Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Mercredi 13 février 2002.)

2 (Déclarations liminaires de l'accusation.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 30.)

4 (Audience publique.)

5 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, c'est à vous.

6 (Déclaration liminaire de l'accusation relative à l'Acte d'accusation pour

7 la Bosnie, par M. Nice.)

8 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, Messieurs les Juges, hier

9 en ce qui concerne la première partie de la période historique relevant de

10 l'Acte d'accusation de la Croatie et d'une partie de la Bosnie, j'ai

11 présenté un certain nombre de liens qui existent et qui relient cet accusé

12 à divers crimes qui lui sont reprochés. Et bientôt je vais revenir, mais

13 je crois plus rapidement ce matin, à ces liens existants pour ce qui est

14 de l'Acte d'accusation de la Bosnie. Mais il peut se révéler utile de

15 réfléchir quelques instants au stade où nous nous trouvons, pour voir où

16 nous en sommes.

17 Vous vous souviendrez qu'hier en ce qui concerne l'Acte d'accusation de la

18 Croatie…

19 Veuillez, s'il vous plaît, placer ceci sur le rétroprojecteur.

20 Donc au sujet de l'Acte d'accusation relatif à la Croatie, je vous ai dit

21 que les zones indépendantes qui s'étaient déclarées indépendantes et qui

22 sont montrées ici… Je ne sais pas si Messieurs les Juges peuvent les voir

23 sur leur moniteur. Oui? J'ai donc dit qu'en ce qui concerne ces zones qui

24 figurent ici sur la carte, ces zones, ces régions n'auraient pas fait ce

25 qu'elles ont fait, simplement pour arriver à l'indépendance, à moins qu'il

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1 n'y ait une autre entité à laquelle elles puissent se joindre.

2 Il convient donc de réfléchir quelques instants et de se dire que s'il y

3 avait une de ces régions qui avait simplement peur d'un Etat dont elle se

4 méfiait et cherchait à se protéger, on ne pourrait rien y voir de mal. Par

5 exemple -j'avance un petit peu dans le temps-, si les Albanais du Kosovo

6 préoccupés par la conduite d'un Etat qu'ils trouvaient menaçante, s'ils

7 décidaient de se protéger sans insurrection, qui donnerait lieu à une

8 enquête du Bureau du Procureur, à ce moment-là il n'y aurait aucun

9 problème.

10 Mais, pour revenir à la Croatie, il ne s'agissait pas simplement d'établir

11 l'indépendance de la région; il s'agissait tout simplement pour cette

12 région de se rejoindre à une autre entité, à savoir la Serbie. Et on peut

13 constater qu'il y a entre la Slavonie occidentale et orientale, un hiatus;

14 et les éléments de preuve vont certainement vous montrer qu'on a essayé,

15 on voulait s'emparer de cette zone également, mais cela a été impossible.

16 Mais ce qui est plus important encore, c'est de se pencher sur la Slavonie

17 orientale. Est-ce qu'il s'agissait là d'une région où les Serbes étaient

18 en majorité? Non, pas du tout. Bien au contraire, il s'agissait d'une

19 région où ils constituaient la minorité de la population. Pourtant, c'est

20 une région qui a fait l'objet d'un nettoyage.

21 Je vais maintenant demander à ce que l'on présente la carte relative à la

22 Bosnie. Nous allons nous y pencher un peu plus en détail maintenant.

23 Les différentes indications ou régions que vous pouvez voir entourées de

24 rouge ou de bleu, ces régions donc, ce sont les municipalités officielles,

25 municipalités identifiées dans l'Acte d'accusation. On peut le voir sur

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1 l'écran. Et vous constaterez que ces municipalités ne comprennent pas

2 toutes les zones qui se trouvent à l'Est, et qui sont limitrophes avec la

3 Serbie. Pourtant, vous constaterez que ce sont ces régions orientales qui

4 se sont vues en butte aux formes les plus brutales, parfois, de nettoyages

5 ethniques et de violences. Aussi bien pour la partie orientale que de la

6 Bosnie, que de la partie orientale de la Croatie, on peut le voir. Et il

7 n'y aura, nous le pensons, aucun doute quant aux crimes qui ont été commis

8 et quand on examinera les crimes commis par la JNA et, de l'autre côté,

9 les crimes commis par la Croatie et ceux qui représentaient les

10 municipalités déclarées en Bosnie, c'est-à-dire l'armée de la Republika

11 Srpska. Eh bien, quand on examinera tout cela, on constatera qu'il y avait

12 une nette prépondérance de crimes militaires commis venant de l'Est,

13 c'est-à-dire venant de la Serbie, avec la JNA, la VJ ou quel que soit le

14 nom qu'on lui donne.

15 M. le Président (interprétation): Excusez-moi, mais je voudrais être sûr

16 de bien vous comprendre. Vous parlez de la Slavonie orientale. Vous nous

17 dites qu'il n'y avait pas de majorité serbe dans la région, mais vous êtes

18 en train de nous dire la même chose en ce qui concerne la Bosnie. Est-ce

19 cela?

20 M. Nice (interprétation): Oui, oui, c'est exactement la même chose, mais

21 encore plus convaincant.

22 M. le Président (interprétation): Quelle est la zone à ce moment-là où il

23 n'y a pas de majorité serbe?

24 M. Nice (interprétation): Si vous examinez la droite, la partie droite de

25 la carte, vous constaterez que les zones de Zvornik, Bratunac, Srebrenica,

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1 Visegrad ne sont pas inclues. Dans les districts autonomes serbes définis

2 par la proclamation de novembre, du 21 novembre. Mais les zones qui sont

3 entourées de rouge ou de bleu, ce sont les districts autonomes serbes tels

4 qu'ils ont été proclamés. Tout ce qui est en gris, ce sont les zones qui

5 figurent dans l'Acte d'accusation. Si bien que Srebrenica, Zvornik,

6 Bratunac, Visegrad, etc. qui n'ont pas été proclamées le 21 novembre, ce

7 sont des zones où il n'y a pas de majorité serbe; et il y a eu, dans ces

8 zones, du nettoyage ethnique, des crimes atroces ont été commis. Et les

9 éléments de preuve que nous présenterons aussi bien dans cette affaire que

10 dans l'affaire de la Croatie, montreront que ces zones orientales ont subi

11 un pourcentage très élevé d'implication militaire directe venant de la

12 Serbie.

13 Cela pourrait peut-être paraître évident mais nous estimons que c'est très

14 important, très important de constater que ces régions qui se trouvent à

15 la fois en Croatie et en Bosnie, qui déclarent leur indépendance, leur

16 autonomie, ces régions ne le faisaient pas pour elles-mêmes, en vase clos.

17 Elles le faisaient parce qu'elles voulaient se rattacher à quelque chose

18 d'autre. Est-ce que c'est simplement le fait du hasard que ces régions

19 aient souhaité se rattacher à une entité dirigée par cet accusé? Ou bien,

20 pour toutes les raisons déjà que nous avons déjà présentées, est-ce qu'il

21 a fait partie intégrante de ce plan?

22 Les faits que je viens de résumer, bien entendu, nous indiquent de manière

23 très convaincante que lui, il a fait partie de la mise en place de ce

24 plan. Hier, nous avons entendu quelqu'un nous dire qu'il deviendrait leur

25 dirigeant en cas de rattachement de ces entités. Bien entendu. C'est

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1 évident. Soit, dans les salles ou les pièces où l'on discutait, on se

2 réunissait, soit on discutait des problèmes et, tacitement, il laissait

3 les autres faire ce qu'ils avaient à faire, ou bien il prenait les

4 décisions lui-même. Peu importe. En ce qui concerne pour ce qui est de sa

5 culpabilité pénale, elle est toujours là. Mais les événements et le fait

6 qu'il n'ait rien fait pour mettre un terme à ces événements, montrent que

7 sa culpabilité est bien réelle.

8 Nous sommes partis du principe, peut-être que cela a un peu troublé ceux

9 qui nous regardent, que tout le monde connaît par coeur la carte de la

10 Yougoslavie et nous n'avons pas placé de carte sur le rétroprojecteur.

11 Peut-être sera-t-il utile de le faire à un moment donné, bien que cela ne

12 soit pas très pratique. Ce n'est peut-être pas le meilleur endroit pour

13 placer une carte, ce rétroprojecteur.

14 Mais donc pour ceux qui ne connaissent pas par coeur cette carte, je

15 souhaiterais répéter que ce sont les régions, que j'indique ici, qui

16 intéressaient plus particulièrement l'accusé et d'autres. Et réussir à

17 rattacher la Slavonie orientale et occidentale à ces endroits pour la

18 Bosnie, cela aurait été de créer une zone très vaste qui, ensuite, aurait

19 pu être rattachée à la Serbie et placée sous le contrôle serbe.

20 J'ai maintenant récapitulé ce que je vous ai dit hier à ce sujet. Je

21 voudrais maintenant retourner à ce que je disais lorsque je me suis

22 arrêté.

23 Puisque maintenant nous avons donné à l'accusé la possibilité de se faire

24 une idée du type de documents que nous allons utiliser, du type de liens

25 que nous essayons de mettre en lumière, je vais maintenant essayer d'aller

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1 un petit peu plus vite. Hier, j'ai terminé avec la liste des liens qui

2 existaient entre l'armée de la Republika Srpska et la Serbie elle-même.

3 Il est indispensable de mentionner brièvement d'autres personnes que l'on

4 entendra: Jovica Stanisic, c'est quelqu'un qui était un associé très

5 proche de l'accusé, l'un de ses plus proches collaborateurs. Un homme

6 responsable de la mise en place et des opérations spéciales, d'unités

7 d'opérations spéciales, que l'on a fini par appeler les "Bérets rouges".

8 C'est un homme dont il convient de se souvenir: Jovica Stanisic. C'est un

9 homme qui entre en scène à ce stade mais qui aura un rôle beaucoup encore

10 beaucoup plus prépondérant au Kosovo où l'on constatera, en ce qui le

11 concerne, qu'il a changé d'opinion et de point de vue. Lui qui avait fondé

12 les "Bérets rouges" avait des contacts extrêmement étroits avec l'accusé.

13 Un autre intervenant, Frenki Simatovic, que l'on a qualifié de chef d'une

14 unité qui, après avoir porté un autre titre, a été baptisée les "Bérets

15 rouges". Souvent, il se vantait auprès de ses hommes des liens très

16 étroits et directs qu'il avait avec l'accusé, par l'intermédiaire de

17 Jovica Stanisic.

18 Nous avons ici la photographie de quelqu'un qui porte un béret rouge. Ce

19 n'est personne de particulier, mais c'est juste pour vous montrer à quoi

20 ressemblaient les hommes de cette unité. Simatovic a approvisionné Arkan

21 en vivres, en munitions. Il avait des relations extrêmement étroites avec

22 Arkan jusqu'en 1994, moment où les "Tigres d'Arkan" ont été incorporés

23 dans les rangs des "Bérets rouges".

24 Donc, une fois de plus, les relations qui unissent tous ces hommes à

25 l'accusé apparaissent de plus en plus clairement. Simatovic s'est servi

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1 des "Bérets rouges" pour distribuer des armes aussi bien en Croatie qu'en

2 Bosnie.

3 Et si l'on considère les "Bérets rouges", Perisic rapidement, à un moment

4 donné, Perisic commandait les forces de Mostar. Et, au début, il est

5 possible qu'il se soit opposé à la présence des "Bérets rouges" sur place.

6 Pourquoi? Parce qu'ils prenaient, qu'ils recevaient leurs ordres

7 directement de Belgrade. Finalement, il a été obligé de céder et

8 d'accepter cette situation.

9 Je ne vais pas ajouter quoi que soit au sujet d'Arkan, car j'ai déjà

10 beaucoup parlé de lui hier. Je vais simplement dire qu'un jour, alors

11 qu'Arkan formait des soldats, un témoin -que nous allons entendre- l'a

12 entendu dire: "Ceux qui n'égorgeront pas, qui ne tueront pas, qui ne

13 mutileront pas, tous ceux qui osent s'opposer à l'Etat serbe, ceux-là, ils

14 seront tués".

15 Et vu la conduite de cet homme -et nous entendrons des éléments de preuve

16 à ce sujet-, on peut se dire que cette phrase était bien l'expression de

17 ce qu'il pensait et pas simplement une fanfaronnade.

18 J'ai déjà parlé brièvement du ministère serbe de la Défense. Je ne vais

19 pas ajouter beaucoup à ce sujet à ce stade. Je souhaite simplement vous

20 dire que l'accusé a joué un rôle prépondérant puisqu'il a fait voter une

21 loi sur la défense, le 18 juillet 1991. Loi qui a eu pour effet de placer

22 la police et la Défense territoriale sous son contrôle personnel.

23 Je crois que nous avons maintenant l'article 39 de cette loi sur le

24 rétroprojecteur. On peut lire la chose suivante: "En temps de guerre ou de

25 menace immédiate de guerre, la Défense territoriale peut se voir renforcer

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1 par des volontaires". (Fin de citation.) L'importance de cet article nous

2 apparaîtra plus clairement ultérieurement.

3 Arkan avait des relations avec ce ministère de la Défense, établi par cet

4 accusé, et l'accusé lui-même avait des contacts quotidiens avec le général

5 Simovic, des contacts réguliers avec le ministère. Le général Simovic,

6 c'était celui qui était à la tête de ce ministère.

7 Le MUP de Bosnie, c'est un organe dont on entendra parler au fur et à

8 mesure de la présentation des éléments de preuve. C'est une instance qui a

9 été créée au début de l'année 1992, au moment où l'autorité du MUP

10 républicain, du MUP de la République a été abolie.

11 Encore une fois, je souhaiterais évoquer une conversation interceptée -que

12 vous entendrez en temps utile-, une conversation entre Karadzic et

13 l'accusé.

14 Karadzic dit à l'accusé la chose suivante: "Les Musulmans allaient

15 simplement vers la division de la Bosnie-Herzégovine et nous, nous allons

16 mettre en oeuvre la mise en place des régions et créer nos MUP chaque fois

17 que nous arriverons au pouvoir." (Fin de citation.)

18 Il est impossible pour l'accusé d'affirmer que le silence soit autre chose

19 qu'une participation active. De ceci vous serez convaincus lorsque ces

20 conversations téléphoniques seront versées au dossier. Pourquoi? Parce que

21 le MUP a joué un rôle très important dans la prise de contrôle des

22 municipalités et la persécution de la population non serbe.

23 Autre élément-clé pour la prise de contrôle de la Bosnie, c'est l'armement

24 des Serbes de la région. On verra que cela se reproduira au Kosovo. On

25 constate donc une ligne de conduite délibérée et répétitive. Encore une

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1 fois, des liens apparaissent s'agissant des crimes, des faits incriminés

2 -pour reprendre l'expression utilisée dans ce Tribunal-.

3 En Bosnie, il s'agissait de la prises de contrôle de villes, il ne

4 s'agissait pas, nous n'avions pas de conflits, il s'agissait de prendre le

5 contrôle de villes de municipalités. Comment s'y est-on pris? Eh bien, une

6 illustration de ce fait, on le trouve dans ce qu'a déclaré un membre du

7 parti de Bosanska Krupa lorsqu'il a parlé de la prise de cette ville.

8 Cette personne est intervenue lors de la 16e Assemblée des Serbes de

9 Bosnie. M. Vjestica a prononcé les paroles suivantes: il informait ses

10 auditeurs de la situation dans la municipalité de Bosanska Krupa.

11 "Qu'avons-nous fait -dit-il- dans cette municipalité?". Je cite: "Je dois

12 vous dire que bien qu'il n'y ait que 24% de Serbes dans la municipalité de

13 Bosanska Krupa, c'est-à-dire que nous sommes 14.500, et qu'il y ait 47.000

14 Musulmans, eh bien, pourtant depuis un an et demi nous nous préparons à la

15 guerre dans la municipalité serbe de Bosanska Krupa".

16 On voit donc ici que, dès le début de 1991, les préparatifs étaient en

17 bonne voie. Il continue -je cite-: "Je pose une question maintenant que

18 j'ai le droit de poser. Comment que se fait-il que l'on ait pris en deux

19 jours de combat les deux-tiers de la ville sur la rive droite de la

20 rivière Una, Il n'y a plus de Musulmans dans la municipalité serbe de

21 Bosanska Krupa, toutes les enclaves qui étaient Rapusa, etc." Il cite les

22 enclaves. "Toutes ces enclaves, nous les avons évacuées, donc il y en aura

23 plus à cet endroit pendant toutes les opérations de la guerre et ces gens

24 n'auront plus d'endroit où retourner. Ceci ne risque pas de se produire

25 une fois que notre Président leur a fait part de la bonne nouvelle en ce

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1 qui concerne la rive droite de la rivière Una. Le fait que cette rivière

2 Una formait la frontière." (Fin de citation.)

3 Comment est-il possible que les Serbes aient réussi à prendre cette

4 municipalité où ils étaient trois fois moins nombreux que les autres? Eh,

5 bien, c'est parce qu'ils avaient distribué des armes à la population,

6 parce que les dirigeants du SDS avaient participé à la planification de la

7 prise de contrôle de cette municipalité.

8 Maintenant, passons à Bijeljina, où l'on comptait 60% de Serbes et 30% de

9 Musulmans avant le conflit. Même si, en ce qui concerne la ville de

10 Bijeljina elle-même et non pas la municipalité, la population était à 70%

11 musulmane. Et c'est là qu'on a proclamé la Région autonome de la

12 Semberija. Il semble que l'une des premières cibles de ceux qui menaient

13 ce type d'opérations, était cette ville de Bijeljina. Arkan, d'ailleurs,

14 on l'a vu fréquemment dans cette ville avant l'attaque. Une attaque à

15 laquelle ont participé aussi bien "les hommes d'Arkan" que la JNA. La JNA

16 qui avait participé à la distribution d'armes à l'avance aux Serbes de

17 l'endroit. La JNA n'a fourni aucun type de protection à la ville au moment

18 où Arkan a lancé son offensive. La JNA a même libéré certains des hommes

19 d'Arkan qui étaient isolés et, lorsque Arkan en a eu terminé, la JNA est

20 arrivée pour s'assurer le contrôle de la ville. Un ancien policier de la

21 ville nous dira qu'il a vu Arkan sur place, ainsi que Mme Plavsic et un

22 certain Fikret Abdic.

23 Plavsic et Arkan se sont rencontrés, il était évident qu'ils avaient des

24 relations amicales. Et le témoin a reçu la responsabilité de rassembler

25 des corps, des cadavres. En tant qu'ancien policier, il avait une certaine

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1 expérience dans les enquêtes criminelles. Les corps, qui étaient

2 éparpillés partout en ville, avaient pour la plupart, portaient pour la

3 plupart des blessures au niveau de la bouche, du dos, l'arrière de la

4 tête, des blessures par balles. Aucune de ces victimes ne portait

5 d'uniforme. Et il y avait beaucoup de femmes et d'enfants parmi eux.

6 Maintenant, si l'on descend la rivière Drina, j'en arrive à la ville de

7 Zvornik où il y a une attaque sans provocation de la JNA. La ville a été

8 pilonnée depuis la Serbie et, une fois de plus, on y a vu intervenir Arkan

9 et ses hommes.

10 Kozluk, une communauté de Musulmans; ils étaient en tout 1.800, ont été

11 rassemblés dans le hameau de Kozluk à Visegrad. Et vous vous souviendrez,

12 Messieurs les Juges, que je vous ai relaté une partie de cet événement

13 dans le cadre de mes propos liminaires hier. Ce qui est intéressant ici,

14 c'est la fin de Visegrad. On peut le voir en partie sur la photographie

15 qui figure maintenant sur le rétroprojecteur. Ceux qui ont été déplacés,

16 ont été contraints de signer des documents transférant leur propriété

17 entre les mains des dirigeants serbes et ensuite ils sont montés dans des

18 bus pour la Serbie.

19 Que s'est-il produit en Serbie? Eh bien, on les a gardés dans un dépôt de

20 chemin de fer pendant plusieurs jours, pendant que l'on préparait à leur

21 intention des passeports serbes et, avec ces passeports serbes, ils ont

22 été transportés au-delà de la frontière serbe, on les a emmenés en Hongrie

23 et en Autriche. Qu'est-ce que cela nous révèle sur les responsables de ces

24 actes, et le niveau où tout cela a été préparé?

25 Bratunac maintenant. Une fois encore cela se trouve à l'Est. Un de ces

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1 districts qui avait proclamé son autonomie. On y trouvait 64% de

2 Musulmans, 34% de Serbes. Une fois encore ici, on constate que les Serbes

3 de l'endroit avaient été armés à l'avance par la JNA. La JNA avait même

4 été plus loin que ce qu'elle avait fait ailleurs. Elle avait non seulement

5 armé les Serbes mais elle avait désarmé les autres. A la fin 1991, la JNA

6 a commencé à installer des pièces d'artillerie et des mortiers dans des

7 positions qui se trouvaient en face de la ville.

8 Je reviens à ce que j'ai dit précédemment ce matin: est-ce qu'il s'agit de

9 mesures de protection justifiées de la part d'une communauté, ou bien est-

10 ce que c'est quelque chose de complètement différent, est-ce que c'est

11 exactement le contraire? L'accusé le sait bien.

12 En avril, on a vu le déploiement de chars sur la rive serbe de la rivière,

13 leurs canons braqués sur la ville. Et la prise de contrôle a commencé

14 lorsque le Corps de la JNA de Novi Sad est rentré à Bratunac, le 16 avril

15 1992, avec les "Tigres d'Arkan" et deux groupes que j'ai déjà mentionnés

16 précédemment, les "Aigles blancs" et les "Hommes de Seselj" qui, pour la

17 plupart, portaient des passe-montagnes.

18 Je vous l'ai dit hier: nous essayons de ne pas faire preuve d'émotion mais

19 il faut essayer de se mettre un peu dans la peau des gens. Qu'est-ce qu'on

20 ressent lorsqu'on est dans une ville et qu'on est face à ce type

21 d'occupation? Les conséquences, elles étaient faciles à prévoir si vous

22 étiez une victime dans cette situation.

23 Le 9 mai, dans la partie de Bratunac qui s'appelle "Glogova" au sud de

24 Zvornik, nous sommes là, le long de la Drina. 65 Musulmans de Bosnie, des

25 Croates de Bosnie, tous des civils, ont été tués par ces membres du Corps

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1 de Novi Sad qui agissaient avec des paramilitaires. 8.000 personnes ont

2 été expulsées de la municipalité.

3 En janvier 1993, six mois après, après le retrait allégué de la JNA de

4 Bratunac, ils sont revenus sur place pour aider les Serbes de Bosnie

5 lorsqu'ils risquaient de reperdre la municipalité. Cette fois-là, lors de

6 cette participation, c'est au moyen de chars, de lance-roquettes et de

7 troupes spécialisées qu'ils sont intervenus.

8 Le général Mandic, général de l'armée yougoslave déclare dans un entretien

9 qu'il accorde à un quotidien de Belgrade "Politika"; il dit ceci: "Cette

10 présence de l'armée VJ se fait conformément à un décret du Conseil suprême

11 de la défense de la République". Rappelez-vous: Slobodan Milosevic faisait

12 partie de ce conseil.

13 Revenons à Visegrad. Nous l'avons déjà dit: pendant cette prise de la

14 ville, les Musulmans ont été rassemblés, ont fait l'objet de fouilles

15 systématiques. Les "Aigles blancs" leur ont dit ce à quoi ils pouvaient

16 s'attendre; ces "Aigles blancs" qui contrôlaient la ville. Et puis se

17 produisent les terribles incidents dont j'ai parlé hier: des femmes, des

18 enfants ont été brûlés vifs. Inutile de revenir là-dessus.

19 Même région, même année, en juin: exécutions de non-Serbes, dont des

20 femmes et des enfants, qui ont été exécutés et jetés dans la rivière

21 Drina. Suivies d'exécutions sommaires.

22 Un témoin va comparaître devant vous, il va vous parler de cette période.

23 Ce témoin a entendu Radmilo Bogdanovic, qui a été à un moment donné

24 ministre serbe de l'Intérieur; il l'a entendu avoir une discussion avec

25 Seselj dans un hôtel de Bratunac. Ces deux hommes parlaient de la prise de

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1 contrôle de Visegrad. Et voici que cet homme les a entendus dire: "Nous

2 vous avons donné de l'argent. Nous vous avons donné des hommes. Nous vous

3 avons donné des armes. Nous vous avons donné la liberté de faire ce que

4 bon vous semblait. Qu'est-ce que vous voulez d'autres?". Seselj a répondu

5 à cet ancien ministre serbe de l'Intérieur que, dans les jours qui

6 allaient suivre, le travail serait fait dans toutes les municipalités qui

7 se trouvaient le long de la rivière de la Drina.

