, dans les circonstances

23 particulières en l'espèce, il est possible d'appliquer l'Article modifié

24 116bis, qui élimine la procédure en appel régulière en vigueur

25 précédemment. Est-ce que cet article s'applique à la requête soumise par

Page 356

1 le Procureur en application de l'Article 73D) du Règlement?

2 Les "amici curiae" estiment que ceci n'est pas possible, que ce n'est pas

3 possible, que ce serait contraire aux principes du droit si cela devait

4 avoir lieu.

5 Maintenant, ceci n'est qu'un seul aspect du problème; il y en a un

6 deuxième, un deuxième tout aussi important d'ailleurs. Vous venez

7 d'entendre ce qu'a dit M. Milosevic lorsqu'il a déclaré avoir été informé

8 hier de la tenue de l'audience d'aujourd'hui, en ajoutant qu'il n'avait

9 pas été en mesure de se préparer dans la pratique, alors qu'il s'agit d'un

10 point sur lequel vous avez insisté vous-même, la nécessité pour lui de se

11 préparer. Il a été informé hier.

12 Or, vous connaissez la teneur de l'Article 6 du Règlement qui prévoit les

13 modifications du Règlement. Très bien. Le Tribunal a appliqué cet article;

14 il a modifié, en application de l'Article 6, l'Article 116. Les débats

15 d'aujourd'hui se fondent sur cette réalité.

16 Mais il importe néanmoins de prêter attention à ce qui est écrit à

17 l'article 6D), où nous lisons ce qui suit -je cite-: "Les modifications

18 entrent en vigueur sept jours après leur publication sous forme de

19 document officiel du Tribunal", donc sept jours après le 12, "mais ceci

20 sans préjudice des droits de l'accusé". Or, dans la situation dans

21 laquelle nous nous trouvons, la question peut à juste titre être posée de

22 savoir si nous n'arriverons pas dans une situation où la légalité de la

23 procédure sera annulée, si la décision sur une question de cette nature,

24 posée pour la première fois au TPIY, devait être réglée dans la hâte.

25 Cette question très importante, c'est la jonction de trois Actes

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1 d'accusation.

2 M. le Président: Maître, vous pouvez quand même aider la Cour, car je ne

3 distingue plus très bien ce que vous semblez plaider.

4 Vous semblez plaider l'erreur procédurale faite par la Chambre d'appel?

5 Vraiment, je ne comprends pas. Aidez la Cour, puisque vous êtes un "amicus

6 curiae". Dites-nous bien ce que vous plaidez en ce moment: vous plaidez

7 les droits de l'accusé, vous plaidez une interprétation erronée?

8 Je vous rappelle que les amendements de l'Article 116bis n'étaient pas de

9 substance, mais ils étaient de question de forme. Je voudrais que vous

10 précisiez bien ce que vous êtes en train de plaider. Pour aider la Cour,

11 puisque vous là pour cela.

12 M. Tapuskovic (interprétation): Oui, en effet. Nous sommes les "amici

13 curiae", les amis du Tribunal. Mais en qualité d'amis du Tribunal et selon

14 ce qui a été dit jusqu'à présent, il apparaît que nous sommes ici pour

15 mettre en exergue tout point qui le mérite, s'il s'agit d'assurer le

16 respect du droit et de l'équité. Je reviendrai d'ailleurs sur ce qu'a dit

17 M. le Juge Robertson, qui a appelé notre attention sur ce même point, en

18 nous disant qu'il nous fallait évoquer toutes les questions qui sont

19 d'importance, s'agissant de l'équité du procès.

20 C'est en raison de cela que je considère comme mon devoir de vous parler

21 de ceci, à savoir de la nécessité de tenir compte du fait qu'il n'est pas

22 possible d'appliquer cet article prévoyant l'accélération de la procédure

23 à l'affaire qui nous intéresse, compte tenu de l'importance de la question

24 qui est soulevée.

25 Bien sûr, vous pouvez nous dire…

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1 M. le Président: Excusez-moi, Maître, il est peut-être dommage que vous

2 n'ayez pas produit un mémoire écrit. Vous aviez quand même dix jours pour

3 produire un mémoire écrit. Aujourd'hui, nous acceptons que vous

4 interveniez sur l'ensemble de la question de fond qui se pose à la Cour.

5 Vous avez tout à fait le droit de soulever d'autres questions, mais je

6 vous permets de vous faire observer cela.

7 Poursuivez, s'il vous plaît.

8 M. Tapuskovic (interprétation): Oui, Monsieur le Président, ce que je peux

9 vous dire, c'est qu'il s'agit d'une question qui pourrait être posée à

10 n'importe quel moment. Il est exact que nous ne l'avons pas fait par

11 écrit; je n'avais pas l'intention de vous parler des problèmes qui sont

12 les nôtres dans notre travail. Nous avons reçu des monceaux de documents

13 qui nous posent de très gros problèmes. Nous avons de gros problèmes, je

14 dois le dire franchement, avec le Greffe, s'agissant d'obtenir les

15 documents: nous n'avons pas encore obtenu tous les documents qui traitent

16 de questions dont nous devrons nous occuper le 12, au début du procès. Le

17 25 janvier 2002, nous avons été informés du fait que nous allions recevoir

18 d'autres documents relatifs au début du procès. Nous n'avons pas encore pu

19 physiquement nous en occuper.

20 Oui, effectivement, nous désirions soumettre des écritures, mais cela a

21 été impossible dans les conditions qui sont les nôtres. Cela n'a pas

22 d'importance, je suis aujourd'hui devant vous, je soulève une question,

23 car je considère personnellement que, s'agissant d'une question aussi

24 délicate que celle qui fait l'objet de nos débats aujourd'hui, il

25 importerait véritablement d'y prêter l'attention qu'elle mérite et de ne

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1 pas rendre de décision dans la hâte, mais de rendre une telle décision

2 selon les modalités prévues antérieurement, notamment en vue du fait que

3 la requête déposée par le Procureur l'a été avant l'entrée en vigueur du

4 nouvel Article du Règlement. Il vous appartient bien sûr d'en décider; ça,

5 j'en suis bien conscient. Mais, en tout état de cause, j'ai le sentiment

6 que les choses ici vont un peu trop vite si nous souhaitons prendre une

7 décision valable.

