Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le lundi 3 novembre 2003

2 [Audience publique]

3 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

4 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

5 --- L'audience est ouverte à 9 heures 15.

6 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Lord Owen, je vais vous demander de vous

7 lever et de prononcer la déclaration solennelle.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

9 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

10 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez vous asseoir.

11 LE TÉMOIN: DAVID OWEN [Assermenté]

12 [Le témoin répond par l'interprète]

13 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Lord Owen, nous avons reçu votre

14 déclaration. Nous vous en remercions. Nous avons eu l'occasion de la lire.

15 Nous croyons comprendre que vous ne souhaitez pas faire de déclarations

16 supplémentaires. Si c'est le cas, voici comment va se dérouler la

17 procédure. C'est l'Accusation qui va commencer et vous posera ses

18 questions. Nous allons limiter le temps qui lui est réservé. Ensuite

19 viendra le tour de l'accusé qui disposera d'un peu plus de temps. Et nous

20 terminerons par l'ami de la Chambre qui aura le loisir de vous poser des

21 questions lui aussi pendant une période limitée. J'espère que nous aurons

22 terminé demain assez tôt dans la matinée.

23 Je crois comprendre que votre secrétaire personnel est ici présente, pour

24 vous aider dans la gestion des documents.

25 Monsieur Nice, vous avez la parole.

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1 Questions de l'Accusation, M. Nice :

2 Q. [interprétation] Lord Owen, je n'ai pas l'intention de vous poser

3 beaucoup de questions à propos de votre déclaration car elle se passe de

4 commentaires. Nous l'avons, tout comme nous avons votre livre. Nous vous

5 remercions de comparaître pour nous donner des explications et afin que ces

6 documents deviennent des pièces au dossier.

7 Est-ce que nous pouvons procéder d'abord à un survol de la situation

8 s'agissant de vos fonctions. Diriez-vous que l'accusé dans une certaine

9 mesure était engagé dans le sens du processus de paix à la suite de l'échec

10 du plan de paix Vance-Owen ?

11 R. Ce plan de paix Vance-Owen a été le premier plan circonstancié à être

12 soumis, le premier sur quatre ou cinq, disons et M. Milosevic a montré

13 qu'il tenait à ce que processus du plan de paix Vance-Owen aboutisse. Il y

14 a eu la réunion à Athènes et puis il est allé avec le premier ministre de

15 Grèce et le président du Monténégro à l'assemblée des Serbes de Bosnie à

16 Pale.

17 Q. Il ne fait pas l'ombre d'un doute et vous le dites tout à fait

18 clairement, vous-même et l'accusé, vous vous étiez investis fortement pour

19 la réussite de ce plan même si c'est en puissance pour des raisons

20 différentes.

21 R. Oui. Je pense que manifestement M. Vance et moi-même, nous n'avions

22 qu'un objectif, c'est de parvenir à la paix le plus vite possible pour

23 essayer de mettre un terme au nettoyage ethnique qui se poursuivait et puis

24 parce qu'il y avait perte de vies humaines. Il faut se souvenir que nous

25 avons pratiquement négocié tout le temps pendant que la guerre faisait rage

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1 et c'est peut-être un des aspects les plus négatifs de toute cette

2 entreprise et c'était très ardu, très éprouvant pour M. Vance et moi-même

3 et puis pour M. Stoltenberg et moi-même.

4 Q. Je vais faire référence à certains des passages de votre déclaration.

5 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, je suis soucieux de la

6 nécessité de ne pas interrompre le déroulement de la déposition en

7 demandant à M. l'Huissier de placer des extraits de cette déclaration sur

8 le rétroprojecteur. Vous l'avez sous les yeux cette déclaration, n'est-ce

9 pas, Lord Owen ? Il n'est peut-être pas nécessaire de placer ces extraits

10 s'il sont brefs sur le rétroprojecteur.

11 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Puisque c'est la première fois qu'on fait

12 référence à cette déclaration, je pense qu'il faut lui attribuer une cote,

13 aussi bien la déclaration que ses annexes. Ces documents seront déposés au

14 dossier en halo en tant que pièce de la Chambre.

15 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agira de pièce de la Chambre 16.

16 M. NICE : [interprétation]

17 Q. Ayez l'obligeance, Lord Owen, de prendre la page 3 de votre

18 déclaration. Au milieu de la page, milieu du deuxième paragraphe, vous

19 dites ceci :

20 "Je pense que ça été une erreur fondamentale du président Milosevic de ne

21 pas utiliser son pouvoir incontestable pour imposer aux Serbes de Bosnie

22 ces mêmes règlements. S'il l'avait fait, ceci aurait été dans l'intérêt

23 supérieur du peuple serbe dans sa totalité."

24 Est-ce que c'est là la façon dont vous avez compris la chose, à savoir

25 qu'il disposait de ce pouvoir lui permettant d'imposer ces règlements aux

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1 autres Serbes s'il avait décidé de le faire ?

2 R. Je pense qu'il disposait de ce pouvoir mais je sais qu'il n'en avait

3 pas le sentiment à certaines époques. Ce qui est certain, c'est que

4 s'agissant du pouvoir qu'il avait sur les Serbes de Bosnie et les Serbes de

5 Croatie, c'était un pouvoir considérable au moment où le plan de paix

6 Vance-Owen a commencé à prendre son élan à partir de janvier 1993 jusqu'au

7 mois de mai 1993.

8 Par la suite, on peut se demander le degré de pouvoir qu'il avait. Je

9 persiste à croire qu'il avait le pouvoir suffisant et nécessaire pour

10 imposer règlements mais à ce moment-là, il y a déjà plus de résistance. Il

11 y avait plus de sources indépendantes de pouvoir du côté des Serbes de

12 Bosnie dans leur structure. Je pense surtout au général Mladic, mais c'est

13 vrai aussi dans le chef du président Karadzic et le président Krajisnik.

14 Q. Nous reviendrons peut-être un peu plus tard à la partie suivante de

15 cette chronologie. Pour le moment, nous parlons de sujets généraux, et je

16 demande votre assistance à ce propos. Pensez-vous que l'accusé était

17 quelqu'un qui était capable de dire des contrevérités et essayait d'induire

18 les gens en erreur quand ça l'arrangeait ?

19 R. Oui, mais ce n'est pas quelque chose qui lui était particulier à lui.

20 Il n'y avait pratiquement personne parmi les personnes avec lesquelles ont

21 négociaient dont on pouvait croire qu'ils disaient la vérité. Ça été un des

22 aspects les plus navrants de tout ce processus de pourparlers en

23 Yougoslavie. Rappelez-vous du mandat de la conférence internationale

24 couvrait la Bosnie mais souvenons-nous de cela de tous les aspects de la

25 Yougoslavie. Cependant, dans le cadre des discussions que nous avons eues

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1 personnellement avec lui, je ne pense pas qu'on puisse dire que ça aurait

2 été une des caractéristiques principales, cette absence de vérité. La

3 Chambre le sait mais il faut le comprendre. Vous savez que c'était une

4 guerre de sécession, une guerre civile, une guerre d'agressions. Il y a eu

5 tout du long des aspects très complexes. Il ne faut pas se le cacher. Il

6 faut se souvenir que, par exemple, celui qui était alors le président

7 Milosevic et feu le président Tudjman, que tous les deux n'acceptaient pas

8 la décision prise par la communauté internationale qui avait été de

9 reconnaître la Bosnie-Herzégovine notamment. Ils ne reconnaissaient pas,

10 non plus, les autres décisions. Il était tout à fait courant pour eux de

11 nier une application quelconque de leurs effectifs, et si nous parlons des

12 Serbes de Bosnie et pour ce qui est du président Tudjman, les Serbes de

13 Croatie.

14 On pourrait qualifier ceci d'un mensonge -- n'est-ce pas une

15 caractéristique de la situation dans laquelle il se trouvait et n'acceptait

16 pas cette structure. Il ne pensait pas qu'il n'y avait pas de raisons pour

17 eux d'opérer sur ce qui était les confins, les régions de l'ex-Yougoslavie.

18 On savait qu'on nous mentait sciemment, ce n'était pas tout à fait un

19 mensonge, mais il ne pouvait pas dire qu'ils acceptaient le fait que la

20 Bosnie-Herzégovine était un pays indépendant. Ils pouvaient peut-être le

21 dire mais il n'était pas tout à fait d'accord avec ça. C'est un exemple

22 parmi tant d'autres. Quand vous parlez de mensonges c'est un mot un peu

23 excessif ? C'est utilisé de façon formelle plutôt qu'au fond mais il y

24 avait effectivement de sérieux mensonges à propos de ce qui se passait.

25 Q. Et bien entendu toutes ces personnes avec qui vous avez l'heure ou le

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1 malheur de négocier, l'un disait l'autre d'une chose et faisait autre

2 chose. Il fallait donc voir les deux versants de la problématique ?

3 R. Oui. C'est la seule façon de se faire une idée parce que les actes

4 parlent plus fort que les mots.

5 Q. Examinons maintenant l'annexe A de votre déclaration. Dans le coin

6 supérieur droit, vous allez trouver quelques numéros ERN ici nous avons le

7 numéro 24829. Si vous ne le trouvez pas je vous donnerai une autre

8 indication afin que vous puissiez vous repérer. C'est une note du 24 avril.

9 R. Mon annexe ?

10 Q. Oui, votre annexe A. Monsieur l'Huissier est en train de vous apporter

11 ce document. Je le remercie.

12 R. Oui.

13 Q. Page 2 de ce document. C'est un rapport fait à l'attention des

14 ministres des Affaires étrangères de la Communauté européenne. Oui.

15 R. Oui.

16 Q. Paragraphe qui commence comme suit : "Il y a aussi un risque

17 supplémentaire à savoir qu'une implication ouverte de la JNA surtout sur la

18 Croatie menace la Slavonie orientale. Maintenant même s'il n'est pas

19 certain que Belgrade soit déjà prêt à une telle implication, elle pourrait,

20 peut-être, suivre le mouvement lorsqu'on a posé des questions à propos

21 d'une implication récente de la JNA en Bosnie orientale, Cosic, Bulatovic

22 et Milosevic de la JA. Bulatovic a -- tous les trois ont emporté des

23 délégations mais ils savaient que je savais qu'ils y participaient."

24 C'est un exemple non pas peut-être d'un mensonge mais d'une demi vérité ou

25 une contre vérité.

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1 R. Tout à fait. C'est un excellent exemple. En toute franchise je le dis

2 dans mon livre lorsque j'ai donné des premières informations détaillées sur

3 l'implication de l'armée yougoslave je ne suis pas sûr que Cosic était au

4 courant du degré de leur implication, de leur participation mais je crois

5 qu'ils connaissaient certains de ces aspects.

6 Q. Et ce qu'il y avait à la base de tout ceci comme réalité c'est que

7 l'accusé avait connaissance de l'intervention de troupes, d'effectifs qui

8 intervenaient donc ailleurs qu'en Serbie. Et la Bosnie a eu une influence

9 un contrôle sur ces troupes ?

10 R. Oui, cela est une des raisons de la position de sanctions contre la

11 Serbie et le Monténégro en 1992, car le conseil de Sécurité avait le

12 sentiment qu'il y avait eu retrait de troupes de la Croatie en passant par

13 la Bosnie-Herzégovine et que ces effectifs avaient été délibérément laissés

14 en Bosnie. Si on pense à l'armée de Yougoslavie, on sait que la plupart de

15 ses membres étaient d'origine de Bosnie. Après tout, il faut se souvenir

16 qu'il y avait beaucoup de Serbes qui y vivaient en ex-Yougoslavie dans

17 cette partie dans cette région de la Bosnie-Herzégovine.

18 Q. Vous manifestez des réserves à propos du président Cosic et ceci à la

19 page 148 de votre livre, n'est-ce pas ?

20 R. Oui.

21 Q. Je n'ai pas cet endroit sous la main mais vous vous en souviendrez vous

22 dites qu'en fait l'accusé se comportait en tant que baron des stupéfiants ?

23 Est-ce que vous pourriez être plus clair ?

24 R. Oui. Mais c'était dans le contexte de -- ou baron de la drogue --

25 c'était dans le contexte des dispositions financières prises à Chypre avec

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1 le gouvernement serbe du Monténégro. Ces premières sanctions n'étaient pas

2 de nature financière. Elles étaient de nature commerciale, portaient sur

3 les échanges et ils avaient fait passer beaucoup de leurs actions

4 financières par Chypre et par d'autres lieux offshores où il y a peu de

5 contrôle fiscal, ce qui nous rendait la situation très difficile. Et nous

6 pensions que nous n'aurions pas une acceptation de leur part du plan Vance-

7 Owen s'il n'y avait pas des sanctions plus rigoureuses.

8 Les pourparlers se déroulaient surtout notamment ou notamment en avril,

9 début mai, mais surtout en avril. Et à ce moment-là ils avaient pour

10 objectif de demander au conseil de Sécurité d'imposer des sanctions

11 financières ce qui avait été repousser bien trop à mon avis. Mais là

12 s'ouvrait une possibilité au président Milosevic car à ce moment-là il

13 était président, il aurait pu exercer une pression sur les Serbes de Bosnie

14 ce qui veut dire que s'ils avaient marqué leur aval au plan de paix à

15 Bijeljina. Nous avions eu l'autorisation de poursuivre jusqu'au petit

16 matin, mais à ce moment-là les sanctions imposées par le conseil de

17 Sécurité n'auraient pas été appliquées et il était important d'exercer une

18 pression importante sur lui afin qu'il prenne en urgence une décision. Je

19 pense que c'était un dimanche en avril et ça s'est passé à Belgrade et je

20 pense qu'il y avait le président Cosic, peut-être aussi Bulatovic. Mais

21 finalement nous avons pu persuader M. Milosevic d'aller à Bijeljina pour

22 appuyer ce plan Vance-Owen. Nous nous sommes séparés juste avant le

23 déjeuner et nous avions l'impression que l'assemblée allait accepter ce

24 plan. Ce qui aurait signifié que les sanctions financières n'auraient pas

25 été appliquées à la Serbie et au Monténégro. C'est un des rares exemples où

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1 le conseil de Sécurité s'est servi de façon intelligente ses menaces de

2 sanctions de façon à encourager le processus de négociations.

3 Q. J'y reviendrai peut-être si le temps me le permet mais faisons si vous

4 le voulez bien une observation générale : Au moment où vous avez rédigé ce

5 livre, vous n'aviez pas pu consulter les documents du renseignement

6 britannique ni d'un autre pays d'ailleurs.

7 R. Je le dis clairement dans ma déclaration. Je n'ai jamais vu de compte

8 rendu du procès verbal de conversations qui se seraient déroulées entre le

9 président Milosevic, le président Cosic ou des commandants de la JNA. Ils

10 n'y avaient que des dirigeants serbes de Bosnie. Je n'ai pas vu de comptes

11 rendus, de discussions qui auraient pu avoir lieu entre des commandants de

12 la JNA et le général Mladic ou des dirigeants serbes de Bosnie.

13 Il est difficile de le dire maintenant. Est-ce que ça veut dire que je n'ai

14 aucunement pu consulter les documents relevant du renseignement ? Je n'ai

15 sait pas. J'avais dans mon personnel le général Messervy Whiting, c'était

16 mon conseiller militaire, et je sais que quand il me disait quelque chose,

17 il se fondait sur davantage de renseignements que moi-même, je pensais donc

18 ce sources étaient authentiques et provenaient notamment du renseignement.

19 C'était utile pour moi de disposer de ces informations que j'ai confié

20 également à M. Vance et à M. Stoltenberg. Donc dans une certaine mesure

21 j'avais un accès limité à ces renseignements. Je ne m'en suis pas plaint.

22 Moi, j'étais négociateur de l'Union européenne. Je n'ai pas -- puisque je

23 n'étais pas représentant du gouvernement britannique où le même degré de

24 possibilités pour ce qui est d'accès aux renseignements alors que c'était

25 le cas quand j'étais ministre --

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1 Etrangères britanniques.

2 Q. Dernière question liminaire : Est-il impossible de comprendre toute la

3 problématique sans savoir ce qui s'est passé au Kosovo et les intentions ou

4 l'attitude de l'accusé à l'égard de Kosovo ?

5 R. Oui, c'est très difficile. Il faut le dire clairement et ceci ne

6 surprendra pas M. Milosevic, même si je suis prêt à dire que s'agissant des

7 négociations portant sur ce plan-ci il a été prêt à nous aider, mais là il

8 s'est vraiment heurté à un mur au Kosovo. Il n'était pas prêt à faire de

9 concessions. Je pense que M. Vance et

10 moi-même avons réussi à le parfaire davantage de concessions que

11 Stoltenberg par rapport au Kosovo, mais lui était arrivé de soulever cette

12 question.

13 Et le mandat de notre conférence internationale concernait également le

14 Kosovo. Ce mandat ne se limitait pas à la Croatie ou à la Bosnie. M.

15 Milosevic n'aimait pas ce genre de discussion et là c'est le moins qu'on

16 puisse dire. Il était beaucoup -- moins prêt à coopérer et je pense que

17 c'est parce que c'était une question fort délicate. Ça allait au cœur même

18 du socle sur lequel il établissait son pouvoir à Belgrade et en

19 Yougoslavie. Mais il y avait la réalité internationale que connaissait la

20 communauté internationale. Il n'en demeure pas moins que nous essayons de

21 le persuader de donner un certain degré d'autonomie au Kosovo et que

22 c'était là un élément essentiel si l'on voulait la paix dans la région. Il

23 y avait cette épée de Damocles pendant toute la durée de nos négociations,

24 à savoir qu'il aurait la violence qui allait éclater en Kosovo et qui

25 pourrait peut-être déborder sur tout le reste de l'ex-Yougoslavie, y

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1 compris sur les pays voisins.

2 Et j'ai tenu ces fonctions pendant un peu moins de trois ans, et je sais

3 que tout du long le Kosovo a été une question clé pour moi. J'ai consacré

4 beaucoup de temps, sans en avoir beaucoup de résultats et M. Stoltenberg a

5 vraiment fait tout ce qui était en son pouvoir pour essayer d'impliquer M.

6 Milosevic dans des pourparlers directs avec M. Rugova. A un moment donné

7 nous avons cru réussir mais nous n'avons pas pu obtenir dans ce domaine les

8 résultats que nous escortions pour ce qui était du premier plan Vance-Owen,

9 pour la Croatie et puis pour la Bosnie-Herzégovine.

10 Q. Je n'ai que quelques heures à ma disposition pour vous poser mes

11 questions. Je vous demanderais quelquefois d'être un peu plus concis dans

12 vos réponses. Vous avez cette déclaration à la page 12 et puis à la page 8,

13 et vous faites référence au Kosovo et vous dites à ce propos que l'accusé

14 était très sensible s'agissant d'une région où il a eu vraiment le

15 comportement le plus indéfendable ?

16 R. Mais vous savez il n'y avait plus de liberté pour les Albanais du

17 Kosovo ce qu'ils auraient dû avoir dans un autre pays. Ils étaient

18 minoritaires parfois en Serbie au Monténégro et avant cela dans l'ex-

19 Yougoslavie. Mais l'autonomie qui avait été accordée par Tito leur avait

20 été enlevée.

21 Je suis allé au Kosovo et je sais qu'il y avait un système d'éducation tout

22 à fait parallèle qui avait émergé. Et bien des aspects d'une société

23 divisée, les Albanais refusaient de collaborer avec les autorités serbes et

24 ils pensaient qu'ils étaient privés de tous les droits fondamentaux.

25 Q. Pour en terminer sur ce sujet qui porte sur le contexte que constituait

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1 la situation au Kosovo par rapport aux allégations formulées contre

2 l'accusé en page 8, en bas de page vous dites que : "L'image d'un appui

3 modéré a changé de façon radicale dans le sud de la Serbie où Milosevic

4 était fort et où la proximité de la menace albanaise nourrissait le

5 sentiment nationaliste. "

6 Est-ce que ceci fait partie de l'image générale que vous avez à l'esprit ?

7 R. Oui, "la menace albanaise" est une expression que j'utilise entre

8 guillemets bien entendu, mais c'était une question assez complexe. Il ne

9 fait aucun doute que sous le Kosovo pendant très longtemps, le président

10 Milosevic à exprimer verbalement la position de la majorité serbe. Je veux

11 dire que c'était cela qui constituait pour nous un problème à savoir que

12 des positions nationalistes étaient critiquables mais très nombreuses, et

13 que bien sûr, depuis l'endroit où nous nous trouvions, c'est-à-dire hors de

14 la Yougoslavie, on pouvait critiquer ce sentiment, mais que c'était bien un

15 sentiment partagé par la population, l'idée que les Albanais du Kosovo ne

16 pouvaient pas -- n'étaient pas fiables était très répandue notamment parmi

17 les personnes auxquelles M. Milosevic s'adressait.

18 Q. Quel est votre point de vue s'agissant de l'aide indirecte fournie par

19 les services de renseignements ? Vous parlez d'une méthode indirecte,

20 n'est-ce pas ? Bien sûr vous ne pouviez vous faire une opinion que sur la

21 base d'information, mais est-il permis de penser que dès le début de

22 l'accomplissement de votre tâche, l'accusé et Tudjman auraient sans doute

23 déjà pu conclure entre eux un accord au sujet de la division de la Bosnie ?

24 R. Il était courant d'entendre de telles allégations donc la rencontre

25 annoncée -- avait été annoncée. J'étais donc au courant quelquefois il

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1 arrivait que des rencontres annoncées n'aient pas lieu, mais sur ce point

2 particulier de la scission d'une région de l'ex-Yougoslavie, l'ancien

3 président Tudjman n'a absolument pas -- ne s'est pas montré secret. Il a

4 dit très clairement à quiconque voulait l'entendre qu'il estimait qu'une

5 partie importante de la Bosnie-Herzégovine devait être annexée à la

6 Croatie, et qu'il n'admettait pas que la Bosnie-Herzégovine devienne un

7 pays indépendant. Et Milosevic pour sa part, même s'il y consacrait moins

8 de temps, partageait sans doute à peu près le même point de vue, mais n'en

9 parlait pas aussi souvent. C'était un homme plus pragmatique. La différence

10 était très nette entre ces deux hommes. L'un était logique et l'autre plus

11 pragmatique.

12 Q. J'essaie de retrouver l'annexe que j'ai en tête. Connaissez-vous ce

13 document que les deux hommes ont signé ?

14 R. Oui, je le connais. Ce document a été signé en avril -- non, en

15 juillet.

16 Q. En juillet 1993. Ce document figure en annexe C dans les documents

17 distribués par l'accusation.

18 M. NICE : [interprétation] Faut-il octroyer une cote distincte à ces

19 documents ?

20 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Ces documents n'ont pas encore été versés

21 au dossier ?

22 M. NICE : [interprétation] Non, ils n'ont pas été versés au dossier en tant

23 que tels. Ils ont été fournis en tant qu'annexe suite à une ordonnance de

24 la Chambre.

25 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Oui.

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1 M. NICE : [interprétation] Je pense que ce sont bien les documents que l'on

2 a sous les yeux dans les trois annexes, des extraits de l'ouvrage dont le

3 témoin est l'auteur ainsi qu'aux deux autres documents.

4 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Fort bien. Peut-on affecter une cote à

5 ces documents ?

6 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Monsieur le Président, pièce à

7 conviction de la numéro 17.

8 M. NICE : [interprétation] Je demanderais à M. l'Huissier, de bien vouloir

9 cette fois-ci placer ce document sur le rétroprojecteur.

10 [La Chambre de première instance et le Greffier se concertent]

11 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Oui.

12 M. NICE : [interprétation]

13 Q. Nous voyons donc cette déclaration datant du 17 juillet 1993, signée

14 par l'accusé et par le défunt président Tudjman qui se lie comme suite, je

15 cite : "Toutes les spéculations au sujet d'un partage de la Bosnie-

16 Herzégovine entre la Serbie et la Croatie sont totalement sans fondement."

17 Et on a ensuite un projet de documents que l'on retrouve en page suivante.

18 C'est bien ce document que vous avez à l'esprit, n'est-ce pas ?

19 R. Oui.

20 Q. Je ne sais pas si vous avez suivi les débats dus à la présente affaire

21 ou si vous avez lu les dépositions du président Mesic ou plus récemment

22 d'Ante Markovic, au sujet de la rencontre de Karadjordjevo ?

23 R. Non.

24 Q. Si les Juges de cette Chambre se convainquent en temps utile qu'une

25 réunion a bien eu lieu pour traiter de la partition de cette région, ce

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1 document est un exemple de la vérité dite de la façon la plus claire qu'il

2 soit, n'est-ce pas ?

3 R. Oui. Ce serait le cas. Mais lorsque j'ai rendu compte de la réunion du

4 17 juillet dans le cadre de l'utilisation du système de courrier européen

5 COREU, je pense que la chose est apparue à l'évidence.

6 Q. Oui.

7 R. Je pense que vous parlez de la déclaration publiée à la suite de cette

8 réunion. Je n'ai pas considéré qu'il s'agissait d'un document

9 fondamentalement important.

10 Q. Votre avis au sujet des actions de l'accusé, en août 1994, et du

11 blocage qui s'en suivi. Je pense que vous-même mettez en doute le respect

12 de cet accord. Et si nous regardons votre déclaration, page 33, en bas de

13 page, toujours, vous dites que vous n'avez rien vu qui prouve que Belgrade

14 fournissait du pétrole. Et vous ajoutez, je cite :

15 "Je suppose que Milosevic, depuis le mois de septembre 1994, veillait à ce

16 que les éléments clé du point de vue approvisionnement et appui logistique,

17 atteignent bien le général Mladic, pour la simple raison qu'il importait

18 que Mladic reste loin de Karadzic, et donc reste un allié potentiel."

