Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Jeudi 18 avril 2002.)

2 (L'audience est ouverte à 9 heures 04.)

3 (Audience publique.)

4 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, c'est à vous.

5 M. Nice (interprétation): Je n'ai pas encore trouvé le témoin; je ne sais

6 pas dans quelle salle il se trouve. J'ai demandé à ce qu'on aille le

7 chercher. Il va témoigner en audience publique; il n'y aura pas besoin de

8 lui attribuer un pseudonyme.

9 Pendant qu'on est en train de l'amener jusqu'ici, je voudrais en profiter

10 pour dire deux choses au sujet des témoins. J'espère pouvoir en terminer

11 de l'interrogatoire principal de ce témoin, à savoir M. Veton Surroi,

12 j'espère pouvoir en terminer demain. Et j'espère que, demain, il restera

13 suffisamment de temps pour que nous puissions entendre au moins un témoin

14 92bis; peut-être plus d'ailleurs, mais au moins un témoin 92bis. Je

15 choisirai un des témoins 92bis, Latifi Rahim, le n°3 de la liste. Donc je

16 ne procéderai pas par ordre.

17 Et pourquoi ce choix? Eh bien, parce que cette personne doit passer un

18 examen de thèse. Je m'excuse, il s'agit en fait du n°4: Xhafer Beqiraj qui

19 doit passer des examens lundi pour sa thèse; il a fait tout ce qui était

20 en son pouvoir pour que son examen oral soit déplacé, mais ça n'a pas été

21 possible. Il s'agit de Xhafer Beqiraj. Je précise d'ailleurs que le témoin

22 précédent doit rentrer chez lui samedi.

23 Deuxième chose: revenons-en donc à l'ambassadeur Vollebaek, qui a été

24 ambassadeur aux Etats-Unis pour la Norvège. On avait prévu qu'il vienne

25 précédemment, mais l'accusé a été indisposé par un certain nombre de

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1 temps.

2 (Le témoin, M. Veton Surroi, est introduit dans le prétoire.)

3 Il a réorganisé son emploi du temps pour pouvoir venir mardi prochain; or,

4 mardi prochain, il n'y a pas d'audience. Il a examiné de nouveau son

5 emploi du temps: il pourra venir le 8 et le 9 juillet, mais aucun autre

6 jour. Donc j'espère que nous allons pouvoir tenir compte de cela.

7 M. le Président (interprétation): Oui, j'espère qu'à ce moment-là, en

8 juillet, on en sera à la fin de la présentation de cette partie de l'Acte

9 d'accusation.

10 En ce qui concerne l'autre témoin, il est clair que nous devons l'entendre

11 demain; donc nous devons tout faire pour entendre ce témoin aujourd'hui et

12 demain. Cela dépend en partie de vous, Monsieur Nice.

13 M. Nice (interprétation): Chaque fois que cela sera possible, j'utiliserai

14 le résumé; chaque fois que ce sera possible, je lui demanderai de répondre

15 par oui ou par non.

16 J'aurais besoin de deux fois une heure trente, ce qui laissera donc la

17 même période de temps à l'accusé pour le contre-interrogatoire, si

18 nécessaire.

19 M. le Président (interprétation): J'ai remarqué que sont mentionnés des

20 événements antérieurs qu'il ne sera pas utile d'évoquer, à moins qu'ils ne

21 soient essentiels.

22 Je vais demander au Témoin de prononcer la déclaration solennelle.

23 M. Surroi (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la

24 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

25 M. le Président (interprétation): Merci. Veuillez vous asseoir.

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1 (Interrogatoire principal du témoin, M. Veton Surroi, par M. Nice.)

2 M. Nice (interprétation): Vu ce que vous m'avez dit, je vais traiter du

3 parcours du Témoin du point de vue historique, mais de manière analytique.

4 Je suis sûr que le Témoin comprendra bien pourquoi. De plus, je vais

5 sauter les parties concernant les questions qui ne portent pas à

6 contestation, pour gagner du temps.

7 Donc d'abord, je vais vous demander de nous donner votre nom.

8 M. Surroi (interprétation): Je m'appelle Veton Surroi.

9 Question: Vous êtes un Albanais du Kosovo, vous êtes fils de diplomate.

10 Vous avez vécu en Bolivie et au Mexique; vous avez également vécu à

11 Londres. Vous avez suivi des études. Vous parlez plusieurs langues et vous

12 êtes journaliste et éditeur. Est-ce exact?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Vous avez commencé à travailler comme journaliste pour le

15 journal Rilindja?

16 Réponse: Oui.

17 Question: En 1982 et jusqu'en 1990. Suite à ce que vous avez publié dans

18 ce journal, est-ce que vous avez perdu votre emploi?

19 Réponse: C'est exact. Ils m'ont empêché d'écrire pendant un an dans ce

20 journal.

21 M. Nice (interprétation): Ceci suivait la publication d'un article ou

22 d'une interview avec Branko Horvat, un intellectuel croate, qui avait

23 déclaré que "le Kosovo devrait être une République au sein de la

24 Yougoslavie". Est-ce bien exact?

25 M. Surroi (interprétation): Oui, c'est exact.

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1 M. le Président (interprétation): Il y a une petite difficulté en ce qui

2 concerne le compte rendu d'audience.

3 M. Nice (interprétation): Je n'avais pas remarqué.

4 M. le Président (interprétation): Nous avons retrouvé notre compte rendu

5 d'audience.

6 M. Nice (interprétation): Monsieur le Témoin, les interprètes vous

7 demandent de bien vouloir parler un peu plus fort et surtout en direction

8 du micro.

9 (Intervention de l'huissier.)

10 Je crois qu'en 1990, ce même journal a rouvert et cette fois-ci avec un

11 conseil d'administration composé de Serbes?

12 M. Surroi (interprétation): Oui. Avec la mise en place de mesures

13 d'urgence au Kosovo dans l'ensemble du Kosovo, non seulement Rilindja mais

14 aussi des chaînes de télévision ont fermé, l'assemblée a été suspendue

15 ainsi que les autres institutions constitutives de l'autonomie du Kosovo.

16 Question: Est-ce que vous avez lancé un magazine hebdomadaire un peu plus

17 tard, en 1990?

18 Réponse: Oui. C'est un magazine qui s'intitulait, "Koha", c'était le

19 premier hebdomadaire kosovar indépendant.

20 Question: En 1991, est-ce que le journal a été fermé pendant un certain

21 temps?

22 Réponse: Le journal "Koha" avait été immatriculé ou enregistré auprès des

23 autorités croates. C'est là seulement que pouvaient être immatriculés les

24 journaux indépendants. Et au début de la guerre entre la Serbie et la

25 Croatie, il est apparu qu'il devenait impossible de publier et de

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1 distribuer le journal "Koha".

2 Question: Et en quelle année a-t-il pu reprendre ses activités?

3 Réponse: Eh bien, pendant environ six mois les Serbes se sont opposés à sa

4 réapparition sur le marché, mais ceci a finalement eu lieu en 1995.

5 Question: Est-ce que cet organe de presse a ultérieurement été de nouveau

6 fermé, et dans quelles circonstances, en quelques mots simplement?

7 Réponse: La publication de "Anschluss 1989", un photo-montage qui montrait

8 l'accusé a entraîné une intervention des forces de sécurité qui ont

9 encerclé le bâtiment, et en avril 1996 les autorités ont interrompu la

10 publication de cet organe de presse.

11 Question: Et qu'est-il advenu du bâtiment et du personnel?

12 Réponse: Eh bien, les responsables serbes des services de sécurité ont

13 interrogé les employés, ou certains des employés. Ils ont posé des

14 questions au sujet des méthodes utilisées par les employés, des

15 responsabilités éventuelles des collaborateurs du journal. Les presses ont

16 été fermées et scellées au moyen d'un sceau portant la marque des forces

17 de sécurité d'Etat.

18 Question: Et est-ce que cet événement a suscité un intérêt quelconque sur

19 la scène internationale?

20 Réponse: Je crois qu'ultérieurement il y a eu un certain nombre de

21 protestations auprès des organes de sécurité publique, et les institutions

22 défendant la liberté de la parole ont protesté. Et puis, finalement, le

23 journal a pu reprendre ses activités.

24 Question: Paragraphe 6: est-ce que "Koha" est devenu un quotidien, qui

25 s'appelait désormais "Koha Ditore"? Non, je m'excuse. En fait, il y a eu

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1 un nouveau journal, un quotidien "Koha Ditore". Et le magazine "Koha" a

2 continué à exister?

3 Réponse: Oui, c'est cette année-là que nous avons commencé à publier ce

4 quotidien.

5 Question: Et vous étiez le propriétaire de ces deux organes de presse?

6 Réponse: Oui.

7 Question: Quelle était la politique éditoriale suivie dans ces journaux,

8 paragraphe 7?

9 Réponse: Eh bien, nous nous efforcions d'avoir une ligne électorale

10 indépendante et critique. Nous souhaitions également être professionnels

11 et ouverts à toutes sources d'information possible.

12 Question: Avez-vous pris une attitude quelconque ou adopté une attitude

13 quelconque envers le parti d'Ibrahim Rugova?

14 Réponse: J'ai été critique à son égard, en particulier s'agissant de la

15 manière dont la réalité était présentée puisqu'il s'agissait là de semi-

16 vérités. Mais j'ai également présenté les points de vue du parti et de M.

17 Rugova lui-même.

18 Question: Est-ce que M. Rugova et son parti avaient un point de vue

19 particulier au sujet du Kosovo et de son indépendance?

20 Réponse: Oui, M. Rugova lui-même ainsi que tous ses collaborateurs

21 travaillant dans le domaine de l'information avaient une opinion

22 particulière au sujet de du Kosovo, et d'ailleurs c'était une question qui

23 intéressait la communauté internationale au quotidien. Et pendant une

24 période critique, précédant les pourparlers de Dayton, la machine de

25 communication de la Ligue démocratique du Kosovo affirmait que la question

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1 du Kosovo serait résolue à Dayton.

2 Question: Et c'est un point de vue que vous partagiez ou est-ce que vous

3 étiez critique à cet égard?

4 Réponse: Nous appuyant sur diverses sources, nous montrions très

5 clairement que c'était là complètement irréaliste. Et il nous appartenait,

6 dans le cadre de notre devoir d'information, de dire aux habitants du

7 Kosovo où se trouvait ce Kosovo occupé par les forces serbes, dans quelle

8 position il était.

9 Question: Nous voyons bien comment cette attitude a influé la façon dont

10 vous étiez considérés. Est-ce que vous avez été considérés comme anti-

11 Serbes ou pas?

12 Réponse: Il était clair que nous étions opposés au régime serbe et à

13 l'idéologie fasciste. Mais, dans le même temps, nous étions ouverts et

14 prêts à entendre les opinions des citoyens serbes, les attitudes de

15 l'opposition libérale; et nous étions le seul journal albanais prêt à

16 aller à l'encontre du tabou qui existait à l'époque, lorsque nous parlions

17 de l'agence indépendante Beta.

18 Si bien qu'à plusieurs reprises, des extrémistes nous ont accusés de

19 représenter le programme politique de Belgrade et de donner des

20 informations venant de Belgrade.

21 M. Nice (interprétation): Nous allons en venir à d'autres événements

22 concernant le journal un peu plus tard. Mais toujours en ce qui concerne

23 la même et période, je souhaiterais brièvement évoquer vos propres

24 activités politiques car, d'une manière ou d'une autre, vous avez été tout

25 au long de votre vie à actif sur le plan politique. C'est exact ou non?

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1 M. Surroi (interprétation): Oui, je me considère comme un militant, au

2 sein de la société civile.

3 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, vous savez qu'il convient

4 de limiter toute question politique à ce qui concerne vraiment ce procès,

5 sinon on va s'éloigner du sujet de l'affaire.

6 M. Nice (interprétation): Je suis tout à fait au courant, et je voulais

7 n'évoquer cette question avec le Témoin que pour donner une idée de son

8 parcours et du contexte dans lequel il évoluait, et surtout si l'accusé

9 devait contester une partie des éléments de preuves présentées par le

10 Témoin.

11 Dans le résumé qui a été établi suite à votre déclaration, il est indiqué

12 que vous avez écrit des articles pour la presse croate, des articles

13 critiques. On voit que vous avez participé aux Initiatives Démocratiques

14 Yougoslaves, UJDI, et ceci dès 1989; il s'agissait en l'occurrence d'un

15 mouvement consacré à la démocratisation de la Yougoslavie et qui était

16 présent dans tout le territoire de l'ex-Yougoslavie. Est-ce bien exact?

17 Veuillez répondre par oui ou par non, s'il vous plaît.

18 M. Surroi (interprétation): Oui.

19 Question: Vous avez contribué à la mise en place du premier syndicat pour

20 les travailleurs du bâtiment en 1989, est-ce exact?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Vous avez des activités au sein du Mouvement parlementaire de la

23 jeunesse de 1990 jusqu'en 1992, mais vous avez ensuite démissionné de

24 cette organisation, qui était devenue véritablement une organisation

25 politique, un vrai parti politique. Et ensuite vous avez manifesté votre

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1 intérêt pour la politique d'autres façons?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Si on souhaite vous interroger à ce sujet, vous pouvez parler en

4 détail d'un certain nombre de manifestations, dont celles que vous avez

5 contribué à organiser. Notamment, une manifestation à la bougie en 1990,

6 lorsqu'on organisait une manifestation pour protester contre l'assassinat

7 d'un certain nombre de personnes au cours d'autres manifestations.

8 Réponse: Oui.

9 Question: En juin 1991, vous avez organisé une manifestation contre la

10 guerre et la violence intitulée "L'enterrement du quotidien ou du présent

11 violent". Et vous avez, suite à cette manifestation, été emprisonné et

12 avez passé 60 jours en prison?

13 Réponse: Oui.

14 Question: Paragraphe 15, nous en parlerons plus longuement lorsqu'il

15 s'agira d'évoquer votre rencontre avec l'accusé, il y a eu une

16 manifestation organisée après le massacre de Prekaz en 1998. Et suite à

17 votre participation à cette manifestation qu'est-il advenu de vous?

18 Réponse: J'ai été passé à tabac par un certain nombre de policiers serbes.

19 J'étais en train de participer à un sitting dans une rue de Pristina, et

20 j'ai été blessé au bras.

21 Question: Je vais vous demander de parler, non pas comme c'est indiqué

22 dans le résumé, mais de manière beaucoup plus générale. Je vais vous

23 demander de nous parler du sujet de l'éducation. La Chambre a déjà entendu

24 beaucoup de témoignages au sujet de l'accord passé en matière

25 d'enseignement, donc nous allons pouvoir en parler plus succinctement.

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1 Mais j'aimerais qu'en quelques phrases vous nous expliquiez: comment se

2 fait-il que l'enseignement au Kosovo était une question essentielle, peut-

3 être plus importante que dans d'autres pays occidentaux, si bien qu'il est

4 peut-être difficile pour ceux qui ne connaissent pas bien le Kosovo de

5 comprendre les tenants et les aboutissants de la chose?

6 Réponse: Les Albanais au Kosovo étaient pratiquement illettrés à l'issue

7 de la Deuxième Guerre mondiale. Ça, c'est fait, disons, partie du

8 patrimoine albanais, puisque c'est seulement en 1908 qu'on a vu apparaître

9 le premier alphabet albanais unifié, à savoir extrêmement tard.

10 Deuxième chose: du fait de l'existence du royaume yougoslave, on a empêché

11 l'ouverture d'écoles albanaises, mais il était absolument nécessaire que

12 le peuple puisse suivre un enseignement dans sa langue. Et puis il y avait

13 le facteur démographique qui entrait en jeu: les Albanais étaient parmi

14 les peuples les plus jeunes de toute l'Europe. Si bien qu'on avait une

15 population très jeune, on a toujours une population très jeune qui avait

16 besoin d'être éduquée au Kosovo, plus que dans d'autres pays d'Europe. Et

17 en 1989/90, on a vu fermer les écoles albanaises, et un citoyen du Kosovo

18 sur quatre, à ce moment-là, avait des liens avec le monde de l'éducation,

19 soit en tant qu'élève ou étudiant, soit en tant qu'enseignant.

20 Et au fur et à mesure que le peuple albanais a grandi, du point de vue

21 politique, il a estimé que sa capacité à suivre des études, d'aller même

22 jusqu'à l'université, était totalement essentielle. On a donc vu l'accent

23 mis sur les études universitaires.

24 Question: Est-ce que l'importance de l'enseignement pour les Albanais du

25 Kosovo était quelque chose qui était bien compris par d'autres, notamment

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1 au sein du gouvernement serbe?

2 Réponse: Il était clair qu'une partie du conflit entre ceux qui étaient

3 opposés à l'Albanie en Serbie et les Albanais du Kosovo, était centrée sur

4 l'enseignement et au désir serbe de limiter la capacité des Albanais à

5 avoir accès à l'éducation. Et ceci a culminé au moment où l'autonomie du

6 Kosovo a été abrogée; on a vu à ce moment-là la manifestation pratique de

7 ceci dans la fermeture des écoles albanaises, il s'agissait là d'une

8 tentative d'interrompre la maturation de la population albanaise dans son

9 parcours de politique et de formation politique.

10 M. Nice (interprétation): Il y a maintenant un certain nombre de pièces à

11 conviction que je souhaiterais vous présenter.

12 La première porte le n°K2408. Il s'agit d'un rapport émanant du Conseil

13 des Nations Unies, il est daté du 24 décembre 1992.

14 Mme Ameerali (interprétation): Pièce de l'accusation 101.

15 M. Nice (interprétation): Page 17, en haut à droite, nous apercevons

16 quelque chose. Vous avez déjà eu l'occasion n'est-ce pas Monsieur Surroi

17 de consulter ce document?

18 M. Surroi (interprétation): Oui.

19 Question: Nous allons nous pencher sur le paragraphe 47, qui parle plus

20 spécialement du Kosovo et du problème de l'éducation au Kosovo. Nous

21 allons parler de cela assez brièvement parce que c'est un document qui

22 sera versé au dossier et auquel il pourrait être fait référence.

23 Réponse: Le document dont vous parlez reflète quelle était l'attitude

24 politique que nous avons choisi d'adopter à l'époque. La question du

25 statut politique du Kosovo était évidemment une question délicate,

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1 difficile à résoudre. Nous pensions donc que la question du statut

2 politique ne devait pas faire oublier que les citoyens du Kosovo avaient

3 le droit de demander une éducation dans leur propre langue. Et à partir de

4 ce moment-là, les hommes politiques albanais du Kosovo ont toujours

5 demandé, de façon pacifique, à ce qu'il y ait un accord qui soit passé qui

6 permette à la communauté internationale de participer à la résolution d'un

7 problème éminemment difficile: le problème de l'éducation, problème auquel

8 était confrontée l'immense majorité des citoyens du Kosovo.

9 En 1991, en 1992, années sur lesquelles porte ce document, nous avons

10 essayé d'organiser des conférences internationales, des rencontres avec

11 des hommes politiques internationaux afin d'essayer d'ouvrir les écoles en

12 dépit du fait que la question du Kosovo n'était pas réglée. Cela faisait

13 partie de notre politique, nous voulions pacifiquement, et par le

14 dialogue, essayer de résoudre les problèmes qui se posaient

15 quotidiennement au sein de la société, tout en laissant de côté la

16 question du statut du Kosovo. Nous voulions attendre que la situation soit

17 telle que nous puissions aborder cette autre question.

18 Question: Vous venez de faire un certain nombre d'observations générales.

19 Nous les aurons à l'esprit, et par ailleurs, nous pouvons toujours faire

20 référence à ce document qui est versé au dossier.

21 Nous allons revenir au paragraphe 18 qui traite de l'histoire. Il y a eu

22 de cette question de l'éducation, il y a d'abord eu l'accord sur

23 l'éducation qui a été rendu possible par San Egidio; vous avez appris par

24 d'autres sources que cet accord avait été signé, et l'annonce a été faite

25 de la signature de cet accord, mais il n'a pas été mis en œuvre?

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1 Réponse: C'est exact.

2 Question: Pour quelles raisons cet accord n'a pas été mis en œuvre,

3 pouvez-vous nous le dire?

4 Réponse: L'Accord de San Egidio a, je le crois, été exploité afin d'en

5 faire une pierre d'achoppement du processus de négociation. On voulait

6 faire perdre toute dynamique au processus de négociation du côté albanais.

7 Tout le problème du Kosovo serait concentré sur la question de savoir s'il

8 fallait ou pas ouvrir telle ou telle école, et la mise en œuvre retardée

9 de l'accord a été, en fait, utilisé comme tactique pour essayer de

10 retarder toute tentative de chercher une solution à la question du Kosovo.

11 Question: Nous passons maintenant au paragraphe 22 de votre synthèse.

12 A peu près au même moment que l'accord a été signé, il y a eu des

13 manifestations relatives aux pratiques politiques?

14 Réponse: Ces manifestations ont eu lieu après la signature de l'accord;

15 ces manifestations ont eu lieu à Belgrade et elles portaient sur les

16 pratiques utilisées dans le cadre des élections locales. Les partis de

17 l'opposition parlaient de vol électoral. Et il y avait parmi les citoyens

18 de Serbie un grand sentiment de frustration et de déconvenue.

19 Question: Est-ce que vous souhaitez faire référence aux répercussions

20 qu'ont pu avoir ces manifestations? Est-ce que vous souhaitez faire un

21 commentaire à ce sujet?

22 Réponse: La réaction de l'opposition à Belgrade a conduit l'appareil de

23 l'Etat à prendre des mesures très radicales de répression. Et, dans

24 certains cas, au début des années 1990 et jusqu'au début de la guerre, il

25 y a eu des situations de confrontation entre le régime serbe et

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1 l'opposition. Cela d'ailleurs s'est vu reflété plus tard au cours de la

2 guerre qui a éclaté en Croatie.

3 Au Kosovo, la détérioration des relations internes entre l'opposition et

4 le gouvernement en Serbie a été ressentie par nous comme un signal, signal

5 qui émanait du régime serbe et qui nous laissait penser que l'attention du

6 public allait être détournée du Kosovo, parce qu'il y avait là un complot

7 nationaliste qui était en train de se mettre en place.