8 M. le Président: On reproche à ce Tribunal d'aller trop vite; je voudrais

9 que le Greffe en prenne bien acte. Je vous en remercie beaucoup.

10 Poursuivez, mais essayez d'arriver à l'essentiel. Vous aviez quinze

11 minutes pour développer votre point; vous avez donc développé un point

12 procédural que nous avons enregistré. Maintenant, pouvez-vous passer à vos

13 autres points, s'il vous plaît?

14 M. Tapuskovic (interprétation): Il n'est ni dans mon intention ni dans mes

15 capacités, et ce n'est pas non plus mon objectif, de traiter des choses

16 comme vous venez de le dire, Monsieur le Président. Il s'agit ici de

17 questions cruciales, et une procédure accélérée ne peut pas donner

18 satisfaction. J'en ai terminé.

19 Maintenant, je passe aux questions de droit qui sont beaucoup plus

20 importantes et qui portent sur le fait de savoir si le jugement se fera

21 dans le cadre d'un procès unique ou de deux procès.

22 Il est de mon devoir de commencer par ce que nous lisons dans la requête

23 du Procureur en vue d'une jonction d'instances. Et dans ces écritures du

24 Procureur, nous lisons ce qui suit au paragraphe 13 -je cite-: "La

25 jonction exige une série d'actes commis ensemble qui constituerait une

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1 même opération et que l'Article 2 du Règlement défini comme suit, à savoir

2 un certain nombre d'actions ou d'omissions survenant à l'occasion d'un

3 seul événement ou plusieurs, en un seul endroit ou en plusieurs et faisant

4 partie d'un plan, d'une stratégie ou d'un dessein commun".

5 L'objectif étant censé avoir été pour Milosevic de créer la "Grande

6 Serbie" et d'appliquer cette création à l'ensemble de la Bosnie-

7 Herzégovine et au Kosovo. Ce point de vue, selon lequel il convient de

8 joindre les trois instances comme l'a dit M. Nice dans le cadre, en les

9 rassemblant toutes sous l'idée générale de la "Grande Serbie", ne ressort

10 de rien que l'on peut trouver à la lecture des documents. Comment une

11 "Grande Serbie" peut-elle être créée dans une région qui fait partie

12 intégrante de la Serbie encore aujourd'hui? Ceci est injustifiable et ne

13 repose sur aucun fait juridique, ne repose non plus sur aucun fait réel ou

14 aucun fait historique.

15 Ceci est écrit par l'accusation qui pense que les Serbes estiment que

16 Kosovo est un sol sacré pour eux.

17 Au XIIIe, XIVe et XVe siècle, la Serbie a été créée dans cette région et

18 il ne fait aucun doute s'agissant des faits historiques.

19 Nous ne pouvons pas remettre en question le fait que la Serbie existait

20 dans ces régions à cette époque. Il s'agit de faits historiques confirmés

21 par des écrits historiques.

22 Monsieur Milosevic a dit qu'il y avait une période au cours de laquelle la

23 Serbie ne possédait pas le Kosovo, ceci s'est passé au moment où le Kosovo

24 était limitrophe de l'Albanie en tant que région, en tant que pays

25 limitrophe. Et nous sommes aujourd'hui dans une autre situation, la Bosnie

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1 est limitrophe de la Croatie. Ceci a déjà eu lieu, je vous le rappelle

2 rapidement sans rentrer dans les détails, au cours de la Deuxième Guerre

3 mondiale, le Kosovo fait partie intégrale de la Serbie. Ceci est

4 vérifiable depuis la conférence de Berlin, la conférence de Londres, de

5 nombreuses autres conférences et autres documents le confirment, donc le

6 Kosovo, cela ne fait aucun doute fait partie intégrante de la Serbie.

7 Comment peut-on, dans ce cas, juger la Serbie pour avoir voulu établir son

8 contrôle sur ce territoire? Je ne vais pas m'étendre sur le sujet. Nous

9 pouvons reprendre la requête du Procureur au sujet de la jonction

10 d'instances qui comporte encore quelques éléments sur lesquels j'aimerais

11 revenir après quoi j'en aurais terminé.

12 Dans cette requête, il est souligné que la Chambre de première instance a

13 fait erreur, que la Chambre d'appel est libre de décider. On insiste sur

14 le fait que la Bosnie-Herzégovine et la Croatie étaient déjà indépendantes

15 à l'époque des faits mentionnés dans l'Acte d'accusation, à la différence

16 du Kosovo qui faisait partie de la République fédérale de Yougoslavie. Ce

17 qui est encore le cas aujourd'hui. C'est un fait indubitable.

18 La Chambre de première instance l'a remarqué et agit en conséquence.

19 Comment est-il possible aujourd'hui de remettre cela en cause dans la

20 requête du Procureur? Le point de vue du Procureur est maintenu. Dans ses

21 écritures, le Procureur dit que les événements au Kosovo -je cite-

22 "prévoyaient des crimes qui n'ont été retardés que par intervention de la

23 communauté internationale." Et il est ajouté dans le texte du Procureur

24 que tout ceci était prévisible.

25 Cependant, moi, je vous demande de prêter attention au fait qu'au

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1 paragraphe 93 de l'Acte d'accusation relatif au Kosovo, il est constaté

2 -et c'est un point de départ pour le Procureur- qu'en 1996 il existait

3 déjà une force de libération. C'est ce groupe qui a lancé une campagne

4 armée et une campagne de rébellion contre les Serbes et à la mi-96 ce

5 groupe a organisé des attaques destinées principalement contre les forces

6 policières de Serbie.

7 Devant vous tous aujourd'hui, il est de mon devoir, compte tenu du rôle

8 qui est le mien ici, je dois me poser une question car nous voyons ensuite

9 le point de vue du Procureur qui est le suivant et que nous trouvons dans

10 ses écritures. Je lis: "Le but du plan consistant à acquérir des

11 territoires exige du temps." (Fin de citation.)

12 Est-il possible, lorsqu'on se trouve sur son propre territoire, de

13 participer à un quelconque plan destiné à acquérir des territoires, ceci

14 ne peut se faire que sur le territoire d'autrui? Le point de vue du

15 Procureur, par conséquent, consiste à dire qu'il existait un plan déjà

16 très ancien pour acquérir le territoire qui vous appartient. Il n'était

17 pas possible de prévoir la rébellion armée. Il y a d'abord eu la terreur,

18 puis la rébellion armée, un conflit interne et c'est seulement ensuite

19 qu'ont eu lieu certaines interventions qui étaient inévitables.