19 Lord Owen, nous disposons d'un grand nombre d'éléments qui prouvent le

20 blocus était bien réel, mais pouvez-vous nous aider sur la question

21 suivante ? Comment sur la base des informations reçues par vous, vous êtes-

22 vous formé le point de vue que certains éléments d'approvisionnement clé

23 traversaient tout de même ?

24 R. Je n'ai jamais d'éléments à l'appui de cette idée. C'est la raison pour

25 laquelle j'ai utilisé le terme "supposé" dans la phrase que vous venez de

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1 lire. Il importe de ne pas perdre de vue que la communauté internationale

2 présentait cette décision comme une décision d'embargo total sur les

3 approvisionnements entrant en Bosnie-Herzégovine. Mais les choses n'ont

4 jamais été faites par le président Milosevic conformément aux engagements

5 pris par lui antérieurement. Il avait promis de laisser passer les convois

6 humanitaires. Et en ce qui nous concerne, l'approvisionnement le plus

7 important était l'approvisionnement en produits pétroliers. Les munitions

8 étaient prises en compte également, bien entendu. Mais l'armée des Serbes

9 de Bosnie disposait de suffisamment de munitions, sans doute. Elle pouvait

10 fabriquer ses propres armes sur le territoire bosniaque. Les trois parties

11 d'ailleurs pouvaient le faire.

12 Donc on disait beaucoup de choses qui n'avaient aucun sens au sujet du

13 blocus sur les armes et les munitions de tous les côtés. Mais moi, je

14 pensais bien que, et ce n'était pas quelque chose que je suspectais, je

15 pensais effectivement qu'il avait été très clair dans les tentatives de

16 pressions exercées sur Mladic [sic] et Karadzic pour que ceux-ci donnent

17 leur accord au plan du Groupe de contacts. Donc, nous avancions dans les

18 négociations, M. Vance, M. Stoltenberg et moi-même, nous en étions à un

19 plan élaboré par les gouvernements les plus importants du monde; les Etats-

20 Unis, le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne. Et nous voulions faire

21 pression sur le président Milosevic et pas sur les pays occidentaux. La

22 réponse fournie a été conforme à cet accroissement de la pression exercée

23 sur lui pour que les Serbes de Bosnie reçoivent un peu moins de produits

24 pétroliers. Mais vous connaissez vous-même sa position. Il ne voulait pas

25 que la défaite se passe à l'issue d'une guerre.

Page 28388

1 Q. Nous en arrivons à sa position ultérieure et en particulier à la

2 situation de Srebrenica. Abordons ce sujet de façon générale. D'abord,

3 peut-être, n'êtes-vous pas au courant de la réunion de l'assemblée

4 nationale de Sanski Most, le 16 avril 1995, au cours de laquelle le général

5 Mladic a parlé de l'assistance qu'il recevait de l'armée yougoslave. Etiez-

6 vous au courant de la tenue de cette réunion ?

7 R. Je ne l'étais pas.

8 Q. Et il a parlé au cours de cette réunion sur laquelle la Chambre a

9 entendu un certain nombre de témoignages, donc je ne vais pas vous ennuyer

10 avec tout cela. Les Juges sont tout à fait au courant. Je veux parler de la

11 pièce à conviction 427, intercalaire 54. Il a parlé des munitions, des

12 armes d'infanterie qu'il obtenait par milliers de tonnes, et de 42 % de ces

13 armes fournies par l'armée yougoslave à l'époque, ainsi que de 34 % des

14 munitions émanant de la même source.

15 Alors un tel appui, vous surprend-il, ou vous semble-t-il conforme à la

16 réalité ?

17 R. Est-ce que cela se passait entre septembre 1994 et --

18 Q. Oui. Entre 1994 et la période ultérieure.

19 R. Donc ces quantités sont citées comme ayant franchi le -- comme ayant

20 échappé au blocus.

21 Q. Oui.

22 R. Je suis surpris, mais on ne peut jamais savoir. Il était très difficile

23 de se faire une idée exacte. On nous demandait de tous les côtés

24 d'accomplir notre mission. Les gouvernements le souhaitaient. Nous l'avons

25 accomplie. Nous avions plus de 200 hommes sur place, mais les installations

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1 n'étaient pas faciles à utiliser. Les frontières entre la Serbie et le

2 Monténégro, si tant est qu'on puisse parler de frontières, n'étaient jamais

3 sûres. Il était facile de franchir la Drina. Nous n'étions jamais sûrs de

4 pouvoir franchir cette rivière de nuit, puisqu'il n'y avait pas de tunnel

5 sous la rivière. Nous ne pouvions pas savoir si les camions qui passaient

6 étaient des camions chargés d'aide humanitaire. Il fallait que les

7 représentants du HCR et d'autres personnels d'organisation indépendante les

8 inspectent. Nous faisions donc de notre mieux dans des conditions très

9 difficile. Mais sur les produits pétroliers, notre influence a été la même.

10 Il en arrivait pour les Serbes de Bosnie en provenance de Croatie, et même

11 du gouvernement croate. Donc nous étions dans une situation très complexe.

12 Q. Oui.

13 R. Je veux dire que je ne sais pas exact ce qu'il en était à l'époque,

14 mais je n'avais pas d'illusion quant au fait qu'il y avait des

15 approvisionnements qui passaient. Pour en terminer sur ce sujet, une

16 rencontre a eu lieu. Nous en parlerons peut-être de façon plus approfondie

17 plus tard, mais le 25 août, cette réunion s'est tenue, pièce à conviction

18 469, intercalaire 20. Je ne vais pas vous ennuyer avec ce document. Donc

19 c'était une réunion de l'accusé et d'autres responsables de haut rang de la

20 République fédérale yougoslave. Nous avons le compte rendu sténographique

21 de cette réunion et des propos que l'accusé est censé avoir tenus lors de

22 cette réunion en page 11 du document. Dans ce document, nous voyons donc

23 que le blocus était considéré comme une formalité et que l'aide arrivait

24 tous les jours. Ceci vous rappelle-t-il les soupçons que vous nourrissiez

25 vous-même, et auriez-vous été surpris de l'entendre de la bouche de

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1 l'accusé à l'époque ?

2 R. Non. Bien sûr, il ne m'a pas parlé de cela. Il ne m'a pas dit cela. Il

3 parlait de respect scrupuleux des dispositions prises, mais je ne me

4 faisais pas d'illusion. Si la Chambre m'autorise à commenter de façon plus

5 détaillée ce fait, compte tenu du poste que j'occupais dans le cadre des

6 négociations de l'Union européenne --

7 Q. Bien sûr.

8 R. J'ai dit très clairement, que l'une des raisons pour lesquelles je

9 souhaitais interruption, interdiction des approvisionnements par voie

10 aérienne de l'armée serbe de Bosnie, résidait dans la conviction que

11 j'avais que nous ne pourrions jamais exercer une réelle pression sur celle-

12 ci si nous ne brisions pas le lien existant entre la Serbie et la Bosnie.

13 Et pendant toute ma mission, je n'ai cessé de dire que la seule façon de

14 faire légitimement pression de la part des forces de paix des Etats-Unis,

15 consistait à créer une zone d'interdiction aérienne, et que celle-ci soit

16 effectivement mise en œuvre de façon à ce que les routes, les ponts et

17 autres voies d'approvisionnement, voies ferrées notamment, ne puissent plus

18 être utilisées pour cet afflux d'approvisionnement en munitions et autres

19 produits depuis la JNA jusqu'à l'armée des Serbes de Bosnie. Après tout, il

20 y avait des colonels et des généraux dans ces armées qui étaient très liés

21 les uns entre les autres. Le général Mladic avait des liens très étroits

22 avec un certain nombre de généraux de la JNA. Ceci ne faisait aucun doute.

23 Je n'avais aucun doute quant aux fait que le président Milosevic autorisait

24 tout cela et ne procédait pas à des recherches approfondies ou à un

25 contrôle très scrupuleux du respect de ces dispositions. Donc, je devais me

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1 contenter de la situation telle qu'elle était lorsque je m'asseyais aux

2 tables de négociation. C'est le problème que nous avions, mais nous

3 n'étions pas naïfs. Nous savions que les produits pétroliers entraient --

4 je veux dire que ces produits entraient en dépit des sanctions appliquées

5 au Monténégro et ces produits entraient par la voie du Monténégro et du

6 port de Barc [sic]. Les sanctions étaient violées de façon incessante. Les

7 sanctions sur les produits pétroliers étaient censées concerner la Serbie

8 et toute l'ex-Yougoslavie mais nous avions des inspecteurs des Nations

9 Unies sur les hauteurs qui comptaient les camions, les tankers entrant en

10 Bosnie en provenance du Monténégro et nous en avions également qui

11 comptaient les trains sur les voies ferrées. Nous savions exactement ce qui

12 se passait. Nous n'avions pas de doute sur les approvisionnements provenant

13 de Serbie en destination de la Bosnie. Nous avions admis que les produits

14 pétroliers entraient en Bosnie. C'était l'époque où les restrictions

15 imposées en septembre 1994 aux Croates et aux Serbes de Croatie étaient en

16 vigueur mais, encore une fois, malgré les contrôles exercés par nous dans

17 nos tentatives de contrôle et différentes autres dispositions prises pour

18 assurer le respect de ces dispositions, nous savions que les Serbes de

19 Bosnie étaient approvisionnés.

20 Q. Mais il y a une limite, bien sûr, à ce que l'on soit capable de faire

21 en une nuit ou pendant la nuit ?

22 R. Bien sûr, et il y avait toute sorte de possibilités de contourner ces

23 dispositions. Néanmoins, des pressions étaient exercées sur Karadzic et

24 Krajisnik, ainsi que sur Mladic pendant toute cette période et je pense

25 qu'aux nombres de ces pressions, il y avait la solution que j'ai apportée

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1 au problème que j'avais avec le président Milosevic, à savoir, les

2 discussions que nous avions qui ont apporté une certaine aide sur le front

3 des négociations et dans la salle de négociations mais cela ne suffisait

4 pas. Il était responsable d'un gouvernement qui n'exerçait aucune pression

5 sérieuse sur ces hommes pour qu'ils cessent de faire ce qu'ils étaient en

6 train de faire depuis le Sarajevo notamment ou d'empêcher la circulation

7 des convois humanitaires ou de mettre un terme au nettoyage ethnique.

8 Alors, le problème que j'avais était que je ne parvenais pas à convaincre

9 les gouvernements occidentaux d'imposer de telles pressions. Mais je reste

10 convaincu qu'après les discussions de Pale et le fait que le plan de paix

11 Vance-Owen ait été rejeté, nous aurions dû interdire l'approvisionnement à

12 l'armée des Serbes de Bosnie et je pense que nous aurions eu l'appui pour

13 cela auprès de la Serbie et du Monténégro si le président Milosevic avait

14 lui-même été consulté à ce sujet, il aurait donné son accord. Et cela

15 aurait permit de rétablir la paix en Bosnie deux ans avant la date où cela

16 a eu lieu. Ça aurait permit de sauver un grand nombre de vies.

17 Q. Oui.

18 R. Et réduire de beaucoup le nettoyage ethnique.

19 Q. Lord Owen, nous reviendrons sur ce sujet plus en détail un peu plus

20 tard, mais je vous demande un mot au sujet de l'influence exercée par

21 l'accusé ou de son contrôle sur l'armée yougoslave. Les sanctions ont donc

22 été décidées.

23 Vous les connaissiez mais sans connaître le détail, vous saviez que

24 d'autres dispositions étaient nécessaires. Quelques points de détail, dans

25 votre ouvrage, nous voyons ce que vous dites de l'accusé qui a nommé Mladic

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1 à son poste ainsi que Mrksic. Vous souvenez-vous de ces deux événements ?

2 R. Je suppose que ce sont des faits, enfin, j'espère. Les indications que

3 nous recevions étaient des indications orales qui m'ont permis de supposer

4 ce que je dis dans mon ouvrage dont j'étais convaincu. Mais j'espère que

5 cela correspond aux informations directes disponibles à l'époque.

6 Q. Merci beaucoup. Sur le même sujet en quelques mots, page 4 de votre

7 déclaration, à un tiers de la page, vous dites, je cite :

8 "Les gouvernements de la République fédérale yougoslave et de la Serbie et

9 du Monténégro ont toujours prétendu, même si c'était tout à fait improbable

10 à l'époque, qu'ils n'exerçaient aucun contrôle sur les forces serbes de

11 Bosnie ou de Croatie et qu'ils étaient prêts à intervenir en tant que

12 médiateurs de bonne volonté."

13 Il est clair d'après ce que vous écrivez dans votre ouvrage que vous

14 pensiez qu'ils exerçaient, en fait, un contrôle réel.

15 R. Oui. J'ai dit de la façon la plus claire qui soit que je pense que

16 l'armée de Serbes de Bosnie n'aurait pas pu survivre à partir du moment où

17 la Bosnie-Herzégovine a été reconnu en tant que pays indépendant par le

18 conseil de Sécurité si elle n'avait pas bénéficié de l'appui de l'ex-

19 Yougoslavie. Et si cet appui avait été interrompu lorsque le président

20 Milosevic, puisqu'il était président à l'époque, et le président Bulatovic

21 se sont rendus à Pale, s'ils avaient déclaré qu'ils ne les soutenaient pas,

22 il n'y aurait eu aucun approvisionnement traversant la Drina, aucun

23 approvisionnement d'une façon ou d'une autre et les Serbes de Bosnie se

24 seraient trouvés totalement coupés du reste du monde. Je crois qu'à ce

25 moment-là, ils auraient donné leur accord. Ils auraient signé le plan de

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1 paix Vance-Owen.

2 Mais je dois vous dire que si j'ai passé beaucoup de temps à enjoindre à M.

3 Milosevic d'imposer un plan de paix, une solution pacifique, j'ai également

4 invité les gouvernements occidentaux à imposer un règlement pacifique et

5 qu'ils ne l'ont pas fait. Le secrétaire d'état américain de l'époque, dans

6 sa déclaration de février 1993, il venait de prendre ses fonctions, a

7 indiqué qu'il n'était pas sur le principe favorable à un règlement

8 pacifique. Donc, le monde occidental fonctionnait comme si la logique en

9 vigueur consistait à négocier alors que les négociateurs disaient qu'il n'y

10 avait pas moyen d'obtenir un règlement pacifique à moins que des pressions

11 soient exercées de façon très sérieuse sur les responsables, avec y compris

12 la possibilité d'une action par la force.

13 Les pressions auraient pu venir du président Milosevic et de la Serbie dans

14 l'intérêt des Serbes mais des pays occidentaux également.

15 Q. Lord Owen, vous vous rendez bien compte que nous ne pouvons pas

16 participer à un débat sur ce qui s'est passé sur le plan politique. Nous

17 pouvons admettre que vous vous êtes senti abandonné compte tenu de ce qui

18 s'est passé au début de l'année 1993, mais bien entendu à la fin de votre

19 mission, la responsabilité de ce qui s'est passé incombe aux personnes qui

20 agissaient sur le terrain et le cas échéant, si leur responsabilité donc

21 est engagé aux diplomates internationaux.

22 R. Je pense que la responsabilité est partagée au niveau international

23 mais que la plus grande responsabilité incombe à ceux qui résidaient sur le

24 territoire de l'ex-Yougoslavie car s'ils avaient agi différemment, s'ils

25 n'avaient pas freiné les négociations visant à obtenir un règlement

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1 pacifique imposées finalement au mois d'août et juillet et septembre 1995,

2 les choses auraient été différentes. Il n'y a pas d'excuses pour ce qui

3 s'est passé et que les tribunaux ont entendu dans un certain nombre de

4 dépositions. Donc, je ne dis pas ça pour me trouver des justifications ou

5 pour expliquer leurs conduites, certainement pas.

6 Q. Je garde à l'œil sur la montre. J'ai encore un certain nombre de

7 questions à vous poser. Donc rapidement, s'agissant des paramilitaires, on

8 voit que leur présence était moins manifeste que celle d'autres groupes.

9 Vous dites en page 10 de votre déclaration quelle est votre position au

10 sujet d'Arkan et vous estimez pouvoir le mettre dans la catégorie des

11 paramilitaires. Etiez-vous convaincu que des groupes paramilitaires

12 agissaient sur le terrain hors de la Serbie ?

13 R. Le point de vue que je me suis formé au sujet d'Arkan était un point de

14 vue personnel avant je ne n'entame ma mission, et j'ai dit en public que je

15 considérais que ce qui se passait en 1991 et 1992 était scandaleux.

16 Donc je pense que ma position était assez neutre avant que je n'aie prêté

17 serment, et c'était d'ailleurs l'une des difficultés, l'existence de ces

18 crimes de guerre ou de ces crimes contre l'humanité, difficultés auxquelles

19 nous étions confrontés en tant que négociateurs. Nous avons essayé de

20 trouver une solution mais il importe de ne pas perdre de vue que j'ai

21 recommandé qu'un tribunal soit créé. Je l'ai fait auprès de M. Vance. Nous

22 avons également -- et le tribunal dont je parle est celui où nous nous

23 trouvons aujourd'hui, nous avons également recommandé un certain nombre

24 d'autres solutions, des instructions ont été données au Tribunal

25 international sur les dispositions à prendre dans le cadre d'un certain

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1 nombre de questions. Nous pensions qu'il fallait nous concentrer sur

2 certaines de ces questions pour obtenir un accord entre les parties.

3 Q. Quant à la police, les informations dont vous parlez en page 9 de votre

4 déclaration consistaient à dire que la police serbe avait fait irruption

5 dans les locaux du ministère de l'Intérieur de la fédération. Cosic a réagi

6 d'une façon que vous estimiez assez responsable, mais personne n'a été

7 traduit devant les Tribunaux.

8 Selon ce que vous dites, ceci figure, n'est-ce pas, dans votre -- ceci

9 intervient dans votre jugement quant au contrôle exercé par l'accusé sur la

10 police et sa capacité à les tenir en échec ?

11 R. A l'époque les relations entre le président Cosic et le président

12 Milosevic étaient extrêmement mauvaises. Ceci était de notoriété publique

13 au moment où l'irruption dont vous venez de parler a eu lieu. Elle a été

14 traitée dans un certain nombre d'articles par la presse de Belgrade. Donc

15 c'était la presse qui donnait son interprétation des événements et bien sûr

16 j'ai également obtenu le point de vue d'un certain nombre d'ambassadeurs de

17 l'Union européenne à Belgrade, et j'ai eu la chance d'avoir un grand nombre

18 d'informations au sujet de ce qui se passait à Belgrade à l'époque. Mais

19 personne ne connaissait le détail de tout cela. Le président Cosic était

20 très irrité à cause de ce qui venait se passer.

21 Q. Donc à votre avis une action illégale vient de se produire qui a pour

22 but de s'emparer d'un certain nombre de dossiers et qui révèlent

23 l'existence de crimes de guerre, et la seule personne qui aurait pu

24 accorder l'immunité aux auteurs de ces actes était bien l'accusé ?

25 R. Je ne pense pas que d'après mon jugement il ait agi exactement de la

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1 manière que vous venez de décrire. Mais un certain nombre de personnes

2 pensaient que des dossiers incriminant pour lui existaient en 1991/1992 au

3 sujet de l'existence possible de crimes de guerre. Et c'est donc

4 l'expression que j'ai utilisée dans mon ouvrage. Je crois que je peux dire

5 avec une certaine sécurité que cette estimation est permise est possible.

6 Q. Vous parlez également des milices qui dites-vous gardaient les camions

7 lorsque ceux-ci traversaient la frontière en provenance de Serbie ?

8 R. Um-hm.

9 Q. Est-ce que vous estimiez que l'accusé exerçait un contrôle direct sur

10 les milices ou sur la police elle-même militarisée ?

11 R. Je pense que beaucoup a été dit au sujet des loyautés sur lesquelles

12 elle pouvait s'appuyer. Je pense qu'il est possible que de temps en temps

13 la JNA ait agi de façon indépendante et n'ait pas absolument obéi au

14 président Milosevic. Mais mon point de vue très certain, lorsque je regarde

15 de près l'action de la police, c'est que celle-ci était sous son contrôle

16 direct et qu'il en a fait davantage une milice qu'autre chose de façon à

17 avoir un balancier un moyen d'équilibre par rapport à la JNA un certain

18 moment.

19 Q. Vous étiez contre les élections de décembre parce que vous pensiez que

20 ces élections ne se tiendraient pas sans malversations. Vous avez établi un

21 lien entre ce fait et le fait que l'accusé agissait en tant que

22 propagandiste sur les médias qu'il contrôlait, n'est-ce pas ?

23 R. Et bien encore une fois, M. Milosevic faisait preuve de beaucoup

24 d'intelligence dans la façon dont il opérait, et d'une certaine façon il

25 avait hérité ce talent du président Tito, donc il était de notoriété

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1 publique que dans les années 1950 et 1960 lorsque la Yougoslavie a adopté

2 un plus grand respect des libertés que les autres pays communistes. Le

3 système en place, en réalité, était tout simplement un peu plus élaboré que

4 dans les autres pays communistes.

5 S'agissant de M. Milosevic, il n'a pas beaucoup parlé des interprétations

6 faites par les intellectuels de Belgrade dans la presse à l'époque. Il n'a

7 pas consacré trop de temps à des apparitions à la télévision de Belgrade

8 indépendantes par rapport à lui et qui n'étaient pas contrôlées par lui.

9 Mais il s'intéressait beaucoup à la télévision et à la presse qui

10 existaient au niveau fédéral donc dans tout le pays, c'est là que résidait

11 l'appui qui lui était fourni car la presse n'était pas libre et la

12 télévision et la radio n'étaient pas réellement impartiales.

13 Donc il est exact de dire que j'avais le plus grand scepticisme par rapport

14 à cette idée d'élection, avancée par la Communauté européenne car je ne

15 pensais pas que celle-ci pouvait envoyer des inspecteurs en nombre

16 suffisant. Cependant, j'espérais que celui qui était à l'époque premier

17 ministre, à savoir, Panic battrait le président Milosevic à l'issue de ces

18 élections, et ce n'est un secret pour personne que le président Cosic est

19 donc porté candidat et aurait certainement pu battre le président Milosevic

20 en Serbie, mais n'a pas pu le faire pour des raisons de santé. Mais ces

21 élections n'ont pas été -- ne se sont pas tenues sans fraude et il n'y

22 avait pas de place pour des résultats légitimes.

23 Q. Pour en terminer avec ce sujet, je voudrais vous parler d'un homme qui

24 contrôlait la police militaire, un homme capable de dire des contrevérités,

25 un homme qui avait un abord très subtile de la propagande, un homme qui

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1 devait être jugé à l'aune de ses actes et que vous avez fréquenté à cette

2 époque. C'est bien de lui que nous parlons, n'est-ce pas ?

3 R. Oui, je veux dire que c'était un communiste, pas sur le modèle

4 soviétique, mais ce n'était sûrement pas un démocrate. Il agissait dans le

5 secret, il adaptait son action aux circonstances et la modifiait souvent. E

6 si la Yougoslavie avait déjà modifié ses structures, elle était tout de

7 même restée sur le front un pays autoritaire.

8 Q. Vers la fin de 1992, les Serbes, il est n'est-ce pas permis de le dire,

9 avaient obtenu autant qu'ils le souhaitaient par la force. Je ne pense pas

10 que vous ayez nécessairement été au courant de l'existence d'un organe

11 chargé de l'harmonisation. Est-ce que vous le connaissiez ?

12 R. Non.

13 Q. Donc c'est la raison pour laquelle il est toujours bon d'avoir des

14 procès verbaux par écrit.

15 M. NICE : [interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, vous

16 vous souviendrez que c'est le témoin Lilic qui a permis la production de ce

17 document. Nous en avons une traduction. A l'époque il s'agissait d'un

18 projet de traduction mais nous avons -- c'est toujours un projet de

19 traduction. Il nous faut encore attendre la traduction définitive. Je vais

20 citer une page qui a déjà été abordée par le témoin Lilic et il s'agit de

21 la pièce à conviction 469, intercalaire 44. Je demande qu'on place ce

22 document sous le rétroprojecteur. Je vais donner lecture de ce passage.

23 Q. Donc l'accusé s'exprime le 9 janvier 1993.

24 M. NICE : [interprétation] C'est en haut de la page, Monsieur l'Huissier.

25 Très bien, merci.

Page 28400

1 Q. Les propos en question se lisent comme suite, je cite : "Je me

2 permettrais de vous interrompre. Passpal [phon] a déclaré que le peuple

3 serbe devait jouir d'une totale intégrité. Donc de facto nous devons agir

4 de cette façon car objectivement et selon tous, nos rapports politiques,

5 militaires, économiques, culturels, et du point de vue de l'éducation, nous

6 jouissons de cette intégrité. La question qui se pose c'est comment obtenir

7 la reconnaissance de cette intégrité de cette unification, et comment lui

8 donner des bases légales. Comment renverser la situation qui existe dans

9 les faits de façon à ce qu'il n'y ait pas de danger de facto ou dé juré.

10 Selon la voie qui sera choisie, on aboutira à une solution acceptable de

11 jure mais qui peut constituer une espèce de 'labyrinthe'. Nous

12 n'autoriserons jamais une modification de facto de la situation, mais grâce

13 à ce 'petit labyrinthe' nous pouvons admettre un certain nombre de

14 changement dans six mois ou un an peut-être, si non, peut-être deux ans.