8 Quand on vous donne la liberté de faire ce que bon vous semble, est-ce que

9 cela peut être une excuse même si on voudrait que ce le soit? Non, pas du

10 tout, c'est la manifestation la plus éclatante d'une complicité

11 criminelle.

12 Parlons de Prijedor. La Chambre connaît si bien cette ville que je pense

13 qu'il ne faut pas en parler pendant très longtemps. Nous allons nous

14 contenter de voir où cette ville se trouve.

15 Dans la municipalité de Prijedor, des centaines de civils non-Serbes sont

16 tués systématiquement à divers endroits. Un nombre important de meurtres

17 se poursuit dans plusieurs camps, dont Omarska et Keraterm, pendant toute

18 l'année 1992.

19 Karadzic avait déjà donné un avant-goût de la brutalité qui allait être

20 vraiment la caractéristique de cette campagne dans un ordre, un ordre

21 qu'il donne le 22 septembre 1991. Il déclare ceci, parlant de ses propres

22 aspirations: "Si ces aspirations justes et humaines du peuple serbe se

23 voyaient heurter à une opposition, ne faites pas preuve de pitié. Oeil

24 pour œil, dent pour dent".

25 Est-ce que l'accusé était détaché, distant de cette démarche, si nous

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1 apportons la preuve de l'existence de cette démarche au cours de la

2 présentation de nos moyens de preuve? Non, si l'on en juge par ce qu'il

3 nous a dit jusqu'à présent.

4 Nous avons une séquence vidéo que je vais vous demander de regarder: il

5 s'agit du camp de Prijedor ou plus exactement du camp de Trnopolje.

6 (Début de la diffusion vidéo.)

7 "Le deuxième camp de Trnopolje où se trouvent 2.000 réfugiés. Nous ne nous

8 attendions pas aux images, aux scènes que nous allions voir.

9 -Depuis combien de temps êtes-vous ici?

10 -Plusieurs centaines d'hommes nous ont dit qu'ils étaient arrivés ce

11 matin-là d'Omarska ou d'un autre camp de détention, qu'ils avaient été

12 placés dans ce centre de détention après des semaines voire des mois

13 d'interrogatoire. On leur a demandé s'ils avaient vraiment été passés à

14 tabac.

15 -Je ne sais pas si j'ai le droit d'en parler. Est-ce que vous comprenez?

16 -Dites-nous à la vérité.

17 -250 qui ont été tués? Qu'est-ce qui s'est passé?"

18 (Fin de la diffusion vidéo.)

19 C'est une situation qui se reproduit ailleurs. Quelquefois dans des

20 circonstances bien pires, et avec beaucoup plus de morts à la clef

21 quelquefois.

22 Parlons de Sanski Most, tout près de Prijedor et de Banja Luka. Pendant la

23 prise de cette ville, en 1992, 100 hommes non serbes sont amenés à Sanski

24 Most, en venant des camps de Keraterm et Prijedor. Ils sont tués.

25 Plusieurs centre de détention sont créés. Et c'est là que Arkan reviendra

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1 en 1995. A ce moment-là, il faisait partie des "Bérets rouges", ce qui lui

2 donnait la possibilité de tuer bien des Musulmans à divers endroits.

3 Nous revenons dans le nord de la Bosnie, dans la ville de Brcko, qui

4 occupe une position-clé puisqu'elle se trouve près du couloir vers le

5 nord.

6 La voyez-vous? Je n'en suis pas sûr. C'est une ville proche de Bijeljina.

7 Ce n'était pas véritablement une municipalité qui s'était auto-déclarée au

8 départ, mais qui avait quand même un statut spécial de plus. C'est là que

9 des hommes musulmans ont été tués à l'hôtel Posavina, le 4 mai. Et des

10 détenus ont été tués au camp de Luka; c'est un certain Jelisic, qui s'est

11 lui-même appelé "l'Adolf serbe", qui a sévi aussi à cet endroit.

12 Il est intéressant de constater que, dans cette région, le 20 mai 1992, le

13 corps d'un homme qui s'appelait Branislav Filipovic a été retrouvé.

14 Apparemment, c'était un membre important d'un groupe paramilitaire. Sur

15 son corps, dans les vêtements qu'il portait, plusieurs documents ont été

16 découverts. Parmi ceux-ci, se trouvait une autorisation écrite adressée au

17 QG de la JNA à Belgrade, qui l'autorisait à prendre des armes. Un document

18 aussi qui portait la date du 13 mai 1992, avec le code postal militaire de

19 la JNA de Belgrade. Des documents attestant du fait que des armes avaient

20 été fournies à la garnison de Brcko. Des documents de transit d'un

21 véhicule de la JNA et également des laissez-passer de Brcko et de

22 Semberija qui l'autorisaient à circuler librement. Que faisait-il cet

23 homme doté de tous ces documents, alors qu'on n'était pas censé avoir la

24 participation de la Serbie sur ce territoire de Brcko?

25 Eh bien, parlons de ce qui se passait dans le sud, en Herzégovine, près de

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1 la frontière avec le Monténégro: là, de lourdes pertes humaines. Nous

2 avons des pertes humaines à Nevesinje, par exemple et puis la prison du KP

3 Dom, tristement célèbre, où seront tués beaucoup de Musulmans, à Djidevo

4 plus exactement.

5 Il faut, je pense, parler aussi de Bosanski Samac, de Doboj, dans le nord

6 de la Bosnie, dans le district semi-autonome. Ce sont des noms bien

7 connus. Au camp de Crkvina, 17 détenus non serbes sont tués le 6 mai, et

8 c'est seulement en octobre 1992 que ce camp sera fermé. Plus de 1.700

9 personnes sont expulsées et un nombre important de prisonniers de Bosanski

10 Samac sont emmenés en hélicoptère en Serbie vers la base militaire de

11 Batanija, qui se trouve juste dans les faubourgs de Belgrade.

12 Nous avons un rapport militaire de la VRS, en 1993, qui parle des

13 résultats de cette prise de contrôle pour dire ceci. Je crois qu'on ne

14 pourrait pas faire plus simple. "Des corridors ont été sécurisés pour

15 assurer le lien, la liaison entre les territoires serbes avec la mère-

16 patrie de la Serbie."

17 Je pense que notre thèse est limpide. Mais je voudrais m'écarter des

18 événements qui se produisent sur le terrain pour parler de quelque chose

19 qui est peut-être différent. Nous sommes maintenant vers la fin de l'année

20 1992, et je trouve que ceci s'intègre bien avec ce qui s'est passé à

21 Sarajevo notamment et à Srebrenica.

22 Nous avons un document qui nous dit ce que pense Eagleburger, le

23 secrétaire d'Etat des Etats-Unis. Peut-être que ceci va fournir un

24 éclairage intéressant. Vous n'en avez pas encore une copie, je m'en

25 excuse, mais vous aurez bientôt une copie de ce que je vais vous dire.

Page 131

1 Mais je vais utiliser le rétroprojecteur pour m'assurer que je ne me

2 trompe pas.

3 Le secrétaire d'Etat Eagleburger, mercredi -ici, nous sommes le 16

4 décembre 1992 et c'est un communiqué de presse dont je vous parle-, dit

5 que "le Président serbe Slobodan Milosevic et le dirigeant des Serbes de

6 Bosnie doivent répondre -là, je le cite- j'espère, dans un tribunal, des

7 atrocités commises par les militaires et les commandants de camp de

8 détention dans cette Yougoslavie explosée, désintégrée". Puis, il parle de

9 la levée de l'embargo et ajoute ceci: "Nous savons qu'il y a eu des crimes

10 contre l'humanité. Nous savons quand et où ils se sont produits. Et nous

11 savons de plus qui sont les auteurs, quelles sont les forces de ces crimes

12 et sous quel commandement ils agissaient". Puis, il ajoutera ceci:

13 "Milosevic et Karadzic, chef des Serbes de Bosnie, ont systématiquement

14 ignoré les accords qu'ils avaient signés solennellement et cyniquement".

15 Il ajoutera encore ceci: "Milosevic, Karadzic et le général Ratko Mladic,

16 commandant des forces militaires serbes de Bosnie, devront finalement

17 expliquer s'ils devaient veiller et comment ils devaient veiller à ce que

18 soit respecté le droit international, respecté par eux et par leurs

19 forces".

20 Je suis sûr que l'accusé nous parlera, comme il l'a déjà fait, de ce qui

21 s'est passé plus tard, à Dayton par exemple. Ce n'est que de façon

22 tangentielle que ce Tribunal s'intéresse à ce qui s'est passé sur la scène

23 politique, mais ceci ne doit pas fait l'ombre d'un doute. Ce qui est

24 certain, c'est que, déjà à ce moment-là, l'accusé que vous avez devant

25 vous était bien connu comme complice.

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1 Et, autre point important et essentiel pour notre procès, les autorités

2 les plus élevées avaient indiqué qu'il était obligé de respecter le droit

3 international. C'est à vous de voir s'il a tenu compte des avertissements

4 qui lui avaient été donnés.

5 Sarajevo: nous avons bien sûr déjà vu ce que disait Karadzic dans les six

6 points qu'il avait indiqués, s'agissant de ce qui devait se passer à

7 Sarajevo. Mais, vu ce qui se passait dans le nord de la Bosnie, Alija

8 Izetbegovic, Président de la Bosnie, avait lancé un appel à la

9 mobilisation pour la Défense territoriale de Bosnie. Les dirigeants serbes

10 de Bosnie ont dit que, pour eux, cela était équivalent à un acte de

11 guerre.

12 Nous avons ici une image d'une victime de ces événements tragiques qui

13 allaient s'ensuivre à Sarajevo. Ceci a entraîné plusieurs remaniements au

14 sein de la présidence conjointe, surtout en ce qui concerne Plavsic.

15 Le lendemain, le 5 avril 1992, des paramilitaires serbes ont assiégé

16 l'académie de la police dans le sud de la ville et des forces se sont

17 déployées en descendant de la colline de Vraca et ont essayé de séparer la

18 ville.

19 Vous avez un exemple où vous aviez une coexistence parfaite entre diverses

20 communautés: vous aviez les Musulmans, les Serbes, les Croates, les

21 Yougoslaves, les Juifs qui coexistaient, qui avaient des lieux de culte,

22 qui se respectaient mutuellement.

23 Siège de Sarajevo: c'est comme cela qu'on a fini par l'appeler. Ce fut un

24 épisode tellement notoire dans ce conflit en ex-Yougoslavie qu'il faut

25 remonter à la Seconde Guerre mondiale pour trouver un parallèle quelconque

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1 dans l'histoire de l'Europe. C'est vrai, jamais depuis ce temps il n'y

2 avait eu une telle campagne de violence impitoyable menée par une armée

3 professionnelle contre des civils dans une ville européenne, campagne

4 destinée à les réduire à un état de privation quasi moyenâgeuse, pour

5 qu'ils se trouvent dans un état de peur constante.

6 Il n'y avait aucun lieu sûr pour un habitant de Sarajevo: l'école où il

7 allait, l'hôpital où il se trouvait, partout, il pouvait être en butte à

8 une attaque tout à fait aveugle. Ils furent la cible délibérée de ces

9 forces de la VRS qui encerclaient Sarajevo; ils ont été tués chez eux

10 alors qu'ils regardaient la télévision, prenaient une tasse de café,

11 faisaient leurs prières. On tirait sur eux lorsqu'ils sortaient de ces

12 maisons, lorsqu'ils allaient chercher de l'eau, déposer leurs poubelles,

13 qu'ils allaient chercher du bois. Il y a eu des pilonnages de la VRS

14 partout.

15 Et surtout pour tuer, pour mutiler, pour amputer ces civils qui faisaient

16 la queue pour aller chercher de l'eau. Ont été pris pour cible des groupes

17 d'enfants qui jouaient dehors des écoles, des hôpitaux, des enterrements.

18 Et rappelez-vous ces marchés publics.

19 La preuve qu'il faudra faire de la culpabilité de cet accusé pour sa

20 complicité dans ces événements horribles, il faudra la faire en montrant

21 le soutien qu'il a apporté à la Republika Srpska, à cette armée. Et nous

22 n'excluons pas la possibilité qu'il faille aller plus loin aussi en temps

23 utile.

24 Srebrenica: cette zone de sécurité avec été déclarée jusqu'au 11 juillet,

25 où des troupes de la VRS, des troupes du MUP se trouvant sous le

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1 commandement du général Mladic et d'autres ont sommairement exécuté plus

2 de 6.500 gamins et hommes musulmans de Bosnie, de l'enclave de Srebrenica.

3 Vous avez ici une fosse commune qui apparaît à l'image. Ceci, ces

4 exécutions sommaires, elles se sont déroulées sur une période de cinq

5 jours. Elles furent le fait de pelotons d'exécution, ces pelotons

6 d'exécution ont et tué et exécuté 1.500 hommes à Bratunac, 500 à Zvornik.

7 C'est le massacre le plus horrible depuis la Deuxième Guerre mondiale. Je

8 pense que ce qu'il est important de voir ici, c'est ce que l'on voit

9 autour de la tête de cet homme.

10 Nous avons l'intention d'apporter des moyens de preuve attestant des

11 opérations de piège systématiques d'expulsion, de destruction

12 intentionnelle de mosquées, de lieux de culte, d'autres bâtiments

13 religieux; tout ceci ayant été calculé sciemment pour veiller à ce qu'une

14 fois la fin du conflit arrivé, ceux qui avaient été expulsés n'auraient

15 plus aucune raison de revenir chez eux puisqu'ils n'y retrouveraient plus

16 rien du tout.

17 Et, comme dans l'Acte d'accusation précédent, vous trouverez la liste des

18 charges retenues contre cet accusé.

19 Pour retrouver un lien avec la Croatie, et en guise de post-scriptum,

20 revenons à un petit détail. Un témoin viendra vous dire qu'en tant que

21 membre des services de renseignement, il savait en 1995 que l'accusé avait

22 l'intention de ne plus soutenir la Krajina pour que celle-ci puisse se

23 retrouver une fois de plus sous le contrôle de la Croatie.

24 Est-ce que le contrôle de l'accusé est à ce point substantiel? C'est ce

25 que nous affirmons et ce que vous devrez établir après avoir examiné tous

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1 les moyens de preuve. Mais ce témoin peut nous aider davantage, parce que

2 lui ainsi que des milliers d'autres réfugiés serbes sont passés en Serbie.

3 En 1993, nous avons vu comment cet accusé était prêt à traiter son propre

4 peuple lorsque des éléments de son peuple ne répondaient pas à ses

5 attentes. Comment est-il prêt à les traiter? Est-ce qu'il les a accueillis

6 ou est-ce qu'il les a utilisés à ses propres fins?

7 Ces hommes n'ont pas été autorisés à quitter l'autoroute; ils ont été

8 arrêtés par des officiers de police qui triaient les hommes pour les

9 acheminer vers la Croatie, pour augmenter la population serbe là où il y

10 avait une minorité serbe. Ceci relevait, participait d'un plan général.

11 (Déclaration liminaire de l'accusation relative à l'Acte d'accusation du

12 Kosovo, par M. Nice.)

13 Parlons maintenant du Kosovo.

14 Est-ce qu'on peut remettre sur le rétroprojecteur la carte de la

15 Yougoslavie?

16 Le Kosovo n'est pas bien grand. Si l'on voit la géographie; vous allez le

17 constater à l'examen de cette carte.

18 En vertu du statut du TPIY -je vous ai parlé de l'acheminement de ces

19 personnes et je vous ai dit qu'elles étaient acheminées vers la Croatie;

20 j'aurais dû parler du Kosovo-, en vertu du Statut du TPIY repris dans

21 l'Acte d'accusation, nous avons les "Crime contre l'humanité, expulsion,

22 meurtre, persécution ainsi que violation des droits ou coutumes de la

23 guerre", meurtres notamment.

24 Hier, je vous ai donné les statistiques générales concernant le Kosovo.

25 Mais voyons le contexte historique du Kosovo. Pour cela, nous allons

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1 examiner une autre carte où apparaît le Kosovo avec, à ses frontières, le

2 Monténégro, la Serbie, l'Albanie. C'était une des deux provinces autonomes

3 de la RSFY.

4 Je vous l'ai dit hier, le Kosovo avait sa propre Constitution, son

5 gouvernement local, en tout cas, en vertu de la Constitution de 1974

6 jusqu'en 1989. C'était un territoire contesté pour le plus clair de son

7 histoire. Plusieurs affirmations sont faites s'agissant des ancêtres. Ce

8 territoire est resté sous régime ottoman ou turc, et puis était occupé par

9 l'empire austro-hongrois en 1915. Le retour des troupes serbes se fait en

10 1918. Le Kosovo devient une partie du Royaume des Serbes, des Croates et

11 des Slovènes.

12 Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est occupé par la Bulgarie,

13 l'Allemagne, l'Italie. Et à la fin de cette guerre, il est officiellement

14 rattaché, annexé à la Serbie. Il y a mixité ethnique au Kosovo où vous

15 avez bien sûr des Albanais du Kosovo, des Serbes, mais d'autres groupes

16 dont des Turcs, des Romani, des Bosniaques notamment.

17 Hier, je vous ai montré cet extrait de Kosovo Polje, où l'on disait: "Plus

18 un Serbe ne sera frappé" et je vous ai montré aussi un extrait de

19 l'allocution du 28 juin 1989.

20 Entre 1989 et 1992, l'autonomie du Kosovo ayant été démantelée par la

21 Serbie, ses institutions provinciales ayant été dissoutes, cela équivalait

22 à une prise de contrôle par la République de Serbie. Les Albanais du

23 Kosovo ont été limogés, démis de leurs fonctions, de leurs activités, de

24 leurs entreprises. La majorité des entreprises étant nationalisées, des

25 mesures discriminatoires sont appliquées avec un objectif très clair:

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1 celui de modifier l'équilibre ethnique au Kosovo. Et les Serbes peuvent

2 maintenant occuper des fonctions, même s'ils ne sont pas qualifiés pour

3 les exercer. On leur promet des logements, divers avantages pour les

4 attirer sur place. Et, effectivement, vous avez des réfugiés serbes qui

5 ont été envoyés sur le terrain, comme je vous l'ai rappelé après m'être

6 corrigé.

7 J'espère aborder l'aspect historique très rapidement, mais je dois quand

8 même m'attarder sur la question du Kosovo.

9 Nous reprenons ici la déclaration du 7 septembre 1990, déclaration par

10 l'Assemblée du Kosovo. Il y a eu un référendum officieux ou parallèle où

11 il y a eu un vote écrasant en faveur de l'indépendance. En mai 1992, se

12 tiennent des élections parallèles en vue de la création d'une Assemblée et

13 d'un Président pour ce qu'on va appeler "la République du Kosovo". C'est

14 donc un gouvernement parallèle, dont la politique se caractérise

15 essentiellement par une résistance non violente.

16 Hier, nous avons vu que, peu de temps auparavant, finalement après la mort

17 de Tito, il y avait eu effectivement cette réplique ou cette réponse de la

18 République du Kosovo. Face à cette "serbianisation" juridique, sociale et

19 économique du Kosovo, l'Assemblée serbe a dénoncé cette "albanisation" du

20 Kosovo qu'elle a qualifiée de "plus grand nettoyage ethnique qu'il y ait

21 eu en Europe", qui avait été exécutée en vue de séparer le Kosovo et

22 Metohija de la Serbie et de la Yougoslavie.

23 On disait à l'époque, en 1992, qu'il y avait beaucoup d'émigrants illégaux

24 venus d'Albanie qui s'étaient installés au Kosovo. Est-ce que ce n'était

25 pas là une interprétation de la réalité absolument détachée de ce qui se

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1 passait vraiment, quand on voit le nettoyage ethnique auquel se sont

2 livrés les Serbes en Bosnie orientale?

3 Nous allons ici passer directement aux Accords de Dayton en 1995.

4 Les Albanais du Kosovo non violents ont été déçus par ces Accords de

5 Dayton. Je vous ai dit qu'ici, il fallait nous distancier du monde de la

6 politique, mais certains se sont peut-être dit que "Dayton avait quelque

7 part récompensé certains aspects du nettoyage ethnique". Ce qui peut avoir

8 eu une incidence sur le point de vue selon lequel les Albanais du Kosovo

9 adoptaient, continuaient à adopter une position non violente.

10 Mais examinons ce qui s'est passé par la suite, pendant ces journées de

11 négociation pour la paix, dont l'accusé va certainement nous parler.

12 Il peut être utile de nous rappeler que, bien que Président de la Serbie

13 et Président de la Yougoslavie seulement plus tard, c'est cet accusé vers

14 lequel se sont tournés les responsables politiques entre 1991 et 1995. Il

15 est possible, comme je l'ai indiqué hier, que ceci ait été dû au fait que

16 c'est lui qui détenait le pouvoir à l'époque et qu'il était considéré

17 comme la personne capable d'exécuter les décisions. Il est possible aussi

18 que son charme, ou ce qui semblait une attitude raisonnable et modérée,

19 même si les apparences n'avaient rien à voir avec les faits sur le

20 terrain, ait joué également à cet égard.

21 "J'ai dit qu'il faut accorder du crédit à la paix en Bosnie et pas la

22 guerre", a-t-il dit, mais peut-être que ce n'est pas exactement à ce

23 moment-là qu'il a souhaité la paix plutôt que la guerre, car la paix et la

24 sécurité pour les habitants de la Bosnie, en présence de la moitié du pays

25 dévasté, se sont traduites par des sanctions sans fin et par la mise en

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1 place de ce qu'il est permis d'appeler une "machine de guerre".

2 Les Juges de cette Chambre se souviendront sans doute de ce que j'ai dit

3 hier, quand j'ai rappelé que les deux premières batailles étaient des

4 batailles qu'ils pouvaient se permettre de gagner, mais la dernière était

5 une bataille qu'ils ne pouvaient pas se permettre de perdre. Quelle que

6 soit donc les décisions que l'accusé a prises en 1995, celles-ci n'ont

7 aucun effet sur la participation qui est la sienne dans les événements

8 antérieurs qui se sont révélés être des crimes. J'ai déjà parlé des propos

9 du secrétaire d'Etat, Eagleburger, prononcés plusieurs années auparavant.

10 J'en ai assez dit au sujet de Dayton pour le moment, car ce qui

11 m'intéresse surtout, c'est l'incidence de Dayton sur le Kosovo et sur les

12 événements survenus au Kosovo par la suite.

13 Mais j'indiquerai toutefois ce qui suit: il aurait toujours été possible,

14 après la conclusion des Accords de Dayton, de voir cet accusé réfléchir à

15 la position qu'il a indiquée comme ayant été la sienne à l'époque; c'est

16 ce qu'il a dit aux Juges. Il lui aurait toujours été possible de traduire

17 en justice des hommes comme Sljivancanin, Mrksic, Mladic ou Arkan. Il

18 aurait pu le faire s'il avait été sincère.

19 Et la sincérité de cet homme devra être jugée par les Juges parfois à

20 l'aune non pas de ce qu'il a dit mais de ce qu'il a fait. En effet, les

21 hommes dont je viens de citer les noms, il leur a accordé un refuge en

22 Serbie, donc chez lui, et les a récompensés par des promotions et par la

23 possibilité de s'enrichir.

24 Suite à l'Accord de Dayton, en septembre 1996, un accord a été conclu par

25 l'accusé avec Ibrahim Rugova, le dirigeant des Albanais du Kosovo, accord

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1 portant sur des droits en matière d'éducation qui avaient été retirés aux

2 Albanais. Et certains ont espéré que cet accord allait être appliqué, mais

3 il ne l'a pas été. Malgré tout, Rugova a continué à appliquer une

4 stratégie non violente, sans grand succès.

5 Et c'est ainsi qu'à la mi-1990, une fraction des Albanais du Kosovo a

6 organisé un groupe que nous connaissons sous le nom de KLA, "Armée de

7 libération du Kosovo", UCK étant le sigle utilisé dans leur langue par les

8 Albanais du Kosovo. Ce groupe préconisait une campagne d'insurrection

9 armée et de résistance violente aux autorités serbes. A la mi-1996, la KLA

10 a commencé à lancer des attaques visant principalement les forces de

11 police serbe, ce qui entraîna de la part de la police serbe des réactions

12 traduites par des opérations dirigées contre les bases soupçonnées comme

13 étant des bases de la KLA et contre les partisans de la KLA au Kosovo.

14 En 1996, nous revenons en Serbie de façon générale, l'accusé a peut-être

15 ressenti une certaine pression quand les élections ne se sont pas conclues

16 à son avantage, ce qui s'est associé à des pressions économiques

17 également. Et, en novembre 1996 jusqu'en janvier 1997, ce fut l'époque de

18 grandes manifestations dirigées contre l'accusé. Le MUP de Serbie a eu

19 recours à la force contre les manifestants et l'homme dont j'ai déjà

20 parlé, Perisic, a résisté. Il a, en effet, fait savoir qu'il était contre

21 le recours à l'armée. C'est peut-être à ce moment-là que nous constatons

22 le début d'une division entre ces deux hommes et l'accusé. Entre Stanisic,

23 Perisic, d'une part, et l'accusé.

24 Si tel est le cas, l'accusé a-t-il commencé à se sentir vulnérable et ceci

25 peut-il servir à expliquer éventuellement certains des actes ultérieurs

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1 commis par lui?