20 Donc le Procureur tombe lui-même dans des contradictions si importantes

21 que je suppose que vous me permettrez de dire: quel sera l'aspect de ce

22 droit international à l'avenir, s'il est autorisé à quelqu'un de juger

23 quelqu'un pour avoir prétendument voulu acquérir un territoire qui était

24 déjà le sien?

25 Ensuite, dans un paragraphe ultérieur du texte, nous lisons ce qui suit

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1 -je cite-: "Indépendamment de savoir si l'indépendance avait déjà été

2 déclarée officiellement ou simplement proclamée." (Fin de citation.)

3 Donc, autrement dit, il n'importe pas de savoir si quelqu'un est

4 indépendant; il suffit à ces personnes ou à ce groupe d'avoir proclamé son

5 indépendance. Là encore, nous sommes face à quelque chose que nous ne

6 pouvons pas éviter d'examiner.

7 Et, en partant de tout cela, je considère que la décision rendue, que la

8 décision vous allez rendre sur toutes ces questions, concerne l'accusé

9 bien entendu mais concerne également le droit international dans sa

10 globalité et qu'il en va de l'intérêt du droit international de se rendre

11 compte que cet intérêt est supérieur aux intérêts du Procureur. L'intérêt

12 du jugement de l'administration de la justice l'emporte également sur

13 l'intérêt du Procureur. Le Tribunal ne devrait pas perdre ceci de vue.

14 Je ne souhaite pas revenir sur les questions relatives à Nuremberg parce

15 que la situation dans laquelle nous sommes, n'a aucun rapport avec celle

16 de Nuremberg. A Nuremberg, il s'agissait d'occupation de territoires

17 appartenant à autrui. Alors que, dans notre cas, nous sommes en présence

18 alors de tendances séparatistes, etc., etc. Je ne vais pas insister sur ce

19 point. Je suis sûr qu'on discutera en grand détail de toutes ces questions

20 durant le procès.

21 Je vous demande simplement de ne pas perdre de vue ce qu'a dit M.

22 Milosevic également qui n'avait aucun rapport entre toutes ces questions.

23 Donc je considère qu'il est illogique et qu'il serait absurde que les

24 procédures soient jointes et que c'est une question importante s'agissant

25 de l'intérêt de la justice. Je vous remercie.

Page 364

1 M. le Président: Merci, Maître Tapuskovic.

2 Maître Kay, j'ai cru comprendre que les "amici curiae" étaient

3 indépendants les uns des autres, d'après ce qu'a dit votre confrère. Est-

4 ce que vous avez un point de vue à apporter, à ajouter à ce qu'a dit votre

5 confrère?

6 M. Kay (interprétation): Non. Nous nous excusons pour ne pas avoir

7 présenté un mémoire écrit au sujet des questions de procédure, mais il

8 faut savoir que nous avons subi d'énormes pressions du fait du manque de

9 temps, du manque de ressources dans la préparation de cette audience.

10 C'est vendredi soir seulement que nous avons été prévenus de la tenue de

11 l'audience d'aujourd'hui. De fait, nous n'avons tout simplement pas eu le

12 temps de préparer un mémoire écrit à l'attention de la Chambre.

13 M. le Président: Merci de votre courtoisie, Maître Kay. Bien entendu, nous

14 acceptons vos excuses.

15 Je me tourne vers mes collègues. Est-ce que mes collègues ont des

16 questions à poser aux "amici curiae"? Non, pas de question?

17 Monsieur le Juge Meron?

18 M. Meron (interprétation): Le Tribunal a toujours considéré que les droits

19 humains de l'accusé, droits à un procès rapide, constituaient des règles

20 fondamentales qui doivent guider nos travaux. Et ceci vaut bien entendu

21 aussi pour M. Milosevic, l'accusé, en l'espèce, et cela vaut autant pour

22 tous les accusés devant ce Tribunal, quels qu'ils soient.

23 Dans sa décision, vous vous en souviendrez, la Chambre de première

24 instance a conclu qu'il y aurait préjudice envers l'accusé s'il y avait un

25 procès qui comprenait les trois Actes d'accusation, que cela porterait

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1 préjudice à l'accusé donc. En tout cas, cela était l'opinion exprimée…

2 Ou plutôt je dirai qu'il ne semble pas que cela ait été la position de Me

3 Kay et de Me Wladimiroff pendant ces audiences. Vous avez parlé de la

4 tension psychologique à laquelle serait soumis l'accusé pour préparer ces

5 procès. Et vous avez dit qu'un procès unique, cela pourrait être dans

6 l'intérêt de l'accusé.

7 Donc ma première question: je voudrais savoir si c'est toujours votre

8 position? Est-ce que vous pourriez nous donner des informations à ce sujet

9 parce que cela serait extrêmement utile à la Chambre d'appel? Quelle est

10 votre position à ce sujet?

11 M. Tapuskovic (interprétation): Je vais vous répondre. Aujourd'hui encore,

12 je tiens à dire que je respecte grandement le point de vue exprimé par Me

13 Kay et Me Wladimiroff sur ce sujet. En effet, mes deux collègues ont

14 étudié la situation de très près et je suis profondément convaincu qu'ils

15 avaient raison en examinant le problème humain lié que pourrait poser

16 éventuellement un procès de longue durée. Comme vous pouvez le constater

17 vous-même, M. Milosevic est en bonne santé sur le plan physique et mental,

18 et, jusqu'à présent, le problème de sa santé n'a pas été évoqué par lui

19 comme étant un problème.

20 Mais moi, j'ai parlé tout à l'heure des différents aspects du problème

21 qui, lui, existe; car il est question d'une stratégie, d'un plan, d'un

22 dessein commun, d'une opération unique destinée à obtenir la réalisation

23 de la "Grande Serbie". Et je demande: est-il possible que, s'agissant de

24 quelque chose qui fait partie d'un pays depuis des dizaines et des

25 dizaines d'années, une telle idée peut venir à l'esprit de quiconque? Ça,

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1 c'est le premier aspect du problème.

2 Et le deuxième aspect du problème -mais je vais bien sûr céder la parole à

3 Me Kay pour qu'il exprime son propre point de vue sur la question-, c'est

4 ce qu'a évoqué M. Nice, à savoir l'éventualité que l'on étudie la

5 situation en partant des événements les plus récents pour ne traiter en

6 rien des événements survenus des dizaines et des dizaines d'années

7 auparavant. Sans parler des bombardements qui ont eu lieu.