8 Question: Nous passons à une autre série de négociations. Je crois que

9 vous serez prêt à donner des éléments d'information complémentaires, si

10 cela s'avérait nécessaire.

11 Cet autre cycle de négociation a eu lieu au cours de septembre 1996 et

12 s'est prolongé en 1997. Il s'agit de négociations qui ont été menées en

13 partie par la Fondation pour la Science Bertelsmann. N'est-ce pas exact?

14 Réponse: Oui.

15 Question: Ces négociations ont eu lieu à Rhodes, en Grèce, entre autres

16 lieux. Au cours de ces négociations, vous avez eu des contacts avec un

17 parti politique, qui était à l'époque mené par Dusan Mihajlovic, le

18 ministre serbe des Affaires intérieures?

19 Réponse: C'est le ministre actuel des Affaires intérieures. A l'époque,

20 Dusan Mihajlovic faisait partie de l'Alliance civique.

21 Question: Vous avez évoqué les noms d'autres personnes ayant pris part à

22 ces négociations; ces négociations apparaissent au paragraphe 23 de votre

23 synthèse.

24 Ces négociations, est-ce qu'elles ont été prises sérieusement? Est-ce

25 qu'elles ont eu des conséquences concrètes? Nous pourrons soumettre un

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1 document qui parle de ces négociations dans un plus grand détail; ensuite,

2 nous poursuivrons.

3 Réponse: En fait, il y avait trois questions fondamentales qui faisaient

4 l'objet des négociations. Nous pensions tous qu'une deuxième voie de

5 négociation avait été ouverte, une voie de négociation qui ne comptait pas

6 la participation de membres du gouvernement, mais nous pensions cependant

7 que notre volonté de négocier serait transmise aux représentants du

8 gouvernement.

9 Par ailleurs, à cette réunion, nous, participants du Kosovo, nous prenions

10 une part active à ce qui se passait, nous manifestions notre volonté

11 d'aborder la question du Kosovo d'une façon nouvelle: nous voulions

12 abandonner toute idée de confrontation. Nous voulions lancer un processus

13 pacifique qui permettrait, d'une part, d'améliorer les conditions de vie

14 au Kosovo et qui, d'autre part, mènerait à des discussions portant sur la

15 façon dont on voulait voir aboutir ces négociations. Nous pensions que

16 tout cela pouvait se faire sans aucun esprit de subjectivité, sans léser

17 qui que ce soit.

18 Ensuite, nous avons essayé de convaincre les deux partis en présence du

19 fait que l'absence de processus de négociation mènerait à la guerre,

20 mènerait à une détérioration de la situation, parce que, s'il n'y avait

21 pas de négociation, nous étions convaincus du fait qu'il y aurait

22 déstabilisation à terme. Donc nous voulions absolument éviter la guerre et

23 nous voulions absolument trouver une solution pacifique au problème.

24 Question: Nous passons maintenant à la pièce K2024. Je crois que la

25 deuxième réunion s'est tenue à Halki, en Grèce?

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1 Réponse: D'abord à Munich, ensuite à Halki.

2 (Intervention de l'huissier.)

3 M. Nice (interprétation): Il s'agit d'un document…

4 Mme Ameerali (interprétation): Pièce de l'accusation 102.

5 M. Nice (interprétation): Il s'agit donc d'un document de cinq pages, daté

6 de 1997. C'est un document qui émane de Halki. La recommandation conjointe

7 qui apparaît sur ce document, nous pouvons la lire maintenant; nous

8 pourrons en tout cas la lire à loisir alors que cela s'avérera nécessaire.

9 Mais, sur la première page, au troisième paragraphe, sous l'intitulé

10 "Recommandations conjointes sur la résolution du conflit", une observation

11 est faite quant à la démocratisation de la Serbie; on établit quelles sont

12 les conditions requises pour qu'il y ait démocratisation de la Serbie.

13 Ensuite, à la page suivante, sous l'intitulé "Instauration d'un sentiment

14 de confiance et amélioration pratique à apporter", on parle de l'accord

15 portant sur l'éducation, qui a été signé en 1996. On dit que cet accord

16 doit être mis en oeuvre sans délai et on explique ce qui est nécessaire à

17 sa mise en oeuvre.

18 Ce document, tel que nous le voyons, est un document qui couvre un certain

19 nombre de sujets, par exemple, le sujet du désarmement, au paragraphe 5.

20 Est-ce que ce document est un document qui, d'après vous, reflète

21 effectivement ce qui s'est passé à l'époque?

22 Réponse: Ce document reflète la façon dont on pouvait envisager de

23 résoudre le problème. Ce document fait état assez fidèlement des opinions

24 qui étaient tenues au sein de ce débat général et, bien sûr, les Albanais

25 et les Serbes avaient des opinions opposées et manifestaient un sentiment

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1 opposé également à l'égard de ce document. Mais ce document représente

2 bien le degré de consensus qui aurait pu être atteint à cette époque-là.

3 Question: Nous revenons maintenant à votre synthèse.

4 Au paragraphe 27, vous parlez de Mihajlovic, Tanic, de Simic comme étant

5 des personnes qui ont pris part à ce processus; d'autres personnes sont

6 également citées.

7 Mais pourriez-vous nous dire quel était l'avis de ces personnes quant à la

8 possibilité de maintenir le statu quo au Kosovo à l'époque?

9 Réponse: Tous les participants serbes au processus étaient d'avis que le

10 statu quo ne pouvait être maintenu au Kosovo. Et ils ont prédit qu'il y

11 aurait une vague de violence qui se soulèverait, et ils ont tous dit qu'il

12 fallait tout faire pour empêcher, que cette vague de violence ne

13 survienne. Ils étaient pleinement conscients de l'existence de ce

14 sentiment très vif.

15 Question: Et ils étaient d'accord avec ce document que nous avons étudié à

16 l'instant, ils étaient en accord avec sa teneur?

17 Réponse: Oui. Pour autant que je m'en souvienne, ils avaient promis que ce

18 sentiment serait que l'existence de ce sentiment serait indiquée auprès

19 des autorités serbes.

20 Question: Cela m'amène aux dernières questions que je veux poser sur cette

21 question. Il y a deux questions que je souhaite encore vous poser.

22 L'autorité serbe, l'accusé, son parti, avait-il pris part à ces

23 négociations?

24 Réponse: Nous avons des informations selon lesquelles l'un des

25 participants à ces négociations, qui était membre du gouvernement et de la

Page 3385

1 coalition qui était au gouvernement, avait de façon un petit peu indirecte

2 relayé, au cours des négociations, la position qui était tenue par le

3 gouvernement.

4 Question: Est-ce que vous pourriez nous donner le nom de cette personne ou

5 ce n'est pas possible?

6 Réponse: M. Tanic représentait le parti du renouveau démocratique qui

7 faisait partie de la coalition gouvernementale.

8 Question: Dernière question sur ce sujet. Savez-vous si un exemplaire du

9 document que nous avons regardé à l'instant, a été transmis à l'accusé?

10 Réponse: D'après les informations qui m'ont été transmises, à moi

11 personnellement, par la Fondation Bertelsmann, ce document a été transmis

12 à Klaus Kinkel, le ministre des Affaires étrangères allemand, à Belgrade.

13 Et avec deux des participants aux réunions, ce document a été remis aux

14 autorités serbes, y compris à l'accusé lui-même.

15 Question: Vous avez, à terme, pris part aux négociations de Rambouillet;

16 nous reviendrons sur cela un petit peu plus tard. Le comportement des

17 participants albanais du Kosovo qui ont pris part aux cycles de réunions

18 Bertelsmann était un comportement qui, d'après vous, était cohérent ou qui

19 n'était pas cohérent, eu égard à la ligne adoptée à Rambouillet?

20 Réponse: Je crois que c'était un comportement qui était tout à fait

21 cohérent parce que nous avons insisté sur la nécessité d'établir un cadre,

22 un cadre qui permettait une certaine auto-administration, un cadre qui

23 permettait de laisser ouverte la question du statut du Kosovo. Nous ne

24 voulions pas qu'il y ait décision a priori sur le statut du Kosovo mais il

25 fallait que nous résolvions d'abord les questions qui étaient des

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1 questions de vie quotidienne. Si vous voulez, il fallait d'abord également

2 que nous mettions sur pied un cadre administratif avant de nous attaquer à

3 la question du statut politique du Kosovo, mais il ne fallait pas résoudre

4 a priori la question du statut du Kosovo. Tous les efforts consentis par

5 la délégation qui se trouvait à Rambouillet visaient à empêcher

6 l'éclatement d'une guerre.

7 Question: Nous reviendrons aux questions de Rambouillet dans quelques

8 minutes mais je voudrais passer rapidement sur les paragraphes 29 et 30.

9 Est-ce qu'il n'y a pas eu une autre série de pourparlers, qui ont pris le

10 nom de "Projet sur des relations ethniques"? Et est-ce que cette série de

11 pourparlers ne s'est pas tenue à Belgrade en 1997? Est-ce que vous avez

12 pris une part quelconque à ce cycle de pourparlers? Est-ce que vous n'avez

13 pas notamment assisté à la deuxième réunion qui s'est tenue à New York?

14 Réponse: J'ai pris part à ces deux réunions. C'était d'abord la réunion de

15 Belgrade où se trouvait le Pr Agani et moi-même, et ensuite le nombre de

16 participants albanais a été accru. Et lors de cette première réunion de

17 Belgrade, l'un des membres de la direction du Parti socialiste serbe, M.

18 Percevic, qui était membre du parti au pouvoir, était également présent.

19 Question: Est-ce que ces réunions ont abouti à quoi que ce soit?

20 Réponse: Je crois que ces réunions ont révélé deux choses. D'abord, la

21 volonté des Albanais du Kosovo d'insister sur une résolution pacifique de

22 la question. La deuxième chose, qu'ils ont révélé qu'il y avait un grand

23 fossé entre les Albanais et les Serbes ou les tenants des politiques du

24 régime serbe. Et il y avait même, d'une certaine façon, un fossé entre

25 l'opinion des Albanais et l'opinion de l'opposition serbe.

Page 3387

1 Question: Je vous remercie.

2 Alors –ensuite, je ne respecte peut-être pas l'ordre chronologique- il y a

3 eu une proposition faite de médiation par un homme appelé Pacolli, est-ce

4 que cela a abouti à quelque chose?

5 Réponse: Feu le Pr Agani m'a dit que c'était un homme d'affaires qui avait

6 des liens avec le régime serbe et avec l'accusé. Cet homme a donc suggéré

7 d'agir en tant que médiateur, mais cette offre a immédiatement été

8 immédiatement rejetée par le Pr Agani.

9 Question: Ensuite, vous en venez à l'évocation d'événements dont nous

10 avons déjà entendu parler par d'autres témoins. Les Juges en donc déjà

11 pris connaissance. Nous parlons là d'une réunion entre M. Bakalli et la

12 DB. Vous n'avez pas pris part vous-même à ces réunions. Est-ce que vous en

13 avez entendu dire quoi que ce soit?

14 Réponse: J'ai été informé de la tenue de ces réunions, mais j'en ai été

15 informé après qu'elles ont été tenues.

16 Question: Est-ce que l'on vous a fait part de menaces qui auraient été

17 émises et qui visaient des villages au Kosovo?

18 Réponse: Le médiateur à ces réunions était membre de mon équipe de

19 collaborateurs rapprochés. Et il m'a dit que les résultats de la réunion

20 avec les membres de la sécurité d'Etat dont le chef était Stanisic étaient

21 qu'une menace directe avait été émise, à savoir que si une solution

22 n'était pas trouvée entre Belgrade et Pristina, le régime serbe avait

23 repéré des villages ethniquement qui seraient détruits.

24 Question: Est-ce que, dans le climat qui régnait, cela était pris

25 sérieusement? Ou est-ce que cela a été pris comme quelque chose à quoi il

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1 ne fallait pas attacher trop d'importance, comme des menaces en l'air?

2 Réponse: Sachant qui avait prononcé ces mots, nous les avons pris très

3 sérieusement. A l'époque, nous avions l'impression que Stanisic était un

4 homme en qui l'accusé avait toute confiance, et le message qu'il nous

5 envoyait était très clair et très grave.

6 Question: Quand par la suite vous avez appris que Stanisic et que Perisic

7 avaient été démis de leurs fonctions, quelle a été votre réaction et

8 quelle a été votre interprétation de ce qui est était en train de se

9 passer là-bas?

10 Réponse: J'ai été pris vraiment par surprise. J'avais à l'esprit la

11 position plutôt modérée qui avait été adoptée par Perisic, par le général

12 Perisic. A l'époque, le général Perisic avait un ton beaucoup moins

13 agressif, il était peu enclin à la confrontation, mais il y a eu donc

14 renvoi de ces deux membres du cercle rapproché du gouvernement, et cela

15 pouvait être pris comme une indication que la guerre allait éclater ou du

16 moins comme une indication que la situation se détériorait.

17 Question: Nous sommes maintenant au paragraphe 35 de votre synthèse. Je me

18 penche surtout sur l'intitulé de ce paragraphe, vous n'avez pas ce

19 paragraphe sous les yeux, mais ce paragraphe s'intitule le rôle de "Koha

20 Ditore" pendant la guerre et pendant l'attaque menée sur Jashari.

21 Quelle est la guerre à laquelle vous faites référence? Et, plus important

22 encore, quand cette guerre a-t-elle commencé?

23 Réponse: Je crois que la guerre a commencé avec l'attaque sur Prekaz. Je

24 crois que la guerre a commencé avec le massacre de la famille Jashari.

25 Question: La date de ce massacre?

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1 Réponse: Le premier siège de Drenica a été tenu au mois de janvier, à la

2 fin de 1997 et au début de 1998.

3 Question: Est-ce que vous vous rappelez la date à laquelle les meurtres

4 ont été perpétrés?

5 Réponse: C'était au mois de mars.

6 Question: Quel a été le rôle joué par votre quotidien eu égard à ces

7 événements, et dans quelle mesure votre quotidien s'est-il impliqué dans

8 ce qui a été fait pour essayer d'attirer l'attention de la communauté

9 internationale?

10 Réponse: A l'époque, notre quotidien était le seul organe de presse qui

11 faisait des articles depuis les lieux-mêmes où les événements survenaient;

12 et ce que voyaient nos journalistes sur le terrain, nos reporters, c'était

13 le résultat d'un massacre à grande échelle. La famille Jashari, la famille

14 Deliaj étaient sur les lieux, des personnes étaient exécutées devant leur

15 propre maison; et parce que cela attirait l'attention de la communauté

16 internationale, nous avons ouvert nos bureaux à tous les diplomates, à

17 tous les correspondants étrangers afin de transmettre au monde le

18 sentiment terrible qui était le nôtre, à savoir qu'une guerre se

19 préparait, guerre qui serait menée contre les Albanais du Kosovo, contre

20 les citoyens du Kosovo.

21 Question: Nous avons déjà entendu parler de la constitution du G15 comme

22 cela a été appelé. Est-ce que le diplomate des Etats-Unis, Gelbard, a pris

23 une part active à ce qui s'est fait à cette époque-là?

24 Réponse: Monsieur Gelbard était très actif. Il était convaincu que les

25 Albanais du Kosovo devaient constituer une équipe de négociations, qui

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1 devaient prendre part à des négociations avec le régime de Belgrade. Le

2 climat qui régnait était tel que le groupe du G15 a été constitué, ce

3 groupe devant représenter le spectre très large des opinions des Kosovars.

4 Question: Vous étiez membres de ce groupe?

5 Réponse: Je faisais partie du G15 en tant que membre indépendant.

6 Question: Monsieur Gelbard a-t-il joué un rôle fondamental à l'égard de M.

7 Rugova, à l'égard du rôle que celui-ci devait, à ses yeux, jouer au sein

8 du groupe G15?

9 Réponse: Je crois que M. Gelbard a été un des personnages clés de ce qui

10 s'est passé à ce moment-là. Il a réussi à convaincre Rugova qu'il fallait

11 qu'un large spectre d'opinions soit représenté au sein de ce groupe par

12 les personnes qui tenaient ces opinions. C'était important, notamment

13 parce que Rugova était convaincu qu'il avait été élu Président du Kosovo.

14 Question: Peu de temps après la constitution de ce groupe, est-ce qu'il

15 n'y a pas eu une certaine préoccupation eu égard à l'absence de toute

16 médiation internationale dans la crise? Est-ce que ce n'est pas suite à

17 cela que M. l'ambassadeur Holbrooke a commencé à jouer un rôle?

18 Réponse: Pour nous, il s'agissait d'une condition sine qua non: il fallait

19 qu'il y ait une médiation internationale dans le cadre des négociations

20 entamées avec Belgrade. Non seulement nous doutions de la sincérité du

21 camp adverse, mais nous sortions de dix années de négociations inabouties

22 avec la Yougoslavie et nous pensions qu'il fallait absolument qu'il y ait

23 médiation internationale si nous voulions que les négociations soient

24 couronnées de succès.

25 Cette absence de confiance s'est vue confirmée par l'organisation du

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1 référendum en Serbie, qui visait à empêcher toute médiation

2 internationale. C'est à moment-là que Richard Holbrooke a fait sa

3 déclaration, une déclaration absolument décisive.

4 Le simple fait qu'il se soit rendu à Belgrade, à Pristina fait qu'il a

5 préparé la tenue d'un processus de négociation. Il a démontré non

6 seulement qu'il était possible d'avoir une médiation internationale, mais

7 qu'il était absolument vital que cette médiation se fasse.

8 Question: Puisque vous venez de parler de l'organisation -je regarde le

9 compte rendu-, de l'organisation du référendum et de l'intervention

10 internationale, c'est peut-être tout à fait évident, mais je vous demande

11 dans quels sens est allé le vote?

12 Réponse: Le vote s'est exprimé, dans une écrasante majorité, contre la

13 médiation internationale, suite à ce que j'appellerais une propagande très

14 intensive de la part du gouvernement contre l'intervention internationale.

15 Question: Nous allons maintenant passer à la rencontre avec l'accusé,

16 rencontre au cours de la réunion du G15, dont vous vous souvenez bien et à

17 laquelle vous avez participé, au sujet de laquelle certains éléments sont

18 incontestés à ce jour.

19 A cette rencontre, ont participé donc M. Rugova, Mahmut Bakalli, vous-même

20 et M. Pajazit Nushi, n'est-ce pas?

21 Réponse: Oui.

22 Question: Et je crois savoir que cela figure au paragraphe 40 de la

23 synthèse de votre déposition.

24 Il y avait quelques inquiétudes au sujet de la capacité de M. Rugova à se

25 rendre à cette réunion seul; il a donc été décidé d'y aller en groupe,

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1 n'est-ce pas.

2 Réponse: J'ai été surpris à l'annonce que M. Rugova souhaitait rencontrer

3 M. Milosevic. Donc, avec le Pr Agani et M. Bakalli, nous avons décidé que

4 ce serait sans doute une rencontre difficile, en tout cas, qui créerait

5 une difficulté morale, à notre avis, ce fait de rencontrer l'accusé que

6 nous considérions responsable des crimes au Kosovo. Mais nous avons

7 également décidé que nous ne devions pas laisser M. Rugova y aller seul,

8 car nous avions des doutes quant à sa capacité de mener à bien, de façon

9 fructueuse, une rencontre avec l'accusé.

10 Question: Vous avez fait part de ces préoccupations dans votre sommaire;

11 ces mots sont donc inscrits. On y trouve également une expression du

12 souhait de l'ambassadeur Holbrooke, mais ne nous faisons aucune illusion.

13 Le G5 et le G15, quel était leur but ultime par rapport à l'indépendance

14 du Kosovo?

15 Réponse: Il y avait ce consensus parmi les Albanais du Kosovo quant à

16 l'indépendance et ce consensus se trouvait exprimé par le groupe présent

17 au G15 et au G5. C'est le statut du Kosovo qui devait être le sujet le

18 plus important, c'est-à-dire l'autodétermination pour le peuple du Kosovo,

19 l'indépendance du Kosovo pour laquelle les Kosovars se sont toujours

20 battus.

21 Question: Cette rencontre du 15 mai au Palais blanc, est-ce la première

22 fois qu'une rencontre de ce genre a eu lieu et que vous avez rencontré

23 l'accusé?

24 Réponse: C'est la seule fois que j'ai rencontré l'accusé.

25 Question: Je ne vais pas vous faire parler de tous les détails pratiques

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1 ou concrets qui ont été abordés au cours de la réunion; si vous le

2 souhaitez, vous pouvez les exposer à votre gré, mais au moment où l'accusé

3 et les membres du G5 se sont salués, sur la base donc des propos qui se

4 sont tenus à ce moment-là, quelque chose pouvait-il indiquer que l'un des

5 membres du groupe avait déjà rencontré l'accusé?

6 Réponse: Je n'ai pas eu cette impression et j'ai été surpris par la

7 chaleur et la familiarité presque, je dirais, avec laquelle l'accusé a

8 salué les membres du groupe, de la délégation.

9 Question: Répondez par oui ou par non à la question suivante, si vous le

10 voulez bien. S'agissant de vous, cette rencontre avec l'accusé vous posait

11 un problème moral, n'est-ce pas?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Quand votre tour est venu de participer à la discussion, pouvez-

14 vous nous dire, je vous en prie, de quoi vous avez parlé et quelles ont

15 été les réponses de l'accusé? On trouve cela au paragraphe 44 de votre

16 synthèse.

17 Réponse: Je crois que la partie la plus importante de l'intervention que

18 j'ai faite à ce moment-là a porté sur la notion de violence et sur le

19 massacre de la famille Jashari.

