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1 (Lundi 15 juillet 2002.)
2 (L'audience est ouverte à 9 heures 5.)
3 (Audience publique avec mesures de protection.)
4 (Le témoin, M. John Harry Crosland, est déjà dans le prétoire.)
5 M. le Président (interprétation): Il y a manifestement un problème avec le
6 système audio. Nous allons devoir suspendre pendant cinq minutes.
7 L'audience est suspendue pendant cinq minutes.
8 (L'audience, suspendue à 9 heures 06, est reprise à 10 heures 15.)
9 M. le Président (interprétation): Colonel Crosland, pendant combien de
10 temps pouvez-vous rester auprès de nous?
11 M. Crosland (interprétation): Aussi longtemps que nécessaire, Monsieur le
12 Président.
13 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.
14 Nous avons en fait deux séances aujourd'hui: d'une part, nous allons donc
15 siéger pendant une heure et demie, faire une pause, et ensuite, nous
16 aurons une heure et demie qui nous restera.
17 Monsieur Milosevic, vous pouvez y aller.
18 (Contre-interrogatoire du témoin, M. John Harry Crosland, par l'accusé, M.
19 Milosevic.)
20 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous quoi que ce soit au sujet de
21 l'infiltration des terroristes étrangers au Kosovo, notamment des
22 terroristes d'Al-Qaïda? Je vous ai déjà posé cette question et vous m'avez
23 répondu que vous n'étiez absolument pas au courant de cela. Entre autres,
24 vous avez dit qu'à Malishevo en juillet, vous n'avez vu qu'un seul homme
25 qui, éventuellement, pourrait venir du Proche-Orient ou Moyen-Orient, mais
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1 que vous n'avez vu aucune trace d'activités éventuelles d'Al-Qaïda ou
2 d'autres organisations de ce genre?
3 M. Crosland (interprétation): C'est tout à fait exact, Monsieur Milosevic.
4 Question: Dites-moi, à Malishevo, à l'époque, avez-vous demandé aux
5 dirigeants de ce groupe terroriste, l'UCK, qui était l'homme parmi eux
6 qui, à votre avis, aurait pu être un terroriste venu du Moyen-Orient?
7 Réponse: J'ai demandé à différentes personnes, j'ai posé la question, mais
8 ils n'étaient pas disposés à me dire qui il était, donc j'en suis resté
9 là.
10 Question: Vous leur avez demandé ce qu'il était en train de faire là-bas?
11 Réponse: Je crois que c'était assez évident, ce qu'il faisait là. Il était
12 membre de ce groupe assez varié de personnes qui participaient d'une façon
13 ou l'autre à l'UCK ou qui étaient impliquées dans l'UCK.
14 Question: Mais dans votre rapport qui parle de Malishevo, je ne vois pas
15 que vous en ayez informé votre gouvernement. Ai-je raison?
16 Réponse: C'est exact, Monsieur Milosevic, ce n'est pas écrit dans la
17 déclaration que j'en ai informé mon gouvernement, mais j'en avais fait
18 état dans les rapports que je leur ai soumis.
19 M. Milosevic (interprétation): Très bien. Je vous demanderai à présent la
20 chose suivante: avez-vous eu des informations? Très brièvement, je veux
21 citer un paragraphe de l'enquête qui a été menée par le comité chargé des
22 relations extérieures du Congrès; c'est la date du mois d'octobre, du 3
23 octobre 2001. Il s'agit des déclarations de Winston Kalistrala (phon.),
24 l'ex-chef chargé des activités antiterroristes de la CIA. Il dit que Ben
25 Laden était hostile au régime monarchiste en Arabie Saoudite, qu'il a été
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1 expulsé, qu'il est parti au Soudan et que c'est là qu'il a organisé des
2 camps d'entraînement des terroristes, des extrémistes islamiques,
3 pratiquement pour tous les importants pays islamiques.
4 Je donnerai lecture des propos, une citation, pour vous demander si vous
5 étiez au courant d'un quelconque de ces éléments.
6 Excusez-moi. Je vois que dans le public, personne n'entend ce qui se
7 déroule dans le prétoire.
8 M. le Président (interprétation): Nous allons poursuivre. Cela ne concerne
9 que le public, donc poursuivons.
10 Je pense que le témoin n'en sait rien, de ce dont vous parlez. Il s'agit
11 d'une personne qui faisait une déposition devant le Comité du Sénat
12 américain, comité des relations internationales, en octobre 2001.
13 Est-ce que vous savez quoi que ce soit sur Ben Laden en Bosnie, ou au
14 Kosovo plutôt?
15 M. Crosland (interprétation): Comme je l'ai dit, la seule personne
16 possible, c'est celle que j'ai vue à Malishevo, mais je n'ai aucune
17 connaissance de ce document auquel se réfère M. Milosevic.
18 M. Milosevic (interprétation): Je ne vous pose pas de question au sujet de
19 ce document. Je ne veux pas savoir si vous l'avez déjà vu; je veux savoir
20 ce que vous pouvez me dire au sujet de ce que je tiens à vous lire.
21 M. le Président (interprétation): Non, cela n'a aucun sens de lui
22 soumettre quelque chose à propos de laquelle il ne sait rien. Nous passons
23 énormément de temps, dans le cadre de ce procès, à vous entendre lire des
24 documents dont les témoins ne savent rien. Donc je vous prie de poursuivre
25 et de passer à un autre sujet.
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1 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, je suppose que les services
2 britanniques sont au courant du rôle qui a été joué par Al-Qaïda. Si, en
3 1998, tel n'était pas le cas, depuis le 11 septembre, cela devrait bien
4 l'être.
5 M. le Président (interprétation): La réponse vous a déjà été donnée: il
6 n'en sait rien, sauf pour l'homme qu'il a vu à Malishevo. Si vous voulez
7 soumettre ce témoignage, vous pourrez appeler à la barre cette personne
8 qui a déposé devant le Comité du Sénat.
9 M. Milosevic (interprétation): Bien. Alors, êtes-vous au courant du fait
10 que lors d'un symposium qui s'est tenu le 4 décembre 2001 à Monaco, un
11 symposium national sur le terrorisme, c'est à ce moment-là qu'on a pu
12 constater l'existence des liens entre le trafic de drogue des
13 organisations terroristes, et que l'on a affirmé l'existence de ces liens
14 est amplement documentée?
15 Entre autres, on a fait mention également de l'UCK, d'autres groupes
16 radicaux à d'autres endroits, en Tchétchénie, etc. Cela se passe le 4
17 décembre de l'an 2001. Le ministère de la Justice, "Drugs Enforcement
18 Administration". Etes-vous au courant de cela?
19 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, je crois que tout le
20 monde sait que les organisations terroristes sont aussi impliquées dans le
21 trafic de la drogue et de la maffia, mais je ne vois pas très bien quel
22 est le rapport avec les événements au Kosovo.
23 Question: Mais il y a un rapport, parce que la narco-maffia albanaise est
24 le principal trafiquant de drogue. C'est cette maffia-là qui a financé des
25 organisations terroristes qui ont été infiltrées au Kosovo de l'étranger.
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1 C'est pour cela que je vous demande si vous êtes au courant de cela, et
2 comment est-il possible que votre service ne soit pas au courant?
3 Réponse: Je n'ai jamais dit que mon service ou que le gouvernement
4 britannique et que ses services de renseignements ne savaient rien
5 concernant le trafic de la drogue. Bien sûr qu'ils en avaient
6 connaissance. Mais vous savez aussi qu'il y avait beaucoup de trafics de
7 drogue situés à Belgrade. Je suppose que vos services en avaient
8 connaissance aussi?
9 M. Milosevic (interprétation): Oui, nos services ont pu réquisitionner
10 très souvent...
11 M. le Président (interprétation): Nous n'allons pas perdre plus de temps à
12 ce sujet. Passez à un autre sujet.
13 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, lorsque vous avez répondu aux
14 questions durant l'interrogatoire principal, au sujet de Racak, vous avez
15 dit que vous y êtes allé le 15 janvier et que vous êtes arrivé sur place
16 vers 14 heures. Est-ce exact?
17 M. Crosland (interprétation): D'après mes souvenirs, c'est exact, Monsieur
18 Milosevic. Oui.
19 Question: Vous affirmez que vous avez vu sur place que le village de Racak
20 a été pilonné par la police ainsi que par l'armée. Dites-moi combien de
21 maisons ont subi des dégâts à Racak durant ce pilonnage? Avez-vous vu une
22 seule maison qui aurait été endommagée par le pilonnage?
23 Réponse: D'après mes souvenirs, la grande majorité des maisons ont été
24 détruites.
25 Question: Dites-moi alors, êtes-vous au courant du fait: combien
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1 d'habitants de Racak ont été blessés ou tués par ces obus qui auraient été
2 tirés sur le village?
3 Réponse: Si je me souviens bien, environ 30, entre 31 et 35 corps ont été
4 trouvés à Racak suite à cette opération. Je ne me souviens pas du chiffre
5 exact.
6 Question: Eh bien, savez-vous alors que pas une seule personne -je
7 répète-, pas une seule personne qui a perdu sa vie dans les combats de
8 Racak n'a succombé aux éclats d'obus ou aux obus, mais a succombé aux
9 coups de feu tirés par des armes d'infanterie. Le savez-vous?
10 Réponse: Oui, je le sais.
11 M. Milosevic (interprétation): Dites-moi comment est-il possible, Monsieur
12 Crosland, que la police et l'armée aient pilonné sans cesse Racak alors
13 que…
14 L'interprète: Micro pour l'accusé.
15 M. le Président (interprétation): Il vous a déjà donné ces explications,
16 il vous a dit ce qu'il a vu. Ce n'est pas à nous de formuler des
17 hypothèses ou de la conjecture. Nous devrons prendre une décision à ce
18 propos.
19 M. Milosevic (interprétation): Très bien, Monsieur, mais il me semble que
20 c'était une question légitime.
21 M. Kwon (interprétation): Un instant, Monsieur Milosevic.
22 Je remarque, Monsieur Crosland, que vous avez parlé de 35 corps qui ont
23 été emmenés ou sortis du Kosovo, et j'ai remarqué que le 10 juillet, lors
24 de votre première déposition, vous avez parlé de sept ou huit cadavres de
25 membres de l'UCK qui ont été emmenés ou sortis de Racak. Est-ce que vous
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1 pouvez nous préciser ce que vous entendez par là?
2 M. Crosland (interprétation): Si je me souviens bien, dans une gorge près
3 du village de Racak, on a trouvé environ une trentaine de cadavres et si
4 je me souviens bien, sept ou huit étaient des membres de l'UCK.
5 M. Kwon (interprétation): Donc, quand vous dites: "Le fait d'avoir été
6 sortis", cela veut dire qu'on les a retrouvés?
7 M. Crosland (interprétation): Oui, je crois qu'on les a retrouvés dans
8 cette gorge.
9 M. Kwon (interprétation): Merci.
10 M. Crosland (interprétation): Par l'ambassadeur Walker et d'autres.
11 M. le Président (interprétation): Veuillez poursuivre, Monsieur Milosevic.
12 M. Milosevic (interprétation): Vous dites qu'à partir de 14 heures, vous
13 étiez sur place, que vous vous trouviez au milieu de combats violents.
14 Mais savez-vous qu'à partir de 14 heures, les combats étaient terminés, la
15 police s'est repliée, et que le commandant local de l'UCK est venu même
16 déposer ici pour dire qu'à 16 heures ils avaient repris le village? Le
17 savez-vous?
18 M. le Président (interprétation): Désolé de vous interrompre, mais le
19 témoin ne peut nous dire que ce qu'il a lui-même vu et entendu quand il
20 était sur place. Il nous a déjà donné sa déposition à ce sujet. C'est à
21 vous de traiter cela lorsque le moment viendra. Si vous voulez affirmer
22 qu'il n'y a pas eu de combat, que le témoin a tort, vous pouvez le faire,
23 si cela est votre thèse, mais cela ne sert à rien de lire des documents
24 écrits par d'autres. Il ne peut rien dire à ce propos.
25 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, je ne suis absolument pas en
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1 train de lire ce que d'autres personnes ont dit. Je suis en train de
2 placer la déclaration de ce témoin dans le contexte de ce que nous avons
3 pu déjà établir, à savoir qu'à 15 heures...
4 M. le Président (interprétation): Non, le moment n'est pas celui de faire
5 des remarques ou des discours.
6 Monsieur le Témoin, il semblerait que l'on affirme que vous avez eu tort,
7 qu'il n'y a pas eu de combats à 2 heures lorsque vous êtes arrivée sur
8 place, qu'en dites-vous?
9 M. Crosland (interprétation): Oui, vers 14 heures, les combats avaient
10 déjà plus ou moins pris fin.
11 Monsieur Milosevic dit qu'il est possible que l'UCK ait repris le village
12 à 16 heures. Eh bien, je crois que c'est une chose qui a eu lieu à de
13 nombreuses reprises au Kosovo. Ce qui montre bien la futilité de certaines
14 opérations menées par les forces de sécurité serbes, que rien n'a été
15 accompli par cette destruction de ces villages; une tactique employée par
16 les forces de sécurité serbes. Cette opération tenait aux tactiques mises
17 en œuvre par les forces de sécurité serbes.
18 M. le Président (interprétation): Ce que le témoin a dit, d'après mes
19 notes -et c'est ce qui suit-: il est arrivé juste après le conflit
20 principal; qu'il y avait encore des activités en cours et qu'il y avait
21 des tirs de couverture qui visaient encore Racak.
22 M. Milosevic (interprétation): Précisément, je suis en train d'affirmer
23 qu'au moment où le témoin est arrivé sur place, au moment au sujet duquel
24 il est en train de déposer, donc, le conflit était terminé.
25 Il y a un instant, vous avez également dit que vous avez vu des membres de
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1 la Mission de vérification -ce que vous avez d'ailleurs dit également
2 durant l'interrogatoire principal- donc que vous les avez vus à Racak, le
3 15 janvier. Vous avez dit que vous croyez avoir vu sur place l'ambassadeur
4 Walker; est-ce exact?
5 M. Crosland (interprétation): C'est exact, Monsieur Milosevic.
6 M. Milosevic (interprétation): Lorsqu'on vous a demandé si vous étiez sur
7 place durant le conflit, vous avez répondu par l'affirmative en disant que
8 vous y étiez au moment du début du conflit le plus important?
9 M. le Président (interprétation): Le témoin n'a pas dit cela. Je viens de
10 lire dans mes notes ce qu'il a dit: il est arrivé immédiatement après le
11 conflit principal.
12 M. Milosevic (interprétation): Voilà. 7949; je cite la page du transcript.
13 Monsieur May, c'est votre transcription de mercredi.
14 "-Question: Avez vous vu des membres de la Mission de vérification pendant
15 que vous étiez sur place?
16 -Réponse: Oui, je les ai vus. Je pense que c'était l'ambassadeur Walker,
17 mais je n'arrive pas à me rappeler précisément.
18 -Question: Etiez-vous sur place durant le conflit?
19 -Réponse: Je suis arrivé juste après le conflit principal. Et il y avait
20 une activité importante durant cet après-midi, tout au long de la
21 journée." (Fin de citation.)
22 M. le Président (interprétation): Mais cela n'est pas contesté qu'il ait
23 dit cela. Passons à une question plus pertinente. Où voulez-vous en
24 arriver, au juste?
25 M. Milosevic (interprétation): Mais précisément, c'est à l'opposé de ce
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1 que vous venez d'affirmer, il y a un instant, à savoir que ce témoin ne
2 l'a pas dit, Monsieur May.
3 M. le Président (interprétation): Nous ne devons pas gaspiller ou perdre
4 plus de temps sur ce point. Je vous ai lu mes notes qui correspondent à ce
5 que dit le compte rendu, donc il n'est pas…, il est insensé de se disputer
6 à ce propos. Avez-vous d'autres questions?
7 M. Milosevic (interprétation): Mais j'ai à peine commencé avec mes
8 questions! J'en ai beaucoup, Monsieur May.
9 Dites-moi précisément: quelle heure il était au moment où vous avez vu
10 l'ambassadeur Walker à Racak?
11 M. Crosland (interprétation): Je vous ai dit que je suis arrivé vers 14
12 heures et, si je me souviens bien, j'ai vu M. Walker dans le courant de
13 l'après-midi. C'était une zone difficile, il y avait beaucoup de
14 mouvements, les opérations étaient encore en cours et il y avait un va-et-
15 vient de personnes dans tout le courant de l'après-midi.
16 Question: A cette occasion, vous vous êtes entretenu avec lui?
17 Réponse: Je ne lui ai pas parlé à cette occasion.
18 Question: Et le 14 janvier, la veille autrement dit, la veille de cet
19 événement de Racak, où étiez-vous?
20 Réponse: Si je me souviens bien, j'étais à Belgrade. Je venais de revenir
21 du Royaume-Uni et je me préparais à me rendre le lendemain au Kosovo.
22 Question: Eh bien, au sujet des événements de Racak, puisque vous vous
23 trouviez sur place le 15 janvier, avez-vous rédigé un rapport?
24 Réponse: J'ai envoyé un rapport écrit -je crois vous l'avoir déjà
25 expliqué- et je communiquais aussi par d'autres moyens avec Belgrade d'une
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1 part et le Royaume-Uni d'autre part.
2 Question: Eh bien, dites-moi, alors, pour quelle raison ce rapport ne
3 figure-t-il pas parmi ces rapports que vous avez présentés ici, puisque
4 Racak est un point important?
5 Réponse: Comme je l'ai dit la semaine passée, ici même dans cette salle,
6 ce n'est pas moi qui ai choisi les rapports soumis ou présentés ici; ce
7 choix a été effectué par d'autres personnes. Donc je ne peux pas répondre
8 à votre question.