15 Qu'est-ce que cela nous donnera ? Cela nous donnera une réduction de nos

16 pertes et une solution pour sauver notre peuple. Nous devons faire des

17 sacrifices attendus par ce même."

18 Alors, Lord Owen, si on revient à votre déclaration en page 12, on trouve

19 un autre passage qui suit l'expression par vous de votre confiance quant au

20 fait que l'accusé oeuvrait à un règlement et vous ajoutez, je cite :

21 "J'ai très peu de doute quant au fait que Milosevic a dit à Karadzic en

22 privé qu'en semblant donner son accord à notre carte, il pouvait néanmoins

23 s'attendre à des changements suite aux pressions qui s'exerceraient sur le

24 terrain et pouvait donc -- trois provinces distinctes où les Serbes étaient

25 majoritaires obtiennent ce qu'elles souhaitaient avec le temps suite aux

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1 pressions exercées par les Serbes conjointement."

2 Donc je regrette que vous n'ayez pas eu la possibilité de lire cet extrait

3 traduit du texte que je viens de lire, qui émane de la bouche de l'accusé,

4 mais admettez-vous la proposition, selon laquelle ils pensaient que, par la

5 force, gains de facto seraient obtenus qui feraient suite aux gains obtenus

6 de jure suite aux négociations ?

7 R. Non, je ne suis pas d'accord avec la façon dont vous dites cela car

8 vous avez cité un passage de mes propos sans le situer dans son contexte.

9 J'ai dit que : "Je pensais, compte tenu de l'existence d'un plan détaillé

10 des forces de l'OTAN, qu'il serait suffisant d'avoir sur le terrain des

11 forces entraînées pour empêcher ce qui se passait."

12 Mais je n'ai pas nié que j'aie le sentiment exprimé par vous à l'instant

13 dans l'interprétation de ce texte dont vous venez de donner lecture, à

14 savoir quant au sentiment du président Milosevic à l'époque, je suis sûr

15 que c'est bien ainsi que les choses se passaient.

16 Mais nous participions à un combat sérieux qui se déroulait en dehors des

17 expressions de courtoisie et de la diplomatie publique. Et donc il savait

18 très bien ce qu'il faisait à l'époque et je pense qu'il savait qu'il

19 pouvait faire des tentatives en coulisse.

20 Q. Bien sûr.

21 R. Ceci explique, à mon avis, pourquoi il n'était pas préparé aux

22 pressions qui ont eu lieu en dehors des discussions formelles parce qu'il

23 craignait qu'a cette époque là et, étant donné que 60 000 soldats de l'OTAN

24 se regroupaient, ce qui donc était une force importante, il craignait que,

25 compte tenu des complexités du plan qui prévoyait l'existence de dix

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1 provinces et le maintien d'une Bosnie-Herzégovine unie dans le cadre des

2 dispositions prises par les Nations Unies et les autres pays de l'Union

3 européenne qui avaient accepté ce plan avec le soutien de l'OTAN.

4 Je pense qu'il faut que nous voyions bien comment la situation se

5 développait à l'époque avec cette bataille des intellectuels qui se

6 déroulaient en coulisse, des conversations très polies que nous

7 connaissions. Je savais parfaitement bien qu'aucun plan ne pouvait être

8 proposé qui serait fidèlement mis en œuvre par l'une quelconque des parties

9 en présence, et le seul espoir que nous avions c'était de pouvoir imposer

10 fortement le respect de ce plan. Je pense que le président Milosevic savait

11 ce qui se passait. Il savait quel était le sentiment de l'opinion publique

12 américaine et quel était le sentiment de l'opinion publique dans les pays

13 occidentaux. Et, par conséquent, il ne pensait pas s'opposer frontalement

14 au plan, mais il pensait pouvoir obtenir un ajournement de celui-ci. Les

15 réalités du terrain étaient ce quelles étaient, à l'époque. Le nettoyage

16 ethnique se poursuivait, les événements devenaient de plus en plus

17 cruciaux. Je ne pense pas qu'il s'est exprimé autrement que ne l'aurait

18 fait tout Serbe loyal à son peuple. Il ne s'occupait que des intérêts des

19 Serbes ce qu'il avait à l'esprit c'était un certain nombre de

20 renseignements fournis par les services de renseignements. Il savait

21 exactement où il mettait les pieds, mais je pense qu'il ne pensait pas

22 pouvoir s'en sortir en dehors de l'acceptation d'un plan de paix que ce

23 soit le plan de paix du groupe de contacts ou le plan de paix de l'Union

24 européenne ou quel que soit le nom qu'on donne à ce plan. Il savait que ce

25 plan serait soutenu par des forces importantes, à partir du mois de mars

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1 1993 à peu près, et nous savions que ce plan ne pourrait intervenir sans

2 l'appui de Nations Unies.

3 Q. Je suppose sur la base de votre réponse que vous admettiez les

4 ambitions d'unités de la Serbie à l'époque ?

5 R. C'est un pragmatique. Cet homme -- et je pense qu'il ne pouvait pas

6 exclure la possibilité que la Republika Srpska nourrisse des liens étroits

7 avec la République de Serbie et, comme les Croates avaient des liens

8 étroits avec la Herceg-Bosna, donc le président Milosevic parlait d'une

9 façon déterminée à l'époque. Il avançait un certain nombre de solutions. Il

10 décrivait sa façon de voir le monde et la scission de la Bosnie, mais ne

11 bénéficiait de l'appui de la communauté occidentale à l'époque. A mon avis,

12 je pense que, sur le plan intellectuel, au moins il reconnaissait que la

13 Republika Srpska existerait en dehors de la Serbie, mais, avec des liens

14 très étroits avec celle-ci de façon à obtenir, dans la pratique, ce lien

15 que les citoyens serbes souhaitaient, même si le lien n'existait pas de

16 façon officielle. Mais je ne connais pas -- je ne sais pas si ce que je dis

17 est une certitude finalement.

18 Q. Pour en finir sur ce sujet, pages 26, 27, de votre déclaration, je me

19 permettrais de la résumer. Aleksa Buha, ministre des Affaires étrangères

20 des Serbes de Bosnie exprime son scepticisme quant au point de vue de

21 Milosevic, selon lequel les Serbes de Bosnie pourraient continuer à vivre

22 dans un seul état aux côtés des Musulmans, comme cela était prévu dans le

23 plan Vance-Owen.

24 Après réflexion, pensez-vous que le point de vue exprimé par Milosevic,

25 quant au fait qu'ils pouvaient vivre ensemble était simplement une

Page 28404

1 expression à court terme et que, dans la réalité, il pensait qu'à long

2 terme, les choses seraient différentes ?

3 R. Non, je ne pense pas. Je pense que le président Milosevic n'est

4 fondamentalement pas raciste; ça c'est une certitude. Je pense que c'est un

5 nationaliste, mais, en tout état de cause, un nationaliste modéré. Je pense

6 qu'il est pragmatique et que les Musulmans, ayant vécu aux côtés des Serbes

7 pendant longtemps dans ces régions où les groupes musulmans étaient parfois

8 importants, je ne parle pas en ce moment du Kosovo ou du Sandzak, mais je

9 dis qu'à Belgrade, y compris il y avait de nombreux Musulmans qui

10 habitaient aux côtés des Serbes. Et je pense qu'il convient de reconnaître

11 que les vieux communistes yougoslaves étaient très opposés au nationalisme

12 ethnique et que certains se sont même exprimés contre les nationalistes

13 très ouvertement. Donc il convient d'exclure de la façon la plus claire qui

14 soit toute attitude raciste sur le plan ethnique de la part de cet homme --

15 je veux parler du président Milosevic ou de son épouse qui, à mon avis,

16 doit être incluse dans le même jugement.

17 Je pense également qu'il était honnête dans ce qu'il faisait. Je ne pense

18 pas qu'il faisait preuve d'hypocrisie. Je pense qu'il souhaitait que les

19 Serbes soient majoritaires et qu'il souhaitait qu'un gouvernement serbe

20 règne sur les régions peuplées par les -- peuplées majoritairement par les

21 Serbes, mais je ne pense pas que, personnellement, il ait bien interprété

22 leur motivation réelle. Je dois dire que tous les Musulmans de la Republika

23 Srpska ne souhaitaient pas forcément ce que souhaitaient les Musulmans qui

24 résidaient hors de Serbie. Je ne pense pas que l'homme dont nous parlons

25 était un puriste sur le plan ethnique.

Page 28405

1 Q. Vous avez donc parlé des ambitions, de pouvoir personnel de l'accusé.

2 Vous avez utilisé la comparaison avec un tigre nationaliste et vous avez

3 dit qu'il n'appréciait pas la moindre morsure de qui que ce soit ?

4 R. Oui. Et, bien sûr, il en a subi.

5 Q. Lord Owen, je regarde la montre, je dois avancer. Parlons de Srebrenica

6 puis nous reviendrons sur d'autres questions.

7 M. NICE : [interprétation] Lord Owen, Monsieur le Président, a des réponses

8 assez longues. Je ne veux pas l'interrompre, mais j'ai tout de même une

9 preuve et passion, quant à l'heure qui passe.

10 Q. Donc je vais peut-être vous poser des questions plus désordonnées au

11 sujet de Srebrenica, mais je reviendrai sur un certain nombre de détails

12 plus tard.

13 R. Je vais essayer de vous répondre plus brièvement.

14 Q. Les questions, relatives à Srebrenica et aux zones protégées par les

15 Nations Unies, sont importantes. Les civils de Srebrenica ont été

16 emprisonnés par la force dans tous les cas. Ils n'avait absolument pas

17 mérité le sort qui leurs étaient réservé,

18 n'est-ce pas ?

19 R. Je pense que c'est le moins que l'on puisse dire. Il n'y a pas de mots

20 pour décrire la situation.

21 Q. Fort bien. Est-ce que l'on peut blâmer ces civils pour quoi que ce soit

22 qui leurs est arrivé ?

23 R. Ce n'est pas mon travail de dire qui est à blâmer pourquoi, mais les

24 réalités de la vie, si l'on regarde d'un peu plus près, ces combats,

25 village par village, sont les réalités d'une guerre civile et, si l'on

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1 commence à penser que l'une des parties est totalement pure et que l'autre

2 est totalement noire, en général, on ne s'en sort pas. Donc, pour s'en

3 sortir lorsqu'on pense à l'ex-Yougoslavie, il ne faut pas travailler sur

4 des hypothèses différentes et je ne pense pas que les habitants de ces

5 villages à Srebrenica ou dans les environs, Musulmans ou Serbes, aient été

6 très différents de ce que l'on trouve dans le reste de la Yougoslavie,

7 endroits où les conflits faisaient rage entre Musulmans et croates, ou

8 Serbes et Croates. Donc il est très difficile de répondre à cette question.

9 Q. Bien.

10 R. Je ne vais pas contester ce que vous avez dit. Vous parlez du mois de

11 septembre. Vous me mettez certains propos dans la bouche, mais, en tout

12 cas, très peu d'entre eux peuvent se voir reprocher quoi que ce soit.

13 Q. Fort bien. Prenons votre déclaration, page 3.

14 R. Je veux dire, je pourrais tout de même ajouter quelques mots.

15 Q. Oui.

16 R. Les habitants de Srebrenica ont souffert un sort particulièrement

17 atroce dans cette situation. C'était l'une des crises humanitaires les plus

18 graves qui aient existé. Et j'en parle dans mon livre. Je dis comment les

19 forces du mal se sont mises en œuvre. Je parle de l'horreur vécue par ces

20 habitants qui étaient des hommes comme tout le monde. Et, bien entendu,

21 l'homme de la rue ne peut se voir reprocher quoi que ce soit. Ce serait

22 scandaleux de le faire. Je ne souhaite pas -- je n'ai aucune intention de

23 diminuer en quoi que ce soit les horreurs de ces événements depuis 1992

24 jusqu'en 1995, de façon continue.

25 Q. Merci. En page 3, de votre déclaration, il y a votre lettre au premier

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1 ministre britannique, du 30 juillet 1992. En haut de la page nous lisons,

2 je cite :

3 "Je crois que certaines des grandes villes actuellement attaquées, telles

4 Sarajevo et Gorazde, devraient obtenir des renforts aériens, grâce à des

5 troupes régies par les Nations Unies. Nous reviendrons sur cela en détail.

6 Si quelque chose aurait été entrepris à cette époque-là, la Bosnie n'aurait

7 peut-être pas été prise par les forces serbes ou croates, et un plan de

8 paix aurait pu être négocié. Si aucune action n'est prise à présent, rien

9 ne restera de la Bosnie pour la population musulmane. Il n'y aura plus rien

10 à négocier."

11 Donc tout ceci parle sans doute de soi-même. Mais est-ce que cela prouve

12 l'échec terrible qui a été vécu dans des endroits comme Gorazde ou autres,

13 dans la région ?

14 R. Je participais, à l'époque, aux premières rondes de négociations. Je ne

15 connaissais pas toute la complexité de la situation que j'ai appris à

16 connaître par la suite. A l'époque, je pensais que les Musulmans n'étaient

17 pas simplement des victimes. Je pense que j'ai changé de position un peu

18 plus tard, aux vues des événements, lorsque je suis arrivé à Sarajevo, et

19 que j'ai entendu dire que les forces gouvernementales bosniaques avaient

20 tiré sur un convoi humanitaire des Nations Unies.

21 Donc les choses semblaient plus simples à l'époque dont nous parlons que

22 par la suite. Et en tant que député britannique d'ailleurs, je n'étais plus

23 au parlement, mais j'étais simple citoyen britannique. Mais, en tout cas,

24 j'avais le sentiment plein et entier compte tenu que j'étais de plus en

25 plus impliqué dans tous ces événements que 65 à 70 % du territoire de la

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1 Bosnie-Herzégovine était contrôlé par les Serbes.

2 Et à une certaine époque, lorsque l'action était plus importante, je pense

3 qu'il est permis de dire que le président Izetbegovic avait pratiquement

4 été exclu. Je parle du gouvernement qui contrôlait 10 % du territoire de la

5 Bosnie-Herzégovine, à ce moment-là. Il y a eu des moments où nous nous

6 sommes inquiétés pour la population musulmane et pour le gouvernement de

7 Sarajevo. Nous pensions qu'ils risquaient d'être complètement balayés si --

8 au moment notamment où il semblait que les Croates allaient retirer leurs

9 forces de la Bosnie centrale. Et nous pensions qu'à ce moment-là, les

10 Serbes risquaient de se partager l'est et l'ouest de la Bosnie-Herzégovine,

11 ce qui aurait été très négatif. Pendant toute cette période, nous pensions

12 que les enclaves dans l'est de la Bosnie risquaient d'être balayées.

13 Q. Et, bien sûr, le gouvernement bosniaque a utilisé les forces militaires

14 parce qu'il nourrissait des craintes sérieuses ?

15 R. En effet. Il n'y a aucun doute quant au fait que le premier accord de

16 Srebrenica était un accord assez mal fagoté. Et je pense que Kofi Annan le

17 décrit très bien dans un mémorandum qu'il a écrit à ce moment-là. D'après

18 les Nations Unies, ces accords de démilitarisation étaient des accords

19 entre les parties au conflit, et c'est probablement la seule façon dont on

20 peut les décrire. Mais le terme, que les Nations Unies avait à l'esprit,

21 était intervention d'une responsabilité pour protéger la population de

22 Srebrenica.

23 On sait bien, on connaît ce document des Nations Unies que vous avez

24 probablement eu entre les mains, dans lequel Kofi Annan a écrit, le 23

25 avril 1993, au général Wahlgren, ce qui se passe. Et je pense, "Qu'il fait

Page 28409

1 référence au message manuscrit de Lord Owen, et aux actes entrepris par

2 FORPRONU à Srebrenica."

3 Q. Si vous pensez à l'état d'esprit de la population, qui ensuite devait

4 se transformer en victime, il est manifeste que l'accusé était au courant.

5 Nous allons maintenant avancer chronologiquement. Nous nous trouvons, en

6 page 22, de votre déclaration, point de vue rétrospectif sur le 8 juin

7 1993, où vous parlez du conseil des Affaires étrangères, qui se tient en

8 réunion, au Luxembourg. En bas de page, vous dites, je cite : "Son problème

9 est le nôtre. C'est que Karadzic et Mladic sont comme des chats en train de

10 laper la crème. Ils estiment que l'existence de la Republika Srpska est un

11 fait accompli. Un problème supplémentaire, c'est que la République de

12 Krajina, à la suite du référendum, va se joindre à la Republika Srpska, une

13 fois que la nouvelle capitale des Serbes de Bosnie en Krajina sera Banja

14 Luka. Le général Mladic aura donc, à ce moment-là, le contrôle formel, non

15 seulement de l'armée des Serbes de Bosnie, mais également des forces serbes

16 de Croatie. Et il pourra retourner à Knin qui est la base de sa

17 réputation."

18 C'était ce que vous pensiez sur le plan militaire et politique de la

19 direction locale, à l'époque. Vous pensiez que ceci pouvait être une source

20 de grande inquiétude pour les habitants de la région ?

21 R. Oui.

22 Q. Et vous aviez des renseignements qui vous permettaient de penser que

23 l'accusé n'était pas forcément au courant de tout. Et tout cas, ne savait

24 pas tout ce que savaient les habitants de la région. Est-il permis de dire

25 les choses ainsi ?

Page 28410

1 R. Je pense que les habitants vivaient dans une crainte permanente. Je

2 parle des habitants musulmans de Srebrenica. Pendant la plupart -- pendant

3 la plus grande partie de cette période, ils vivaient entourés par des

4 forces serbes de Bosnie qui leur étaient hostiles. Et je pense que les

5 privations et la crainte étaient sans doute plus importantes pour eux que

6 pour quiconque d'autres, y compris à Sarajevo, dans d'autres villes

7 assiégées.

8 Q. En fait, je pense que, lorsque vous parlez de privations, vous parlez

9 de l'état sanitaire et du risque de maladies. Et vous pensez aux privations

10 comme ayant des cibles précises, n'est-ce pas ?

11 R. Oui. Il ne fait aucun doute que les pilonnages sur les installations de

12 distribution d'eau étaient motivés par cet objectif. Ceci s'est passé

13 également à Sarajevo, mais avec davantage de succès à Srebrenica.

14 Srebrenica est une petite localité et les effets du siège ont été bien

15 pires à cet endroit qu'ailleurs, et les habitants devaient vivre avec cela.

16 Donc il est tout à fait compréhensible qu'ils ne souhaitaient pas laisser

17 les armes, et nous avons dû nous battre avec ce problème. En tout cas,

18 c'était ce qu'a dû faire le général Morillon.

19 Au début, il a essayé d'obtenir un accord des deux parties pour une

20 démilitarisation totale et, bien sûr, pour la création de zones protégées

21 internationalement. Et la Croix rouge internationale était favorable à

22 cette création de zones protégées. De cette façon, les attaques auraient pu

23 être plus contrôlées, mais il n'y en a pas eu à l'époque. Et la situation

24 était très équilibrée.

25 De façon à être crédibles, les Nations Unies s'étaient préparées à faire

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1 entrer une des forces importantes à Srebrenica pour défendre -- pour

2 s'opposer à toute violation de l'accord par l'une ou l'autre des parties.

3 Ces forces étaient censées être neutres et tenir Srebrenica de façon

4 pacifique, mais il fallait des hommes plus nombreux que simplement les

5 Canadiens, et plus tard les Néerlandais, qui y sont entrés.

6 M. NICE : [interprétation] Pouvons-nous, sur la base de votre déclaration,

7 page 36, que je demanderais de placer sur le rétroprojecteur, pour suivre

8 l'examen de vos positions. Je pense que c'est plus facile pour le public

9 dans la galerie du public.

10 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Monsieur Nice, nous avons dépassé l'heure

11 habituelle de la pause, mais cela n'a pas d'importance. Nous ferons la

12 pause plus tard lorsque le moment sera jugé opportun par vous, Monsieur

13 Nice.

14 M. NICE : [interprétation] Peut-être pourrais-je en finir avec le passage

15 suivant et la prochaine pièce à conviction m'arrangerait, après quoi, nous

16 pourrons faire la pause.Parlons donc de ce document sur le rétroprojecteur.

17 Q. Vous avez déclaré, Lord Owen, qu'en avril 1993, lors d'une conversation

18 téléphonique avec l'accusé, vous lui avez dit votre anxiété, "Et ce en

19 dépit des assurances fournies par le Dr Karadzic, qui affirmait que les

20 Serbes de Bosnie respectaient les accords, la poche de Srebrenica était

21 réduite en taille. J'ai rarement entendu Milosevic parler avec autant

22 d'exaspération et autant d'inquiétude. Il craignait que, si les troupes des

23 Serbes de Bosnie pénètrent à Srebrenica, cela ne provoque un bain de sans

24 en raison des griefs qui existaient entre les deux armées."

25 Et ensuite, nous voyons que les Serbes de Bosnie se saisissent du jeune

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1 commandant musulman de Srebrenica, Naser Oric, qu'ils tiennent responsable

2 pour les massacres survenus près de Bratunac en décembre 1992 au cours

3 desquels des civils serbes avaient été tués.

4 "Milosevic estimait que ce serait une erreur grave pour les Serbes de

5 Bosnie de s'emparer de Srebrenica et s'est engagé à le dire à Karadzic. Il

6 a exprimé des doutes quant à l'efficacité des troupes canadiennes, dans les

7 négociations avec les inspecteurs des Nations Unies, et vous avez organisé

8 une rencontre à cette fin."

9 En annexe G, en bas de page, vous dites, je cite : "J'aimerais appeler

10 votre attention sur Srebrenica. Le 16 avril, une attaque sur Srebrenica a

11 eu lieue le 12 avril, mais elle était différente en nature. Il y a eu

12 participation de la JNA et de l'armée des Serbes de Bosnie. Et dans mon

13 rapport, j'ai dit que j'avais été satisfait de pouvoir m'adresser

14 directement au président Milosevic."

15 Donc si l'on fait le lien entre les deux événements, ce que vous dites au

16 sujet de l'implication de la JNA, quatre jours avant, et la conversation

17 que je viens de résumer, où il est question de crainte d'un bain de sang si

18 l'armée pénétra Srebrenica. Est-ce que votre position a été correctement

19 résumée ?

20 R. Oui.

21 Q. Avant de passer à cette page, pour gagner du temps, il y a une autre

22 phrase que j'aimerais que vous examiniez en bas de page et en haut de la

23 page suivante, je cite : "Des parallèles existent également sans doute

24 entre ce qui s'est passé à Sarajevo et, dans ses environs en juillet, août

25 1993 et ce qui s'est passé en juillet 1995."

Page 28413

1 C'est peut-être une erreur, mais suite à --

2 R. Je suis un peu perdu. Où est-ce que nous en sommes ?

3 Q. Au bas de la page 36 et au début de la page 37.

4 R. Excusez-moi, je n'avais pas tout à fait bien compris.

5 Q. Je comprends que vous manquiez un peu de temps mais nous n'allons pas

6 poursuivre très longuement. Peut-être pourriez-vous consacrer à la pause à

7 la lecture plus détaillée de ce passage ?

8 J'aimerais vous ramener à un dernier document, donc l'annexe G qui fait

9 plusieurs pages.

10 R. Mon assistante essaie de m'aider. Je pense que le mot "Sarajevo" dans

11 ce texte devrait être remplacé par "Srebrenica."

12 Q. Très bien. Merci beaucoup.

13 R. Les choses sont ainsi plus claires.

14 Q. Oui.

15 R. Excusez-moi.

16 Q. Absolument. Passons maintenant à l'annexe G, Lord Owen. Vous avez le

17 numéro ERN en haut de page, 24750 --

18 R. J'ai l'annexe G sous les yeux.

19 Q. Votre annexe G, sur le rétroprojecteur, je vous prie.

20 R. C'est un rapport que j'ai dicté, donc, une conversation que j'ai eue

21 avec le président Milosevic.

22 Q. Exact. Quatre lignes après le début du texte, le texte se lit comme

23 suit : "Le président Milosevic était heureux que j'aie pris contact avec

24 lui. Il était exaspéré et très préoccupé par rapport au fait que l'armée

25 serbe de Bosnie risquait de pénétrer à Srebrenica au quel cas, il y aurait

Page 28414

1 un massacre," en raison des griefs existants et cetera, et cetera.

2 Pouvez-nous considérer que telle était bien sa position à l'époque puisque

3 nous trouvons cette expression dans un document que vous avez pris grand

4 soin à rédiger précisément, n'est-ce pas ?

5 R. J'ai dicté le texte cet après-midi-là suite à la conversation que j'ai

6 eue avec lui. Donc je m'en tiens à ce que j'ai dis comme étant une

7 description précise de ce que pensais à l'époque, sans aucun doute.

8 Q. Par conséquent, au printemps 1993, les négociateurs internationaux,

9 l'accusé et les victimes reconnaissent que des citoyens de Srebrenica

10 peuvent faire l'objet d'un bain de sang ou d'un massacre si l'armée

11 intervient ou entre dans la ville ?

12 R. Tout à fait.

13 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Le moment se prête bien à la pause. Nous

14 allons faire une pause de vingt minutes, Lord Owen.

15 Je veux vous faire cet avertissement, c'est ce que nous faisons pour chaque

16 témoin. Vous n'êtes censé parler à personne de votre déposition tant

17 qu'elle n'est pas terminée.

18 Pause de vingt minutes. L'audience est suspendue.

19 --- L'audience est suspendue à 10 heures 43.