20 Lorsque j'ai parlé de la famille Jashari, l'accusé m'a interrompu en me

21 disant qu'il serait complètement insensé de penser que la police serbe

22 pourrait tuer des enfants. Après quoi, il a dit que Adami Jashari était un

23 criminel, etc. et qu'il avait tué des membres de sa famille. Ce à quoi

24 j'ai rétorqué: "Mais, dans ces conditions, pourquoi une équipe

25 internationale venant d'un pays neutre n'est-elle pas autorisée à venir

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1 sur les lieux pour procéder à une analyse de police scientifique, afin de

2 déterminer les conditions de la mort de la famille Jashari? Si les membres

3 de cette famille avaient été tués lors d'une querelle, entre les membres

4 de la famille, cela blanchirait les forces serbes. Par ailleurs, si c'est

5 le contraire qui avait été prouvé, un processus d'identification devrait

6 être lancé pour déterminer qu'elles étaient les auteurs de ceci."

7 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, au compte rendu

8 d'audience en anglais, le mot "témoin" figure, s'agissant de la personne

9 qui vous a interrompu. Peut-être pourriez-vous demander des

10 éclaircissements au Témoin?

11 M. Nice (interprétation): Vous avez entendu ce qu'a dit le Président?

12 Monsieur Surroi, qu'il y ait eu erreur d'interprétation ou pas, nous

13 devons le déterminer, mais en tous cas, au compte rendu d'audience, il est

14 dit que c'est le Témoin qui vous a interrompu, qui vous a dit qu'il serait

15 insensé de penser que les Serbes pouvaient tuer des enfants.

16 M. Surroi (interprétation): Il s'agissait de l'accusé.

17 Question: L'idée selon laquelle Jashari avait tué lui-même les membres de

18 sa famille, venant de l'accusé, correspondait-elle à quelque chose que

19 vous aviez entendu dire, ce jour-là, au cours des rencontres que vous

20 aviez pu avoir?

21 Réponse: Je l'avais entendu dire, j'avais entendu cette interprétation de

22 la part des porte-parole des forces serbes et, dans les médias serbes, je

23 l'avais vu également.

24 Question: Avez-vous, en tant que journaliste, trouvé le moindre élément

25 qui pourrait étayer ces dires?

Page 3395

1 Réponse: Non, jamais.

2 Question: L'accusé vous ayant donné sa version des événements et vous

3 ayant proposé la constitution d'une équipe d'enquête internationale, ou

4 plutôt l'accusé ayant entendu ce que vous avez dit au sujet de la version

5 des événements et de l'intervention d'une équipe d'enquête internationale,

6 comment a-t-il réagi?

7 Réponse: Il a simplement dit, après avoir fait une grimace montrant qu'il

8 était ennuyé: "Nous verrons"; ensuite, il a regardé dans la direction de

9 sa secrétaire.

10 Question: L'accusé vous a t-il semblé très bien informé au sujet de cet

11 événement?

12 Réponse: J'ai eu le sentiment qu'il était parfaitement bien informé parce

13 qu'il nous a donné des détails, quant à son interprétation à lui, de la

14 façon dont l'opération s'était déroulée.

15 Question: Avait-il des notes écrites auxquelles il faisait référence ou

16 bien parlait-il de mémoire, en se servant simplement de ce qu'il savait?

17 Réponse: Il n'avait aucun document écrit sous les yeux, il parlait très

18 naturellement; et j'ai eu le sentiment, pour ma part, qu'il était

19 absolument convaincu de dire la vérité.

20 Question: J'aimerais maintenant que nous abordions quelques autres sujets

21 traités à cette réunion.

22 L'une ou l'autre des délégations présentes a t-elle parlé de l'éducation?

23 Si oui, pouvez-vous résumer brièvement quelle a été la réaction de

24 l'accusé?

25 Réponse: Monsieur Agani, en particulier -puisque c'est lui qui avait

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1 supervisé la conclusion de l'Accord de San Egidio- a évoqué la question de

2 l'éducation comme étant un sujet important; d'ailleurs, l'accusé l'avait

3 évoqué également, ce sujet. Monsieur Agani a dit qu'il était absolument

4 impossible de comprendre pourquoi l'accord conclu avait pris tant de temps

5 à être appliqué. A la fin de cette partie de la réunion, l'accusé a

6 indiqué que le Parlement serbe était en train d'élaborer une loi sur

7 l'éducation qui, selon lui, permettrait de résoudre certains des problèmes

8 évoqués et rendrait l'application de l'accord plus aisé et plus rapide.

9 Question: Quelque chose a-t-il été dit au sujet de l'université?

10 Réponse: Il me semble que les mots les plus importants qui ont été

11 prononcés à ce moment-là avaient un rapport avec l'université, parce que

12 le recteur serbe de l'université avait entravé l'application de l'accord.

13 Et, comme nous l'avons entendu plus tard, au moment des purges qui ont

14 suivi l'élaboration de cette loi par les responsables politiques du

15 Parlement serbe, donc après les purges qui ont été menées à bien à

16 l'université de Belgrade, s'agissant du personnel enseignant qui

17 s'opposait au régime, eh bien, le recteur de l'université de Pristina, qui

18 était un Serbe, a été affecté par ces purges et a perdu son poste.

19 Et à ce moment-là, le partage des installations universitaires entre les

20 étudiants serbes et les étudiants albanais a commencé à se faire plus

21 rapidement.

22 Question: Vous étiez, bien sûr, rédacteur de presse: avez-vous parlé de

23 cela, de quelque façon que ce soit?

24 Réponse: A un certain moment, l'accusé, tentant de décrire l'atmosphère

25 dans laquelle il vivait, m'a accusé d'être un dictateur et m'a posé la

Page 3397

1 question suivante en souriant: "Monsieur Surroi, votre journal a-t-il

2 jamais été fermé?". J'ai dit: "Oui, vous l'avez fait fermer". Il a eu

3 l'air surpris, il m'a demandé: "quand?". Et je lui ai répondu: "Mon

4 journal a été fermé quand j'ai publié un montage photographique. Mais le

5 problème le plus important aujourd'hui n'est pas cela. Le problème le plus

6 important, ce sont les affrontements armés et la guerre".

7 Question: Apparemment, nous avons un petit problème d'interprétation.

8 Qui, selon l'accusé, a accusé qui d'être un dictateur?

9 Réponse: L'accusé parlait de l'opinion publique, mais il ne parlait de

10 personne en particulier.

11 Question: Il parlait des gens qui l'accusaient, lui?

12 Réponse: Oui.

13 Question: Finalement, la question du statut du Kosovo a t-elle été

14 discutée spécifiquement? Si tel n'a pas été le cas, a t-elle été abordée,

15 de quelque façon que ce soit, par l'accusé?

16 Réponse: La question relative au statut du Kosovo a été évoquée au début

17 de la rencontre par M. Rugova, qui a dit que les habitants du Kosovo

18 étaient décidés à obtenir l'indépendance. Après quoi, nous sommes passés à

19 d'autres sujets et l'accusé n'a consacré aucune attention à cette

20 question; il n'a donc pas parlé du statut du Kosovo.

21 Question: Mais quelque chose a-t-il été dit par l'accusé à la fin de la

22 réunion? Sinon au sujet de l'indépendance, au moins au sujet du

23 nationalisme et des nationalistes?

24 Réponse: Oui, il a parlé de cela, notamment lorsqu'il a parlé de ce que

25 lui définissait comme des pressions internes; il a dit: "Ecoutez, moi,

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1 j'ai mes propres nationalistes qui me créent de gros problèmes".

2 Question: Quand vous avez quitté cette réunion, étiez-vous optimiste,

3 pessimiste ou entre les deux?

4 A la fin du paragraphe 41, on voit de quelle façon la réunion avec

5 l'accusé a commencé, mais dans quel état d'esprit étiez-vous lorsque vous

6 avez quitté cette réunion?

7 Réponse: J'ai tiré la conclusion que le fossé entre nous était énorme et

8 j'ai prévu que nous avions devant nous des jours difficiles.

9 Question: Quelle a été l'attitude, quel a été le comportement de l'accusé

10 pendant toute cette rencontre? A-t-il été le même du début à la fin? Vous

11 en avez dit quelques mots, mais vous ne l'avez pas décrit en détail.

12 Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur ce point?

13 Réponse: L'accusé était un homme qui avait une grande facilité à établir

14 une relation avec son interlocuteur. Il savait comment créer une

15 atmosphère détendue. En fait, il désirait que les conversations se

16 déroulent dans un climat de sympathie.

17 Question: A votre retour à Pristina, que s'est-il passé s'agissant de

18 l'approvisionnement en vivres?

19 Réponse: Alors que nous étions à quelques kilomètres de la frontière entre

20 le Kosovo et la Serbie, un barrage routier serbe avait été érigé à cet

21 endroit et nous avons remarqué qu'un convoi très important de camions se

22 trouvait là, qui transportait divers produits. Et, par la suite, nous

23 avons appris qu'un blocus de l'entrée de vivres au Kosovo avait commencé

24 et que la présence à cet endroit de ce grand convoi était la première

25 expression de ce blocus.

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1 Question: Avez-vous obtenu des explications des Serbes quant à la cause de

2 ce blocus?

3 Réponse: Je ne sais pas exactement quelle a été l'interprétation donnée

4 mais, pour nous, la coïncidence était extraordinaire. En effet, au moment

5 même où nous étions censés discuter et négocier pour résoudre les

6 problèmes existants, un nouveau problème nous était imposé. Nous étions

7 tous d'accord pour dire que c'était un acte d'agression contre le Kosovo.

8 Question: Un changement militaire s'est-il produit dans les jours qui ont

9 suivi?

10 Réponse: Pendant ce mois-là, c'est-à-dire le mois de mai, une très grande

11 opération de ratissage de la région frontalière a commencé, notamment dans

12 la région de Decani. Et c'est seulement au début du mois de juin que les

13 réfugiés sont arrivés en très grand nombre, dont la plupart se cachaient

14 encore dans les montagnes entre le Kosovo et l'Albanie.

15 Question: Des explications publiques ont-elles été fournies s'agissant du

16 moment choisi pour cette opération et de l'augmentation du nombre de

17 réfugiés qui s'en est suivie?

18 Réponse: Aucune explication n'a été fournie en dehors de l'explication

19 officielle selon laquelle il s'agissait d'actions antiterroristes.

20 Question: La rencontre avec l'accusé devait être la première rencontre

21 d'une série de rencontres bilatérales auxquelles le G15 était censé

22 participer, n'est-ce pas?

23 Réponse: Oui, on a annoncé une nouvelle réunion la semaine suivante entre

24 notre équipe de négociateurs et la délégation mise en place par l'accusé,

25 à laquelle devaient participer des membres du gouvernement serbe et des

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1 membres du gouvernement fédéral.

2 Question: Cette deuxième réunion a eu lieu: vous souvenez-vous, oui ou

3 non, de la date de cette réunion?

4 Réponse: Une semaine plus tard; elle avait été prévue le 22.

5 Question: Elle s'est tenue dans les bureaux du LDK, à Pristina, si je ne

6 m'abuse?

7 Réponse: Oui.

8 Question: Pouvez-vous nous dire qui était présent, si c'est nécessaire, à

9 moins que leurs noms ne soient cités de temps en temps dans ce que vous

10 allez dire à partir de maintenant? En tout cas, le groupe que vous aviez

11 devant vous vous apparaissait-il comme disposant d'un quelconque pouvoir?

12 Réponse: J'ai eu le sentiment que ses participants, en particulier Nikola

13 Sainovic, appartenaient, comme Ratko Markovic, à des cercles très initiés.

14 Mais dans une situation de négociation, je ne crois pas qu'ils avaient le

15 moindre droit de décision, ils n'avaient que le droit de consulter, et le

16 droit de décision demeurait entre les mains de ceux qui étaient considérés

17 comme leurs supérieurs et notamment de leurs chefs.

18 Question: A votre avis, quel était pour eux l'objet de cette réunion?

19 Souhaitaient-ils négocier ou quoi d'autre?

20 Réponse: Je n'ai pas vraiment détecté chez eux une grande volonté de

21 négociation. Même si pas mal de questions ont été mises à l'ordre du jour,

22 c'était plutôt pour la forme que pour en discuter sur le fond.

23 Nous avons passé, par exemple, plus d'une demi-heure pour déterminer le

24 lieu de la prochaine réunion: celle-ci devait-elle se déroulait à Belgrade

25 ou pas, et être en fait le premier pas, le premier exemple d'une série de

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1 réunions du même genre à Belgrade? Ou bien devait-elle se dérouler à

2 Pristina pour réellement diffuser le sentiment que des pourparlers avaient

3 lieu? Ne serait-il donc pas mieux, dans ces conditions, de tenir ces

4 réunions au niveau local? Mais, dans ce cas-là, il aurait fallu une

5 organisation locale également.

6 Question: Y a-t-il jamais eu une troisième réunion?

7 Réponse: Non, en raison des difficultés, mais aussi en raison des

8 pressions internationales croissantes que l'on faisait sur nous, notamment

9 celles émanant de Holbrooke qui voulait à tout pris que nous participions

10 à ces réunions, alors que la situation se dégradait rapidement. Au lieu de

11 créer un climat plus favorable à la négociation, nous nous sommes rendu

12 compte que la violence et les problèmes se multipliaient; c'est la raison

13 pour laquelle, au sein du groupe de discussion, nous avons décidé qu'il

14 serait inutile de participer à des négociations au vu de la dégradation de

15 la situation.

16 Question: Et vous-mêmes, les membres du G5, quelle était votre image chez

17 vous, étant donné vos visites à Belgrade?

18 Réponse: Il y a eu pas mal de réactions hostiles, désagréables. Les mots

19 utilisés à notre encontre n'étaient pas très agréables et deux membres du

20 G15 ont démissionné juste avant notre départ pour Belgrade. En effet, si

21 nous n'étions pas considérés comme des traîtres, nous étions en tout cas

22 considérés comme des gens ressemblant beaucoup à des traîtres.

23 Question: S'agissant des Albanais déplacés, qui se trouvaient dans les

24 montagnes, quel était leur nombre à ce moment-là?

25 Réponse: Fin mai, début juin, la crise était très, très importante déjà:

Page 3402

1 il y avait à peu près 5.000 civils qui, alors que la neige n'avait pas

2 encore fondu, se cachaient sur les sommets montagneux qui séparent le

3 Kosovo de l'Albanie, sans vivres, sans suffisamment de vêtements, sans

4 rien.

5 Question: Donc Ogata, finalement, la dirigeante du HCR, a fini par

6 intervenir?

7 Réponse: Nous avons alerté le médiateur américain Chris Hill, qui avait

8 été accepté par Belgrade; nous lui avons dit qu'une crise humanitaire

9 grave menaçait aux environs de Decani. Et puisque les membres du HCR

10 n'étaient pas autorisés à se rendre sur les lieux à cette époque-là, nous

11 avons contacté immédiatement et directement Mme Ogata pour lui demander

12 d'envoyer sur place de l'aide humanitaire.

13 Question: Des gens ont été tués à Lubeniq, le 25 mai: c'est bien cela?

14 Réponse: Oui, cela s'est passé avant notre rencontre avec le Président

15 Clinton; je veux parler de la rencontre entre lui et quatre membres de la

16 délégation des Kosovars. Ceci a été le point de départ des tueries de

17 civils que l'on abattait devant leur maison. C'est l'un des incidents qui

18 a démontré que la police et les militaires continuaient à agir comme par

19 le passé.

20 Question: Suite à cela, une loi au sujet de l'université serbe a été votée

21 -nous en avons déjà parlé il y a quelques instants- et elle a été

22 présentée par l'accusé comme quelque chose de positif ou pas?

23 Réponse: Oui, il avait annoncé qu'une loi serait votée pour régler

24 certains problèmes.

25 Question: Mais cette mesure a-t-elle été positive ou pas?

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1 Réponse: Je pense qu'elle a nui beaucoup à l'université serbe. D'ailleurs,

2 au Kosovo, à moment-là, les problèmes s'étaient tellement intensifiés que

3 cette loi n'avait pratiquement plus d'importance quant au fait de

4 déterminer si le recteur Popovic devait rester en place ou pas.

5 M. Nice (interprétation): Et ensuite, nous parlerons de la rencontre avec

6 le Président Clinton.

7 M. le Président (interprétation): Je pense que c'est le moment pour la

8 pause.

9 M. Nice (interprétation): Monsieur le Président, nous avons évidemment

10 pour but de terminer l'interrogatoire principal de ce Témoin lors de la

11 prochaine audience. Donc j'espère que l'interrogatoire principal et le

12 contre-interrogatoire du Témoin pourront être conclus aujourd'hui.

13 Si l'accusé n'a que peu de questions à poser au Témoin, je prendrai les

14 dispositions qu'il convient pour que d'autres témoins 92bis puissent être

15 ici aujourd'hui; sinon, plus tard. Mais nous ne pouvons pas encore donner

16 de détails sur le calendrier.

17 M. le Président (interprétation): Très bien.

18 Monsieur Surroi, nous allons prendre 20 minutes de pause. Je vous demande

19 de ne parler à personne, notamment pas aux membres du Bureau du Procureur,

20 pendant cette pause.

21 (L'audience, suspendue à 10 heures 30, est reprise à 10 heures 54.)

22 (Le témoin, M. Veton Surroi, est déjà dans le prétoire.)

23 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Nice?

24 M. Nice (interprétation): Monsieur Surroi, vous êtes allé à Washington au

25 cours du mois de mai 1998 afin de rencontrer le membre du gouvernement

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1 américain, notamment le Président Clinton.

2 M. Surroi (interprétation): Oui.

3 Question: Paragraphes 64 et 65, est-ce que vous vous souvenez des dates

4 exactes? Si vous ne vous en souvenez pas, ne répondez pas.

5 Réponse: C'était le 29 mai.

6 Question: Quand vous avez vu le président, quelles informations lui avez-

7 vous communiquées?

8 Réponse: J'ai informé le Président Clinton, notamment du massacre de

9 Ljubenic à titre d'exemple. Je lui ai dit que même si nous étions prêts à

10 négocier, même si nous souhaitions trouver une solution pacifique, le

11 régime serbe menait à une escalade de la situation en perpétrant des actes

12 de violence, en tuant des civils. Et j'ai demandé à ce que l'on mette en

13 place un cadre propice à la sécurité, ce qui permettrait avec l'aide de la

14 communauté internationale d'entamer des négociations. On lancerait donc un

15 processus pour qu'on arrive à un gouvernement autonome, et puis qu'on en

16 arrive à décider du statut, le statut qui restait entre Belgrade et

17 Pristina.

18 Question: Est-ce que d'autres ont eu connaissance de ces pourparlers dont

19 notamment l'accusé?

20 Réponse: Je ne pense pas. Je ne pense pas que la teneur des négociations

21 ait été connue à l'extérieur, ait été connue d'autres personnes des

22 participants aux dites négociations, mais la réunion avait été annoncée

23 dans tous les médias de la planète.

24 Question: Et que s'est-il produit lorsque vous êtes sorti sur la pelouse

25 de la Maison Blanche en compagnie du Président Clinton? Qu'avez-vous

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1 appris à ce moment-là?

2 Réponse: A ce moment-là, au moment où nous sortions de la Maison Blanche,

3 nous avons reçu des informations provenant de militants qui étaient en

4 contact avec Pristina; et avec mes collaborateurs donc, j'ai appris

5 qu'autour de Pec et Decan la situation s'était envenimée, qu'on avait vu

6 une augmentation des activités politiques et militaires, et que le nombre

7 de réfugiés avait augmenté de manière drastique.

8 Question: Est-ce que cette escalade, on a pu l'expliquer d'une manière ou

9 d'une autre? Avez-vous pu en déterminer la cause?

10 Réponse: Eh bien, je pense que tout le monde du côté kosovar participant à

11 la réunion a estimé que c'était une réaction de la part Belgrade, réaction

12 aux pourparlers que nous avions avec le Président Clinton. Il s'agissait,

13 pour eux, d'une façon de nous dire: "Eh bien, si vous rencontrez le

14 Président américain, regardez ce qui se passe".

15 Question: Passons à Rambouillet, février 1999. Dans votre résumé, on

16 indique non pas des éléments à caractère anecdotique mais des éléments

17 mineurs, qu'il n'est pas nécessaire de relater en détail dans le cadre de

18 votre déposition orale, à moins que ce ne soit vraiment nécessaire.

19 Mais dites-nous, s'il vous plaît, la chose suivante: qu'avez-vous pensé de

20 la détermination de la délégation serbe? Est-ce que ces gens là étaient

21 sérieux?

22 Réponse: Je pense qu'il y en avait beaucoup parmi eux qui ne savaient même

23 pas pourquoi ils étaient là. A l'exception de trois ou quatre personnes

24 qui faisaient partie des plus proches collaborateurs, je pense que la

25 plupart des autres ont perdu leur temps sur place. Au cours des deux

Page 3406

1 premières semaines de négociations à Rambouillet, nous avons également

2 remarqué que même ces plus proches collaborateurs, ces personnes de haut

3 niveau n'étaient pas venues là pour négocier mais plutôt pour entraver le

4 processus de négociation.

5 Question: Et de votre côté, du côté albanais, est-ce qu'on pris ces

6 négociations au sérieux?

7 Réponse: Indéniablement, pour nous c'était vital, puisque ça ne mettait

8 pas simplement en jeu le présent mais l'avenir également. Et nous avons

9 entamé ces négociations dans des circonstances extrêmement difficiles.

10 Pourquoi? Eh bien, parce que nous étions conscients que nous étions en

11 train de céder/d'accéder, de manière temporaire, quant au statut à la

12 dépendance, etc. C'est-à-dire qu'il ne s'agissait pas là de négociations

13 qui devaient amener l'indépendance, ce à quoi nous inspirions tous.

14 Deuxièmement, dans le cadre de ces négociations, nous devions essayer de

15 trouver le moyen de démanteler l'UCK, l'Armée de Libération du Kosovo. Ce

16 qui était difficile parce que, quand vous avez des forces de ce type, des

17 guérilleros, eh bien, il est très difficile de les convaincre de reprendre

18 la voie de la vie civile, c'est toujours une difficulté dans tous les pays

19 où cela se déroule.

20 Question: Est-ce qu'au moment de votre arrivée à Rambouillet ou avant, on

21 s'était mis d'accord sur ceux qui seraient responsables au sein de ces

22 groupes dans le cadre de la négociation? D'où venait le pouvoir,

23 l'autorité de décider?