9 Question: Vous voulez dire que vous leur avez remis l'ensemble de vos 70
10 rapports et que ce sont eux qui ont opéré la sélection parmi ces
11 documents, c'est cela?
12 Réponse: Mes rapports sont en possession du ministère de la Défense au
13 Royaume-Uni et les rapports qui sont transmis à ce Tribunal, eh bien, je
14 n'en sais rien, je ne sais pas quels rapports sont transmis.
15 Question: Vous mentionnez le meurtre de trois policiers serbes ainsi qu'un
16 conflit qui a opposé les policiers serbes avec le groupe Ahmeti, le 28
17 février 1998. Etiez-vous présent lorsque cette opération a été menée par
18 la police?
19 Réponse: De quelle opération parlez-vous? Vous voulez dire lorsque les
20 trois membres du MUP ont été tués, ou est-ce que vous parlez de
21 l'opération à Likoshane?
22 Question: Je parle de l'opération du 28 février.
23 Réponse: Non, personne n'était présent parce que toute la zone était
24 cordonnée. Je faisais une tournée avec un autre attaché militaire et nous
25 y sommes allés peu de temps après que nous en recevions la permission,
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1 mais vos forces de sécurité ont coordonné cette zone pendant plusieurs
2 jours.
3 Question: Savez-vous qu'à cette occasion, il y a eu un combat entre les
4 terroristes et les forces de sécurité?
5 Réponse: Oui, je sais qu'il y a eu des combats.
6 Question: Ces personnes ont-elles perdu leur vie durant ces combats?
7 Réponse: Je ne peux pas répondre à cette question, je n'y étais pas. Tout
8 ce que je sais, c'est que 26 personnes ont été inhumées au nord de
9 Likoshane quelques jours plus tard. La BBC en a été témoin.
10 Question: Eh bien, mercredi, vous avez dit que 16 personnes sont tombées
11 durant cette opération; à présent, vous parlez de 26 personnes. Est-ce que
12 cela veut dire qu'il y a eu des personnes inhumées, en fait, qui ont perdu
13 leur vie dans d'autres opérations?
14 Réponse: Non. D'après nos informations, c'est que les 16 ont été tués à
15 Likoshane ou dans les alentours, et 10 autres avaient été emmenés vivants.
16 Emmenés, je crois, à Prizren. Non, pardon! Plutôt à Pristina. Ils étaient
17 vivant lorsqu'ils ont été emmenés et, à leur retour, ils étaient morts.
18 Donc, moi je ne peux pas répondre à votre question, c'est à vous d'y
19 répondre ou à quelqu'un d'autre.
20 Question: Vous êtes en train de laisser entendre que quelqu'un a emmené
21 des gens en prison, qu'il les a tués en prison, pour les rapporter morts?
22 Réponse: Oui, c'est en effet cela que je laisse entendre.
23 M. Milosevic (interprétation): Mais comment qualifierais-je cela? C'est un
24 point tout à fait dramatique. Comment cela se fait que cela ne figure pas
25 dans vos rapports que quelqu'un ait sorti des prisonniers et qu'il les ait
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1 tués?
2 M. le Président (interprétation): Mais il en est fait état dans la
3 déclaration que j'ai sous les yeux, au paragraphe 4.
4 M. Milosevic (interprétation): J'ai compris que vous êtes allé à Donje
5 Prekaze, que vous étiez sur place au moment où les combats ont eu lieu.
6 Est-ce exact?
7 M. Crosland (interprétation): Non, je n'étais pas à Donje Prekaze lors des
8 combats, parce que toute la zone était fermée. J'ai sans doute été la
9 première personne à arriver à Donje Prekaze immédiatement après les
10 combats.
11 Question: Autrement dit, vous n'étiez pas présent pendant les combats?
12 Réponse: Non, bien sûr je n'étais pas présent.
13 Question: Mais pour autant que vous le sachiez, des membres du ministère
14 de l'Intérieur n'ont-ils pas invité, à plusieurs reprises avant d'ouvrir
15 le feu, ce groupe terroriste, qui avait à sa tête Jashari, à se rendre?
16 Réponse: J'ai entendu cela de plusieurs sources, oui.
17 Question: Saviez-vous qu'ils ont refusé de se rendre, et qu'on leur a
18 demandé au moins de laisser partir les femmes et les enfants, donc qu'ils
19 les laissent sortir des maisons?
20 Réponse: Oui, j'ai entendu cela aussi.
21 Question: Savez-vous quels sont les crimes les plus graves? Je parle ici
22 de meurtres avant tout. Enfin, savez-vous combien il y a de ces crimes qui
23 ont été reprochés notamment à Jashari, à des membres de son groupe?
24 Réponse: Non, je ne connais pas les détails, Monsieur Milosevic. Je sais
25 qu'il y a eu des informations selon lesquelles il avait été impliqué dans
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1 différentes activités; oui, en effet. Mais je ne vois pas…, enfin, si vous
2 voulez, si c'est cela qui aurait mené à l'offensive très destructive et
3 délibérée sur Donje Prekaze. Des chars ont tiré à une distance de 30
4 mètres, je crois que l'on voit là la différence.
5 M. Milosevic (interprétation): Nous avons entendu ici un Albanais qui a
6 déposé en tant que témoin protégé. Il a décrit les événements, et cela
7 correspond parfaitement à ce que je suis en train d'affirmer.
8 M. le Président (interprétation): Il n'est pas nécessaire… D'ailleurs,
9 vous ne pouvez pas demander à ce témoin de faire des remarques sur une
10 déposition d'un autre témoin.
11 M. Milosevic (interprétation): Bien.
12 Dites-moi qui vous a rendu possible l'accès à ce site? Qui vous a permis
13 de vous rendre sur place et d'inspecter sur les lieux après l'opération?
14 M. Crosland (interprétation): Je crois bien que c'était le MUP ou le
15 commandant de la PJP, responsable de Srbica, qui nous a autorisés à y
16 entrer. Donc nous avons pris des photographies des corps que l'on voyait
17 au sud de Srbica, dans une maison à un seul étage. A l'entrée sud de
18 Srbica. Comme je l'ai dit dans ma déclaration, je crois que 54 cadavres,
19 d'hommes, de femmes et d'enfants, ont été retrouvés.
20 Question: En page 3 de votre déclaration, paragraphe 4, vous affirmez que,
21 durant cette période, il y a eu toute une série d'attaques menées par
22 l'UCK contre la police. Est-ce exact?
23 Réponse: C'est exact.
24 Question: Mais savez-vous combien il y a eu d'attaques de ce genre durant
25 l'année 1998?
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1 Réponse: Nous étions informés par votre état-major sur le nombre
2 d'attaques. Je me souviens pas des détails aujourd'hui même, mais je ne
3 conteste pas le fait qu'il y ait eu des attaques. Ce que je conteste,
4 c'est que les actes entrepris par vos forces de sécurité aient contribué,
5 en quelque manière que ce soit, à restaurer la situation, à l'améliorer.
6 Question: Mais, indépendamment de cela, n'êtes-vous pas d'accord avec le
7 fait que, fin 1998, l'UCK n'était pratiquement plus en mesure de mener des
8 opérations quelles qu'elles soient, que l'UCK a été totalement
9 neutralisée?
10 Réponse: Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas sûr que
11 cela soit exact. Parce que, si je me souviens bien, entre octobre et
12 novembre, vos forces avaient repris l'initiative début automne, mais l'UCK
13 a reçu de nouveaux approvisionnements, et je ne contesterai pas qu'il y
14 ait eu un problème de terrorisme au Kosovo. Mais ce que j'affirme, c'est
15 que vos tactiques -comme cela a été démontré- eh bien, vos tactiques ont
16 été couronnées d'échec. Le fait d'incendier et de détruire des villages,
17 parfois à plusieurs reprises, les stations d'essence, les commerces, les
18 récoltes: détruire tout cela, ça n'a contribué en rien à améliorer la
19 situation.
20 M. Milosevic (interprétation): Nous parlons d'autre chose à présent. A
21 l'automne 1998, puisque vous étiez sur place -je suppose que vous vous
22 rappelez bien la situation- la situation s'est calmée, voire même il y a
23 eu des tracteurs qui apportaient des armes, et quant à la situation d'un
24 point de vue de la sécurité, elle a été normalisée. Et c'est à partir du
25 moment où est arrivée la Commission de vérification kosovare que la
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1 situation a changé -en fait, c'est elle, que vous soyez d'accord avec moi
2 ou non, c'est elle qui a sauvé l'UCK- que vous avez rendu la possibilité
3 de réapprovisionnement possible...
4 M. Crosland (interprétation): Pour répondre à une question de cette
5 ampleur, c'est tout à fait absurde.
6 M. le Président (interprétation): Sans répondre par oui ou par non, peut-
7 être pourriez-vous nous faire part de vos observations?
8 M. Crosland (interprétation): Monsieur le Président, la Mission de
9 vérification au Kosovo s'inscrivait dans un processus qui tentait de
10 restaurer la paix dans cette zone. Leur reprocher une montée en puissance
11 de l'UCK, cela me paraît tout à fait erronée.
12 M. Milosevic (interprétation): Voyez-vous, ici, le commandant de l'UCK,
13 Ramush Haradinaj -même un livre en anglais a été publié-, il dit et je
14 cite: "L'accord a sauvé la vie à l'UCK".
15 M. le Président (interprétation): Oui, mais c'est lui qui a fait cette
16 remarque. Vous pourriez nous en dire plus à l'avenir mais, pour l'instant,
17 passons à autre chose.
18 M. Milosevic (interprétation): Puisque l'on évoque ici un grand nombre de
19 réunions qui ont réuni des représentants anglais, américains, canadiens,
20 britanniques et français, etc., il est dit: "C'était en préparation des
21 attaques aériennes qui allaient prendre place".
22 M. le Président (interprétation): Quel passage de la déclaration nous
23 lisez-vous?
24 M. Milosevic (interprétation): Je lis le livre du commandant Ramush
25 Haradinaj qui, après la guerre…
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1 M. le Président (interprétation): Non, non, passez à des questions qui
2 portent à sa déposition ou sa déclaration, mais pas à des opinions
3 exprimées par d'autres dans des livres.
4 M. Milosevic (interprétation): Il ne s'agit pas d'une opinion, Monsieur
5 May. C'est la chose suivante: ont-ils aidé l'UCK à reprendre force?
6 M. le Président (interprétation): Il vous a déjà répondu sur ce point: il
7 vous a dit que non. Vous devez apprendre à ne pas vous disputer avec les
8 témoins, vous devez accepter leur témoignage. Vous pourrez faire état de
9 vos arguments vis-à-vis de nous lorsque le moment viendra, mais il est
10 inutile de vous disputer avec les témoins.
11 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, je ne suis jamais entré dans
12 une polémique avec un témoin mais c'est vous qui êtes constamment en
13 polémique avec moi.
14 Monsieur Crosland, vous rappelez-vous l'année 1998? A ce moment-là, il y a
15 eu 1.854 attaques menées par l'UCK au Kosovo-Metohija, ce qui correspond
16 à, à peu près, en moyenne quatre attaques par jour. Mais il faut dire
17 qu'il y a eu une escalade après l'arrivée de la Mission de vérification.
18 Etes-vous au courant de cela?
19 M. Crosland (interprétation): Comme je vous l'ai déjà dit, Monsieur
20 Milosevic, je recevais des briefings assez fréquents de votre état-major,
21 le général Dimitrijevic entre autres. Peut-être que ce chiffre m'avait été
22 cité, mais il faut replacer cela dans le contexte d'autres opérations,
23 même mineures, venant de l'autre côté, l'autre partie au conflit pour
24 leurs statistiques. Mais je ne vois pas très bien ou cela nous mène.
25 J'avais conscience du fait qu'il y avait une situation très grave qui se
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1 développait au Kosovo. J'ai consigné cela dans mes rapports. J'ai décrit
2 ce qui se passait de part et d'autre du conflit. Je ne vois pas très bien
3 ce que j'aurais pu faire de plus. Je ne pouvais pas influencer la
4 situation autrement qu'en faisant ces rapports à l'intention de l'état-
5 major de la VJ et de mon gouvernement au Royaume Uni.
6 Question: Bien, mais il n'est pas contestable que les objectifs de ces
7 attaques étaient les membres des unités du ministère de l'Intérieur mais
8 aussi des civils -des Serbes, des Albanais, des Musulmans- membres de tous
9 les groupes ethniques vivant au Kosovo. Ils étaient tués, pillés,
10 kidnappés, enlevés. Etiez-vous au courant de cela?
11 Réponse: Oui, Monsieur Milosevic, j'étais au courant de ces événements.
12 Mais il faut encore une fois replacer cela dans le contexte de ce que
13 faisaient vos forces de sécurité vis-à-vis de 200 ou 300 villages que j'ai
14 vus incendiés. Donc, il est naturel que les gens ont voulu se venger. Je
15 crains que "la réconciliation" dans les Balkans ne soit pas un terme qui
16 est très répandu, donc ce serait mieux qu'il y ait plus de réconciliations
17 et moins de vengeances.
18 Question: Oui, Monsieur Crosland, mais n'y a-t-il pas eu une escalade
19 importante de terrorisme au Kosovo en 1998. Ce n'est pas contestable, non?
20 Réponse: Non, Monsieur Milosevic. Je vous ai dit cela dans mes rapports.
21 Je vous ai dit que dans mes rapports, j'ai fait état du fait que la
22 situation commençait à évoluer fin 1997. J'ai rencontré le général Perisic
23 et le général Dimitrijevic pour la première fois, et la situation s'est
24 aggravée au début de 1998. Puis, il y a eu une offensive de la sécurité
25 serbe en juillet, août, septembre; ce qui a mené à la mission Holbrooke.
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1 Ensuite, une période d'accalmie, mais pendant cette période -comme je vous
2 l'ai dit- il a semblé que l'Armée de libération du Kosovo a été
3 réapprovisionnée. Puis il y a eu un regain d'activité des forces de
4 sécurité serbes immédiatement après Noël. Et, avec le nouvel an serbe, il
5 y a eu de nouveau une période d'accalmie jusqu'à mi-janvier; ce qui nous
6 amène à l'incident de Racak.
7 M. Milosevic (interprétation): Oui. C'est à ce moment-là que se sont
8 produits ces fameux événements de Racak. Vous avez dit, d'après ce que
9 vous nous avez affirmé, à Dimitrijevic et aux autres généraux qu'ils
10 étaient en train de s'embarquer dans des opérations incertaines.
11 Vous êtes un militaire qui a une certaine expérience dans le combat
12 antiterroriste; j'aimerais que vous me disiez ce à quoi correspondrait, à
13 votre avis, une campagne plus courte?
14 M. le Président (interprétation): Quelle est la pertinence de cette
15 question?
16 M. Milosevic (interprétation): Ce qui est pertinent ici, Monsieur May,
17 c'est que nous avons ici un témoin qui est un militaire de carrière et qui
18 conteste les actions menées par la police et par l'armée dans leur combat
19 antiterroriste. Ce que je souhaite entendre à présent, c'est son point de
20 vue. Autrement dit: si son armée ou sa police avait à mener ce genre
21 d'opération, comment s'y prendraient-elles?
22 M. le Président (interprétation): Je ne vois absolument pas ce que vous
23 tentez de dire ici. Cela me paraît tout à fait dénué de pertinence. Donc
24 passons à autre chose.
25 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Crosland, dans vos activités de
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1 renseignement, à quel point vous êtes-vous concentré sur le fait de
2 recueillir des données sur les effectifs et l'armement de l'UCK?
3 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, au Kosovo, j'ai fait des
4 rapports concernant les activités que l'on pouvait observer, activités de
5 l'UCK, et ces activités sont décrites dans les rapports; je ne sais pas si
6 vous les avez vus ou non. Pour ce qui se passait à l'extérieur, cela
7 relevait de la responsabilité d'autres services du Royaume-Uni, dont je ne
8 faisais pas partie comme vous le savez. J'étais accrédité auprès de vous,
9 de la Yougoslavie.
10 Question: Page 4, paragraphe 5, vous dites que les forces du ministère de
11 l'Intérieur étaient suffisantes pour faire face à une rébellion moyenne.
12 Ma question est la suivante: 50% du territoire placé sous le contrôle des
13 terroristes, à votre avis, cela équivaut à une rébellion, à soulèvement
14 moyen?
15 Réponse: Je pense que, si vous faites référence à la situation au début de
16 l'été au Kosovo-Metohija, j'ai parlé avec plusieurs personnes haut gradées
17 dans votre état-major; je leur ai demandé pourquoi ils autorisaient ou ils
18 permettaient à l'UCK de maîtriser trois des axes principaux dans… Donc, le
19 Kosovo et Metohija.
20 M. Milosevic (interprétation): Cela est exact, bien entendu. Ces trois
21 axes principaux qui permettent tout simplement la vie de la province, ces
22 trois axes ont été bloqués par l'UCK.
23 M. Crosland (interprétation): Oui.
24 M. le Président (interprétation): Donnez l'occasion au témoin de
25 s'exprimer.
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1 M. Crosland (interprétation): C'est tout à fait exact, Monsieur Milosevic.
2 Je voyageais chaque jour dans cette région et ces positions de l'UCK
3 n'avaient pas une… n'étaient pas très fortes ni très profondes. Est-ce
4 qu'on ne pouvait pas les attaquer? C'est une question que vous devriez
5 poser à vos forces de sécurité.
6 Comme je l'ai déjà dit, il s'agit là d'un choix de tactique. Si vos forces
7 de sécurité avaient mis l'accent sur les positions défensives de l'UCK,
8 cela n'aurait pas posé de problème. Mais, lorsqu'ils pénétraient dans les
9 villages et les détruisaient sans d'autres raisons que la volonté de les
10 détruire, le prétexte que l'on me donnait, c'est que ces villages
11 assuraient une protection, une couverture le long de certaines routes.