8 Donc il importe, je pense, de dire que certaines choses existaient avant

9 même les événements dont il sera question. Et j'exprime l'espoir qu'en

10 tant qu'"amici curiae", nous serons autorisés à parler d'un certain nombre

11 d'événements survenus bien avant les années 80, c'est-à-dire à une époque

12 où Slobodan Milosevic n'était pas aux commandes. Nous avons pour devoir de

13 traiter de toutes ces questions.

14 Maintenant, M. Kay, bien sûr va vous donner son propre point de vue.

15 M. le Président: Comment voulez-vous faire?

16 Ce n'est pas vous qui invitez, Maître, mais c'est le Président. J'ai cru

17 comprendre que Me Kay aurait quelque chose à dire. Mais c'est le Juge

18 Meron qui a posé la question.

19 Comment voulez vous procéder, Juge Meron?

20 M. Meron (interprétation): Pourrais-je poser une question supplémentaire

21 qui s'ajouterait à la première et qui pourrait peut-être aider Me Kay, si

22 le Président en est d'accord?

23 S'agissant de la question d'une même opération, je comprends bien entendu

24 que les "amici" peuvent, pourraient, vont probablement adopter des

25 positions différentes sur diverses questions, mais il nous serait très

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1 utile d'avoir un certain nombre de précisions à ce sujet, Maître Kay, au

2 sujet de savoir s'il s'agit ou non d'une même opération.

3 Dans le compte rendu d'audience de l'audience qui a eu lieu devant la

4 Chambre de première instance, je lis ce que vous avez déclaré, à savoir:

5 "Une opération peut, au titre du Règlement, durer pendant dix ans. Une

6 opération peut durer pendant dix ans".

7 Et d'autre part, en ce qui concerne les faits reprochés à l'accusé, qui

8 ont eu lieu dans diverses régions de la Yougoslavie, mais font partie

9 d'une même opération, vu le point de vue légèrement différent présenté par

10 votre collègue, nous souhaiterions que vous nous précisiez votre position.

11 M. Kay (interprétation): Je vous remercie de me poser cette question.

12 Lorsque nous sommes intervenus devant la Chambre de première instance,

13 nous sommes intervenus sur la base de ce que nous estimions être un point

14 de vue humain. Maître Wladimiroff et moi-même, nous nous sommes penchés

15 sur les estimations de la durée des procès qui nous avaient été données;

16 cela variait de trois à cinq ans. En fait, au début, c'était cinq ans,

17 l'estimation qui nous avait été donnée; puis, elle avait été diminuée. Et

18 nous avons été alarmés par la possibilité pour quiconque de se voir

19 confronter à un procès d'une telle durée. Donc nous avons pris ce point de

20 vue prudent.

21 Je dois dire que la Chambre de première instance nous a demandé de nous

22 prononcer de façon précise -et je comprends pourquoi- bien que cela ne

23 soit pas facile.

24 Alors, les arguments que nous avons donnés, c'est que nous estimions que

25 l'accusation avait utilisé un mauvais argument, un argument erroné dans sa

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1 requête aux fins de jonction. Et le Juge Robinson nous a dit: "Mais quels

2 arguments devons-nous prendre en compte? Les arguments qu'ils n'ont pas

3 présentés et qu'ils auraient dû présenter, ou bien les arguments qu'ils

4 présentent. Je crois que ce que nous devons prendre en compte, ce sont les

5 arguments qu'ils présentent.

6 Or, dans l'intervention faite par le Bureau du Procureur, ici même, on a

7 insisté sur la jonction des Actes d'accusation plutôt que d'examiner les

8 différentes charges. L'Article 49 a trait aux infractions, aux crimes; on

9 n'y parle pas d'Acte d'accusation. Et je souhaitais souligner à

10 l'intention de la Chambre que, dans le cadre des mémoires que nous avons

11 rédigés dans cette affaire, c'est que dans l'affaire en l'espèce,

12 l'accusation a dit "joindre le Chef 5 d'un Acte d'accusation, le Chef 5 au

13 Chef 4 d'un Acte d'accusation, etc.", mais on a vu que M. Nice, ce matin,

14 avait utilisé le terme de "modus operandi" dans un autre contexte. Moi, je

15 pensais plutôt à des actes spécifiques.

16 Il convient de faire très attention à la formulation des articles. Je

17 crois que la raison pour laquelle on a utilisé le terme de crimes ou

18 d'infractions, c'est que la Chambre souhaitait qu'il y ait une continuité.

19 On pouvait envisager qu'il y ait des interruptions, mais tout cela faisait

20 partie d'une stratégie dans laquelle s'inscrivait chacun des actes

21 incriminés. A ce moment-là, on pouvait avoir jonction. Or, l'argument qui

22 a été présenté, c'était de nous parler de la globalité des trois Actes

23 d'accusation; à ce moment-là, dans cette argumentation, on nous a parlé

24 d'un plan pour une "Grande Serbie" qui provoque l'indignation des

25 Yougoslaves, comme vous avez pu le constater. Et ce n'est peut-être pas le

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1 meilleur argument à présenter par l'accusation.

2 Donc, concernant cette partie précise de leur argumentation, les "amici",

3 par le truchement de Me Tapuskovic, qui l'ont identifié et nous-même,

4 après avoir étudié la question, nous avons donc pu voir et dire que cet

5 argument de l'accusation ne doit pas fonder une jonction des Actes

6 d'accusation. Le plan pour une "Grande Serbie" était sujet à contestation

7 et on se contentait de présenter les choses de manière globale. Et c'est

8 là que se trouvent les difficultés.

9 Quand on examine l'ordonnance rendue par la Chambre de première instance

10 -je ne dirai pas qu'il s'agissait d'une forme de compromis-, il convient

11 que la Chambre d'appel note que la Chambre a ordonné que le procès du

12 Kosovo commence d'abord, suivi immédiatement du procès pour la Croatie et

13 la Bosnie, empêchant donc la possibilité, s'il y avait jugement dans le

14 premier Acte d'accusation, de considérer que les autres procès seraient

15 injustes. Donc la Chambre a dit qu'il faudrait qu'il y ait trois Actes

16 d'accusation et qu'on rendrait le jugement sur les trois à la fin.