24 Réponse: Eh bien, nous avions conclu un accord avec les médiateurs; accord

25 selon lequel les négociateurs, les délégations de négociateurs, étaient

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1 tout à fait en mesure de prendre les décisions. Ils avaient plein pouvoir

2 pour le faire. On avait donc passé un accord préliminaire qui stipulait

3 que les négociations ne devaient pas aller prendre leurs consignes à

4 l'extérieur du château de Rambouillet.

5 Question: Sainovic était un des représentants de la partie serbe. Est-ce

6 qu'à un moment donné, il a quitté la table des négociations, il a quitté

7 Rambouillet pour aller ailleurs?

8 Réponse: J'ai demandé à l'ambassadeur Hill, qui était un des médiateurs,

9 pourquoi des membres de la délégation de Belgrade avaient l'autorisation

10 de retourner à Belgrade. Il m'a répondu que Sainovic avait demandé à

11 pouvoir consulter l'accusé, parce qu'en fait c'est l'accusé qui allait

12 prendre les décisions. Et d'après l'ambassadeur Hill, ceci pouvait se

13 révéler utile dans le cas du processus de négociation, parce que les

14 négociations en étaient arrivées au point mort, plus ou moins.

15 Question: Donc Sainovic quitte les négociations. Quelles en ont été les

16 conséquences? Notamment pour votre délégation?

17 Réponse: M. Thaci, un des membres de notre délégation a demandé que lui,

18 en retour, soit également autorisé à partir pour rencontrer M. Demaci. Et

19 d'après les médiateurs, afin qu'il y ait réciprocité, eh bien, ils ont

20 estimé que l'on pouvait l'autoriser à le faire.

21 Question: Ces négociations ont pris fin. En mars, il y a eu des

22 négociations à Paris, et le Président Milan Milutinovic, Président serbe a

23 été l'un des membres de la délégation serbe. Quelle paraissait être

24 l'autorité dont il était revêtu?

25 Réponse: Eh bien, il s'est présenté comme étant là pour pouvoir aider la

Page 3408

1 délégation de Belgrade. Mais à certains moments, notamment à la fin,

2 lorsqu'il s'agissait de signer l'accord, d'après les trois négociateurs

3 -d'après Mayorski, l'ambassadeur Hill et Petric, donc les trois

4 négociateurs internationaux-, il a dit que son patron à Belgrade devrait

5 décider, que lui ne pouvait rien faire.

6 Question: Nous allons maintenant cesser de parler de ces négociations.

7 Mais nous restons toujours au mois de mars 1999. Je voudrais savoir ce qui

8 s'est passé au niveau de votre journal au même moment que les négociations

9 à Paris?

10 Réponse: Nous avons pris du retard lorsque nous sommes revenus de Paris.

11 On ne nous a pas autorisés à atterrir à l'aéroport de Pristina. J'avais

12 donc un jour de retard, je suis arrivé un dimanche à Pristina; j'avais

13 entendu déjà auparavant que les autorités serbes avaient poursuivi en

14 justice le journal "Koha Ditore" pour avoir publié un article émanant

15 d'une agence de presse occidentale qui citait Hashim Thaci qui avait

16 accusé les autorités serbes de détruire des villages albanais. Et d'après

17 la loi sur les médias, très répressive, qui avait été adoptée par les

18 autorités serbes, tout journal qui présentait des faits qui, d'après

19 l'interprétation du gouvernement, n'étaient pas vrais, tout journal donc

20 était sanctionné dans ces circonstances.

21 Et dans un jugement à caractère extraordinaire qui a été rendu un

22 dimanche, Asmi Bali et Bajram Kalmendi, étaient avocats de notre côté, et

23 nous avons été mis en demeure de payer une très forte amende. Si nous ne

24 la payions pas, nous devions fermer. Mais au bout de trois jours, les

25 bombardements de l'OTAN ont commencé. Si bien que le journal a dû fermer,

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1 non pas à cause de cette loi, mais parce que pendant la nuit, première

2 nuit des premiers des bombardements, des policiers en uniformes sont

3 entrés dans la rédaction; ils ont tué un garde Radamani, Rexhep Ramadani

4 plutôt, et ils ont confisqué notre équipement. Et ensuite notre presse a

5 été détruite, a été brûlée.

6 Question: Et à votre connaissance, est-ce qu'il était déjà arrivé

7 précédemment que les tribunaux locaux siègent un dimanche?

8 Réponse: C'était complètement incroyable, extraordinaire non seulement

9 pour Pristina, mais pour ailleurs aussi. Jamais, je n'avais entendu parler

10 de quoi que ce soit de ce style.

11 Question: Nous allons en venir enfin aux bombardements de l'OTAN. J'ai

12 simplement un certain nombre de questions à vous poser à ce sujet.

13 Je ne suis pas sûr que vous nous ayez dit qui était votre avocat. Ah si,

14 si. Vous nous l'avez dit: Bajram Kelmendi. Pouvez-vous nous dire ce qui

15 est arrivé à Bajram Kelmendi?

16 Réponse: Notre avocat était Bajram Kelmendi et, ce dimanche après-midi,

17 nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois. Dans la nuit des

18 bombardements, quelques heures après le début des bombardements, d'après

19 ce qu'ont raconté sa femme et son beau-frère, ils ont été emmenés par des

20 policiers en uniforme -je parle de Bajram et ses deux fils-, ils ont été

21 emmenés. Ils ont été emmenés jusque dans un lieu inconnu et là, ils ont

22 été exécutés. Le matin du 25, le beau-frère de Bajram m'a dit que la

23 police avait pris les hommes de la famille. J'ai appelé Nekibe, la femme

24 de Bajram, qui a confirmé la chose. Plus tard, j'ai appris que Bajram, ou

25 du moins son corps, avait été enlevé, emmené; que son beau-frère aussi

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1 avait été emmené. J'ai entendu dire qu'ils avaient été exécutés.

2 Question: Et Bajram Kelmendi était notoirement connu pour quel type

3 d'activité juridique?

4 Réponse: Eh bien, c'était un spécialiste de la défense des causes ayant

5 trait aux droits de l'homme; c'était l'un des membres-fondateurs du

6 conseil chargé de la défense des droits de l'homme et des libertés. Il

7 avait fait office d'avocat de la défense dans pratiquement tous les procès

8 politiques; il m'avait moi-même défendu à plusieurs reprises, soit quand

9 j'étais mis en accusation en tant qu'éditeur ou rédacteur de journal, soit

10 dans le cadre de mes activités de militant, lorsque j'avais organisé les

11 manifestations intitulées "Enterrement de la violence".

12 Question: Encore quelques dernières questions qui découlent de la dernière

13 page de votre résumé. Je voudrais savoir quelle a été l'attitude générale

14 de la population albanaise suite aux bombardements de l'OTAN?

15 Réponse: La plupart d'entre nous étaient opposés à la violence, mais les

16 premiers bombardements, et les bombardements ultérieurs d'ailleurs, ont

17 été accueillis avec ce que je qualifierais de soulagement et parfois même

18 de joie. Effectivement, il s'agissait de bombes qui étaient dirigées

19 contre un régime qui nous avait envahis, qui nous avaient réduits en

20 esclavage. Nous pensions, nous espérions -et d'ailleurs, cela s'est

21 confirmé par la suite-, nous pensions que ces bombes allaient nous à

22 ramener la liberté. Et je ne pense pas que quiconque parmi nous ait jamais

23 pensé aux périls causés par ces bombes, parce que les Serbes, les soldats,

24 les militaires, les paramilitaires serbes étaient encore beaucoup plus

25 dangereux.

Page 3411

1 M. Nice (interprétation): En ce qui concerne M. Rugova, sa situation, sa

2 position, est-ce qu'on pensait qu'il était libre, libre de prendre des

3 décisions de manière indépendante? Pouvez-vous nous parler de cela, s'il

4 vous plaît?

5 M. Surroi (interprétation): Je pense que le Dr Rugova ainsi que d'autres

6 étaient en fait des otages: ils étaient les otages du régime. Pendant la

7 guerre, pendant les bombardements, au vu de son comportement, de ses

8 déclarations en public, des différentes déclarations écrites qu'il a

9 faites, tout ceci donnait une impression, une image de collaboration. Mais

10 on peut dire que c'était le comportement de quelqu'un qui avait peur, qui

11 craignait de voir sa propre vie mise en jeu, ainsi que la vie de sa

12 famille.

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Nice, ça, c'est l'opinion du

14 Témoin. Je ne pense pas que cela nous aide beaucoup.

15 M. Nice (interprétation): Maintenant, nous allons passer à une autre

16 question. Il sera peut-être difficile de faire la différence entre votre

17 opinion et les faits, mais il s'agit de Fehmi Agani, de ses relations avec

18 l'UCK.

19 Je voudrais savoir quelle était la réputation de Fehmi Agani? Est-ce qu'il

20 était très respecté par les Albanais du Kosovo?

21 M. Surroi (interprétation): Le Dr Agani était quelqu'un de très respecté

22 dans toute la nation. Je dois dire que c'était le seul, au sein de son

23 parti, qui était totalement respecté par tous les mouvements, par tous les

24 partis, même ceux qui s'opposaient à sa politique. Je peux dire que le Dr

25 Agani était quelqu'un de respecté. Je l'ai constaté d'ailleurs pendant les

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1 négociations de Rambouillet: il bénéficiait du respect de tous les

2 participants à notre délégation, dont notamment les membres représentant

3 l'UCK.

4 Question: En dehors de ces négociations, est-ce qu'il lui arrivait d'avoir

5 des contacts avec l'UCK, de temps à autre?

6 Réponse: Mais même avant! Déjà en 1998, Agani avait eu des contacts avec

7 divers représentants politiques de l'UCK.

8 Question: Quand vous nous avez dit qu'à Rambouillet il avait été respecté

9 par tous les participants, malgré les critiques que vous avez faites au

10 sujet de la délégation serbe, je voudrais savoir si cette délégation, elle

11 aussi, semblait faire preuve de respect envers lui?

12 Réponse: Je pense que M. Agani était quelqu'un qui était considéré comme

13 ligne de confiance, quelqu'un de très équilibré, je crois que même à

14 Belgrade on le respectait, même s'il avait un point de vue bien différent

15 de celui qui prévalait là-bas.

16 M. Nice (interprétation): Et quand la situation a empiré, est-ce qu'on

17 pensait qu'Agani allait quitter le Kosovo?

18 M. Surroi (interprétation): J'ai entendu des rumeurs selon lesquelles il

19 se préparait à partir. C'est un de ses amis proches qui m'a communiqué

20 cette information. Et vu la situation créée par les bombardements on

21 risquait de voir se répéter les problèmes politiques opposant la LDK,

22 l'UCK et divers autres partis politiques; et l'apparition de Rugova à

23 Belgrade allait encore envenimer la situation au sein des Albanais du

24 Kosovo.

25 M. le Président (interprétation): Il s'agit là -je suis désolé- uniquement

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1 de l'opinion du Témoin, je l'interromps donc.

2 M. Nice (interprétation): Bien. Passons à la question suivante.

3 Monsieur le Témoin, que lui est-il arrivé?

4 M. Surroi (interprétation): J'ai vu à la télévision serbe les

5 informations, et j'ai vu également des informations sur des télévisions

6 étrangères relatives au meurtre de M. Agani. D'après des sources serbes,

7 il a été exécuté par l'UCK mais plus tard nous avons appris...

8 M. le Président (interprétation): Une fois encore, Monsieur le Témoin, il

9 s'agit d'informations que vous avez entendues; vous ne pouvez ici nous

10 communiquer que des informations dont vous avez une connaissance directe.

11 M. Surroi (interprétation): Oui, c'est ça j'ai entendu parler de son

12 meurtre à la télévision.

13 M. Nice (interprétation): Nous n'allons pas obliger la Chambre à regarder

14 la troisième pièce à conviction que j'ai mentionnée précédemment, c'est un

15 document relatif aux souffrances endurées par les Albanais du Kosovo au

16 début des années 90.

17 Cependant, j'aimerais que vous nous aidiez à mieux cerner un certain sujet

18 avant que je n'en termine de mes questions. Vous êtes quelqu'un qui avez

19 voyagé dans tous les pays du monde ainsi qu'en ex-Yougoslavie, je voudrais

20 savoir si vous pouviez nous dire comment les Albanais de Kosovo étaient

21 considérés, comment ils étaient traités chez eux mais aussi lorsqu'ils

22 étaient en Serbie? Qu'en était-il de leur statut social, des emplois

23 qu'ils occupaient? Pourriez-vous nous donner une vision synthétique de la

24 chose?

25 Réponse: Eh bien, dans l'ex-Yougoslavie et surtout à Belgrade, l'immense

Page 3414

1 majorité des Albanais du Kosovo étaient des travailleurs manuels. Dans les

2 années 40, dans les années 50, ils étaient connus pour être scieurs de

3 bois; et on savait que quiconque était aperçu avec une scie était un

4 Albanais. C'étaient également eux qui livraient du charbon à domicile.

5 Et dans les dictionnaires serbes, si on regarde les expressions

6 populaires, les expressions du quotidien, on ne disait pas: "Va chercher

7 quelqu'un ou un travailleur pour couper du bois", mais on disait

8 couramment: "Va me chercher un Albanais pour couper du bois". On utilisait

9 ici les mêmes connotations assez méprisantes qui se retrouvent en

10 Californie lorsque l'on dit: "Va me chercher un Mexicain pour nettoyer la

11 cour" ou, si on se trouve en Italie, en Grèce ou en Espagne, si on dit:

12 "Va me chercher un Philippin pour nettoyer la maison". Voilà le genre

13 d'associations qui se faisait dans les esprits, c'est avec ce type

14 d'activités qu'on les identifiait.

15 Question: Est-ce que cette attitude s'était modifiée, d'une manière ou

16 d'une autre, ensuite au moment de la guerre?

17 Réponse: Après 1968, le Kosovo a commencé à se développer, en particulier

18 dans le domaine de l'enseignement où on a vu apparaître une nouvelle

19 élite. Il existait un conflit entre cette identité, l'identité de cette

20 nouvelle élite constituée de gens inscrits et l'idée qui prévalait

21 auparavant que l'on se faisait des Albanais en tant que travailleurs

22 manuels.

23 M. Nice (interprétation): Merci beaucoup. Voici toutes les questions que

24 j'avais à poser au Témoin.

25 M. le Président (interprétation): Fort bien, Monsieur Milosevic?

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1 (Contre-interrogatoire du Témoin, M. Veton Surroi, par l'accusé M.

2 Milosevic.)

3 M. Milosevic (interprétation): En tant que fils de diplomate yougoslave,

4 vous avez passé la quasi-totalité de votre vie dans une position de

5 privilégié, n'est-ce pas? Vous êtes né avec une cuiller d'argent dans la

6 bouche?

7 M. Surroi (interprétation): Oui.

8 Question: A la lecture de votre curriculum vitae, nous nous apercevons que

9 tout ce que vous avez pu accomplir a été rendu possible par la société

10 yougoslave. Et je commence par votre statut matériel jusqu'à votre

11 parcours académique.

12 Réponse: Oui, mes parents se sont occupés de tout cela, mes parents

13 faisaient partie de cette société.

14 Question: Et je pars du principe que vous faisiez, vous aussi, partie de

15 votre société. Vous et vos parents appartenez à cette société?

16 Réponse: Jusqu'au moment où cette société a été détruite.

17 M. Milosevic (interprétation): Excusez-moi, je n'ai pas reçu

18 d'interprétation, je ne reçois rien dans mes écouteurs, il y a un petit

19 problème technique.

20 M. le Président (interprétation): Eh bien, Monsieur Milosevic, posez une

21 autre question et nous verrons s'il y a une interprétation.

22 M. Milosevic (interprétation): Je vous entends fort bien à présent. Alors

23 est-ce que vous n'étiez pas vous aussi membre de cette société?

24 M. Surroi (interprétation): Jusqu'au moment où cette société a été

25 détruite.

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1 Question: Est-il exact que le statut social, que le mode de vie, que les

2 libertés humaines, les droits humains, que tout ce qui définit la qualité

3 de la vie était infiniment supérieur au Kosovo-Metohija que dans les Etats

4 voisins? Je pense notamment à l'Albanie, la République d'Albanie.

5 Réponse: Jusqu'en 1990, je dirais que ce que vous dites est exact: la

6 qualité de la vie y était bien supérieure qu'en Albanie, mais bien

7 inférieure à celle qu'elle était dans le reste de la Yougoslavie, y

8 compris en Serbie.

9 M. Milosevic (interprétation): Mais il ne s'agit pas de contester le fait

10 que le Kosovo était une région sous-développée de la Yougoslavie. C'est

11 pour cela qu'elle a été développée à un rythme accéléré. Vous dites

12 effectivement que cela a prévalu jusqu'en 1990.

13 Est-ce que vous savez que votre ami Christopher Hill, que vous avez cité à

14 de nombreuses reprises dans le cadre de votre déclaration préalable et qui

15 se trouvait sur les lieux beaucoup plus tard, que ce soit en Albanie ou au

16 Kosovo, est-ce que vous savez que Christopher Hill m'a dit ce qu'il

17 ressentait lorsqu'il quittait l'Albanie et qu'il se rendait au Kosovo: il

18 a dit qu'il avait l'impression d'entrer dans Disneyland.

19 M. le Président (interprétation): On dirait que vous nous faites part de

20 l'opinion de M. Hill. Vous pourrez lui demander de s'exprimer sur ce

21 point, s'il vient devant nous. Mais ce Témoin ne saurait se prononcer sur

22 ce que vous venez de déclarer.

23 M. Milosevic (interprétation): Je lui pose une question: je lui demande si

24 Christopher Hill lui a dit quelque chose de ce genre. Nous sommes en train

25 d'établir des comparaisons ici.

Page 3417

1 M. Surroi (interprétation): Si nous essayons d'établir des comparaisons,

2 il y a des régions de la Bolivie qui étaient tellement sous-développées

3 que, lorsque je suis allé de Bolivie au Kosovo, j'ai eu l'impression que,

4 dans certaines zones du Kosovo, je me trouvais en Bolivie. Je ne vois pas

5 comment on peut faire entrer l'Albanie dans ce que nous en sommes en train

6 de dire et comment nous pourrions essayer d'établir une équation entre

7 l'Albanie et le Kosovo.

8 Question: L'Albanie entre en ligne de compte parce qu'il est probablement

9 indéniable, même pour vous, que les Albanais du Kosovo, tant sur le plan

10 politique, qu'économique, qu'humain, étaient dans des conditions bien plus

11 favorables que cela n'aurait été le cas s'ils s'étaient trouvés en

12 Albanie, qui était pourtant leur propre Etat.

13 Est-ce que ce que j'ai dit n'est pas exact?

14 Réponse: J'ai grandi en considérant le Kosovo comme mon propre Etat.

15 Question: Vous avez grandi en considérant que le Kosovo était en quelque

16 sorte un Etat indépendant?

17 Réponse: J'ai grandi et vécu convaincu que le Kosovo était ma patrie et

18 qu'il faisait partie de la Yougoslavie.

19 Question: Faisant partie de la Yougoslavie, bien sûr faisant partie de la

20 Serbie?

21 Réponse: Faisant partie de la Yougoslavie.

22 M. Milosevic (interprétation): Et partagez-vous l'opinion selon laquelle

23 -là, je me place du point de vue historique-, l'opinion selon laquelle,

24 lorsque les Albanais étaient sous la domination des Turcs, des Allemands,

25 des Italiens, des Russes et, maintenant, sous la domination des

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1 Américains, il n'y avait qu'en Yougoslavie, qu'en Serbie, c'est-à-dire

2 qu'au Kosovo et qu'en Metohija, qu'ils étaient libres. Il n'y avait que là

3 qu'ils ont réussi à s'épanouir librement. C'est pour cela qu'il y a eu des

4 progrès faits dans cette zone-là. C'est précisément de ce fait qu'il y a

5 eu développement. Est-ce que ce n'est pas exact?

6 M. Surroi (interprétation): Certainement pas. Ce n'est que maintenant que

7 le Kosovo est dans un état normal, parce que ce n'est qu'aujourd'hui que

8 les Albanais du Kosovo sont libres.

9 M. le Président (interprétation): Cela suffit. Nous allons reprendre le

10 fil du contre-interrogatoire. Nous n'entrerons pas plus avant dans ce

11 débat général.

12 M. Milosevic (interprétation): Il y a quelques instants, M. Nice vous a

13 demandé comment, au sein de la Serbie -à Belgrade par exemple- on

14 percevait les Albanais du Kosovo. Et vous avez déclaré qu'on les

15 considérait comme étant des travailleurs manuels, ce qui est d'ailleurs

16 vrai; c'est vrai par ailleurs aussi qu'il y avait aussi beaucoup de Serbes

17 qui étaient des travailleurs manuels et c'est encore le cas aujourd'hui.

18 Mais est-ce que vous savez qu'il y avait des docteurs, des universitaires

19 également parmi ces Albanais, il y avait des intellectuels albanais qui

20 vivaient à Belgrade. Tout dépendait en fait de leur niveau d'éducation?

21 M. Surroi (interprétation): Je crois que la grande partie des Albanais

22 étaient dans une situation bien plus défavorable. Ces conditions de vie

23 très défavorables ont permis l'élaboration de ce stéréotype qui veut que,

24 lorsque quelqu'un voulait du charbon en hiver ou du bois, il se tournait

25 vers l'Albanie. C'est un stéréotype, mais je crois que, désormais, ce

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1 stéréotype est en train d'être dissous et de disparaître.

2 Question: Est-ce que vous établissez un lien entre cela et le niveau

3 d'éducation? Ou est-ce que vous établissez un lien entre ça et certains

4 critères d'ordre national?

5 Réponse: Les stéréotypes sont toujours le résultat d'un niveau d'éducation

6 peu élevé, sont toujours le résultat d'un manque de communication, d'une

7 trop grande distance entre les différentes ethnies, trop grande différence

8 entre les différentes identités.