12 Mais cela n'est pas un argument que je trouve convaincant, certaines de
13 ces routes n'avaient aucune pertinence pour les opérations concernaient.
14 Donc il y a eu des routes principales qui étaient bloquées, la zone boisée
15 au centre du Kosovo. Les opérations étaient rendues difficiles, mais il
16 n'aurait pas été impossible, compte tenu du nombre de troupes que vos
17 forces avaient déployées dans la région, je dirais vers les débuts de
18 1998. Et à mon avis, l'UCK ne comptait que 3 à 400 personnes, c'est un
19 grand maximum; donc pas énormément d'effectifs.
20 Donc je ne peux pas répondre à la question de savoir pourquoi vos forces
21 n'ont pas utilisé des tactiques afin d'évincer ces personnes de leurs
22 positions défensives qui, manifestement, étaient illicites.
23 Même lorsque j'ai traversé leurs positions et leur quartier général à
24 Malishevo, j'ai informé l'UCK que je pouvais, que j'avais le droit d'aller
25 partout en Yougoslavie, qu'il n'y avait pas d'autre régime juridique
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1 valable. Enfin, je vous pose la question; cela relevait de vos forces qui
2 auraient dû adopter les tactiques qui s'imposaient.
3 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Crosland, il n'est pas question
4 ici de tactique; nous parlons ici des crimes commis par une organisation
5 terroriste qui a causé la mort de nombreuses personnes.
6 Vous contestez le droit des forces légitimes et légales à combattre le
7 terrorisme?
8 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, non. Comme j'ai tenté de
9 l'expliquer à l'état-major de la VJ, si vos forces attaquaient l'UCK dans
10 ses positions illégales, comme je l'ai expliqué, je crois que personne
11 n'aurait formulé d'objection à ce propos. Ce qui posait problème, c'est la
12 destruction complètement arbitraire de la moitié du Kosovo, visant une
13 population à majorité albanaise, oui.
14 Mais je pense qu'il y a là une dimension politique que l'on oublie et,
15 même dans la situation actuelle, une solution militaire au problème du
16 Kosovo n'est pas envisageable. En général, on ne peut pas régler les
17 choses par des moyens militaires, mais nous devons intervenir lorsque les
18 politiques ont échoué.
19 Question: Monsieur Crosland, auriez-vous l'impression que le fait qu'il y
20 ait eu une grande intensité d'activités terroristes, par conséquent, qu'il
21 y a eu également une réaction à cette intensité d'activités terroristes;
22 auriez-vous l'impression que cela puisse être qualifié, comme vous le
23 faites, de "dégâts occasionnés de manière délibérée" et "d'attaques
24 massives sur des villages"? N'auriez-vous pas opéré ici une confusion, une
25 inversion des termes?
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1 Réponse: Pas du tout, Monsieur Milosevic. Je comprends très bien. Ayant
2 moi-même participé à des opérations antiterroristes, je comprends des
3 attaques lancées contre des groupes de terroristes par des forces de
4 sécurité. C'est une chose, et il ne s'agit là que d'opérations militaires.
5 Mais pour que des troupes incendient et pillent, incendient des maisons,
6 des récoltes, des commerces, ce genre d'activités, cela ne s'inscrit pas
7 dans le cadre d'une opération militaire au véritable sens de ce terme. Il
8 s'agit là de destructions arbitraires, de vengeances visant des personnes
9 qui, en majorité, étaient innocentes.
10 Je n'affirme pas qu'il n'y avait pas quelque soutien dans les villages,
11 puisque la population était albanaise -près de deux millions d'Albanais
12 vivant au Kosovo- et donc, forcément, il y avait un certain soutien. Mais
13 est-ce que vous ne pouvez pas vous rendre compte que si on incendie et
14 qu'on pille la plupart des villages au Kosovo, de simples agriculteurs...
15 M. Milosevic (interprétation): Bien, bien, Monsieur Crosland. Je vous prie
16 de répondre à mes questions.
17 Savez-vous que de nombreuses maisons au Kosovo, voire des localités
18 entières telles Prilep -que vous avez mentionnée- ont servi de base d'où
19 ont opéré les terroristes de l'UCK, d'où ils ont lancé leurs opérations
20 contre la police, l'armée; d'où ils ont bloqué des routes, empêché toute
21 vie normale, commis des crimes, etc.; par conséquent, savez-vous que…
22 M. le Président (interprétation): Quelle est la question que vous
23 souhaitez poser? Apparemment, vous posez une question concernant
24 l'utilisation d'implantation telle que Prilep en tant que fortification
25 contre la police et tout le reste; est-ce exact?
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1 M. Crosland (interprétation): Monsieur le Président, dans la région de
2 Prilep, oui, il y avait un centre d'opérations de l'UCK. Mais ce que je
3 voulais dire, c'est que la ville de Decani, une ville très intéressante,
4 très ancienne où se trouve un des grands monastères de Serbie, cette ville
5 a été incendiée de façon systématique, à titre de représailles. Ce que
6 j'affirme, c'est que de telles représailles…, à quoi est-ce que cela mène?
7 A rien du tout.
8 Le Kosovo est maintenant sous l'emprise de l'OTAN, et les Albanais s'y
9 trouvent encore. Est-ce que cela voudrait dire que vous avez connu un
10 succès?
11 M. le Président (interprétation): Peut-être voudriez-vous bien aussi,
12 Colonel, limiter vos réponses parce que nous avons des contraintes de
13 temps. Vous dites que dans la région de Prilep, il y avait des forces de
14 l'UCK?
15 M. Crosland (interprétation): Oui. Ces forces étaient dispersées dans
16 plusieurs parties du Kosovo, des zones qui étaient sous une emprise
17 partielle de l'UCK. Je le savais, j'en avais fait état dans mes rapports.
18 Et donc, oui, je dirai qu'il y avait des tactiques employées par les deux
19 parties; j'accepte cela.
20 Mais combattre le terrorisme avec des actes de terrorisme visant les
21 civils, c'est-à-dire détruire les villages, tout ce que vous faites, c'est
22 inciter les gens à appuyer les terroristes, donc c'est aussi simple que
23 cela.
24 Je ne préconise pas du tout le terrorisme, je ne l'ai jamais fait et je ne
25 le ferai jamais. Mais la destruction arbitraire visant une majorité de
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1 personnes innocentes et les récoltes et toute l'infrastructure, cela ne
2 peut qu'augmenter les rangs des personnes visant à combattre vos forces;
3 et c'est ce qui est arrivé, je pense?
4 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Crosland, il faut préciser cela.
5 Vous dites que 50% du territoire a été entre les mains des membres de
6 l'UCK. Vous évoquez des combats qui se sont déroulés sur l'ensemble du
7 territoire kosovar. Vous évoquez aussi des dégâts, des victimes. Alors, je
8 vous demande de me répondre d'une manière précise: ces territoires ont-ils
9 été le théâtre des opérations et des combats très intenses qui se sont
10 déroulés entre les unités du ministère de l'Intérieur et les membres de
11 l'UCK?
12 M. Crosland (interprétation): Non, Monsieur Milosevic. Il y a eu une
13 période au début 1998, après les deux offensives contre Likoshane et…
14 M. Milosevic (interprétation): Vous avez répondu par la négative.
15 Poursuivons. Vous dites qu'il n'y a pas eu de combats très longs et très
16 importants dans cette zone?
17 M. le Président (interprétation): Permettez au témoin de finir de
18 s'exprimer.
19 La question posée était la suivante: y a-t-il une région où il y avait des
20 combats très violents? Donc, Monsieur le Témoin, vous pouvez compléter
21 votre réponse?
22 M. Crosland (interprétation): Après les événements de Prekaz et de
23 Likoshane, il y a eu une accalmie. Au début de l'été, vos forces se sont
24 renforcées, et pendant cette période, comme je l'ai dit, l'UCK tenait
25 trois grands axes, trois routes principales. Je dis "tenait", mais bon,
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1 leurs positions défensives n'étaient pas très substantielles.
2 Et je ne sais pas pour quelle raison, je ne peux pas répondre à la
3 question, pourquoi est-ce que vos forces leur ont permis de rester sur
4 place. Compte tenu du nombre de forces dont vous disposiez au Kosovo, vous
5 auriez pu lancer des opérations contre ces positions défensives, qui
6 auraient eu toutes les chances d'être couronnées de succès. Mais, pour une
7 raison ou une autre, vos forces ne l'ont pas fait. Ils se sont contentés
8 de détruire les villages environnants, toute l'infrastructure; ce qui ne
9 pouvait avoir pour effet que d'inciter d'autres personnes à se rallier au
10 mouvement de libération contre vos forces.
11 Je ne comprends pas pourquoi vous avez agi ainsi; ce n'était pas une
12 solution militaire.
13 M. le Président (interprétation): Oui, Colonel?
14 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, puis-je conclure qu'il ressort de
15 votre déposition qu'en fait, les forces du ministère de l'Intérieur, au
16 lieu de s'en prendre aux fiefs de l'UCK ont attaqué des villages qui
17 n'étaient pas armés et se sont mises à tuer le bétail et endommager ces
18 endroits. C'est cela que vous affirmez?
19 M. Crosland (interprétation): Tout à fait, parce qu'il y avait environ 45
20 points de contrôle aux alentours de Drenica tenus par des escadrons.
21 Pendant cette période, Drenica essuyait des attaques presque quotidiennes
22 de la part de vos forces. Je ne peux pas dire pourquoi, quelle était la
23 raison de ces tactiques, pourquoi vos hommes ont agi ainsi. Je n'ai pu que
24 faire des rapports sur ce que je voyais. Comme je l'ai dit à votre état-
25 major, je leur ai dit: "Je ne comprends pas ce que vous espérez accomplir.
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1 Vous impliquez de plus en plus d'hommes dans ces opérations qui
2 n'accomplissent rien et ils s'exposent ainsi à des attaques menées par
3 l'UCK".
4 Vous aviez toute une série de petits points dispersés sur la carte qui, en
5 fait, qui ne contrôlent rien du tout. Sur le plan des tactiques, il n'y
6 avait pas de patrouilles de nuit menées par vos forces. En fait, ils n'ont
7 pas tenu beaucoup de terrain, sauf ces positions défensives.
8 Vous voyez bien où se trouvait l'UCK, à 200 ou 300 mètres de distance. Et
9 vous voyez ce qu'ils faisaient, leurs activités autour de ces positions.
10 Alors, si vous appelez cela "contrôler la situation", je ne suis pas
11 d'accord.
12 C'est le fondement même de ma déclaration du fait que je dis que vos
13 forces utilisaient des tactiques erronées; et je l'ai dit clairement à
14 différentes personnes, le général Perisic notamment, lorsque nous nous
15 sommes entretenus à Beograd.
16 Je reconnaissais qu'il y avait un problème terroriste, mais en fait vos
17 forces n'arrivaient pas à gérer ce problème.
18 M. Milosevic (interprétation): Puisque vous dites que c'étaient des
19 positions qui n'étaient pas très fortes et qu'il n'y en a eu qu'un certain
20 nombre à divers endroits au Kosovo, comment ces membres de l'UCK, qui
21 étaient mal armés et qui étaient peu nombreux, comment ont-ils pu prendre
22 le contrôle de 50% du territoire face à des forces aussi bien armées et
23 aussi nombreuses de la police et de l'armée? Comment est-ce possible?
24 Réponse: Monsieur Milosevic, comme je l'ai déjà dit, ils avaient instauré
25 toute une série de barrages ou de points de contrôle dans ces trois
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1 régions, avec ces quelques positions arrière, mais ces positions n'étaient
2 pas défendues de façon réellement vigoureuse.
3 Si vos forces avaient attaqué ces positions de manière adéquate, avec
4 l'organisation nécessaire, je suis sûr que vos forces auraient obtenu gain
5 de cause. Et pourquoi elles n'ont pas agi ainsi, je n'en sais rien, vous
6 devriez poser la question aux personnes compétentes.
7 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous cependant que ce sont
8 précisément les membres de l'armée yougoslave qui ont été les cibles
9 principales des attaques de l'UCK? L'avez-vous appris lors de vos contacts
10 avec les généraux que vous avez évoqués?
11 Et vous dites aussi que vous avez pu trouver des preuves montrant qu'il y
12 avait une coordination des opérations menées par la police et celle de
13 l'armée. C'est cela? Alors dites-moi...
14 M. le Président (interprétation): Attendez un instant. Vous lui avez déjà
15 posé une question, vous voulez passer à une autre question, mais la
16 question première est la suivante: d'après ce que vous avez pu savoir
17 grâce à vos contacts, est-ce que les cibles des attaques étaient des
18 membres de l'armée yougoslave? Est-ce que vous êtes à même de répondre à
19 cette question?
20 M. Crosland (interprétation): La plupart des attaques visaient les forces
21 du MUP à l'origine. Le long des frontières, il y avait aussi eu des
22 attaques visant les positions de la VJ, notamment à la frontière avec
23 l'Albanie. Cela était bien connu, des preuves ont même été produites par
24 votre état-major, par d'autres, concernant ces attaques en cours.
25 J'avais connaissance des attaques du MUP et d'autres forces de sécurité.
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1 Je savais aussi qu'il y avait des enterrements qui avaient eu lieu en
2 Serbie, enterrements des personnes qui ont été victimes de ces opérations.
3 Donc en tant que militaire, j'ai pu observer que lorsque quelqu'un est tué
4 dans de telles opérations on a toujours du respect pour ce qu'il a
5 contribué à sa patrie.
6 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous savez que la frontière de
7 la Yougoslavie a été violée plusieurs centaines de fois, rien qu'en 1998,
8 du fait de trafics d'armes et de l'action de groupes terroristes entraînés
9 au nord de l'Albanie? Est-ce que vous savez que ces genres d'incidents ont
10 été comptés par centaines?
11 Réponse: Oui, Monsieur Milosevic. D'ailleurs, je vous ai expliqué, la
12 dernière fois que j'étais dans ce même prétoire, que nous détenions nos
13 informations, en premier lieu de votre état-major principal, et que cela
14 concernait également cette zone frontalière avec l'Albanie qui est une
15 zone traditionnelle de contrebande. Vous le savez très bien.
16 M. Milosevic (interprétation): Bien. Est-ce que vous estimez que l'armée
17 aurait dû ne pas accomplir l'obligation qui est la sienne de protéger les
18 frontières de l'Etat, ainsi que la population, et toutes ces installations
19 de communication et autres? Est-ce que c'est ce qu'ils auraient dû faire?
20 M. le Président (interprétation): Il l'a reconnu. Il a reconnu qu'ils
21 étaient en droit de le faire. Poursuivez.
22 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, répondez à la question suivante:
23 qu'y avait-il d'illogique dans l'observation que vous avez faite au sujet
24 de la coopération entre l'armée et la police? Qu'y a-t-il d'illogique
25 entre la coopération d'une police et d'une armée dans un pays lorsqu'elles
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1 sont confrontées à des crimes perpétrés par des terroristes? Est-ce que ce
2 n'est pas là une pratique que l'on retrouve partout dans le monde? Est-ce
3 que c'est vraiment quelque chose d'aussi inhabituel que cela?
4 M. Crosland (interprétation): Aux termes de la Constitution qui est la
5 vôtre, j'hésite à vous faire une leçon de loi constitutionnelle, la Vojska
6 Jugoslavije, avait pour propriété de protéger la frontière nationale et le
7 périmètre de 500 mètres qui l'entourait. Ceci était prévu par votre
8 Constitution. Mais, comme je l'ai dit précédemment, cette zone a été
9 étendue pour couvrir des zones où il y avait une détérioration de la
10 situation.
11 Question: Monsieur Crosland, bien entendu que cela ne figure pas dans
12 notre Constitution. C'est quelque chose de simple à établir: voir ce qu'il
13 y a dans une constitution.
14 Mais une question: puisqu'il est manifeste que vous ne connaissez pas les
15 dispositions juridiques, est-ce que vous connaissez la loi sur la défense,
16 sur l'armée yougoslave? Est-ce que vous connaissez le règlement de l'armée
17 ainsi que tous les règlements qui stipulent le fonctionnement de l'armée
18 dans tous les domaines possibles, sans parler de la Constitution? Cela ne
19 figure pas dans la Constitution cette histoire de 500 mètres autour de la
20 frontière. Absolument pas. Est-ce que vous connaissez tous ces règlements,
21 toutes ces règles?
22 Réponse: Moi, c'est ce que m'a dit votre service de liaison avec les pays
23 étrangers dans le cadre du ministère de la Défense, mais je ne connais pas
24 tous les détails. Je ne connais pas tous les détails des fonctions de
25 l'armée britannique au terme de la Constitution du pays. L'affirmer sous
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1 serment reviendrait à me parjurer. Ce n'est pas ce qui nous intéresse ici.
2 Je vous parle ici de la coopération entre la VJ et le MUP. Bien entendu
3 qu'il était naturel qu'ils coopèrent lorsque la situation empirait, mais
4 je parle de la coopération qui avait pour objectif de tirer indirectement
5 ou directement sur certains villages pour répondre à la situation. Est-ce
6 que c'était une réponse adéquate à la situation? La réponse,
7 manifestement, c'est une réponse négative.
8 M. Milosevic (interprétation): Bien, Monsieur Crosland. Donc, vous n'avez
9 pas d'information au sujet du règlement. De ce fait, on peut en déduire
10 que vous nous avez donné des explications complètement erronées s'agissant
11 de certains comportements.
12 M. le Président (interprétation): Veuillez vous abstenir de faire des
13 commentaires et veuillez poser des questions au témoin. Vos questions sont
14 très longues et vous perdez beaucoup de temps se faisant. Je vous rappelle
15 qu'il vous reste 25 minutes.