20 --- L'audience est reprise à 11 heures 07.

21 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Oui, Monsieur Nice.

22 M. NICE : [interprétation] Il faudra sans doute que le document dont il a

23 lu un extrait soit versé au dossier. C'est ce que demande Lord Owen.

24 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Nous le ferons en temps utile. Nous

25 allons d'abord veiller à ce qu'il y ait des photocopies.

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1 M. NICE : [interprétation]

2 Q. Nous nous étions arrêtés au printemps 1993. Les Juges disposent de

3 documents montrant ce qui s'est passé en 1994 de façon générale. Nous

4 n'allons pas y consacrer beaucoup de temps mais consultons l'annexe B dans

5 vos annexes à vous, quatre pages après le début vous avez une

6 correspondance européenne qu'aurait lieu du 22 juillet 1994, et je pense

7 que vous parlez de Sarajevo. J'y reviendrai plus tard. Cependant, au

8 paragraphe 3, on montre là que les positions n'ont pas changé, vous dites :

9 "Comme la clé comme toujours reste Milosevic. Il sait ce que c'est que le

10 pouvoir et il ne fera pression davantage sur les Serbes de Bosnie que si le

11 groupe de contact le convainc de la nécessité de le faire. Il n'allait

12 faire quoi que ce soit que s'il y était forcé ou si c'était dans son

13 intérêt. Ou si c'était contraire à ses intérêts il ne ferait quoi que ce

14 soit que s'il était forcé."

15 R. Oui.

16 Q. Fort bien. Passons au début 1995. Vous mentionnez cette période à la

17 page 41 de votre déclaration, c'est tout à la fin de votre déclaration.

18 Vous dites ceci, dernier paragraphe de la page : "Les 25 et 26 mai, il y a

19 eu une deuxième vague de frappes aériennes de la part de l'OTAN dirigées

20 sur les cibles serbes de Bosnie ce qui a eu pour effet la prise d'otages

21 des Nations Unies et les Français ont dit au groupe de contacts qu'il

22 fallait regrouper les forces onusiennes en unités qui soient défendables,

23 mais sans abandonner les zones de sécurité. Et les membres permanents du

24 conseil de Sécurité savaient que ces zones soient disant de sécurité

25 étaient les plus vulnérables. Et la plus vulnérable d'entre elles était

Page 28416

1 Srebrenica."

2 C'est ce que vous saviez et ce qui était au fond de notoriété publique ?

3 R. Quiconque avait suivi les guerres en ex-Yougoslavie et quiconque

4 connaissait leur histoire à partir de la presse écrite ne serait-ce que par

5 là savait très bien où en était Srebrenica.

6 Q. Mais peut-être entendrons-nous d'autres témoins mais nous avions

7 l'ambassadeur Aria, chef des pays non alignés qui avait dit que c'était des

8 endroits très vulnérables ?

9 R. Oui. Il avait émis des critiques très vives à l'encontre des

10 résolutions portant sur ces zones de sécurité et ceci remonte au mois

11 d'avril 1993. Et je parle notamment de la décision la plus mauvaise jamais

12 prise pendant mes fonctions, à savoir, de la mise en vigueur de ce plan

13 conjoint en mai, juin 1993. Il faut que les Juges comprennent ceci. Tout le

14 monde savait qu'il n'y avait pas suffisamment d'effectifs que ce soit les

15 casques bleus ou les bérets bleus, et ce document auquel j'ai fait

16 référence le dit clairement, document que je soumets aux Juges. Kofi Annan

17 lui-même le dit. Il le dit en termes tout à fait explicites. Il dit ceci,

18 et nous comprenons bien sûr que 145 soldats chargés de maintenir la paix ne

19 peuvent pas résister à une invasion de grande envergure qui serait lancée

20 par l'armée serbe de Bosnie et surtout s'il y a intervention de

21 l'artillerie lourde sur les forces de la FORPRONU qui doivent se réfugier

22 quelque part aussi.

23 Q. Page 42. On a un autre élément de renseignements et de qui explique la

24 morosité du conseil chargé de ces affaires. On dit :

25 "Il est apparu qu'il y avait une controverse, une polémique quant à la

Page 28417

1 nécessité de protéger ces zones de sécurité alors que la FORPRONU

2 manifestement n'est pas en mesure de défendre ces six zones de sécurité."

3 R. Oui. Et c'est ce que je disais au conseil de Sécurité parce qu'à ce

4 moment-là le secrétaire général de l'époque, Boutros Boutros Ghali, à mon

5 avis, avait fait preuve d'un certain courage en offrant une solution de

6 rechange permettant de sortir de ce qui était appelé ces zones de sécurité

7 et qui reconnaissait le fait qu'on n'était pas en mesure d'assurer leur

8 défense. Mais une fois de plus le conseil de Sécurité a préféré la

9 rhétorique à la réalité. Il était plus facile aux membres du conseil de

10 Sécurité de souscrire à une politique sans lui en donner les moyens de se

11 réaliser et malheureusement les habitants de Srebrenica, au regard du

12 monde, vivaient dans des zones sures, des zones de sécurité, or ces zones

13 n'ont jamais été sures, dès qu'on a qualifié Srebrenica de zone sure, de

14 zone de sécurité.

15 Q. Vous dites : "Ensuite que plus tard le conseil de Sécurité a adopté la

16 même politique que le conseil et pour ce qui est de Zepa et Gorazde au

17 moment où moi j'ai démissionné, j'estimais que ça n'avait jamais été des

18 zones de sécurité."

19 Je reviens dans un instant à ceci mais auparavant, veuillez consulter

20 l'annexe G, à cette page que nous examinions avant la pause, où on cite les

21 termes de l'accusé comme étant ceux de massacres. Nous avons un rapport

22 qui vous est adressé par John Wilson, le 16 avril 1993. Comme ça, je

23 remonte dans le temps pour revenir à une position adoptée auparavant.

24 M. LE JUGE MAY : [aucune interprétation]

25 M. NICE : [interprétation] Le chiffre ERN 24747, paragraphe 5.

Page 28418

1 Q. Votre collègue, votre subordonné fait rapport du fait que les Serbes

2 avaient réduit la taille de la poche de Srebrenica, qu'il y a une menace

3 d'intervention militaire, et qu'il y a plusieurs solutions à disposition.

4 Il y a concentration de civils musulmans et si on essaie d'utiliser cette

5 population comme moyen de marchandage pour libérer les Serbes de Sarajevo

6 et Tuzla. Et puis qu'il faudra terminer l'action militaire contre

7 l'approche en capturant la ville. Difficile de voir ce que pense Mladic.

8 Est-ce qu'une autre action militaire va provoquer une intervention

9 internationale ? Il a sans doute réussi cet objectif stratégique sans

10 prendre l'assaut de la ville. Et en fait, il va essayer d'utiliser la

11 population de la poche comme moyen de marchandage. Cependant, il est peu

12 probable qu'il soit prêt à se livrer et à accepter notamment que les

13 soldats Musulmans passent par un couloir pour sortir de la poche.

14 Paragraphe 6, deuxième phrase, on dit : "Les Musulmans n'ont pas une option

15 militaire. Ils sont peut-être prêts à participer à cette action puisque

16 c'est un sujet très médiatisé dans le monde."

17 Et ceci montre les contraintes très rigoureuses en ce qui concerne la

18 possibilité d'une intervention militaire à Srebrenica ?

19 R. C'était un général de brigade, John Wilson, de l'armée australienne, il

20 faut s'en rappeler -- se le rappeler. Et il avait été rattaché à la

21 conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie en tant que conseiller de

22 moi-même et de M. Vance.

23 Q. Vous avez démissionné, mais à ce moment-là, faisons le bilan de la

24 situation. Apparemment, l'accusé n'a jamais paru avoir peur de qui que se

25 soit.

Page 28419

1 R. Il avait énormément de respect pour Cyrus Vance. Est-ce que c'était de

2 la peur, je ne sais pas ? A mon avis, il n'aimait pas empiéter ou revenir

3 sur ce qu'avait fait Vance, et on pensait véritablement qu'ils étaient

4 parvenus à un accord à propos de la Croatie. Je pense qu'il voulait en fait

5 les rares fois où M. Vance s'est fâché à propos de M. Milosevic avait un

6 certain poids.

7 Q. Si l'on passe des personnes venant du milieu international aux

8 personnes qui étaient serbes, est-ce qu'il avait peur d'autres Serbes ?

9 R. Non.

10 Q. Il s'en irritait mais jamais il n'a eu peur d'eux.

11 R. Non.

12 Q. Et parmi ces personnes dont il n'avait pas peur, il y a Mladic, n'est-

13 ce pas ?

14 R. J'ai essayé de décrire les rapports qu'il avait avec le général Mladic.

15 Je ne sais pas si j'y ai réussi parce que franchement je ne sais pas quels

16 étaient ces rapports. Ils étaient très ambigus. Tout ce que je peux dire en

17 ce qui concerne l'accusé et je ne vois pas pourquoi je me mettrais dans une

18 situation où tout doit se retourner contre lui. Moi j'avais pour mission de

19 me servir de lui comme d'un moyen de marchandage pour l'encourager à

20 persuader les Serbes. Bien sûr les Serbes n'aimaient pas ce genre de chose.

21 Mais il faut comprendre qu'un négociateur, il doit se mettre à la place des

22 personnes avec qui il négocie, et moi je me demandais pourquoi il se

23 servait pas du pouvoir qu'il avait à mon avis. En de nombreuses reprises il

24 ne l'a pas fait alors qu'il savait pertinemment que leur position était

25 absurde, que ce soit Karadzic, Krajisnik ou même Mladic, que cette

Page 28420

1 position elle ne tiendrait pas la route. Il polémiquait avec eux, mais

2 enfin de compte il dit : "Bien, faites ce que vous voulez. A vous de

3 juger."

4 Pourquoi l'a-t-il fait ? Certains pensent que c'était un complot habile,

5 que nous avons tous été dupés, qu'il y avait un double langage et qu'on

6 donnait le droit à Karadzic à de méjuger les durs, alors que lui était le

7 raisonnable. Ça pourrait être une explication au plausible raisonnable.

8 Mais l'autre version des faits c'est qu'il y a des contacts quotidiens que

9 j'avais eus, j'avais l'impression qu'aussi que ce n'était pas trop onéreux

10 pour les Serbes, et j'entends par là tous les Serbes auxquels il

11 s'identifiait pour la cause de Serbes, parce qu'à ce moment-là il était

12 prêt au compromis. Et il avait estimé que ces plans de paix pouvaient être

13 acceptés, tolérés par les Serbes. Alors, pourquoi est-ce qu'il n'est pas

14 allé jusqu'au bout ? Parce que cela voulait dire qu'il portait atteinte au

15 nationalisme qui se trouve à Belgrade ou à Pale.

16 Et si vous me demandez s'il avait peur de qui que ce soit, je pense que

17 c'était plutôt les nationalistes de Belgrade plutôt que ceux de Pale ou de

18 la Krajina dont il avait peur. Et c'était bien là le cœur du problème. On

19 n'a jamais su de façon certaine dans quelle mesure il cédait à la pression

20 de son électorat, qui était un électorat nationaliste à Belgrade.

21 Q. En passant à titre de simple rappel dans votre livre, vous dites de

22 l'accusé qu'il était impitoyable dans la recherche du pouvoir, et qu'il

23 estimait qu'il se servait des gens et qu'il pouvait s'en passer ou les

24 éjecter comme il le voulait, comme bon lui plaisait.

25 R. Oui, et l'histoire l'a prouvé. Mais la source du pouvoir qu'il avait

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1 c'était l'opinion nationalisme et il s'est fondé sur l'avis des

2 nationalistes à propos du Kosovo. Il a utilisé cette occasion pour

3 retourner la situation contre le dirigeant de l'époque au Kosovo,

4 Stambolic, je pense que je l'ai mal prononcé ce nom, mais il faut revenir

5 au fait que c'est un homme pragmatique qui veut tenir le pouvoir. Alors il

6 doit voir d'où vient ce pouvoir, et ce pouvoir trouve ses racines dans les

7 dirigeants nationalistes qui peuvent récolter les voix des électeurs. Il se

8 fonde aussi sur d'autres personnalités puissantes. Dans quelle mesure faut-

9 il qu'il tienne compte de ces personnes ? Bien sûr les Serbes sont

10 nationalistes, bien sûr. Mais est-ce que ceci a limité sa marge de manœuvre

11 lorsqu'il s'agissait de faire pression sur les Serbes de Bosnie ?

12 Malheureusement, je ne suis pas en mesure de répondre à cette question. Et

13 c'est là, une question lancinante dans mon esprit, la plus lancinante de

14 toutes.

15 A un moment donné, le président Cosic, vers le mois d'octobre 1992,

16 semblait être une alternative raisonnable. Ça n'a pas duré longtemps, et à

17 un moment donné Karadzic a pensé qu'il était le roi des Serbes. Mladic, à

18 son tour, est devenu un Serbe très puissant et même à Belgrade le président

19 Milosevic devait tenir compte de lui, parce que c'était une personnalité

20 Mladic tout à fait fascinante pour cet électorat nationaliste à Belgrade

21 notamment, même en Serbie.

22 Q. Je n'ai beaucoup de temps. Je vous demanderais de fournir des réponses

23 concises. Puisque vous parlez du président Cosic et de cette période

24 antérieures, n'est-il pas vrai que le président Cosic avait averti Moscou

25 que le masque de la raison était tombé du visage de l'accusé et qu'il

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1 fallait le combattre ouvertement, et c'est l'avis que vous livre Cosic et

2 vous n'êtes pas en désaccord avec lui ?

3 R. Non, je l'appuyais mais vous savez que c'était un nationaliste

4 incontestable, ce n'est pas le cas de Milosevic alors que Cosic l'était.

5 Mais par ailleurs Cosic peut-être parce qu'il avait un sens différent de

6 l'histoire. Vous savez qu'à un moment donné il avait défendu le président

7 Izetbegovic au moment où celui-ci avait été incarcéré.

8 Mais il avait compris, Cosic, que le sort des Serbes était pitoyable, bien

9 sûr. Ils avaient fait des choses terribles. Il était vraiment tout à fait

10 en émoi lorsqu'il est allé à la réunion de Pale en mai. Il était très ému

11 par la dévastation qu'il a vue dans les villes et villages. Il a commencé à

12 comprendre par rapport auparavant que les Serbes avaient fait des choses

13 effroyables, qu'ils ne servaient pas la réputation des Serbes, ni l'honneur

14 des Serbes pas plus que leur intégrité. Je pense que c'est là un aspect

15 important dans l'opinion nationaliste, certain des nationalistes

16 commençaient à en douter d'eux-mêmes. Ils se demandaient ce qu'ils --

17 qu'ils avaient soutenu et qu'ils avaient provoqué.

18 Q. Revenons à quelques réponses que vous avez déjà fournies début 1995. A

19 propos de l'accusé, vous dites qu'il n'allait pas assurer la défaite des

20 Serbes de Bosnie en guerre -- ou plutôt, il n'allait pas veiller à ce

21 qu'ils ne soient mis en déroute. Mais est-il vrai de dire qu'il avait aussi

22 la possibilité et l'intention de veiller à ce qu'ils ne soient pas battus

23 rétrospectivement, qu'en pensez-vous ?

24 R. Et bien, je pense qu'il était de plus en plus préoccupé par la

25 politique qui était celle de Karadzic et Krajisnik. Ils entraient en effet

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1 dans une zone indécise et il en a tiré la conclusion au terme de laquelle

2 les Serbes en Croatie pouvaient, d'une certaine façon, se réconcilier avec

3 les Croates et continuer à vivre en Croatie. Et je crois qu'il était en

4 clin à accepter la chose, il faut ne pas perdre de vue le fait qu'il n'a

5 jamais opéré sur un seul front. Il a opéré sur le front des Serbes de

6 Croatie et il a dû vaquer ou veiller à ce que faisait, à ce qui se passait

7 avec les Serbes de Krajina, bien entendu ils devenaient de plus

8 d'indépendants. Ces derniers et Mladic, ou plutôt Martic a commencé à se

9 comporter de façon imprévisible et lorsque M. Milosevic avait affaire avec

10 M. Krajisnik, qui était également un personnage très intéressant et tout à

11 fait puissant, s'agissant des négociations au sujet de Sarajevo, il s'est

12 avéré très catégorique. Bien entendu l'ensemble avait été bien orchestré et

13 il ne pouvait certainement pas faire dupe de nous-même. Et à l'occasion des

14 réunions, on avait exprimé une colère véritable mais il y avait aussi des

15 choses orchestrées et bien harmonisées.

16 Q. Avant la pause, vous nous avez dit que s'il avait interdit

17 l'approvisionnement de l'armée serbe de Bosnie, la guerre se serait

18 terminée avant Srebrenica ?

19 R. S'il y avait eu interdiction de l'approvisionnement aérien par

20 l'Occident, à ce moment-là, oui. Mais le président Milosevic avait

21 suffisamment de moyens au sein de la JNA pour les empêcher de franchir la

22 Drina.

23 Q. Oui, il aurait pu le faire lui-même ?

24 R. Oui. Je suis convaincu.

25 Q. Et s'il l'avait fait ?

Page 28424

1 R. Et bien, la nation serbe aurait pu s'épargner toute cette souffrance et

2 les horreurs effroyables qui avaient commencé en 1991 et 1992 auraient pu

3 être évités.

4 Je pense que ça était une erreur grossière vu sous l'angle du peuple serbe,

5 il faut se souvenir que ce peuple serbe connaît une histoire très longue

6 empreinte de fierté et le monde ne pourrait reprocher aux Serbes tout ce

7 qui s'est passé parce que c'est loin d'être le cas.

8 Q. Ce qui veut dire que lorsqu'on arrive au début de 1995, la communauté

9 internationale n'était pas prête à contrôler les voies d'approvisionnement

10 destinées aux Serbes. D'après votre analyse, est-ce qu'il y avait une

11 division entre Mladic et Karadzic, ce qui veut dire que l'accusé n'avait

12 peut-être ni la force, ni la volonté de contrôler ce qui passait ?

13 R. Auprès de qui ?

14 Q. De Karadzic en ce qui concerne Mladic ? L'accusé entre autres a reconnu

15 qu'un massacre, un bain de sang était quelque chose de tout à fait

16 possible. Le seul homme politique susceptible d'exercer une influence en

17 contrôlant, en limitant ces approvisionnements, c'était l'accusé, n'est-ce

18 pas ?

19 R. A Belgrade, il avait le pouvoir mais je pense qu'il avait moins

20 d'influence à ce moment-là. A une époque lorsque je suis entré en fonction,

21 on avait l'impression que le président Milosevic donnait des ordres à

22 Krajisnik, à Karadzic, qu'ils étaient à ses ordres. Mais plus tard et

23 notamment après ce que vous aviez à propos du fait qu'ils étaient comme des

24 chats, là pour la crème, vous savez qu'il y avait eu échec des différents

25 plans de paix. Il y avait eu ce plan du Groupe de contacts réunissant cinq

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1 grandes puissances. Ils pensaient, ces hommes, qu'ils pouvaient en fait

2 tout faire, qu'ils s'en sortiraient sans problèmes. Et je pense qu'il

3 n'écoutait plus déjà le président Milosevic.

4 Q. Mais c'était le seul homme politique qui aurait pu couper les vivres

5 aux Serbes de Bosnie, arrêter de les soutenir, notamment Mladic ?

6 R. Mais il contrôlait Belgrade, c'était quand même la personnalité de

7 proue à Belgrade. Il n'était pas président que de nom. Il avait un pouvoir

8 réel.

9 Q. Et pour ce qui est de la question que je vous ai posée, à savoir, s'il

10 avait peur de qui que ce soit, notamment de Mladic ? Je m'explique. Même

11 après que vous avez quitté vos fonctions, si Mladic s'était livré à quelque

12 chose que n'aurait pas approuvé l'accusé, celui-ci n'aurait pas hésité à le

13 lui reprocher ?

14 R. Mais quant à savoir si ces remontrances auraient eu un effet quelconque

15 sur Mladic, ça c'est une autre paire de manches.

16 Q. Mais il n'aurait pas eu peur de se plaindre de ce que Mladic aurait

17 fait, si de l'avis de l'accusé ces faits étaient répréhensibles ?

18 R. Je crois que vous avez raison mais il vous faut comprendre une chose.

19 Il faut connaître la personnalité de Mladic. A ce moment-là, Mladic

20 n'acceptait même plus l'autorité du chef de la JNA à Belgrade.

21 Q. Nous avons, vous voyez, des documents, même si certains de ces

22 documents, je ne peux pas les aborder en audience publique, pour la plupart

23 d'entre eux, mais ces documents nous montrent qu'en 1995, en août 1995, on

24 connaissait à ce moment-là les liens existant entre Srebrenica et le

25 général Mladic. Il y a une réunion du conseil Suprême. Mladic organise une

Page 28426

1 réunion de tous les Serbes, réunion qui se tient les 26 et 28 août à

2 Dobanovci. A aucune de ces réunions, l'accusé ne met en doute ce que fait

3 Mladic à Srebrenica. S'il avait soulevé des objections, connaissant cet

4 homme, pensez-vous qu'il aurait pu dire quoi que ce soit pour s'opposer ?

5 R. Je pense que s'il avait dit à Mladic de ne pas faire quelque chose de

6 précis, qu'il lui fait en public ou pas, je ne sais pas, enfin là, je

7 n'insisterais pas trop. Mais, il m'est difficile aujourd'hui de m'aventurer

8 dans ce domaine et j'ai presque le sentiment que je devrais me tourner vers

9 les Juges.

10 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Lord Owen, à vous de juger. Si vous

11 pensez être en mesure de répondre, de fournir une réponse adéquate, libre à

12 vous de le faire, bien entendu. Mais là, nous nous lançons dans le domaine

13 de l'hypothétique, n'est-ce pas.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Si j'ai demandé à être cité en tant que témoin

15 de la Chambre, c'est qu'à mon avis, des négociateurs internationaux ont un

16 avenir. Il faut protéger cet avenir. Je ne pense pas qu'il nous soit bon de

17 nous écarter trop de ce qui s'est passé pendant mon mandat de négociateur

18 international. Si on se lance dans le domaine hypothétique par rapport à ce

19 qui s'est passé après la fin de mon mandat, peut-être que j'abuserais de ce

20 rôle impartial qui était le mien pendant cette période. Ce n'est pas que

21 j'ai peur de le faire mais vues les circonstances, je ne sais pas

22 franchement pas de ce qu'il en est. Je ne sais pas si mes successeurs, que

23 ce soit Carl Bildt ou d'autre, ont présenté des arguments que moi j'ai

24 présentés à Milosevic [sic] en 1993. Je ne sais pas dans quelle mesure on a

25 fait pression sur lui au moment où la situation a commencé à se détériorer

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1 à Srebrenica.

2 Bien sûr qu'il y avait eu un effondrement des négociations or nous avions

3 nourri beaucoup d'espoir pour ce qui est des négociations entre le

4 président Milosevic et l'ambassadeur Fraser des Etats-Unis. Donc je ne sais

5 pas s'il y avait beaucoup de frustration et je ne sais pas quelle était la

6 nature de ce dialogue.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ne vous livrez pas à des

8 conjectures. Ne répondez pas si vous n'êtes pas sûr.

9 LE TÉMOIN : [interprétation] Je n'ai pas compris.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Si vous devez vous livrer à des

11 conjectures, il est préférable de ne pas répondre.

12 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. C'est la raison pour laquelle je préfère

13 me taire.

14 M. NICE : [interprétation]

15 Q. Dernière question à propos de ce sujet, mais je reviens à 1993. A cette

16 époque, je pense que vous n'aviez pas de doute, vous saviez que l'accusé

17 était intervenu auprès du général Mladic afin qu'il ne prenne pas

18 Srebrenica ?

19 R. C'est bien ce que je pensais à l'époque et je lui en serai gré.

20 M. NICE : [interprétation] Je pense avoir terminé mon interrogatoire. Je

21 n'ai pas vérifié le temps mais je pense avoir utilisé ces deux heures qui

22 m'avaient été imparties. Je voudrais pouvoir poser les quelques questions

23 que j'ai encore mais il reste aux Juges de décider.

24 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je pense que vous avez encore dix

25 minutes.

Page 28428

1 M. NICE : [interprétation]

2 Q. Je vais donc faire un tri dans les sujets que je voulais aborder avec

3 vous. Revenons rapidement à Sarajevo. Vous pensiez que c'était un siège

4 médiéval, que la ville aurait pu aisément être prise à tout moment mais que

5 ce siège convenait aux assaillants. Il était commode qu'ils ne prennent pas

6 la ville ?

7 R. Oui.

8 Q. Page 39 de votre déclaration, vous parlez de l'intention de négocier

9 pour un échange de territoire. Est-ce que ça montre que le siège de

10 Sarajevo s'intègre dans un plan général de nettoyage ethnique ?

11 R. Ce qui est certain c'est qu'on essayait de concentrer les négociations

12 sur la Bosnie orientale puis on se demandait ce qui allait se passer pour

13 ce qui est de Sarajevo, l'union des trois républiques. Et à ce moment-là,

14 la situation sur le plan humanitaire s'était détériorée pour ce qui est de

15 Srebrenica. Ce n'était pas si mauvais que ça n'avait été le cas en mars et

16 en avril, mais ce n'était beaucoup mieux.

17 Les parties étaient prêtes à parler. Il y a eu des négociations tout à fait

18 détaillées. On a discuté du sujet.