9 Question: Vous avez déclaré que, par exemple, la langue albanaise n'avait

10 créé son propre alphabet qu'en 1908. Vous avez par ailleurs indiqué à quel

11 point le niveau d'éducation était en retard par rapport au niveau

12 d'éducation atteint par la plupart des autres populations des Balkans. Le

13 résultat de cela était que la majorité des Albanais étaient des

14 travailleurs manuels, étaient des personnes qui se consacraient à ces

15 autres occupations que vous avez citées.

16 Est-ce que vous attribuez cela à leur degré de connaissance et de

17 compétence ou est-ce que vous attribuez cela à certains types de critères

18 ethniques, nationaux? Est-ce qu'il y avait une discrimination fondée sur

19 des critères ethniques.

20 Réponse: Il y avait absolument une discrimination qui était le résultat

21 d'un ensemble de liens forgés au cours de l'histoire, qui était le

22 résultat de ce qui avait été fait en matière d'éducation, qui était le

23 résultat du fait que les Albanais avaient du mal à prendre en charge leur

24 propre éducation. Il était nécessaire, entre autre chose, qu'il y ait un

25 plus grand degré d'éducation, pour que ces stéréotypes soient abandonnés.

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1 Question: Et pour ce qui est du traitement réservé aux Albanais, quel que

2 soit le point de vue duquel on se place, est-ce que la situation des

3 Albanais était différente en Serbie par rapport à celle des autres

4 minorités, les Bulgares, les Hongrois, les Slovaques, etc.? Je ne parle

5 pas de toutes les minorités; il y avait vingt six groupes ethniques

6 différents en Serbie. Est-ce que donc, la situation des Albanais était

7 différente de celle de ces autres groupes?

8 Réponse: Absolument. Le plus grand nombre de prisonniers politiques en ex-

9 Yougoslavie étaient des Albanais. Ils étaient beaucoup plus représentés au

10 sein de la population que n'importe quelle autre population.

11 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous savez qu'à l'heure actuelle

12 en Europe occidentale, pour ce qui est de leur représentation au sein de

13 ces pays, notamment en Suisse, est-ce que vous savez donc, si cela est, si

14 cela vaut également?

15 M. le Président (interprétation): Quel est le lien qui existe avec ce qui

16 nous intéresse ici?

17 M. Surroi (interprétation): Il n'y a aucun lien entre cela et ce dont nous

18 sommes en train de parler.

19 M. le Président (interprétation): Précisément.

20 M. Milosevic (interprétation): Mais, le Témoin a fait état d'une

21 discrimination exercée à l'encontre des Albanais, qui n'a jamais existé.

22 C'est pour cela que ce que je dis est pertinent.

23 M. le Président (interprétation): Poursuivons et avançons.

24 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous savez qu'à Belgrade, par

25 exemple pendant toutes ces années il y a eu entre 70 et 100.000 Albanais

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1 résidants. Et est-ce que vous savez, par exemple, que lorsqu'on se déplace

2 sur le plus grand Boulevard de la Révolution, lorsqu'on va vers le

3 parlement fédéral, il y a un grand nombre de noms albanais qui

4 apparaissent sur les vitrines? Est-ce que vous savez que jamais pendant

5 tout ce temps, pendant ces 10-12 années qui se sont écoulées, pas une

6 seule vitrine n'a été brisée, que jamais aucune discrimination n'a été

7 exercée à l'encontre des Albanais. Est-ce que vous savez cela?

8 M. Surroi (interprétation): Ce n'est pas vrai. Beaucoup de vitrines ont

9 été brisées après l'incident qui s'est produit à Paracin. Un enfant a été

10 attaqué, l'enfant d'un boulanger a été attaqué à l'aide d'un couteau ou à

11 l'aide d'un autre objet tranchant, et c'est son oeil qui a été arraché.

12 M. Milosevic (interprétation): Mais, moi je parle de Belgrade. Je ne parle

13 pas de ce qui a pu se produire dans le cadre d'incidents ponctuels. Je

14 vous parle de ce qui se passait à Belgrade. Je vous demande si vous étiez

15 au courant de ce qui se passait à Belgrade?

16 M. le Président (interprétation): Il ne faut pas oublier de ménager une

17 pause entre les questions et les réponses. Il faut ménager nos

18 interprètes.

19 M. Surroi (interprétation): Il y a également eu des vitrines brisées à

20 Belgrade; et les boulangers de Belgrade qui étaient albanais se sentaient

21 tous menacés et, suite à cet incident, sont tous rentrés au Kosovo.

22 M. Milosevic (interprétation): Vous savez pertinemment que c'est faux.

23 Mais revenons-en aux événements de Paracin. Vous avez fait état de cet

24 événement qui s'est produit à Paracin. Est-ce que vous savez exactement de

25 quoi il s'agissait?

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1 M. Surroi (interprétation): Quatre soldats ont été tués, et un Albanais a

2 été accusé d'avoir perpétré cet acte.

3 M. Milosevic (interprétation): Pas quatre, beaucoup plus de quatre

4 soldats. Ces camarades ont été truffés de balles par un Albanais. Il l'a

5 fait, tout le monde l'a vu. Il tuait dans les casernes de Paracin. Il a

6 été honni par le pays tout entier; je suppose que vous vous en souvenez.

7 Vous auriez dû, et vous avez sans doute dû condamner un acte de cette

8 nature?

9 M. le Président (interprétation): Dans quelle période de temps nous

10 situons-nous, Monsieur Surroi?

11 M. Surroi (interprétation): Nous sommes dans la deuxième moitié des années

12 80.

13 M. le Président (interprétation): Question suivante.

14 M. Milosevic (interprétation): Etant donné que vous m'avez attribué la

15 responsabilité de tous les événements qui se sont produits à partir de

16 1989, je vais vous poser la question suivante. Pourquoi est-ce qu'il y a

17 eu des soulèvements, des manifestations, des troubles au Kosovo en 1965,

18 en 1968, en 1980, en 1981? Pendant tout ce temps, pourquoi y a-t-il eu des

19 soulèvements et des troubles pendant toute cette période de temps jusqu'en

20 1989, 1990?

21 M. Surroi (interprétation): Il n'y a aucune similitude possible entre ce

22 qui s'est passé à partir de 1989 et les autres dates que vous évoquez. Si

23 des parallèles peuvent être établis, ils peuvent l'être entre les demandes

24 politiques qui étaient formulées par les Albanais qui demandaient à

25 disposer d'un statut de République au sein de la Fédération yougoslave.

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1 Ils demandaient à ce qu'un débat constitutionnel soit tenu et ces demandes

2 ont fait l'objet de la plus totale répression. La violence était exercée

3 par l'Etat et non pas par les citoyens.

4 M. Milosevic (interprétation): Je vous ai demandé pourquoi il y a eu des

5 troubles violents en 1965, en 1968, en 1980 et en 1981, et vous, vous me

6 parlez...

7 M. le Président (interprétation): Nous allons très rapidement régler la

8 question parce que ce n'est pas la première fois que ces situations se

9 présentent.

10 Monsieur Surroi, on vous demande pourquoi il y a eu des événements

11 violents en 1965, en 1968 et au début des années 80. Pouvez-vous

12 brièvement traiter de cela?

13 M. Surroi (interprétation): Parce que l'Etat a répondu par la violence et

14 la répression à une demande politique qui était formulée par des groupes

15 qui n'appartenaient pas à l'élite politique de l'époque. Il y a eu des

16 manifestations dans les rues, des manifestations pacifiques, et ces

17 manifestations ont été réprimées violemment par les organes au pouvoir.

18 Ces demandes politiques visaient à l'institution d'un statut de République

19 pour le Kosovo au sein de la Fédération yougoslave.

20 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous savez que, pendant toute

21 cette période de temps au cours de laquelle les droits des Albanais ont

22 prétendument été refusés, un grand nombre d'Albanais tenaient des postes

23 très importants au sein de la Fédération au Kosovo-Metohija, dans toutes

24 les municipalités, et même dans certains postes à l'extérieur du Kosovo-

25 Metohija, au-delà du niveau de la République?

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1 Ils tenaient des postes importants ailleurs qu'en Serbie, n'est-ce pas?

2 Même votre père était ambassadeur, n'est-ce pas? Il y avait beaucoup

3 d'Albanais qui occupaient des postes de tout premier plan. Il y avait des

4 Albanais à des postes de ministre entre autres. Est-ce que l'on peut

5 parler dès lors de discrimination exercée à l'encontre des Albanais?

6 M. Surroi (interprétation): A partir de 1968, l'évolution de l'autonomie a

7 permis que des Albanais soient intégrés à différents niveaux de

8 l'administration; ils ont commencé à faire partie d'une certaine élite.

9 Cela étant dit, ce processus était accompagné par un autre phénomène qui

10 était le fait d'un Etat répressif et d'un système répressif. Cette période

11 était beaucoup plus libérale que celle au cours de laquelle l'accusé est

12 arrivé au pouvoir et a pris le pouvoir.

13 M. Milosevic (interprétation): Nous verrons que c'est exactement l'inverse

14 de ce qui s'est produit. Quoiqu'il en soit, pendant toute cette période de

15 temps, vous étiez journaliste, éditeur, le propriétaire d'un quotidien,

16 d'un magazine, vous travailliez librement, vous circuliez librement, vous

17 voyagiez librement, vous accumuliez des richesses. Est-ce que quiconque a

18 essayé de vous entraver dans vos activités?

19 M. Surroi (interprétation): Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises,

20 oui, on a essayé de poser des obstacles sur mon chemin.

21 M. Milosevic (interprétation): Moi, j'ai entendu parler pour le moment

22 d'un seul exemple d'obstruction; j'ai moi-même été surpris lorsque vous me

23 l'avez dit. Au cours de cette conversation, comme vous vous le

24 rappellerez, j'ai demandé qu'une vérification soit faite et on m'a indiqué

25 que cela s'est produit plusieurs années auparavant. On m'a indiqué

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1 qu'effectivement, les locaux où se trouvaient vos bureaux avaient été

2 placés sous scellés pour une journée et non pas pour plusieurs jours. Et

3 cela était dû aux activités financières dans lesquelles vous vous êtes

4 engagé; une enquête a été menée sur ces activités. Cela n'avait rien à

5 voir avec moi. Une caricature a été faite de moi.

6 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, quelle est la

7 question? Vous n'êtes pas ici pour faire des discours!

8 M. Milosevic (interprétation): La question est celle-ci: est-ce qu'en tant

9 que journaliste, en tant que propriétaire d'un quotidien, en tant

10 qu'éditeur, pendant toutes ces années qu'il a passées à travailler en

11 Yougoslavie, est-ce qu'il ne se considérait pas comme un homme libre? Il a

12 déclaré que le système était un système répressif.

13 M. le Président (interprétation): Eh bien, laissez le Témoin se prononcer!

14 Il vous a déjà donné un exemple, il va peut-être vous en donner d'autres.

15 M. Surroi (interprétation): J'ai gagné moi-même ma liberté par mon travail

16 en faisant face à tous les obstacles que le système faisait se dresser sur

17 mon chemin.

18 Je ne me considérais pas comme un homme libre, comme c'est le cas

19 aujourd'hui. Je ne me considérais pas comme un homme libre lorsque je

20 voyais mes collègues se faire emmener par les forces de la sécurité d'Etat

21 pour être interrogés. Je ne me considérais pas comme un homme libre dès

22 lors que je voyais que l'on tuait des individus au Kosovo, dès lors que je

23 voyais qu'aucune responsabilité n'était assumée. Je voyais ces personnes

24 se faire tuer par les forces de la sécurité d'Etat, personne n'était tenu

25 pour responsable de cela.

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1 Je ne me considérais pas comme un homme libre lorsque la police m'a passé

2 à tabac, tout simplement parce que je manifestais contre la guerre. Je ne

3 me considérais pas comme un homme libre lorsque j'ai été condamné à 60

4 jours d'emprisonnement du fait d'avoir participé à cette manifestation

5 contre la guerre.

6 Tout individu pense aux conséquences de ses actes et pense à ce qui peut

7 se produire, et chacun est libre de savoir s'il veut poursuivre dans ses

8 activités ou les abandonner. Et moi, je n'ai pas été rendu libre par un

9 système ou par un Etat, j'ai gagné cette liberté moi-même.

10 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Surroi, vous êtes un intellectuel.

11 Je ne crois pas que nous ayons à écouter vos tirades fatigantes,

12 pathétiques sur la façon dont vous avez gagné votre liberté.

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, nous ne sommes pas

14 non plus ici pour écouter ce type d'interventions de votre part.

15 Vous pouvez poser au Témoin des questions, vous pouvez à terme faire

16 devant nous un certain nombre de commentaires, mais ce type de commentaire

17 que vous venez de faire ne sert strictement à rien. Vous perdez un temps

18 précieux. Poursuivons.

19 M. Milosevic (interprétation): Très bien. Très bien.

20 Essayez, s'il vous plaît, de nous donner des réponses qui reposent sur des

21 faits. Vous avez déclaré qu'un certain nombre de personnes avaient été

22 emmenées. Moi, j'affirme ici qu'il n'y avait pas de prisonniers politiques

23 en Serbie pendant ces dix dernières années. Est-ce que c'est vrai ou est-

24 ce que ce n'est pas vrai?

25 M. Surroi (interprétation): Mais c'est absolument faux! Absolument faux.

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1 L'isolement était une pratique communément répandue et c'est une pratique

2 qui n'existait que sous ce régime; on emmenait les gens et on les mettait

3 dans les cellules d'isolement dans la plus totale illégalité. Tous les

4 prisonniers politiques qui étaient détenus au Kosovo avaient été condamnés

5 à 60 jours d'emprisonnement ou à d'autres peines. Un grand nombre

6 d'Albanais ont souffert de la persécution. Les prisons de la Serbie

7 étaient remplies de prisonniers politiques albanais.

8 Question: Monsieur Surroi, vous l'avez dit à l'instant que des peines

9 d'emprisonnement de 60 jours étaient rendues. Il ne s'agissait pas de

10 jugements rendus par des tribunaux; il s'agissait d'une sanction

11 administrative rendue lorsque l'ordre et la loi avaient été troublés dans

12 un lieu public. N'est-ce pas exact que, lorsque vous avez été emprisonné

13 pour 60 jours, c'était le résultat d'une sanction administrative? Est-ce

14 que vous n'avez pas été ensuite relâché après quinze jours?

15 Réponse: Ce n'est pas vrai, j'ai été relâché après deux jours, mais une

16 peine de 60 jours avait été déclarée à mon encontre et, ensuite, des

17 démarches ont été lancées contre moi; une procédure a été lancée contre

18 moi parce qu'on avait déclaré que j'avais insulté les sentiments des

19 Serbes et des Monténégrins. En rien je n'ai troublé l'ordre public; j'ai

20 simplement manifesté contre la guerre en compagnie de 200.000 autres

21 citoyens.

22 Question: Parmi ces 200.000 autres citoyens, il y avait des individus qui

23 se livraient à des activités violentes, qui provoquaient la violence, et

24 je se suis sûr que vous ne le contesterez pas?

25 Réponse: Mais c'est absolument faux. Il n'y a pas un seul citoyen qui ait

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1 fait du bruit ou qui se soit livré à des actes de violence. C'était une

2 manifestation silencieuse à tous points de vue.

3 Question: Vous vous considérez comme un exemple de victime persécutée

4 mais, à part ces deux jours que vous avez passés en prison après ces

5 manifestations, est-ce que vous avez jamais été placé en détention?

6 Réponse: Non.

7 Question: Et parmi les hommes politiques, parmi les représentants

8 politiques, connaissez-vous un seul représentant politique albanais

9 d'importance qui se soit trouvé emprisonné?

10 Réponse: Eh bien, parmi les représentants politiques, les personnalités

11 politiques ou tous autres Albanais importants, qui est-ce que qui est allé

12 en prison? Hajrullah Gorani, le Président de l'association de commerce a

13 été en prison; Rexhep Osmani, le président de l'Association des

14 professeurs du Kosovo; Jup Statovci, aujourd'hui décédé, l'ancien recteur

15 de l'université du Kosovo. Il y a aussi Ukshin Hoti qui est aujourd'hui

16 porté disparu, professeur de l'université du Kosovo. Il y a eu l'un des

17 vice-présidents du LDK qui a été arrêté. Et je pourrais vous donner une

18 liste plus longue encore. Trois avocats font partie de cette liste, donc

19 tout cela contredit ce que vous nous dites.

20 Question: Au contraire, vous venez d'énumérer quelques personnes dont le

21 nombre tient sur les doigts des deux mains, mais combien de temps ont-ils

22 passé en prison?

23 Réponse: Au moins 60 jours, à mon avis.

24 M. Milosevic (interprétation): Donc il s'agissait encore de sanctions

25 administratives et pas de peines prononcées à l'issue d'un procès devant

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1 un tribunal?

2 (Le témoin fait un signe affirmatif de la tête.)

3 M. le Président (interprétation): Ils ont fini en prison quoi qu'il en

4 soit. Mais, en tout état de cause, au lieu de demander au Témoin de

5 s'appuyer sur sa mémoire, il ne fait aucun doute, je suppose, que vous-

6 même ou une autre personne pourra nous fournir des faits à ce sujet.

7 Avançons.

8 M. Milosevic (interprétation): Bien sûr, puisqu'il est tout à fait clair

9 qu'il n'y a pas eu de responsable politique emprisonné en Serbie ces dix

10 dernières années. Il n'y en a pas eu un seul et le Témoin…

11 M. le Président (interprétation): Vous n'êtes pas en train de déposer,

12 Monsieur Milosevic. Posez vos questions. Vous ne déposez pas ici.

13 M. Milosevic (interprétation): Y a-t-il eu limitation de la liberté de

14 circulation? Y a-t-il eu des personnes qui se sont vu refuser leur visa?

15 Avez-vous pu tous voyager dans le monde entier, à commencer par Rugova,

16 vous-même et tous ces responsables publics albanais dont vous avez donné

17 le nom? Ont-ils eu la liberté de créer toutes sortes de partis politiques,

18 oui ou non?

19 M. Surroi (interprétation): J'ai été empêché de voyager pendant quelque

20 temps. On m'a retiré mon passeport. Et c'est grâce à l'intervention des

21 autorités suisses, si je ne m'abuse, que mon passeport m'a été restitué au

22 bout de six mois.

23 Question: Donc votre passeport vous a été retiré six mois? C'est ce que

24 vous affirmez?

25 (Le témoin fait un signe affirmatif de la tête.)

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1 Mais au cours des dix dernières années, parmi tous les représentants

2 politiques ou représentants publics albanais, y en a-t-il qui ont été

3 attaqués, qui ont été tués, qui sont morts de ce fait?

4 Réponse: Peut-être pas eux, mais d'autres citoyens ont été tués. Il y en a

5 d'autres, des citoyens, des habitants normaux qui ont été tués.

6 Question: Mais pas par le gouvernement? Des crimes, des meurtres, il y en

7 a partout dans le monde. Ce que je vous demande, c'est s'il y avait

8 quelque chose qui pouvait s'assimiler à de la répression de la part du

9 gouvernement contre les partis politiques et contre les représentants

10 politiques qui leur aurait limité leur liberté, quoi que ce soit de ce

11 genre?

12 Réponse: Au Kosovo, il y avait une restriction des libertés, absence

13 totale d'institutions, absence de défense au niveau légal. Et les citoyens

14 qui ont été tués ne sont pas des citoyens qui se sont entretués, ils ont

15 été tués par la police. Et l'absence de sanction, s'agissant de ces

16 crimes, s'est trouvée élevée au rang de principe au cours de ces dix

17 dernières années.

18 Un policier qui avait tué un enfant ne devait jamais répondre de cet acte.

19 Et ceci, ensuite, s'est répété deux fois, trois fois, cinq fois, et a fini

20 par créer une culture générale d'absence de sanction, dans laquelle un

21 policier serbe pouvait faire ce qu'il voulait, alors que les citoyens

22 albanais n'avaient aucun moyen de se défendre contre cela.

23 Dans une situation de ce genre, il n'est pas très intéressant de parler

24 des partis politiques qui se créent, car il n'y a pas de parlement pour

25 les représenter; il n'est pas très important de discuter du fait de savoir

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1 si un syndicat ou d'autres organisations sont créées parce qu'il n'y a pas

2 de processus légal qui permette aux travailleurs de défendre leurs droits.

3 Le Kosovo était plongé dans une situation de violence totale, avec absence

4 totale de moyens pour faire respecter les droits de l'homme.

5 Et dans ces conditions, je considère, je pense que la violence contre des

6 dirigeants politiques aurait eu l'effet inverse, c'est-à-dire qu'elle

7 aurait éloigné l'opinion publique internationale.

8 Question: Je n'ai pas très bien compris votre réponse. Qu'est-ce qui

9 aurait attiré ou éloigné l'opinion publique internationale? Je n'ai pas

10 très bien compris.

11 Réponse: Il n'y a pas eu de violence ouverte contre des personnalités

12 politiques, car cela aurait trop attiré l'attention de la communauté

13 internationale.

14 Question: Vous témoignez ici sur des faits, ou vous êtes censé le faire,

15 et vous ne faites que présenter des points de vue qui vous sont

16 personnels.

17 Je vous demande s'il y a eu utilisation de la violence contre des

18 personnalités politiques et vous répondez: "Il n'y en a pas eu, mais c'est

19 parce que nous, nous étions des salauds qui ne souhaitions pas attirer

20 l'attention de la communauté internationale".

21 Moi, je vous demande simplement s'il y a eu de la violence ou non.

22 Veuillez répondre à mes questions, je vous prie.

23 Alors, veuillez répondre à celle qui suit. Vous avez dit, dans votre

24 déclaration, que la maison de Rugova a été incendiée, qu'il avait été

25 enlevé. Par la suite, vous avez effectivement découvert que ce n'était pas

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1 la vérité. Mais pouvez-vous vous vous faire la moindre idée, avez-vous la

2 moindre idée de l'identité de ceux qui souhaitaient tuer Rugova et mettre

3 le feu à sa maison? Je parle du moment où vous avez entendu ces faits

4 rapportés?

5 Réponse: Ma supposition, à l'époque, a consisté à penser qu'il devait

6 s'agir des forces paramilitaires serbes.