16 M. Milosevic (interprétation): Mais ce n'est pas possible! Il n'est pas
17 possible qu'il ne me reste que 25 minutes, Monsieur May, étant donné que
18 je n'ai utilisé que très peu du temps qui m'est imparti. Et puis nous
19 avons ici un témoin qui est extrêmement long dans sa façon de s'exprimer.
20 M. le Président (interprétation): Non seulement c'est possible, mais c'est
21 un fait: il vous reste seulement 25 minutes. Monsieur Milosevic, on vous a
22 accordé deux heures et vous avez passé la majeure partie à ergoter avec le
23 témoin. Veuillez poursuivre, s'il vous plaît.
24 M. Milosevic (interprétation): Bien, bien, bien.
25 Alors, soyons un peu plus efficaces, Monsieur Crosland; je parle de vos
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1 réponses.
2 A la page 6 de la déclaration que vous avez fait vous-même, vous dites,
3 dans cette déclaration du 20 août, que le Club des attachés militaires, le
4 général Ojdanic, le chef d'état major adjoint etc., a présenté des raisons
5 relatives aux opérations conjointes du MUP dans la région de Malishevo, et
6 d'autres raisons, parce que cela correspondait à quatre objectifs qui
7 avaient trait au Kosovo. Cela avait trait notamment aux transmissions, aux
8 routes du Kosovo, au maintien de la sécurité aux frontières, à la
9 protection des installations de l'armée, de l'armée de la Yougoslavie, la
10 protection des unités dans leur caserne, sur le terrain, etc., etc.
11 Quelle que soit votre mauvaise interprétation de cette situation, savez-
12 vous qu'en vertu de la réglementation, l'armée de la Yougoslavie peut être
13 déployée pour tous ces objectifs, qui doivent être légitimement remplis
14 par l'armée de la Yougoslavie, ainsi que d'autres missions? Je voudrais
15 parler, en particulier, de la lutte contre les groupes de sabotage et les
16 groupes terroristes.
17 D'après le règlement et d'après ses dispositions -vous avez vous-même
18 parlé de façon incorrecte de la Constitution-, donc au terme de toutes ces
19 réglementations, l'armée yougoslave –et vous pouvez vous-même vous
20 convaincre de la validité de ses réglementations en prenant connaissance-
21 est en droit de lutter contre les groupes terroristes. Elle peut être
22 déployée pour garantir les réseaux routiers, les communications et pour
23 intervenir dans toute situation où l'armée a fait l'objet d'attaques, où
24 les forces de sécurité ont fait l'objet d'attaques. Ceci, bien entendu,
25 afin de protéger les zones frontalières en profondeur, etc.
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1 Donc, quel est le problème?
2 M. le Président (interprétation): Quelle est votre question? Cela fait
3 déjà deux minutes que vous avez commencé, et on ne sait pas quelle est la
4 question que vous avez posée. Quelle est votre question?
5 M. Milosevic (interprétation): Est-ce que vous avez bien compris qu'en
6 fait il n'y a absolument rien d'illégal dans les actions entreprises à ce
7 moment-là par l'armée yougoslave?
8 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, vous ne comprenez pas ce
9 que je veux dire. Nous avons déjà dit…, nous avions indiqué à votre état-
10 major général qu'il était manifeste que l'armée yougoslave, la Vojska
11 Jugoslavije, participait à des opérations pendant toute la période de 1998
12 et c'est votre état-major général -et le chef d'état-major général, le
13 colonel Ojdanic- qui a réfuté cela jusqu'à ce que je lui montre une vidéo
14 et des éléments de preuve qui lui montraient que je disais vrai. Donc je
15 ne comprends pas votre question.
16 M. Milosevic (interprétation): D'après ce que je vois, M. Ojdanic a
17 présenté les raisons de ces activités conjointes entre le VJ et le MUP
18 dans les zones de Stimlje et Malishevo, et il n'a pas nié -et vous-même,
19 vous le dites dans votre déclaration-; il a dit que cela était conforme
20 aux missions de l'armée au Kosovo; ensuite, il continue en disant qu'il
21 s'agit de protéger les lignes de transmission, de protéger les
22 installations, les unités dans leur caserne, etc. Il nous explique donc
23 avec précision les raisons pour lesquelles toutes ces opérations étaient
24 parfaitement légitimes, étaient parfaitement légales et pourquoi il était
25 tout à fait adéquat de faire appel à l'armée et pourquoi les activités de
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1 l'armée étaient tout à fait légales.
2 J'ai énuméré les dispositions et les règlements appropriés qui n'existent
3 pas dans la Constitution. Vous vous êtes trompé, mais j'ai dit ce que
4 stipulent les règlements de l'armée yougoslave. Pourquoi est-ce que, à ce
5 moment-là, cela on devrait le remettre en question?
6 M. le Président (interprétation): Vous perdez du temps, le témoin a déjà
7 répondu. Ce qui compte ici, Monsieur Milosevic, ce n'est pas de savoir si
8 l'armée a effectivement été déployée ou pas, ni ce que dit ou ne dit pas
9 la Constitution.
10 Ce que dit le témoin à ce sujet dans sa déposition, c'est qu'on a utilisé
11 l'artillerie contre des villages sans défense, ceci a entraîné un certain
12 nombre de destructions; et c'est à cela qu'il convient de vous intéresser,
13 c'est sur cela qu'il faut vous concentrer.
14 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, en premier lieu, il n'y a pas
15 eu d'attaque contre des villages sans défense au Kosovo. Et je pose au
16 témoin la question suivante: est-ce que des locaux, est-ce qu'une maison,
17 est-ce qu'un village fortifié de ce type, à partir duquel on ouvre le feu
18 sur l'armée ou sur la police, est-ce que ces endroits constituent une
19 cible légitime ou pas?
20 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, vous savez très bien
21 qu'au terme des Conventions de Genève, on n'a pas le droit d'utiliser des
22 armes d'artillerie ou des armes de lutte contre l'aviation pour attaquer
23 des cibles terrestres. Or, ce genre de tactique a été employé, à plusieurs
24 reprises au Kosovo, dans de très nombreux villages, et je l'ai déjà
25 déclaré sous serment. On a utilisé des pièces d'artillerie, des pièces
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1 d'artillerie autotractées, des pièces d'artillerie tractées, y compris des
2 systèmes de lance-roquettes multiples ont été utilisés; je l'ai moi-même
3 vu, j'ai moi-même vu utiliser ces armes pour tirer sur Junik.
4 Question: Je vous ai bien entendu. Vous nous dites qu'on a utilisé un
5 canon antiaérien de 20 millimètres; vous nous l'avez dit. Mais, étant
6 donné que vous êtes un militaire vous-même, est-ce qu'il existe, dans
7 quelque armée que ce soit, un canon de calibre inférieur à 20 millimètres?
8 Est-ce que cela existe? Répondez-moi, s'il vous plaît.
9 Réponse: Monsieur Milosevic, des canons, il y en a de toutes sortes, de
10 toutes sortes de calibres; 9 millimètres, 12,5 millimètres, etc.
11 Question: Mais je vous parle de canons; vous, vous me parlez de pièces
12 d'artillerie.
13 Réponse: Mais bien entendu, qu'un canon ne peut pas être de calibre
14 inférieur à 20 millimètres!
15 M. Milosevic (interprétation): Mais c'est justement ce que je vous
16 demande: est-ce qu'il existe un canon d'un calibre inférieur à 20
17 millimètres? Donc ça signifie que pour attaquer ces cibles dont vous
18 parlez, on a utilisé le plus petit calibre qui existe, en termes de canon.
19 Deuxièmement, il n'est pas exact, Monsieur Crosland…
20 M. le Président (interprétation): Tout d'abord, laissez le témoin
21 répondre, s'agissant du calibre, puisque vous avez vous-même évoqué cette
22 question.
23 M. Crosland (interprétation): Je ne comprends pas où veut en venir
24 l'accusé avec ses questions. Tout le monde vous dira que vous avez des tas
25 de sortes d'armes qui ont été utilisées en Bosnie-Herzégovine, y compris
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1 des mitraillettes de calibre 12,5, etc., qui ont également été utilisées
2 au Kosovo.
3 M. Milosevic (interprétation): Mais je ne vous parle pas du calibre des
4 armes. Je vous pose une question très précise: est-ce qu'il existe un
5 canon -je ne sais pas exactement quel terme on a utilisé dans
6 l'interprétation; moi, je vous parle d'un canon-, est-ce qu'il existe un
7 canon de calibre inférieur à 20 millimètres? Vous avez répondu: "Non, il
8 n'existe pas de canon de calibre inférieur".
9 Mais venons-en maintenant à des questions plus pertinentes et plus
10 importantes.
11 Vous nous dites que le général Dimitrijevic vous a expliqué le fait que
12 Pavkovic n'obéissait pas aux ordres de l'état-major général; vous nous
13 avez dit que c'était un fait.
14 M. Crosland (interprétation): Oui, effectivement, c'est ce qu'il m'a dit.
15 Question: Cela, ce sont les propos du général Dimitrijevic, ceux que vous
16 avez ainsi rapportés. Ma question est la suivante: est-ce que vous voulez
17 dire par là, est-ce que vous avez compris par là –et je parle de manière
18 générale-, est-ce qu'il est possible, dans une armée, que l'on n'établisse
19 pas des rapports quotidiens qui sont envoyés ensuite dans les échelons
20 supérieurs de la hiérarchie? Et ici, comme nous avons le commandement de
21 l'armée, on imagine que ce rapport quotidien aurait été envoyé à l'échelon
22 supérieur, à l'état-major général.
23 Je vous pose la question: en tant qu'officier de carrière, n'est-il pas
24 vrai que chaque jour, dans une armée, on envoie un rapport qui est ensuite
25 transmis aux échelons supérieurs? Est-ce que ce n'est pas exact?
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1 Réponse: Monsieur Milosevic, je ne peux pas vous répondre au sujet de
2 l'armée de la Yougoslavie, la Vojska Jugoslavije. Moi, je vous dis ce que
3 le général Dimitrijevic et ce que le général Momcilo Perisic m'ont dit à
4 plusieurs reprises, et j'imagine -et j'espère que vous aussi- qu'on vous
5 en a fait part, en tant que commandant en chef des armées à l'époque. Mais
6 je ne peux pas savoir si effectivement, cela a été le cas ou pas; ce n'est
7 pas le genre d'information qui m'a ensuite été communiquée.
8 M. Milosevic (interprétation): Fort bien, fort bien. Mais on peut dire que
9 vos propos sont -c'est le moins qu'on puisse dire- un petit peu
10 bizarroïdes. Du moins, moi, cela me paraît un peu bizarre du point de vue
11 déontologique; cela me paraît même à la limite de la crédibilité. Mais,
12 bien…
13 A la fin de la page en question, justement, un passage assez long, vous
14 parlez de vos discussions avec Dimitrijevic, le 3 octobre, et vous dites
15 qu'il nous dit que le général Pavkovic essayait de se faire un nom. Ma
16 question à ce sujet repose sur ce doute. Je doute qu'un général...
17 M. le Président (interprétation): Et vous vous relancez dans un nouveau
18 discours! Premièrement, peu importe la manière dont vous apparaissent les
19 éléments de preuve. Ce qui importe, c'est ce que le témoin dit; ce que
20 vous en pensez n'a aucune importance. Alors, quelle est votre question?
21 Vous avez posé une question au sujet du général Pavkovic qui essayait de
22 se faire un nom.
23 Est-ce que quelqu'un vous a dit quelque chose allant dans ce sens, mon
24 Colonel?
25 M. Crosland (interprétation): Oui, effectivement, lors des deux
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1 discussions que j'ai eues, le 3 octobre et le 5 novembre, avec
2 l'ambassadeur, c'était effectivement le sentiment au sein de l'état-major
3 général: on avait l'impression que le général Pavkovic agissait en dehors
4 de la filière hiérarchique normale et qu'il avait des contacts directs
5 avec Belgrade, avec MM. Sainovic et Milosevic.
6 M. le Président (interprétation): Oui.
7 M. Milosevic (interprétation): Je vous en prie. Je vais vous poser cette
8 question à vous en tant qu'officier de carrière. Est-il donc possible
9 qu'il n'y ait pas des rapports qui soient établis sur tout ce que fait
10 l'armée sur le terrain? D'après les réglementations de service, d'après
11 les réglementations qui disposent, qui régulent le fonctionnement de
12 l'armée, lorsqu'il s'agit de la protection de la frontière, de la
13 protection des moyens de communication, de lutte contre le terrorisme, de
14 lutte contre les groupes de sabotage, est-ce que vous pensez véritablement
15 que le commandant d'une unité de l'armée quelle qu'elle soit et le
16 commandant de l'armée même, chaque fois qu'on tire sur ses soldats, chaque
17 fois qu'un poste frontalier fait l'objet d'une attaque, chaque fois qu'il
18 y a un passage frontalier; est-ce que l'on peut penser, dans ces
19 circonstances, que chaque fois on va aller demander à l'état-major général
20 s'il convient toujours continuer à protéger les frontières, à protéger les
21 unités, à protéger les lignes de transmission et à réagir aux groupes de
22 sabotage? Est-ce que vous pensez que c'est seulement après avoir reçu les
23 ordres de l'état-major général que l'unité en question peut agir? Est-ce
24 que c'est ce que vous êtes en train de nous dire?
25 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, ce que vous dites est
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1 complètement faux. Je n'ai jamais dit qu'un commandant qui se trouve sur
2 le terrain ne peut pas utiliser sa propre initiative. Bien entendu que le
3 commandant de la 3e Armée de Nis, le général Pavkovic, devait utiliser son
4 initiative!
5 Mais ce qui a été indiqué par votre état-major général, aussi bien du côté
6 du chef de la défense que du chef des renseignements, c'est que ceci se
7 passait en dehors de leur chaîne de commandement, pour répondre à votre
8 question; c'est-à-dire qu'ils avaient l'impression qu'ils ne contrôlaient
9 rien de ce qui se passait au Kosovo, aussi bien celui qui était
10 responsable de l'état-major de la défense que celui qui l'était du
11 renseignement. Il faut leur poser la question à eux-mêmes. Mais ce qu'ils
12 m'ont dit tous ces gens-là c'est qu'ils avaient l'impression que le
13 général Pavkovic agissait différemment. Voici ce qui a été dit.
14 Bien entendu, un commandant, quand il se trouve sur le terrain, doit avoir
15 la possibilité de réagir à la situation telle qu'elle se présente, face à
16 lui. Je n'ai jamais rien dit qui allait dans le sens contraire.
17 Question: Est-ce qu'il est clair que cette réaction à ce qui se passe sur
18 le terrain doit être et allait dans le sens des ordres donnés dans le
19 cadre de la filière hiérarchique? Est-ce que cela ne pouvait pas se passer
20 en dehors de la filière hiérarchique, faute de quoi il aurait dû en subir
21 les conséquences puisqu'il devait faire rapport de toutes ces activités?
22 Moi je maintiens que le général Pavkovic n'agissait nullement en dehors de
23 la filière hiérarchique, qu'il ne dépassait nullement ses compétences et
24 son habilitation, en dépit des propos que vous affirmez que Dimitrijevic
25 et Perisic vous aient tenus.
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1 Réponse: Monsieur Milosevic, dans ces conditions, vous-même et le général
2 Pavkovic devez être responsables de ce qui s'est passé au Kosovo; ceci
3 impliquait la destruction d'une bonne partie de la population civile et de
4 l'infrastructure du Kosovo.
5 M. Milosevic (interprétation): Bien. Monsieur Crosland, est-ce que vous
6 pensez qu'il est probable -et je vous pose la question parce que moi je
7 pense que c'est impossible et peu probable- que des généraux qui se
8 trouvent au sein de l'état-major général -vous avez parlé du chef de
9 l'état-major de la défense et du chef des services des renseignements-,
10 est-ce qu'il est possible qu'avec vous, vous un étranger, vous un colonel,
11 colonel d'une armée étrangère, que des hommes qui occupaient de telles
12 positions vous parlent d'un de leurs collègues, le chef de la 3e Armée du
13 Corps de Pristina? Est-ce que vous pensez probable qu'ils vous tiennent de
14 tels propos en vous disant que cet homme essayait de se faire un nom?
15 M. le Président (interprétation): Mais, Monsieur Milosevic, en fait vous
16 ne comprenez rien. C'est exactement ce que le témoin vous dit, peu importe
17 que vous disiez que c'est peu probable ou pas, c'est ce qu'il vous dit. Si
18 vous affirmez que le témoin ne dit pas la vérité, bien entendu, vous
19 pouvez le confronter à cette allégation, mais cela ne sert à rien de dire
20 que ce n'est pas probable. Lui, il dit que c'est cela qui s'est passé. Si
21 vous souhaitez le contester, vous pouvez le faire. Le témoin pourra
22 répondre.
23 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, justement c'est tellement
24 improbable que je demande au témoin s'il vient de l'inventer ou si c'est
25 bien l'impression qu'il a eue.
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1 M. Crosland (interprétation): Je vous rappelle que je suis sous serment;
2 j'ai donné plusieurs déclarations dans lesquelles j'ai dit exactement ce
3 qui se passait. Je me rappelle que le 5 novembre, lors d'une réunion avec
4 le général Dimitrijevic, avec mon ambassadeur, de nouveau, celles-ci ont
5 été répétées et on a dit que les choses n'étaient pas comme elles le
6 devraient. Je pense que si vous voulez avoir la réponse à cette question,
7 il faut demander au général concerné ce qu'il en était.
8 Vu les bonnes relations que j'avais avec la Vojska Jugoslavije et ce que
9 j'ai fait pour cette armée, en aidant à sauver la vie de six soldats lors
10 de l'évacuation du Kosovo, pendant une opération d'évacuation, j'ai été
11 officiellement félicité par le général Simatovic, car j'ai aidé une
12 brigade à se retirer de la zone. Je vous prie donc de cesser de m'accuser
13 et d'ignorer tout ce qui concerne la Vojska Jugoslavije.