17 En fait, c'est ce que nous dit l'accusation et qu'ils seraient prêts à

18 accepter. Pour eux, même ces procès successifs devraient se passer dans le

19 cadre d'une jonction de chefs d'accusation, plutôt que d'adopter le point

20 de vue pragmatique pris de la Chambre.

21 Autre argument qui figurait d'ailleurs dans la décision des Juges, c'est

22 que ce serait un procès extrêmement difficile à conduire. Ces trois Actes

23 d'accusations ont été établis de manière distincte et traiter de ces trois

24 Actes d'accusation en même temps, nous avons pensé que c'était aux Juges

25 de décider si ce qui avait été présenté ainsi par le Bureau du Procureur

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1 était viable, dans le cadre d'un seul et unique procès.

2 Nous avons dit que c'était aux Juges de décider, mais c'est en tout cas

3 une question que n'importe quelle Chambre de première instance pouvait

4 examiner. Il faut prendre en compte à ce moment-là les droits de l'accusé,

5 les droits du Bureau du Procureur et il faut considérer tout le travail

6 que cela représente.

7 J'espère que j'ai répondu ainsi à votre question au sujet de la position

8 des "amici".

9 M. Meron (interprétation): Merci beaucoup, Maître Kay. Si la jonction

10 reposait sur les infractions plutôt que sur les Actes d'accusation, quelle

11 serait votre position?

12 M. Kay (interprétation): Si on fait le lien entre les infractions

13 individuelles, expulsions, assassinats, etc., eh bien, nous estimons que

14 si c'est là un modus operandi, qu'aux termes de l'Article 49 on peut

15 considérer qu'il s'agit de la même opération.

16 Je le dis maintenant sans que cet argument nous soit présenté pour que

17 nous puissions y réfléchir, mais, en tout cas, c'est notre point de vue

18 sans avoir entendu la partie adverse et sans que notre adversaire ait eu

19 la possibilité d'essayer de contester ce que nous disons. Mais nous

20 pensons que notre argument se retrouve et est valable dans de nombreux

21 systèmes judiciaires et juridiques, que la question du modus operandi se

22 retrouve.

23 M. Meron (interprétation): Merci.

24 M. le Président: Juge Hunt?

25 M. Hunt (interprétation): Si j'ai bien compris l'exposé fait par votre

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1 collègue, il nous dit qu'il ne faut pas retenir l'argument de la "Grande

2 Serbie", parce que ce n'était pas un fait avéré et véridique.

3 Il est bien évident que nous n'allons pas déterminer ceci à ce stade. Mais

4 partons du principe que cette allégation est présentée de manière

5 suffisante dans l'Acte d'accusation, à savoir qu'il s'agissait d'une

6 stratégie qui avait pour objectif de purifier la Serbie, nous n'avons pas

7 besoin de dire que c'est vrai pour déterminer s'il convient de juger tout

8 cela en même temps.

9 Donc je suis un peu déconcerté de vous voir accepter l'argument de votre

10 collègue qui nous dit que, du fait qu'il n'y avait pas de plan pour une

11 "Grande Serbie", il ne devrait pas y avoir de jonction. Je ne comprends

12 pas bien pourquoi vous acceptez cette argumentation?

13 M. Kay (interprétation): Oui, je comprends bien votre remarque, mais je

14 viens d'un système où l'on essaie de ne pas tenir compte des questions

15 personnelles, lorsqu'il s'agit d'examiner les arguments. J'espère que j'ai

16 présenté notre point de vue dans ce sens.

17 La question du plan de la "Grande Serbie" a été évoquée par la Chambre de

18 première instance parce que cela occupait une place essentielle dans

19 l'argumentation du Bureau du Procureur. Mais on a indiqué que ce n'était

20 pas quelque chose qui figurait dans le mémoire préalable au procès du

21 Procureur pour ce qui est de l'Acte d'accusation du Kosovo. Non seulement,

22 ceci est apparu beaucoup plus tard, mais cela n'est pas dans les Actes

23 d'accusation de Bosnie et de Croatie, mais cela ne figurait pas dans

24 l'Acte d'accusation du Kosovo.

25 Et vous constaterez que, lors de l'audience devant la Chambre de première

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1 instance, on en a longuement parlé.

2 M. Hunt (interprétation): En fait, ce que vous nous dites, c'est que cela

3 n'a jamais fait partie de la thèse du Bureau du Procureur et non pas que

4 ce n'était pas un fait avéré? Donc je vous ai peut-être mal compris?

5 Autre chose: il a insisté sur le fait que ce qu'il a dit au début était

6 unanime.

7 Est-ce que vous avez quelque chose à dire au sujet de l'Article 116bis?

8 M. Kay (interprétation): Eh bien, lorsque nous avons examiné cela hier,

9 nous avons convenu que ce n'était pas la procédure à adopter et je crois

10 que la nouvelle version a été adoptée le 28 décembre à l'issue de la

11 plénière et que ceci a eu lieu avant le dépôt du document d'appel du

12 Procureur.

13 M. Hunt (interprétation): Oui, mais le problème que je vois -et j'aimerais

14 avoir votre réponse à ceci-, c'est que l'Article 116bis existait déjà

15 avant et qu'en fait, si l'on examine les deux versions de cet Article, il

16 n'y a pas de grande différence quant à savoir si le Procureur peut ou non

17 faire appel?

18 M. Kay (interprétation): Ils utilisaient l'Article 73D).

19 M. Hunt (interprétation): Oui, mais l'Article 73 a été modifié en y

20 ajoutant un nouvel alinéa B), si bien que c'est maintenant le D) qu'ils

21 invoquent. Mais l'Article 116bis existait déjà avant, existait avant

22 qu'ils n'interjettent appel et il avait exactement la même forme que

23 maintenant. En fait, les modifications qui ont été apportées sont des

24 modifications de forme qui avaient pour objectif de prendre en compte les

25 différentes présentations de l'Article 73.

Page 373

1 Aujourd'hui, très franchement, je ne comprends pas très bien où vous

2 voulez en venir. Est-ce que vous êtes en train de nous dire que le

3 Procureur n'avait absolument pas le droit d'interjeter appel ou qu'il

4 n'avait pas le droit de bénéficier d'une audience rapide de cet appel?