7 Question: Savez-vous que ce sont en fait des terroristes albanais qui ont

8 fait une tentative de meurtre contre Rugova, et que lui le sait très bien?

9 Réponse: Je n'en crois rien. J'en doute beaucoup.

10 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que, devant sa maison, un homme

11 a été tué, qui portait des armes et qui était en train d'essayer de

12 commettre un attentat contre lui?

13 M. le Président (interprétation): Le Témoin a répondu à cette question.

14 Attendez un instant avant que les interprètes aient terminé.

15 Ce que je viens de dire, c'est que le Témoin ne peut rien savoir de cela

16 parce qu'il n'était pas sur les lieux; donc ce ne seraient que des propos

17 de deuxième main. Posez cette question à M. Rugova.

18 M. Milosevic (interprétation): Je le ferai, bien sûr.

19 Monsieur le Témoin, savez-vous qui a protégé Rugova, qui a empêché que ces

20 terroristes ne le tuent?

21 M. le Président (interprétation): Non, le Témoin n'est pas au courant de

22 cela.

23 M. Milosevic (interprétation): Vous semble-t-il logique que ces mêmes

24 personnes qui désiraient tuer Rugova et qui ont en fait essayé de le

25 faire...

Page 3433

1 M. le Président (interprétation): Non, non, Monsieur Milosevic.

2 M. Milosevic (interprétation): Bon.

3 Il y a quelques instants, Monsieur le Témoin, vous avez dit, et vous vous

4 en êtes plaint, avoir été soumis à un monde(?) de façon injuste pour avoir

5 publié dans votre journal un article de Hashim Thaci. Aujourd'hui, dans le

6 monde occidental, quelqu'un peut-il affirmer des opinions terroristes et

7 couvrir le terrorisme sans être puni? Vous êtes journaliste vous-même,

8 vous avez circulé un peu partout dans le monde; je pense que vous êtes au

9 courant de cela.

10 M. le Président (interprétation): Ce n'est pas une question appropriée:

11 c'est un commentaire.

12 M. Milosevic (interprétation): Monsieur le Témoin, quelles sont les

13 circonstances dans lesquelles vous avez été soumis à amende? Et cela a-t-

14 il été simplement dû au fait que vous rendiez compte d'opinions

15 terroristes? C'est ce que vous avez allégué. Lorsque je dis "vous", je

16 pense à votre journal, bien sûr.

17 M. Surroi (interprétation): Nous avons publié une dépêche d'agence qui

18 n'était donc qu'une dépêche tout à fait courante, publiée par de nombreux

19 journaux dans le monde. Dans cette dépêche, M. Thaci déclarait que les

20 villages serbes -je veux parler des villages albanais- avaient été

21 détruits par des forces serbes.

22 Selon la loi, le ministre de l'Information serbe, qui considérait que tout

23 cela n'était que mensonge, le fait de dire que les forces serbes avaient

24 détruit des villages albanais, donc puisque, aux yeux du ministère,

25 c'était un mensonge, il a été condamné. Mais cette loi, comme vous le

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1 savez -vous en avez entendu parler dans d'autres affaires également-,

2 condamnait une déclaration faite par qui que ce soit dès lors que le

3 gouvernement serbe considérait que cette déclaration n'était pas exacte.

4 M. Milosevic (interprétation): Comme vous le savez, Monsieur Surroi, ce

5 que vous venez de dire n'est pas exact, car la seule chose que pouvait

6 faire la loi, c'était prévoir une sanction pour publication de contre-

7 vérités manifestes. Dans cette loi, si vous vous en souvenez, au cas où

8 vous l'auriez lue, il est question de mensonges notoires. Il est

9 impossible, dans le délai de 24 heures, de prouver que telle ou telle

10 chose n'est pas un mensonge. Ce sont dans ces situations qu'une amende

11 était versée.

12 C'est tout ce qui est écrit dans cette loi. Mais vous, vous qualifiez cela

13 de "répression massive". Donc je demanderai que lecture soit faite de la

14 teneur de cette loi, indépendamment d'ailleurs du Témoin, pour que preuve

15 soit apportée que ce qui vient d'être dit n'est pas la vérité.

16 M. le Président (interprétation): Nous obtiendrons le texte de cette loi

17 en temps utile et nous l'examinerons. Avez-vous d'autres questions pour ce

18 Témoin?

19 M. Milosevic (interprétation): En tant que journaliste, vous êtes connu

20 pour le fait que vous écrivez sans objectivité. Estimez-vous qu'ici, au

21 cours de la déposition que vous êtes en train de faire, vous recourez à

22 des semi-vérités?

23 M. Surroi (interprétation): Je crois que vous devriez reformuler votre

24 question, car elle est insultante. Dire que j'utilise ou que je recours à

25 des semi-vérités est insultant.

Page 3435

1 Question: Il ressort, de ce que vous avez dit, quelque chose qui n'est pas

2 dit très, très clairement, mais qui pourrait laisser à penser qu'il

3 n'existait pas de liberté de la presse.

4 Savez-vous combien de journaux et de magazines étaient publiés au Kosovo-

5 Metohija et pouvaient donc être achetés à tous les coins de rue, par

6 exemple devant votre maison ou, en tout cas, un peu partout à Pristina? Et

7 ne parlons, je vous le demande, que des journaux en langue albanaise.

8 Réponse: Le nombre que vous avez cité comme étant celui des publications

9 en question des dix dernières années ne correspond pas à la réalité. Il a

10 été fabriqué par le ministère de l'Information et des médias à l'époque.

11 Il ne portait que sur le nombre des journaux enregistrés depuis 1945.

12 Question: Je n'ai donné aucun chiffre.

13 Réponse: Mais c'est un chiffre que vous ne cessez de citer depuis dix ans.

14 Question: Mais disons, à partir de 1990 et jusqu'à l'an 2000, donc dans

15 cette période de dix ans, combien y avait-ils de journaux qui paraissaient

16 en langue albanaise au Kosovo-Metohija?

17 Réponse: Il y avait un quotidien dont le titre était "Bujku" et deux

18 hebdomadaires; il y avait un journal de mots croisés à parution mensuelle,

19 il y avait un journal pornographique qui paraissait tous les mois ou tous

20 les deux mois et il y avait "Shkendija", qui était un magazine traitant de

21 l'éducation. Et des journaux régionaux qui étaient également des journaux

22 de mots croisés.

23 Mais pendant cette même période, la Radio-Télévision de Pristina a été

24 fermée, et des émissions de radio en albanais on en trouvait davantage à

25 Moscou ou Pristina, qui étaient contrôlées par les vôtres.

Page 3436

1 Question: Aviez-vous des bulletins d'information en albanais à la radio et

2 à la télévision? Il y en avait même en langue turque, bien que le nombre

3 des citoyens turcs soit bien inférieur à celui des Albanais. Donc à

4 Pristina, aviez-vous des émissions de radio et de télévision en albanais?

5 Réponse: La station Radio-Télévision Pristina émettait à peu près 12

6 heures par jour. Mais lorsque l'autonomie a été abolie, il y a eu une

7 émission d'information en langue albanaise qui a été diffusée, mais

8 c'étaient des bulletins d'information absolument mal faits, par des

9 personnes incompétentes qui traduisaient à partir du serbe, et qui étaient

10 incompréhensibles pour des Albanais. Voilà le genre d'émissions en langue

11 albanaise dont vous parlez.

12 Question: La compétence des journalistes, c'est une question qui se pose

13 et qui concerne tous les journalistes, y compris vous-même.

14 Vous avez énuméré une dizaine de supports de presse qui paraissaient

15 pendant la période dont nous sommes en train de parler et qui paraissaient

16 en toute liberté un peu partout sur le territoire. Vous avez dit également

17 que votre journal était enregistré en Croatie et que vous l'avez

18 enregistré en Croatie, car il était impossible de créer un journal privé

19 albanais en Serbie.

20 Vous rappelez-vous qu'en 1990, et je dis bien "en 1990", une nouvelle

21 Constitution a été adoptée en Serbie, qui a introdui le système du

22 multipartisme, système sur la base duquel des nouvelles lois ont été

23 votées qui vous permettaient d'enregistrer la création d'un journal, d'une

24 radio, d'une télévision ou de tout média en albanais au Kosovo? Et vous

25 pouviez l'enregistrer en Serbie. Etiez-vous au courant de cela?

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1 Réponse: L'enregistrement dont vous parlez n'était même pas possible pour

2 des journaux de Belgrade: "Vreme" et d'autres n'ont pas pu être

3 enregistrés à Belgrade et ils ont dû aussi être enregistrés en Croatie. Ce

4 dont vous parlez, s'est produit plus tard.

5 Pendant longtemps, aucun d'entre nous, au Kosovo, ne souhaitait procéder à

6 un nouvel enregistrement, car nous attendions que l'état d'urgence soit

7 levé au Kosovo et nous pensions que des institutions kosovares seraient

8 désormais créées et que nous pourrions enregistrer notre journal auprès de

9 ces institutions kosovares.

10 Question: Vos motivations sont quelque chose de tout à fait différent. Ce

11 que je vous ai demandé, c'est si vous pouviez enregistrer votre journal en

12 Serbie. D'ailleurs, même si vous avez enregistré votre journal en Croatie,

13 vous aviez toute liberté de le vendre en Serbie, en tout cas, n'est-ce

14 pas? Oui ou non?

15 Réponse: Jusqu'en 1991, oui.

16 Question: Et après 1991, comment vendiez-vous "Koha" et "Koha Ditore" au

17 Kosovo-Metohija?

18 Réponse: Après enregistrement auprès des autorités serbes.

19 Question: Mais est-ce que vous aviez toute liberté de présenter au public,

20 de vendre votre journal "Koha" et "Koha Ditore" qui pouvait s'acheter à

21 Belgrade et dans bien d'autres endroits?

22 Réponse: Je pense que c'était impossible.

23 Question: C'était possible. Il y a beaucoup de représentants privés qui

24 venaient à Belgrade et, sur la place Terazija de Belgrade, en plein

25 centre-ville, on trouvait ce journal au kiosque?

Page 3438

1 Réponse: Je ne crois pas qu'on ait pu jamais acheter notre journal "Koha

2 Ditore" sur la place Terazija de Belgrade; on pouvait y trouver des

3 journaux croates, mais pas le nôtre.

4 Question: Lorsque vous proposiez le "Koha Ditore", je ne suis pas sûr que

5 quelqu'un le prenait. C'est bien cela? Je parle de "Koha" et de "Koha

6 Ditore", de l'un comme de l'autre?

7 Réponse: Sur le territoire du Kosovo, pendant cette période, il n'y avait

8 pas d'obstruction directe à l'impression et à la diffusion d'un journal.

9 Avec quelques exceptions.

10 M. Milosevic (interprétation): Merci. Merci beaucoup. Pour une fois,

11 j'obtiens une réponse concrète de votre part: vous dites qu'il n'y avait

12 aucune destruction, aucune obstruction à l'impression et à la diffusion de

13 votre journal.

14 Maintenant, en dehors de ce que vous avez dit, s'agissant de 1994, soi-

15 disant pour m'avoir caricaturé, vous avez dit que votre journal avait été

16 fermé. Avez-vous vu, en dehors de cela, un cas de journal albanais qui ait

17 été fermé?

18 M. Surroi (interprétation): (Inaudible.)

19 M. le Président (interprétation): Est-ce que nous pourrions ménager une

20 pause, je vous prie?

21 Nous avancerons plus vite, Monsieur Milosevic, si vous ne faites pas de

22 commentaire au sujet des témoins lorsque vous les approuvez ou ne les

23 approuvez pas.

24 M. Milosevic (interprétation): Il m'était très difficile d'obtenir cette

25 réponse; donc j'ai exprimé ma grande satisfaction une fois que je l'ai

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1 reçue. Mais je ne ferai pas de commentaire, ne vous inquiétez pas.

2 M. le Président (interprétation): Un instant, il y a un commentaire des

3 interprètes que je vois sur l'écran: on vous demande de ménager une pause

4 entre les questions et les réponses.

5 D'ailleurs, Monsieur Surroi, nous sommes arrivés à l'heure de la prochaine

6 pause.

7 Nous suspendons l'audience pendant 20 minutes.

8 (Le témoin, M. Veton Surroi, est reconduit hors du prétoire.)

9 (L'audience, suspendue à 12 heures 15, est reprise à 12 heures 40.)

10 M. Milosevic (interprétation): Jusqu'à quel moment votre journal "Koha" a-

11 t-il été publié en Croatie? Pendant combien de temps votre publication a

12 t-elle fonctionné dans ce cadre juridique-là?

13 M. Surroi (interprétation): Eh bien, cet enregistrement devrait être

14 encore être valable à ce jour en Croatie. Il est toujours valable.

15 Question: Mais ça, ce n'est pas ce que je vous demande. Moi, je vous

16 demande jusqu'à quand votre journal a été publié aux termes de cet

17 enregistrement? Jusqu'à quelle date avez-vous publié, distribué votre

18 journal au titre de cette immatriculation en Croatie? Après, vous l'avez

19 fait au fait, au titre d'un enregistrement en Serbie?

20 Réponse: Jusqu'en 1991.

21 Question: Est-ce qu'en 1991, vous avez été enregistré en Serbie?

22 Réponse: Non, 1994.

23 Question: Et "Koha", comment a t-il été publié entre 1991 et 1994?

24 Réponse: Il n'a pas paru.

25 Question: Si bien que ce n'est qu'en 1994 que vous avez recommencé à

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1 publier votre journal?

2 Réponse: Oui.

3 Question: Vous avez parlé de ce cas précis et vous avez même déclaré, dans

4 votre déclaration, que cela s'était produit parce qu'on avait publié un

5 dessin qui me concernait et que, pour cette raison-là, le journal avait

6 été fermé. Savez-vous si c'est la seule fois qu'on a publié des dessins

7 humoristiques avec moi comme personnage dans les journaux du Kosovo?

8 Réponse: Non, il s'agissait d'une photo-montage. Mais auparavant, nous

9 avions publié une caricature de vous-même et de Saddam Hussein, et le

10 dessinateur concerné s'est vu condamné à une peine de 60 jours

11 d'emprisonnement.

12 Question: Est-ce qu'il y a eu un cas, un seul cas de journal fermé parce

13 qu'il avait publié une caricature me concernant?

14 Réponse: Non.

15 Question: N'importe quel journal, pas forcément "Koha Ditore"?

16 Réponse: Non.

17 Question: Et est-ce que ça ne vous amène pas à la conclusion qu'en fait,

18 ce n'était pas à cause du fameux dessin qu'il a été fermé?

19 Réponse: Non, ceci ne me permet pas de tirer cette conclusion-là. Les

20 inspecteurs, les services de sécurité ont interrogé un certain nombre de

21 personnes au sujet de l'auteur de cette photo-montage et au sujet de ceux

22 qui avaient donné autorisation de publier ce montage.

23 Question: Dans quelle mesure étiez-vous opposé à Rugova? Puisque c'est ce

24 que vous dites dans votre déclaration: que vous étiez opposé à lui.

25 Réponse: Personnellement, je pensais qu'il aurait fallu que cette

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1 politique pacifique soit dynamisée, et que toute politique de résistance

2 pacifique implique une résistance active, mais toujours pacifique:

3 manifestations, blocus des institutions de la puissance occupante,

4 manifestation de l'énergie de la population dans son désir de liberté,

5 etc. Et je n'ai jamais pensé qu'une conférence de presse hebdomadaire

6 pouvait remplacer des actions de résistance passive.

7 Question: Est-ce que vous affirmez toujours, comme vous semblez le faire

8 jusqu'à aujourd'hui, est-ce que vous affirmez que la police a attaqué

9 violemment Adem Jashari?

10 Réponse: Absolument.

11 Question: Et savez-vous qu'avant cela, puisque vous parlez de sa famille,

12 savez-vous qu'avant ce que vous qualifiez d'agression contre sa famille,

13 savez-vous que la police est venue arrêter Jashari et qu'elle est partie.

14 Pourquoi? Parce qu'il n'était pas chez lui. Savez-vous que personne n'a

15 levé la main contre aucun membre de sa famille?

16 Réponse: Eh bien, cela ne justifie malheureusement pas le meurtre des

17 enfants qui a eu lieu plus tard.

18 Question: Rien ne justifie le meurtre d'enfants, bien entendu. Mais la

19 question est de savoir qui en est responsable.

20 Etant donné que vous saviez tout ce qui se passait au Kosovo, en tant

21 qu'homme public, en tant que journaliste, je souhaite vous poser un

22 certain nombre de questions au sujet de Jashari, justement.

23 Savez-vous qu'Adem Jashari, Sulejman Sulemi et Nasir Pajazit, dès

24 septembre 1995, avaient attaqué le poste de police de Podujevo? Et des

25 policiers ont à ce moment-là été blessés, ont été tués. Connaissez-vous

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1 cet événement?

2 Réponse: Non.

3 Question: Ah bon? Et savez-vous qu'une semaine après -donc on est toujours

4 en 1995-, savez-vous qu'ils ont attaqué le poste de police de Glogovac?

5 Deux policiers ont été tués et quatre ont été grièvement blessés, le

6 savez-vous?

7 Réponse: Je ne le savais pas, mais on peut développer là-dessus en se

8 demandant ce que cherchait la police serbe au Kosovo.

9 Question: Quoi? Ce que la police serbe cherchait au Kosovo, c'est ce que

10 vous dites?

11 Réponse: Oui.

12 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que le Kosovo fait partie du

13 territoire de la République de Serbie?

14 M. le Président (interprétation): Si nous redémarrons cette discussion,

15 nous allons nous éloigner du vif du sujet.

16 Bien. Y a-t-il autre chose que vous souhaitiez demander au sujet de M.

17 Jashari?

18 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous qu'en 1996, Adem Jashari et son

19 groupe ont tué deux policiers qui travaillaient à Srbica?

20 M. Surroi (interprétation): Nous revenons à la question fondamentale de

21 savoir ce que ceci a à voir avec le meurtre d'enfants et avec le massacre

22 de la famille Jashari.

23 Question: Il y a un lien qui existe parce que ce n'est pas la police qui

24 en est responsable; et moi, je suis en train de vous énumérer une série de

25 crimes perpétrés par Jashari qui explique pourquoi la police est venue le

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1 chercher. Savez-vous qu'ils ont tué Skender Gashi de Glogovac en 1997,

2 parce qu'il travaillait au sein de la police? Connaissez-vous cet

3 événement?

4 Réponse: Non.

5 M. Milosevic (interprétation): Ah bon? Vous ne savez pas?

6 Et la même année savez-vous qu'ils ont tué 20 personnes dans le cadre de

7 leurs activités terroristes intenses. Par exemple les frères Kryeziu ont

8 été tués près de Kijevo dans le village de Sasarë dans la zone de Drenica?

9 M. le Président (interprétation): Monsieur le Témoin, savez-vous quoi que

10 ce soit à ce sujet?

11 M. Surroi (interprétation): Non, et je ne comprends toujours pas ce que

12 cela a à voir avec le meurtre des Jashari.

13 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, si vous souhaitez

14 avancer quoi que ce soit au sujet de la réunion qui a eu lieu après le

15 meurtre des Jashari, vous le pouvez. Mais en ce qui concerne le contexte

16 dans lequel ça s'est déroulé, le Témoin ne peut rien nous apprendre.

17 M. Milosevic (interprétation): Mais, Monsieur May, ici nous parlons d'un

18 criminel, d'un très grand criminel qui s'était rendu coupable d'un nombre

19 immense de crimes. Il avait tué un grand nombre de Serbes et d'Albanais et

20 c'est pour cela que la police est venue l'arrêter. Et tout cet événement,

21 en fait, se réduit à cet affrontement qui a eu lieu au moment de son

22 arrestation. Par exemple les frères Kryeziu, si vous en souvenez,

23 c'étaient des hommes très riches...

24 M. le Président (interprétation): Vous avancez tout d'abord que c'était un

25 criminel. Or, il n'appartient pas au Témoin de parler de cela, d'y

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1 répondre. S'il y a des éléments de preuve à l'appui de votre thèse, je

2 n'ai pas de doute quant au fait que vous nous les présenterez.

3 Le Témoin, bien entendu, n'était pas sur les lieux quand cela s'est

4 produit mais étant donné qu'il dépose à ce sujet, nous allons vous

5 permettre de lui poser des questions.

6 Donc, Monsieur le Témoin, sur la base de ce que vous avez entendu, est-ce

7 que, comme on le dit ici, il s'agit là de la tentative d'arrestation par

8 la police de M. Jashari qui s'est terminée en affrontement? Est-ce que

9 vous pouvez nous dire quoi que ce soit à ce sujet?

10 M. Surroi (interprétation): Je n'ai aucun doute quant au fait que la

11 police serbe s'est rendue sur les lieux pour arrêter M. Jashari. Monsieur

12 Jashari faisait partie des forces d'insurrection contre un gouvernement

13 qu'il estimait dénué de toute légitimité et qu'il estimait illégal.

14 D'autre part, je n'ai aucun doute quant au fait que des armes ont été

15 employées, mais la question que j'ai pour l'accusé à Belgrade ou que

16 j'avais pour l'accusé à Belgrade, c'était de savoir pourquoi un groupe

17 d'experts médico-légaux d'un pays neutre n'a pas été autorisé à se rendre

18 sur place pour vérifier ce qu'il en était, voir qui avait tué les Jashari.

19 Ceci n'a rien à voir, en tant que tel, avec le conflit qui opposait les

20 deux parties en présence, mais nous parlons ici du droit humanitaire qui

21 est celui des civils de bénéficier d'une protection en cas de conflit.

22 M. le Président (interprétation): Mais d'après ce que l'on vous a dit de

23 cet événement, que s'est-il produit lorsque la police s'est rendue sur

24 place pour arrêter M. Jashari?

25 M. Surroi (interprétation): Eh bien, d'après l'un des survivants de cette

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1 famille, un nombre considérable de membres des forces spéciales de la

2 police ont assiégé la maison, et ils se sont mis à tirer à tort et à

3 travers. Et ce faisant, ils ont tué pratiquement tous les membres de la

4 famille, à l'exception d'un tout petit nombre qui a survécu et qui a pu

5 fuir.