14 Je dois dire que, lorsque je suis retourné à Belgrade en 2001, j'ai été
15 reçu très chaleureusement par l'état-major de votre armée, la Vojska
16 Jugoslavije.
17 M. Milosevic (interprétation): Bien, Monsieur Crosland. J'imagine que vous
18 connaissez parfaitement la doctrine de défense britannique, vous êtes
19 soldat de l'armée britannique. L'un des éléments de cette doctrine a trait
20 à la protection de territoires dépendants du pays, même s'ils sont à des
21 dizaines de milliers de kilomètre de là.
22 Est-ce que votre pays n'a pas déployé ses forces à d'innombrables
23 reprises, non seulement dans un but de lutter contre le terroriste mais
24 aussi pour protéger ces territoires?
25 M. le Président (interprétation): Cette question n'a aucune pertinence.
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1 M. Milosevic (interprétation): Ma question est la suivante: comment un
2 membre de cette armée peut-il considérer que l'armée yougoslave n'aurait
3 pas dû participer à la lutte contre le...
4 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous n'avez pas
5 compris ce que veut dire le témoin dans sa déposition. J'ai déjà insisté
6 pour vous expliquer de quoi il s'agit et je vais le refaire.
7 Le témoin nous dit que la destruction entraînée par l'emploi de
8 l'artillerie contre les villages constituait une réaction disproportionnée
9 de la part de vos forces à l'encontre de l'UCK. Voilà ce que nous dit le
10 témoin, et c'est l'essentiel même de ce procès, or il semble que vous
11 n'ayez pas saisi cela.
12 M. Milosevic (interprétation): Eh bien, je pense que j'ai saisi ce point
13 absolument essentiel avec l'exemple de Prilep, un endroit qui était
14 fortifié. Il y avait des murs de béton, c'était une fortification dont
15 l'objectif était d'interrompre les principaux axes de communication.
16 Vous, en tant que soldat, est-ce que vous considérez que l'élimination de
17 cette forteresse qu'était devenue Prilep, de ce point d'obstruction, que
18 cela peut se faire sans faire usage des armes d'infanterie, sans utiliser
19 l'artillerie? Et combien de victimes et de pertes cela peut-il entraîner?
20 Parlez, répondez en tant que soldat professionnel, allez-y.
21 M. Crosland (interprétation): Merci, Monsieur Milosevic. La zone de Prilep
22 était un bastion de l'UCK; vos forces l'ont attaqué à de très nombreuses
23 reprises lorsque j'étais présent dans la zone. Est-ce qu'ils ont réussi à
24 tenir cette position? Non. Non, parce que vous avez utilisé les mauvaises
25 tactiques, en l'occurrence.
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1 On peut raser un village, vous l'avez fait à plusieurs reprises. On peut
2 chasser sa population, mais au bout de quelques heures la population
3 revient et, dans de très nombreux cas, la population est revenue parce
4 qu'elle n'avait aucun endroit où aller.
5 Ce que je dis, c'est que les dispositions qui ont été prises par vos
6 forces au Kosovo étaient complètement inappropriées. Au début, il y avait
7 très peu de terroristes. Leur nombre a augmenté. Ensuite, ces terroristes
8 ont réussi à tenir en respect des forces qui étaient beaucoup plus
9 nombreuses.
10 Si les opérations avaient été menées d'une manière plus professionnelle,
11 je crois que l'issue aurait été différente. Mais si on se contente ou on
12 persiste à utiliser une tactique qui consiste à tout détruire, en disant
13 que tout ce qu'on détruit concerne l'armée de libération du Kosovo, eh
14 bien, cela signifie que l'on utilise des renseignements qui ne sont pas
15 très appropriés.
16 Quand on détruit la population civile, on crée inévitablement un soutien
17 en faveur des organisations terroristes. Ceci, on l'a vu très clairement
18 en Irlande du Nord. Il nous a fallu 35 ans pour arriver à lutter contre
19 l'IRA et pour en arriver à une initiative partiellement politique; c'est
20 ce qui manquait totalement au Kosovo, et le Kosovo ne fait toujours pas
21 partie de la Serbie puisque l'on a…, je pense que c'est toujours la
22 vengeance qui est dans l'air du temps.
23 M. le Président (interprétation): Ne nous étendons pas de cette manière.
24 Continuons.
25 M. Milosevic (interprétation): Bien. Vous avez vous-même parlé de Prilep.
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1 Est-ce que l'ouverture de ligne de transmission et de communication
2 constitue un objectif légitime?
3 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, j'ai parlé à votre état-
4 major général, j'ai demandé à un de vos colonels qui a été tué au Kosovo:
5 pourquoi vous n'aviez pas ouvert trois canaux de communication dans le
6 Kosovo? Et il m'a regardé en me disant que ce n'était pas des positions
7 importantes. Que dire de plus? Je pense que, si les opérations avaient été
8 menées de manière plus professionnelle, vous auriez obtenu de meilleurs
9 résultats parce qu'en fait on voyait l'influence albanaise augmenter dès
10 que vos troupes se retiraient vers d'autres endroits. Je ne sais pas
11 pourquoi elles le faisaient. Ce serait une question qu'il conviendrait que
12 vous posiez à vos propres généraux.
13 Question: Ce village de Prilep, Monsieur Crosland, il a été vidé de sa
14 population civile et transformé en bastion de l'UCK afin de bloquer la
15 principale voie de communication. Est-ce que vous le savez ou non?
16 Réponse: Monsieur Milosevic, je suis allé je ne sais combien de fois sur
17 cette route, je suis allé de Djakovica à Decani, Pec, etc.; et il
18 m'arrivait souvent de suivre le camion qui amenait de la bière sur les
19 positions de vos soldats, pour leur remonter le moral apparemment.
20 Prilep était indéniablement un bastion de l'UCK, je vous l'ai dit à
21 plusieurs reprises mais je pense que le fait d'avoir rasé ce village n'a
22 fait que renforcer la résistance dans cette zone. Et est-ce que vous avait
23 fini par remporter cette victoire? Je dis que non.
24 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, il ne vous reste que
25 cinq minutes.
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1 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, nous avons ici le contre-
2 interrogatoire d'un témoin qui fait des affirmations tous azimuts et qui
3 portent sur beaucoup de sujets. Je ne peux pas véritablement le contre-
4 interroger dans le temps qui m'est imparti. Je n'ai pas le choix mais, en
5 tout cas, c'est un exemple très frappant. J'ai encore 50 questions à poser
6 à ce témoin, je n'aurais pas la possibilité de le faire mais, bon, peu
7 importe.
8 Monsieur Crosland, vous affirmez qu'après l'accord qui a été convenu entre
9 moi-même et Holbrooke, l'armée s'est retirée conformément à l'accord
10 conclu, et deux ou trois plus tard elle est revenue sur ces positions.
11 Est-ce bien exact?
12 M. Crosland (interprétation): Oui, c'est tout à fait exact, Monsieur
13 Milosevic. J'y étais lorsque les trois groupes de combat se sont retirés
14 vers Pristina, Urosevac et Prizren. J'ai informé les autorités que si la
15 KDOM, par exemple, ne se rendait pas sur place, eh bien, l'UCK allait
16 remplir ce vide. J'ai donc prononcé cet avertissement. Je savais que la
17 situation était fluctuante au Kosovo à l'époque, mais je ne peux pas
18 assumer une responsabilité pour ce que d'autres ont fait. J'ai fait un
19 rapport, il était de mon devoir ...
20 Question: Ecoutez, ce n'est pas ce que je vous demande. Jusqu'à présent,
21 tout le monde a constaté que nous avons respecté cet accord, que nous
22 avons réduit nos forces, que nous avons retiré nos forces. C'est la
23 première fois que j'entends dire de votre part que nous avons violé
24 l'accord et que, en fait, nous avons triché, que nous avons soi-disant
25 retiré nos forces pour les ramener deux jours plus tard. Mais enfin, si
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1 cela était vrai, cela figurerait dans les rapports de la Mission de
2 vérification; elle aurait dit que nous avons fait revenir les forces
3 antérieurement retirées. Même le général Naumann qui est venu déposer ici,
4 a dit que nous avions par exemple 500 policiers de plus, donc 5%. Mais,
5 enfin, même si c'était vrai, cela ne constituerait que 5%. Comment est-ce
6 que cela peut être vrai ce que vous êtes en train de déclarer: que nous
7 avons, dans le dos de la Mission de vérification, ramené des forces. C'est
8 cela?
9 Réponse: C'est exact, Monsieur Milosevic. Votre VJ s'est retirée, comme je
10 l'ai indiqué, dans leur caserne, c'est tout à fait exact. D'autres
11 éléments se sont également retirés mais, en l'espace d'une semaine, moi-
12 même j'ai vu de nombreuses forces du MUP revenir sur place. Si la KVM n'a
13 pas vu cela, c'est peut-être parce qu'elle s'était déjà retranchée dans
14 ces quartiers. Nous travaillons de longues heures et nous ne sommes pas
15 idiots, nous savons qu'il y a certaines personnes qui se déplacent sous
16 couverture de la nuit. Peut-être que la KVM n'a pas observé cela. Je ne
17 peux pas vous le dire pour ce qui les concerne, mais je suis tout à fait
18 prêt à dire sous serment, sans ambiguïté, que le MUP s'était retiré et
19 puis est revenu avec des effectifs aussi grands peu à près. Je reconnais
20 que la VJ s'est retirée dans sa caserne, et je l'admets donc.
21 Question: Eh bien, à ce moment-là, savez-vous que, précisément,
22 conformément à cet accord, les forces du MUP, à ce moment-là, étaient
23 celles prévues par l'accord? Aviez-vous l'obligation de coopérer avec la
24 Mission de vérification puisqu'il y avait aussi la KDOM britannique, etc.?
25 Comment cela se fait-il que vous n'avez jamais attiré leur attention sur
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1 ce fait, à savoir que trois jours plus tard, les forces du MUP étaient de
2 retour? Pourquoi cela ne figure pas dans le rapport? Pourquoi vous avez
3 entendu l'an 2002 pour nous le dire?
4 M. Crosland (interprétation): Monsieur Milosevic, c'est tout à fait
5 inexact. La KDOM britannique était basée Prizren; comme vous le savez,
6 c'est du côté ouest du Kosovo. Le retrait du MUP, c'était aux alentours de
7 Prizren, vers Podujevo et Nis; donc c'est la route qu'ils ont empruntée.
8 Notre base n'était pas loin de Kosovo Polje, et c'est là que nous avons pu
9 voir ces gens entrer et sortir. Cela n'avait rien à voir avec la KDOM
10 britannique parce qu'ils n'étaient pas responsables de cette zone. Les
11 personnes responsables étaient à Pristina, la zone de Podujevo. Alors, ce
12 qu'ils ont vu ou pas, je n'en sais rien; ce qu'ils ont dit, je n'en sais
13 rien. Mais j'ai fait ce que j'avais à faire, j'ai fait mes rapports et ces
14 rapports ont été soumis en tant que déposition sous serment.
15 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, votre dernière
16 question.
17 M. Milosevic (interprétation): C'était ma dernière question ou je peux en
18 poser encore une?
19 M. le Président (interprétation): Vous pouvez en poser encore une.
20 M. Milosevic (interprétation): Monsieur Crosland, nous avons cité ici les
21 propos tenus à la réunion chez vous à Londres. Monsieur Cook y a assisté,
22 ainsi que des hauts fonctionnaires. Et il est constaté, lors de cette
23 réunion, que la plupart des violations du cessez-le-feu sont le fait des
24 membres de l'UCK.
25 Je suis en droit de supposer que cela figure également dans vos rapports,
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1 et non seulement dans les rapports de la Mission de vérification. Je
2 suppose que votre Gouvernement s'informe auprès également du ministère de
3 l'Extérieur, n'est-ce pas, et de la Défense, et non seulement de votre
4 part?
5 M. Crosland (interprétation): Bien entendu, notre Gouvernement reçoit des
6 rapports émanant de toute une série d'agences. Et l'affirmation selon
7 laquelle la plupart des attaques ont été lancées par l'UCK, c'est possible
8 que ce soit exact; on respecte cela. Mais pour le retour de vos forces,
9 heureusement…
10 M. le Président (interprétation): Je ne pense pas que nous devrions
11 poursuivre sur cette lancée.
12 Monsieur Wladimiroff, des questions?
13 M. Wladimiroff (interprétation): Non.
14 M. Ryneveld (interprétation): Nous n'avons pas de questions
15 supplémentaires à poser.
16 M. le Président (interprétation): Colonel Crosland, nous vous remercions
17 d'être venu témoigner devant ce Tribunal. Votre déposition prend fin et
18 vous êtes libre de partir.
19 La Chambre va suspendre l'audience pendant 25 minutes.
20 (Le témoin, M. John Harry Crosland, est reconduit hors du prétoire.)
21 (L'audience, suspendue à 11 heures 55, est reprise à 12 heures 23.)
22 (Audience publique.)
23 (Questions relatives à la procédure.)
24 M. le Président (interprétation): Oui, Monsieur Ryneveld?
25 M. Ryneveld (interprétation): Avant d'appeler à la barre le Dr Baccard,
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1 qui va d'ailleurs déposer très brièvement, j'aimerais aborder quelques
2 questions d'intendance ou d'administration assez urgentes, en ce sens
3 qu'elles ont trait au témoin suivant.
4 Tout d'abord, je voudrais indiquer à la Chambre que l'accusation a
5 l'intention d'appeler M. Karleusa en direct, donc de vive voix. Je crois
6 que la Chambre a pu voir sa déclaration ainsi que celle de M. Radojkovic,
7 que nous allons appeler conformément à l'Article 92bis. Vous avez sans
8 doute pu déceler qu'il y a chevauchement dans ces deux témoignages. Donc
9 je voulais simplement informer la Chambre que nous allions procéder de la
10 sorte, avec l'autorisation de la Chambre, bien entendu.
11 Je voulais vous dire aussi que le Témoin K32: vous avez peut-être sous les
12 yeux une requête visant à ce que ce témoin dépose conformément à l'Article
13 92bis mais, réflexion faite, je vais appeler ce témoin. Et en raison de la
14 nature même de son témoignage, je crois qu'il conviendrait plutôt qu'il
15 témoigne de vive voix, si la Chambre en décide ainsi.
16 Enfin, et peut-être la question la plus urgente: après le Dr Baccard –je
17 crois que son témoignage ne va durer qu'un quart d'heure-, sur la liste
18 vous avez ensuite Merita Dedaj et Merfidete Selmani. Nous avons donc fait
19 une requête pour que ces témoins soit entendus conformément à l'Article
20 92bis. Je ne sais pas si une décision a été rendue.
21 M. le Président (interprétation): Non, une décision n'a pas encore été
22 rendue parce que nous ne savions pas que ces témoins allaient être appelés
23 tout de suite. L'ordre prévu a ainsi été modifié, Monsieur Ryneveld?
24 M. Ryneveld (interprétation): Oui, c'est vrai, c'est de notre faute et je
25 m'en excuse. Cela tient au fait que… Nous avons dû modifier donc l'ordre
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1 des témoins, raison pour laquelle nous sollicitions la permission de la
2 Chambre de les appeler à la barre en application de l'Article 92bis. Je ne
3 suggère pas que la Chambre a tardé à rendre une décision mais, simplement
4 pour que nous puissions procéder ainsi, je dois attirer votre attention
5 sur ce point.
6 M. le Président (interprétation): Oui, nous y réfléchirons une fois que
7 nous aurons entendu le Dr Baccard.
8 Mais pour en venir à un autre point, puisque nous attendons encore le
9 témoin, nous sommes d'accord pour que l'interrogatoire principal de M. Coo
10 ait lieu avant les vacances et le contre-interrogatoire aura lieu après
11 les vacances.
12 Pour ce qui est de la déclaration de Marjan Krasniqi, et son rapport avec
13 Suva Reka ainsi que le témoignage de Shyrete Berisha, l'accusé a demandé
14 le versement au dossier de la déclaration qui a été enregistrée à des fins
15 d'identification. La requête consiste maintenant à ce que cette
16 déclaration fasse partie des éléments de preuve de l'accusation,
17 conformément à la Règle 92bis.
18 Monsieur Milosevic, vous avez entendu ce que j'avais à dire concernant la
19 déclaration de Marjan Krasniqi, dont vous avez demandé qu'elle soit versée
20 au dossier. Une autre requête a maintenant été faite visant à ce qu'elle
21 soit versée au dossier en application de l'Article 92bis. C'est donc
22 l'accusation qui a formulé cette requête. Monsieur Milosevic, est-ce que
23 vous avez quelque chose à dire à ce propos?
24 M. Milosevic (interprétation): Vous savez quelle est ma position: de
25 manière générale, chaque témoin doit subir le contre-interrogatoire.
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1 M. le Président (interprétation): Très bien, nous allons en tenir compte.
2 Est-ce que nous pouvons faire entrer le témoin?
3 M. Ryneveld (interprétation): Oui. J'espère que l'huissier est allé
4 chercher le Dr Baccard. Le voilà.
5 (Le témoin, M. Eric Baccard, est introduit dans le prétoire.)
6 M. le Président (interprétation): Docteur Baccard, merci d'être revenu. Il
7 n'est pas nécessaire de prêter serment puisque vous êtes toujours sous
8 serment; vous l'avez déjà prêté une fois. Veuillez prendre place.
9 (Le témoin s'exécute.)
10 (Interrogatoire supplémentaire de M. Eric Baccard, par M. Ryneveld.)