2 Il appartiendra aux Juges de cette Chambre d'établir un certain nombre

3 d'événements, d'établir l'état d'esprit en se fondant sur des éléments de

4 preuve très sûrs, mais il est possible bien sûr que, lorsque les Juges

5 connaîtront mieux les points de vue, ce qui motivait cet accusé, ils

6 soient en mesure de penser de temps en temps que l'accusé est un homme

7 qui, lorsque les choses deviennent difficiles, peut tirer profit, par

8 exemple, du chaos de la guerre qui, ensuite, éventuellement, pourrait lui

9 permettre de reconstruire quelque chose de nouveau et d'aller de l'avant.

10 Eh bien, à ce moment-là, l'accusé était confronté à des difficultés chez

11 lui, difficultés multiformes qui se manifestaient y compris par la

12 dissension de certains des hommes qui le soutenaient auparavant. Est-il

13 possible, comme je l'ai signalé hier, que tout ceci ait été indicatif du

14 fait que le sort du Kosovo était désormais inévitablement ce qu'il devait

15 être.

16 S'agissant du Kosovo, l'accusé a dit très clairement qu'il n'y aurait pas

17 médiation internationale sur ce point, car le Kosovo était à son avis une

18 partie intégrante de la Yougoslavie et que cela devrait durer.

19 Milosevic a été élu au poste de Président de la République fédérale

20 yougoslave le 15 juillet 1997 et a pris ses fonctions à ce poste le 23

21 juillet.

22 A présent, il est temps d'examiner un autre organigramme, assez

23 préoccupant.

24 M. le Président (interprétation): Nous l'avons ce document? Nous devions

25 l'avoir, je crois.

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1 M. Nice (interprétation): Je crois que vous l'avez.

2 M. le Président (interprétation): Dans le nouveau jeu de documents que

3 vous nous avez fait distribuer?

4 M. Nice (interprétation): Oui, en effet, Monsieur le Président. Il devrait

5 s'y trouver, Monsieur le Président.

6 M. Robinson (interprétation): C'est la troisième pièce, le troisième

7 document dans ce nouveau jeu de documents. Merci.

8 M. Nice (interprétation): Ici, l'intitulé, le titre est différent de celui

9 que l'on trouvait dans les deux autres organigrammes, car en fait tout ce

10 qui s'est passé au Kosovo se passait aussi en Serbie.

11 Le titre ici est "Commandement de jure - Armée yougoslave - Ministère de

12 l'Intérieur serbe".

13 Dans la première case, en haute à droite, on a la mention du Conseil de

14 défense suprême. Nous en avons déjà parlé…

15 Ah! Excusez-moi. Tout le monde n'a pas reçu ce document?

16 L'accusé agissant de concert avec Djukanovic et Milutinovic, Présidents du

17 Monténégro et de la Serbie, ont donc créé ce Conseil de défense suprême.

18 Et la façon dont fonctionnait ce conseil sera démontrée grâce à des moyens

19 de preuve. Mais ce que l'on peut en dire, c'est ce qui suit: le président

20 commandait l'armée aussi bien en temps de paix qu'en temps de guerre, et

21 agissait en vertu de décisions prises par ce conseil. Comment cela s'est-

22 il traduit dans les faits? Bien sûr, tout dépend des hommes et de la

23 réelle indépendance ou pas de l'accusé mais, en tout état de cause -et il

24 en a parlé lui-même en tant que commandant en chef-, il est resté

25 commandant en chef et en conséquence, il avait le pouvoir de commander

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1 l'état-major. Notamment, le Général Ojdanic ainsi que le Général Pavkovic.

2 Ensuite, dans les étages inférieurs de l'organigramme, on trouve les noms

3 du général de brigade Lazarevic et du colonel Pesic. En dessous du conseil

4 de défense suprême, et sans lien avec lui, on voit mention, sur cet

5 organigramme, du Président de la Serbie, Milutinovic. Puis le Président de

6 la Serbie, Milutinovic, sans rapport avec les étages supérieurs de

7 l'organigramme, et en dessous de lui, le ministre de l'Intérieur,

8 Stojiljkovic, et puis le MUP.

9 En dessous, un certain nombre de divisions sont mentionnées: notamment la

10 division chargée de la sécurité de l'Etat dirigée par Markovic, l'unité

11 des opérations spéciales dirigée par Simatovic, qui était une unité de

12 combats. Et puis, on descend toujours dans l'organigramme en bas à droite,

13 et dans la division chargée de la sécurité publique, RDB, on trouve le nom

14 de Djordjevic.

15 Ensuite, on trouve les secrétariats à l'intérieur, avec les diverses

16 unités concernées ainsi que les unités antiterroristes: le SUP, le PJP et

17 le SAJ. Toutes divisions combattantes antiterroristes. D'après

18 l'accusation de ce Tribunal, quelle que soit la division technique qui ait

19 existé entre ces hommes et ces groupes, l'accusé avait une influence sur

20 l'ensemble de ces organismes, et il exerçait un contrôle effectif sur eux.

21 En tout cas, en vertu de la loi de la défense en tant que commandant de

22 l'armée, il avait l'avantage de contrôler toutes les unités en temps de

23 menace imminente de guerre ou en temps de guerre parce que son pouvoir

24 concernait le MUP et l'armée VJ, l'armée yougoslave.

25 M. Robinson (interprétation): Monsieur Nice, vous admettez que votre

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1 organigramme montre que son contrôle ne s'exerçait que sur certaines

2 unités?

3 M. Nice (interprétation): Je n'admettrai pas que son contrôle, son pouvoir

4 concret était confiné, était limité de quelque façon que ce soit. Ici dans

5 l'organigramme, on ne voit que la position de jure en temps de paix. En

6 temps de guerre, la subordination du MUP à l'armée yougoslave en tout état

7 de cause existait, donc son contrôle était tout à fait entier. Et les

8 éléments de preuve montreront qu'il exerçait un contrôle effectif à tout

9 moment sur toutes ces unités, mais ici c'est un organigramme qui montre

10 quelle était la situation du point de vue juridique.

11 M. Robinson (interprétation): Nous attendrons les autres éléments preuve.

12 M. Nice (interprétation): Absolument. Ici, il ne s'agit que de la

13 situation juridique. Cet organigramme est très court, très réduit.

14 J'espère que l'analyse des Juges de cette Chambre pourra se faire de façon

15 plus complète avec les éléments de droit et de fait. En temps que

16 Président, l'accusé avait des pouvoirs très importants.

17 En 1987, en août, manifestations d'étudiants à Pristina. En 1987…

18 M. le Président (interprétation): 1987?

19 M. Nice (interprétation): Excusez-moi, Monsieur le Président.

20 En 1997, en septembre, les choses ne s'améliorent pas, d'autres actions

21 sont organisées par les Albanais du Kosovo. Et en octobre 1997, la police

22 intervient dans une manifestation non violente d'étudiants à Pristina.

23 En octobre 1997, ce qui se passe, c'est la chose suivante: un dialogue

24 apparemment franc et ouvert s'instaure entre des représentants des

25 Albanais du Kosovo et l'ADB mais des manifestations d'étudiants se

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1 poursuivent. Et en novembre, comme les premiers témoins de cette affaire

2 vous le diront, les représentants du Gouvernement serbe, certains

3 représentants de ce gouvernement ont des contacts avec des représentants

4 des Albanais du Kosovo; et il est question d'accorder au Kosovo le statut

5 de République à l'intérieur de la Yougoslavie. En tout cas, cette question

6 est évoquée. Du côté de Belgrade, si l'on peut exprimer ainsi, cette

7 possibilité est rejetée d'emblée. En effet, on dit que si les Albanais

8 insistent pour présenter cette réclamation, cela signifiera la guerre.

9 Lors de cette réunion comme les témoins vous le diront, il est également

10 expliqué qu'il existe un plan, plan de la terre brûlée, qui peut être mis

11 en oeuvre du jour au lendemain, en 24 heures, aux fins de détruire les

12 villages albanais. Et le témoin qui viendra s'exprimer ici vous dira qu'on

13 lui a dit que l'accusé ainsi que Jovica Stanisic dont nous avons déjà

14 parlé, connaissaient l'organisation de cette réunion.

15 Une autre réunion du même type se déroule en décembre 1997. Ce jour-là, le

16 témoin qui viendra ici a parlé en privé à Stanisic. Stanisic a déclaré

17 qu'un cercle nationaliste serait créé autour de l'accusé et que

18 l'indépendance du Kosovo signifierait la guerre.

19 Janvier 1998… Les Juges de cette Chambre se souviendront bien sûr que

20 l'Acte d'accusation contre l'accusé relatif au Kosovo ne commence qu'en

21 1999, mais il est utile néanmoins de se rappeler certains événements de

22 1998.

23 En février, le conflit s'intensifie entre la KLA et les forces

24 représentant la République de Serbie. Un certain nombre d'Albanais et de

25 Serbes du Kosovo sont blessés et tués à ce moment-là. Les forces de la

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1 République recourent parfois aux pilonnages contre des villes et des

2 villages des Albanais du Kosovo et expulsent les populations hors des

3 villages où la KLA, ou UCK, était estimée agir.

4 En fait, selon les estimations des Nations Unies, à la mi-octobre 1998,

5 plus de 298.000 personnes, c'est-à-dire à peu près 15% de la population

6 totale avait été déplacée à l'intérieur du Kosovo, à moins qu'elle n'ait

7 été contrainte de quitter la province en raison des événements.

8 Dès le mois de mars 1998, le Conseil de sécurité des Nations Unies, dans

9 sa Résolution 1160, a condamné le recours à la force excessive par les

10 forces de police serbes contre les manifestants civils et pacifiques du

11 Kosovo et imposait un embargo contre la vente d'armes à la République

12 fédérale yougoslave.

13 Six mois plus tard, une autre résolution, la Résolution 1199, est adoptée

14 qui stipule que la détérioration de la situation au Kosovo constitue une

15 menace pour la paix et la sécurité dans la région. Il est exigé que toutes

16 les parties mettent un terme aux hostilités et que les forces de sécurité

17 employées pour réprimer les civils se retirent.

18 Il est assez clair qu'en conséquence de ce qui se passait, l'insurrection

19 armée obtenait un soutien plus important que par le passé. Et les

20 manifestations favorables à un Kosovo indépendant, manifestations souvent

21 assez importantes, se développaient.

22 J'ai déjà parlé d'un homme dont le nom a été cité à plusieurs reprises,

23 Vojslav Seselj. En mars 1998, Vojslav Seselj devient Premier ministre

24 adjoint de la Yougoslavie. Les Juges de cette Chambre se souviendront

25 qu'il est Président du Parti radical serbe, fondateur du Mouvement chetnik

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1 serbe et, dès lors, Premier ministre adjoint de la Serbie jusqu'à l'an

2 2000, donc pendant toute la durée de la guerre au Kosovo. Il était très

3 ouvertement partisan du plan de la Grande Serbie et approuvait le concept

4 du nettoyage ethnique du Kosovo.

5 Une attaque importante s'est déroulée en 1998 au Kosovo, agression de la

6 famille Ahmeti dans le lotissement de Likosane, où 16 personnes ont été

7 tuées et 10 autres encore tuées le lendemain.

8 J'ai utilisé le terme de lotissement: un lotissement au Kosovo est quelque

9 chose d'assez particulier. C'est un endroit où l'on trouve des habitations

10 qui abritent plusieurs générations vivant au même endroit. Autour de

11 chacune de ces habitations, on trouve des murs qui, en fait, enferment

12 cette habitation plurigénérationnelle dans un seul tout. Je crois que nous

13 verrons une image de ces habitations assez typiques des Albanais du Kosovo

14 durant le procès.

15 Entre le mois de mars et la fin de 1998, Perisic et Stanisic suggèrent que

16 l'accusé devrait conclure un accord avec le dirigeant des Albanais du

17 Kosovo, Rugova. Mais, dans le même temps, les forces spéciales du MUP et

18 les unités antiterroristes sont envoyées au Kosovo pour s'occuper de

19 l'UCK.

20 C'est à peu près au même moment que l'on entend l'accusé déclarer que "le

21 nombre réel des Albanais du Kosovo est égal à environ 800.000". Or, les

22 Juges de cette Chambre se souviendront qu'hier, j'ai expliqué qu'en raison

23 du fait que cette population avait boycotté le recensement de 1991, on ne

24 dispose que d'appréciations, d'estimations quant au chiffre réel de la

25 population albanaise du Kosovo à l'époque. C'est pourquoi vous entendrez

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1 ici, en qualité de témoins, des démographes notamment.

2 Mais il peut s'avérer en tout cas que le chiffre réel soit très éloigné du

3 chiffre cité par l'accusé, 800.000? Pourquoi a-t-il cité ce chiffre?

4 Pourquoi a-t-il cherché à convaincre, si c'est cela qu'il cherchait à

5 faire? Pourquoi a-t-il cherché à convaincre que la population des Albanais

6 du Kosovo était réduite? Etait-ce en raison de ce qu'il espérait voir

7 survenir par la suite? Ou était-ce pour rendre moins effrayante l'idée

8 qu'il allait mettre en pratique, à savoir déplacer par la force un grand

9 nombre de ces habitants albanais du Kosovo?

10 Ce qu'il a dit au témoin dont j'ai parlé précédemment déjà, il l'a dit

11 également à deux autres témoins. Les Juges de cette Chambre se demanderont

12 peut-être si, dans son esprit, ne voyait pas le jour une stratégie de

13 sortie pour les problèmes du Kosovo; une stratégie de sortie,

14 d'échappatoire qui correspondrait un peu à ce qui s'est passé en Bosnie.

15 En effet, sur la base d'un accord, la partie serbe de la Bosnie était

16 restée pratiquement monoethnique, et ce, au profit des Serbes.

17 Donc l'accusé a peut-être pensé que les reproches qui lui avaient été

18 faits étaient oubliés. Il est possible qu'il ait pensé qu'après une

19 décennie de peuplement par des Serbes au Kosovo, de Serbes qui

20 s'installaient là, après avoir été trompés quant aux avantages qu'ils y

21 obtiendraient, il est possible qu'il ait pensé que, vu l'échec de ce

22 peuplement, il convenait d'agir autrement, de faire autre chose.

23 Monsieur le Président, je crois que le moment est peut-être arrivé?

24 M. le Président (interprétation): Vous en aurez terminé complètement avant

25 la prochaine pause?

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1 M. Nice (interprétation): Oui, certainement, Monsieur le Président.

2 M. le Président (interprétation): A ce moment-là, nous entendrons M.

3 Ryneveld?

4 M. Nice (interprétation): Oui, vous entendrez M. Ryneveld vous parler des

5 lieux où les crimes ont été commis.

6 M. le Président (interprétation): Merci. Nous suspendons jusqu'à 11 heures

7 30.

8 (L'audience, suspendue à 11 heures, est reprise à 11 heures 32.)

9 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, c'est à vous.

10 M. Nice (interprétation): En 1998, au début de la période couverte par

11 l'Acte d'accusation, vous allez entendre parler d'une attaque menée contre

12 la propriété de la famille Jashari, au cours de laquelle 54 personnes ont

13 été tuées. Il est clair qu'il y avait là des membres de l'UCK ou un membre

14 de l'UCK ou peut-être des criminels, mais ceci ne justifie pas la force

15 utilisée contre cette propriété.

16 Nous disposons d'une photographie de cette construction, ainsi que des

17 personnes qui ont été tuées. Ensuite, nous aurons une lettre ou la

18 référence à une lettre envoyée par Perisic à l'accusé; c'est un témoin qui

19 nous remettra cette lettre, un témoin qui était protégé, mais dont le nom

20 a été maintenant révélé à l'accusé. Il sait donc d'où vient cela. Ceci

21 explique que la stratégie au Kosovo, c'était de produire des victimes, de

22 détruire des villages, ce qui ensuite mènerait à une rébellion. Ce sera à

23 la Chambre de décider si cette lettre est véridique.

24 En avril 1998, le MUP et la VJ bombardaient un bâtiment, le bâtiment de

25 Decani, en dépit de recommandations des commandants locaux d'avoir recours

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1 à une attaque chirurgicale.

2 Le premier témoin que nous allons appeler a rencontré l'accusé en avril

3 1998. L'accusé lui a parlé de terroristes dont il souhaitait la

4 destruction. Il y a eu des négociations au sujet de la position des

5 Albanais du Kosovo. Le témoin a dit à l'accusé que ces attaques contre le

6 terrorisme faisaient des victimes civiles. Donc là, on lui a signalé

7 quelle était la situation.

8 En mai 1998, cinq Albanais ont rencontré l'accusé ainsi que son chef du

9 cabinet; ils ont parlé de l'attaque contre la propriété Jashari; ils ont

10 dit qu'il s'agissait là d'un exemple de brutalité policière. Ce qui est

11 intéressant, ce qui rend cet incident singulièrement pertinent, c'est que

12 l'accusé semblait particulièrement bien au courant de ce qui s'était

13 passé. Il a dit qu'il y avait une enquête et il a dit –je cite-: "J'ai

14 beaucoup de problèmes, j'ai beaucoup de nationalistes autour de moi, mais

15 nous allons résoudre ces problèmes". (Fin de citation.) Et il affirmait

16 qu'il contrôlait parfaitement la situation au Kosovo.

17 Nous disposons de preuves montrant qu'on a procédé à l'armement de la

18 population serbe du Kosovo, en préparation à ce qui devait se produire

19 ensuite. Et il existe un document -je ne crois pas que nous allons le

20 montrer tout de suite- qui montrait la façon dont les armes devaient être

21 distribuées à la population serbe et monténégrine.

22 Au printemps et à l'été 1998: intervention très énergique contre l'UCK

23 avec pilonnage des villages, recours à des unités paramilitaires.

24 Et en juin 1998: début de certaines attaques contre le village de Racak,

25 qui bien entendu fait partie de l'histoire du Kosovo. Et il est possible

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1 qu'il y ait eu des membres de l'UCK; ce qui explique pourquoi Racak a été

2 ainsi ciblé.

3 En juin 1998 -nous avons des pièces à conviction à ce sujet-: un ordre de

4 la 125e Brigade motorisée. Le commandement conjoint a été créé à cette

5 époque-là et donc on peut lire: "Suite à un autre ordre du commandement

6 conjoint, nous devrons augmenter l'intensité dans nos actions, etc. "

7 Je suis désolé de ne pas pouvoir passer en revue les documents dans tous

8 leurs détails, sinon ma déclaration liminaire durerait trop. Mais ce qui

9 compte, par exemple aussi pour les discours, c'est dans quel contexte ils

10 ont été prononcés. La Chambre en sera informée ultérieurement.

11 Maintenant, en ce qui concerne le commandement conjoint et le QG conjoint,

12 cela comptait Milutinovic, Pavkovic, Lukic, Sainovic, Stanisic et

13 d'autres.

14 Est-ce que la création du commandement conjoint a été un tournant? Est-ce

15 que cela devait entraîner les événements de 1999? Est-ce qu'il s'agissait

16 d'un moyen de combattre la résistance de l'accusé ou plutôt d'utiliser, de

17 manière illégale, l'armée? Les témoins nous le diront. Un témoin a dit que

18 le MUP travaillait contre la population civile; l'accusé nous dit que la

19 seule cible, c'était l'UCK; l'accusé l'a nié. Cela a toujours été son

20 explication, mais nous y reviendrons en temps utile. Bon, je ne vais pas

21 entrer dans les détails à ce sujet.

22 Le 28 juillet 1998, Petar Ilic, chef de l'administration de la Défense de

23 Pristina, a délivré à l'intention de toutes les municipalités du Kosovo

24 les réglementations relatives au commandement conjoint du Kosovo pour la

25 défense des zones habitées. Et il a expliqué qu'il faudrait avoir recours

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1 à l'utilisation de la force avec le soutien du MUP, etc. Donc, dès ce

2 départ, on avait prévu de faire un tri parmi la population, de faire appel

3 à l'armée. Et tout ceci relevait du commandement conjoint du Kosovo.

4 J'avance en essayant d'aller un petit peu plus vite.

5 Le 24 juin 1998, c'est-à-dire avant l'Acte d'accusation, le capitaine

6 Srdan Perovic du secrétariat du MUP de Pec a fait rapport au sujet de

7 l'opération "Tonnerre" qui a eu lieu du 29 mai, entre le 29 mai et 20 juin

8 1998. Et il a dit que les sections de la 3e Compagnie du 24e Détachement

9 du PJP avaient été subordonnées à la JSO, c'est-à-dire les "Hommes de

10 Frenki". Frenki, un homme dont nous avons entendu parler précédemment.

11 Encore une fois, des connexions qui apparaissent clairement. Ce capitaine

12 a nié que, pendant ces opérations, quiconque ait incendié, pillé ou démoli

13 des bâtiments quels qu'ils soient.

14 Pourquoi, demandons-nous, pourquoi est-il nécessaire d'indiquer cela dans

15 un rapport?

16 En juillet 1998: attaque très violente du MUP et de la VJ sur Dulje à

17 Jumic; 30.000 Albanais fuient. Dans le même temps, dans des endroits très

18 éloignés, dans la province, des événements se déroulent qui semblent

19 indiquer que, dès ce moment-là, les opérations étaient coordonnées.

20 Pendant ce temps-là, on continue à armer les civils serbes; nous

21 entendrons beaucoup de témoins à ce sujet. Des armes sont distribuées à

22 Mitrovica; quelque 7.400 armes sont distribuées aux réservistes de la

23 police à Kosovska, Mitrovica, dans la zone du SUP qui comprend plusieurs

24 municipalités.

25 Je crois que je vais un peu vite et je vous prie de m'en excuser.

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1 "En août 1998, la mission des observateurs diplomatiques du Kosovo, ainsi

2 que d'autres diplomates, interviennent sur ce théâtre. Et souvent le MUP

3 et l'armée entravent la liberté de circulation de ces diplomates et de ces

4 observateurs en leur disant qu'ils le font pour préserver leur sécurité.

5 De ce fait, ces observateurs ne sont en mesure que de vérifier les

6 bombardements et l'utilisation excessive de la force après coup et à

7 distance."

8 Donc la Chambre n'aura aucun doute quant à l'emploi dès cette époque de

9 l'artillerie lourde du MUP et de l'armée.

10 On peut voir des exemples de ce type d'opérations à Istok et à la prison

11 de Dubrava qui se trouve au nord-ouest de la province. Et on va très

12 souvent en parler dans le cadre de la présentation des faits incriminés

13 dans cette affaire.

14 Il y avait des faits de pillage, d'incendies qui sont attribués au MUP et

15 aux forces spéciales du MUP, les PJP. Ceci s'est passé pendant l'été.

16 L'accusé, quand on lui parle de ces événements, nie que ces activités

17 aient eu lieu. Il nie le fait que les gens s'enfuient devant la police. Et

18 lorsqu'on lui dit qu'il y a des Albanais qui traversent la frontière, il

19 dit que ce sont des histoires inventées de toutes pièces pour une raison

20 ou pour une autre.

21 En été 1998, près de 200.000 Albanais du Kosovo ont été expulsés et ils

22 errent dans la province. Ils se réfugient dans les villes et dans les

23 villages qui sont toujours contrôlés par le Gouvernement. Ils sont très

24 nombreux à rester habiter à l'extérieur, sans aucun endroit pour

25 s'abriter, dans des zones qui sont tenues par l'UCK.

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1 Vous entendrez parler de ces personnes déplacées, de ces personnes

2 expulsées dans le cadre de la présentation des moyens de preuve.

3 Pour ce qui est des pillages, parce qu'il y avait parfois des pillages à

4 l'encontre des Albanais du Kosovo, jamais le MUP n'est intervenu de

5 manière satisfaisante pour les défendre.

6 En septembre 1998, à Golubovac, quelque 14 Albanais du Kosovo sont alignés

7 et abattus par des forces spéciales du MU.

8 En septembre 1998, le 28 de ce mois, le Premier ministre Mirko Marijanovic

9 déclare en public que "les forces du Gouvernement ont repris le contrôle

10 du Kosovo sans opposition et que la rébellion de l'UCK est avortée. La

11 paix est revenue au Kosovo." C'est ce qui est dit.

12 Bien entendu, divers documents et la réalité nous prouvent le contraire et

13 nous montrent que l'armée territoriale se mobilisait, que le MUP faisait

14 appel à ses réservistes, qu'on avait entrepris des efforts très énergiques

15 pour susciter des tensions. Et l'armée faisait parfois appel aux mêmes

16 personnes qui étaient mobilisées par le MUP. Donc la paix n'était

17 absolument pas revenue au Kosovo.