19 Krajisnik et Karadzic, à ce moment-là, étaient les personnages clés pour ce

20 qui est de la problématique de Sarajevo et, s'ils étaient prêts à accepter

21 que Sarajevo deviennent la capitale d'une ville qui était essentiellement

22 musulmane, ça voulait dire que peut-être Izetbegovic aurait été prêt à

23 faire davantage de concessions pour ce qui est des enclaves orientales.

24 Mais il était impossible d'obtenir ce degré de souplesse et, au cours de

25 ces pourparlers-là, aussi Milosevic a eu l'intelligence de savoir que la

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1 position défendue par Karadzic et Krajisnik, qui voulaient garder cet

2 étranglement des Serbes sur les trois voies permettant d'arriver à

3 Sarajevo, c'était une position tout à fait absurde, pourtant ils ont été

4 intransigeants, inflexibles. Par conséquent, la carte, qui a émergé, a

5 contourné la question de Sarajevo, qui a été placée sous administration

6 onusienne. Donc ça été placé un peu sur la touche pendant un an ou deux, et

7 ces enclaves restaient manifestement vulnérables, et restaient en puissance

8 dangereuse.

9 Q. Mais vous avez déjà fourni une réponse où vous avez dit que, par ces

10 propres actes ou par un accord avec la communauté internationale, l'accusé

11 aurait pu couper les vivres à Sarajevo aux Serbes ?

12 R. Mais cela voulait dire qu'il devait renégocier une voie plus

13 raisonnable, que lui, lui-même, pensait adéquate. Il passait des heures

14 entières à essayer de les persuader et il lui arrivait de passer beaucoup

15 de temps dans des entretiens privés avec Izetbegovic et avec le président

16 Tudjman. Comment dire, nous sommes presque devenus des observateurs dans

17 ces pourparlers. Nous avions, pour technique, de les faire parler entre

18 eux, de les emmener à discuter et de négocier dans cette langue qui était

19 encore le serbo-croate. Nous les encouragions à parler entre eux, à dire

20 aux interprètes de ne pas parler. Nous, nous reculions nos chaises, et nous

21 les laissions entre eux. A ce moment-là, nous savions que ces personnalités

22 connaissaient chaque rue de Sarajevo et pourraient parvenir à un accord.

23 Q. Mais la raison sous-jacente, la Chambre devra peut-être s'en saisir.

24 Mais nous la trouverons, à l'annexe G, de votre déclaration, vous n'avez

25 pas pu prononcer ce discours, malheureusement. On le trouve, à la page

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1 24758 et suivantes, j'examine la troisième page.

2 En avril 1993, milieu de la page, vous estimiez toujours ceci : "Le

3 continent européen est sans avenir, s'il y a victoire de leur part, et s'il

4 y a une Grande Serbie qui émerge à la pointe du canon. Et quiconque croit

5 que nous allons relâcher ces pressions économiques et politiques sur

6 Belgrade, et à Markana Cora [phon], cette acquisition de territoires par la

7 force, se trompe lourdement."

8 Donc deux sujets ici. Vous parlez "d'une Grande Serbie qui naît au bout de

9 nombreux canons." Est-ce que ceci montre qu'à la base de ces négociations

10 qui risquaient de capoter, on voulait toujours avoir recours à la force

11 militaire pour créer une Grande Serbie ?

12 R. Oui. A mon avis, c'est un discours très intéressant. J'avais oublié que

13 je l'avais écrit, mais je l'avais écrit dans son intégralité, mais je

14 n'avais pas fait ce discours. Et je trouve que c'est utile pour me montrer

15 l'avis que j'avais à l'époque. C'est peut-être utile pour les Juges. Mais

16 vous avez parfaitement raison. C'était mon avis de l'époque.

17 Mais replaçons ceci dans son contexte nécessaire car c'était avant que

18 j'aie rencontré le président Milosevic et négocié avec lui dans la période

19 qui allait aboutir à Bijeljina. A ce moment-là, nous sommes, je pense, le

20 23 avril. Et je m'étais dit que Milosevic était, à ce moment-là, prêt à

21 accepter qu'il n'y aurait pas nécessairement de liens entre la Republika

22 Srpska et la Serbie, qu'il pourrait obtenir ce dont les Serbes besoin, à

23 son avis, grâce au plan de paix Vance Owen, et puis par le truchement de

24 l'Union européenne et avant d'être l'Union des républiques, le plan

25 d'actions. Tout ceci fait partie, si vous voulez, de la même famille de

Page 28431

1 documents.

2 Le plan Vance Owen prévoyait une Bosnie-Herzégovine unifiée. Il était

3 étonnant -- surprenant qu'elle fût toujours prête à l'accepter, bien sûr,

4 avec l'idée qu'il y aurait une fusion progressive pour contrer davantage de

5 territoires. Mais je pense que, par la suite, s'agissant de la Bosnie, il

6 était d'accord pour dire que l'opinion internationale n'accepterait jamais

7 qu'il y ait un rattachement avec la Serbie et le Monténégro. Il voulait,

8 bien sûr, que le Kosovo reste partie intégrante de la Serbie. Et peut-être

9 qu'à ce moment-là, il n'était prêt à reconnaître que les Serbes de Croatie

10 devaient vivre en Croatie. Peut-être est-ce là quelque chose qu'il finit

11 par accepter, fin 1994, même s'il est possible de dire que, s'il donne son

12 aval à la proposition initiale Vance Owen, il savait qu'en fin de compte,

13 ça allait se passer, mais que ce serait au bout d'un certain temps.

14 Manifestement, cet homme avait réfléchi à cette problématique du début à la

15 fin. Je parle ici du président Milosevic, mais je pense qu'à un moment, il

16 a été un plus ardent partisan de la Grande Serbie. Et puis il a oublié

17 idée. Il s'est rendu compte qu'il y avait des pressions de la part de la

18 communauté internationale. En 1993 -- en avril 1993, en Bosnie, il a

19 compris que jamais il n'y parviendrait, puis nous sommes allés à Athènes et

20 à Pale.

21 Q. Malheureusement, je n'ai pas le temps de parler de tout ceci.

22 R. Je ne pense pas que ce soit nécessaire.

23 Q. Autre détail, toujours un extrait de ce discours dont vous dites qu'il

24 l'avantage de présenter votre avis, à l'époque. Nous parlons ici du pétrole

25 et du carburant, du combustible de l'armée serbe de Bosnie qui passe par le

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1 Monténégro, -- qui vient plus exactement du Monténégro et de la Serbie, que

2 c'est essentiel pour l'armée, et que les contacts sont restés avec les

3 Serbes de Bosnie. Au cours des mois les plus récents, nous avons des

4 preuves convaincantes, d'une implication sans cesse, plus lourde au niveau

5 stratégique notamment, et de l'approvisionnement matériel. Il est faux de

6 dire que la Bosnie -- que la Serbie n'est pas -- ou que Belgrade n'est pas

7 impliquée dans la guerre en Bosnie-Herzégovine, et je pense que personne

8 n'est convaincu.

9 R. C'est ce que je pense, et c'est ce que j'ai pensé pendant que j'étais

10 négociateur. Je le pense encore aujourd'hui.

11 Q. Nous n'allons pas examiner un certain document, vu le manque de temps,

12 mais la Chambre pourra l'examiner. Il s'agit de la 30e session de

13 l'assemblée nationale. L'accusé a pris la parole à huis clos et en public.

14 Et il dit qu'il est possible d'obtenir en temps de paix ce qui avait été

15 l'objectif de guerre, pour autant que ce soit la bonne interprétation à

16 donner. Ça ne vous surprend pas qu'il s'en tient à ce plan initial, mais

17 qu'il veut le réaliser par d'autres endroits -- par d'autres moyens ?

18 R. Il faudrait que j'examine le document. Je pense que là, vous me faites

19 entrer dans le domaine de l'hypothèse.

20 Q. Oui. Je voulais simplement signaler ce sujet à l'intention des Juges.

21 Je ne vais pas insister.

22 M. NICE : [interprétation] Je pense que je n'ai pas davantage de temps.

23 Est-ce exact ?

24 M. LE JUGE MAY : [interprétation] C'est exact.

25 M. NICE : [interprétation]

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1 Q. On me rappelle que vous avez participé à une émission télévisée, petit

2 déjeuner avec Frost, et vous avez montré très clairement que l'appui venait

3 de la Serbie et du Monténégro. Ceci se trouve dans une des annexes.

4 R. Oui. Là, une fois de plus, j'ai plaidé publiquement pour, comment dire,

5 le bombardement des Serbes. Et j'ai mis en péril ma situation de

6 négociateur, qui aurait pu -- parce que la Serbie aurait pu me condamner,

7 en disant : voilà, vous êtes négociateur et vous dites qu'il faut couper

8 les vivres, les voies d'approvisionnement. Et pourtant j'ai quand même

9 réussi par la suite, comme négociateur. Je pense qu'on peut faire valoir,

10 en tant que négociateur, des arguments prônant l'intervention militaire,

11 mais ceci limite votre crédibilité. Mais je l'ai fait pour les mêmes

12 raisons. Je le répète, c'est parce que ces voies d'approvisionnement ou ces

13 approvisionnements alimentaient la guerre et il fallait les couper, soit

14 par une volonté, une décision politique prise par M. Milosevic à Belgrade

15 ou par l'occident qui aurait lancé des forces d'interposition pour mettre

16 fin à ces approvisionnements.

17 Q. Dans vos documents, vous dites que nous vous avions demandé

18 d'intervenir, en tant que témoin à charge, et vous avez refusé. Nous ne

19 pouvons pas forcer les Juges à citer un témoin et nous sommes très heureux

20 que vous soyez venu, en tant que témoin, et, en tant que témoin, vous le

21 confirmerez sans doute, vous n'avez pas demandé de mesures de

22 confidentialité. Vous vous êtes contenté de déposer et c'est vous qui jugez

23 du moment de savoir où il faut demander l'aide des Juges pour ne pas

24 révéler des documents qui ne doivent pas être publics.

25 R. Oui, j'espère que j'ai pu faire valoir ceci. Il faut donner un

Page 28434

1 traitement de raison de réserve, d'un traitement spécial aux négociateurs,

2 ce que j'ai reçu des Juges, et j'espère que ceci montre à M. Milosevic

3 ,mais aussi aux Serbes, qu'on peut faire confiance à des négociateurs et

4 qu'il ne faut pas entamer ce processus. Il faudra à l'avenir des

5 négociateurs. Il faudra comprendre, d'une façon ou d'une autre, comment

6 venir à bout de tel ou tel problème. Je suis impartial, je le dis, mais je

7 ne suis pas neutre. Pour ce qui est de crimes de guerre ou de crimes contre

8 l'humanité, je veux le dire clairement car M. Vance, malheureusement, est

9 décédé aujourd'hui. C'était un grand diplomate américain, un grand homme

10 tout court, et il n'a jamais douté de la nécessité de mener une enquête sur

11 ce qui s'était passé. Lui, comme moi, nous voulions que le conseil de

12 Sécurité établisse un Tribunal. Pourquoi le conseil de Sécurité ? Parce

13 qu'à l'époque, nous estimions que celui-ci comprendrait qu'il faut la

14 réconciliation dans ce type de guerre. Ici on recherche de façon absolue la

15 justice et que ceci peut mettre en péril la réconciliation, et il convenait

16 que ce soit le conseil de Sécurité qui prenne cette décision. Mais on ne

17 peut pas amnistier quelqu'un qui a été mis en accusation par un Tribunal

18 international. Il faut que cette personne soit traduite en justice.

19 Q. Je vous remercie d'être venu déposer.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Lord Owen, j'ai une question à vous

21 poser. Je voudrais revenir à la première partie de votre témoignage. Vous

22 vous êtes, à ce moment-là, référé à la question de l'influence exercée et

23 du contrôle exercé par l'accusé, et vous avez dit à ce sujet que la police

24 avait été placée sous son contrôle. Vous avez précisé que ces forces-là

25 étaient intervenues, en tant que groupes armés privés, et qu'en cette

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1 qualité-là, ils faisaient contrepartie à plus d'indépendance de la JNA.

2 J'ai deux questions. D'abord, quels sont les facteurs qui vous ont fait

3 penser que la police s'est déplacée sous le contrôle de l'accusé ? Et,

4 deuxièmement, vous avez parlé d'une JNA plus indépendante. Je suppose que

5 cela signifie qu'à votre avis-là, l'accusé avait moins exercé son contrôle

6 à l'égard de la JNA. Je voudrais savoir quels sont les facteurs qui vous

7 ont fait penser ce que vous avez donné comme point de vue ?

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Et bien, pour la première question, je crois

9 que vous avez déjà pu voir la façon dont la police avait répondu à ce que

10 le président Milosevic a fait au jour le jour, dans ses activités à

11 Belgrade, en Serbie et au Monténégro. Pour être tout à fait concret, il n'a

12 jamais interdit le transport de certaines marchandises vers la Republika

13 Srpska où la partie serbe de Bosnie-Herzégovine. Il a confié toute cette

14 tâche-là à la police précisément et c'est à ce moment-là que j'ai eu la

15 ferme conviction que c'était lui qui contrôlerait le processus en question.

16 Je crois qu'à plusieurs reprises, M. Stoltenberg et moi-même avons estimé

17 qu'il y avait une certaine résistance à l'égard de cette politique. Nous ne

18 savions pas d'où venait la résistance en question, mais nous estimions que

19 cela pouvait fort bien être la JNA.

20 Vous allez peut-être vous souvenir que, dans le courant d'un autre

21 témoignage et dans les déclarations que j'ai faites, j'ai fait état de deux

22 incidents avec des hélicoptères. Je crois que l'un était survenu en octobre

23 1994 et l'autre en février 1995. C'est à ce moment-là que des hélicoptères

24 avaient survolé le secteur de la Republika Srpska et ils étaient arrivés

25 des territoires des Serbes de Bosnie. Et, par définition, il s'agissait

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1 probablement d'hélicoptères de la JNA.

2 Or dans l'enquête, pour ce qui est de ce qui s'est passé au niveau de ces

3 hélicoptères, il s'était servi de la police, et j'ai crû comprendre qu'il

4 faisait confiance à la police. Et, bien entendu, nous n'avons jamais pu

5 enquêter à ce sujet-là jusqu'au fond du sujet, mais le deuxième survol des

6 appareils hélicoptères était une question d'évacuation médicale qui n'avait

7 pas été rapportée. Mais le président Milosevic avait pris très au sérieux

8 pour ce qui est de l'Accusation, que nous avions faite de violations des

9 accords et nous avions précisé qu'il n'y aurait pas de suspensions limitées

10 des sanctions et il avait été question de la chose.

11 Et s'agissant de la JNA, je dois dire que je n'ai jamais pu prendre appui

12 sur des informations obtenues en direct. J'ai cru comprendre partant de

13 rapports militaires venant de notre partie -- de notre côté à nous qu'il y

14 avait eu des tensions entre la JNA et Belgrade, et il y avait une

15 conviction assez profonde, disant que Mladic avait des alliés au sein de la

16 JNA ou sur lesquels il pouvait prendre appui. C'étaient des collègues

17 officiers qui avaient été ses compagnons d'armes avant cela. Avant ces

18 événements. M. Mladic -- le général Mladic avait été un général des plus

19 populaires. Il avait dormi avec ces soldats dans les tranchées et, par voie

20 de conséquence, c'était un soldat issu de rangs de soldats. Et de tout

21 temps il a édifié en parallèle une base de puissance indépendante parmi --

22 ou des appuis indépendants parmi les Serbes de Bosnie. Cela s'est propagé

23 par la suite vers le territoire de la Yougoslavie. Et cela nous est montré

24 par les événements qui ont suivi. L'appui ou l'influence qu'avait le

25 général Mladic était bien plus puissant, bien plus grand que ceux des

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1 autres généraux. C'était une figure tout à fait extraordinaire à cet effet.

2 Je crois donc savoir qu'il y a eu des débats sérieux entre le président

3 Milosevic et les généraux. Je ne pense pas qu'il pouvait leur dire ce qu'il

4 fallait faire et qui leur arrivait de répliquer, et la police était bien

5 plus obéissante à l'égard des autorités civiles.

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie.

7 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Bien. Mais avant d'aller de l'avant, il

8 s'agit de nous pencher sur les pièces à conviction. D'abord parlons du

9 livre de Lord Owen. Voulez-vous que cela soit versé au dossier ?

10 M. NICE : [interprétation] Je crois que ce serait utile que de le verser au

11 dossier et de le rendre ainsi disponible aux Juges.

12 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Bien, nous allons verser cela au dossier.

13 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] Il s'agira de la pièce C18, Monsieur le

14 Président.

15 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Maintenant la lettre -- ou plutôt le

16 télégramme mentionné par Lord Owen et qui est arrivé en provenance de M.

17 Annan, destiné à la FORPRONU et datée du 23 avril 1993, je crois que cela a

18 été mentionné et il faudrait le verser au dossier. Ce sera la cote suivante

19 C.

20 Mme LA GREFFIÈRE : [interprétation] C19.

21 M. NICE : [interprétation] S'agissant du CD qui accompagne le livre, peut-

22 être cela devrait accompagner la déclaration ou le livre.

23 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Et bien, attachez-le au livre en tant que

24 partie intégrante de la pièce à conviction.

25 Oui, Monsieur Milosevic. Vous avez encore 20 minutes avant que nous ne

Page 28438

1 fassions la première pause.

2 L'ACCUSÉ : [interprétation] Dites-moi, Monsieur May, combien de temps avez-

3 vous l'intention de m'accorder pour ce qui est des questions que j'ai à

4 poser au Lord Owen ?

5 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Trois heures.

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai l'impression que cela est tout à fait

7 insuffisant. Etant donné que vous avez précisé au tout début que Lord Owen

8 allait passer la journée demain avec nous, je suppose que vous avez

9 certainement la possibilité de m'accorder davantage de temps je vous

10 demande de m'accorder plus de temps que cela.

11 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Nous allons nous pencher sur la question,

12 mais gardez à l'esprit que l'Accusation ne disposait que de deux heures et

13 c'est une chose dont il convient de tenir compte également. Nous allons

14 également tenir compte de la façon dont vous procédez à votre contre-

15 interrogatoire, à savoir, si au fait de constater si vos questions sont

16 pertinentes ou pas.

17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Pour autant que je m'y connaisse, il est

18 presque midi, donc il est impossible d'affirmer que l'Accusation n'a eu que

19 deux heures mais ne perdons pas notre temps.

20 Questions de la Défense, M. Milosevic :

21 Q. [interprétation] Lord Owen, je vous demanderait tout au début de tirer

22 au clair une chose, et j'ai été hésitant pour ce que vous avez déclaré

23 vous-même. En effet, je ne suis pas très certain d'avoir compris que M.

24 Nice avait réitéré ce que vous aviez dit, vous-même, au sujet de la

25 relation que nous avions créée entre nous deux.

Page 28439

1 Il découlerait de ce que nous avons pu entendre ici, ou des questions qui

2 vous ont été posées par M. Nice, et à ce sujet, je tiens à dire que cela

3 est tout à fait ambiguë pour ce que vous avez apporté comme réponse, à

4 savoir que je vous aurais induit dans l'erreur ou plutôt pour me servir des

5 termes qui ont été repris par M. Nice, il semblerait que je vous aurais

6 menti à l'occasion des entretiens que nous avons eus et qui ont été forts

7 nombreux. Est-ce que vous qualifieriez la chose de la sorte, vous-même ?

8 R. Je pense que c'est le qualificatif que j'ai apporté lorsque la question

9 m'a été posée, que cela était plus nuancé. Il y a eu des volets où vous

10 n'avez pas dit la vérité entière parce que vous saviez pertinemment qu'il

11 vous fallait nier certaines choses dans le cadre des négociations qui

12 avaient en cours. Il s'agissait notamment d'allégations pour ce qui est de

13 l'implication de la JNA et de l'implication du gouvernement qui faisait

14 partie du domaine de vos responsabilités et qui approvisionnait les Serbes

15 de Bosnie et l'armée des serbes de Bosnie, de l'autre côté de la frontière

16 entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine.

17 Donc vous vous rappellerez que, chaque fois que j'avais soulevé la question

18 avec vous, vous répondiez en disant : "Non, non, non. C'est une armée tout

19 à fait distincte et ils ont à répondre de leurs actes devant le président

20 de la Republika Srpska, M. Karadzic et le général Mladic." Alors que vous

21 saviez tout à fait bien, que cela n'était pas vrai et je savais que ce

22 n'était pas vrai. Mais ce n'était pas le type de mensonges que j'avais

23 voulu expliquer à l'intention des Juges de la Chambre. Cela ne pouvait pas

24 s'appliquer à bon nombre d'autres questions qui étaient soulevées. Il y

25 avait, toutefois, un domaine, je dirais tout simplement, que vous n'avez

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1 jamais accepté les assertions au terme desquels vous aidiez l'armée des

2 Serbes de Bosnie.

3 Q. Faisons une différence, je vous prie. Distinguons bien entre les

4 différentes choses que vous avez dites. Je suppose que les deux choses --

5 je veux parler des deux choses que vous avez dites, ne font pas question --

6 ne sont pas contestées. Première chose, qu'il existait bien deux armées

7 distinctes, qui avait chacune son commandement, que la Republika Srpska a

8 été créée et que l'armée de la Republika Srpska était créée. J'espère que

9 cela n'est pas contesté. C'est donc la première chose.

10 Quant à la deuxième chose, c'est que nous, en effet, nous avons apporté

11 notre aide à la Republika Srpska, mais cette aide apportée par nous ne

12 voulait évidemment, en aucun cas, dire que nous apportions notre aide au

13 commandement de l'armée de la Republika Srpska. Donc est-ce que cet

14 éclaircissement, que je viens d'apporter, permet de décrire la situation de

15 façon plus réelle, plus véridique ?

16 R. Je pense qu'il y a eu un moment où les forces yougoslaves, qui sont

17 entrées en Bosnie-Herzégovine, en passant par la Croatie, étaient sous le

18 commandement de votre gouvernement, et ceci surtout dans la période

19 antérieure à celle où j'ai commencé en tant que négociateur. Je crois qu'il

20 est vrai de dire que la structure de la Republika Srpska s'est développée

21 et s'est assise de façon plus solide au fur et à mesure que la Republika

22 Srpska gagnait en indépendance et en confiance.

23 Donc il est possible et cela m'intéressait de savoir si vous êtes d'accord

24 avec ce que je m'apprête à dire. Il est possible que votre influence sur la

25 Republika Srpska ait décru avec le temps, mais je continue à penser que

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1 vous aviez une certaine influence. Quant au fait de savoir si vous aviez un

2 rapport de commandement vis-à-vis du général Mladic, je pense très

3 certainement que Mladic, de temps en temps, agissait de façon indépendante,

4 et je pense même d'ailleurs qu'il se montrait indépendant par rapport au Dr

5 Karadzic et à M. Krajisnik.

6 Q. Donc admettez-vous que l'on établisse une distinction entre ce que nous

7 appellerons l'aide ? D'ailleurs, il y a un grand nombre de pays qui ont

8 aidé l'armée de Bosnie-Herzégovine ou, en tout cas, la création de

9 formations paramilitaires en Croatie. Par exemple, au début de la guerre,

10 les Musulmans ont reçu des aides très variées qui provenaient de

11 l'Indonésie, de l'Arabie Saoudite, de la Turquie, du Kuweit, de l'Iran, et

12 cetera, et personne ne trouvait cela bizarre. Et donc pourquoi est-ce que

13 cela aurait été bizarre que des Serbes reçoivent l'aide d'autres Serbes ?

14 Donc les mots "aide" et "assistance", par définition, n'implique pas une

15 quelconque forme de commandement.

16 Et, par ailleurs, nous avions en face de nous une structure existante. Je

17 veux parler de l'armée de la Republika Srpska et du parlement et du

18 gouvernement de la Republika Srpska, ainsi que des autres organes de ce

19 gouvernement et nos rapports avec eux étaient des rapports qui se situaient

20 sur un pied d'égalité.

21 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Voilà comment on perd son temps à

22 formuler des discours. Quelle est la question que vous souhaitez poser au

23 témoin ?

24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Et bien, ceci était précisément ma question.

25 M. MILOSEVIC : [interprétation]

Page 28442

1 Q. Pouvons-nous faire la distinction entre ces deux choses ? Est-il clair

2 que ces deux choses sont deux choses distinctes, qui ne sont pas

3 identiques ?

4 R. Je ne pense pas qu'elle soit aussi distincte que vous essayez de le

5 dire, mais je pense que, dans le cadre de votre stratégie, consistant à

6 éviter les sanctions ou, en tout cas, à essayer d'obtenir une suspension

7 des sanctions, vous vouliez montrer au monde que cette distinction

8 existait. Et je pense qu'avec le temps, cette distinction est devenue plus

9 plausible, mais je crois que nous devons nuancer un peu nos propos. Ce que

10 je veux dire

11 c'est : est-ce que vous savez ce que représentait Pale ? Qui étaient ces

12 gens qui siégeaient à Pale ? Ils étaient peu nombreux, en fait, mais

13 c'étaient des gens qui, pour la plus grande partie de leur existence, de

14 leurs moyens d'existence dépendaient de leurs rapports avec votre

15 gouvernement. De temps en temps, ils marchandaient et obtenaient quelques

16 armes et, sans aucun doute, du pétrole auprès des Croates. Mais de façon

17 générale, leur principale voie d'approvisionnement résidait dans votre

18 pays.