5 M. Kay (interprétation): Pas le droit à une procédure accélérée en matière

6 d'appel.

7 M. Hunt (interprétation): Et donc vous estimez qu'il y a une différence

8 entre l'Article 116bis tel qu'il était avant et tel qu'il se présente

9 maintenant?

10 M. Kay (interprétation): En fait, ceci s'était fait au titre de l'Article

11 73D).

12 M. Hunt (interprétation): Mais aux termes de l'Article 116B),

13 précédemment, il était prévu que la Chambre d'appel puisse déterminer que

14 l'appel serait entendu rapidement.

15 M. Kay (interprétation): Est-ce que je peux laisser Me Tapuskovic

16 répondre? Parce que c'est lui qui a… A moi, a priori, cela me paraissait

17 extrêmement clair, mais, en fait, je ne me suis pas vraiment penché sur

18 cette question. Je dois vous dire que jusqu'à hier, je ne savais pas

19 exactement de quoi traitait l'appel. Il faut vraiment que je sois très

20 franc avec vous.

21 M. Hunt (interprétation): Eh bien, j'ai écouté avec beaucoup d'attention

22 les arguments présentés par votre collègue et, si Me Tapuskovic pouvait me

23 convaincre, tant mieux! Mais il ne m'a pas convaincu précédemment.

24 M. Kay (interprétation): Peut-être pourrait-on l'entendre à ce sujet?

25 M. Hunt (interprétation): C'est à vous de décider.

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1 M. le Président: Maître Tapuskovic, allez-y.

2 M. Tapuskovic (interprétation): Merci, Monsieur le Président. Merci,

3 Monsieur le Juge.

4 Je vais essayer d'être un peu plus clair que précédemment. Comme vous le

5 lisez dans l'Article 116bis, il est prévu une procédure en appel accélérée

6 en application de l'Article 73B), mais pas en application de l'Article

7 73D). Selon les dispositions de l'Article 73B), il n'était possible d'agir

8 qu'en application des décisions de la Chambre de première instance;

9 maintenant, les mêmes dispositions sont transférées sur l'Article 73D) et

10 c'est sur cet alinéa de l'Article 73 que le Procureur fonde son appel.

11 Je considère que la Chambre d'appel aurait dû être au fait de tous les

12 éléments qui ont été communiqués à la Chambre de première instance. Or,

13 jusqu'à la séance plénière des Juges, jusqu'au 28 décembre, date d'entrée

14 en vigueur de cet Article modifié, les choses étaient un peu différentes.

15 Un certain nombre de délais était prévu pour les procédures en appel, donc

16 ces problèmes étaient réglés selon des modalités un peu différentes.

17 D'ailleurs, si ces délais avaient existé, nous aurions sans doute été en

18 mesure de rédiger un mémoire de trente pages.

19 M. le Président: Merci, Maître Tapuskovic.

20 Je pense que le Juge Hunt veut poursuivre sur une autre question?

21 J'ai l'impression que la dernière version de 116bis inclut l'ensemble des

22 paragraphes; il me semble. Mais enfin, nous regarderons la question.

23 Nous arrivons presque au terme de notre audience. Comme l'accusé, avec le

24 droit qui lui est reconnu, s'est exprimé, je pense donc qu'il appartient

25 maintenant -je le dis pour ceux qui nous écoutent et nous entendent-,

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1 selon notre procédure contradictoire, à l'appelant de parler. C'est lui

2 qui doit, dans cette instance-ci, avoir le mot de la duplique finale. Donc

3 c'est M. Nice.

4 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, je vais essayer d'être

5 très bref en vous donnant un intitulé d'une phrase pour les différentes

6 questions que je vais traiter.

7 De toute façon, la question de la procédure peut être réglée en

8 application de l'Article 127 du Règlement.

9 Je reprendrai les questions qui ont été évoquées au cours des débats,

10 selon l'ordre inverse à l'ordre chronologique.

11 D'abord, les observations de Me Kay au sujet de l'interprétation de la

12 Chambre de première instance, s'agissant du fait que l'affaire Kosovo

13 serait entendue et qu'un jugement ne devait pas être prononcé avant le

14 jugement dans les deux autres affaires. Ceci n'est pas exprimé dans la

15 décision de la Chambre de première instance et cela pourrait apparaître

16 comme une conclusion assez étonnante, s'agissant d'un homme qui attendra

17 pendant toute la durée des procès Bosnie et Croatie, qui aurait donc à

18 attendre pendant toute cette période pour savoir s'il est coupable ou pas

19 dans une autre affaire. Cela pourrait apparaître comme inéquitable.

20 Mais le fait que les deux procès ont été considérés comme devant être

21 immédiatement consécutifs, ceci a été dit, je crois, aussi bien par Me Kay

22 que par moi-même; ce fait donc montre quelles sont les possibilités de

23 mettre en place un procès raisonnable, et ce, dans le cadre d'une jonction

24 d'instances.

25 En effet, il serait difficile d'agir autrement. Si les procès devaient se

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1 succéder, il serait difficile et assez artificiel d'entendre les témoins

2 au cours d'un premier procès puis, ensuite, à nouveau au cours d'un

3 deuxième, même si les Juges peuvent bien sûr entendre ces témoins dans ces

4 conditions. Il ne semble pas y avoir la moindre raison; en fait, il

5 existe, à l'inverse, de très nombreuses et très puissantes raisons

6 justifiant la jonction pour éviter ce genre d'irrationalité, et pour être

7 dans le cadre d'un procès global jugé par une seule Chambre de première

8 instance.

9 Maintenant, j'aimerais appeler votre attention sur les Articles du

10 Règlement. Les Articles 48, 49 et 82 notamment. L'Article 82 traite de la

11 séparation d'instance de la disjonction et il n'y a aucun Article du

12 Règlement qui traite très précisément et spécifiquement de la jonction des

13 Actes d'accusation, etc. On semble partir du principe, dans le Règlement,

14 qu'un accusé ne peut et ne doit être jugé qu'une seule fois. Nous n'allons

15 pas insister sur la spécificité de cette hypothèse, mais c'est en tout cas

16 la situation du point de vue du Règlement.