18 Le 29 septembre 1998, Paddy Ashdown dit à l'accusé que "ses troupes sont

19 en infraction aux Conventions de Genève". Cette conversation vous sera

20 très utile parce que M. Ashdown a une expérience qui pourra se révéler

21 très utile pour nous.

22 Ceci a entraîné des négociations entre M. Holbrooke et l'accusé, avec

23 l'intervention du général Naumann et du général Clark, tous deux généraux

24 de l'OTAN. Le général Clark a parlé en détail de ces événements dans son

25 livre. Nous entendrons ici même le général Naumann.

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1 Quand on entend Milosevic parler des Albanais, il déshumanise ce groupe et

2 il incite au nettoyage ethnique.

3 Et un témoin nous dira que l'accusé contrôlait non seulement l'armée mais

4 le MUP. Il nous parlera aussi du rôle du vice-Premier ministre Sainovic,

5 aussi bien sur l'armée que sur le MUP.

6 En octobre 1998, Stanisic est remplacé par Markovic à la tête de la

7 sécurité d'Etat du MUP serbe. Il s'agit d'un de ces nombreux remplacements

8 à des postes-clé dans l'armée et au MUP, qui résultaient de la nécessité

9 pour l'accusé de se débarrasser de ceux qui s'opposaient à sa politique au

10 Kosovo. Il semblait que le rôle de l'armée devait être plus consistant au

11 Kosovo que ne le souhaitait le prédécesseur de la personne ainsi

12 remplacée. A l'extérieur, l'accusé participe à contrecœur à des

13 négociations pour un règlement politique du Kosovo, mais dans son pays il

14 fait face à des opposants.

15 Et par tous les documents que nous montrerons, nous ferons clairement voir

16 ce qui se passe: on désarme une partie de la population, on arme l'autre

17 partie de la population.

18 Nous verrons que l'accusé a dit qu'il fallait traiter les Albanais, comme

19 on l'avait fait en 1946, les Albanais qu'il qualifie d'assassins et de

20 bandits. Et il a ajouté qu'"en 1946, il avait fallu tous les tuer; cela

21 avait pris plusieurs années, mais on les avait tous tués".

22 On ne comprend pas bien ce qu'il veut dire par là, mais il faut savoir

23 qu'en 1946, il y avait une contre-insurrection au Kosovo au cours de

24 laquelle un grand nombre de communautés et de villages avaient été

25 détruits.

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1 Il y a eu un accord entre Holbrooke et Milosevic au sujet de la mission de

2 vérification de l'OSCE au Kosovo, un accord qui a été signé en octobre

3 1998 par le président de l'OSCE, M. Geremek, et le ministre des Affaires

4 étrangères de la République, M. Jovanovic.

5 Cet accord, ainsi qu'un accord passé entre le général Clark et le général

6 Naumann, et qui a été signé par Sainovic et le général Djordjevic du MUP,

7 ainsi qu'un autre accord entre le KDOM, ont stipulé que les forces de la

8 RFY devaient se retirer en partie du Kosovo, et cela prévoyait aussi de

9 limiter l'arrivée de nouvelles forces et d'équipements dans la zone, avec

10 également le déploiement d'observateurs non armés de l'OSCE.

11 A ce stade, est-ce que la police était véritablement présente au Kosovo?

12 Eh bien, oui, dans des proportions très importantes. On pourra le voir

13 grâce aux éléments que nous allons présenter.

14 En octobre 1998, il y avait environ 14.000 policiers en uniforme au

15 Kosovo, plus 2.000 autres. Plus de 4.500 de ces policiers venaient de

16 l'extérieur du Kosovo et, parmi eux, on trouvait des unités spéciales

17 antiterroristes.

18 La mission de KVM a mené des… a vu son ambassadeur participer à une

19 rencontre avec l'accusé, au cours de laquelle il a dit que les Albanais

20 représentaient moins de 50% de la population du Kosovo. J'en ai déjà parlé

21 précédemment.

22 En octobre 1998, Perisic a dit en privé que ce qui se passait au Kosovo

23 était le résultat d'un seul homme. Lors d'une réunion qui a eu lieu en

24 octobre 1998, ce même général, le général Perisic -qui généralement était

25 quelqu'un qui avait une attitude très dure- s'est montré beaucoup plus

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1 conciliant lorsqu'il y a eu une conversation privée; il a dit qu'il était

2 conscient que l'OTAN risquait de détruire l'armée. Or, pour lui, l'armée

3 était une des seules institutions démocratiques en Yougoslavie. Il n'était

4 donc pas prêt à ce que l'on utilise l'armée pour le type d'opérations que

5 l'on prévoyait. Il a fait clairement savoir que c'est l'accusé qui avait

6 toute autorité de signer des traités ou des accords quels qu'ils soient et

7 personne d'autre. Des chars et des pièces d'artillerie ont continué à être

8 utilisés… Excusez-moi. Lors d'une réunion ultérieure, il a été rendu très

9 clair aux Serbes que l'utilisation de chars et d'artillerie n'était pas

10 acceptable contre les civils et les villages et que, si cela continuait,

11 l'OTAN interviendrait.

12 L'accusé a rejeté toutes les allégations ainsi portées; il a affirmé que

13 les forces serbes agissaient dans le cadre de la loi. Et a priori -j'ai

14 déjà parlé de théorie, mais la Chambre se fera son idée-, il semble d'une

15 certaine manière que l'accusé obtenait tout ce qu'il voulait, c'est-à-dire

16 une autre guerre qui lui permettrait d'obtenir ce qu'il voulait.

17 Mais on pourrait avoir une vision différente des choses. En effet, il

18 faisait preuve de beaucoup de nervosité à ce moment-là; donc s'il était

19 nerveux, peut-être était-ce parce qu'il s'apprêtait à prendre un risque,

20 un risque qui impliquait la vie d'autres personnes qu'il ne considérait

21 pas comme un risque aussi important que le risque qu'il prenait lui-même.

22 Risque qui impliquait sa propre carrière. En tout cas, quoi qu'il en soit,

23 il a rejeté la réalité de la possible intervention de l'OTAN.

24 Le commandement conjoint: j'en ai déjà parlé précédemment. On le retrouve

25 dans un rapport du 16 octobre 1998, où il est dit qu'il y avait le risque

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1 que des Albanais extrémistes parviennent à faire entrer des appareils

2 photos par le biais des représentants de l'OSCE, cela afin de fournir des

3 éléments de preuve documentaires au sujet de crimes allégués et

4 d'utilisation excessive de la violence et de la force par les organes de

5 l'Etat contre les civils albanais. Ceux qui ont écrit ce rapport

6 s'inquiétaient beaucoup plus sur le fait que les crimes pourraient être

7 dévoilés, révélés, que par la perpétration même de ces crimes.

8 Nous en arrivons ensuite à une réunion qui a eu lieu les 24 et 25 octobre.

9 Réunion à laquelle a participé Naumann, l'accusé, ainsi que d'autres, où

10 on lui a dit que les armes étaient prêtes; on lui a dit qu'il y avait

11 pilonnage des villages par des pièces d'artillerie. Il a demandé à Perisic

12 de dire que ce n'était pas le cas, mais Perisic, en privé, a demandé aux

13 autres participants de trouver une solution avec l'accusé. L'accusé s'est

14 montré d'accord sur le principe, mais finalement, il n'a jamais signé

15 l'accord qu'on lui proposait.

16 Si bien qu'en octobre, l'accusé exerçait son contrôle sur l'armée, sur le

17 ministère fédéral de la Défense; il exerçait un contrôle de fait sur le

18 MUP. Il a désigné Sainovic, un allié de longue date, en tant que son

19 représentant au Kosovo, Sainovic qui était un des vice-premiers ministres

20 au niveau fédéral. Et il a entrepris d'augmenter la coordination entre le

21 MUP, l'armée, la défense locale, la défense civile, etc., par ordre donné

22 au commandement conjoint dirigé par Sainovic.

23 Les Serbes et les Monténégrins étaient armés et le MUP et l'armée

24 continuaient leurs opérations. A cette époque, un représentant officiel a

25 pu assister à l'attaque par le MUP du village de Makrmal.

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1 La question qui se pose toujours quand se produit ce genre d'événements,

2 c'est la suivante: s'il s'agissait d'une attaque contre l'UCK, pourquoi

3 détruire un village dans son intégralité?

4 Le processus de désarmement des Albanais du Kosovo se poursuivait. Nous

5 avons des preuves qui montrent qu'ils ont été contraints de remettre leurs

6 armes.

7 En novembre, le général Dimitrijevic a dit à un témoin dénommé Crossland,

8 un attaché militaire que Perisic allait voir l'armée au Kosovo, en leur

9 disant de ne pas réagir aux provocations, mais qu'un homme dénommé

10 Pavkovic pouvait agir en dehors du commandement de l'armée. Et que s'il le

11 faisait, c'est qu'il le faisait sur ordre de l'accusé, par le biais de

12 Sainovic. Il a reconnu que l'armée avait dépassé la mesure cet été-là.

13 En novembre, l'accusé a procédé à des modifications, à des changements

14 très importants parmi les postes-clés de ceux qui l'entouraient. Le chef

15 d'état-major a été remplacé par le général Ojdanic. Ceci a été accompagné

16 du remplacement du général Samardzic par le général Pavkovic en tant que

17 commandant de la 3e Armée, et la promotion du général Vladimir Lazarevic

18 au poste du commandement du Corps de Pristina, qui était désormais vacant

19 vu la promotion de Pavkovic.

20 Ce que nous voyons maintenant à l'écran, c'est une photographie du général

21 Ojdanic. Des commandants dociles, comme Ojdanic et Pavkovic, étaient

22 nécessaires pour l'accusé s'il voulait engager à fond l'armée et le MUP

23 dans les offensives du Kosovo. Il est intéressant de constater qu'on avait

24 repéré Ojdanic lors de meetings du parti qui était associé à la femme de

25 l'accusé. Pavkovic était présent lors de manifestations ou de soirées

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1 organisées par le SPS, aussi bien avant qu'après la guerre de 1999.

2 En novembre, la mission d'observation au Kosovo a déployé des observateurs

3 dans le cadre de la mise en place de l'Accord Holbrooke-Milosevic mais les

4 violences se sont poursuivies.

5 En ce qui concerne Sainovic, il a joué un rôle très actif dans les

6 négociations avec l'OSCE: il a participé à bien d'autres réunions. Il a

7 servi d'officier de liaison ou de liaison entre l'accusé et les dirigeants

8 albanais du Kosovo, il exerçait un contrôle sur beaucoup d'intervenants.

9 C'est un homme qui a joué un rôle considérable dans toute cette histoire.

10 A la fin 1998 ou au début 1999, que se passe-t-il? Lorsqu'on lui dit qu'on

11 a vu un officier du MUP s'enfuir avec une remorque pleine de biens pillés,

12 et que d'autres officiers du MUP mettaient le feu à un village avec de

13 l'essence, l'accusé s'est agité, il a dit que c'était complètement

14 inacceptable. Il a pris les choses en main, il a ordonné à quelqu'un de

15 déplacer l'unité dont on disait qu'elle avait commis ces actes. C'est une

16 réaction intéressante mais qui n'est finalement pas si bizarre que cela.

17 Parce que des choses bien pires allaient se produire au Kosovo. Est-ce

18 qu'à ce moment-là il a fait preuve de son sens de la responsabilité?

19 Pourquoi simplement déplacer cette unité? Pourquoi, conformément à ses

20 obligations, ne pas procéder à une enquête, sanctionner et prévenir ce

21 type d'événement à l'avenir?

22 En janvier 1999, bien que nombre de vérificateurs de l'OSCE déployés au

23 Kosovo observent la poursuite des hostilités, les choses continuent. Et on

24 constate de nombreux cas de tueries parmi les Albanais du Kosovo. L'un de

25 ces incidents, de triste mémoire, c'est celui du village de Racak, qui se

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1 trouve assez loin de la ville la plus proche. Il n'y avait qu'une seule

2 route pour entrer et sortir de ce village. Racak donc se trouve dans la

3 municipalité Stimlje.

4 Que s'est-il passé? Racak a été pilonné, et les habitants du village qui

5 voulaient s'enfuir ont été abattus. 25 hommes qui ont été trouvés dans un

6 bâtiment, ont été amenés jusqu'à une colline voisine et ils ont été

7 abattus. Entre autres, 40 personnes ont été tuées au total. Il est clair

8 que l'UCK était présente à Racak. Et on sait également qu'un policier

9 avait été tué. On pourrait même dire que c'était peut-être l'UCK qui avait

10 fait cela, il s'agirait donc d'une attaque de représailles. Cette attaque

11 ne figure pas dans l'Acte d'accusation; cependant, elle fera l'objet d'une

12 enquête dans le cadre de la présentation des éléments de preuve car elle

13 peut être significative dans ce qui allait se passer et la Chambre se

14 satisfera du fait que c'était une attaque complètement injustifiée.

15 Nous avons là un document du 15 janvier 1999. Il vient du ministère de

16 l'Intérieur de la République de Serbie, et dit ceci: "On fait le point des

17 événements des activités qui se sont déroulées, qui commencent à 3 heures,

18 le 15 janvier. Des mesures sont prises pour encercler le village de Racak,

19 en vue de capturer et de détruire le groupe de terroristes qui, d'après

20 nos informations, sont coupables de plusieurs attaques terroristes qui ont

21 des conséquences mortelles sur le territoire de Racak. A 6 heures 30, le

22 village a été tout à fait encerclé. Et puis, plusieurs terroristes

23 albanais ont été liquidés. Il n'y a pas eu de civils blessés ni exécutés

24 pendant cet événement".

25 C'est tout à fait faux. Est-ce le cas? C'est à vous de décider, Messieurs

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1 les Juges.

2 Voici certaines images qui vous montrent quels furent les résultats de

3 cette action.

4 Un membre du secrétariat du MUP a dit à un témoin qu'il était

5 effectivement responsable de l'attaque menée sur Racak, comme le montre à

6 certains égards ce document que nous venons d'examiner. Peu de temps après

7 Racak, l'accusé a dit à un témoin, qui était un haut responsable

8 politique, que les enquêtes montreraient que -je le cite-: "Nos gens ne

9 sont pas responsables de ceci". Donc, manifestement ici, on a le résultat

10 d'une enquête avant que celle-ci ne soit menée. Ce même témoin vous dira

11 -je le cite-: "Le Kosovo est plus important que ma tête".

12 Le général Naumann vous expliquera comment, le 18 janvier 1998, l'accusé a

13 fait l'objet de consultations confidentielles; il a dit qu'il pouvait

14 résoudre le problème du Kosovo par des moyens militaires en peu de temps.

15 A ce moment-là, des personnes innombrables, et par des filières

16 innombrables, avaient informé l'accusé de ce que les moyens qu'il

17 utilisait au Kosovo étaient des moyens criminels et qu'il allait engendrer

18 des souffrances généralisées dans la population civile. Et pourtant, il a

19 dit, alors que ses hommes lui disaient qu'il ne faisait que provoquer des

20 recrutements pour l'UCK et qu'il affaiblissait la voix des modérés parmi

21 les Albanais du Kosovo, il parlait de l'utilisation de moyens militaires.

22 Est-ce qu'il avait en tête une autre démarche, une autre possibilité ou

23 est-ce qu'il anticipait déjà sur la solution finale qu'il allait adopter?

24 Troisième réunion entre Naumann et d'autres et l'accusé, le 19 janvier. En

25 ce qui concerne Racak, en particulier. On lui remet une liste des

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1 incidents, on montre qu'il y a eu recours vraiment de façon

2 disproportionnée à la force. Il a dit qu'il a examiné la question.

3 Le 29 janvier, douze personnes sont tuées à Rugova, Djakovica.

4 Sainovic, ainsi que le Président de Serbie, Milutinovic, participent aux

5 négociations de Rambouillet. Les éléments de preuve vont vous convaincre

6 de ceci: alors que le monde entier retenait son souffle, ces négociations

7 n'ont pas été sincères. Et, de toute façon, que ce soit à Rambouillet ou

8 ailleurs, les personnes qui représentaient les autorités n'avaient pas le

9 pouvoir de mener ces négociations.

10 Certains témoins pensaient que certains membres de la délégation serbe ont

11 fait preuve d'une bonne conscience, ont vraiment essayé de faire un

12 effort, mais d'autres vous diront aussi, soyons justes et équitables, "que

13 les Albanais ont peut-être eu quelques hésitations à signer". Il faudra

14 voir le problème et l'éclairer de tous les côtés. Mais on peut croire que

15 vraiment l'accusation vous invite à penser qu'il n'y a pas eu vraiment de

16 sincérité de la part de ceux qui menaient ces négociations. Ces

17 négociations se poursuivaient, ainsi que les violences d'ailleurs, sur le

18 terrain; et la Serbie lançait toute une série d'offensives contre de

19 nombreux villages et villes albanais du Kosovo.

20 Le 10 mars, l'accusé a dit ceci, s'il n'avait pas signé en octobre, "on

21 aurait pu régler le problème en l'espace d'une semaine". Je suppose ici

22 qu'il parlait du problème posé par l'UCK. Et il a rejeté toutes

23 comparaisons qu'on pouvait faire à l'époque entre le Vietnam et

24 l'Afghanistan, puisque lui, disait savoir comment faire.

25 Le 20 mars, la majorité du parti à l'assemblée serbe a rejeté ce qui a été

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1 qualifié d'Accord de Paris.

2 La situation n'avait pas changé au Kosovo. Pendant toute la durée des

3 négociations de Rambouillet et de Paris, des forces de la RFY et de la

4 Serbie s'amassaient aux frontières. Personne ne contestera que la

5 Yougoslavie avait légitimement le droit de se préparer à se défendre s'il

6 y avait l'attente d'une campagne dirigée contre elle; personne ne

7 contestera que la Yougoslavie avait le droit de se préparer à des combats

8 s'il n'y avait insurrection armée sur son territoire.

9 Mais l'accusé avait dit, à au moins un témoin, qu'il avait l'intention de

10 trouver une solution définitive à la question du Kosovo. Celle-ci

11 consistait à utiliser ses forces militaires. Il ne pouvait pas s'empêcher

12 de révéler l'obsession qu'il avait, s'agissant de la répartition

13 démographique au Kosovo. La population serbe du Kosovo avait été

14 mobilisée, les Albanais désarmés. Est-ce que cette campagne de l'OTAN,

15 qu'il avait presque provoquée, ne lui donnait pas l'occasion de réaliser

16 les objectifs qu'il poursuivait, tout en donnant l'apparence de défendre

17 son pays?

18 Un participant aux pourparlers de Rambouillet, qui faisait partie de la

19 délégation serbe, a dit ceci: "Si l'OTAN lâche ses bombes au Kosovo, il y

20 aura effectivement un massacre". Ce ne sont pas là les mots prononcés par

21 l'accusé, mais si ceci devait se réaliser, tous les préparatifs avaient

22 été prévus. Et même s'il n'y avait pas de plan sournois destiné à

23 provoquer cette violence extérieure contre le Kosovo, afin de justifier

24 l'expulsion des Albanais, il reste injustifiable que les événements se

25 soient produits comme ce fut le cas. Il était impossible de parvenir à un

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1 accord.

2 De ce fait -nous l'avons vu-, les véhicules orange des observateurs de KVM

3 se sont retirés du Kosovo, et même avant que ne tombent les bombes de

4 l'OTAN, les forces de la RFY et de la Serbie ont commencé leurs attaques

5 systématiques contre la population albanaise. Vous aurez suffisamment

6 l'occasion de vous en convaincre quand vous entendrez ce que va vous dire

7 M. Ryneveld.

8 L'accusé, manifestement, n'était pas intéressé à poursuivre d'autres

9 discussions. A la veille même de la guerre, il a procédé à des mutations

10 importantes de personnel. Il a remplacé la tête de l'armée par les

11 services de renseignement, le général Dimitrijevic par le général Farkas.

12 Le 23 mars, il déclarait qu'il y avait menace imminente de guerre et ce

13 qui, en droit -nous l'avons vu-, fait que le MUP est subordonné à la VJ.

14 Et le 24 mars, le Premier ministre de la République fédérale déclare

15 l'état de guerre.

16 Nous faisons valoir ceci: la décision avait déjà été prise d'annihiler

17 l'UCK et de dépeupler des parties importantes du Kosovo de sa population

18 albanaise.

19 A la veille du conflit, quelles étaient les forces de la RFY et de la

20 Serbie? Il y avait plusieurs brigades, il y avait les éléments de la 3e

21 Armée, notamment le 52e Corps, le Corps de Pristina. Nous examinons ici

22 les éléments de la VJ. De plus, il y avait des forces de police qui

23 participaient à ces opérations. Vous avez déjà une idée de ces forces; ce

24 sont des unités armées, bien entendu.

25 Peut-être, pour ceux qui ne connaissent pas la question, elles ressemblent

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1 à des soldats, mais ce n'en sont pas nécessairement. Vous voyez ces armes

2 qu'ils portent, mais ils disposaient également d'un arsenal plus puissant.

3 Il y avait des unités terroristes, des unités de défense civile, des

4 unités de réserve du MUP, ainsi que des civils serbes armés. Tous

5 organisés au niveau de la municipalité, là où c'était nécessaire, et qui

6 suivaient les voies hiérarchiques officielles.

7 Est-ce qu'il s'agit ici des pièces 19 à 20? Est-ce que nous pouvons les

8 voir?

9 Messieurs les Juges, il y a un élément très simple que je veux vous

10 présenter dans le cadre des éléments présentés par M. Ryneveld. Je peux

11 vous éclairer mon propos au moyen d'une carte; je ne sais pas si vous avez

12 des copies ou si cette carte va figurer sur le rétroprojecteur. Nous avons

13 une carte plus grande.

14 M. le Président (interprétation): Nous avons déjà une copie.

15 M. Nice (interprétation): Est-ce que la caméra peut faire un plan

16 rapproché? Sinon, on peut utiliser la carte qui se trouve sur le

17 rétroprojecteur, celle qui est la plus claire.

18 Je vais essayer de vous présenter ce que j'ai à vous dire de cette façon

19 et, si ceci n'est pas clair, je reviendrai à la carte plus petite, qui est

20 peut-être trop petite.

21 Quelques éléments:

22 L'Acte d'accusation, dans ce procès, fait une ventilation des événements

23 ultérieurs en plusieurs points: d'un côté, les expulsions, de l'autre, les

24 meurtres, ceci aux fins de l'Acte d'accusation. C'est une séparation qui

25 ne reflète pas nécessairement les activités telles qu'elles se sont

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1 produites sur le terrain. Lorsqu'on parle des sites où il y a des

2 expulsions ou d'autres, des tueries, on ne peut pas faire une séparation

3 aussi nette entre les événements. Il y a manifestement un lien: les

4 événements se sont produits tous ensemble. Mais c'est de cette façon-ci

5 que nous avons procédé aux fins de l'accusation.

6 Vous le savez, la thèse de l'accusation est celle-ci: en ce qui concerne

7 le Kosovo, le principal objectif était sans doute l'expulsion, à laquelle

8 il fallait parvenir par tous les moyens possibles, dont le fait de tuer

9 des personnes pour terroriser les autres et les pousser à partir.

10 La carte que vous avez sous les yeux vous montre les sites où l'expulsion

11 a été l'objectif apparent principal des auteurs des infractions. Les sites

12 que nous appelons "sites d'expulsion" se retrouvent dans l'Acte

13 d'accusation sous cet intitulé, mais il y a toujours un chevauchement. Sur

14 la plupart des sites d'expulsion, il y a aussi des meurtres.

15 C'est ici que vous voyez des sites auprès desquels figurent des dates.

16 C'est à ce moment-là qu'ont commencé des activités d'expulsion.

17 Nous commençons par le haut: 25 mars, 29 mars. Puis, nous passons vers

18 Pristina: 24 mars. Je descends un peu plus loin: 24 mars toujours; je vais

19 sur la gauche: 25 mars, 27 mars. Je descends un peu: 24, 25 mars et,

20 encore un peu plus bas: le 25 mars, une fois de plus.

21 Est-il possible d'avoir le moindre doute? Il suffit de se convaincre de

22 cela si l'on voit ces dates aussi rapprochées. Peut-on avoir le moindre

23 doute sur le fait qu'il s'agissait là d'une opération d'expulsion

24 généralisée et planifiée, rien d'autre? Bien sûr, pour autant que vous

25 soyez convaincus par les moyens de preuve que nous apporterons à l'appui

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1 du fait qu'il y a eu des expulsions au cours de ces dates.

2 Vous voyez aussi les points rouges ou ces cercles rouges près des

3 frontières: ce sont les points de passage permettant l'expulsion de ces

4 gens, la déportation pratiquement de ces gens.