19 Alors, ceci nous donne une vision un peu différente, mais est-ce que cela

20 signifie que vous aviez le commandement ? Nous pouvons en discuter. Je

21 pense que ceci se situe dans un domaine où je ne suis pas expert. Je

22 n'avais pas, pour première tâche, de déterminer si vous donniez des ordres

23 aux commandants militaires pendant la période en question. Il faudrait pour

24 cela revenir sur des comptes rendus d'audiences dans divers tribunaux.

25 Mais je ne nie pas donc l'existence de la distinction que vous faites.

Page 28443

1 C'est une distinction sur le fond, mais elle n'est pas nécessairement

2 complète. Je pense qu'il y avait un certain commandement qui, à certains

3 moments, existait dans le cadre des relations que vous entreteniez avec

4 Karadzic, Krajisnik et même Mladic.

5 Q. Lord Owen, nous n'allons pas nous plonger dans les malentendus et la

6 confusion puisque le temps est court. Je pense que vous serez d'accord avec

7 moi sur ce point. Conviendrez-vous qu'en 1991 et 1992, l'armée est arrivée

8 en Bosnie, je veux parler de la JNA, et dans ces deux années, l'année 1992

9 est une année qui a une importance tout à fait critique. Mais

10 admettrez-vous que, de cette façon, il existait, à ce moment-là, une façon

11 pour que les choses s'arrêtent du côté des Serbes. Est-ce que exact ou

12 pas ? Ou si vous ne vous souhaitez pas utiliser le mot Serbe parlons de moi

13 personnellement. Mais en tout cas, nous parlons de 1991, 1992 et de

14 l'entrée de la JNA en Bosnie-Herzégovine.

15 R. Je pense qu'il aurait dû être possible de retirer les munitions, les

16 armes, et les hommes de façon plus générale que vous l'avez fait.

17 D'ailleurs en mai 1992, lorsque les Nations Unies et le conseil de Sécurité

18 à appliquer des sanctions contre la Serbie et le Monténégro, c'était l'avis

19 qu'avait les Nations Unies à ce sujet.

20 Q. Fort bien. Mais ne perdons donc pas de vue que vous avez commencé à

21 agir dans la deuxième moitié de 1992, en qualité de représentant de la

22 Communauté européenne et vous parlez ici en vous appuyant vos informations

23 et ce que vous saviez de la situation. Chaque fois que je citerais un

24 passage de votre livre je m'efforcerai de le faire dans la version anglaise

25 du texte de façon à vous épargnez des recherches trop longues.

Page 28444

1 Donc à un endroit dans votre ouvrage vous parlez de Boutros Ghali et vous

2 dites, je cite : "Il a des gens qui l'adorent et des gens qui le

3 critiquent. Moi je suis parmi ceux qui l'adorent."

4 Vous venez de parler de la date du 30 mai 1992. Alors je vous demande si

5 vous êtes au courant du fait que Boutros Ghali, en qualité de secrétaire

6 général des Nations Unies, a, le 30 mai 1992, soumis un rapport au conseil

7 de Sécurité. Ce rapport est intitulé, "Rapport du secrétaire général des

8 Nations Unies," rapport avec le paragraphe 4 de la résolution 752 du

9 conseil de Sécurité. Et donc dans ce rapport en date du 30 mai 1992,

10 Boutros Ghali affirme que l'armée de la Republika Srpska n'est pas sous le

11 contrôle de Belgrade.

12 D'ailleurs, j'ai sous les yeux ce rapport du secrétaire général des Nations

13 Unies et je m'apprête à vous en citer quelques extraits. Si vous avez

14 besoin de quelques minutes pour lire ce document je vais m'interrompre

15 quelques instants.

16 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Il s'agit d'une pièce à conviction de la

17 défense. C'est bien la pièce D91.

18 M. MILOSEVIC : [interprétation]

19 Q. Lord Owen, je suppose que vous n'êtes pas sans savoir que depuis la fin

20 de la Seconde guerre mondiale et jusqu'à l'année dont nous parlons, à

21 savoir, 1992, la JNA était l'armée régulière de la Yougoslavie, qui était

22 chez elle depuis la Slovénie jusqu'à la Macédoine, c'est-à-dire sur le

23 territoire de toutes les Républiques de l'ex-Yougoslavie, n'est-ce pas ?

24 R. Oui.

25 Q. Par conséquent, en 1992 personne n'a envoyé la JNA en Bosnie-

Page 28445

1 Herzégovine. La JNA se trouvait sur le territoire de l'état dont elle

2 relevait lorsqu'elle se trouvait en Bosnie-Herzégovine. C'est bien cela,

3 Lord Owen ?

4 R. Oui.

5 Q. Et bien, je vous invite à présent à regarder ce qui est écrit dans ce

6 rapport de Boutros Ghali. Il s'agit du premier chapitre intitulé, "Le

7 contexte." Je ne vais pas donner lecture du début pour gagner du temps. Et

8 au paragraphe 2, nous lisons ce qui suit, je cite : "Le 26 avril 1992, le

9 président Izetbegovic, président de Bosnie-Herzégovine" -- je dois ménager

10 des pauses afin de permettre aux interprètes d'interpréter le plus

11 fidèlement possible. Je reprends la citation : "a rencontré à Skopje le

12 général Blagojevic, chef d'état major de la JNA et ministre de la Défense

13 en exercice au niveau de la fédération -- et M. Branko Kostic, vice-

14 président de la présidence fédérale à Belgrade afin de définir le rôle de

15 la JNA en Bosnie-Herzégovine, et les conditions dans lesquelles elle se

16 retirerait finalement. Cette rencontre n'a pas abouti à un accord complet,

17 et les autorités de Belgrade ont annoncé le 4 mai, leur décision de se

18 retirer de Bosnie-Herzégovine. Le 18 mai tous les membres de la JNA qui

19 n'étaient pas citoyens de cette république devaient se retirer de Bosnie-

20 Herzégovine. Le 13 mai, le vice-président Kostic a proposé au président

21 Izetbegovic une reprise des ces pourparlers auxquels devait participer les

22 représentants des Serbes de Bosnie et des Croates de Bosnie. Le même jour,

23 les autorités de ce qu'il est convenu d'appeler la République serbe de

24 Bosnie-Herzégovine, ont annoncé leur décision de créer leur propre armée

25 qui devait se composer des unités de l'ancienne JNA stationnées sur le

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1 territoire de Bosnie-Herzégovine, et ces autorités ont nommé le général

2 Ratko Mladic au poste de -- Ratko Mladic au poste de commandant de cette

3 armée."

4 Donc je viens de vous citer un passage du rapport du secrétaire général des

5 Nations Unies. Et je vous demande, Lord Owen, s'il n'est pas tout à fait

6 clair, suite à la lecture de ce passage, que la JNA, qui depuis des

7 décennies, était stationnée sur son propre territoire étant donné qu'un

8 accord politique ait conclus se retire de la Bosnie-Herzégovine, et que

9 bien sûr les citoyens, les personnes qui n'étaient pas des habitants de

10 Bosnie-Herzégovine et qui faisaient parties de la JNA se retirent à ce

11 moment-là avec elle. Donc les conditions négociées entre les autorités

12 fédérales, et le pouvoir représenté par le chef d'état major et le vice-

13 président de la présidence l'état yougoslave sont tout à fait claires. Nous

14 parlons d'institution fédérale ici, et nous parlons de la façon dont leur

15 présence a été négociée.

16 Donc pouvons-nous dire que la Serbie a été censée empêcher la JNA d'aller

17 en Bosnie-Herzégovine ? La JNA qui se trouvait là déjà avant en fait, et

18 qui ensuite s'est retirée de Bosnie-Herzégovine, n'est-ce pas ainsi que les

19 choses se soient passées, Lord Owen ?

20 R. Et bien, vous avez certainement raison en disant que l'Armée populaire

21 yougoslave était stationnée dans différentes régions de l'ex-Yougoslavie.

22 La situation dont nous parlons est complexe car dans la résolution 757 du

23 conseil de Sécurité des Nations Unies adoptée le 30 mai 1992, il est bien

24 dit que les événements ont créé une situation très complexe dans laquelle

25 une ancienne République fédérale socialiste de l'ex-Yougoslavie est

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1 responsable de la situation avec d'autres intervenants. Mais cette même

2 résolution poursuit en déclarant que, le 30 mai, c'est-à-dire le jour où le

3 secrétaire général a rédigé son rapport au conseil de Sécurité, vous voyez

4 quelles sont les revendications présentées dans la résolution 752. Et bien,

5 il est dit que celles-ci n'ont pas été respectées, et qu'en dépit de quatre

6 tentatives, l'Armée populaire yougoslave, la JNA, est toujours en Bosnie-

7 Herzégovine, et que les dispositions relatives au démantèlement des armes

8 placées sous -- qui devaient être placées sous contrôle international,

9 n'ont pas été respectées, pas plus que le respect qui devait être manifesté

10 au gouvernement de Bosnie-Herzégovine.

11 Donc le conseil de Sécurité à l'époque, était d'avis que ce qui avait été

12 fait pour satisfaire aux exigences de la résolution 752 n'était pas

13 suffisant. C'est la raison pour laquelle le conseil de Sécurité a adopté la

14 résolution 757 qui a installé des sanctions contre votre pays. Il ne fait

15 aucun doute que l'une des raisons principales pour lesquelles toutes les

16 forces régulières de Bosnie-Herzégovine n'étaient pas considérées comme

17 démantelées et désarmées c'est que la JNA ne s'était pas retirée.

18 Bien sûr, vous direz que ceux qui étaient restés étaient des Serbes de

19 Bosnie, qui avaient le droit de décider de défendre cette partie de l'ex-

20 Yougoslavie. Mais il faut que vous ne perdiez pas de vue que ceci se

21 passait dans le contexte d'une résolution antérieurement votée par le

22 conseil de Sécurité et dans laquelle la Bosnie-Herzégovine avait été

23 reconnue par les Nations Unies en tant que pays indépendant.

24 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Nous allons maintenant suspendre,

25 Monsieur Milosevic, mais vous pourriez peut-être décider de concentrer

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1 votre contre-interrogatoire sur des questions auxquelles le témoin peut

2 répondre, et sur les questions qui sont les plus intéressantes pour -- dans

3 le cadre de la présente affaire. Mais des arguments comme ceux que vous

4 présentez n'aident pas beaucoup les Juges de la Chambre de première

5 instance, et ne vous aideront pas beaucoup, non plus. Des arguments quant à

6 l'interprétation a affaire de diverses résolutions du conseil de Sécurité,

7 de divers documents émanant du secrétaire général, ne vous aideront en

8 rien.

9 Cela vous a déjà été dit. Vous aurez tout le temps nécessaire en temps

10 utile pour traiter de ces questions et présenter votre thèse. Mais discuter

11 avec le témoin de ce genre de questions n'est pas utile, et vous fait

12 perdre inutilement votre temps.

13 Nous suspendons pendant 20 minutes.

14 M. MILOSEVIC : [interprétation] Monsieur May, s'il vous plaît.

15 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Non. Nous allons suspendre, et vous

16 pourrez prendre la parole après la pause.

17 --- L'audience est suspendue à 12 heures 20.

18 --- L'audience est reprise à 12 heures 40.

19 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Monsieur Milosevic vous avez la parole.

20 M. MILOSEVIC : [interprétation]

21 Q. Lord Owen, vous avez mentionné tout à l'heure une résolution qui avait

22 instauré des sanctions à l'encontre de la Yougoslavie. Toutefois, moi j'ai

23 cité pour ma part un rapport présenté par le secrétaire général et je vous

24 demanderais de prêter attention à ce qui suit. Je me propose de sauter

25 certaines parties. Au point 5, on dit, par exemple : "La plupart des

Page 28449

1 soldats de la JNA déployés en Bosnie-Herzégovine étaient des citoyens de la

2 république. Ils n'étaient donc pas couverts par la décision prise par les

3 autorités de Belgrade, le 4 mai [sic] -- du 4 mai, donc consistant à

4 assurer le retrait de la JNA de Bosnie-Herzégovine. La plupart de ces

5 soldats ont apparemment rejoint ce qui est devenu l'armée -- ou l'armée de

6 la soi-disant république serbe de Bosnie-Herzégovine. D'autres ont rejoint

7 les rangs de la Défense territoriale de Bosnie-Herzégovine, qui se trouvent

8 sous le contrôle politique de la présidence de la dite république. D'autres

9 ont peut-être rejoint des forces irrégulières en action sur le terrain."

10 Suite au point 6 de ce même rapport, il est dit ce qui suit : "Ceux qui ne

11 sont pas citoyens de Bosnie-Herzégovine sont d'après les autorités de

12 Belgrade à peine 20 % du total des effectifs. La plupart de ces hommes

13 apparemment se seraient déjà retirés en Serbie et au Monténégro, certains

14 d'entre eux ont fait l'objet d'attaques au cours de ce retrait; cependant,

15 d'autres restent dans diverses garnisons de Bosnie-Herzégovine surtout dans

16 les zones contrôlées par les Serbes y compris deux installations aux abords

17 de Sarajevo. Il y a une autre catégorie qui se compose d'hommes s'étant

18 trouvée bloquer dans leur caserne par la Défense territoriale de Bosnie-

19 Herzégovine ou par des forces irrégulières hostiles. Ils se situent surtout

20 dans la zone de Sarajevo où la situation a évolué comme suit …"

21 Ensuite, on y explique qu'à la caserne maréchal Tito, il y avait entre 600

22 et 1 000 soldats de la JNA de bloquer avec quelques 200 véhicules, et il y

23 a eu des négociations portant sur leur évacuation. Le 30 mai 1992, la

24 caserne a été attaquée. On dit que des missiles ont été tirés dessus par

25 des forces de la Défense territoriale musulmane de Bosnie-Herzégovine. Puis

Page 28450

1 il est question de ce qui s'est passé dans une autre caserne, la caserne

2 Viktor Bubanj qui elle aussi a été attaquée.

3 Et au point 7 pour finir, il est souligné le problème du retrait et

4 apparemment le retrait des forces de la JNA de leur caserne en Bosnie-

5 Herzégovine est maintenant mis en rapport avec d'autres problèmes qui n'ont

6 cessé de poser problèmes dans cette république et se sont trouvés aggraver

7 par la problématique du retrait de l'artillerie lourde des casernes et de

8 la Bosnie-Herzégovine [sic].

9 "Apparemment, les dirigeants de Belgrade sont prêts à abandonner

10 l'essentiel de leurs armes au moment du retrait de ces forces, mais les

11 dirigeants de l'armée et de la République serbe de Bosnie-Herzégovine ne

12 sont pas prêtes à autoriser cela."

13 Et au point 8, il est précisé : "Qui exerce le contrôle politique des

14 forces serbes en Bosnie-Herzégovine, il y a une grande incertitude à ce

15 propos qui aggrave encore ou qui complique encore."

16 On dit que la Bosnie-Herzégovine a hésité d'abord pour ce qui est des

17 négociations sur d'autres questions sous la direction de la République

18 serbe de la Bosnie-Herzégovine.

19 Au point 9 ensuite du même rapport --

20 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Il vous faudra, tôt ou tard, poser une

21 question. Quelle est la réponse que vous voulez obtenir de Lord Owen ?

22 Posez la question dans ce sens.

23 M. MILOSEVIC : [interprétation]

24 Q. Donc le rapport en question émanant de Boutros-Ghali, et je suppose que

25 vous serez d'accord avec moi pour qu'il reflète fidèlement la situation

Page 28451

1 réelle prévalant sur le terrain, n'est-ce

2 pas ?

3 LE TÉMOIN : [i00nterprétation] Je n'étais pas présent sur les lieux, comme

4 vous le savez, mais je crois que les Nations Unies, en règle générale, font

5 l'impossible pour refléter de façon exacte ce qui se passe sur le terrain.

6 Je ne vois pas pourquoi je m'opposerais à ce qui est dit dans ce rapport ou

7 pourquoi j'émettrais des critiques à ce propos.

8 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Est-ce que ceci traduit bien la situation

9 telle qu'elle s'est présentée pour vous au moment où vous êtes arrivé, ou

10 est-ce que cette description ne nous aide pas ?

11 LE TÉMOIN : [interprétation] La situation avait évolué à mon arrivée, mais,

12 sur le plan historique, on peut dire que c'est un rapport important car il

13 révèle la nature complexe de cette guerre. Il montre comment le blocus de

14 soldats dans les casernes avait déjà été utilisé en Croatie. C'est de là un

15 des aspects qui faisait que surtout, parmi les Serbes et parmi les

16 militaires, ils n'étaient pas traités de façon équitable.

17 Ce même jour-là, le conseil de Sécurité a adopté une résolution, que les

18 Serbes n'acceptaient pas. Ils en ont voulu au conseil de Sécurité, mais

19 celui-ci avait reconnu la Bosnie-Herzégovine quelques jours auparavant,

20 quelques semaines plus tôt. Et ce faisant, le conseil de Sécurité ne

21 pouvait rien faire d'autre que d'affirmer l'intégrité de ce nouvel état que

22 le conseil avait créé.

23 M. MILOSEVIC : [interprétation]

24 Q. Avez-vous connaissance d'une chose et je crois que c'est là un fait de

25 plus important, Lord Owen, à savoir que ce rapport, présenté par M.

Page 28452

1 Boutros-Ghali et qui parle du fait que l'armée de Yougoslavie était en

2 train de se retirer de la Bosnie-Herzégovine, et tout ce que j'ai cité tout

3 à l'heure. Donc savez-vous, partant de ce rapport, que celui-ci n'a pas du

4 tout été étudié au conseil de Sécurité, qu'il avait été mis à l'écart et

5 qu'il a été adopté une résolution portant adoption de sanction à l'encontre

6 de la Yougoslavie ? Or, partant d'un rapport de cette nature, cette

7 décision relative aux sanctions n'aurait pas été prise ?

8 R. Je sais à quel moment la résolution a été adoptée, et je sais que le

9 rapport a été présenté le même jour.

10 Q. Mais saviez-vous que le conseil de Sécurité n'a pas du tout étudié ce

11 rapport et n'a pas eu connaissance de ce qu'a affirmé ici Boutros-Ghali.

12 R. Ce que je sais c'est que ce rapport a été présenté par le secrétaire

13 général ce jour-là, et que la résolution a été adoptée le même jour. Je

14 n'avais pas de fonction officielle à ce moment-là, je n'étais pas présent.

15 Q. Je voudrais attirer votre attention sur un autre point du même rapport

16 qui, sans aucun doute, illustre bien le fait que la Yougoslavie exerçait ou

17 accomplissait ses obligations bona fide. Je me réfère notamment au point

18 10, qui dit :

19 "Qui concerne le retrait des éléments de l'armée croate se trouvant

20 maintenant en Bosnie. D'après les informations dont dispose New York, ce

21 retrait n'a pas eu lieu. La FORPRONU a reçu des rapports dignes de foi du

22 personnel de l'armée croate opérant en uniforme dans le cadre et, en tant

23 que partie intégrante de formation militaire en Bosnie-Herzégovine. Les

24 autorités croates n'ont eu de ce dire que les soldats croates en Bosnie-

25 Herzégovine ont quitté l'armée croate et ne relèvent pas de leur autorité.

Page 28453

1 Les observateurs internationaux ne doutent, cependant, pas du fait qu'une

2 partie de la Bosnie-Herzégovine se trouve sous le contrôle d'unité

3 militaire croate, qu'elle fasse partie de la Défense territoriale de groupe

4 paramilitaire ou de l'armée croate. Vu les circonstances, il n'est pas

5 facile de voir comment peut se faire ce retrait qu'exige le conseil de

6 Sécurité."

7 L'INTERPRÈTE : Retrait ou démantèlement.

8 M. MILOSEVIC : [interprétation]

9 Q. Ensuite, dans le même rapport, point 9, on dit : "Vu les doutes

10 existant quant à la capacité qu'auraient les autorités de Belgrade

11 d'exercer une influence sur le général Mladic qui a quitté la JNA, la

12 FORPRONU s'efforce de l'exhorter directement et par le truchement des

13 autorités des dirigeants politiques de la République serbe de

14 Bosnie-Herzégovine, à la suite de ces tentatives entreprises le 30 mai, le

15 général Mladic a donné son accord pour arrêter le bombardement de Sarajevo,

16 mais j'espère que le pilonnage de la ville ne reprendra pas. Il est aussi

17 clair que le général Mladic, et que les forces se trouvant sous sons

18 commandement, sont des acteurs indépendants et échappent au contrôle de la

19 JNA."

20 Ce sont des extraits du rapport présenté par Boutros-Ghali, au sujet duquel

21 ni vous, ni moi n'avons quelque raison que ce soit de le mettre en doute

22 pour ce qui est de son exactitude.

23 Donc parait-il, avec évidence partant de ce que nous avons dit et étant

24 donné ce que vous avez dit au début de votre témoignage, au sujet de la

25 responsabilité de la Serbie, concernant la présence de la JNA en Bosnie, or

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1 nous avons constaté que la JNA s'y trouvait depuis des dizaines d'années et

2 que la JNA était en train de se retirer de la Bosnie-Herzégovine, et non

3 pas venir en Bosnie-Herzégovine pour procéder à une agression de quelque

4 nature que ce soit ? J'espère que les choses de ce côté-là du moins sont

5 claires ?

6 R. Oui, mais je pense qu'il faut se reconnaître qu'une fois que les

7 forces, depuis la Croatie, sont revenues en passant par la Bosnie-

8 Herzégovine, il y avait aussi des gens qui ne s'étaient pas trouvés dans la

9 région de la Bosnie-Herzégovine, mais dans celle de la Croatie. Mais je ne

10 suis pas en dissension avec vous et je suis d'accord pour dire que c'est un

11 rapport important, que celui-là il montre la situation chaotique et

12 complexe qui prévalait à cette époque-là en ex-Yougoslavie.

13 Il n'en demeure pas moins que ceci n'enlève rien à ce que je pensais, à

14 savoir qu'il n'était pas vraiment nécessaire que vous continuiez à des

15 approvisionnements en carburant, en munition, n matériel militaire entre

16 autres à partir de Belgrade.

17 Q. C'est une autre question, j'espère, que vous vous souviendrez d'un

18 entretien que nous avons eu au moment où vous aviez justement soulevé la

19 question, savoir d'où venaient tous ces équipements, tous ces moyens,tout

20 ce matériel. Et je vous disais qu'en vertu du concept de Défense populaire

21 généralisé, qui était celui que nous avons mis en vigueur en Yougoslavie,

22 la Bosnie-Herzégovine, en sa qualité de République centrale, avait le plus

23 d'installation militaire d'entrepôts militaires -- d'usines militaires, et

24 ainsi de suite. Etant donné qu'à l'époque de la crise qui était survenue

25 entre l'ex-Yougoslavie et l'ex-URSS, tous étaient concentrés dans cette

Page 28455

1 République centrale, précisément pour ne pas être exposés à des attaques

2 directes en cas de conflit. Je suppose que vous vous rappelez de cet

3 entretien que nous avons eu ?

4 R. Oui, oui. C'était vrai, des parties de Bosnie-Herzégovine contrôlées

5 par les forces gouvernementales, ainsi que des parties contrôlées par les

6 forces croates. Toutes les parties pouvaient avoir accès aux munitions et

7 aux usines de munitions, mais je ne sais pas combien de munitions que vous

8 avez fournies ou pas. Arrivé à ce moment-là dont nous parlons, à savoir,

9 1993 et 1994, on croyait communément que les munitions franchissaient la

10 frontière, mais impossible pour moi de le prouver.

11 Q. Cela est d'une importance cruciale. Il faut le tirer au clair parce que

12 M. Nice s'est efforcé ici d'expliquer que c'est tout à fait le contraire

13 qui était le cas.

14 Lord Owen, à la première page même de votre livre, "'L'odyssée des

15 Balkans", que M. Nice a versé ici au dossier, vous parlez et vous dites

16 qu'aux Balkans, rien que dans les Balkans, rien n'est simple. Tout est

17 imprégné d'histoire. Et la complexité prête à confusion, même dans l'esprit

18 de ceux qui étudient cela de très près.

19 Vous avez constaté également dans votre livre qu'en Bosnie-Herzégovine, que

20 tout n'était pas tel qu'on avait l'impression -- telle qu'était

21 l'impression de prime abord. Je m'efforcerai, dans le courant des questions

22 que je vais vous posées, de vous demander de nous aider à la lumière des

23 connaissances que vous avez, d'éclaircir les points au sujet desquels vous

24 avez dit qu'ils n'étaient pas simples, et que l'on détermine les choses

25 telles qu'elles l'étaient, et non pas telles qu'elles semblaient l'être,

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1 aux yeux de certains.

2 Vous dites que, dans les Balkans, tout était imprégné d'histoire. Et vous

3 avez soulevé cela à plusieurs points dans le livre que vous avez rédigé.

4 Quand vous êtes exercé votre mission de négociateur, à savoir, de co-

5 président de ce groupe, en Serbie l'on était d'avis, et on le disait, que

6 vous étiez une espèce de faucon anti-serbe. Je crois que vous étiez au

7 courant de la chose, n'est-ce pas ?

8 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Excusez-moi, Lord Owen, de vous

9 interrompre.

10 L'INTERPRÈTE : Le micro du témoin n'est pas branché.

11 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Vous avez commencé à poser votre question

12 en disant que tout était imprégné d'histoire. Et vous avez dit qu'il était

13 difficile, qu'il était ardu d'établir la vérité. Alors, essayons de poser

14 une question à la fois.

15 Y a-t-il une question découlant de l'histoire, question que vous

16 souhaiteriez poser au témoin ?