17 Maintenant, je reviendrai sur un point déjà évoqué par mon collègue Me

18 Kay, s'agissant du fait qu'il s'agit ici de jonction d'actes d'accusation.

19 Il a parlé des réalités du modus operandi en faisant un certain nombre de

20 concessions et en disant que la jonction pourrait être justifiée en raison

21 du fait que, sur le plan du temps, l'importance est moins grande que sur

22 le plan de la commission d'un certain nombre de crimes et d'infractions

23 qui pourraient constituer un modus operandi commun.

24 Nous n'allons pas adopter cet argument simplement parce qu'il a été exposé

25 devant cette Chambre et qu'il a un certain degré de justesse, mais c'est

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1 effectivement une voie qui pourrait permettre, sur la base de

2 l'interprétation d'un dessein commun et de l'existence d'événements

3 parallèles, de justifier une jonction.

4 Revenons aux observations maintenant de Me Tapuskovic. Il y a quelques

5 points qui ont été évoqués par lui.

6 Maître Tapuskovic parle de préjudice et nous dit qu'il est du devoir du

7 Tribunal de se pencher sur des événements historiques assez anciens pour

8 assurer les droits de l'accusé.

9 Je ne suis pas sûr que le rôle de Me Tapuskovic consiste précisément à

10 nous parler de cela, notamment du préjudice lié à l'éventualité d'une

11 jonction d'instances. Je le dis pour des raisons tout à fait évidentes.

12 Et j'ai entendu Me Tapuskovic nous parler de l'ALK, groupe de terroristes

13 ou de libérateurs -tout dépend du point de vue où l'on place se place-. En

14 tout cas, ces hommes ont agi exactement de la même façon que la façon dont

15 les hommes qui faisaient partie d'une résistance opéraient dans d'autres

16 territoires.

17 Donc cela peut être le point de vue de départ pour justifier, pour venir à

18 l'appui des allégations d'actes criminels commis par cet accusé, présent

19 ici.

20 On a beaucoup parlé de la "Grande Serbie"; je ne vais pas y revenir, mais

21 lorsqu'on parle de plan, le plan consiste à déterminer comment quelque

22 chose peut être fait, et ça c'est une constante que l'on retrouve,

23 d'ailleurs Me Kay l'a admis, tout du long.

24 La "Grande Serbie" bien sûr est présente dans nos écritures et a été

25 présente, mais très rapidement dans nos arguments oraux, par exemple dans

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1 les actes d'accusation on retrouve cette notion dans les mots prononcés

2 par M. Seselj. Dans un autre acte d'accusation, on retrouve cette

3 expression comme ayant été quelque chose qui a été préconisé par l'accusé

4 concerné dans l'affaire corresponde. Cet acte d'accusation concernait

5 l'accusé à peu près autant que l'accusé que nous avons ici devant nous

6 aujourd'hui. Et c'est présent également dans le troisième acte

7 d'accusation dont nous parlons ici.

8 Nous disons que depuis le début il y avait un plan commun de la part de

9 l'accusé destiné à obtenir la récupération ou l'obtention de territoires

10 en vue d'exercer le pouvoir et ce pouvoir devait être exercé par un Etat

11 serbe centralisé. Donc c'est une manière différente d'exprimer les choses

12 mais le fait est le même.

13 Je voudrais maintenant revenir aux observations de l'accusé lui-même.

14 Vous avez eu la possibilité d'écouter l'accusé, vous êtes donc désormais

15 dans une situation un peu différente des Juges de la Chambre de première

16 instance qui a choisi d'agir différemment.

17 J'ai parlé précédemment du pouvoir discrétionnaire des Juges. Bien

18 entendu, vous êtes en mesure d'exercer votre propre pouvoir

19 discrétionnaire pour rendre des décisions, décisions qui ne porteront pas

20 sur des faits à l'étape actuelle mais sur des affirmations. En tout cas,

21 vous êtes en mesure d'exercer votre pouvoir discrétionnaire, tout autant

22 que les Juges qui ont jugé en appel Tadic et Kupreskic.

23 Et vous avez entendu l'accusé, cela a été votre choix, vous l'avez entendu

24 dire que même s'il renonçait à se prononcer s'agissant de ces préférences,

25 s'agissant d'un procès conjoint ou de procès distincts, il estimait qu'il

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1 ne convenait pas d'examiner les événements de façon séparée et qu'il

2 préférait que les événements soient considérés de façon globale.

3 Donc cela correspondrait aux préférences de l'accusé comme cela

4 correspondrait aux préférences en matière d'économie judiciaire qu'il n'y

5 ait qu'un seul procès.

6 Et du point de vue du Procureur, vous êtes en meilleure position que les

7 Juges de la Chambre de première instance pour vous prononcer en faveur

8 d'une jonction.

9 Vous avez entendu les arguments de l'accusé, vous savez qu'il pourra

10 beaucoup plus à loisir les exposer dans toute leur intégralité s'il y a un

11 seul procès plutôt que deux.

12 Dernier point, et j'y arrive parce que l'accusé l'a abordé.

13 Il va y avoir des liens très nombreux qui vont être établis entre

14 plusieurs questions.

15 L'un de ces liens concerne la Krajina. L'accusé parle des Serbes expulsés

16 de Krajina en Croatie. Or, les éléments de preuve pourront peut-être

17 révéler que certains d'entre eux ont été expulsés sans avoir le choix de

18 s'arrêter éventuellement pour s'établir en Serbie, expulsés directement à

19 destination du Kosovo, parce qu'ils étaient censés destinés à rétablir

20 l'équilibre démographique au Kosovo au profit des Serbes, car bien entendu

21 le plan était présent à l'esprit de certains, le programme était en

22 marche, destiné à rétablir l'équilibre démographique qui avait été

23 déséquilibré dans la dernière période et qui existait précédemment.

24 Donc c'est un point qu'il convient d'intégrer à la réflexion également.

25 Il est clair également, à l'écoute de l'accusé, qu'il cherche à obtenir un

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1 certain avantage sur la base des bonnes choses qu'il a faites à certaines

2 époques de l'histoire. Il est tout à fait normal de voir quelqu'un

3 chercher avantage dans les bonnes actions faites par lui et qui pourraient

4 être mentionnées dans un autre procès, et pas dans tous. D'où l'avantage

5 également d'un seul procès.

6 Encore un point sur les faits, après quoi je pense que j'en aurais

7 terminé, hormis un point que le Procureur général tient à ce que je vous

8 communique. Ce que je ferai.