5 Mais nous avons une autre carte qui vous montre les sites d'exécution.

6 Mais le récit est le même: 26 mars tout en haut, 24 mars en bas, 26 mars

7 ici, 25 mars à Prizren, 25 mars un peu plus haut à Djakovica, 26 mars tout

8 près.

9 Je le répète: en tout état de cause, il y a un lien encore plus étroit

10 entre les sites d'expulsion et les sites d'assassinat, davantage que ceci

11 n'est indiqué dans l'Acte d'accusation, parce que, par la force des

12 choses, on ne peut pas tout dire dans un acte d'accusation; il faut faire

13 un certain tri.

14 M. le Président (interprétation): En ce qui concerne les sites, je suppose

15 qu'on pourra voir les deux types de sites sous le même intitulé?

16 M. Nice (interprétation): Oui.

17 M. le Président (interprétation): Il faut examiner les sites davantage que

18 les catégories?

19 M. Nice (interprétation): Tout à fait, Monsieur le Président, et la

20 plupart des sites de déportation sont des sites d'exécution aussi.

21 L'importance n'en est que trop apparente. Les assassinats faisaient partie

22 du même plan.

23 La question qui se pose est: est-ce que c'est un incident naturel? Est-ce

24 que les forces chargées d'assurer les expulsions ont dû tuer? Ou bien

25 l'ont-ils fait parce que c'est ce qu'on exigeait d'eux?

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1 Mais il y a un autre point, ce sera d'ailleurs le seul puisque, à certains

2 égards, on peut très bien aborder la question de façon tout à fait

3 élémentaire. Il suffit de voir quelle était l'intention à la base des

4 agissements.

5 On a confisqué des documents d'identité de toutes les personnes aux

6 frontières. Est-ce que c'est un hasard? Est-ce que c'est fortuit? Et si

7 c'était intentionnel, est-ce que c'est un plan? Et quel était le lien

8 entre ce plan et l'OTAN, comme voudrait nous le faire croire l'accusé?

9 Ce ne sont là que des remarques liminaires. Maintenant, je vais m'attarder

10 sur les faits incriminés. Mais je laisserai le soin à M. Ryneveld de vous

11 présenter le reste de l'exposé.

12 En tout cas, la question est simple, il se peut que l'accusé ayant pu s'en

13 sortir si bien par le passé, il allait peut-être s'en sortir cette fois-ci

14 aussi.

15 Si nous avons toujours une vue d'ensemble, nous voyons tous les liens qui

16 peuvent être établis, en droit comme en fait.

17 Que se passait-il? Il y avait un effort coordonné de la part des

18 dirigeants de la République et de la Serbie, leurs forces agissant de

19 concert. C'étaient des actions similaires à celles qui avaient été menées

20 en Croatie, en Bosnie-Herzégovine où des militaires serbes, des forces

21 paramilitaires avaient expulsé par la force des non-Serbes des zones qui

22 se trouvaient sous le contrôle serbe.

23 Les moyens de preuve, l'analyse des experts vous montreront que les

24 actions de l'armée et du MUP sont en corrélation très étroite avec les

25 expulsions, les assassinats -j'en ai déjà parlé-, que ceci n'est pas le

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1 fruit du hasard mais bien le résultat d'un plan. Les opérations menées par

2 la République, par les forces armées des Serbes se sont déroulées dans les

3 zones de responsabilité de différentes brigades de l'armée, de différents

4 postes du MUP, de différentes administrations locales. Et tout ceci s'est

5 fait de façon tout à fait coordonnée.

6 Or, tout ceci se faisait sous la menace des bombardements de l'OTAN; il

7 fallait donc un haut degré de planification. Et du fait de ces actions

8 menées contre l'UCK, contre l'OTAN sur les petites routes du Kosovo,

9 inévitablement, devaient s'accumuler ces réfugiés que l'accusé voulait

10 expulser de chez eux.

11 Nous disons que, vu l'ampleur de l'opération, vu la cohésion de cette

12 opération, il est exclu que ce soit le fait de groupes locaux scélérats.

13 Tout ceci a été le fait de paramilitaires du MUP, de l'armée qui tous

14 étaient sous la responsabilité de l'accusé.

15 Je ne veux pas maintenant aborder des questions qui seront présentées par

16 M. Ryneveld, mais je peux vous dire que vous entendrez des moyens de

17 preuve qui vous montreront qu'il y avait un climat d'impunité pour les

18 crimes commis, si brutaux qu'ils soient.

19 On a voulu faire croire que les Albanais étaient partis des zones de

20 combat pour se protéger, nous allons mieux éclairer ces allégations grâce

21 aux détails que nous vous soumettrons, et nous vous dirons comment, dans

22 quelles circonstances ces personnes ont été expulsées, chassées.

23 Qu'est-ce que cela veut dire "être chassé pour son propre bien"? Ceci ne

24 cadre pas du tout avec le fait qu'on ait confisqué à toutes ces personnes

25 qui fuyaient leurs documents, leurs papiers d'identité, qu'on les ait

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1 confisqués et qu'on les ait brûlés.

2 Le 24 mars, il y a des discussions avec Milosevic qui dit que "le Kosovo

3 ne pose aucun problème". Monsieur Ryneveld vous en dira davantage, vous

4 parlera de la signification qu'il faut accorder à cette discussion.

5 Le projet de l'accusé était impitoyable. Ceci apparaît quand on voit

6 l'attitude tout à fait insensible qu'il adopte face aux victimes serbes

7 pendant la campagne aérienne de l'OTAN.

8 Il dira à un témoin que "la Serbie avait besoin de suffisamment de

9 victimes civiles -là, je le cite- pour faire changer d'avis l'opinion

10 publique des pays de l'OTAN face aux frappes".

11 Nous vous faisons valoir ceci, Messieurs les Juges. Finalement, il est

12 facile d'apporter la preuve de ce que nous avançons.

13 Nous allons bien sûr étudier avec le plus grand soin les questions

14 importantes qui se poseront au cours de ce procès, mais la Chambre ne

15 saurait être induite en erreur par cet écran de fumée qu'on essaie de

16 dresser, s'agissant des négociations internationales qui furent menées, de

17 leurs rebondissements, s'agissant de ces négociations internationales

18 auxquelles a participé l'accusé ou pour lesquelles il a chargé d'autres

19 d'intervenir. Cet écran de fumée ne va pas vous dissimuler la réalité des

20 faits.

21 Ce qui s'est passé, c'était le résultat d'un plan concocté visant à

22 expulser les membres de son propre peuple vu l'attitude que ses membres

23 avaient prise à son égard.

24 Je vous demande un instant. Les choses se sont terminées de cette façon-

25 ci: en juin 1999, un tiers de la population albanaise du Kosovo avaient

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1 été expulsée -nous parlons de 800.000 personnes-, des milliers de

2 personnes avaient subi des déplacements à l'intérieur du pays. Nous ne

3 savons pas combien d'Albanais ont été tués.

4 Le 3 juin 1999, la République fédérale yougoslave et la Serbie acceptent

5 un document de principe régissant une solution à la crise du Kosovo,

6 document qui avait été présenté à leurs représentants par Martii

7 Ahtisaari, représentant l'Union européenne, et Viktor Chernomyrdin qui

8 était alors le représentant spécial du Président de la Fédération russe.

9 Ceci a été suivi d'une résolution du Conseil de sécurité qui permettait

10 une solution politique à la crise du Kosovo, une fin immédiate aux

11 violences, notamment, et un retrait rapide des forces militaires serbes et

12 de la République fédérale de Yougoslavie, des forces de police et des

13 forces paramilitaires, le déploiement d'une présence de la sécurité civile

14 internationale sous les auspices des Nations Unies.

15 Ojdanic, Pavkovic, Lazarevic sont décorés, sont promus par l'accusé.

16 J'aurai encore quelques remarques à faire, mais auparavant je vais

17 vérifier quelque chose auprès de M. Ryneveld.

18 Par la force des choses j'ai dû écourter mon propos, j'ai dû vous

19 présenter un récit abrégé de la participation de l'accusé au fil de

20 plusieurs années, sur trois théâtres d'opération et de conflits. Donc,

21 même s'il a fallu que ce soit un récit abrégé, j'espère pourtant avoir

22 fait apparaître les nombreux liens qui vont parcourir le fil de ce procès.

23 Il y a des liens de droit; nous suivrons ici les filières

24 constitutionnelles montrant les rapports hiérarchiques, les voies

25 hiérarchiques qui établissent un lien indéniable entre l'accusé et les

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1 crimes qui lui sont reprochés. Il y aura, dans cet écheveau de preuves,

2 des liens qui commencent au Kosovo, qui y finissent, qui parcourent en ce

3 qui le concerne les échecs ou, pour lui, les échecs de la Croatie et de la

4 Bosnie. Autant d'éléments qui vont révéler un état d'esprit unique,

5 continu, cohérent, une opération unique de sa part, même si ceci était

6 exécuté, comme ce fut le cas, par une poignée de personnages qui

7 inévitablement ont été permutables et qui ont d'ailleurs été changés.

8 Que peut-on dire en fin de compte pour résumer cette horrible tragédie,

9 ces tragédies horribles que nous allons, malheureusement, devoir relater?

10 La Croatie, la Bosnie ainsi que le Kosovo ont quelque chose en commun. Ce

11 qu'ils partagent, c'est que la Serbie était soit leur voisin ou davantage

12 qu'un voisin, surtout pour le Kosovo, et que l'accusé avait la main haute,

13 avait le contrôle de leurs destins. Dès le début, l'accusé a essayé de

14 persuader ceux qui l'écoutaient du côté inévitable, du caractère

15 inéluctable des événements. Il est très persuasif, cela c'est certain. Je

16 pense que je vous l'ai dit hier, j'ai parlé des qualités d'orateur qui

17 étaient les siennes.

18 Rappelez-vous ce discours où il fait référence au recours au conflit armé,

19 dans un discours qui sinon, apparemment, était plein de bons sens. C'était

20 un homme qui était en mesure de persuader, de faire des adeptes.

21 Si nous voyons ce qui s'est passé dans l'ex-Yougoslavie, ce qui s'est

22 passé dans l'ex-Yougoslavie n'était pas inévitable. Il ne s'est pas agi de

23 l'intervention de Dieu et d'actes dus à une intervention divine. Il s'est

24 bien agi d'actes dus à des hommes, à un certain nombre d'hommes et, ce qui

25 est important, à l'homme que vous avez devant vous aujourd'hui. Des hommes

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1 qui n'avaient aucun égard pour les intérêts ou la vie d'autrui, d'une

2 façon qu'il est véritablement impossible ou, en tout cas, très difficile

3 de comprendre.

4 En fait, s'agissant de la Bosnie et de la Croatie, mais également du

5 Kosovo, c'est bien le fait que cet homme soit votre voisin qui a provoqué

6 le sort vécu par un grand nombre de personnes. Au cours d'une carrière qui

7 s'est étendue sur treize ans -et nous parlons de carrière, mais sa

8 carrière criminelle a duré au moins huit ans-, il est difficile de résumer

9 un certain nombre d'éléments qui se retrouvent en tant que constante dans

10 toute cette période.

11 Comme Mme la Procureure générale l'a dit, dans son intervention liminaire

12 à procès, et dans des mots peut-être différents des miens, ce qu'a

13 recherché cet homme, c'étaient deux choses: faire croître son pouvoir et

14 le contrôle exercé par lui jusqu'à un maximum, pour obtenir y compris le

15 contrôle territorial pour les Serbes et intensifier également son contrôle

16 sur les Serbes par la même occasion. Il l'a fait en niant les droits

17 fondamentaux et élémentaires de ceux qui n'étaient pas d'accord avec lui.

18 Bien entendu, dans la brièveté de mon intervention, je ne peux pas vous

19 donner tous les éléments de persécution que les Juges connaîtront mieux en

20 entendant les témoins ou dont ils ont entendu dans d'autres affaires, mais

21 ce dont il s'agit ici, fondamentalement, c'est du déni pour les non-Serbes

22 de vivre parmi leurs voisins ou même de vivre tout court. Alors qu'il

23 était au pouvoir dans son pays, il a toujours cherché à assurer la

24 population que le pays n'était pas en guerre, que la Serbie n'était pas en

25 guerre. Les guerres étaient dues à ce qui se passait ailleurs, dans

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1 d'autres pays et "ce n'était pas notre affaire".

2 Les Juges de cette Chambre se rappelleront ce que j'ai dit au sujet du

3 mécanisme de contrôle qui permettait de faire intervenir autrui sur qui il

4 avait une influence, de façon à être absous ou, en tout cas, de ne pas

5 assumer la responsabilité morale de ses actes et de pouvoir ensuite

6 exprimer éventuellement du regret mais jamais de la honte.

7 Eh bien, c'est exactement ce qu'il a fait aussi à l'égard de son peuple.

8 "Rien à voir avec nous", c'était son expression. Mais, bien sûr, cette

9 distinction sur laquelle il s'est appuyée lorsqu'il s'est exprimé sur la

10 scène internationale, la distinction qu'il a faite entre un Etat et un

11 autre n'avait guère d'importance pour lui, en vérité. Car dans le début de

12 mon intervention, hier, j'ai dit que ce qui l'intéressait, ce n'était pas

13 nécessairement les frontières territoriales mais les frontières entre

14 nations. La seule frontière qui l'intéressait, celle d'ailleurs qu'il a

15 contribué grandement à construire et à cimenter. Cette seule frontière a

16 été la frontière séparant les Serbes des non-Serbes. Il a tout fait pour

17 que le conflit en arrive au point où l'intervention de l'armée pouvait

18 avoir lieu.

19 Mais même à cette époque-là, la Serbie n'était pas en guerre. Cependant,

20 lui, était en guerre. Il nous a dit qu'il a défendu son peuple. Son peuple

21 ne lui avait demandé de le protéger, son peuple n'était pas attaqué. La

22 Serbie, aujourd'hui, vit de nouveau en paix après des années de

23 reconstruction de ses liens avec ces voisins, suite à la guerre.

24 Je rappellerai aux Juges de cette Chambre ce que le Procureur général a

25 dit au sujet de la nécessité de prendre en compte les individus plutôt que

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1 d'envisager une éventuelle culpabilité collective. La seule culpabilité

2 qui nous intéresse ici, c'est celle de l'homme qui est devant vous

3 aujourd'hui. Et, bien entendu, ce qu'il a fait ou en tout cas ce qu'il

4 s'est efforcé de faire, c'est de transformer son peuple en complice

5 involontaire. Car, une fois que son peuple a été attiré dans le plan dont

6 il était l'auteur, il n'a pas voté bien sûr mais n'a pas pu faire grand-

7 chose pour échapper aux conséquences de ce plan. Ce que l'accusé a fait

8 lorsqu'il a élaboré des plans pour l'avenir, c'est ce que l'on constate

9 souvent lorsqu'il y a crime. Or, un crime de guerre est bien un crime.

10 Il y a en effet des gens qui savent, lorsqu'ils agissent, qu'ils sont en

11 train d'agir en infraction avec le droit et contre les intérêts de

12 l'humanité. Mais ce qu'ils font, et c'est exactement ce qu'a fait

13 l'accusé, c'est que dans ces conditions ils essaient de disparaître de la

14 scène sur laquelle se produisent et se déroulent les événements. Mais ce

15 qui est gênant dans tout cela, c'est que disparaître de la scène sur

16 laquelle se déroulent les événements les plus importants, entraîne parfois

17 l'apparition d'un fossé. Et de temps en temps, il n'y a plus personne pour

18 combler ce fossé. Il n'y a parfois plus personne sur qui on peut pointer

19 le doigt pour le rendre responsable des événements qui, en fait, sont dus

20 à vous.

21 Tous les événements sur lesquels les Juges de cette Chambre vont désormais

22 devoir se pencher permettront, en tout cas c'est la thèse de l'accusation,

23 de mettre le doigt sur un aspect tout à fait fondamental de cette

24 personnalité: à savoir l'existence d'une force motrice dans cet individu,

25 désireuse de contrôler les choses. Mais cette personnalité, l'accusé

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1 cherche à faire croire qu'elle n'est pas la sienne, qu'il s'agit de celle

2 d'un autre. Et, de notre côté, nous affirmons, qu'une fois que tous les

3 éléments de preuve auront été examinés par les Juges, il s'en dégagera une

4 personnalité; en fait, des éléments sont trop caractéristiques de cette

5 personnalité qui, sans aucun doute, est bien celle de l'accusé et qui en a

6 entraîné les événements que nous connaissons.

7 Quant aux autres actes d'accusation, je ne vais pas rentrer dans le détail

8 des allégations qui sont contenues. Ces documents sont publics. Et si cela

9 convient au Président et aux Juges de cette Chambre, M. Ryneveld va

10 pouvoir maintenant vous parler des éléments fondateurs du crime dans le

11 présent Acte d'accusation.

12 Merci, Monsieur le Président.

13 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Nice.

14 Monsieur Ryneveld, vous avez la parole.

15 M. Ryneveld (interprétation): Monsieur le Président, je remarque l'heure

16 indiquée par l'horloge, et je pense que je n'aurai aucune difficulté à en

17 terminer avant la fin de l'audience de cet après-midi. Mais je vous

18 demande si vous souhaitez que je commence maintenant ou si nous pouvons

19 suspendre pour que je commence plus tard?

20 M. le Président (interprétation): Je préfère que vous commenciez dès

21 maintenant.

22 (Présentation des éléments de preuve de l'accusation relatifs à l'Acte

23 d'accusation pour le Kosovo, par M. Ryneveld.)

24 M. Ryneveld (interprétation): Merci, Monsieur le Président.

25 Il y a plus d'un demi-siècle, le juge Jackson, procureur principal devant

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1 le Tribunal militaire international, a ouvert le procès de Nuremberg en

2 prononçant les mots qui suivent -je cite-: "Les méfaits que nous cherchons

3 à condamner et à punir, ont été tellement calculés, tellement odieux,

4 tellement dévastateurs que la civilisation ne peut tolérer qu'ils soient

5 ignorés car elle ne pourrait survivre à leur réédition". (Fin de

6 citation.)

7 Il parlait de la grande responsabilité imposée à lui lors de l'ouverture

8 du premier procès dans l'Histoire pour crime contre la paix du monde, au

9 moment où, à ce moment-là, le monde espérait que les verdicts prononcés

10 dans ce procès serviraient de dissuasion pour les dirigeants qui

11 s'aventureraient dans des guerres à l'avenir, ayant envoyé clairement le

12 message que les crimes de guerre et crimes contre l'humanité seraient

13 poursuivis en justice conformément aux normes d'un état de droit. Il

14 espérait que des procès de cette nature ne se répéteraient jamais.

15 Malheureusement, cet espoir semble avoir été formulé en vain. L'Histoire

16 apparemment se répète. Les leçons, si tant est qu'elles ont été apprises,

17 ont soit été ignorées, soit oubliées.

18 Le règne de la terreur, dû aux forces serbes pendant le régime de

19 Milosevic au Kosovo, a malheureusement exigé qu'aujourd'hui soit une

20 nouvelle journée historique dans le monde du droit. Avec ce procès, nous

21 lançons la première accusation à l'encontre d'un chef d'état en exercice,

22 dans quelque nation que ce soit, pour crime commis pendant la durée de son

23 mandat.

24 Cela représente également une responsabilité très grave de participer à un

25 procès dans lequel M. Milosevic est tenu responsable selon les normes de

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1 l'état de droit, compte tenu des allégations de déportation, de transferts

2 de populations forcés, de meurtres et de persécutions qui ont été retenus

3 contre lui dans l'Acte d'accusation dont nous traitons ici aujourd'hui.

4 Madame la Procureure générale du TPIY, Mme Carla Del Ponte, a déjà évoqué

5 dans ses remarques préliminaires, comme l'a fait d'ailleurs M. Nice, les

6 éléments principaux de la thèse du Procureur s'agissant des trois Actes

7 d'accusations qui ont désormais été joints pour donner lieu à un seul et

8 unique procès. Il a également été souligné de quelle façon l'accusation a

9 l'intention de prouver que M. Milosevic est pénalement responsable et

10 légalement responsable des actes et omissions commis par les forces serbes

11 responsables de ces atrocités.

12 En tant que Procureur responsable de l'aspect Kosovo du procès, il est

13 maintenant de mon devoir de dire devant vous quelle est la nature et la

14 portée de ce dont nous parlerons désormais dans la présente affaire en

15 tant que crime fondateur de la thèse de l'accusation au Kosovo. Ce

16 faisant, j'espère pouvoir vous dessiner rapidement une image des

17 événements qui se déroulent pendant à peu près six mois au cours de

18 l'année 1999.

19 Ce schéma a pour but de fournir aux Juges de cette Chambre un cadre

20 général de la thèse soutenue par l'accusation.

21 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, le Procureur affirme que, dans

22 le présent procès, nous traitons principalement d'un problème d'expulsion

23 forcée des habitants.

24 Vous entendrez des témoins, vous lirez des rapports et des déclarations

25 qui vous diront qu'en juin 1999, plus de 800.000 Albanais civils du Kosovo

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1 avaient été contraints de fuir leurs domiciles par les forces serbes pour

2 fuir vers des Etats voisins. Et lorsque je parle de "forces", je parle des

3 forces de la République fédérale de la Yougoslavie et, bien sûr, aussi des

4 forces de police, du MUP, ainsi que de certains groupes paramilitaires.

5 Mais pour la facilité du débat, je mentionnerai tous ces éléments sous le

6 vocable de "forces".

7 Vous verrez bien sûr une carte des Balkans que mon collègue, M. Nice, vous

8 a déjà montrée et qui vous facilitera la lecture des événements.

9 Pendant toute cette période au cours de laquelle des milliers de civils

10 ont été chassés de chez eux, 800.000 en fait, des milliers de civils ont

11 aussi été assassinés. Et au nombre des victimes, on trouve des personnes

12 âgées, ainsi que des femmes et des enfants.

13 Avant de poursuivre, je pense nécessaire de dire qu'un conflit armé était

14 en cours au Kosovo entre les forces serbes et les forces de la République

15 fédérale yougoslave, d'une part, et les forces de l'Armée de libération du

16 Kosovo -ou KLA/UCK-, de l'autre.

17 Par ailleurs, il importe de dire qu'en temps de conflit armé, un fait

18 regrettable, gênant, mais inévitable se produit, à savoir que des gens

19 sont tués. Il ne fait aucun doute que, pendant le conflit armé dont nous

20 parlons, certains combattants armés des deux parties ont été tués au cours

21 de combats légitimes qui font partie d'une guerre.

22 Le fait que des gens meurent pendant des guerres, ne signifie pas

23 nécessairement qu'un crime de guerre a été commis, mais il importe au plus

24 haut point de souligner ici que ce n'est pas ce dont nous parlons

25 aujourd'hui.

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1 Ce dont nous parlons, c'est de persécutions multiformes dirigées contre

2 des civils et mises en oeuvre à grande échelle et de façon systématique.

3 Ces actes commis contre des non-combattants civils deviennent alors des

4 crimes de guerre et doivent donner lieu à des poursuites judiciaires dans

5 le cadre des compétences de ce Tribunal.

6 Bien que l'Acte d'accusation couvre une période allant du 1er janvier 1999

7 au 20 juin 1999, il importe de ne pas perdre de vue que la campagne

8 discriminatoire de persécution et d'expulsion, visant les Albanais du

9 Kosovo, a débuté beaucoup plus tôt.

10 Dans notre mémoire préalable au procès, nous soulignons qu'au cours de

11 certaines périodes, en 1998, des campagnes très similaires avaient déjà

12 débouché sur le déplacement forcé à l'intérieur du Kosovo de milliers de

13 réfugiés.

14 Selon le HCR -et les données émanant de cette organisation seront versées

15 au dossier de ce procès-, en tout cas, d'après le HCR, à la fin d'octobre

16 1998, quelque 285.000 Kosovars avaient déjà été déplacés à l'intérieur du

17 pays.

18 Cette campagne de persécution et d'expulsion s'est intensifiée et a gagné

19 en férocité vers la fin du mois de mars 1999, c'est-à-dire à peu près au

20 moment où les observateurs internationaux se retiraient du Kosovo.

21 Néanmoins, le personnel du HCR a continué à comptabiliser les réfugiés qui

22 traversaient la frontière dans les divers points frontaliers du Kosovo. Et

23 selon les documents du HCR, on constate que, le 30 mars, environ 94.000

24 Kosovars -parmi lesquels on trouvait des femmes, des enfants et des

25 personnes âgées- avaient fui le Kosovo, et ce, à partir du 24 mars 1999.

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1 Nous parlons donc d'une semaine à peu près.