6 M. Milosevic (interprétation): Et savez-vous sur la base de ces

7 informations, savez-vous que Jashari a tiré sur la police? Savez-vous

8 qu'un policier a trouvé la mort, qu'il a été tué par les tirs des

9 personnes qui se trouvaient avec lui dans la maison? Le savez-vous?

10 M. Surroi (interprétation): Je ne le sais pas, mais je ne mets nullement

11 en doute le fait qu'il s'agissait là d'un affrontement entre deux groupes

12 armés.

13 M. Milosevic (interprétation): Vous ne doutez pas du fait que Jashari et

14 ses hommes aient tiré sur les policiers?

15 M. Surroi (interprétation): Non, non, je n'ai aucun doute à ce sujet.

16 M. Milosevic (interprétation): Est-ce qu'il vous parait logique que… Oui,

17 après tout je vous ai donné un certain nombre d'exemples mais M. May m'a

18 interrompu, m'a empêché de continuer à répertorier ces incidents au cours

19 desquels Jashari a tué…

20 M. le Président (interprétation): Nous n'allons pas parler de ça, le

21 Témoin ne peut rien nous apporter à ce sujet. En temps utile, vous pourrez

22 nous présenter les éléments de preuve si vous en disposez, mais il est

23 inutile de poser des questions au Témoin à ce sujet. Passez à autre chose,

24 s'il vous plaît.

25 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que cette institution ici, y

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1 compris le Procureur, dispose de la déclaration d'un témoin albanais, un

2 témoin protégé il faut le dire, un témoin qui dit concrètement que les

3 membres de la famille voulaient sortir, qu'ils l'ont imploré pour qu'il

4 les laisse sortir, et que lui-même a tué Adem Jashari parce que celui-ci

5 voulait sortir, voulait se constituer prisonnier, et qu'il a tué d'autres

6 membres de sa famille qui voulaient sortir?

7 M. le Président (interprétation): Mais il est inutile de parler de cela au

8 Témoin, à moins qu'il n'ait des informations à ce sujet.

9 Est-ce que vous savez quoi que ce soit à ce sujet?

10 (Le témoin fait un signe négatif de la tête.)

11 M. Surroi (interprétation): Non.

12 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous que le fils d'Adem Jashari, qui

13 a survécu à cet incident a dit à l'UCK ce qui c'était passé, et qu'on lui

14 a dit qu'il ne devait raconter ça à personne parce que son père était un

15 héros pour son peuple et que...

16 M. le Président (interprétation): Je vous interromps. Je vous prie de

17 passer à un autre sujet.

18 M. Milosevic (interprétation): Et savez-vous quoi que ce soit au sujet des

19 activités terroristes? Savez-vous quoi que ce soit au sujet des activités

20 terroristes d'autres groupes: d'Hashim Thaci, les frères Selimi, etc.

21 Savez-vous quoi que ce soit à ce sujet?

22 M. Surroi (interprétation): Non.

23 Question: Savez-vous qu'il existe des éléments de preuve à ce sujet, qui

24 proviennent de sources albanaises d'ailleurs et dont ce Tribunal dispose

25 parce que c'est par ce biais que j'ai obtenu ces éléments, et ceci montre

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1 qu'eux-mêmes ils ont organisé leurs propres offensives contre des villages

2 albanais pacifiques afin de camoufler leurs propres crimes et d'en faire

3 porter la responsabilité par la police. Est-ce que vous savez quoi que ce

4 soit à ce sujet?

5 Réponse: Vous me posez des questions au sujet de choses dont je n'ai

6 jamais entendu parler. Je n'ai jamais rien lu à ce sujet, et je n'ai pas

7 participé à ces choses-là, non plus.

8 M. Milosevic (interprétation): Mais est-ce que vous remarquez que,

9 lorsqu'il s'agit des crimes de terroristes albanais, vous ne savez rien

10 parce que vous n'étiez pas présent? Ça, je veux bien le croire, je crois

11 que vous n'étiez pas présent parce que vous n'êtes pas un terroriste. Mais

12 vous savez pertinemment tout ce qui concerne les crimes allégués,

13 reprochés à la police serbe. Là non plus vous n'étiez pas présent, mais là

14 vous avez des informations. Donc apparemment vous faites un distinguo

15 entre les deux?

16 M. le Président (interprétation): Pouvez-vous ou non répondre à cette

17 question, Monsieur le Témoin?

18 M. Surroi (interprétation): Personnellement, j'ai toujours pensé, et je

19 continue à penser, qu'une force organisée qui dispose d'une filière

20 hiérarchique et qui bénéficie de l'appui institutionnel d'un Etat, et qui

21 met en œuvre dans les faits une idéologie, finit par tuer des civils; et

22 c'est ce qui s'est passé au Kosovo avec la police serbe.

23 Si je disposais d'informations quelconques au sujet de groupes albanais,

24 quels qu'ils soient et qui, sur la base d'une idéologie quelconque, se

25 rendraient coupables d'actes de violence envers les Serbes, eh bien, je me

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1 prononcerai ouvertement et publiquement contre ces groupes, exactement de

2 la même manière.

3 M. Milosevic (interprétation): Et moi, justement je suis en train de vous

4 donner des informations qui montrent que c'est ce qui s'est passé, Hashim

5 Thaci a tué des civils albanais pour liquider des citoyens loyaux, des

6 membres de la police qui étaient albanais, ou bien des personnes riches

7 qu'il souhaitait dévaliser. Il y a des éléments de preuve à ce qu'il

8 montre.

9 M. le Président (interprétation): Ça, c'est votre thèse. Vous pourrez

10 donner des éléments de preuve ultérieurement si vous en avez, mais ça ne

11 nous sert à rien avec ce témoin-là. Mais quoi qu'il en soit, on a bien du

12 mal à voir comment ceci pourrait justifier ce qui s'est passé ou ce qui

13 s'est passé d'après les allégations qui ont été faites dans le cadre de

14 notre affaire. Passons à autre chose, s'il vous plaît.

15 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, le Témoin est un journaliste.

16 C'est un homme public. Et d'après ses dires dans ce prétoire, il sait tout

17 ce qui se passe au Kosovo, mais la seule chose qu'il ne sache pas, ce sont

18 les crimes perpétrés par les terroristes albanais. Même ceux qui ont été

19 commis à l'encontre des civils albanais.

20 M. le Président (interprétation): Nous avons entendu cette remarque, je

21 vous prie de passer à un autre sujet.

22 M. Milosevic (interprétation): Mais je lui posais des questions au sujet

23 des événements dont il ne cesse de nous répéter qu'il ne sait rien, voilà

24 ce dont je parle!

25 Bien. Qui était derrière la vague d'actes terroristes qui ont été de plus

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1 en plus fréquents en 1998 et en 1999?

2 M. Surroi (interprétation): Le régime de Belgrade, parce qu'il s'agissait

3 là de terrorisme d'Etat.

4 M. Milosevic (interprétation): Moi, je parle des actes terroristes, de

5 gens tels Thaci, Adem Jashari et consorts, des gens qui ne représentaient

6 pas -c'est indéniable- le régime de Belgrade, comme vous dites, mais des

7 criminels qui ont tué des Albanais, des Serbes, des postiers, des gardes

8 forestiers, des policiers, etc.

9 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, nous vous avons

10 entendu. Nous avons déjà entendu ce que vous aviez à dire à ce sujet, vous

11 l'avez répété à l'envi. Cela ne nous mène à rien. Si vous avez encore des

12 questions à poser au Témoin au sujet de sa déposition, allez-y. Mais sinon

13 nous allons mettre un terme au contre-interrogatoire parce qu'il est

14 vraiment sans objet.

15 M. Milosevic (interprétation): Mais il me reste encore beaucoup d'autres

16 questions. Je ne comprends simplement pas pourquoi vous m'empêchez de les

17 poser.

18 Vous avez parlé de réunions qui auraient eu lieu avec Bakalli, au cours

19 desquelles il y avait des représentants des services de sécurité d'Etat,

20 et vous affirmez qu'il avait fait l'objet de menaces, qu'il avait été dit

21 que les villages albanais à 100% seraient identifiés, seraient détruits à

22 moins que les Albanais n'acceptent de se plier à un certain nombre de

23 revendications. Enfin, je ne sais très bien ce que vous entendez par là,

24 mais c'est bien ce que vous avez dit. C'est bien ce que vous affirmez,

25 n'est-ce pas?

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1 M. Surroi (interprétation): Eh bien, j'ai relayé les propos d'un médiateur

2 qui a dit que les villages homogènes du point de vue ethnique, homogènes

3 et albanais avaient été identifiés et non pas…, seraient identifiés,

4 avaient été identifiés et que si l'on constatait une escalade de la

5 violence... Et donc ceci a été considéré comme une menace par les

6 participants à la réunion.

7 Question: Mais vous dites vous-même, dans votre déclaration, que vous avez

8 été surpris par ce genre de chose. Est-ce qu'il vous a semblé plausible

9 que quelqu'un puisse menacer de détruire des villages, des villages

10 entiers et d'expliquer la chose en disant que l'on allait identifier des

11 villages albanais alors qu'il était de notoriété publique au Kosovo qu'il

12 y avait des centaines de villages albanais? Il était inutile de les

13 identifier, c'est un fait. C'est un fait, personne n'a besoin de lancer

14 une enquête pour déterminer cela?

15 Réponse: Je n'ai pas du tout été surpris parce que j'avais tiré les

16 enseignements de la guerre en Bosnie et en Croatie. Je savais que la

17 guerre au Kosovo aurait un caractère tout aussi génocidaire. J'ai entendu

18 parler d'identification. Je n'ai pas dit qu'ils allaient être identifiés.

19 Moi, quand j'ai entendu ce terme "d'identifier" j'ai pensé que cela

20 impliquait des opérations militaires.

21 Question: Dans votre déclaration, vous nous dites que l'objectif c'était

22 l'indépendance du Kosovo au terme du droit à l'autodétermination. Est-ce

23 que les Albanais ont un Etat national qui est le leur et qui est la

24 République d'Albanie?

25 Réponse: Oui. Les citoyens albanais ont un Etat et les citoyens du Kosovo

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1 voudraient aussi avoir leur Etat.

2 Question: Est-ce que vous estimez que le droit d'une minorité nationale à

3 l'autodétermination existe où que ce soit dans le monde au terme du droit

4 international, lorsque vous avez des minorités, des gens qui vivent côte à

5 côte dans un Etat avoisinant? Comme par exemple les Albanais qui vivent à

6 côté de l'Etat voisin la République d'Albanie?

7 Réponse: Dans le cas d'espèce, il ne s'agissait pas ici de l'application

8 de la doctrine serbe que l'accusé a contribué à mettre en place, à mettre

9 au point, et qui stipulait que les territoires où il y avait une

10 population serbe étaient concernés. Non, on parlait d'autodétermination au

11 sein d'une fédération qui était en train de se désintégrer. La Yougoslavie

12 était constituée de parties d'unité constituante et, au moment de la

13 désintégration de la fédération, nous avons pensé -c'est d'ailleurs

14 toujours notre point de vue-, nous avons pensé au Kosovo, que le Kosovo

15 aurait le droit de s'intéresser à exprimer son opinion sur son propre

16 avenir.

17 Question: Bien. Cette position que vous exprimez tout le monde la connaît.

18 Moi, ce que je vous demande, c'est la chose suivante: est-ce qu'il y a

19 quelque part… il existe quelque part le droit à l'autodétermination pour

20 des minorités nationales? On connaît le droit à l'autodétermination pour

21 les nations. Mais passons à autre chose.

22 Vous nous dites qu'après m'avoir rencontré, vous êtes tombé…, vous avez

23 appris qu'il y avait un blocus qui empêchait l'approvisionnement en vivres

24 du Kosovo. Comment avez-vous trouvé cela, cette idée de blocus pour

25 empêcher l'acheminement des vivres au Kosovo? Quand est-ce que ça s'est

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1 produit?

2 Réponse: Eh bien, dans la semaine qui a suivi notre première réunion avec

3 le régime serbe, lors du 15 au 22, des mesures administratives ont été

4 prises au Kosovo afin d'entraver l'acheminement de vivres en provenance de

5 Serbie. Et tout le monde a tout de suite remarqué qu'on manquait de

6 farine, qu'on manquait de lait et également, dans une certaine limite, de

7 sucre. Mais c'est surtout la pénurie de lait qui est apparu la plus

8 immédiate.

9 Mais ce n'est pas à moi qu'il faut poser des questions au sujet de ce

10 blocus, c'est aux gens de Belgrade.

11 Question: D'après vous, combien y a-t-il eu entrave, en matière

12 d'approvisionnement en denrées alimentaires? Combien de temps tout cela a-

13 t-il duré?

14 Réponse: A la fin de la première réunion, donc en l'espace d'une semaine,

15 il a été remarqué que la situation s'était quelque peu assouplie.

16 Question: Savez-vous à combien de reprises Belgrade a manqué de lait?

17 Savez-vous à combien de reprises d'autres villes de Serbie ont manqué de

18 lait en quantité suffisante? Comment définiriez-vous une pénurie

19 temporaire de telle ou telle denrée alimentaire? Et en quoi pourriez-vous

20 définir un blocus sur les denrées alimentaires ou un embargo sur les

21 denrées alimentaires?

22 Réponse: Eh bien, parce que les camions étaient arrêtés aux frontières par

23 la police, par la police qui était à la frontière entre la Serbie et le

24 Kosovo. Ou disons, plus précisément, à quelques kilomètres avant la

25 frontière, au village de Rudari.

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1 Tout cela a été montré. Les camions attendaient; ce n'est pas qu'il n'y

2 avait pas de telles denrées alimentaires, mais c'est juste que les camions

3 se voyaient interdire l'accès au Kosovo.

4 Question: Vous avez évoqué tout à l'heure la police qui se tenait aux

5 frontières; vous avez dit qu'il s'agissait de la police financière. Est-ce

6 que vous avez jamais pensé qu'il pouvait s'agir d'un contrôle exercé sur

7 les produits qui arrivaient, contrôle qui visait à empêcher toute évasion

8 fiscale? Cela, c'est quelque chose qui était de la compétence de la police

9 financière et cela n'avait rien à voir avec quelque embargo sur la

10 nourriture que ce soit.

11 Réponse: C'est vraiment étonnant, parce que ces mêmes policiers ont permis

12 à ces mêmes camions de traverser la frontière une semaine plus tard.

13 Question: Eh bien, je suppose qu'on peut partir du principe qu'une fois

14 qu'il y a eu contrôle des camions et contrôle de leur cargaison, qu'une

15 fois que les taxes ont été payées, il n'y avait plus vraiment de raison de

16 ne plus les laisser passer.

17 Est-ce que vous ne vous êtes jamais dit que l'embargo alimentaire n'avait

18 pas seulement frappé les Albanais, que cela avait forcément des

19 répercussions sur la population turque, la population rom, la population

20 égyptienne, toutes les populations qui étaient représentées au Kosovo.

21 Réponse: Mais 90% de la population au Kosovo était constitué d'Albanais,

22 donc c'est cette partie de la population qui a été la plus atteinte. Par

23 ailleurs, un certain nombre d'organisations -dirons-nous- d'Etat ont

24 également été frappées; elles ne pouvaient plus assurer la distribution de

25 nourriture à la population; il y a eu par la suite des cellules de crise

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1 qui distribuaient notamment des aliments, mais également des armes aux

2 citoyens serbes.

3 Question: Je ne parle pas seulement d'approvisionnement, je parle

4 également de commerce. Comment pouvez-vous penser que le gouvernement

5 allait empêcher la circulation de biens, de produits, d'argent sur l'une

6 quelconque des composantes de son territoire?

7 Réponse: Mais les circonstances n'étaient absolument pas normales et

8 l'Etat non plus ne fonctionnait pas de façon normale.

9 Question: Est-ce que vous ne pensez pas qu'il s'agit là de rumeurs que

10 l'on a fait circuler, tout comme il y a eu des rumeurs qui ont circulé

11 d'un empoisonnement qui aurait eu lieu dans des écoles?

12 Réponse: Il n'y a aucun lien entre les deux choses que vous évoquez.

13 Question: Mais cette histoire d'empoisonnement est à peu près aussi vraie

14 que cette histoire de blocus alimentaire.

15 Bien. Vous avez parlé du conflit dans la région de Decani. Vous êtes

16 journaliste, vous avez une formation de journaliste. Est-ce que vous savez

17 ce qui a été dit par Ramush Haradinaj, qui a parlé justement de Decani, de

18 Prilep, de toute cette partie du territoire? Il a déclaré que tout devait

19 être bouleversé, que des attaques devaient être lancées sur tous ces

20 endroits, que des tirs devraient provenir de tous ces endroits.

21 Est-ce que vous avez eu connaissance de ces déclarations, même si vous

22 n'avez pas eu connaissance de la survenue de ces incidents?

23 Réponse: Non.

24 Question: Vous ne savez pas qui a érigé des barrages routiers sur la route

25 principale qui va de cet endroit à Metohija, par exemple? Vous n'avez pas

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1 non plus entendu parler des opérations terroristes massives qui ont été

2 lancées dans la zone de Decani à l'époque?

3 Réponse: Je ne doute pas du fait qu'il y a eu des confrontations armées

4 entre des unités armées de l'UCK et des forces de la police. Mais mon

5 souci principal était celui-ci: comment protéger des civils dans le cadre

6 d'un conflit armé?

7 Ce qui alimentait mes préoccupations, c'est qu'il y avait eu création d'un

8 couloir, dit sanitaire, de 5 km, couloir qui avait été installé par les

9 autorités qui se trouvaient à la frontière entre l'Albanie et le Kosovo.

10 Toute la population civile était expulsée de ces maisons, par la force,

11 par la police serbe et par les forces militaires.

12 En cette période critique du mois de mai et du mois de juin, ma

13 préoccupation principale, c'était de parvenir à protéger ces civils qui

14 étaient égarés dans les forêts, dans les collines qui séparaient l'Albanie

15 et le Kosovo.

16 Question: Je vous suggère de répondre à mes questions de façon plus

17 succincte, dans la mesure du possible, parce que le temps passe fort vite.

18 Est-ce que vous savez que c'est précisément à cet endroit de la frontière,

19 endroit de la frontière qui était sous le contrôle de l'armée et de la

20 police, est-ce que vous savez donc que c'est précisément à cet endroit de

21 la frontière que de grands convois d'armes sont passés en contrebande? Ils

22 arrivaient d'Albanie et ils étaient destinés l'UCK, aux activités

23 terroristes et aux groupes qui menaient ces activités au Kosovo et dans le

24 Metohija.

25 Réponse: Je n'ai aucun doute quant au fait que des armes ont été achetées.

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1 Sans doute, s'ils l'avaient souhaité, les insurgés auraient-ils pu acheter

2 des armes d'autres provenances, mais la zone que vous indiquez était la

3 zone la plus proche.

4 Question: Lorsque l'UCK s'est retirée de Junik, lorsque l'UCK est passée

5 du côté albanais, savez-vous qu'elle a emporté toute la population civile

6 du village pour s'en servir comme bouclier humain au niveau de la

7 frontière? Est-ce que vous ne savez pas qu'une fois qu'ils ont réussi à

8 traverser la frontière, ils ont permis à la population de rentrer au

9 village de Junik? Est-ce que vous êtes au courant de cet incident?

10 Réponse: Mais il s'agit là de votre interprétation. Moi, je me suis rendu

11 à Junik pendant la guerre, et à cette époque-là la majorité de la

12 population civile avait déjà été déplacée. Et une partie de la population

13 des villages environnants qui avaient été expulsés par les forces serbes,

14 avait essayé de se réfugier à Junik et de là elle essayait de se rendre en

15 Albanie; la population civile était absolument terrifiée par les

16 agissements des forces de la police serbe et par les opérations militaires

17 qui se déroulaient.

18 Question: Savez-vous pourquoi les membres de l'UCK se sont emparés de

19 civils pour s'en servir de bouclier humain? Est-ce que ce n'est pas parce

20 qu'ils savaient que la police ne tirerait jamais sur les terroristes s'ils

21 pensaient qu'ils pouvaient, par-là même, mettre des civils en danger? Est-

22 ce que vous ne pensez pas que c'est parce que l'UCK savait cela qu'ils

23 avaient emmené des civils pour en faire des boucliers humains?

24 Réponse: Je ne crois pas cela. Le nombre d'Albanais tués au sein des

25 groupes d'insurgés Albanais était bien inférieur au nombre de membres de

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1 la population civile qui ont été tués par les forces serbes. Cela montre

2 donc bien qu'ils n'établissaient pas de distinction et qu'ils agissaient

3 de façon tout à fait…, enfin qu'ils ne faisaient pas de distinction entre

4 les différents types de groupe.

5 Question: Vous avez mentionné un chiffre, et vous vous êtes basé sur ce

6 chiffre pour construire toute une argumentation. Pourriez-vous me dire

7 combien d'Albanais sont morts au Kosovo dans le cadre des conflits qui se

8 sont déroulés à l'époque?

9 Réponse: Je ne peux pas vous donner un chiffre définitif parce que tous

10 les éléments d'information ne nous sont pas encore parvenus. Ce n'est pas

11 le chiffre qui est important, c'est ce qui s'est passé.

12 M. Milosevic (interprétation): Oui mais si vous aviez un chiffre à nous

13 avancer, vous pourriez l'utiliser comme base de votre argumentation. Et

14 c'est ce que vous semblez être en train de faire. Je pense donc que vous

15 avez une idée du nombre de personnes qui ont été tuées.

16 M. le Président (interprétation): Nous sommes dans le cadre d'un débat

17 général, essayons de revenir à ce qui nous intéresse dans le cadre de

18 cette affaire.

19 M. Milosevic (interprétation): Très bien, revenons à ce que nous étions en

20 train de dire.