17 L'ACCUSÉ : [interprétation] J'ai posé une question, Monsieur May. Je

18 suppose que Lord Owen doit savoir que l'on était d'avis à l'époque,

19 lorsqu'il avait été nommé à cette fonction, il s'agissait là d'un faucon

20 anti-serbe.

21 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Oui. Et il a marqué son accord.

22 M. MILOSEVIC : [interprétation]

23 Q. Bien. Donc suite à votre arrivée à ce poste de co-président, en Serbie,

24 l'opinion qui avait prévalu, et peut-être prévaut-elle de nos jours encore,

25 et c'est celle que vous faisiez partie de cette minorité de gens corrects

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1 et non mal intentionnés, parmi les médiateurs. Le saviez-vous cela ?

2 R. J'espère que c'est le cas car c'était bien mon intention. Je voulais

3 être impartial.

4 Q. Maintenant, pour ce qui est des causes des guerres, je me réfère à la

5 page 43 de votre livre. Et parlant de votre décision de regarder de l'avant

6 et non pas vers le passé, vous avez dit ce qui suit, je vous cite : "Dans

7 une certaine mesure, pour ce qui est de l'opinion publique, une opinion qui

8 était la mienne était analogue à celle-la. Il ne s'agissait pas de parler

9 des -- il s'agissait de parler des horreurs actuelles, et de la paix

10 future. Que fallait-il faire avant le démantèlement de la Yougoslavie ? Eut

11 été une question intéressante, mais elle semait la dissension et les faits

12 ne semblaient pas du tout être analogue à l'idée que je m'étais faite dès

13 le départ. Alors que l'on parlait de termes "d'agresseur" et de "victime",

14 qui étaient utilisés comme arme dans la guerre de propagande, la situation

15 véritable, elle, était bien plus complexe que cette dichotomie ne le

16 laissait entendre."

17 Donc, Lord Owen, je crois qu'au départ vous aviez des idées préconçues,

18 erronées pour ce qui est de la situation véritable, et cela avait été le

19 résultat d'une guerre de propagande qui a été mené, n'est-ce pas ?

20 R. Oui, oui. Je pense que c'est vrai. Bien sûr, quiconque intervenant dans

21 cette situation, comme moi, je l'ai fait, va forcément découvrir des faits,

22 au fur et à mesure. Mais je pense qu'il y a eu beaucoup de déformations.

23 Comme c'est le cas, j'ajouterais dans beaucoup de guerres civiles, tout au

24 long de l'histoire. Même à ce jour, il y a beaucoup d'interprétations,

25 quant à savoir ce qui s'est passé pendant la guerre civile, aux Etats-Unis.

Page 28458

1 Et je suis sûr qu'il y aura beaucoup de divergences de vues qui demeureront

2 par rapport à la façon dont l'ex-République de Yougoslavie s'est divisée.

3 Q. C'est précisément compte tenu du fait de cette situation, et d'autres

4 passages dans votre livre qui traitent de cette guerre de propagande. Je

5 voudrais vous poser plusieurs questions à cet effet, qui portent sur cette

6 guerre de propagande.

7 A la page 164, paragraphe 4, vous indiquez : "Il y avait une équipe à

8 proximité de l'hôpital de Kosevo, à Sarajevo, qui a été témoin oculaire

9 d'un équipage bosnien qui posait un mortier sur l'hôpital, et qui tirait en

10 direction des territoires serbes. Puis ils emballaient leurs affaires

11 rapidement et s'en allaient. Et ensuite, on faisait venir une équipe de

12 télévision qui filmait les tirs des Serbes sur l'hôpital en guise de

13 représailles. C'était le même hôpital que j'avais visité un mois

14 auparavant, et j'ai été choqué par les trous laissés par les bombardements

15 dans les chambres des patients. Et j'ai demandé au général Morillon pour

16 demander pourquoi les Nations Unies n'avaient pas présenté la chose à

17 l'opinion publique. Il voulait que cette vérité se fasse savoir, mais il a

18 dit toutefois : "Qu'il fallait bien que l'on subsiste sur place."

19 Je crois vous avoir citer avec exactitude.

20 Donc les Musulmans avaient recours à des provocations au prix du sacrifice

21 de leurs propres citoyens, et trouvaient le moyen -- les modalités

22 d'accuser pour se faire les Serbes. En est-il été ainsi ou pas ?

23 R. En ce cas précis, c'étaient les forces du gouvernement bosniaque qui se

24 livraient à cette propagande, mais il faut replacer ceci dans son contexte.

25 Il y a eu beaucoup de cas où c'est la propagande serbe et la propagande

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1 croate qui ont été utilisées. Mais je ne suis pas en désaccord avec cet

2 extrait que vous avez lu. C'est le général Morillon qui a dit : "Il faut

3 bien que nous vivions ici." Et c'était une réalité dont les forces des

4 Nations Unies devaient s'accommoder. Où qu'ils soient, ils devaient venir à

5 bout de la situation ou s'accommoder de la situation qu'ils trouvaient. Un

6 peu comme nous, les négociateurs, nous l'avons fait.

7 Q. Oui. Mais à la page 130, paragraphe 2, vous dites et vous avez parlé

8 tout à l'heure du cas concret. Alors, en page 130, paragraphe 2, vous dites

9 ce qui suit: "Le rôle de victimes occupe un point central dans la

10 propagande musulmane et leur titulaire principal et leur créateur," d'après

11 ce que vous en dites, "était le vice-président du SDA et le membre de la

12 présidence de la Bosnie-Herzégovine, M. Ejub Ganic. A son sujet, vous dites

13 qu'il s'agissait d'une personne élue à la présidence de la

14 Bosnie-Herzégovine pour représenter les Yougoslaves puisque l'on avait élu

15 deux Serbes, deux Croates et deux Musulmans et un Yougoslave." Et je vous

16 cite : "Il a un objectif politique qui importe le plus, à savoir, faire

17 venir l'armée américaine et la faire participer à la guerre pour battre les

18 Serbes."

19 Est-ce que c'était là l'objectif principal de la direction musulmane que

20 vous attribuez à Ganic ? En réalité, il s'agissait de l'objectif de la

21 direction totale des Bosniens, y compris, Izetbegovic à leur tête.

22 R. A mon avis, cette stratégie qui consistait à faire s'impliquer sur le

23 plan militaire, les Américains, c'était une stratégie du fait de Ganic

24 parce qu'il s'était trouvé en Amérique, il y avait travaillé et je pense

25 qu'il comprenait bien la psychique américaine. Et il a bien évalué le

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1 rapport des forces. Il avait le sentiment qu'à moins que l'Amérique

2 n'intervienne et, tant qu'elle n'interviendrait pas sur le plan militaire

3 pour parvenir à un règlement, ceci -- ce serait une situation injuste pour

4 la population musulmane. Et je crois qu'à son avis, l'histoire l'a avéré,

5 les Etats-Unis ont finalement décidé de recourir à la force, en août et en

6 septembre 1995, et ceci a vraiment transformé la situation.

7 M. NICE : [interprétation] Je pense qu'on a du mal à trouver les pages

8 parce que l'accusé utilise une version qui n'est pas en anglais. Et

9 impossible de le retrouver dans la version sur support papier, ni en format

10 électronique.

11 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je n'ai pas interrompu parce que, pour le

12 moment, c'était important d'entendre ce qui est lu et ce qui me préoccupe

13 aussi, c'est que les interprètes n'ont pas de copies.

14 Il faut voir si ceci marche.

15 M. NICE : [interprétation] Fort bien. Si Lord Owen se sert de sa mémoire

16 pour se remémorer tout ceci, mais il faudrait peut-être retrouver les

17 numéros de pages.

18 M. KAY : [interprétation] Le dernier passage se trouvait à la page 90, en

19 anglais.

20 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Mais vous savez la pagination n'est pas

21 la même.

22 Monsieur Milosevic, poursuivez.

23 Lord Owen, s'il y a un extrait que vous souhaiteriez voir, bien sûr, nous

24 nous arrêterons pour vous le montrer.

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président.

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1 M. MILOSEVIC : [interprétation]

2 Q. S'il y a des versions différentes, cela est probablement l'une des

3 versions qui m'a été communiquée. Je me suis toutefois efforcé, pour ma

4 part, d'indiquer à chaque fois le numéro de la page partant de la

5 numérotation de cette version anglaise.

6 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Oui.

7 M. MILOSEVIC : [interprétation]

8 Q. Alors, en parlant de Ganic, je vous cite ce que vous

9 dites : "D'après lui, pour réaliser cet objectif et il ne le dissimule pas,

10 il aurait le droit de se servir de tous les moyens disponibles. Pour lui,

11 la fin justifie les moyens. C'est lui qui orchestre la propagande du

12 gouvernement bosnien, à tous les niveaux des USA, à la Maison Blanche, à

13 Capitol Hill, à la télévision, dans tous les foyers américains. Il sait

14 que, pour être entendu en Amérique, il faut dépenser de l'argent. C'est la

15 raison pour laquelle il a recours à des conseillers médiatiques et à

16 recourir également à toutes les techniques médiatiques modernes. Il croit

17 que les Serbes n'écouteront personne, mais qu'ils réagiront à l'usage de la

18 force, et son message en Amérique est simple : nous sommes victimes et, en

19 sa qualité de bon propagandiste, il la répète sans cesse. Il sait que cette

20 publicité, disant que les Musulmans sont victimes, doit être faite. Cela

21 nécessitera moins de pressions sur les hommes politiques pour ce qui est

22 d'une intervention ultérieure. Du point de vue des Musulmans, c'est une

23 stratégie impitoyable et son influence est souvent sous-estimée parce que

24 les messages de Ganic sont repris par Saserbej [phon] et Silajdzic dans

25 leur intervention à la télévision."

Page 28462

1 En a-t-il été ainsi, Lord Owen ? Etait-ce la pratique qui était la leur ?

2 R. Oui. Oui. En gros, c'est vrai. Manifestement, vous partez d'une

3 traduction. On m'avait dit à l'époque que la traduction était bonne et

4 maintenant j'entends la traduction à l'envers et il y a quelques

5 différences, bien entendu, mais ça paraît tout à fait correct, pas

6 d'objections à élever par rapport à cette citation que vous venez de faire.

7 Q. Avez-vous eu l'occasion pour ce qui est de la stratégie en question de

8 vous entretenir avec M. Holbrooke et changer vos vues respectives à ce

9 sujet ?

10 R. Non. Non, pas vraiment. M. Holbrooke est arrivé sur le tard en, tant

11 que négociateur et pendant mon mandat, je lui ai parlé de beaucoup

12 d'aspects, mais c'est un réaliste et, à mon avis, il ne serait pas

13 nécessairement en désaccord avec ces propos, mais à lui de dire ce qu'il

14 pense.

15 Q. Je vous ai posé la question pour des raisons tout à fait pratique

16 parce, quand lui et moi, nous nous sommes entretenus en parlant

17 d'Izetbegovic, il a dit --

18 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je ne sais pas si le témoin peut parler

19 de l'avis de Holbrooke.

20 LE TÉMOIN : [interprétation] Impossible de vous répéter une de ces

21 citations. Je n'en ai aucune connaissance. Enfin, je connais M. Holbrooke

22 et je pense qu'il s'en est très bien sorti puisqu'il est parvenu à façonner

23 un accord à Dayton, et je pense que vous avez joué un rôle utile dans le

24 cadre de ces négociations. Et je me réjouis, tout du moins, qu'on ait mis

25 fin à la guerre en 1995. Malheureusement, elle aurait dû se terminer et

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1 nous aurions pu la faire se terminer bien plus tôt.

2 M. MILOSEVIC : [interprétation]

3 Q. D'après ma copie anglaise à moi, à partir de laquelle je vous cite les

4 choses ou les passages traduits de cette page 133, paragraphe 2, vous avez

5 déclaré qu'au sujet de l'accord portant démilitarisation de Sarajevo, je

6 cite : "J'ai découvert que la résistance la plus forte à notre accord ne

7 venait pas des Serbes de Bosnie, mais de la part d'Ejub Ganic. La

8 démilitarisation de Sarajevo élimerait l'arme la plus puissante dont il

9 disposait dans son arsenal de propagande pour faire participer les

10 Américains au conflit."

11 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Page 90.

12 M. MILOSEVIC : [interprétation]

13 Q. "Il a presque avoué qu'une ville de Sarajevo paisible ne relevait pas

14 de son intérêt à lui. Il avait préféré la prolongation du siège. Pour être

15 tout à fait franc, il redoutait qu'une démilitarisation puisse aboutir à un

16 gel des lignes de confrontation qui avaient divisé la ville."

17 R. Monsieur Milosevic, vous faites une citation exacte, je le reconnais,

18 mais vous avez utilisé pratiquement les mêmes propos en discutant avec M.

19 Karadzic, M. Krajisnik, pour leur dire qu'il était dans leur intérêt à eux

20 de se mettre d'accord pour qu'il y ait démilitarisation de Sarajevo et fins

21 des pilonnages. C'est ce que je n'ai pas compris. J'ai vu la logique. J'ai

22 vu combien la cause serbe avait été lésée. Or, vous n'avez pas utilisé

23 votre influence pour les forcer à mettre un terme à tout ceci.

24 Et c'est là qu'était mon problème. Vous savez que ceci nuisait aux intérêts

25 serbes dans le monde. Ça faisait mal aux Serbes de Serbie, du Monténégro,

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1 aux Serbes de Bosnie. Vraiment, c'était à leur détriment que ce siège de

2 Sarajevo se poursuivait ou des gens déambulants dans la rue puissent avoir

3 été abattus. Je me suis personnellement trouvé bien des fois à Sarajevo et

4 j'ai vu les dégâts causés par des pilonnages sporadiques par les tirs de

5 tireurs isolés.

6 Q. Il n'est pas de doute que pour tout homme normalement constitué, cela

7 portait préjudice à tout à chacun. Et il n'est point de doute, non plus, et

8 vous le confirmez vous-même que je me suis efforcé d'user de toute mon

9 influence pour faire mettre un terme à ceci. Mais cette influence n'a de

10 façon évidente pas été suffisante. Or le point crucial où l'on en vient aux

11 côtés de ce que vous avez déjà dit est le suivant, à savoir que cela

12 figerait la situation au niveau du partage de la ville.

13 Je voudrais à présent vous montrer une carte ethnique de Sarajevo en vertu

14 du recensement de 1981 [sic] et qui vous montre que les Serbes, pour ce qui

15 est de tous ces combats autour de Sarajevo se trouvaient eux, sur leur

16 territoire à eux. Et vous verrez ici les territoires où les Serbes sont en

17 majorité marqués en bleu, les Musulmans sont indiqués en vert, et les

18 Croates occupent les zones en jaune. Je suppose qu'aucune -- qu'aucun

19 étranger ne saurait être plus compétent que vous-même pour ce qui est de

20 consulter des cartes, parce que je crois savoir que vous avez beaucoup

21 vaqué à l'étude de cartes.

22 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je voulais au préalable vous poser une

23 question, Lord Owen. L'accusé en fait, fait une certaine description, une

24 certaine qualification de ses propos, sans poser une question. "Ça ne fait

25 pas l'ombre d'un doute, vous pourrez le confirmer." Je cite : "Moi, j'ai

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1 essayé d'utiliser mon influence pour mettre un terme à tout ceci." dit-il.

2 "Mais malheureusement, manifestement, cette influence n'a pas suffit. Elle

3 n'était pas suffisamment forte." Et puis l'accusé a dit autre chose.

4 Pourriez-vous aider les Juges de la Chambre sur ce point ? Etes-vous

5 d'accord avec ce que dit l'accusé ? Il dit d'abord qu'il s'est efforcé de

6 faire valoir son influence pour mettre un terme à tout ceci. Et puis il a

7 ajouté que cette influence n'était pas suffisante, pas assez forte.

8 LE TÉMOIN : [interprétation] J'ai essayé de le dire au sein de la Chambre

9 de négociations et puis dans les pourparlers directs que nous avons eus,

10 par rapport à la démilitarisation de Sarajevo; par rapport à cette carte.

11 Comment gérer la situation d'abord en vertu du plan de paix Vance-Owen; et

12 puis d'après ce plan d'action de l'Union européenne, ensuite en vertu du

13 plan du groupe de contact. Et c'est vrai que le président Milosevic

14 comprenait bien toutes les questions qui se posaient. Et il a discuté avec

15 les autres Serbes pour essayer de trouver des solutions constructives,

16 novatrices. Et il a raison de dire que nous avons consacré plusieurs heures

17 à examiner cette carte. Le président Izetbegovic était présent aussi. Il

18 arrivait à

19 M. Silajdzic d'être présent aussi. M. Ganic, je pense qu'il n'a jamais

20 participé à ces pourparlers.

21 Moi j'étais interpellé par ce fait-ci. J'avais vu la logique qu'il y avait

22 à la base de ce règlement. J'avais notamment compris que les Serbes ne

23 pouvaient pas continuer à se positionner le long de toutes les artères

24 principales et de toutes les voies ferroviaires arrivant à Sarajevo. Et au

25 moment où Karadzic et Krajisnik ont refusé de changer d'avis, ils sont

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1 restés inflexibles. A l'époque, le président Milosevic n'a pas dit à ses

2 hommes : "Et bien, si vous poursuivez sur votre lancée, moi je ne peux

3 autoriser le peuple serbe que je représente en Serbie et en Monténégro,

4 d'être sous le coup de sanctions internationales. Et j'exige de votre part,

5 soit que vous acceptiez ses plans, sinon nous allons couper toutes les

6 voies d'approvisionnements vous parvenant."

7 Et moi, je l'ai exhorté à plusieurs reprises à ce qu'il agisse de la sorte.

8 Mais quant à la question de savoir s'il comprenait la question, et quant à

9 connaître une issue à ce problème complexe, je crois qu'il n'y avait pas de

10 véritables désaccords entre lui, le président Izetbegovic, M. Stoltenberg,

11 M. Vance ou moi-même. Je pense qu'il y avait un accord généralement accepté

12 quant à ce qu'il fallait faire.

13 Mais le problème -- enfin moi, j'ai du mal à prononcer tous ces mots mais

14 Rajlovac, c'était le lieu de naissance de M. Krajisnik, et c'était une

15 hauteur tout à fait stratégique. Ils ne voulaient pas l'abandonner. Ils

16 n'étaient pas prêts à aller -- ils voulaient aller vers Lukavica, vers

17 Ilidza, pour établir un lien dans tout ce réseau de routes. Et il était

18 clair que M. Izetbegovic n'allait pas accepter. M. le président Milosevic

19 le savait fort bien qu'Izetbegovic n'allait pas accepter. Et il a essayé de

20 faire comprendre cela à Karadzic, pour qu'on trouve une solution plus

21 raisonnable. Mais ils en ont fait fi.

22 Mais alors l'autre, la mesure logique qu'il fallait alors prendre à mon

23 avis, c'était de les forcer à accepter. Et les Serbes ont subi beaucoup de

24 difficultés; se sont trouvés dans la détresse, du fait des sanctions

25 économiques, même s'il y avait des fuites. Mais on voyait des files, des

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1 gens qui faisaient la file sur tout un pâté de maisons, tout autour d'un

2 pâté de maisons pour aller chercher de l'essence. En Serbie, en Monténégro,

3 on peut dire que le niveau de vie a diminué de façon spectaculaire en 1994

4 et en 1995. En tant qu'homme politique, il m'était impossible de comprendre

5 pourquoi il n'avait pas essayé de faire pression pour les forcer à

6 accepter.

7 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je vous remercie. Poursuivez Monsieur

8 Milosevic.

9 M. MILOSEVIC : [interprétation]

10 Q. Mais vous avez dit vous-même, Lord Owen, que nous avons passé des

11 heures et des heures, pour ce qui est de présenter des arguments en faveur

12 des raisons motivant l'acceptation de ces plans de paix. Pensez-vous qu'il

13 eut fallu que nous utilisions la force contre la Republika Srpska ? Donc,

14 parce que si l'on met de côté les arguments que nous avancions, la seule

15 chose à laquelle nous pouvions encore faire recours, c'était la force.

16 Alors pensez-vous qu'il eut fallu que les Serbes s'attaquent à des Serbes

17 pour résoudre certains des problèmes dont il est question ici ? Nous avions

18 opté pour notre part, en faveur de moyens politiques. Et nous nous sommes

19 efforcés de résoudre les choses par des moyens politiques.

20 R. Je ne pense pas qu'il eut été nécessaire de recourir à la force. Mais

21 je pense qu'il était nécessaire que vous, vous coupiez les voies

22 d'approvisionnements en carburant, tout, à l'exception des produits de

23 première nécessité, d'arrêter de fournir des munitions, d'assurer cette

24 coopération, en plus bien de beaucoup d'autres choses. N'oublions pas qu'au

25 cours de cette période, il y avait encore des vols d'avions. Cette zone

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1 d'interdiction de vols n'avait pas été respectée -- d'exclusion de vols;

2 elle n'avait pas été respectée, cette zone d'exclusion aérienne. Jusqu'en

3 1993, il y avait encore des avions qui volaient, ainsi que des

4 hélicoptères. Et rétrospectivement, vous devez vous demander si vous

5 n'auriez pas dû user de la force, non pas de la force des armes pour les

6 convaincre. Ça aurait été peu réaliste de demander à des dirigeants serbes

7 de prendre les armes contre d'autres Serbes. Jamais je ne vous ai demandé

8 de faire une telle chose.

9 Q. Grand merci, grand merci de le constater. C'était au moins cela. Donc,

10 mise à part l'argumentation politique qui disait que cela était contraire

11 aux intérêts des Serbes de Bosnie et des Serbes de Serbie et des citoyens

12 de Serbie et du Monténégro, et que cela était contraire aux intérêts de

13 tous dans cette ex-Yougoslavie, au côté en sus des pressions exercées, du

14 fait de ces interdictions, et je vous dis que cette mesure avait été une

15 mesure des plus pénibles nous concernant. En termes pratiques, cela se

16 réduisait rien qu'à une aide humanitaire. C'est la plus pénible des mesures

17 que nous ayons dû prendre qui consistent à placer des rampes à la frontière

18 sur la Drina. Et votre collègue Bo Pellnas, le Suédois, a précisé que

19 c'était-là notre initiative à nous qui avait consisté à fermer les

20 frontières, parce que nous avions estimé que cela était dans l'intérêt des

21 Serbes de Bosnie et des Serbes de Serbie, du peuple tout entier, que

22 d'aboutir à une solution pacifique. Que pouvions-nous encore faire ? Où

23 est la limite ? Où est la frontière pour ce qui est des mesures à

24 entreprendre que vous auriez estimé nécessaire et que nous n'aurions

25 entreprise si l'on a déjà mis de côté l'usage de la force qui n'avait pas

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1 été possible.

2 R. Et bien, je pense d'abord que couper les voies d'approvisionnement,

3 c'est-à-dire, empêcher la traversée de la Drina et essayer de fermer la

4 frontière à des approvisionnements aussi stratégiques que les produits

5 pétroliers, les munitions et autres matériels, je crois que ces mesures

6 n'ont pas été prises jusqu'à la fin d'août 1994 si ma mémoire est bonne.

7 Donc je dis que j'aurais très certainement souhaité que vous le fassiez

8 immédiatement après le rejet du plan Vance-Owen à Pale. Et j'aurais très

9 certainement souhaité que vous le fassiez à un certain moment de la

10 négociation du plan d'actions de l'Union européenne mais encore plus

11 spécialement, j'aurais souhaité que vous le fassiez après le plan du Groupe

12 de contacts.

13 Donc la question qui se pose est la suivante : Est-ce que tout ce qui a été

14 fait, l'a été fait vraiment ? Est-ce que vraiment vous vous êtes efforcé

15 d'interrompre les approvisionnements sensibles en matériel militaire

16 adressés au général Mladic dans cette période qui va de septembre 1974

17 jusqu'à l'intervention de l'OTAN, c'est-à-dire, fin août, début septembre

18 1995 ?

19 C'est cela qui semble la question à laquelle il importe plus au point que

20 vous répondiez puisqu'elle vous a été posée par la Chambre.

21 Q. Lord Owen, nous avons mis en œuvre des pressions politiques et nous

22 avons associé cette mesure à des mesures de fermeture physique

23 d'interruption des approvisionnements. Mais nous ne l'avons pas fait pour

24 tuer les Serbes. La mesure dont je vous ai parlé qui a été une mesure

25 particulièrement douloureuse, et vous le savez fort bien, était le maximum

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1 que nous pouvions nous résoudre à imposer en tant que mesures de persuasion

2 politique. Cependant, nous n'avons pas voulu empêcher tout passage de la

3 frontière car cela aurait mis en cause la survie de ces personnes. Personne

4 n'aurait pu se résoudre à prendre une telle décision, et vous le savez fort

5 bien.

6 R. Et bien, je ne suis ici que pour témoigner au sujet de ce que je sais

7 mais vous savez que M. Stoltenberg et moi-même avons, dans le cadre de la

8 conférence, travaillé avec le cœur lourd sachant que nous n'aurions sans

9 doute guère de chance de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires et

10 pourtant, nous avons déployé les efforts que nous avons déployés parce que

11 nous estimions qu'il s'agissait de pressions légitimes sur les Serbes de

12 Bosnie et que ces pressions étaient donc nécessaires pour les forcer à

13 accepter un règlement. Et j'espère que ceci a créé une certaine dose de

14 réalisme dans les esprits des Serbes de Bosnie. Mais le plan du groupe de

15 contacts, comme je l'ai déjà dit, ce plan émanent des cinq grands pays et

16 la carte qui allait avec ce plan, n'ont pas eu les résultats escomptés.