11 M. Ryneveld (interprétation): En attendant, j'aimerais simplement dire à
12 la Chambre ou lui indiquer l'emplacement, le lieu auquel ce témoignage se
13 rapporte. Il s'agit de Cirez, page 6 de l'atlas du Kosovo n°2; au centre
14 de la page, vous voyez sur la gauche, dans la colonne de gauche un chiffre
15 5 et le chiffre 90 en haut à l'intersection du 90 et du 5. A peu près à un
16 centimètre à droite de cette intersection, vous y voyez "Cirez", C-I-R-E-
17 Z. Et la déposition que nous allons entendre a trait à ce village.
18 M. le Président (interprétation): Merci.
19 M. Ryneveld (interprétation): Docteur Baccard, au terme de votre dernier
20 jour de déposition, on vous a demandé de passer en revue les rapports
21 médico-légaux de l'équipe française concernant certaines personnes qui ont
22 été trouvées dans trois puits dans le village de Cirez au Kosovo. Est-ce
23 bien exact?
24 M. Baccard: Oui, c'est exact.
25 Question: Je n'ai pas eu de réponse, le micro ne fonctionnait pas
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1 Réponse: Je répondais de façon affirmative à votre question.
2 Question: Merci beaucoup de cette réponse.
3 De quelles informations disposiez-vous afin de pouvoir passer en revue ces
4 rapports d'autopsie et formuler une opinion à leur sujet ou de formuler
5 une opinion aujourd'hui même à ce prétoire?
6 Réponse: Le matériel que j'ai utilisé qui m'a été communiqué était contenu
7 dans un classeur dénommé "sexual assaults" portant la référence K1054 à
8 K1062 et qui comprenait les rapports d'autopsie établis par le Pr
9 Dominique Lecomte et le Dr Vorhauer, ainsi que les rapports d'examen de
10 scène de crimes qui avaient été rédigés par l'équipe dirigée par le
11 commissaire divisionnaire Gaillardon.
12 Question: Monsieur l'huissier, est-ce que vous voudriez bien soumettre au
13 témoin ce classeur que voici?
14 (Intervention de l'huissier.)
15 Très brièvement, Docteur Baccard, s'agit-il là du classeur que vous venez
16 de nous indiquer que l'on vous a montré? Est-ce que ce classeur contient
17 les informations que vous avez utilisées afin de préparer votre rapport?
18 Réponse: Oui, c'est exact.
19 M. Ryneveld (interprétation): J'aimerais demander le versement de ce
20 classeur en tant que pièce à conviction, si vous m'y autorisez. Des copies
21 en ont été distribuées, mais je crois qu'en fait, les classeurs nous ont
22 ensuite été restitués, donc il faudrait donner une nouvelle cote à ce
23 classeur?
24 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 261.
25 M. Ryneveld (interprétation): Merci.
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1 Docteur Baccard, très brièvement, pouvez-vous dire à cette Chambre quel
2 était le sujet de ce rapport d'autopsie? C'est-à-dire combien de personnes
3 et quelles étaient les circonstances, d'après ce que vous savez, ce que
4 vous croyez?
5 M. Baccard (interprétation): D'après les documents qui m'ont été soumis,
6 il s'agissait d'opérations d'exhumations et d'autopsies qui ont été
7 réalisées par l'équipe médico-légale française durant les 2 et 3 juillet
8 1999 et qui concernaient huit victimes de sexe féminin qui ont été
9 extraites de trois puits: quatre femmes se trouvaient dans le puits n°1,
10 une femme dans le puits n°2 et trois autres femmes dans le puits n°3.
11 Question: Encore une fois, très brièvement Monsieur, dans les rapports
12 d'autopsie, est-ce que ces personnes se sont vu attribuer des numéros
13 particuliers? Est-ce qu'on leur a attribué des numéros pour pouvoir
14 distinguer entre les différentes données afférentes à ces personnes?
15 Réponse: C'est exact. Chacune de ces victimes s'est vu attribuer un numéro
16 de code avec plusieurs lettres, "SI" pour Cirez, "P" pour puits, "well" en
17 français, et "C" pour corps, c'est-à-dire "body" en français.
18 Les puits étant numérotés de 1 à 3 puisqu'il y avait trois puits : SIP1,
19 SIP2, SIP3, et les corps numérotés de 1 à 4 pour le maximum de ces
20 victimes de C1 à C4.
21 Question: Pour être sûr de vous avoir bien compris: si on voit SIP1C1,
22 cela s'entendrait du SIP1, c'est le premier puits si j'ai bien compris,
23 puis C1 désigne le premier corps retrouvé dans ce premier puits. Est-ce
24 bien exact?
25 Réponse: C'est exact.
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1 Question: Très bien. Monsieur, les médecins légistes ont-ils pu déterminer
2 l'âge de ces différentes personnes, leur âge respectif des personnes
3 exhumées de ces trois puits?
4 Réponse: Oui, cet âge a été déterminé, les victimes ayant été également
5 identifiées par les proches, ces âges s'étalaient de 18 ans à 60 ans.
6 Question: Et si vous ne nous l'avez pas encore dit, quel était le sexe de
7 ces personnes dans les puits?
8 Réponse: Il s'agit...
9 Question: S'agissait-il de femmes?
10 Réponse: Oui, il s'agissait effectivement de huit victimes de sexe
11 féminin.
12 Question: Monsieur, est-ce que les médecins légistes ont pu établir
13 combien de temps ces corps avaient été dans les puits au moment où ils ont
14 été exhumés, donc les 2 et 3 juillet 1999?
15 Réponse: Cette estimation, compte tenu du séjour prolongé dans l'eau, ne
16 peut être qu'approximative, mais les données dont disposaient les médecins
17 légistes français étaient tout à fait compatibles avec un séjour dans
18 l'eau remontant à deux mois et demi.
19 Question: Donc deux mois et demi avant le 2 et 3 juillet, cela voudrait
20 mi-avril 1999 environ?
21 Réponse: Oui, cette approximation peut être acceptée.
22 Question: Monsieur, est-ce que l'autopsie a pu établir la cause du décès,
23 pour l'une ou pour toutes ces femmes?
24 Réponse: Les causes du décès retenues par les médecins légistes français
25 étaient les mêmes pour chacune des victimes : il s'agissait d'une noyade.
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1 Question: Bien. Donc, elles étaient noyées. D'après ce que vous savez,
2 d'après ce que nous savons, ces corps ont été retrouvés dans un puits,
3 est-ce exact? Ou enfin, dans trois puits, pour être plus précis.
4 Réponse: Oui, c'est exact.
5 Question: Et vous nous indiquez, Monsieur, que les symptômes
6 correspondaient à une immersion dans l'eau pendant un certain temps. Donc
7 il y avait de l'eau, dans ces puits?
8 Réponse: Oui, c'est exact.
9 Question: Et juste pour être tout à fait clair, si elles sont mortes
10 noyées, qu'est-ce que cela vous dit concernant le fait de savoir si elles
11 étaient vivantes ou non avant d'avoir été jetées dans le puits? Est-ce que
12 vous pouvez nous dire quelque chose à ce propos?
13 Réponse: Effectivement, et je l'ai mentionné en page 2 de l'addendum que
14 j'ai rédigé le 23 mai 2002, les conclusions de mes confrères médecins
15 légistes français étaient que la cause du décès était une mort par noyade.
16 Il n'est pas précisé, dans ces rapports d'autopsie, si des examens
17 complémentaires ont été réalisés, mais les constatations macroscopiques
18 étaient compatibles avec un décès par noyade. Donc, une mort par…, les
19 personnes ayant été noyées dans le puits.
20 Question: Monsieur, d'après vos connaissances, est-ce que l'on a tenté
21 d'établir si on a pu trouver des éléments de preuve attestant de sévices
22 sexuels commis à l'égard de ces victimes?
23 Réponse: Oui, ceci a été systématiquement recherché par les médecins
24 légistes français. Bien évidemment, l'état de conservation des corps
25 constituait un obstacle à la mise en évidence de ce diagnostic. Mais, dans
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1 deux cas, il a été possible aux experts de répondre par l'affirmative.
2 Deux de ces victimes, les victimes référencées sous les numéros SIP1C1 et
3 SIP1C2 présentaient des signes cliniques qui étaient fortement évocateurs
4 d'agression sexuelle.
5 Question: Est-ce que vous avez-vous même eu l'occasion d'analyser,
6 d'étudier ces photographies et ces rapports d'autopsie? Est-ce que,
7 personnellement, vous avez tiré des conclusions sur la question de savoir
8 si ces rapports d'autopsie étaient exacts, si les conclusions qui figurent
9 dans ces rapports sont exactes?
10 Réponse: Oui, j'ai personnellement examiné et les rapports d'autopsie et
11 les albums de photographies. Et pour répondre à votre question en ce qui
12 concerne les deux victimes: dans le premier cas, la victime SIP1C1,
13 l'existence de signes cliniques associant la présence de sang rouge à
14 l'ouverture…, à l'orifice vulvaire et une lésion à type d'abrasion au
15 niveau de la cuisse gauche étaient évocatrices –évocatrices, j'insiste sur
16 ce terme- d'atteintes de caractère sexuel.
17 Les choses étaient beaucoup plus nettes en ce qui concernait la victime
18 SIP1C2, puisqu'elle présentait également du sang rouge à l'orifice
19 vulvaire, des lésions de violence traumatique au niveau de la face interne
20 de la cuisse droite et de la face externe du tiers supérieur de la jambe
21 gauche, mais également, elle était entièrement dénudée au niveau de la
22 moitié inférieure du corps. Donc, en ce qui concerne ce deuxième cas, le
23 diagnostic d'agression à caractère sexuel était plus qu'évocateur, il
24 pouvait être considéré comme hautement probable.
25 Question: Docteur, sur les huit femmes exhumées de ces puits, vous dites
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1 qu'on a estimé que deux d'entre elles avaient subi de telles agressions
2 sexuelles, sur la base de ce que vous venez de nous dire.
3 En raison de l'état de putréfaction, de décomposition des autres corps, a-
4 t-il été possible de déterminer que ces femmes n'avaient pas été victimes
5 d'agression? Est-il possible qu'elles aient été victimes d'agression ou
6 est-ce que c'est exclu?
7 Réponse: Ainsi que je l'ai dit en préambule, l'état de conservation des
8 corps, qui associait à la fois une putréfaction des tissus mais également
9 un séjour relativement prolongé dans l'eau, a rendu la tâche des experts
10 difficile. Et l'absence de signes cliniques macroscopiques au niveau de la
11 sphère génitale, au niveau des membres inférieurs, type de lésions
12 traumatiques, l'absence de tels signes n'élimine en aucune façon la
13 possibilité de diagnostic d'agression à caractère sexuel.
14 Question: Je vois. Et enfin, Docteur Baccard, vous nous avez soumis un
15 rapport en date du 23 mai 2002. Est-ce bien exact?
16 Réponse: C'est exact.
17 M. Ryneveld (interprétation): Est-ce que nous pourrions demander le
18 versement au dossier de ce rapport?
19 (Intervention de l'huissier.)
20 Une fois que cela sera fait, je crois que j'en aurais terminé avec mes
21 questions.
22 J'aimerais ajouter, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, que je
23 n'ai pas l'intention de soumettre au témoin les photographies, auxquelles
24 le classeur que l'on vient de verser au dossier fait allusion.
25 Si la Chambre le souhaite, je pourrais désigner certaines de ces
Page 8053
1 photographies par des nombres, mais je ne veux pas les mettre sur le
2 rétroprojecteur par respect pour le témoin et les victimes et leur
3 famille.
4 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 262.
5 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, avez-vous des
6 questions à poser à ce témoin concernant le témoignage qu'il vient de
7 faire au sujet de ce rapport?
8 (Contre-interrogatoire supplémentaire du témoin, M. Eric Baccard,
9 par l'accusé M.Milosevic.)
10 M. Milosevic (interprétation): Oui, j'en ai.
11 Monsieur Baccard, savez-vous quelle était la distance qui séparait les
12 puits où on a retrouvé ces corps?
13 M. Baccard: Non, je ne le sais pas. Je l'ai lu sur les rapports d'examens
14 des scènes de crimes, mais je ne peux pas la citer.
15 Question: Ai-je bien compris qu'il est affirmé ici que les femmes à qui
16 appartenaient ces corps retrouvés dans des puits, avaient été détenues en
17 un certain endroit? Est-ce exact?
18 Réponse: Je ne peux pas répondre à cette question qui ne concerne pas le
19 rapport qu'il m'a été demandé de rédiger.
20 Question: En tant qu'expert, pouvez-vous expliquer de manière logique le
21 fait que les corps de ces femmes aient été retrouvés à trois endroits
22 différents, dans trois puits différents?
23 Réponse: Je n'ai pas d'explication concernant la distribution des victimes
24 selon les trois puits.
25 Question: Savez-vous à quel moment le village d'où étaient originaires ces
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1 femmes -pour autant que je puisse le voir, c'est le village de Kozica- a
2 été libéré par les forces de sécurité, autrement dit les forces
3 officielles et légales?
4 Réponse: Non.
5 Question: Vous est-il venu à l'esprit qu'il aurait été approprié de
6 chercher à l'établir puisque cela concerne le temps que vous affirmez que
7 ces victimes ont passé dans ces puits?
8 Réponse: Ce point n'appartenait pas à la mission d'expertise qui m'avait
9 été confiée, et qui consistait à prendre connaissance de rapports
10 d'autopsie établis par les médecins légistes français et de rapports
11 d'examens de scènes de crimes.
12 M. Milosevic (interprétation): Savez-vous à laquelle des parties
13 belligérantes appartenaient ces douilles d'obus de 105 millimètres qui ont
14 été retrouvées à proximité des puits de Cirez?
15 M. Baccard: C'est étranger...
16 M. le Président (interprétation): Cela ne fait pas partie du rapport du
17 témoin.
18 M. Milosevic (interprétation): Monsieur May, je tiens à attirer votre
19 attention sur le fait que, dans l'addendum du rapport, on voit que M.
20 Baccard affirme avoir pris connaissance des examens de scènes de crimes
21 menés par M. Dominique Gaillardon, inspecteur -si j'ai bien prononcé son
22 nom-, donc cela fait bien partie de son rapport. Et je vois également le
23 document qui vient de nous être distribué...
24 M. le Président (interprétation): Cela ne fait pas partie de son travail
25 d'expert.
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1 M. Milosevic (interprétation): Bien, Monsieur May.
2 Alors, savez-vous quelle était la hauteur de cette paroi, de cette
3 margelle du puits qui était en bois ou en béton?
4 M. Baccard: De quel puits? Cette précision doit figurer dans le rapport
5 d'examens de scènes de crimes.
6 Question: C'est ce que je vois lorsque je regarde ces photographies!
7 Alors, avez-vous tenu compte, puisque c'était cela votre tâche d'examiner
8 également la scène in situ, avez-vous cherché à évaluer la hauteur de
9 cette margelle? Parfois, on a l'impression que c'est en béton, à d'autres
10 endroits en bois.
11 Réponse: Je n'avais pas pour tâche d'examiner in situ les puits, mais de
12 prendre connaissance de rapports d'autopsies et de rapports d'examens de
13 scènes de crimes. Je me suis donc limité à ce qui était la mission qui
14 m'était confiée. Mais ceci est dans le rapport d'expertise fait par le
15 commissaire Gaillardon et son équipe.
16 Question: Eh bien, Monsieur Baccard, il n'y a qu'à l'instant que j'ai reçu
17 ce classeur avec les photographies où l'on voit les puits en question.
18 J'ai eu beaucoup de moins de temps pour les examiner que vous n'en avez
19 eu. J'ai pu voir que ces margelles étaient soit en béton soit en bois et
20 j'ai vu qu'elles étaient assez hautes.
21 On voit, par ces détails, qu'au bord de ces margelles on aurait pu être
22 blessé. Donc je veux savoir quel genre de blessure peut être entraînée par
23 le contact du corps avec ces parois, puisque vous constatez l'état des
24 blessures à l'endroit où elles ont été occasionnées ou faites. Eh bien, on
25 vous a probablement demandé quel genre de blessure pouvait provoquer ces
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1 bords, ces parois?
2 Réponse: De façon générale, je répondrai que le type de blessure qui peut
3 être provoquée par un traumatisme du corps contre des margelles en béton
4 ou en bois sont des blessures qui sont en général superficielles. Il
5 s'agit d'abrasions cutanées.
6 Question: Eh bien, vous venez de dire que la partie intérieure de la
7 cuisse présentait des blessures. Je veux savoir si au moment où l'on
8 chercherait par exemple à sauter par-dessus ce genre de margelle, cela
9 pouvait provoquer ce genre de blessure? Parce que l'on voit qu'il s'agit
10 d'une margelle assez haute dont les bords sont tranchants.
11 Réponse: Chaque dermabrasion est importante à considérer en fonction
12 également de sa localisation. La localisation à la face interne des
13 cuisses peut être rattachée éventuellement à d'autres traumatismes, mais
14 lorsqu'elle figure dans un cortège de symptômes qui associent la présence
15 de sang rouge à l'orifice vulvaire et au fait que le bas du corps, la
16 moitié inférieure du corps est dénudée, l'interprétation est tout autre.
17 Question: Eh bien, mais vous excluez alors… Puisque si j'ai bien compris
18 -procédons dans l'ordre- vous avez conclu que ces femmes sont mortes par
19 noyade dans ces puits. Est-ce exact?
20 Réponse: Je n'ai pas conclu. J'ai pris connaissance des rapports
21 d'autopsie dans lesquels mes collègues ont conclu à un décès par noyade.
22 J'ai jugé que la comparaison des rapports d'autopsie et des photographies
23 était également compatible avec ce diagnostic.