2 Nombre de ces personnes parlent d'expulsion délibérée, de destruction de

3 leur domicile. Nombre de ces personnes ne savent pas où sont actuellement

4 les hommes qui ont été séparés du reste de la population au moment de

5 l'expulsion. Vous entendrez des totaux quotidiens du nombre de réfugiés

6 comptabilisés par les responsables du HCR.

7 Ces rapports montrent non seulement quel est le tribut payé par les

8 réfugiés, mais aussi que ces personnes ont parfois été contraintes de

9 quitter leur domicile sous des températures glaciales, en pleine nuit, à

10 pied et même parfois pieds nus. Des milliers de ces personnes sont

11 arrivées par bus ou par train, après avoir été regroupées par les

12 autorités serbes dans l'attente d'une expulsion.

13 Le rapport du HCR se poursuit en décrivant le fait que des dizaines de

14 milliers de personnes circulaient un peu partout au Kosovo, dans un climat

15 décrit comme glacial et alors que tombait la pluie. Et de nombreux

16 enfants, dit-on, sont morts de déshydratation dans ces conditions.

17 Enfin, le même rapport indique que, selon les chiffres du HCR, 860.000

18 Kosovars sont estimés avoir quitté le Kosovo entre le 24 mars 1999 et le

19 10 juin 1999.

20 Voilà ce dont nous parlons quand nous disons que, dans la présente

21 affaire, la question centrale est celle de l'expulsion des habitants.

22 Nul doute qu'à tel ou tel moment au cours du présent procès, M. Milosevic

23 ou d'autres en son nom diront que la raison pour laquelle toutes ces

24 personnes ont fui le Kosovo résidait dans les bombardements de l'OTAN et

25 pas dans les attaques dues aux forces serbes.

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1 J'aimerais traiter de cette question dès le début de mon intervention ici.

2 La thèse du Procureur consiste à dire que les témoins viendront vous dire

3 qu'une grande majorité des réfugiés a quitté son domicile en raison des

4 attaques dues aux forces serbes et pas en raison des bombardements de

5 l'OTAN.

6 Vous bénéficierez aussi du rapport d'expert préparé par le Dr Patrick

7 Ball. Dans ce rapport, on trouve une analyse des données provenant de

8 diverses sources, notamment du HCR, au sujet du déplacement des réfugiés

9 au cours de la période qui nous intéresse.

10 Pour l'essentiel, l'évaluation indépendante que l'on trouve dans ce

11 rapport, s'il est accepté par la Chambre, permettra de confirmer d'autres

12 éléments de preuve et ce qui est intéressant, c'est que, dans cette

13 analyse, il est suggéré que les effets des actes dus à l'UCK et à l'OTAN

14 n'ont aucun rapport avec les mouvements et déplacements des réfugiés ou

15 avec les meurtres.

16 Ce rapport -selon le Procureur- permettra de confirmer ce que pratiquement

17 chacun des témoins qui sera entendu par vous vous dira, à savoir que ces

18 témoins ont fui sous l'effet de la crainte et de la terreur liées à

19 l'avance des forces serbes et non en raison des bombardements de l'OTAN.

20 M. Robinson (interprétation): Mais qu'arriverait-il si les Juges

21 constataient que leur fuite était due aux bombardements de l'OTAN et que

22 ceci était un fait dans ce procès? Nous direz-vous quelle est votre

23 position en droit sur ce point?

24 M. Ryneveld (interprétation): Oui, certainement, un plus tard dans mon

25 intervention, Monsieur le Juge.

Page 184

1 Sur la base des éléments de preuve qui vous seront soumis au cours du

2 présent procès, il deviendra de plus en plus manifeste qu'un schéma se

3 dégage, à savoir que ces déplacements massifs de réfugiés sur le

4 territoire du Kosovo ont été la conséquence directe des actes des forces

5 serbes.

6 Comme vous le verrez, les forces serbes ont exécuté un plan concerté

7 destiné à terroriser les Albanais du Kosovo pour les forcer à partir. Les

8 villageois entendaient le son des canons provenant des villages voisins,

9 voyaient des maisons en flammes, entendaient des histoires absolument

10 abominables racontées par des victimes qui avaient déjà fui et craignaient

11 que le même sort ne leur soit réservé. En conséquence, nombre d'entre eux

12 mettaient les membres de leur famille à bord de charrettes, de tracteurs

13 ou d'autres moyens de transport et rejoignaient le convoi pour éviter les

14 coups, les viols ou les meurtres.

15 Donc les assassinats, les pillages, les viols et la destruction des biens

16 avaient un but tout à fait précis qui consistait à terroriser la

17 population pour la forcer à partir. Il deviendra également apparent que

18 les architectes de ce nettoyage ethnique, de cette campagne de nettoyage

19 ethnique se sont servis, dès le départ, des bombardements de l'OTAN pour

20 intensifier leur action.

21 Vous constaterez, sur la base des éléments de preuve qui vous seront

22 soumis, qu'au cours de la semaine qui s'étend du 24 au 30 mars, les forces

23 serbes ont intensifié les meurtres et les expulsions dans l'intention de

24 reprocher ces faits, et les morts notamment, ainsi que l'organisation des

25 convois de réfugiés aux responsables des bombardements de l'OTAN.

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1 Le retrait des observateurs de la KVM, en prévision des bombardements de

2 l'OTAN, ainsi que le début des actions de l'OTAN ont donné aux forces

3 serbes l'occasion absolument rêvée d'intensifier leur campagne et de

4 rejeter la faute sur autrui.

5 Vous conclurez, sur la base des éléments de preuve, que c'est exactement

6 ce que ces forces ont fait.

7 Vous entendrez des témoins vous parler d'exécution de masse, de processus

8 systématique par lequel les forces serbes allaient d'un hameau à l'autre,

9 d'un village à l'autre, d'une ville à l'autre, en ne cessant de tuer, de

10 violer, d'incendier, de piller et de détruire des bâtiments en chemin.

11 Vous verrez, à présent, deux photographies. Peut-être pourrait-on vous les

12 montrer l'une après l'autre? Elles sont tout à fait parlantes.

13 Sur la première photographie, vous voyez une maison en flammes et deux

14 soldats devant cette maison, chacun avec trois doigts de la main levée.

15 Et sur la deuxième photographie, vous voyez de nouveau trois soldats,

16 debout, devant des maisons en feu.

17 Ce processus a eu l'effet escompté, c'est-à-dire qu'il a effrayé la

18 population civile, la poussant à quitter son domicile, son village et

19 finalement la province.

20 Le pillage et l'incendie ont eu les conséquences souhaitées, c'est-à-dire

21 que ces gens-là n'avaient plus rien à retrouver s'ils revenaient dans la

22 région.

23 Vous avez entendu parler déjà du fait que des documents d'identification

24 ont été brûlés. Comme vous pouvez le constater, en voyant la photographie

25 que l'on vous montre actuellement sur vos écrans, de nombreux passeports

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1 et autres documents d'identité ont été brûlés. Il s'agissait là d'un

2 objectif voulu au cours de cette campagne.

3 Dans bien des cas, les agresseurs disaient aux Albanais du Kosovo de

4 partir pour se rendre en Albanie.

5 Vous entendrez également que les forces serbes ont pratiquement toujours

6 volé les réfugiés en leur confisquant leurs documents d'identification,

7 ainsi que leurs plaques d'immatriculation de voiture.

8 Ce faisant, ce qu'ils faisaient, c'était supprimer tous les éléments de

9 preuve physiques montrant que ces personnes avaient un statut de citoyen,

10 pour les empêcher ensuite de prétendre à un statut légal et de réclamer

11 des biens au cas où ils souhaiteraient revenir. Tout ceci a été fait pour

12 s'assurer que les Albanais du Kosovo seraient ethniquement nettoyés hors

13 de la province.

14 Il deviendra évident, sur la base des éléments de preuve qui vous seront

15 soumis au cours du procès, que la présente affaire porte sur une campagne

16 d'expulsion et de nettoyage ethnique qui a frappé l'ensemble du territoire

17 du Kosovo.

18 L'Acte d'accusation que vous avez sous les yeux énumère treize sites

19 d'expulsions et douze sites de meurtres ou de tueries, et, dans certains

20 cas, il y a chevauchement entre les deux. Ces lieux ne sont en aucun cas

21 les seuls endroits où des expulsions ou des meurtres se sont produits.

22 C'est simplement un échantillon représentatif de ce qui s'est passé sur

23 l'ensemble du territoire du Kosovo.

24 Avant de commencer à vous présenter les détails de ces sites où ont eu

25 lieu des expulsions et des assassinats, et qui sont cités dans l'Acte

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1 d'accusation, il pourrait être utile pour les Juges de cette Chambre de

2 première instance de voir un certain nombre de cartes géographiques du

3 Kosovo qui vous montreront où se situent ces sites.

4 La première carte est celle qui vous montre les lieux où ont eu lieu des

5 expulsions. Vous constaterez qu'il y a des points bleus sur cette carte:

6 ils représentent les villages ou les villes qui sont mentionnés dans les

7 éléments de preuve dont vous aurez à connaître au cours du procès. Et vous

8 constatez que ces points bleus figurent dans des lieux très éparpillés sur

9 le plan géographique. Cette carte montre donc bien la nature systématique

10 et à grande échelle de ce projet, de ce plan d'expulsion.

11 Quand on se penche sur le fait que la plupart de ces lieux ont été

12 nettoyés ethniquement en une semaine, soit entre le 24 et le 31 mars, il

13 devient manifeste qu'il s'est agi d'un effort concerté à grande échelle

14 par les forces serbes pour regrouper et déporter le plus grand nombre

15 possible d'Albanais du Kosovo dans le laps de temps le plus bref.

16 Le résultat inévitable que l'on peut constater à partir de ce fait, c'est

17 que tout cela ne s'est pas passé par hasard; ceci n'est pas simplement le

18 résultat d'un concours de circonstances.

19 Des éléments de preuve que vous aurez à connaître prouveront clairement

20 que ceci a été le résultat d'une attaque coordonnée due à des forces

21 serbes diverses.

22 L'armée yougoslave ou VJ, les forces de la police ou MUP ont agi de

23 concert. Le schéma se répète de village en village. Ceci démontre qu'il

24 existait un modus operandi tout à fait délibéré et planifié de la part de

25 cette combinaison de forces serbes, modus operandi qui s'est déroulé sur

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1 l'ensemble du territoire du Kosovo et qui vous apparaîtra tout à fait

2 clairement lorsque vous aurez tous les éléments de preuve.

3 Je vais maintenant parler des sites d'exécution.

4 Monsieur le Président, peut-être est-ce le moment pour suspendre?

5 M. le Président (interprétation): Oui. Je suspends l'audience jusqu'à 14

6 heures 30.

7 (L'audience, suspendue à 13 heures, est reprise à 14 heures 30.)

8 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Ryneveld?

9 M. Ryneveld (interprétation): Merci, Monsieur le Président, Messieurs les

10 Juges.

11 Avant de reprendre mon intervention, on m'a signalé pendant la pause qu'au

12 compte rendu d'audience il apparaît que j'ai apparemment mal prononcé ou

13 j'ai dit un mauvais chiffre ou plutôt je l'ai mal explicité. J'ai parlé de

14 800.000 civils serbes; en fait, je voulais dire que 800.000 civils

15 albanais du Kosovo avaient été contraints de quitter leur foyer par les

16 forces serbes. Je souhaiterais que ceci figure bien au compte rendu

17 d'audience.

18 Je crois que, juste avant la pause, je vous disais que je m'apprêtais à

19 vous montrer la carte qui nous montre les sites des exécutions; elle est

20 maintenant sur le rétroprojecteur. Je vous demanderai d'examiner cette

21 carte et de remarquer que ces points sont répartis partout au Kosovo et

22 rappellent la situation des sites d'expulsion.

23 Des témoins nous diront que les forces conjointes de la VJ et du MUP

24 venaient encercler les villages. Et souvent les habitants qui avaient

25 survécu à l'attaque de leur propre village étaient emmenés en troupeau

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1 dans la direction d'autres villages. Et le système se reproduisait.

2 L'armée entourait les villages, pilonnait la ville en question mais,

3 généralement, il laissait un chemin d'évasion, une voie qui permettait aux

4 victimes de quitter la zone attaquée. Le MUP et les autres forces en

5 présence allaient alors de maison en maison, tuant, violant, pillant,

6 incendiant les biens et les sites religieux, faisant en sorte que tous les

7 habitants non serbes de l'endroit soient expulsés.

8 Je souhaiterais vous demander de regarder une séquence vidéo qui va vous

9 montrer à quoi ressemblait un village après une offensive. Ici, il s'agit

10 du village de Vucitrn. Je souhaite demander à la cabine technique de

11 lancer la séquence.

12 M. le Président (interprétation): Apparemment, Monsieur Ryneveld, il y a

13 un petit problème. Peut-être pourriez-vous passer à autre chose, on y

14 reviendra ultérieurement.

15 M. Ryneveld (interprétation): Certes, mais il est possible que la séquence

16 en question se trouve sur la cassette que j'ai remise à la cabine

17 technique avant celle que je présenterai ultérieurement.

18 En fait, le mode opératoire incluait notamment des exécutions en public,

19 parfois des viols. Ce qui suscitait parmi les habitants la crainte et les

20 incitait à partir, de crainte de subir le même sort. Nous allons entendre

21 d'ailleurs ces réfugiés.

22 M. le Président (interprétation): Je crois que la vidéo est prête.

23 M. Ryneveld (interprétation): Fort bien. Nous pouvons la lancer.

24 (Diffusion de la vidéo.)

25 Vous pouvez le voir à l'écran, tous les biens ont été brûlés, les animaux

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1 tués. Comme je vous le disais, ces réfugiés se sont vu donner l'ordre de

2 quitter le Kosovo et souvent ils étaient escortés jusqu'à la frontière par

3 des soldats serbes en uniforme. Parfois, ils étaient transportés par les

4 Serbes dans des trains spéciaux ou dans des bus, et après leur départ, on

5 détruisait complètement leur village afin de s'assurer qu'il ne reste plus

6 rien, que plus rien ne les incite à revenir chez eux. Et ceci s'est

7 reproduit sans relâche partout au Kosovo. Au fur et à mesure que vous

8 entendrez les témoins, vous vous rendrez compte que la même chose se

9 passait dans toutes les municipalités, dans tous les villages.

10 Je souhaiterais encore une fois vous demander de regarder votre écran.

11 Quand les témoins nous parleront des policiers nous parlerons du MUP. Il

12 est possible que nous ayons à l'esprit les policiers que nous voyons tous

13 les jours dans les rues, mais ce que vous venez de voir vous montre à quoi

14 ils ressemblaient, armés d'armes automatiques et habillés pratiquement

15 comme des soldats. Les témoins vous diront que souvent ces policiers

16 étaient armés de mortiers, qu'ils venaient dans des véhicules de transport

17 de troupes blindés, qu'ils avaient des grenades toute sorte d'armes que

18 l'on n'associe pas généralement au terme de policiers.

19 Et ceci pourra aider la Chambre à mieux comprendre la situation, à voir le

20 genre de terreur que ceci pouvait susciter dans l'âme des villageois

21 attaqués. Et souvent, les survivants des villages n'avaient qu'une voie de

22 sortie de leur village. Des familles entières étaient contraintes de

23 quitter leur maison. Les femmes, les enfants et les personnes âgées

24 quittaient leur village et se joignaient à d'autres villageois pour

25 s'enfuir. Et ces centaines de personnes devenaient des milliers de

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1 personnes et formaient des convois qui, ensuite, étaient dirigés comme du

2 bétail du Kosovo vers l'Albanie, la Macédoine et le Monténégro.

3 Comme je l'ai dit précédemment, à la fin du conflit en juin, d'après les

4 chiffres du HCR des Nations Unies, plus de 800.000 Kosovars avaient été

5 déplacés à l'intérieur du Kosovo, chassés de leur maison et la plupart

6 d'entre eux avaient été expulsés de la province.

7 Il est difficile d'oublier les photographies bouleversantes, les images

8 déchirantes qui sont entrées dans nos salles à manger, par le biais de la

9 télévision, en mars 1999, lorsque nous avons vu ces convois, ces colonnes

10 apparemment sans fin de réfugiés qui quittaient le Kosovo.

11 Une fois encore, je souhaiterais vous demander de visionner une séquence

12 vidéo.

13 (Diffusion d'une séquence vidéo.)

14 Vous voyez donc ici des convois. Or, il ne s'agissait pas d'un incident

15 isolé. De nombreuses séquences vidéo réalisées à différents points de la

16 frontière sont disponibles.

17 Mais, pour que la Chambre se fasse une idée de ce que les témoins vont lui

18 dire, je souhaite vous montrer une deuxième séquence vidéo, qui nous

19 montre des colonnes de réfugiés qui sont escortés par les soldats de la

20 VJ. On voit ces soldats et il y en a un qui se tient ici. Et nous voyons

21 d'autres soldats qui escortent des familles entières.

22 S'il subsistait un seul doute quant au fait que ces réfugiés étaient

23 expulsés du Kosovo, eh bien, il suffit de se rappeler que les autorités

24 serbes ont planifié à l'avance le transport de ces réfugiés. Or, ce genre

25 de choses nécessite une planification, cela nécessite une coordination et,

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1 le plus souvent, cela nécessite une autorisation, une autorisation venant

2 de l'autorité supérieure. Il ne s'agissait pas là de trains réguliers;

3 c'étaient des trains affrétés, préparés spécifiquement pour accélérer

4 l'expulsion des civils.

5 Je voudrais vous demander de visionner les images suivantes où nous voyons

6 des réfugiés qui arrivent à la frontière avec la Macédoine en train. Voici

7 le train, les familles entassées dans les trains. On voit très bien que

8 ces gens ne partent pas de leur propre gré.

9 Et qu'ont eu à dire les architectes de cette campagne lorsqu'on les

10 confrontait à ces faits? Lorsqu'un observateur international de haut

11 niveau a appelé l'accusé au téléphone pour lui dire qu'il était scandaleux

12 de voir les Albanais du Kosovo chassés dans des charrettes, dans des

13 tracteurs, qu'a-t-il répondu, l'accusé? Eh bien, ce fonctionnaire

14 international vous racontera que Milosevic lui a dit que tous ces gens

15 qu'il avait vus participaient simplement à un pique-nique.

16 Mais, en fait, ces gens que nous voyons ont eu de la chance parce qu'ils

17 s'en sont tirés. Beaucoup de leurs voisins, beaucoup des membres de leur

18 famille n'ont pas survécu à cette campagne d'expulsion. Il faudra que

19 cette histoire soit racontée par ceux qui ont survécu. Cette histoire sera

20 racontée par les éléments de preuve médico-légaux dont leurs meurtriers ne

21 pensaient pas qu'on les découvrirait jamais. Et à de très nombreuses

22 reprises, des médecins-légistes ont reconstitué patiemment la situation à

23 partir d'éléments retrouvés sur des sites d'exhumation au Kosovo et

24 ailleurs en Serbie.

25 Au cours du procès, le Procureur vous présentera un grand nombre de

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1 témoins qui raconteront ce qui leur est arrivé à eux, ainsi qu'aux membres

2 de leur famille et à leurs voisins. Du fait des limites de temps qui nous

3 sont imposées, il est possible qu'on n'entende qu'un ou deux témoins pour

4 chacun des sites qui figurent à l'Acte d'accusation. Les dires de ces

5 témoins seront confirmés par les déclarations d'autres témoins qui

6 fourniront ce qui correspond à des déclarations sous serment, en

7 conformité avec le Règlement de procédure et de preuve, si la Chambre

8 choisit d'admettre ces éléments de preuve, évidemment.

9 Dans leur ensemble, dans leur globalité, les récits de tous ces témoins

10 montreront qu'il existait bien un système, que ces expulsions étaient

11 systématiques et dues aux assaillants serbes. D'autre part, la Chambre se

12 verra présenter un certain nombre de cartes, de photographies, de

13 documents, de vidéos, en plus de l'audition des témoins dans le prétoire.

14 Un exemple de ces documents: une carte qui a été réalisée par un analyste

15 du Tribunal, qui nous montre les itinéraires empruntés par les réfugiés

16 pour quitter le Kosovo. Cette carte a été réalisée grâce aux déclarations

17 des témoins que vous entendrez.

18 Je vous demande d'examiner la carte qui figure maintenant sur vos écrans.

19 On constate que chacun des itinéraires colorés représente les corridors,

20 les chemins d'évasion, de fuite empruntés par les réfugiés et qui les

21 emmènent à l'extérieur du Kosovo, soit en Macédoine, soit en Albanie, soit

22 au Monténégro. Cette carte fera l'objet d'explications détaillées par

23 l'analyste qui a recueilli ces éléments de preuve. Il viendra témoigner

24 ici.

25 Bien entendu, il ne s'agit pas ici de présenter tout ce qui s'est passé

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1 sur chacun des sites présentés dans l'Acte d'accusation. Cependant, je

2 souhaiterais brosser un portrait de ce qui s'est passé dans un certain

3 nombre des sites, pour vous permettre d'avoir un avant-goût de ce que vous

4 diront les témoins.

5 En premier lieu, je souhaiterais vous parler du site de Bela Crkva, que

6 vous voyez sur cette photographie.

7 Le 25 mars 1999, ou vers cette date, les forces fédérales de la

8 Yougoslavie et de la Serbie ont attaqué le village de Bela Crkva, dans la

9 municipalité d'Orahovac. Beaucoup des résidents de Bela Crkva se sont

10 réfugiés dans le lit d'une rivière à l'extérieur du village et ils se sont

11 réfugiés sous un pont de chemin de fer. Alors que d'autres habitants du

12 village s'approchaient de ce pont, une patrouille de police serbe,

13 constituée d'environ quinze hommes, a ouvert le feu sur eux, tuant douze

14 personnes, dont trois femmes et sept enfants âgés de moins de 12 ans.

15 Seul, un enfant de 2 ans a survécu à ce massacre.

16 Les policiers ont ensuite donné l'ordre aux autres villageois de sortir du

17 lit de la rivière. On a alors séparé les hommes des femmes et des petits

18 enfants. La police a ordonné aux hommes de se déshabiller et leur a pris

19 tous ce qu'ils avaient de biens précieux sur eux, ainsi que leur papier

20 d'identité. On a ensuite donné l'ordre aux femmes et aux enfants de

21 partir. Le médecin du village a essayé de parler avec le commandant de la

22 police. Mais il a été abattu, ce qui a d'ailleurs été le destin de son

23 neveu. Les autres hommes ont reçu l'ordre de retourner dans le lit de la

24 rivière et, quand ils se sont exécutés, la police a ouvert le feu sur eux

25 tuant plus de 30 personnes.

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1 Le problème pour les assaillants, pour ceux qui utilisaient ces méthodes

2 d'exécution, c'est que tout le monde n'est pas mort sur le coup puisque

3 certains ont survécu à cette fusillade, certains se sont fait passer pour

4 morts en restant immobile sous les tas de corps. Fort heureusement, ces

5 survivants sont là aujourd'hui pour nous raconter ce qui s'est passé. Des

6 exhumations qui ont eu lieu ultérieurement ont confirmé ce qu'ils avaient

7 à raconter avec la découverte de 54 corps environ.

8 Je souhaiterais maintenant passer au site d'Izbica. Vous pouvez voir sur

9 votre écran une photographie d'Izbica aérienne réalisée par les enquêteurs

10 du TPIY, le 8 août 2001. Comme vous pouvez le constater, Izbica est un

11 village rural qui se situe dans une vallée. A partir du 24 mars environ,

12 suite aux tirs d'artillerie lourde dus aux forces de la RFY et aux forces

13 serbes, les habitants des villages environnants sont venus se réfugier à

14 Izbica.

15 Le 28 mars, les forces serbes ont encerclé le village d'Izbica. Ils ont

16 trouvé là des centaines de réfugiés rassemblés dans un grand champ. Et ils

17 se sont mis à exiger que les réfugiés leur donnent leur argent. Environ

18 150 hommes, qui étaient pour la plupart infirmes ou âgés, ont reçu l'ordre

19 de s'aligner sur la route principale. A ce moment-là, les femmes et les

20 enfants ont reçu l'ordre de partir et de se diriger vers l'Albanie.

21 Ensuite, les hommes ont été séparés en différents groupes, qui ont reçu

22 l'ordre d'aller dans des directions différentes. Le survivant d'un de ces

23 groupes a raconté que dans son groupe à lui, qui comptait environ 33

24 hommes, ce qui s'est passé c'est qu'on leur a ordonné de se diriger vers

25 une forêt et quand ils sont arrivés à un ruisseau, on leur a donné l'ordre

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1 de s'agenouiller. Immédiatement, les soldats ont fait feu et ont tué bon

2 nombre des réfugiés. Un survivant du deuxième groupe a raconté que lui-

3 même et les 75 autres qui étaient avec lui ont reçu l'ordre de se diriger

4 vers la ville de Vragadol à pieds et au bout de quelques mètres on leur a

5 également donné l'ordre de s'aligner le long de l'orée d'une forêt et on

6 les a abattus.