9 La Chambre a entendu ce qui a été dit au sujet des estimations de

10 l'identité de qui a tué qui, au moment où les Albanais mouraient en

11 1998/1999. Les Juges de la Chambre d'appel trouveront dans les écritures

12 quel est le nombre exact des Albanais qui ont été expulsés, des centaines

13 de milliers en fait, et le nombre des Albanais qui ont été tués.

14 Pour ma part, je me contenterai de dire l'évidence, à savoir que le

15 Procureur rejette pleinement les affirmations de l'accusé sur ce point.

16 Mais il appartiendra aux Juges de la Chambre de première instance d'en

17 décider.

18 L'accusé a dit qu'il souhaitait être remis en liberté. Bien entendu, un

19 procès sera plus rapide que deux.

20 Je suis tout à fait prêt à répéter ce que le Procureur Général m'a demandé

21 de vous dire une nouvelle fois.

22 En effet, Mme Carla Del Ponte est préoccupée d'un certain nombre

23 d'articles de presse malveillants qui ont paru et qui sont absolument

24 dépourvus de fondement.

25 Donc c'est la position que nous tenons à déclarer. Et je crois que j'ai

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1 dit tout ce que j'avais à dire.

2 J'ai respecté les délais, Monsieur le Président.

3 M. le Président: Juge Pocar?

4 M. Pocar (interprétation): Un peu plus tôt ce matin, en réponse à une

5 question posée par le Président, vous avez dit que lorsque vous

6 travailliez sur les nouveaux actes d'accusation, vous étiez en présence de

7 deux possibilités: soit élaborer de nouveaux actes d'accusation, soit

8 demander la modification de l'acte d'accusation initial.

9 Si je vous ai bien compris, vous nous dites que l'Article 49 du Règlement

10 ne traite pas de la jonction d'actes d'accusation mais de la jonction de

11 crimes.

12 Et si j'ai bien compris ce que vous avez dit, vous avez ajouté qu'en

13 conséquence quand on est en présence d'une opération commune, bien

14 entendu, il n'est permis de rédiger qu'un seul acte d'accusation et donc

15 de procéder à un seul procès.

16 Mais conviendrez-vous que, dans un cas de ce genre, la procédure correcte

17 consisterait, lorsque de nouveaux crimes demandent à être ajoutés à un

18 acte d'accusation et que cela se fait par voie de modification d'un acte

19 d'accusation initial, il n'y a pas rédaction de nouveaux actes

20 d'accusation pour demander ensuite une jonction d'instances?

21 Je vois que je semble ne pas être totalement en accord avec ce que vous

22 avez dit ce matin.

23 M. Nice (interprétation): J'espère qu'il n'y a pas désaccord entre nous,

24 mais je répondrai à votre question de la façon suivante.

25 Le Règlement, bien entendu, comme c'est toujours le cas, est incomplet,

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1 pas qu'il soit mauvais mais parce qu'au moment où le Règlement a été

2 élaboré, il ne pouvait pas couvrir tout ce qui pouvait se produire dans la

3 réalité. D'où le fait que les articles que vous avez cités traitent de

4 jonction d'actes d'accusation et pas de jonction de crimes.

5 Mais il doit exister un pouvoir discrétionnaire résiduel entre les mains

6 des Juges pour traiter de ce genre de questions qui ne sont pas évoquées

7 dans le Règlement. Ici, en l'espèce, nous sommes en présence de trois

8 questions importantes qu'il convient de régler. Trois actes d'accusations

9 ont été émis à très juste titre: je comprends très bien, compte tenu du

10 temps, pourquoi cela a été le cas. Donc il faut traiter de la question sur

11 cette base.

12 Si contestation avait été faite sur cette base, le problème aurait pu être

13 reformulé soit en demandant une modification d'un des actes d'accusation

14 existants, soit en rédigeant un nouvel acte d'accusation. On aurait vu ce

15 qui se passerait à ce moment-là.

16 Mais comme je l'ai déjà dit ce matin, pour une raison ou pour une autre,

17 c'est quelque chose de favorable pour l'accusé, ce qui s'est passé, parce

18 que la charge de la preuve repose sur l'accusation. Et en fait, que les

19 dispositions soient prévues à l'Article 48 ou à l'Article 49, ou au titre

20 d'un autre article, l'accusé n'a pas eu à se pencher sur la question de

21 requérir une disjonction d'instances.

22 Mais en tout cas, il n'est prévu nulle part, même pas à l'Article 82,

23 qu'un seul acte d'accusation soit obligatoire.

24 M. Nice (interprétation): Excusez-moi, j'ai dû reprendre ce que j'avais

25 dit ce matin; je l'ai fait assez rapidement.

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1 M. Hunt (interprétation): Monsieur Nice, je suppose que rien n'empêche une

2 Chambre de première instance de juger trois actes d'accusation qui

3 seraient considérés comme devant donner lieu à un seul procès?

4 M. Nice (interprétation): Absolument, Monsieur le Juge.

5 M. Hunt (interprétation): Donc il peut y avoir jonction d'instances pour

6 les trois actes d'accusation.

7 M. Nice (interprétation): Apparemment, pour des raisons administratives,

8 il a été jugé préférable de rédiger de nouvelles allégations, qu'il y ait

9 jonction ou pas.

10 M. Hunt (interprétation): Donc, en définitive, nous pourrions penser à la

11 rédaction d'un Acte d'accusation complètement nouveau et qui engloberait

12 les trois Actes d'accusation actuellement? Est-ce que vous y verriez un

13 problème s'agissant de la jonction?

14 M. Nice (interprétation): Personnellement non, mais nous y avons

15 d'ailleurs pensé en tant qu'option possible.

16 La question importante, c'est de savoir si la Chambre de première instance

17 pourra entendre toutes les preuves.

18 M. le Président: Ce serait une option bien périlleuse, Monsieur Nice,

19 parce que nous aurions à nouveau peut-être une décision de la Chambre et

20 peut-être à nouveau un appel.

21 Essayons de rester dans le débat qui nous occupe.

22 Si aucun de mes collègues n'a de nouvelle question, je voudrais vous

23 remercier pour la tenue des débats, aussi bien le Bureau du Procureur que

24 les "amici curiae", que l'accusé, remercier bien sûr nos interprètes, et

25 bien entendu nous essaierons de rendre une décision le plus rapidement

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1 possible.

2 L'audience est levée.

3 (L'audience est levée à 13 heures 08.)

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