24 Question: Puisqu'il y a de l'eau au fond du puits. Mais excluez-vous la
25 possibilité que la victime, par exemple, cherchait à se mettre à l'abri, à
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1 se cacher, qu'elle a sauté par-dessus la margelle, qu'au moment où il y a
2 eu contact avec ces bords coupants il y a eu des abrasions à l'intérieur
3 de la face interne des cuisses et que, par la suite, il y a eu noyade? Par
4 exemple, personne n'aurait précipité la personne en question dans ce
5 puits? Théoriquement, acceptez-vous cette possibilité?
6 Réponse: Il est possible effectivement d'avoir cette hypothèse, mais cela
7 n'explique pas la présence de sang rouge au niveau de l'orifice vulvaire.
8 Question: Bien. Savez-vous quelle est la surface de l'intérieur, donc de
9 la paroi du puits, à commencer par le haut de la margelle jusqu'en bas?
10 Est-ce qu'il y a des aspérités, des irrégularités au niveau de la surface
11 de ces parois?
12 Réponse: D'après les photographies que j'ai vues, il semble exister des
13 aspérités, des irrégularités, à la face interne des puits.
14 Question: Dites-moi alors quel genre de blessure peut provoquer ces
15 aspérités ou ces irrégularités?
16 Réponse: Tout dépend de l'importance du traumatisme que subit le corps
17 contre ces aspérités. Cela peut aller d'abrasions cutanées jusqu'à des
18 plaies ou des fractures en fonction de la violence du traumatisme.
19 Question: Oui mais, compte tenu des dimensions, enfin, de la surface que
20 je vois ici sur les photographies, je suppose que vous avez relevé les
21 dimensions. Il s'agit de puits qui sont très étroits, donc ils ne sont pas
22 larges, très étroits, alors quel genre de blessure, à votre avis, peut
23 être provoqué sur un corps? Est-ce que cela ressemble aux blessures que
24 vous avez constatées sur les corps? Supposons que la personne ait sauté
25 par-dessus la margelle afin de se cacher, de se mettre à l'abri, ou bien
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1 même supposons une tentative de suicide, donc l'intention de se suicider,
2 alors est-ce que la personne en question aurait pu subir les traumatismes
3 que vous avez constatés? Ou bien excluez-vous cette possibilité?
4 Réponse: En ce qui concerne la relation entre les blessures et le puits
5 lui-même, cette relation a été étudiée et suggérée par le rapport
6 d'autopsie des experts français. Dans un cas, il s'agissait de la victime
7 SIP2C1 qui présentait donc une plaie du cuir chevelu au niveau de la
8 région frontale; et les experts ont noté également la présence à
9 l'intérieur du puits de traces de sang sur la paroi de ce puits.
10 Question: Et sur quelle partie du corps devrait se retrouver ces
11 traumatismes si la personne a sauté d'elle-même de son propre chef par-
12 dessus la margelle, quelles qu'aient été ses intentions de se mettre à
13 l'abri par exemple? Et en comparaison de cela, quels auraient été les
14 traumatismes si la personne avait été précipitée par quelqu'un dans ce
15 puits? Je veux donc savoir: compte tenu des dimensions du puits, quelles
16 seraient les différences entre les deux cas de figure?
17 Réponse: Tout dépend de la position de la victime lorsqu'elle passe dans
18 le puits: si elle arrive tête la première ou si elle est précipitée ou
19 saute les pieds les premiers. En ce qui concernait ce cas, il s'agissait
20 donc d'une plaie au niveau du front.
21 Question: Bien. Cela peut concerner l'une des victimes où on a constaté un
22 traumatisme du cuir, au niveau du cuir chevelu et de la région frontale.
23 Mais, dites-moi, par rapport au traumatisme que vous avez décrit, est-ce
24 que, si ces victimes avaient été précipitées dans le puits, le traumatisme
25 n'aurait pas été plus grave, ou le cas théorique, l'hypothèse que je vous
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1 ai présentée il y a un instant?
2 Réponse: En ce qui concerne les lésions d'abrasion cutanée notées à la
3 face interne des cuisses, il apparaît infiniment peu probable que ces
4 lésions aient été provoquées par une chute puisque, se trouvant à la face
5 interne des cuisse, il s'agit d'une région anatomiquement protégée lors de
6 la chute, surtout dans un puits qui est étroit. Il y a également, dans …
7 Ceci concerne donc les deux victimes chez lesquelles ont été suspectés les
8 cas d'agression sexuelle.
9 Il y a également d'autres lésions traumatiques qui ont été notées chez
10 cinq autres victimes, qui sont constituées de fractures de côtes, qui ont
11 été provoquées avant le décès. Ceci concerne les victimes qui sont
12 énoncées en bas de page du rapport, en bas de la première page SIP1C1,
13 SIP2C1, SIP3C1, SIP3C2, SIP3C3; ces victimes présentaient des fractures de
14 côtes provoquées avant le décès.
15 Question: Bien, mais je vous ai demandé autre chose. Vous parlez de cette
16 région protégée du corps, donc de la face interne des cuisses, mais ce
17 sont des traumatismes qui auraient pu être provoqués par un saut par-
18 dessus la margelle, la margelle qui a un bord coupant. Parce que, à ce
19 moment-là, lorsqu'on saute, la face interne des cuisses est exposée,
20 n'est-ce pas?
21 Réponse: Il faut bien comprendre que l'état de conservation des corps n'a
22 pas permis une analyse médico-légale extrêmement fine et précise, compte
23 tenu de la putréfaction et du séjour dans l'eau. Effectivement, rien ne
24 permet d'éliminer l'hypothèse que vous évoquez. Mais, encore une fois,
25 cette hypothèse ne permet pas d'expliquer la présence de sang au niveau de
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1 l'orifice vulvaire.
2 Question: Oui, j'ai compris votre explication. Vous avez dit qu'il n'a pas
3 été facile de déterminer le fait qu'il y ait eu, en effet, des agressions
4 sexuelles. Mais à présent que vous évoquez l'existence du sang, je
5 voudrais que vous répondiez à une question tout à fait précise: dans un
6 milieu humide, comme c'est le cas de l'intérieur d'un puits, il y a
7 l'hémolyse des érythrocytes?
8 Réponse: Oui. Quelle est la question?
9 M. Milosevic (interprétation): Ma question est: est-ce que, dans un milieu
10 humide -vous avez dit que ces corps ont passé deux mois et demi dans
11 l'eau-, dans un milieu humide, ce que nous avons ici, l'intérieur d'un
12 puits, est-ce qu'il y a une décomposition ou une hémolyse des
13 érythrocytes?
14 M. le Président (interprétation): Qu'est-ce que cela signifie? Qu'est-ce
15 que cela signifie dans le langage des profanes? Pourrez-vous nous aider,
16 Docteur Baccard? Qu'est-ce qu'entend l'accusé par là?
17 M. Baccard: Monsieur le Président, il s'agit d'une destruction des
18 globules rouge. Hémolyse veut dire "lyse", destruction des globules
19 rouges. Effectivement, ce phénomène peut exister.
20 Dans le rapport, il était bien précisé que les experts ont mentionné la
21 présence de sang rouge et qu'il ne s'agissait pas d'un liquide de
22 transsudation lié à la putréfaction. Et, deuxièmement, au niveau des
23 autres orifices présentant des muqueuses, la bouche par exemple, il n'y
24 avait pas de sang rouge. Ce sang rouge était noté à un seul endroit, au
25 niveau de l'orifice vulvaire.
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1 M. Milosevic (interprétation): Par conséquent, il est donc question de
2 destruction, Monsieur May, il est question de destruction de globules
3 rouges dans un milieu humide sur une période de deux mois et demi.
4 Je veux savoir s'il est possible de déterminer l'origine du sang qui a
5 subi une hémolyse. Est-ce que c'est possible, Docteur Baccard?
6 M. Baccard: Cela pourrait être possible avec une analyse microscopique des
7 cellules figurant dans ce sang. Enfin, je ne vois pas bien l'intérêt et de
8 l'examen et de la question. Il y avait du sang au niveau de l'orifice
9 vulvaire, il y avait du sang rouge au niveau de l'orifice vulvaire; voilà.
10 Question: Bien. Excusez-moi si je vous ai interrompu. Je vous ai
11 interrompu?
12 Réponse: Non, pas du tout.
13 Question: Alors, dites-moi: au bout de combien de temps, à partir de
14 l'instant du décès, le sang perd ses caractéristiques à cause du début de
15 la putréfaction, dans ces circonstances, dans les circonstances où se
16 trouvaient ces personnes qui nous intéressent?
17 Réponse: C'est extrêmement variable et il n'est pas possible de donner une
18 estimation précise. Cela dépend de la température, cela dépend de la
19 nature, de la composition de l'eau; cela dépend de la façon dont le corps
20 est plus ou moins protégé par des vêtements… Il est impossible de donner
21 une évaluation précise.
22 Question: Il n'est donc pas possible de faire des estimations concrètes.
23 Et à partir de combien de temps on ne peut plus établir le groupe sanguin
24 d'une personne concernée?
25 Réponse: Cela dépend également de l'état de conservation du sang. Sur un
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1 prélèvement qui a été conservé dans des conditions scientifiquement
2 standard, cela est possible très longtemps mais tout dépend des conditions
3 de conservation. C'est très difficile de répondre à cette question.
4 M. Milosevic (interprétation): Dites-moi, Docteur Baccard, ce que cela
5 signifie "un liquide de putréfaction"?
6 M. Baccard: Un liquide, un transsudat de putréfaction, c'est un phénomène
7 lié à l'hémolyse et à la destruction des tissus qui se trouvent dans les
8 gouttières thoraciques à l'intérieur du thorax, au niveau des cavités...
9 C'est une production des mécanismes de putréfaction.
10 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, vous avez utilisé
11 plus de 20 minutes avec ce témoin. Vous aviez une demi-heure en tout, donc
12 cela veut dire qu'il vous reste à peine 10 minutes. Cela est plus que
13 suffisant pour contre-interroger au sujet de ce domaine qui est très
14 limité de l'avis de la Chambre.
15 M. Milosevic (interprétation): Très bien.
16 Alors, pourriez-vous me dire dès à présent, Monsieur May? Je sais que vous
17 m'avez réduit une heure à 45 minutes, maintenant vous me réduisez ces 45
18 minutes à 30 minutes d'après ce que je vois. Eh bien, il me semble que
19 vous préjugiez de la manière dont j'utiliserais mon temps. Vous semblez
20 savoir à l'avance si je poserai des questions adéquates ou non. Nulle part
21 dans les pratiques judiciaires du monde entier, cela ne s'est vu. Comment
22 savez-vous ce que je vais demander?
23 M. le Président (interprétation): Très bien. Il vous reste environ sept
24 minutes encore.
25 M. Milosevic (interprétation): Docteur Baccard, lorsqu'il s'agit de
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1 cadavre à l'état avancé de putréfaction dans un milieu humide, est-ce
2 qu'il y a des transsudats de putréfaction qui se manifestent à d'autres
3 endroits, à divers endroits du corps, et si oui lesquels?
4 M. Baccard: Il peut y avoir des transsudats de putréfaction, comme je le
5 disais, dans les gouttières thoraciques, mais à l'intérieur de la cavité
6 abdominale.
7 Question: D'un point de vue scientifique, est-il plus approprié de dire
8 qu'à l'orifice vulvaire, par exemple, d'une femme qui aurait subi des
9 agressions sexuelles, il s'agit plutôt d'un transsudat de putréfaction ou
10 du sang?
11 Réponse: Non, mes confrères médecins-légistes ont bien insisté sur le fait
12 qu'il ne s'agissait pas d'un transsudat de putréfaction, mais qu'il
13 s'agissait de sang rouge vif. Le transsudat de putréfaction a, en général,
14 une couleur brun sépia, voire noirâtre.
15 Question: Bien. Dans ce cas-là, dites-moi s'il est possible de prouver
16 qu'il y a existence du sang provenant d'un viol si le corps a passé un
17 certain temps dans l'eau, à savoir s'il a été immergé dans l'eau pendant
18 deux mois et demi?
19 Réponse: Il est… L'hypothèse qui vient à l'esprit devant la présence de ce
20 sang rouge vif au niveau de l'orifice vulvaire est que la victime avait,
21 pendant tout ce temps de séjour dans l'eau, les cuisses resserrées et que
22 cet orifice vulvaire s'est vu protégé par les grandes lèvres et a permis
23 donc d'éviter une contamination par l'eau du puits. C'est mon hypothèse
24 personnelle.
25 Question: Bien. Mais dites-moi, est-ce que cela est tout à fait fiable et
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1 sûr ce que vous êtes en train d'affirmer? Est-ce une règle générale, ou
2 bien est-ce seulement une possibilité du point de vue de votre domaine
3 d'exercice?
4 Réponse: Non. Je crois que dans cette affaire -je reviens sur ce qui a été
5 dit à la fois par les médecins légistes français et ce que j'ai mis en
6 conclusion de mon rapport- compte tenu de l'état des cadavres, du séjour
7 dans l'eau, il n'était pas possible d'avoir de diagnostic de certitude. Il
8 a été répondu pour un cas -le cas SIP1C1- que les constatations cliniques
9 étaient compatibles avec ce diagnostic d'agression sexuelle, et -pour le
10 cas SIP1C2- que ce diagnostic apparaissait plus que compatible et
11 fortement évocateur.
12 Je crois que l'on ne peut pas aller au-delà, ceci étant lié à la limite
13 posée par l'état de conservation des cadavres. Il ne s'agit pas d'un
14 diagnostic de certitude.
15 Question: Donc ce n'est pas un diagnostic précis. Mais ai-je bien remarqué
16 dans votre rapport le fait que ces femmes qui se sont noyées, eh bien,
17 leur corps ne présentait aucune trace de combat, aucune trace de
18 précipitation violente dans ce puits, aucune trace de blessure qui aurait
19 été provoquée au moment où elle se serait défendue contre quelqu'un?
20 Réponse: C'est inexact. Ainsi que je l'ai dit précédemment, cinq des
21 victimes présentaient des fractures de côtes qui avaient été provoquées
22 avant le décès. Une d'entre elle avait une plaie du cuir chevelu. Quant
23 aux deux autres, les lésions notées, consistant en des abrasions cutanées,
24 sont décrites pour les victimes SIP1C1 et SIP1C2, donc elles présentaient
25 bien des lésions traumatiques.
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1 Question: Oui, mais est-il logique que, s'il y a des violences que subit
2 une personne, eh bien que les traces soient visibles sur des bras? Par
3 exemple, si on se défend contre quelqu'un qui cherche à traîner la
4 personne quelque part, à l'enfermer, à la jeter quelque part? Avez-vous
5 remarqué ce genre de blessures, ce genre de traumatismes qui sont
6 provoqués au moment où l'on se défend?
7 Réponse: Je pense, Monsieur, que vous n'avez pas regardé ou que vous
8 n'avez pas pu regarder les photographies des cadavres. L'état de
9 conservation des cadavres était vraiment très mauvais; ceci étant lié,
10 encore une fois, à la putréfaction et au séjour dans l'eau.
11 M. Milosevic (interprétation): Mais justement, c'est ce que j'ai regardé;
12 c'est pour cela que je vous pose mes questions.
13 Au moment de l'autopsie qui a été menée sur les corps de ces femmes,
14 d'après ce que j'ai vu dans les rapports, on n'a pas pu constater
15 l'existence de ces traumatismes qui sont provoqués au moment de la
16 défense, qui auraient existé si les personnes avaient été précipitées
17 violemment dans les puits.
18 M. le Président (interprétation): Le témoin a déjà répondu. Cela concerne
19 les cinq cas de fracture de côtes.
20 Il vous reste une question de plus, Monsieur Milosevic, et ce sera la fin
21 de votre contre-interrogatoire.
22 M. Milosevic (interprétation): En répondant à une question qui vous a été
23 posée par M. Ryneveld, au moment où vous avez dit qu'il n'était pas facile
24 d'établir que deux femmes avaient été violées mais vous avez dit que cette
25 hypothèse était là, est-ce qu'il vous a été possible d'établir que les
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1 autres victimes n'ont pas été violées?
2 Donc, même dans les deux premiers cas, vous avez dit qu'on ne pouvait pas
3 l'exclure. En fait, quand vous avez répondu à cette question, vous avez
4 dit qu'on ne pouvait pas exclure cela. Et puis, pour celles pour
5 lesquelles vous avez dit qu'elles ont été violées, vous avez dit que
6 c'était une possibilité. Alors, sur la base de quoi affirmez-vous qu'on ne
7 peut pas exclure cela pour les autres victimes?
8 M. Baccard: Je répète qu'en ce qui concerne les deux victimes dont j'ai
9 parlé, SIP1C1 et SIP1C2, ce diagnostic d'agression sexuelle était, pour
10 l'une, compatible avec les signes retrouvés sur la victime, et pour
11 l'autre, fortement probable.
12 En ce qui concerne les autres victimes, compte tenu de l'état de
13 conservation déplorable des cadavres et de l'immersion prolongée dans
14 l'eau, les médecins légistes n'ont pu mettre en évidence de signes
15 macroscopiques permettant de conduire à ce diagnostic. Mais l'absence de
16 ces signes ne permet pas d'exclure une telle agression, compte tenu du
17 fait que les corps étaient extrêmement abîmés et que la conservation était
18 dans un état de dégradation tissulaire important. C'est ceci qui ne permet
19 pas d'exclure cette possibilité.
20 M. le Président (interprétation): Monsieur Wladimiroff, avez-vous des
21 questions?
22 M. Wladimiroff (interprétation): Non, aucune question.
23 M. le Président (interprétation): Monsieur Ryneveld?
24 M. Ryneveld (interprétation): Pas de questions non plus.
25 M. le Président (interprétation): Merci.
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1 Docteur, vous pouvez maintenant nous quitter.
2 Nous devons examiner, étudier ces déclarations. Puisque nous ne les avons
3 pas, est-ce que nous pourrions en avoir des exemplaires?
4 (Le témoin, M. Eric Baccard, est reconduit hors du prétoire.)