7 Il y avait deux femmes qui étaient trop faibles pour suivre les autres

8 femmes et les enfants, on les a fait monter dans une remorque et les

9 forces serbes ont ensuite mis le feu à cette remorque et les ont brûlés

10 vifs.

11 Vous entendrez des témoins vous dire que presque 127 personnes ont été

12 tuées au cours de cet incident. Avec 12 autres personnes tuées dans

13 d'autres incidents, ces cadavres ont été enterrés par les villageois. Un

14 médecin de l'endroit, le Dr Loshi a réalisé un film vidéo, il a filmé

15 les cadavres où ils avaient été trouvés, il a filmé leur enterrement et la

16 vidéo qu'il a réalisée, les images photographiques qui en ont été

17 retirées, constitueront une partie du dossier de l'accusation.

18 Je souhaiterais, d'ores et déjà, vous montrer quelques brèves séquences

19 extraites de cette vidéo pour vous donner une idée de ce qui s'est

20 produit.

21 (Diffusion de la vidéo.)

22 On voit ici des corps qui ont été alignés alors que la caméra balaye ce

23 champ vers la droite. Nous avons réalisé un montage à partir de la vidéo

24 originale pour en éliminer les images les plus odieuses. Cependant, je

25 dois, d'ores et déjà, vous prévenir que cette vidéo est malgré tout assez

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1 insoutenable. A la fin, vous verrez un gros plan sur un homme âgé avec des

2 béquilles.

3 Le 17 avril 1999, la vidéo du Dr Loshi ainsi que des images aériennes

4 ont été diffusées dans le monde entier par un représentant de l'OTAN. Et

5 la réaction de la télévision de Belgrade, c'était qu'il s'agissait d'un

6 faux et que cette vidéo avait été réalisée soit en Macédoine, soit en

7 Albanie. En fait, on s'est contenté de nier l'existence de ces faits et de

8 ces massacres.

9 Cependant, des photographies aériennes réalisées plusieurs jours plus tard

10 et, à quatre reprises, nous donnent une image bien différente de la

11 situation, nous montrent les tentatives de manipulation des autorités

12 serbes, tentatives de dissimulation.

13 Je vous demande de regarder votre écran, je m'excuse de la qualité

14 médiocre des images.

15 Tout d'abord à gauche, sur la photographie de gauche, vous avez une zone

16 qui a été photographiée, le 9 mars 1999. Ceci nous montre un champ où il

17 n'y avait absolument aucune tombe. On a photographié le même endroit le 15

18 avril, c'est-à-dire deux semaines après les massacres, et ici on voit

19 qu'il y a des monticules, des rangées de terre qui ont été remuées, ce qui

20 nous montre que c'est un lieu d'inhumation.

21 Deuxième photographie: sur cette photographie prise le 15 mai, à gauche,

22 on voit que le site d'inhumation est toujours là, on peut voir ces rangées

23 de terre remuées. Mais si vous portez votre attention sur la photographie

24 de droite, réalisée le 3 juin, il y a une masse noire, tout est parti, on

25 ne voit qu'une masse informe de terre remuée. Les enquêtes réalisées

Page 198

1 ultérieurement ont montré que, le 1er et le 2 juin 1999, des soldats de la

2 RFY et des soldats serbes sont revenus à Izbica et ont enlevé les cadavres

3 du charnier.

4 Le 27 juin 1999, une équipe de légistes français a étudié le site d'Izbica

5 et n'y a trouvé aucun corps mais ils ont trouvé des éléments qui

6 indiquaient que des restes humains y avaient été enterrés précédemment.

7 Ils ont saisi de nombreux objets, réalisé des croquis, photographié

8 l'endroit. Ils ont pu en conclure que 139 personnes avaient été enterrées

9 à cet endroit; mais on ne sait toujours pas aujourd'hui où ces corps se

10 trouvent, on ne les jamais trouvés ni identifiés. Les autorités serbes ont

11 cependant reconnu récemment qu'elles avaient enlevé les corps de cet

12 endroit.

13 Je m'interromps un instant pour souligner un point d'importance dans le

14 cadre de mon propos liminaire.

15 Car ceci montre que les autorités serbes ont essayé, en premier lieu, de

16 rejeter les allégations proférées à leur encontre, mais ensuite, quand on

17 leur a soumis les images satellitaires, ils ont essayé d'étouffer

18 l'affaire. Mais ils ont échoué lamentablement dans cette tentative.

19 Ils ne pensaient jamais que la communauté internationale irait aussi loin

20 et de manière aussi minutieuse pour enquêter sur ces lieux d'inhumation.

21 Ils n'ont jamais pensé que leurs tentatives de dissimulation fourniraient

22 en fait des informations supplémentaires sur le caractère délibéré de

23 leurs crimes. Ils pensaient qu'ils pourraient brouiller les pistes, mais

24 ils ont eu tort. Les éléments de preuve apportés par les survivants, ainsi

25 que les photographies et les preuves médico-légales, ne laisseront aucun

Page 199

1 doute dans l'esprit des Juges quant à ce qui s'est réellement passé.

2 Je passe à la municipalité de Kacanik, qui se trouve près de la frontière

3 de l'ancienne République de Macédoine.

4 Il y a là deux postes-frontières: Djaeneral Jankovic et Gllobocica. Le

5 principal centre administratif est la ville de Kacanik qui, avec le reste

6 de la municipalité, forme un ensemble d'environ 80 petits villages et

7 hameaux. Avec l'audition de nos témoins, vous apprendrez qu'entre mars et

8 mai 1999, les forces de la RFY et de la Serbie ont lancé des offensives

9 massives contre un grand nombre de villages de cette municipalité.

10 C'est ainsi, par exemple, que le 9 mars 1999, le village de Kotlina situé

11 dans les montagnes près de la frontière macédonienne a été bombardé;

12 l'armée y a pénétré avec la police; de nombreuses maisons ont été

13 détruites, incendiées; des commerces ont été pillés, détruits; les animaux

14 ont été tués. Après le départ des forces serbes, les habitants sont

15 revenus chez eux.

16 Environ deux semaines plus tard, le 24 mars 1999, le village a été pilonné

17 à partir d'une autre position et les hommes du village sont allés se

18 réfugier dans les bois environnants. Certains d'entre eux ont été

19 capturés, ils ont été ramenés au village où ils ont été gardés dans un

20 champ, avec les hommes âgés, les femmes et les enfants. Ensuite, on a

21 contraint ces hommes à se coucher face contre terre. Les femmes et les

22 enfants ont été emmenés dans des camions militaires en direction de

23 Kacanik. Les hommes âgés, eux, ont dû aller dans la même direction mais à

24 pied.

25 Mais après le départ des camions, les hommes capturés ont été emmenés

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1 jusqu'à une petite colline où il y avait deux puits naturels dans le sol.

2 Et même s'ils ont essayé de résister, ils n'ont rien pu faire face aux 150

3 policiers et soldats qui étaient avec eux. Quand ils sont arrivés au bord

4 de ces puits, les hommes ont été passés à tabac et jetés à l'intérieur de

5 ces puits. Environ une demi-heure plus tard, un engin explosif a été lancé

6 dans chacun de ces puits, avec les résultats que l'on peut attendre.

7 En septembre 1999, une équipe de légistes autrichienne a creusé le fond de

8 ces puits et on y a trouvé les restes humains de 22 personnes; on n'a pu

9 en identifier que 17.

10 Je vais maintenant passer à Vucitrn.

11 L'un des exemples presque parfaits de la méthodologie utilisée par les

12 forces serbes dans le cadre de la mise en place du transfert forcé ou de

13 l'expulsion des populations, on le trouve dans ce qui s'est passé à

14 Vucitrn, dans la municipalité de Vucitrn. Encore une fois, une

15 municipalité qui comprend beaucoup de petits villages ou hameaux, qui sont

16 reliés par des routes de terre ou par des sentiers.

17 Comme on a pu le voir dans beaucoup d'autres municipalités, les forces

18 serbes sont arrivées immédiatement après le départ des observateurs

19 internationaux, vers la fin mars 1999, et ils ont intensifié leurs

20 attaques contre les villages de la municipalité de Vucitrn. Les réfugiés

21 de la zone ont fui vers Vucitrn, parce qu'ils espéraient y être en

22 sécurité. Beaucoup de ces réfugiés ont été rassemblés par les autorités

23 serbes et envoyés vers la Macédoine en bus; certains ont réussi à s'enfuir

24 vers des villages ruraux, tels que Studime et Eperne. Ce village a vu sa

25 population atteindre les 10.000, 10.000 habitants, 10.000 réfugiés en très

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1 peu de temps.

2 Ensuite, toujours avec le même mode opératoire, caractéristique de la

3 campagne d'expulsion du Kosovo, le 14 avril, le MUP, de concert avec

4 l'armée, a mis en place un poste d'observation dans les collines dominant

5 le village avec quatre chars.

6 Ensuite, les témoins ont raconté que les forces de la RFY et de la Serbie

7 ont commencé à balayer tous les villages et les hameaux de la

8 municipalité. Ils ont commencé à partir du nord de la municipalité et,

9 ensuite, ils ont repoussé comme du bétail, comme un troupeau, ils ont

10 repoussé les réfugiés devant eux, vers Studime et Eperne. Cette rafle a eu

11 pour effet la fuite désespérée de réfugiés albanais du Kosovo, qui

12 fuyaient dans des tracteurs, des charrettes, différemment modes de

13 transport improvisés, et qui fuyaient également à pied. On avait là un

14 convoi qui faisait de 4 à 5 kilomètres de long et qui comptait près de

15 30.000 personnes.

16 A un moment donné, dans l'après-midi, les forces serbes ont obligé le

17 convoi à s'arrêter près d'un vaste champ. Beaucoup de réfugiés se sont

18 alors vus délestés de leur argent, de leurs bijoux, de leurs autres biens

19 précieux, aussi bien par les policiers que par les soldats. On les

20 menaçait sinon de les tuer. Beaucoup ont été passés à tabac, exécutés

21 apparemment de manière complètement aléatoire.

22 Ensuite, le convoi a été escorté par le MUP et la VJ à un endroit situé à

23 l'extérieur de Vucitrn. Là, on a séparé les hommes des femmes et enfants:

24 les hommes ont été envoyés en prison et les femmes et les enfants en

25 Albanie. Les Albanais du Kosovo, concernés par cette attaque et qui ont

Page 202

1 survécu, ont plus tard enterré 104 personnes qui avaient été tuées ce jour

2 là.

3 Au cours du mois de juillet 1999, une équipe de pathologistes a exhumé 93

4 corps et réalisé des autopsies sur ces corps. Elle a étudié les douilles,

5 les vêtements, les autres objets trouvés sur place. Le rapport et les

6 conclusions de cette équipe seront présentés dans le cadre de la

7 présentation de nos moyens par le Dr Baccard.

8 On a pu constater dans ce rapport que presque 97% des gens étaient morts

9 suite à des tirs d'armes à feu. On constate que, pratiquement dans la

10 moitié des cas, il s'agit de balles qui ont été tirées dans le dos et à

11 bout portant.

12 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, ma description avait pour but

13 de vous donner une idée de ce qui s'est passé sur ces sites d'expulsion,

14 caractéristiques de ce qui s'est passé dans tout le Kosovo. Bien entendu,

15 je n'ai pas le temps de passer en revue chacun des sites. Vous constaterez

16 également que nous avons fait figurer à l'Acte d'accusation beaucoup de

17 sites d'exécution, qui correspondent parfois aux sites d'expulsion et

18 parfois non.

19 A ce stade de mon intervention, je souhaiterais évoquer seulement deux de

20 ces sites d'exécution. Pourquoi? Parce qu'ils sont représentatifs du type

21 de comportement qui existe sur tous les autres sites, mais ces deux sites

22 nous apportent des éléments supplémentaires très particuliers. Je pense

23 ici à un nouvel exemple de tentative de dissimulation où l'on a vu des

24 corps de victimes albanaises du Kosovo exhumés de l'endroit où ils avaient

25 été enterrés au Kosovo, transportés en camions frigorifiques et enterrés à

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1 nouveau en divers endroits, tous en Serbie et même près de Belgrade.

2 Parlons, si vous le voulez bien, tout d'abord, du site de Suva Reka.

3 Suva Reka, c'est la ville principale qui a une population à 90% composée

4 d'Albanais du Kosovo, dans une grande municipalité qui porte le même nom.

5 Suva Reka se trouve dans une région montagneuse du sud du Kosovo.

6 Monsieur Nice vous a parlé de l'accord entre Milosevic et Holbrooke. A la

7 suite de la conclusion de cet accord, les moniteurs, les vérificateurs du

8 KVM, de la mission de vérification ont été établis pour assurer

9 l'observation et pour veiller à ce qu'il y ait un rapport indépendant,

10 destiné à déterminer si les conclusions de cet accord et les clauses de

11 celui-ci étaient appliquées.

12 Ce KVM s'est installé à Suva Reka en novembre 1998 et a fini par louer des

13 locaux qui appartenaient à la famille Berisha. Suite à la menace d'une

14 attaque imminente, dans le cadre des frappes de l'OTAN, la KVM a été

15 évacuée du Kosovo, le 20 mars 1999.

16 De ce fait, à Suva Reka, dès le 22 mars, les tensions augmentent et des

17 tirs retentissent dans toute la municipalité. Les Serbes ordonnent aux

18 Albanais du Kosovo de quitter la région. Et effectivement, à peine la KVM

19 qui se retirait avait-elle tourné le dos, que les Serbes se sont

20 installés, et la rapidité avec laquelle ils ont exécuté cette manœuvre est

21 une indication du fait qu'ils étaient préparés et qu'ils ne faisaient

22 qu'attendre le moment où ils pourraient intervenir.

23 Le 25 mars, des policiers serbes viennent à la propriété des Berisha et

24 tiennent ses membres sous la menace de leurs fusils pendant qu'ils

25 enlèvent de cette propriété tous les biens, tout le matériel qui

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1 appartenaient à la KVM, et exige aussi de l'argent de la famille des

2 Berisha.

3 Le matin du 26 mars, les membres de la famille Berisha voient deux chars

4 qui ont leur canon dirigé vers la propriété. Vers midi -des témoins

5 viendront vous le dire-, de 30 à 50 policiers habillés en uniformes divers

6 quittent le poste de police en groupe et se dirigent immédiatement vers la

7 propriété des Berisha.

8 Je vous demande maintenant d'examiner cette photographie placée pour le

9 moment sur le rétroprojecteur. Vous voyez la partie indiquée par cette

10 flèche jaune: c'est la propriété Berisha qui avait été pendant tout un

11 temps le bureau ou les lieux où était installée la KVM.

12 Et nous vous montrerons, grâce au témoin, que de 30 à 50 policiers se sont

13 rassemblés pour prendre la direction de la propriété des Berisha. Là, ils

14 ont fait sortir les habitants; ceux-ci étaient pris de panique, de peur et

15 cherchaient à s'enfuir en courant. C'est pendant cette fuite que six

16 membres de la famille ont été abattus. Quant au reste, certains blessés,

17 ils ont été poussés pour descendre la rue et ils ont été dirigés vers une

18 zone qui se trouve vers la gauche de cette photographie. Ils ont donc

19 suivi la rue pour aller vers un café qui se trouvait à quelque 70 mètres

20 de la propriété des Berisha; ils ont descendu cette rue pour arriver vers

21 l'endroit indiqué par la flèche bleue. C'est à ce moment-là qu'il y a au

22 moins 41 civils, dont 22 adultes et 19 enfants qui avaient moins de 18

23 ans, qui ont été forcés à entrer dans ce café.

24 D'après les témoins que vous entendrez, un policier de la localité qui

25 semblait être le responsable est entré dans ce café et a dit ceci: "Pas un

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1 Albanais ne restera vivant; nous allons tous les liquider". Sur ces

2 entrefaites, plusieurs policiers sont entrés dans ce café et ont ouvert le

3 feu sur ces personnes qui s'y trouvaient, les tuant quasi toutes et, pour

4 être bien sûr qu'ils avaient bien rempli leur mission, ils ont jeté à

5 l'intérieur de ce café des grenades.

6 Voici à quoi ressemblait l'intérieur de ce café une fois les corps

7 enlevés.

8 Cependant, ce que ces agresseurs ne savaient pas, c'est que tout le monde

9 n'avait pas été tué sur le coup et il y a eu quelques survivants qui vous

10 permettront d'apprendre, par leurs propres dires, ce qui s'est passé.

11 D'après ces témoins, un camion jaune -dont il était connu que c'était ce

12 policier qui l'utilisait la plupart du temps- s'est arrêté devant ce café;

13 y ont été chargés des corps, dont les corps de deux femmes qui avaient

14 simplement été blessées et un enfant de 8 ans qui était le gamin d'une de

15 ces deux femmes. Le camion est parti en direction de Prizren, mais, en

16 route, ces deux femmes blessées et ce petit enfant ont réussi à descendre

17 du camion, à en sauter et à s'échapper.

18 Pendant le massacre de Suva Reka, le 26 mars, 47 membres de la famille des

19 Berisha ont été tués, des femmes, des hommes, des enfants; le plus jeune

20 avait 12 mois, le plus âgé 81 ans. Il y avait parmi ces personnes une

21 femme de 24 ans qui était enceinte de 8 mois. Je vous en parle parce que

22 ceci prendra toute son importance dans quelques instants.

23 En juin 1999, après le départ des forces serbes du Kosovo, une fosse

24 commune a été trouvée dans le cimetière de Suva Reka. Une équipe de

25 médecins-légistes britanniques a exhumé cet endroit et a procédé à

Page 206

1 l'identification provisoire des corps appartenant à des membres de la

2 famille des Berisha.

3 En août 1999, donc un mois plus tard, cette même équipe a aussi exhumé un

4 autre site le long de la route de Suva Reka, à Prizren, qu'on appelle le

5 "champ de tir". Ils ont trouvé là les restes de corps, des vêtements qui

6 appartenaient aux personnes qui avaient été massacrées dans le café.

7 L'équipe de médecins-légistes en a conclu qu'il y avait eu là des

8 personnes qui avaient été déterrées et ré-enterrées, puisqu'on avait

9 utilisé pour ce faire des excavatrices. Des témoins viendront vous parler

10 des résultats d'exhumations réalisées aux abords de Belgrade à un endroit

11 appelé "Batajnica". Un de ces sites se trouve à l'extérieur de la clôture

12 d'enceinte du terrain où était installée la police antiterroriste, qu'on

13 appelle "SAJ".

14 Entre le 16 et le 26 juin 2001, environ 37 corps ont été trouvés dans

15 cette fosse. Treize corps d'hommes ont été retrouvés mais, outre cela, les

16 restes de quatre autres femmes adultes, de neuf enfants et d'un fœtus de 7

17 à 8 mois ont été trouvés. Rappelez-vous: je vous ai dit, il y a un

18 instant, qu'une des femmes assassinées dans ce café était enceinte de 8

19 mois.

20 Ce qui est encore plus étonnant, c'est le fait que les documents, les

21 pièces d'identité qu'on a trouvés parmi les vêtements de plusieurs de ces

22 victimes ont révélé l'identité d'au moins sept personnes qui étaient des

23 victimes du massacre de Suva Reka, qui s'était produit le 26 mars 1999.

24 Nous ferons valoir que c'est là la preuve manifeste qu'il y avait une

25 tentative de dissimulation de la part des autorités de la RFY et de la

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1 Serbie qui voulaient dissimuler ces cadavres dans l'espoir qu'ils ne

2 seraient jamais trouvés. De nouveau, les architectes de cette campagne de

3 dissimulation ont misérablement échoué. Ils ne s'attendaient sans doute

4 pas à ce que ces recherches médico-légales approfondies permettent non

5 seulement de révéler quels étaient les actes qu'ils avaient commis, mais

6 aussi montreraient que ces tentatives de dissimulation avaient échoué.

7 Cependant, les exhumations ne se sont pas arrêtées là. Entre le 10 juillet

8 et le 15 septembre 2001, les équipes médico-légales se sont attachées à

9 explorer les sites se trouvant à l'intérieur de la caserne de la police

10 secrète de Batajnica, près de Belgrade.

11 Ce site a permis de découvrir les corps d'au moins 269 personnes. Une fois

12 de plus, plusieurs pièces d'identité ont été découvertes, dont huit qui

13 permettaient d'établir un lien avec des personnes enregistrées par le CICR

14 comme ayant été vues pour la dernière fois au village de Meja, dans la

15 province du Kosovo, le 27 avril 1999.

16 Ceci m'amène bien sûr à vous parler du deuxième site d'exécution, celui de

17 Meja.

18 C'est un des sites d'exécution que nous mentionnons dans l'Acte

19 d'accusation concernant le Kosovo et c'est là une illustration

20 supplémentaire des tentatives de dissimulation qui ont été entreprises où

21 l'on déterrait des corps pour les enterrer ailleurs dans l'espoir qu'ils

22 ne seraient jamais trouvés. Mais là aussi, ils se sont trompés.

23 Meja n'est qu'un des villages de la municipalité de Djakovica. Dans toute

24 cette région, il y a eu des meurtres et des actes de persécution, dans le

25 cadre de ce qui est pour nous une campagne de nettoyage ethnique.

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1 Outre Meja, en mars 1999, des forces de la RFY et de la Serbie ont

2 commencé à lancer des offensives allant de maison en maison, dans la ville

3 de Djakovica, tuant, pillant, incendiant, détruisant des sites culturels

4 et religieux et aussi en chassant la population.

5 Vous allez voir maintenant des images vidéo qui vous donneront un aperçu

6 très bref de l'étendue des destructions subies par ces villages et ces

7 villes. Ce n'est qu'une séquence très brève, mais je pense qu'elle sera

8 parlante. Vous verrez que la ville a pratiquement été réduite en cendres,

9 mais vous remarquerez aussi qu'il y a de nombreux dégâts infligés à la

10 mosquée.

11 Peut-on visionner cette séquence?

12 (Diffusion de la vidéo.)

13 Je ne sais pas s'il faut ajouter des mots à ces images, car elles vous

14 montrent la destruction pratiquement intégrale. Il ne reste pratiquement

15 rien de ces maisons. A peine quelques murs.

16 Peu de temps auparavant, c'était une communauté prospère. Difficile de se

17 l'imaginer quand on voit l'ampleur des dégâts et nous ne voyons ici qu'une

18 des rues de cette ville. Il ne reste pratiquement rien. Que pourriez-vous

19 y trouver si jamais vous y retourniez?

20 Vous entendrez parler d'un des sites de Djakovica. Il se trouve au 157 de

21 la rue Milos Gilic. C'est une maison de quatre pièces.

22 Ces images vous le montrent. Passé une des propriétés, c'est la

23 configuration classique que l'on trouve au Kosovo. C'est là l'image

24 classique et la configuration d'une maison albanaise. Vous voyez cette

25 propriété; auparavant, devant, il y avait un commerce et puis les

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1 bâtiments d'habitation se trouvaient derrière.

2 Que s'est-il passé dans la nuit du 1er avril 1999? Vingt femmes et enfants

3 avaient entendu parler des problèmes des forces serbes qui s'approchaient.

4 Ils ont cherché refuge dans la cave, lorsqu'un groupe d'hommes en

5 uniforme, d'hommes armés, est arrivé pour leur ordonner de remonter à

6 l'étage dans la maison.

7 Voyez maintenant de ce qui avait été une maison, il n'y a plus que ces

8 murs. Un des hommes a tiré sur ce groupe de sept femmes et de treize

9 enfants. Un enfant de 10 ans a survécu. Il avait vu que le corps de sa

10 mère était tombé sur celui de sa petite sœur, lui épargnant ainsi la vie

11 et lui permettant d'échapper aux balles. Sa sœur était toujours vivante;

12 elle se trouvait sous cet amas de corps. Il l'entendait qui criait à

13 l'aide mais, comme il était blessé lui-même, il n'a pas eu la force de

14 soulever le corps de sa mère pour sauver la vie de sa sœur.

15 Voici ce qui s'est passé; c'est ce qui se passe lorsque des soldats serbes

16 ont mis le feu, le feu à la maison et à cette pile de corps. Imaginez

17 l'horreur qui fut celle de ce petit garçon lorsqu'il a vu les agresseurs

18 mettre le feu à la maison: son agonie, son impuissance. Ce sont des images

19 qui le hantent encore à ce jour, car il savait que sa sœur était brûlée

20 vivante. Cette nuit-là, il a été le témoin de l'horrible exécution de tous

21 ses cousins, de sa mère, de toutes ses sœurs, de deux de ses tantes et de

22 leurs amis.