21 Vous avez déclaré que les membres du gouvernement qui s'étaient rendus à

22 la réunion de Pristina, que les membres de la délégation qui se trouvaient

23 à Rambouillet étaient des idiots; vous avez déclaré qu'il ne savait même

24 pas pourquoi ils étaient venus, vous avez déclaré que les vice-présidents,

25 les autres membres de la délégation ne savaient même pas de quoi ils

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1 parlaient. Vous avez indiqué que les membres de la délégation à

2 Rambouillet avaient passé toutes leurs nuits à boire, à chanter, à danser,

3 et vous avez déclaré que le chef de la délégation, Milan Milutinovic,

4 avait déclaré à Rambouillet qu'il n'était pas à même de prendre quelque

5 décision que ce soit, qu'il devait toujours s'en référer à moi. Vous avez

6 déclaré que la délégation n'avait rien à faire là-bas à Rambouillet.

7 Ce sont là des choses que vous avez vous-même déclarées, alors est-ce que

8 vous pourriez nous apporter des éléments d'explication? Est-ce que vous

9 pouvez vraiment décrire les membres de la délégation du gouvernement serbe

10 de cette façon-là? Est-ce que vous pouvez vraiment dire que des membres du

11 gouvernement serbe qui prenaient part à des négociations, auxquelles vous-

12 même et vos collègues preniez part à Pristina et à Rambouillet, étaient

13 des idiots?

14 Réponse: Je n'ai pas utilisé le terme "idiots". Il me semble avoir dit

15 qu'en dehors du cercle rapproché, Sainovic, Markovic, Stanbuk et, par la

16 suite, Milutinovic, la majorité des membres de la délégation ne savaient

17 pas quel était le sujet sur lequel portait la conférence. Et pour ce qui

18 est des chants, des danses, ça c'est le problème de la délégation; c'est à

19 eux de savoir pourquoi ils chantaient, pourquoi ils buvaient. Mais j'ai

20 entendu tout cela de mes propres oreilles.

21 Et pour ce qui est de Milutinovic, je n'ai pas dit qu'il m'avait dit qu'il

22 ne pouvait pas prendre de décision. C'est ce qu'il a dit à des médiateurs;

23 et moi, je transmets ici ce que m'ont dit les médiateurs. Apparemment,

24 Milutinovic a déclaré qu'il n'était pas à même de prendre quelque décision

25 que ce soit.

Page 3459

1 Question: Comme vous le savez très bien, la délégation qui se trouvait à

2 Rambouillet était constituée des représentants de toutes les communautés

3 ethniques présentes et demeurant au Kosovo. Est-ce que vous en avez

4 pleinement conscience?

5 Réponse: Il y avait des membres de groupes ethniques différents. Pour ce

6 qui est du plan politique, ils étaient tous des tenants de la politique

7 établie par le parti dirigeant. Leur identité politique était donc

8 beaucoup plus importante que leur identité ethnique. Il faisait partie de

9 ceux qui avaient conçu les politiques, qui avaient prévalu au cours des

10 dix dernières années en Serbie. Ils étaient ce que l'on appelait des

11 "Albanais honnêtes", des "Turcs honnêtes", etc. Il s'agissait donc de

12 personnes qui s'étaient réconciliées avec le régime de Belgrade.

13 C'est ce qu'on appelle le "syndrome de l'oncle Tom" aux Etats-Unis.

14 Question: Et ces politiques dont vous vous moquez, est-ce qu'elles

15 n'exprimaient pas la nécessité d'établir une position d'égalité pour

16 toutes les communautés ethniques vivant au Kosovo?

17 Réponse: C'est une politique d'égalité au sens "orwellien" du terme. Une

18 situation au sein de laquelle chacun était égal, mais les membres du

19 régime de Belgrade étaient plus égaux que qui ce que ce soit d'autre.

20 C'était l'idéologie de l'Etat qui prévalait.

21 Question: Donc vous ne contestez pas qu'au Kosovo, des Serbes, des

22 Albanais, des Turcs, des Goranis, des Egyptiens, des Roms… vous dites

23 qu'au Kosovo il y avait toutes ces minorités qui étaient représentées et

24 vous dites par ailleurs qu'il y avait une délégation qui était composée

25 des mêmes minorités et qu'elle était dans une situation d'égalité

Page 3460

1 "orwellienne". Alors que vous décrivez les membres de la délégation

2 albanaise de façon tout à fait différente, en déclarant qu'il ne

3 s'agissait exclusivement d'Albanais. C'est l'explication que vous

4 fournissez?

5 Réponse: La délégation qui représentait la majorité des Albanais du Kosovo

6 avait une vision beaucoup plus lucide de l'avenir et était dévouée corps

7 et âme au succès de la réunion de Rambouillet. Les quotas qui devaient

8 être établis pour les minorités ont été élargis et dans ce sens il y a eu

9 discrimination positive. C'était là, la vision qui était celle de la

10 délégation albanaise.

11 Question: A l'heure actuelle, au Kosovo, il n'y a de place que pour les

12 Albanais?

13 Réponse: Sur les 120 sièges que compte l'assemblée du Kosovo, 20 sont

14 réservés au Serbes alors que les Serbes ne constituent que 5% de la

15 population.

16 M. Milosevic (interprétation): Et ce sont ces Serbes qui doivent se

17 déplacer accompagnés de gardes du corps, ce sont ces Serbes qui doivent

18 constamment prendre garde à leur propre sécurité lorsqu'ils se rendent à

19 des réunions de ce que l'on appelle.

20 M. le Président (interprétation): Nous nous éloignons de ce qui est au

21 coeur de cette affaire et au coeur de l'Acte d'accusation.

22 M. Milosevic (interprétation): Revenons-en à Rambouillet. Les deux

23 délégations, votre délégation démocratique et cette délégation serbe,

24 yougoslave, "orwellienne, jamais ces deux délégations n'ont négocié à

25 Rambouillet, n'est-ce pas exact?

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1 M. Surroi (interprétation): Bien au contraire. Nous avons, pendant toute

2 cette période de temps, essayé de négocier sur la base des mécanismes qui

3 avaient été suggérés là-bas et qui reposaient sur la médiation d'experts,

4 sur l'échange d'informations entre les gouvernements, sur l'échange d'avis

5 émanant de juristes.

6 Question: Il faut que tout soit bien clair pour le public. Je ne crois pas

7 que tout ce que vous soyez en train de dire soit clair. Hormis les

8 réunions officielles, est-ce que les deux délégations se sont jamais

9 assises à la même table des négociations, face à face, pour débattre des

10 questions qui devaient être au coeur des négociations? Est-ce que cela

11 s'est jamais produit?

12 Réponse: Non, parce qu'il y avait en place un mécanisme qui supposait que

13 nous devions échanger des documents. Nous n'avions pas besoin de tenir des

14 réunions protocolaires, il s'agissait de négociations de travail.

15 Question: Cela veut dire que les délégations qui devaient négocier entre

16 elles ne se sont jamais rencontrées pour négocier parce que si elles

17 s'étaient rencontrées comme vous l'avez dit, il y aurait eu, en fait,

18 réunion plus protocolaire qu'autre chose. N'est-ce pas exact?

19 Réponse: Il fallait passer en revue une quantité énorme de documents et

20 nous n'aurions jamais pu nous asseoir et discuter de façon productive.

21 Question: Très bien. Votre quotidien "Koha Ditore" a publié l'intégralité

22 du texte de l'Accord de Rambouillet. Je l'ai tenu entre mes mains, votre

23 quotidien, et cela a été publié avant même la tenue de la réunion. Est-ce

24 que vous vous souvenez de cela? Il s'agit tout de même de votre journal?

25 Réponse: Nous avons publié un certain nombre de projets d'accords. Les

Page 3462

1 projets qui ont été publiés contenaient celui que vous évoquez. L'Accord

2 de Rambouillet, le document de base de Rambouillet n'a été publié qu'à

3 l'issue de la conférence qui s'est tenue à Paris.

4 Question: Et comment interprétez-vous le fait que votre papier "Koha

5 Ditore" a publié l'Accord avant que ne survienne la possibilité théorique

6 que cet Accord soit adopté, donc avant la réunion elle-même? Au même

7 moment, les délégations qui étaient supposées parvenir à cet accord ne se

8 sont pas rencontrées pour débattre de cet accord, elles ne se sont pas du

9 tout rencontrées. Alors, comment pouvez-vous expliquer cela?

10 Réponse: Je ne peux pas expliquer cela parce que vous avez tort et parce

11 que c'est faux. "Koha Ditore" n'a pas publié l'accord qui a été passé à

12 Rambouillet.

13 "Koha Ditore" a publié, dans plusieurs numéros, des projets d'accord,

14 projets d'accord qui avaient été distribués aux deux partis pendant les

15 négociations et pendant les mois de l'automne 1998. En 1999, nous avons

16 également publié un projet qui permettait de savoir quelle serait la

17 structure des négociations de Rambouillet, mais le texte de l'Accord de

18 Rambouillet n'a été publié qu'après la tenue de la Conférence de

19 Rambouillet et non pas avant la tenue de ladite conférence.

20 M. Milosevic (interprétation): Ce que vous venez d'évoquer a effectivement

21 été publié après la conférence, mais le document de travail auquel vous

22 faites référence et que vous avez publié n'était que très légèrement

23 différent du document final. Est-ce que vous avez publié le texte entier

24 du document? Je crois que oui. Vous l'avez publié intégralement, oui ou

25 non?

Page 3463

1 M. le Président (interprétation): Le Témoin a déclaré qu'il avait publié

2 des projets de texte.

3 M. Milosevic (interprétation): Ce projet d'accord et l'accord final sont

4 des documents très similaires.

5 M. le Président (interprétation): Est-ce exact, Monsieur Surroi?

6 M. Surroi (interprétation): Non, il fallait qu'il y ait eu des

7 changements. Il y a eu trois semaines de négociations et, en ces trois

8 semaines, la teneur du document a changé, beaucoup changé.

9 M. Milosevic (interprétation): C'est, en principe, une explication logique

10 que vous avancez, mais ici il faut regarder les choses concrètement.

11 Vous savez fort bien qu'il y a eu une version publiée de ce document dans

12 "Koha Ditore" et nous pouvons faire des comparaisons. Vous dites que les

13 négociations se sont déroulées pendant trois semaines; mais comment se

14 fait-il que, pendant ces trois semaines, les délégations qui étaient

15 supposées passer un accord entre elles ne se sont pas assises à la même

16 table pour précisément négocier la teneur de cet accord?

17 Réponse: Une des parties en présence n'était pas totalement prête à se

18 livrer à ce genre d'exercice. Deuxièmement, ce n'était pas très productif.

19 Question: Quel était le côté qui faisait part de cette mauvaise volonté?

20 Est-ce que cette mauvaise volonté n'était pas ce qui caractérisait les

21 deux camps?

22 Réponse: De notre côté, nous nous n'étions pas vraiment prêts à nous

23 engager dans cet exercice dont nous ne pensions pas qu'il pouvait être

24 très productif.

25 Question: Donc il n'y a pas eu de négociations entre les délégations parce

Page 3464

1 que votre délégation ne souhaitait pas discuter avec la délégation serbe?

2 Réponse: Oui, et aussi parce qu'il y avait eu à l'avance définition par

3 les médiateurs, c'est-à-dire l'ambassadeur des Etats-Unis, le représentant

4 de l'Union européenne, l'ambassadeur russe. Il y avait donc eu définition,

5 par les médiateurs, du format que devaient prendre les rencontres et la

6 conférence.

7 Question: Est-ce que vous êtes en train de dire que c'était un système de

8 tout ou rien? Qu'il fallait ou prendre ce que proposait un groupe de

9 médiateurs américains ou tout laisser tomber?

10 Réponse: Mais absolument pas. Le document a subi des modifications du fait

11 des négociations et des discussions qui ont eu lieu. Ce n'était pas

12 seulement le fait d'un ambassadeur américain. Je répète qu'il y avait le

13 représentant de l'Union européenne et qu'il y avait également un

14 ambassadeur représentant la Russie.

15 Question: Mais vous savez très bien que M. Mayorski, le représentant de la

16 Fédération russe, refusait de signer le document.

17 Réponse: Il n'était pas nécessaire qu'il signe ce document; il revenait

18 aux parties de signer ce document, les parties qui en avaient négocié la

19 teneur. Ce n'était pas à tel ou à tel ambassadeur d'apposer sa signature

20 sur l'accord.

21 Question: Nous n'allons pas revenir ici sur les détails, les détails qui

22 ont trait à la forme. Ce qui est clair, ce qui a été dit publiquement,

23 c'est que la Fédération russe n'apportait pas son soutien aux négociations

24 de Rambouillet et au texte de l'Accord, notamment les parties de l'Accord

25 qui faisaient référence au droit de l'OTAN d'occuper de facto la

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1 Yougoslavie. Vous devez sûrement vous souvenir de cela puisque vous étiez

2 présent?

3 Réponse: Absolument. Il y avait eu un précédent à Dayton et vous avez pris

4 part aux pourparlers de Dayton.

5 A Dayton, la Russie a refusé de signer l'annexe militaire qui reposait sur

6 le principe de la non-participation à une agression de l'OTAN. Le ministre

7 des Affaires étrangères, M. Ivanov, avait expliqué sa position.

8 Question: Au contraire, je pense qu'il y a de nombreuses similarités entre

9 ces deux situations, parce que, d'un point de vue politique, c'était

10 inacceptable. Ce n'est pas qu'il refusait de participer, c'est qu'il

11 faisait opposition à l'occupation de la Yougoslavie. Est-ce que c'est vrai

12 ou non?

13 Réponse: Je ne crois pas que cela ait quelque pertinence que ce soit.

14 Question: Mais c'est parfaitement pertinent, mais nous allons laisser à

15 l'ambassadeur Mayorski le soin de répondre à cela lorsqu'il viendra devant

16 cette Chambre.

17 Vous avez déclaré que la délégation serbe ne souhaitait pas qu'il y ait de

18 négociations à Belgrade. Or, ce n'est pas vrai. Et vous vous êtes vous-

19 même contredit en donnant ici des éléments d'explication orale; je les ai

20 bien entendues ce matin. Vous avez expliqué quelles avaient été les

21 réactions qui ont suivi votre voyage à Belgrade. Vous vous êtes retrouvé

22 dans une situation très désagréable, parce que vous vous êtes rendu à

23 Belgrade, vous avez été accusé de traître à Pristina; vos collaborateurs

24 ont réagi très vivement. Est-ce que c'est la raison pour laquelle vous ne

25 vouliez pas vous rendre à Belgrade?

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1 Réponse: Ceux qui m'ont accusé de traîtrise était une minorité. Mais je

2 crois que vous m'avez mal compris: au contraire, nous avons insisté pour

3 nous rendre à Belgrade, tandis que la délégation de Belgrade a insisté

4 pour que la réunion suivante se tienne à Pristina.

5 Question: Et la délégation de Belgrade a été irritée parce qu'il fallait

6 qu'elle se prosterne à vos pieds, à Pristina, d'une certaine façon; ce

7 n'est pas vous qui vous êtes rendu à Belgrade. Est-ce que vous savez cela?

8 Réponse: Mais pas du tout. Ce n'est pas du tout l'impression que cela a

9 donné à Pristina. Au contraire, ce sont eux qui ont insisté pour que la

10 réunion suivante se tienne à Pristina.

11 Question: Manifestement, nous ne pouvons pas arriver à un accord sur ce

12 point, mais nous pouvons continuer parce que cela sera facile à prouver.

13 Vous avez, dans votre déclaration préalable, indiqué que vous aviez publié

14 des textes critiques à mon égard, mais que vous n'aviez pas été autorisé à

15 les publier dans le quotidien "Bujku". C'est ce qui apparaît dans votre

16 déclaration préalable, ce n'est pas contesté.

17 Qui ne vous a pas permis de publier ces articles dans "Bujku"? Est-ce que

18 "Bujku" était entre mes mains, sous mon contrôle?

19 Réponse: Je ne vois pas quel rapport il peut y avoir entre les deux

20 choses, mais j'ai continué à écrire des articles critiques dirigés à votre

21 encontre dans un grand nombre de journaux. Je n'étais pas d'accord avec

22 les principes qui régissaient la politique éditoriale de "Bujku". Donc je

23 ne vois pas où se situe le problème. La réponse à votre question étant:

24 non, vous n'avez jamais exercé le moindre contrôle sur "Bujku".

25 Question: Dans votre déclaration, il semblerait pratiquement que cela ait

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1 été le cas, car vous dites que vous n'avez pas été autorisé à publier dans

2 "Bujku". Vous ne dites pas que vous ne publiez pas dans "Bujku" parce que

3 vous n'appréciez pas ce journal, mais parce que cela vous était interdit.

4 Il y a une différence entre les deux. Je n'ai pas besoin de citer votre

5 déclaration, car c'est très certainement et sans aucun doute ce que vous

6 avez dit.

7 Pourquoi vous êtes-vous retiré en 1992? Pourquoi, en 1992, avez-vous

8 quitté la vie politique et votre participation à la partie politique? Vous

9 avez dit que, jusqu'à ce moment-là, vous étiez membre du Mouvement des

10 jeunes parlementaires du Kosovo?

11 Réponse: Je ne vois pas la pertinence de cette question, mais je vous

12 répondrai tout de même. Parce que les partis politiques doivent exister

13 dans le cadre d'un système parlementaire et, au Kosovo, votre gouvernement

14 ne permettait pas au parlement de se réunir; il interdisait toute vie

15 parlementaire et démocratique normale. Dans ces conditions, j'ai souhaité

16 reprendre ma profession; c'est d'ailleurs ce que j'ai fait.

17 Question: Avez-vous au moins connaissance du fait que vous avez boycotté

18 toutes les élections organisées au Kosovo, que c'était votre décision et

19 que le pourcentage des Albanais qui n'a pas voulu obéir à ce diktat a été

20 très limité. Ce diktat de votre dirigeant politique s'est exprimé lors de

21 toutes les élections qui se sont tenues au niveau de la République, au

22 niveau fédéral, au niveau municipal, etc.

23 Réponse: Nous ne voulions pas participer à des élections organisées par

24 une puissance occupante.

25 Question: Donc vous traitez un gouvernement légal comme étant une

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1 puissance d'occupation?

2 Réponse: A partir de 1989, la Serbie a mené à bien un "Anschluss" au

3 Kosovo. En 1999, avec l'abrogation de l'autonomie des Kosovars,

4 finalement, la Serbie a démantelé la Fédération yougoslave.

5 M. Milosevic (interprétation): Etes-vous au courant du fait que ce dont

6 vous parlez et que vous qualifiez de "Anschluss" se composait de décisions

7 constitutionnelles qui étaient adoptées après consultation du Parlement du

8 Kosovo et du Parlement de Belgrade, et qu'à ce moment-là, à tous les

9 postes de responsabilité, au Kosovo et en Yougoslavie, on trouvait des

10 Albanais, y compris en Serbie.

11 M. Surroi (interprétation): L'assemblée qui a adopté ces changements de

12 façon formelle, si je puis m'exprimer ainsi, était assiégée par les forces

13 de police au moment où elle l'a fait; il y avait des mesures d'exception

14 qui étaient en cours à ce moment-là et des menaces nombreuses contre les

15 députés. Et comme si cela ne suffisait pas, les votes de cette assemblée

16 parlementaire ont été comptés par des gens qui ne faisaient pas partie du

17 parlement du Kosovo. Il y a des éléments de preuve, des photographies pour

18 le démontrer.

19 M. le Président (interprétation): Il est temps de suspendre, Monsieur

20 Milosevic: 13 heures 45.

21 Nous vous autoriserons à poursuivre ce contre-interrogatoire demain, mais

22 vous serez limité à une demi-heure; en d'autres termes, vous aurez disposé

23 pratiquement de 40% de temps de plus que l'accusation. Vous avez demandé

24 un temps supplémentaire, vous vous l'êtes vu accordé, mais nous devons

25 tout de même limiter le contre-interrogatoire.

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1 Donc, une demi-heure demain matin pour ce contre-interrogatoire. Après

2 quoi, nous interrogerons les amici curiae et nous demanderons au Procureur

3 s'il a des questions supplémentaires.

4 M. Milosevic (interprétation): Mais je demande alors que l'on tienne bien

5 du compte que cette demi-heure doit être mise à ma disposition, car le

6 Témoin utilise beaucoup plus de temps que moi et il peut très souvent

7 répondre par "oui" ou "non". Donc ceci c'est votre responsabilité et pas

8 la mienne.

9 M. le Président (interprétation): C'est ma responsabilité ou notre

10 responsabilité, aux Juges de cette Chambre. Je crois que le Témoin a

11 répondu de façon très acceptable et je ne suis pas sûr qu'il ait pris plus

12 de temps que vous.

13 M. Nice (interprétation): Nous remarquons également qu'avec cette addition

14 d'une demi-heure, l'accusé aura disposé de beaucoup plus de temps que

15 nous. Je n'étais pas au courant qu'il avait demandé cela.

16 M. le Président (interprétation): Il l'a demandé l'autre jour

17 effectivement, dans le cadre de l'audition d'un autre témoin.

18 M. Nice (interprétation): Il dispose d'éléments d'identification d'un

19 témoin protégé, donc nous serions très reconnaissants à son égard s'il

20 pouvait se montrer le plus discret possible, s'agissant des éléments

21 permettant d'identifier ce témoin. Pour l'instant, les choses n'ont pas

22 été très claires de ce point de vue.

23 Demain, j'utiliserai au maximum le temps qui nous est imparti, je ferai

24 venir des témoins 92bis, le n°4 de la liste notamment, et deux autres

25 probablement, dans l'espoir qu'il n'y aura plus une heure et demie de

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1 contre-interrogatoire décidé d'une façon aussi peu prévue que cela, et que

2 nous pourrons utiliser le temps disponible au maximum, parce qu'en

3 général, nous pouvons entendre trois témoins lors d'une audience du matin.

4 M. Milosevic (interprétation): Pourrais-je savoir quels sont les deux

5 autres témoins dont il vient d'être question?

6 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Milosevic. Vous avez le

7 droit de poser cette question.

8 M. Nice (interprétation): Numéros 1, 2 et 4 sur la liste.

9 M. le Président (interprétation): Très bien.

10 Monsieur Surroi, je vous demanderai de revenir dans ce prétoire demain

11 matin, à 9 heures.

12 (L'audience est levée à 13 heures 48.)

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