5 (Questions relatives à la procédure.)
6 M. Ryneveld (interprétation): Bien sûr, c'est Madame Romano qui va
7 interroger les deux témoins suivants.
8 M. le Président (interprétation): Nous allons étudier ces documents.
9 (Les Juges regardent des documents.)
10 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, nous sommes en train
11 d'étudier la question de savoir si nous allons admettre le versement de
12 ces déclarations, donc de Mme Merfidete Selmani ainsi que celle de Merita
13 Dedaj, en application de l'Article 92bis.
14 Mais avant de prendre cette décision, il est juste que vous puissiez
15 formuler quelques objections que vous pourriez souhaiter. Nous tenons
16 compte de vos objections toutes générales selon laquelle tout témoignage
17 devait être fait de vive voix et non par écrit, nous le savons. Mais est-
18 ce que vous aimeriez encore ajouter quelque chose?
19 M. Milosevic (interprétation): Je ne suis pas tout à fait sûr d'avoir
20 compris votre question, puisque vous connaissez mon objection de nature
21 générale et vous avez l'habitude de faire ce qui vous convient d'ailleurs.
22 (Les Juges se consultent sur le siège.)
23 M. le Président (interprétation): Oui. Nous allons donc admettre comme
24 recevables ces déclarations, mais sujets à contre-interrogatoire.
25 Mme Romano (interprétation): Le témoin suivant est donc Merita Dedaj.
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1 Et, Monsieur le Président, Messieurs les Juges, les villages que le témoin
2 va mentionner et qui sont mentionnés dans sa déclaration se trouvent aux
3 pages 9 et 10 de l'atlas, tout à fait au centre dans la zone de Gjakovë,
4 et on va parler de Meja, Korenica, Guskë, Babaj; vous voyez tous ces
5 villages au milieu de ces deux pages.
6 En attendant l'entrée dans la salle du témoin, j'aimerais informer la
7 Chambre que le témoin a amené plusieurs photographies que nous avons
8 examinées.
9 Nous en avons choisi quatre à cinq. J'ai des exemplaires ou des copies en
10 noir et blanc et, si la Chambre m'y autorise, j'aimerais montrer ces
11 photographies sur le rétroprojecteur; ce qui permettra d'expliquer ce dont
12 il s'agit. Et je demanderai à la Chambre de prendre une décision
13 concernant la recevabilité de ces photographies en tant que pièces.
14 (Le témoin, Mme Merita Dedaj, est introduit dans le prétoire.)
15 M. le Président (interprétation): Très bien.
16 Que le témoin prononce la déclaration.
17 Mme Dedaj (interprétation): Je déclare solennellement que je dirai la
18 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.
19 M. le Président (interprétation): Veuillez prendre place.
20 (Le témoin s'exécute.)
21 (Interrogatoire principal du témoin, Mme Merita Dedaj, par Mme Romano.)
22 Mme Romano (interprétation): Veuillez nous dire votre nom de famille et
23 votre prénom.
24 (Le témoin fait signe qu'elle n'entend pas la traduction.)
25 (Intervention de l'huissier.)
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1 Est-ce que vous voudriez bien nous donner votre nom de famille et votre
2 prénom?
3 Mme Dedaj (interprétation): Oui. Mon nom est Merita Dedaj.
4 Question: Etes-vous née le 8 janvier 1983, oui ou non?
5 Réponse: Oui.
6 Question: Etes-vous née à Guska, dans la municipalité de Gjakova?
7 Réponse: Oui.
8 Question: Madame, avez-vous fait une déclaration au Bureau du Procureur le
9 8 avril 2000?
10 Réponse: Oui.
11 Question: Et le 12 juillet de cette année, est-ce que vous vous êtes
12 entretenue avec un membre du Greffe de ce Tribunal; et est-ce que vous
13 avez passé en revue votre déclaration et rajouté à votre déclaration une
14 déclaration par laquelle vous explicitez certaines choses et vous corrigez
15 certaines dates?
16 Réponse: Oui.
17 Question: Et à ce moment-là, est-ce que vous avez confirmé que la teneur
18 de vos déclarations était véridique et exacte?
19 Réponse: Oui.
20 Mme Romano (interprétation): J'aimerais demander le versement au dossier
21 de la déclaration et de son annexe?
22 (Intervention de l'huissier.)
23 Mme Ameerali (interprétation): Pièce à conviction de l'accusation 263 pour
24 la version initiale et 263A pour la version expurgée.
25 Mme Romano (interprétation): Le témoin vient de village de Guska,
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1 municipalité de Gjakova. Elle avait 16 ans et allait à l'école en 1999.
2 Elle habitait avec ses parents, une sœur et trois frères.
3 Elle a été témoin de l'assassinat de neuf hommes, le 27 avril 1999, parmi
4 lesquels se trouvaient son père, son oncle et son cousin.
5 Les forces serbes contrôlaient la région où le témoin habitait, et ceci à
6 partir de l'automne 1998; la VJ et la police patrouillait constamment la
7 période qui était proche de la frontière albanaise.
8 Le 28 mars 1999, les forces de la VJ sous le commandement de Dragan, l'un
9 de ses commandants, sont venues dans le village du témoin et en ont
10 expulsé les villageois en leur disant qu'ils avaient une heure pour
11 partir. Les villageois ont pris la direction de Korenica et, en route, ils
12 ont été escortés par des véhicules de la VJ.
13 En arrivant à Korenica, le témoin est resté dans un champ avec d'autres
14 personnes déplacées; elle y est restée une semaine. Une semaine plus tard,
15 les personnes déplacées sont parties dans un convoi qui comptait quelque
16 1.000 personnes. Lorsqu'elles sont arrivées à Orize, les personnes qui
17 appartenaient à ce convoi se sont vu donner l'ordre de s'arrêter et de
18 retourner à Korenica. Le témoin parle de l'atmosphère de peur qui a été
19 engendrée par les forces serbes.
20 Le 27 avril 1999, à 6 heures 30 du matin, la VJ est entrée par effraction
21 dans la maison où se trouvait le témoin. Les occupants de la maison ont
22 reçu l'ordre de partir de la maison. Les hommes ont été passés à tabac et
23 dévalisés; les femmes et les enfants ont été séparés des hommes et on leur
24 a donné l'ordre de s'en aller. Alors qu'ils partaient, les femmes et les
25 enfants se sont vu donner l'ordre de faire le signe chetnik et de crier:
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1 "Serbie!".
2 Le témoin a vu son père, son oncle, un cousin et cinq autres hommes que
3 l'on faisait aligner contre un mur de la maison. A environ 20 mètres de
4 là, elle a entendu des tirs multiples pendant environ deux minutes. Se
5 retournant, elle a vu les hommes s'effondrer à terre. Le témoin n'a pas
6 été en mesure de déterminer si ces hommes étaient morts, mais aucun
7 d'entre eux n'a jamais été revu depuis; tous ces hommes sont portés
8 disparus auprès du CICR.
9 En quittant Korenica, le témoin a entendu des tirs et a vu des maisons en
10 flammes. Le témoin et d'autres personnes ont constitué un convoi et sont
11 parties à pied vers Djakovica.
12 En route, elle a vu deux cadavres non identifiés recouverts de couvertures
13 et qui étaient placés par des soldats dans un camion de la VJ. On a
14 ordonné au convoi de suivre le camion. Lorsqu'il est arrivé à Bishtazin,
15 le convoi a été arrêté à un point de contrôle. Des policiers serbes ont
16 extrait un certain nombre d'hommes de ce convoi et la plupart d'entre eux
17 n'ont pas été revus depuis.
18 Le témoin et les membres de sa famille ont trouvé refuge au village
19 jusqu'à la fin de la guerre. Lorsqu'elle est retournée dans son village,
20 le témoin a pu constater que sa maison avait été dévalisée, pillée, et que
21 le bétail avait été tué. L'oncle du témoin a pris des photographies de la
22 maison du témoin ainsi que des environs.
23 Je vais demander à l'huissier de montrer au témoin les photographies que
24 l'on va montrer sur le rétroprojecteur.
25 (Intervention de l'huissier.)
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1 Madame le Témoin, première photographie, c'est une photographie de votre
2 maison qui a été prise par votre oncle lorsque vous êtes retournée au
3 Kosovo. On voit l'intérieur de la maison qui a été endommagé. Est-ce bien
4 exact?
5 Réponse: Oui. C'est là, c'est ma maison qui a été complètement vandalisée.
6 C'est tout de suite après la guerre.
7 Question: Merci. Deuxième photographie, s'il vous plaît.
8 (Intervention de l'huissier.)
9 Nous avons ici la maison de Pjeter Dedaj, une photographie qui a été
10 également prise après son retour au Kosovo –Pjeter Dedaj étant votre
11 oncle- et on voit sa maison, n'est-ce pas?
12 Réponse: Oui.
13 Question: Merci. Troisième photographie, s'il vous plaît.
14 (Intervention de l'huissier.)
15 Sur cette photographie, on voit des uniformes qui ont été laissés dans la
16 maison de Pjeter Dedaj par les forces serbes; est-ce bien exact?
17 Réponse: Oui.
18 Question: Avez-vous également vu l'intérieur de la maison? Avez-vous
19 également vu les uniformes que l'on voit sur cette photographie?
20 Réponse: Oui. Oui, je les ai vus, effectivement.
21 Question: Photographie suivante, s'il vous plaît.
22 (Intervention de l'huissier.)
23 Est-ce que c'est toujours la maison de Pjeter Dedaj et les uniformes qui
24 ont été laissés à cet endroit par les forces serbes?
25 Réponse: Oui, effectivement.
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1 Mme Romano (interprétation): Merci, Madame le Témoin.
2 Monsieur le Président, Messieurs les Juges, l'accusation demande le
3 versement au dossier de ces photographies. J'en ai des exemplaires ici; ce
4 sont des exemplaires qui sont en noir et blanc car nous n'avons pas eu le
5 temps de faire réaliser des photographies couleur.
6 M. le Président (interprétation): Cote, s'il vous plaît, Madame la
7 Greffière d'audience?
8 Mme Ameerali (interprétation): Pièce de l'accusation n°264.
9 Mme Romano (interprétation): J'en ai terminé, Monsieur le Président,
10 Messieurs les Juges.
11 M. le Président (interprétation): Monsieur Milosevic, avez-vous des
12 questions à poser au témoin?
13 (Contre-interrogatoire du témoin, Mme Merita Dedaj, par l'accusé, M.
14 Milosevic.)
15 M. Milosevic (interprétation): Si j'ai bien compris, vous avez fait une
16 déclaration aux enquêteurs du Groupe international de crise ainsi qu'aux
17 enquêteurs de cette institution-ci. Je voudrais savoir comment il se fait
18 que vous avez fait une déclaration aux enquêteurs du Groupe international
19 de crise ainsi qu'aux enquêteurs du Tribunal ici.
20 Mme Dedaj (interprétation): Bien entendu, j'étais en mesure de le faire.
21 Je suis rentrée chez moi après la guerre, ils sont venus et j'ai été en
22 mesure de leur faire une déclaration sur ce que j'avais vu.
23 Question: Et quel âge aviez-vous lorsque vous avez fait une déclaration
24 aux enquêteurs du Groupe de crise international et puis aux enquêteurs
25 d'ici?
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1 Réponse: J'avais 16 ans; c'était tout de suite après la guerre.
2 Question: Et est-ce que vous avez fait toutes vos déclarations en présence
3 de votre mère ou non?
4 Réponse: Non. Non, j'étais seule.
5 Question: Votre mère et votre tante, est-ce qu'elles ont fait des
6 déclarations aux enquêteurs que j'ai déjà mentionnés?
7 Réponse: Non.
8 Question: Et toutes les deux étaient avec vous constamment, n'est-ce pas,
9 pendant la période que vous évoquez dans votre déclaration je veux dire?
10 Réponse: Pourriez-vous, s'il vous plaît, répéter la question?
11 Question: Je vous demande si votre mère et votre tante ont été constamment
12 à vos côtés pendant les événements que vous décrivez dans votre
13 déclaration?
14 Réponse: Oui.
15 Question: Et pourtant elles n'ont pas fait de déclaration?
16 Réponse: Non.
17 Question: Je souhaiterais vous rappeler, en premier lieu, de ce que vous
18 dites à la page 2 de votre déclaration.
19 Vous dites que: "Les forces serbes, la VJ et la police ont été déployées
20 dans notre région à partir de l'automne 1998. Il s'agit d'une région qui
21 se trouve à côté de la frontière et, de ce fait, ils patrouillaient
22 constamment la zone. Autant que je m'en souvienne, il n'y a pas eu
23 d'incident entre les forces serbes et les habitants du village pendant
24 cette période. Pendant cette période, je n'ai vu aucune unité
25 paramilitaire dans notre région". (Fin de citation.)
Page 8075
1 "J'allais à l'école à Gjakovë tous les jours à pied. Je n'ai jamais eu de
2 problème au point de contrôle de la police qui avait été mise en place à
3 Brekovac. Une seule fois, ils m'ont parlé en me disant qu'il fallait que
4 je les salue". (Fin de citation.)
5 Plus tard, vous nous dites que vous êtes allé à Korenica. Vous dites qu'au
6 cours de cette semaine-là vous n'avez pas vu un seul crime à cet endroit.
7 Bien. Maintenant, revenons au début.
8 Vous poursuivez en disant -je cite-: "Le 24 mars 1999, les frappes
9 aériennes de l'OTAN ont commencé contre la Serbie. A partir de ce jour-là,
10 ma famille et moi-même n'avons plus pu sortir nulle part". (Fin de
11 citation.)
12 Ma question à ce sujet est la suivante: à partir du 24 mars, lorsque ont
13 commencé les frappes aériennes de l'OTAN, pourquoi est-ce que vous-même et
14 votre famille n'avez plus pu sortir de chez vous?
15 Réponse: Eh bien, on n'osait pas sortir parce que la police avait un point
16 de contrôle, là. Ils étaient partout et ils emmenaient tous les hommes.
17 Question: Vous affirmez sur la même page, dans le même paragraphe, que les
18 forces de l'armée, le 25 mars sont allées au village de Deve et Babaj.
19 Vous dites qu'ils ont exécuté huit civils, huit hommes. Comment le savez-
20 vous, vous n'y étiez pas? Comment savez-vous qu'ils ont tué quelqu'un à
21 cet endroit?
22 Réponse: Parce que le commandant de l'armée qui s'appelait Nikola
23 Micunovic, qui s'appelait également Dragan, est venu à la maison de mon
24 oncle. Il l'a appelé, il lui a dit qu'il fallait qu'il aille enterrer les
25 huit corps, les huit cadavres.
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1 Question: Si bien que c'est par votre oncle ou par vos oncles que vous
2 avez appris cela. Lui, il a enterré ces huit corps, c'est cela?
3 Réponse: Oui, c'est exact.
4 Question: Est-ce qu'il a pu vous dire étant donné qu'on lui a demandé
5 d'enterrer ces cadavres? Et est-ce qu'il a été en mesure de vous dire
6 comment ces personnes avaient été tuées?
7 Réponse: Non, non, il ne savait pas comment ils avaient été tués. Il
8 savait simplement qu'ils avaient été tués, et on lui a dit d'aller les
9 enterrer.
10 Question: Si bien que c'est lui qui vous a parlé de ces personnes et lui
11 ne savait pas comment ils avaient été tués. Dans ces conditions, comment
12 savez-vous que c'est l'armée qui les a tués? Comment se fait-il que vous
13 affirmiez cela? Sur la base de quel élément?
14 Réponse: Le commandant de l'armée, c'est lui qui est venu; et il y avait
15 deux autres soldats à ses côtés qui ont appelé mon oncle et qui lui ont
16 dit d'aller enterrer les corps.
17 Question: Bien, bien. Mais ma question a trait à quelque chose de
18 complètement différent. Je comprends bien qu'il est venu, qu'il a appelé
19 vos oncles pour qu'il aille enterrer ces morts, mais quels sont les
20 éléments qui vous ont permis de conclure que les personnes tuées avaient
21 été tuées par l'armée?
22 Réponse: Eh bien, on savait bien que les soldats les avaient tuées,
23 c'était connu.
24 Question: Je n'ai pas compris. Comment savez-vous que c'est l'armée qui
25 les a tuées? Qui vous l'a dit?
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1 Réponse: C'est ce qu'a dit mon oncle.
2 M. Milosevic (interprétation): Oui, mais votre oncle est allé là-bas pour
3 les enterrer, il est donc allé à cet endroit alors que ces personnes
4 étaient déjà mortes et lorsque le commandant lui a dit d'aller les
5 enterrer.
6 M. le Président (interprétation): Ce que le témoin a dit, c'est que tout
7 le monde savait que c'était cela qui s'était passé, et que c'est son oncle
8 qui lui avait dit. Il ne peut rien ajouter de plus. C'est ce que son oncle
9 lui a dit. Voilà, et c'est là que s'arrête sa déposition à ce sujet.
10 Il est 13 heures 45, il va falloir que nous levions l'audience.
11 Madame Dedaj, il faut que nous suspendions l'audience de ce jour, une
12 autre affaire est jugée dans ce même prétoire cet après-midi.
13 Je dois donc vous demander de revenir demain matin afin de terminer votre
14 déposition. Je vais vous demander d'être de retour ici même à 9 heures
15 demain.
16 Je souhaiterais vous signaler que, pendant cette pause, il ne faut pas que
17 vous parliez à qui que ce soit de votre déposition et ceci jusqu'à la fin
18 de cette déposition, et quand je dis "personne" cela inclut également les
19 membres de l'équipe du Bureau du Procureur.
20 Je vous demande donc de revenir ici même à 9 heures demain matin.
21 Mme Dedaj (interprétation): Oui.
22 (L'audience est levée à 13 heures 45.)
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