23 Il a survécu et il pourra ainsi venir déposer devant vous pour vous faire

24 le récit de ces événements horribles qui, s'il n'y avait pas sa présence

25 devant vous, s'ajouteraient simplement à une liste de statistiques. Mais

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1 les gens, c'étaient plus que de simples statistiques; c'étaient des

2 victimes civiles, innocentes qui, même en faisant preuve de la plus grande

3 imagination, ne pourraient pas être considérées comme des cibles

4 militaires légitimes.

5 On vous parlera du fait que, cette nuit-là, dans ce seul quartier, plus de

6 50 civils sans armes ont été tués.

7 Et ces lieux ne sont pas les seuls où il y ait eu des tueries dans cette

8 municipalité. Parlons par exemple du village de Korenica. Ceci se passe

9 vers la fin du mois d'avril.

10 Apparemment, en guise de représailles suite à une attaque menée par l'UCK

11 qui était dirigée contre cinq policiers, 34 hommes, civils, sans arme,

12 deux femmes sont sommairement exécutés. Leurs corps sont brûlés; ces corps

13 seront plus tard enterrés par des tziganes de la localité sur les ordres

14 du MUP serbe. Et puis, plus tard, ces corps seront déterrés pour être

15 enterrés ailleurs. On ne les a toujours pas retrouvés.

16 Autre incident: un convoi de réfugiés a franchi un point de contrôle du

17 MUP, à Meja. C'est alors qu'un groupe d'environ 20 hommes, qui avaient de

18 12 à 70 ans, a été séparé du convoi, emmené vers un champ proche; ils ont

19 été contraints à s'agenouiller, les mains dans la nuque, et abattus sans

20 autre forme de procès.

21 Les archives du CICR montreront que plus de 340 personnes sont portées

22 manquantes, qui appartenaient à la zone de Meja. On trouve aussi des

23 pièces d'identification concernant au moins huit de ces personnes ou dans

24 une fosse commune à Belgrade.

25 Une fois de plus, on trouve la trace de ces crimes et ces recherches se

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1 poursuivent encore au moment même où ce procès commence.

2 Nous pouvons ainsi reconstituer, petit à petit, ce système qui était

3 utilisé partout au Kosovo. Les civils étaient assassinés, enterrés et,

4 lorsqu'on risquait de voir ces crimes découverts, il y avait une tentative

5 organisée, destinée à déterrer ces corps pour les enterrer ailleurs.

6 Tout ceci en vain. Les personnes responsables de ces exhumations avaient

7 déjà acquis de l'expérience en Bosnie et toutes sortes de mesures ont été

8 prises pour essayer de dissimuler ce qui avait été fait. Les moyens par

9 lesquels ces corps ont été placés ailleurs ne sont plus un mystère pour

10 personne. Nous savons maintenant que ces corps étaient emmenés en camions

11 frigorifiques à d'autres endroits.

12 Nous n'affirmons pas ici que le camion que vous voyez sur cette image soit

13 celui utilisé pour transférer des corps à Batajnica, près de Belgrade,

14 mais c'est un exemple qui vous montre comment ces corps ont été enlevés,

15 éloignés du Kosovo, dans le cadre de cette campagne de dissimulation. Nous

16 avons trouvé ce camion dans la rivière du Danube; il contenait le corps

17 d'environ 80 Albanais du Kosovo. Voyez les pieds de certains qui dépassent

18 à l'arrière du camion.

19 Parlons rapidement des sévices et agressions sexuelles, et de la

20 destruction des sites religieux.

21 Je vous ai dit que cette partie du procès sera surtout consacrée à

22 l'expulsion et aux exécutions. Mais tout ceci visait à créer un climat de

23 peur, de panique, de répression par le recours à la force et aux actes de

24 violence. Mais il y a d'autres accusations que nous portons également.

25 Au Chef 5 de l'Acte d'accusation, nous accusons M. Milosevic de

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1 persécutions. Mais c'est aussi la persécution par les sévices sexuels

2 infligés aux Albanais du Kosovo, ainsi que la destruction, sans motif, de

3 sites religieux et culturels.

4 Vous allez entendre plusieurs femmes vous dire qu'elles ont été les

5 victimes d'agressions sexuelles. Elles vous diront que les soldats ont

6 rassemblé les civils. Il y avait un groupe d'environ 17 hommes qui avaient

7 été séparés, et de 50 à 100 femmes qui ont été sélectionnées et violées

8 devant le reste du groupe.

9 Vous entendrez un témoin vous dire qu'elle s'est trouvée dans un groupe de

10 27 femmes et enfants qui ont été gardés dans une étable par des soldats.

11 On leur a volé ce qu'elles avaient sur elles; on les a menacées de

12 violences; on les a fouillées et puis, on les a forcées à se déshabiller:

13 elles ont été violées; beaucoup de ces femmes et de ces gamines ont été

14 violées.

15 D'autres témoins viendront vous dire que leur sœur, leur mère faisaient

16 partie de ces femmes qu'on a fait sortir et qui ne sont jamais revenues.

17 Leurs corps nus ont été retrouvés dans les puits près de l'étable.

18 D'autres viendront vous dire aussi comment ils ont été attaqués par des

19 soldats serbes, dévalisés, comment leur mari, d'autres membres de leur

20 famille ont été assassinés, comment elles ont été violées. Toutes ces

21 femmes, mis à part l'horreur et le traumatisme occasionnés par ces crimes,

22 ont connu le crime du viol et de l'agression sexuelle, ce qui les

23 stigmatise encore davantage. Elles n'osaient même pas en parler à leur

24 famille.

25 Une jeune femme qui était fiancée, qui devait bientôt se marier, a subi

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1 des sévices sexuels et, par la suite, elle a été rejetée par son fiancé.

2 Il faut beaucoup de courage pour venir dire devant vous ce qui s'est

3 véritablement passé. Vous le comprendrez, certaines de ces victimes ont

4 demandé des mesures de protection et elles ont été accordées conformément

5 au Règlement de procédure des preuves. Par conséquent, ces femmes

6 viendront témoigner à huis clos ou bénéficieront d'un pseudonyme ou de la

7 déformation des traits du visage.

8 Au cours de leur déposition, beaucoup de témoins viendront vous dire que

9 des mosquées et d'autres sites religieux ont été détruits par les forces

10 serbes, des mosquées ont été incendiées, pilonnés ou ensuite détruites à

11 l'explosif.

12 Beaucoup viendront vous dire ce qui a été fait s'agissant de leurs sites

13 religieux, dans leur village, mais outre ces témoignages, vous aurez aussi

14 la possibilité d'entendre ce que viennent vous dire les responsables d'un

15 projet sur le patrimoine culturel du Kosovo de l'université de Cambridge

16 au Massachusetts.

17 Ceci viendra corroborer ce que vous diront les témoins de la région et

18 ceci révèle que 225 mosquées ont été endommagées ou détruites au Kosovo,

19 en 1998 et en 1999. La plupart des dégâts occasionnés provenaient d'engins

20 explosifs placés dans la mosquée ou dans le minaret, de tirs d'artillerie

21 dirigés sur le minaret ou d'incendie de mosquées.

22 (Diffusion de la vidéo)

23 Voici un exemple, parmi tant d'autres, d'une mosquée endommagée: nous

24 aurions pu vous en montrer beaucoup, mais celle-ci, c'est une mosquée qui

25 se trouve dans la ville de Vucitrn.

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1 Parfois les attaques s'accompagnaient de graffitis anti-albanais ou pro-

2 serbes qui étaient inscrits sur les murs de la mosquée. Des actes de

3 vandalisme étaient commis s'agissant des écritures religieuses, des livres

4 religieux qu'on déchirait, brûlait ou profanait. Dans certaines

5 municipalités, les mosquées et d'autres sites islamiques ont été les seuls

6 bâtiments à être ciblés. Dans une municipalité, celle de Pec ou Peja, 49

7 monuments musulmans ont été attaqués; chacun d'entre eux.

8 Cette étude aussi contredit ce qu'affirment les Serbes. Ceux-ci disaient

9 que les dégâts avaient été occasionnés par les frappes aériennes de

10 l'OTAN. Dans la grande majorité des municipalités, pas une seule mosquée

11 n'a connu de dégâts imputables à une attaque aérienne. En fait, certaines

12 présentées comme endommagées par les Serbes, comme étant endommagées par

13 des frappes aériennes, se sont avérées tout à fait intactes. Pour

14 d'autres, il est apparu qu'elles avaient été endommagées par des attaques

15 au sol et pas par des attaques aériennes. D'après ce rapport, seulement en

16 deux endroits, on a pu identifier des dégâts imputables à l'intervention

17 de l'OTAN.

18 Les éléments de preuve vous prouveront, au-delà de tout doute raisonnable,

19 que ces sites religieux et culturels étaient pris pour cibles, de façon

20 spécifique, par les forces de la RFY et de la Serbie qui s'étaient

21 engagées dans cette campagne de persécution.

22 Au fil du procès, au cours des cinq ou six prochains mois, vous serez

23 frappés, sans aucun doute, par plusieurs faits: notamment, par le fait

24 qu'il y avait une coordination entre la VG, le MUP et les autres forces de

25 la RFY et de la Serbie pendant toute la durée de la campagne. Aussi par le

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1 fait que cette méthode se répète de façon très systématique: les hommes

2 étaient séparés des femmes des enfants; souvent les hommes étaient

3 assassinés, les femmes et les enfants expulsés. Qu'il y avait toujours

4 dans ces attaques des menaces de violence, des insultes, le vol de pièces

5 d'identité, le pillage, l'incendie des biens, le fait de tuer le bétail,

6 d'assassiner les non-combattants, de violer les femmes, de détruire les

7 sites religieux. Vous serez également frappés par le fait que les gens

8 étaient poussés dans des corridors, étaient forcés à monter dans des

9 trains, dans des bus, escortés par des Serbes en uniforme afin de quitter

10 au plus vite le Kosovo.

11 Cette même méthode, cette même structure se répète partout en même temps,

12 dans toutes les municipalités du Kosovo.

13 A la fin de la présentation de nos moyens de preuve, vous n'aurez plus

14 aucun doute raisonnable. Vous serez convaincus de la culpabilité de cet

15 accusé pour chacun des chefs d'accusation de l'Acte d'accusation pour le

16 Kosovo.

17 Je vous remercie, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

18 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Ryneveld.

19 Monsieur Milosevic, vous avez maintenant l'occasion de vous adresser à la

20 Chambre de première instance.

21 Mais auparavant, je voudrais vous dire ceci s'agissant du droit que vous

22 avez de garder le silence pendant ce procès.

23 Vous avez le droit effectivement de rester silencieux pendant la durée de

24 ce procès; vous n'êtes pas obligé de déposer, vous n'êtes pas obligé

25 d'interroger les témoins, vous n'êtes pas obligé d'intervenir. Cependant,

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1 il vous est loisible de faire une déclaration maintenant et l'on ne peut

2 pas vous poser de questions s'agissant du contenu de votre déclaration.

3 Pourtant, cette déclaration se fera sous le contrôle de la Chambre de

4 première instance qui déterminera quelle sera la valeur probante

5 éventuelle à accorder à cette déclaration.

6 Vous pourrez, le temps voulu, déposer pour vous défendre mais ceci fera

7 bien sûr l'objet d'un contre-interrogatoire. Lorsque vous ne déposez pas,

8 vous n'êtes pas obligé de répondre à quelques questions que ce soit

9 s'agissant des faits de la cause. Mais sachez que si vous faites des

10 déclarations portant sur ces faits, lorsque vous vous adressez à la

11 Chambre, ces déclarations peuvent faire partie du dossier examiné par la

12 Chambre de première instance au cours de son délibéré.

13 Cette décision ne s'applique pas à des questions de procédure pas plus

14 qu'elle ne s'applique à des questions administratives. La présente

15 déclaration sera présentée par écrit à l'accusé.

16 Enfin, une dernière chose, vous pouvez rester assis, vous adressez à la

17 Cour, à la Chambre debout, à vous de décider.

18 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous terminez les travaux

19 d'aujourd'hui à 16 heures?

20 M. le Président (interprétation): Nous allons interrompre à 16 heures.

21 Donc vous pouvez commencer maintenant. Nous suspendrons à 16 heures et

22 vous poursuivrez demain.

23 M. Milosevic (interprétation): Je pense que cela ne fait aucun sens que je

24 commence et que je sois interrompu après une demi-heure puisque

25 aujourd'hui j'ai passé la journée à écouter les propos du Procureur.

Page 217

1 M. le Président (interprétation): Vous nous demandez de commencer demain

2 matin, c'est ce que vous souhaitez?

3 M. Milosevic (interprétation): Vous m'avez expliqué la dernière fois, lors

4 de la conférence de mise en état, que j'aurais le droit de m'exprimer et,

5 si je comprends bien ce que vous venez de dire, vous m'accordez

6 actuellement le droit de m'exprimer.

7 Pour ce qui me concerne, je considère qu'il est logique que je commence

8 mon intervention sans courir le risque d'être interrompu dans une demi-

9 heure. Mais je pourrais utiliser ces quelques moments…

10 M. le Président (interprétation): Vous pouvez commencer demain. Très bien.

11 Mais que voulez-vous ajouter?

12 M. Milosevic (interprétation): Avant d'entrer dans le vif du sujet, je

13 voulais me servir des quelques instants qui me restent aujourd'hui pour

14 vous rappeler que j'ai déjà évoqué un certain nombre de points de droit

15 dans mes interventions antérieures, que je n'ai pas l'intention de ré-

16 aborder ici et qui n'ont pas reçu réponse de votre part, à savoir que,

17 comme vous le savez, tous les documents de droit nationaux aussi bien

18 qu'internationaux, prévoient qu'un Tribunal ne peut juger que s'il est

19 créé en application du droit.

20 Et la première question que j'ai soulevée ici était la question de la

21 légalité de ce Tribunal. Question à laquelle vous n'avez apporté aucune

22 réponse. Vous avez parlé de la compétence du Tribunal et, bien sûr, il n'y

23 a pas nécessairement contradiction entre la compétence et la légalité d'un

24 Tribunal, mais ce que j'ai évoqué c'est la question de la légalité du

25 Tribunal, à savoir qu'il n'a pas été créé légalement et que, par

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1 conséquent, les compétences de ce Tribunal ne pouvaient pas lui être

2 attribuées. Par conséquent, ce Tribunal ne peut pas juger.

3 Je m'attends à recevoir une réponse à ces questions de droit de votre

4 part. Et je m'attendais également, compte tenu qu'un des amici curiae l'a

5 proposé, que vous consultiez pour avis la Cour internationale de justice.

6 Ce que vous n'avez pas fait non plus.

7 Je considère que cette question est une question de principe d'une extrême

8 importante, aussi bien pour le droit international que pour le droit en

9 général et qu'il importe que cette question soit réglée.

10 Je crois avoir apporté des explications suffisantes à ce sujet au moment

11 où je me suis exprimé oralement et qu'en outre, j'ai soumis au Tribunal un

12 document écrit qui comporte un certain nombre de points relatifs à cette

13 question.

14 Il y a une autre question que j'aimerais éclaircir dès le début.

15 J'ai déjà parlé ici devant ce Tribunal de la question de l'illégalité de

16 mon arrestation, à laquelle ont participé des représentants du Tribunal,

17 qui s'est réalisée à Belgrade et qui était en contravention avec le droit

18 yougoslave et la constitution yougoslave. A cet égard, des poursuites

19 judiciaires ont été engagées en Yougoslavie.

20 Je sais par ailleurs, que tout Tribunal est tenu de régler cette question

21 de l'abeas corpus avant le début d'un procès. Or, vous n'avez pas pris

22 cette question en considération, vous n'avez pas non plus organisé une

23 audience relative à cette question. Or, d'après le Règlement de procédure

24 et de preuve, vous êtes tenu de le faire car ces questions figurent dans

25 toutes les déclarations relatives aux Droits de l'Homme, au droit des

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1 sociétés, aussi bien aux Etats-Unis que dans le monde en général. Et en

2 tant que juristes, vous connaissez très bien ces documents.

3 Par ailleurs, votre pratique prévoit aussi l'exercice de ces droits

4 puisque vous avez déjà discuté à plusieurs reprises de l'illégalité des

5 arrestations effectuées par vous.

6 Je considère donc qu'il s'agit ici d'une omission importante de votre

7 part, car il était de votre devoir d'organiser une audience pour traiter

8 du caractère illégal de l'arrestation qui a été effectuée à mon encontre

9 et, en conséquence de quoi, j'ai été amené ici à La Haye pour répondre de

10 crimes.

11 Après tout, il ne s'agit pas ici simplement du droit appliqué dans mon

12 pays, mais du droit appliqué dans tous les Etats et prévu dans tous les

13 actes officiels internationaux et de toutes les conventions

14 internationales.

15 En outre, j'ai également évoqué encore une autre question à laquelle vous

16 n'avez pas apporté de réponse non plus. Question que j'ai défendue,

17 présentée avec un grand nombre d'arguments. A savoir qu'ici il est

18 impossible de parler d'un quelconque procès équitable compte tenu de la

19 partialité du Procureur. Vous savez qu'en 1990 une réunion des Nations

20 Unies a rendu une décision au sujet du Procureur général et dans ce

21 document il est stipulé qu'un Procureur doit être neutre, impartial.

22 Or, ici, nous avons entendu un certain nombre de choses qui ont convaincu

23 chacun, non seulement que le Procureur de ce Tribunal n'était pas

24 impartial, mais qu'après avoir rendu public l'Acte d'accusation rédigé

25 contre moi par ce Procureur, une campagne publique a été lancée à l'égard

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1 de l'opinion publique, campagne qui permet de comparer le procès organisé

2 contre moi à un véritable lynchage.

3 M. le Président (interprétation): Je vais vous interrompre. Que voulez-

4 vous dire lorsque vous dites que le Procureur a déjà prononcé votre

5 sentence, vous a déjà jugé?

6 M. Milosevic (interprétation): C'est ce qu'il a fait à l'égard de

7 l'opinion publique.

8 D'ailleurs, le Procureur général précédent, lors d'une rencontre avec

9 Albright a fait savoir qu'en fait leurs deux postes étaient équivalents

10 alors que le Procureur représentait l'une des parties au conflit.

11 Une guerre s'est déroulée, une guerre contre la Yougoslavie. Et l'Acte

12 d'accusation a été rédigé sur la base d'instructions venant des services

13 de renseignement britanniques. Or, chacun sait que les services de

14 renseignement ne fournissent que les opérations qui sont dans leur

15 intérêt, avec tous les détails nécessaires, en omettant tous les éléments

16 qui ne sont pas à leur avantage, etc., etc.

17 De nombreux arguments ont été évoqués ici, mais, en tout état de cause, il

18 convient d'indiquer que nous n'avons pas discuté ici d'un certain nombre

19 de questions qui auraient requis une décision.

20 Vous n'avez pas demandé l'avis de la Cour internationale de justice, vous

21 n'avez pas discuté du problème de la légalité de ce Tribunal, vous n'avez

22 pas discuté d'un certain nombre de questions dont l'habeas corpus dont

23 vous étiez tenu de discuter.

24 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez indiqué

25 que vous souhaitiez commencer votre intervention demain, ce qui

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1 apparemment n'est pas le cas puisque vous avez tenu à prendre la parole

2 aujourd'hui.

3 Mais les questions que vous avez choisies de nous soumettre aujourd'hui

4 sont des questions qui ont déjà donné lieu à décision de la part de la

5 Chambre.

6 Vous le sauriez si vous aviez pris la peine de lire ces décisions. Vous

7 aviez le droit d'interjeter appel; vous ne l'avez pas utilisé. Toutes ces

8 questions ont été débattues et vos positions au sujet du Tribunal n'ont

9 plus aucune pertinence aujourd'hui en ce qui concerne les débats qui se

10 déroulent ici.

11 Toutes les questions que vous avez évoquées, vous les avez présentées avec

12 des arguments à l'appui; nous avons rendu notre décision à ce sujet. Il

13 n'y a aucune nécessité de rendre une nouvelle décision dans le cadre des

14 débats actuels.

15 Nous entendrons le reste de vos arguments demain matin.

16 M. Milosevic (interprétation): Je commencerai demain.

17 M. le Président (interprétation): Madame la Procureure, il y a une

18 question qu'il pourrait être utile que nous discutions dans le temps qui

19 nous reste.

20 Cette question est la suivante: j'ai déjà dit que nous discuterions mardi

21 de la conduite du procès à l'avenir. Et il pourrait être utile que vous

22 gardiez à l'esprit le calendrier éventuel de ce procès, orienté bien sûr

23 vers la nécessité de travailler aussi rapidement que possible. Il est bien

24 sûr parfois difficile d'établir un calendrier à l'avance sans savoir

25 combien les contre-interrogatoires vont durer.

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1 Mais en ce qui concerne la présentation des arguments du Procureur, un

2 point ressort: la décision rendue par la Chambre précédemment l'a été dans

3 l'optique d'un procès ne concernant que les crimes du Kosovo. Aujourd'hui,

4 nous sommes en présence d'un procès joint, ce qui modifie un peu la

5 situation.

6 Le premier calendrier auquel nous avions pensé prévoyait d'entendre 90

7 témoins à peu près avant les vacances judiciaires. Il est possible que

8 nous ayons à ré-envisager la question pour la raison suivante. En effet,

9 avant de traiter de la Bosnie et de la Croatie, manifestement, il faudra

10 que l'accusé se voit accorder un certain temps pour se préparer, de même

11 que les amici curiae et le Tribunal, de façon générale.

12 Donc nous pensions à la chose suivante: arriver au terme de la

13 présentation des témoignages relatifs au Kosovo, à la fin du mois de juin

14 ou au début du mois de juillet, ce qui permettrait à la Chambre de

15 disposer de deux mois pour se préparer à la suite du procès.

16 Nous admettons que cela impliquera peut-être la nécessité pour le

17 Procureur de réduire quelque peu la présentation de ses moyens de preuve

18 relatifs au Kosovo et de citer à la barre un nombre réduit de témoins par

19 rapport aux dispositions initiales.

20 Vous pourriez peut-être y réfléchir, compte tenu de la durée totale

21 envisagée pour ce procès, car même dans ces conditions, il semble que la

22 présentation des moyens de preuve du Procureur ne peut durer moins d'un

23 an, ce qui, je pense, est suffisant pour quelque procureur que ce soit, y

24 compris si l'on tient compte de la complexité de la présente affaire.

25 Peut-être pourriez-vous réfléchir à cela et nous en rediscuterons mardi

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1 prochain.

2 Je rappelle au passage à chacun que demain ne sera pas une journée

3 d'audience complète, car l'après-midi, ce prétoire doit être mis à la

4 disposition d'une autre audience.

5 Monsieur Nice, je n'ai pas l'intention de vous donner la parole pour

6 répondre.

7 M. Nice (interprétation): C'est une question tout à fait différente,

8 Monsieur le Président. Une question administrative qu'on m'a demandé

9 d'évoquer.

10 Bien entendu, ce procès fait l'objet d'une publicité importante. Par

11 conséquent, pratiquement tous les témoins qui seront cités à la barre

12 auront la possibilité d'entendre ce qui s'est passé ici, ainsi que ce que

13 l'accusé dira demain.

14 Le premier témoin qui sera entendu est un témoin qui parlera de ses

15 contacts avec l'accusé; il sera sans doute dans nos murs demain et, à très

16 juste titre, il a demandé que l'autorisation lui soit accordée de suivre

17 ce que dira l'accusé.

18 Normalement, ce genre de choses est considéré comme peu souhaitable, mais

19 il semble que, vu les circonstances, vu le fait que ce témoin est ici, vu

20 également ce qu'il a à dire, il serait raisonnable et équitable qu'il soit

21 informé de ce que dira l'accusé demain.

22 M. le Président (interprétation): Y a-t-il une raison particulière pour

23 laquelle il souhaite savoir ce que dira l'accusé?

24 M. Nice (interprétation): Je pense qu'il est très intéressé, mais il a

25 demandé que cette requête vous soit transmise. En fait, cela permettrait

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1 de gagner du temps, car, si l'accusé aborde des points qui seront couverts

2 par le témoin dans son témoignage, cela permettrait de gagner du temps.

3 (Les Juges se consultent sur le siège.)

4 M. le Président (interprétation): Non. Nous jugeons qu'il est plus

5 souhaitable qu'il n'entende pas ce que l'accusé dira demain.

6 M. Nice (interprétation): Très bien, Monsieur le Président.

7 M. le Président (interprétation): Comme je l'ai dit, nous commencerons les

8 débats demain à 9 heures et nous travaillerons jusqu'à 13 heures 45.

9 M. Nice (interprétation): Je sais également que la question posée par le

10 Juge Robinson à M. Ryneveld n'a pas reçu réponse, cela pourra être fait

11 demain.

12 M. le Président (interprétation): Très bien. Suspension.

13 (L'audience est levée à 15 heures 45.)

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