17 Même si en fait, la carte en question était très peu différente de celle

18 qui avait été dessinée dans le cadre du plan d'actions de l'Union

19 européenne.

20 Mais je dirais seulement parce que vous me demandez de réfléchir en

21 arrière, donc, vous avez parlé de ce moment où nous étions tout près d'un

22 règlement en décembre 1993 au sujet du plan d'action de l'Union européenne

23 et sur le papier, il est tout à fait certain que nous étions proches d'un

24 règlement. Il nous fallait simplement trouver un petit bout de territoire

25 pour le président Izetbegovic à deux endroits, en Bosnie orientale et en

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1 Bosnie occidentale. Et nous parlions de 0,5 % du territoire de la

2 Bosnie-Herzégovine pour ces deux petits bouts de territoire. Ceci aurait

3 constitué une solution qui aurait pu faire pression effectivement sur

4 Karadzic et Mladic et cela aurait été très important.

5 Q. Et bien, vous parlez de ces négociations et je vais devoir revenir sur

6 un sujet que j'ai déjà abordé il y a quelques instants. Mais laissez-moi

7 terminer d'abord avec une digression.

8 Lord Owen, je suis sûr que vous vous souvenez très bien des trois partis

9 qui participaient aux négociations qui étaient dirigés par Karadzic, par

10 Boban, et par Tudjman. Tudjman et moi-même avons assisté à cette réunion

11 sur votre invitation pour tenter d'accélérer le processus mais nous

12 n'étions pas négociateurs à part entière. Donc, je dirais qu'il se trouvait

13 déjà là, les présidents de deux républiques voisines qui souhaitaient

14 s'investir au maximum pour accélérer le processus devant mener à un

15 règlement. Et pendant tout ce temps, j'ai eu le sentiment que nous

16 poursuivions le même objectif.

17 Et vous vous souvenez bien de la position adoptée par moi lorsque j'ai dit

18 que la paix serait obtenue dès lors que les intérêts de chacun des peuples

19 concernés seraient respectés comme il se doit, c'est-à-dire, les intérêts

20 des peuples serbes, croates et musulmans. En d'autres termes, nous ne

21 parlions en aucun cas d'un quelconque privilège pour l'un ou l'autre de ces

22 peuples mais nous nous prononcions favorablement à une prise en compte

23 égale des intérêts de chacun des peuples concernés.

24 Pourriez-vous nier que c'est dans ce sens que nos efforts ont été déployés

25 et que moi, par exemple sur le plan personnel, je considérais que ceci

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1 était dans le meilleur intérêt du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, à

2 savoir, une obtention la plus rapide possible de la paix ?

3 R. Oui. Je pense que c'est ainsi que vous considériez les choses mais

4 comme je l'ai déjà dit, il y avait une pièce manquante, à savoir,

5 l'utilisation de votre pouvoir de conviction devant les instances de

6 négociations. Mais lorsque vous n'avez pas réussi à persuader les personnes

7 qu'il fallait persuader, vous vous êtes apparemment arrêté là.

8 Alors vous venez de parler du président Tudjman. Il y a certain nombre de

9 questions sur lesquelles je n'étais pas d'accord avec le président Tudjman

10 et avec ce qu'il faisait, mais il a effectivement exercé son contrôle sur

11 la position de Mate Boban dans les négociations. Au mois de mai 1993, vous

12 n'étiez pas prêt à exercer le même esprit de conviction ou le même pouvoir

13 sur Karadzic et Krajisnik, ou sur le général Mladic.

14 Q. Avez-vous vu lu le discours que j'ai prononcé à Pale en 1993 ?

15 R. Je n'ai lu que des extraits de ce discours publié par Tanjug, mais je

16 crois comprendre ce dont il a été question parce que quelqu'un m'a montré

17 ce discours intégralement par la suite. J'aimerais d'ailleurs beaucoup le

18 relire mais je n'ai aucun doute quant au fait que vous êtes allé à Pale

19 pour les convaincre. C'est ce que je pense personnellement. Il y a des gens

20 qui disent que je suis naïf si je pense cela et que vous auriez participé à

21 la prise de dispositions très complexes pour essayer d'éviter un quelconque

22 accord. Mais personnellement, je pense que vous avez participé à ces

23 efforts et je crois que c'était également la position du premier ministre

24 Mitsotakis, qui est venu avec vous à Pale et qui a pris également la

25 parole, si je ne m'abuse.

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1 Je sais également que le président Cosic, qui n'a pas toujours été d'accord

2 avec vous sur tous les points, pense la même chose. Il a aussi parlé à Pale

3 et je pense qu'il estimait cela à l'époque et je sais qu'il l'estime

4 toujours. C'est lui qui me l'a dit et le professeur Stojanovic m'a

5 également dit qu'il estimait que vous étiez sérieux lorsque vous êtes allé

6 à Pale.

7 La question qui se pose à nous tous et je n'ai aucun doute quant au fait

8 qu'elle a une incidence sur la responsabilité qui doit être assumée par

9 rapport à tous ces événements, c'est pourquoi est-ce que nous avons permis

10 à un groupe d'hommes à Pale de bloquer un règlement qui était dans

11 l'intérêt de tous ?

12 Q. C'est une bonne question, mais je suppose que vous savez aussi qu'il

13 n'était pas les possibilités de Belgrade d'exercer une quelconque influence

14 et c'est la raison pour laquelle le référendum a fini par avoir lieu,

15 précisément parce que les pressions étaient importantes et qu'il n'y avait

16 pas d'autres solutions. C'est la raison pour laquelle un référendum a été

17 organisé plus tard.

18 Mais revenons sur cet autre sujet, Lord Owen. Vous dites, je le vois dans

19 la version anglaise du texte que j'ai sous les yeux et nous allons bientôt

20 devoir suspendre. Donc je vais essayer de comparer de façon efficace cet

21 exemplaire anglais avec celui que j'ai sous les yeux qui est l'original.

22 Les paginations ne sont pas les mêmes mais je vais essayer de comparer les

23 numéros de pages, donc page 90, et je pense que dans votre version c'est en

24 page 90 également.

25 Vous parlez de l'hôpital et de votre visite à l'hôpital de Kosevo, donc

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1 pendant ces périodes, et vous dites que vous avez été choqué par l'absence

2 de chauffage et que vous avez organisé la livraison de combustible pour

3 l'hôpital. Et vous dites ensuite, je cite : "Malheureusement Ganic semblait

4 avoir bloqué toute possibilité d'accord. Le combustible est arrivé à

5 l'hôpital de Kosevo après plusieurs jours. Il devait suffire pour les

6 vacances de Noël mais, par la suite, la livraison a été envoyée ailleurs

7 pour des raisons militaires."

8 Est-ce que vous pouvez nous dire quel est votre commentaire sur ce point,

9 je vous prie ?

10 R. Et bien, c'est ce que je crois correspondre à la réalité. Mais

11 j'aimerais revenir sur notre dernière conversation. Dans ma déposition

12 écrite, je ne sais pas si vous l'avez lue, mais je parle des suites des

13 discussions à l'assemblée serbe de Bosnie à Pale que je décris dans un

14 message envoyé par COREU, à savoir, ce système de transmission qui reliait

15 les ministères des Affaires étrangères de l'Union européenne, ce message

16 date du 27 avril 1993 et je ne pense pas que cela diffère de ce que j'ai

17 dit ici dans ce prétoire ou de ce que j'ai écrit dans ce télégramme COREU.

18 Q. Cette politique qui consiste à faire apparaître la partie musulmane

19 comme une victime, a manifestement les -- et manifestement bien accepté à

20 l'étranger, parce que vous dites dans votre livre je cite : "A ce stade en

21 Bosnie-Herzégovine, les documents enregistrés par le ministère de la

22 Justice des Etats-Unis ont montré que la Croatie possédait une société de

23 relation publique basée à Washington, Rudder-Finn, qui s'occupe des

24 affaires publiques et qui décrit les efforts déployés par les Croates. La

25 partie bosniaque a également payé un certain nombre de services destiné à

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1 obtenir la publication dans des journaux et des éditoriaux d'article et de

2 lettre à l'éditeur. Selon le journal d'Atlanta en date du 28 février 1993,

3 de juin à septembre, publié au nom du gouvernement bosniaque, plus de 20

4 interviews ont été organisées avec les plus grandes agences de presse des

5 Etats-Unis par cette agence Rudder-Finn. Treize annonces ont été faites,

6 trois [sic] rapports envoyés par fax, 17 lettres officielles publiées et 8

7 déclarations officielles également. Des rencontres ont été organisées

8 également avec M. Gore, Eagleburger, et d'autres centres d'influence y

9 compris par le dirigeant George Mitchell et un dirigeant minoritaire, M.

10 Dole. Il y a eu 48 conversations avec des députés de la Chambre des

11 représentants, 20 entretiens avec des membres du sénat et plus de 80 avec

12 des journalistes, et cetera."

13 Et puis vous dites un peu plus loin : "Un comité international pour l'ex-

14 Yougoslavie a été mis en place. Nous n'avions pas les moyens de répondre à

15 tous ces éléments d'information."

16 Pouvez-vous commenter cela, je vous prie ?

17 R. Et bien, il y avait effectivement une bataille de propagande qui

18 faisait rage, si vous souhaitez l'appeler ainsi, à moins qu'on ne parle

19 d'un débat au sein des Etats-Unis d'Amérique. Et bien entendu, chacune des

20 parties au conflit yougoslave avançait sa thèse, et de temps en temps des

21 négociateurs asseyait de donner un caractère plus équilibré à ce débat, de

22 façon à ce que les gens comprennent exactement de quoi il était question.

23 Donc un organe d'opinion important aux Etats-Unis a agi en dans ce sens

24 pendant quelque temps, il estimait que les Serbes de Bosnie étaient tous

25 venus de Serbie et ne comprenaient pas qu'il y avait en Bosnie-Herzégovine

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1 des Serbes qui vivaient chez eux et que c'était bien une région de l'ex-

2 Yougoslavie, c'est-à-dire une république à part entière de l'ex-

3 Yougoslavie.

4 Tout cela est bien vrai mais je pense que nous risquons de faire une erreur

5 parce qu'au cours des négociations qui ont eu lieu jour après jour, heure

6 après heure, mois après mois, année après année, les gens n'arrêtaient pas

7 de se faire tuer. Ils n'arrêtaient pas de subir le nettoyage ethnique et de

8 vivre toutes les souffrances qui leur étaient imposées sur le terrain. Et

9 j'ai eu le sentiment, j'espère qu'à un certain moment cela a bien été le

10 cas que vous vous efforciez, d'obtenir un règlement pacifique. Je pense que

11 tout cela était une tragédie, et que nous n'avons pas pu mettre un terme à

12 cette guerre, et qu'à l'époque une paix imparfaite aurait été préférable à

13 la poursuite de la guerre.

14 Q. Lord Owen, c'était la position que nous partagions tous, après tout, la

15 position que nous préconisions était bien celle-là, car il était tout à

16 fait clair qu'il n'existe pas de guerre plus cruelle qu'une guerre civile

17 et que rien ne peut résoudre une telle guerre.

18 La seule solution c'était d'y mettre un terme. Il est tout à fait certain

19 que nos efforts conjoints se sont orientés constamment dans ce même sens, à

20 savoir, mettre un terme à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Nous en avons

21 discuté pendant trois ans. Pendant trois ans nous avons investi nos efforts

22 à cette fin.

23 Est-ce que quelqu'un peut nier cela?

24 R. Non, mais je n'ai pas été capable de convaincre l'Union européenne ou

25 l'OTAN de recourir à la force pour obtenir un tel règlement. Et nous

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1 n'étions pas soumis aux mêmes contraintes parce que nous demander de

2 recourir à la force à nous ce n'était pas équivalent de vous demander à

3 recourir à la force à vous. Et vous n'étiez pas prêt à exercer votre

4 pouvoir politique ainsi que votre pouvoir militaire pour isoler l'armée

5 serbe de Bosnie en la privant d'approvisionnement ce qui aurait pu la

6 contraindre à accepter un règlement que vous-même estimiez juste.

7 C'est cela la question qui se pose. Je n'ai aucun problème à admettre que

8 je n'ai pas réussi à mobiliser le monde occidental si vous souhaitez

9 l'appeler ainsi, mais la Russie a participé à tout cela également. Je n'ai

10 pas réussi à obtenir l'interdiction de l'approvisionnement dont je pensais

11 que c'était une mesure moins agressive qu'un recours à la force militaire,

12 et je me demande pourquoi vous n'avez pas réussi à faire intervenir votre

13 pouvoir pour obtenir la coupure des voies d'approvisionnement ? Vous n'avez

14 fait qu'une tentative dans ce sens. Vous avez affirmé que vous aviez fait

15 une tentative et je ne suis même pas sûr aujourd'hui que cette tentative

16 vous l'ayez faite de façon absolument sincère et complète en septembre

17 1994.

18 Q. Fort bien, c'est votre impression mais je dis que cette mesure a été

19 extrêmement douloureuse pour nous, et que nous l'avons néanmoins prise.

20 Dans d'autre condition elle aurait pu ne pas être aussi douloureuse.

21 Vous, dans votre ouvrage, Lord Owen, vous dites que pas un seul soldat des

22 Nations Unies ne comprenait exactement ce qu'il était censé faire. Je vous

23 cite, page 578, de votre ouvrage, cela ne correspond pas nécessairement du

24 point de vue de la pagination à l'exemplaire que vous avez sous les yeux en

25 anglais, mais je vais vous citer ce passage dont vous vous souviendrez sans

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1 doute. Je serai très précis, je cite : "Pour les soldats des Nations Unies

2 sur le terrain, impartialité signifiait que la menace vis-à-vis des Serbes

3 de Bosnie de lancer des attaques aériennes en raison de l'armement lourd

4 dans la zone d'exclusion impliquait également une menace d'attaque contre

5 les Musulmans si ceux-ci utilisaient les mêmes armes ou essayaient de

6 l'emporter militairement un appui rapproché aérien devait également

7 s'appliquer à toutes les parties au conflit. Les commandants américains de

8 l'OTAN n'ont pas reçu l'autorisation d'accepter cette impartialité parce

9 que les ordres qu'ils avaient consistaient à s'adresser à Washington au cas

10 où une action était entreprise par quel qu'autre partie que la partie

11 serbe."

12 Et voilà, j'en ai terminé avec la citation de ce passage de votre ouvrage,

13 et la question que je vous pose est la suivante : Est-ce que c'est bien ce

14 qui s'est passé ? Est-ce que des encouragements, des incitations sont venus

15 de l'extérieur pour que les Musulmans ne soient pas empêchés de mener leurs

16 opérations et puissent continuer leurs activités conformément au modèle que

17 vous avez décrit, comme étant celui de Ganic, mais je pense que c'était un

18 modèle qui avait été accepté par la direction du gouvernement bosniaque

19 dans son ensemble. Est-ce que bien ainsi que les choses se sont passées

20 Lord Owen ?

21 R. Et bien, j'ai la citation sous les yeux. Elle se trouve en page 391,

22 pour ceux qui souhaitent la retrouver dans l'ouvrage à couverture

23 cartonnée. Et j'en reste -- je maintiens ce que j'ai dit. Les différentes

24 guerres, qui se sont menées en ex-Yougoslavie, peuvent nous en apprendre

25 beaucoup au sujet de la façon dont la paix est restaurée, et dont la paix

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1 est maintenue. Et nous avons tous commis des erreurs, y compris moi-même.

2 Je ne pense que quiconque parmi nous puisse être fier de ce qui s'est passé

3 au cours de ces guerres. Et je pense que la quête d'impartialité est une

4 quête extrêmement difficile, lorsque une guerre fait rage. Comme je l'ai

5 dit, vous pouvez être impartial au cours de négociations, mais vous pouvez

6 ne pas être neutre au sujet d'événements tels qu'un nettoyage ethnique, ou

7 au sujet d'actions qui constituent des violations des conventions de la

8 guerre et des Conventions de Genève.

9 Et je pense que nous devons faire face au fait qu'en dépit de toutes les

10 négociations qui ont eu lieu, et pendant ces négociations, tous ces

11 événements avaient bel et bien le cours. Donc je pense que la seule

12 conclusion que nous pouvons formuler par rapport à ces activités, c'est que

13 vous avez admis de faire pression, mais pas de recourir à la force.

14 Je ne nie pas que vous n'ayez pas la possibilité. Il était impossible à

15 quelques dirigeants de Belgrade de recourir contre les Serbes de Bosnie.

16 Mais je pense néanmoins toujours, que vous ne m'avez pas encore convaincu

17 quant aux raisons pour lesquelles vous n'avez pas utilisé d'autres

18 pressions politiques et militaires qui étaient à votre disposition pour

19 contraindre ces gens extrêmement isolés d'accepter le compromis qui était

20 nécessaire pour rétablir la paix à Pale.

21 Q. Fort bien, Lord Owen. Donc je suis responsable de ne pas avoir

22 contraint à un état voisin de faire quelque chose dont je pensais que

23 c'était tout à fait dans l'intérêt du peuple serbe. Et ceci, en tout cas,

24 la dernière partie de ma phrase n'est pas contestée. Mais avec quel moyen

25 aurais-je pu agir, si nous excluons le recours à la force qui était

Page 28480

1 effectivement un moyen inacceptable de tous les points de vue possibles, y

2 compris du point de vue moral ?

3 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Nous devrons revenir sur cette question,

4 mais je demanderai à Lord Owen s'il accepte la qualification contenue dans

5 votre dernière question.

6 Lord Owen, ce que l'accusé affirme, et c'est sans doute une question à

7 laquelle il faudra que nous répondions, bien sûr, ce n'est pas une question

8 tout à fait appropriée pour un témoin. Mais, en tout cas, c'est ce que dit

9 l'accusé, je cite : "Je ne suis pas responsable d'avoir contraint un état

10 voisin de faire quelque chose dont j'estimais que c'était réellement dans

11 l'intérêt du peuple serbe."

12 Est-ce une qualification exacte de votre position à l'époque, Lord Owen, où

13 est-ce que vous aimeriez ne pas répondre aujourd'hui à cette question ?

14 M. NICE : [interprétation] Il y a un point qui manque dans la citation que

15 vous avez faite, Monsieur le Président. La citation correcte était : "Je

16 serais responsable de ne pas avoir contraint un état voisin de faire

17 quelque chose dont je pensais que c'était réellement dans l'intérêt du

18 peuple serbe."

19 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Oui, oui, oui. "De ne pas avoir contraint

20 un état voisin." Effectivement.

21 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que l'expression "recours à la

22 force" peut être interprétée de deux façons différentes. Je suis convaincu

23 qu'il aurait dû les contraindre à accepter ceci par des moyens militaires

24 et économiques, par des pressions commerciales, qu'il pouvait utiliser,

25 étant président du pays voisin. Donc il aurait pu exercer des pressions

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1 économiques sur l'approvisionnement en matériel nécessaire pour la

2 poursuite de la guerre, et je pense que ces pressions auraient dû être

3 exercées.

4 Je pense qu'il aurait été beaucoup plus convaincant auprès des pays

5 occidentaux, s'il était apparu devant les instances de négociations, en

6 pouvant arguer d'avoir recouru à ce genre de force. J'ai bien dit que je ne

7 parlais pas de forces militaires, mais de forces politiques. Je ne parle

8 pas de bombardements ou de pilonnages, mais je parle de coupures des voies

9 de communications, de façon à les empêcher de poursuivre la guerre.

10 Je pense que ceci a été une grande erreur -- une grave erreur, Monsieur

11 Milosevic -- alors, président Milosevic. Et je suis sûr que lui aussi

12 pourrait mettre le doigt sur un certain nombre d'erreurs commises par moi.

13 M. MILOSEVIC : [interprétation]

14 Q. Je n'ai aucune intention de mettre le doigt sur des erreurs commises

15 par vous, Lord Owen. Mais admettriez-vous que l'on emploie des mots un peu

16 différents de ceux que vous venez de prononcer, à savoir, vous avez dit :

17 "Qu'ils s'appuyaient sur ces approvisionnements pour mener la guerre." Mais

18 admettriez-vous une formulation un peu différente, à savoir qu'ils devaient

19 s'appuyer sur nous pour survivre. C'était en fait la question de leur

20 survie qui était posée. C'était cela la question centrale, et c'est en cela

21 qu'ils se sont appuyés sur nous. Et il était de notre devoir absolu de les

22 aider à survivre. Je veux parler précisément de ces Serbes, qui, depuis des

23 siècles, vivaient dans ces régions, et n'étaient pas venus de Serbie, et

24 qui donc ne s'étaient emparés de territoires n'appartenant à personne.

25 Est-ce que vous faites une distinction entre le fait de mener la guerre, le

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1 fait de guerroyer et le fait de survivre ?

2 R. Je pense que vous avez eu raison de ne pas vous ingérer dans les

3 questions liées à l'aide humanitaire et à sa fourniture aux Serbes de

4 Bosnie, en septembre 1994, et par la suite. Mais je pense que vous auriez

5 dû avoir la possibilité de convaincre un certain nombre de personnes, y

6 compris moi-même, du fait que, si vous ne l'avez pas fait avant, si vous

7 avez imposé des restrictions à ces distributions, vous l'avez effectivement

8 fait pour empêcher des distributions de munitions, et pour les priver

9 d'armes et de combustibles.

10 Alors, vous dites que le combustible fait partie de l'aide humanitaire et

11 que l'essence permet de faire fonctionner un tracteur aussi bien qu'un

12 char. Mais il y a un point sur lequel vous avez effectivement exercé des

13 pressions, et sur lequel vous auriez pu effectivement exercé des pressions,

14 à savoir, vous auriez pu convaincre ces gens de faire ce qu'ils n'avaient

15 pas envie de faire, et je ne pense pas que vous l'ayez fait.

16 Q. Ça c'est une question qui mérite discussion. La différence entre un

17 char et tracteur, un hôpital, des munitions. Il est très difficile

18 d'établir la limite exacte. Mais je vais maintenant vous citer un autre

19 passage de votre ouvrage. Ma version anglaise -- dans ma version anglaise,

20 ce passage se trouve en page 321 parce qu'il y a un instant dans l'une des

21 citations que nous avons examinée. Nous avons pu voir que les Nations Unies

22 ne pouvaient pas faire preuve d'impartialité. Vous l'avez dit, vous-même.

23 Donc je cite ce que vous avez écrit dans votre ouvrage. Je cite : "Les plus

24 hauts responsables des Nations Unies étaient dans la pratique des soldats

25 confrontés à des problèmes très difficiles sur le terrain et,

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1 nécessairement, ils estimaient que leur rôle était de maintenir la paix, et

2 ils s'appuyaient sur des exemples et des expériences classiques issues

3 d'opérations de maintien de la paix antérieures. Ce qu'ils avaient du mal à

4 comprendre, c'était que les Musulmans de Bosnie, pour des raisons tout à

5 fait compréhensibles, étaient opposés à l'ordre en vigueur. Le désordre et

6 la déstabilisation faisaient partie intégrante de la stratégie mise en

7 œuvre par les Musulmans de Bosnie. Ils avaient besoin d'empêcher les gens

8 d'accepter que les lignes de front, établies par les Serbes, soient des

9 frontières durables. Ils ne voyaient rien de mal non plus, à ce que les

10 forces de protection des Nations Unies créent des zones de sécurité, alors

11 que, dans le même temps, elles pouvaient être attaquées par eux.

12 J'ai supposé que les commandants musulmans estimaient que ceci n'était pas

13 leur problème, à savoir que le conseil de Sécurité des Nations Unies avait

14 adopté des résolutions contradictoires. Ils faisaient tout ce qu'ils

15 pouvaient, du mieux possible. Et les affrontements avec les forces des

16 Nations Unies -- entre les forces des Nations Unies et les commandants

17 musulmans de Bosnie, ont évidemment irrité un grand nombre de personnes. Il

18 est tout à fait regrettable que les différents généraux de Sarajevo, le

19 général MacKenzie des forces canadiennes et le général Morillon, ainsi que

20 les généraux britanniques Rose et Smith, le général Briquemont de Belgique,

21 et d'autres aient été critiqués à Sarajevo et aux Etats-Unis pour s'être

22 montrés pro-Serbe dans leurs tentatives de dessiner à faciliter le passage

23 de l'aide humanitaire, compte tenu de leur mandat, en tant que forces de

24 paix qui exigeait l'impartialité. S'agissant d'un grand nombre de ces

25 questions en discussion, le conseil de Sécurité des Nations Unies, sous les

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1 pressions américaines, n'a même pas fait semblant, n'a même pas prétendu

2 faire preuve d'impartialité."

3 J'espère que je vous ai cité correctement. Donc, Lord Owen, être impartial

4 était interprété comme être pro-Serbe, était synonyme de tendances pro-

5 Serbe. Donc être du côté des Musulmans a été tout à fait acceptable et

6 souhaitable et c'était considéré comme une attitude impartiale. Est-ce que

7 vous avez vous-même éprouvé les mêmes difficultés ?

8 R. Et bien, j'ai essayé de comprendre la position exprimée des deux côtés

9 par la Bosnie-Herzégovine, à ce moment-là. Vous ne le souhaitez peut-être

10 pas vous-même, même si je pense que vous avez déployé des efforts dans ce

11 sens, mais le président Izetbegovic était assiégé dans sa capitale. Il

12 constatait qu'un groupe important de sa population avait déjà diminué de

13 10 % ou plus, même à certains moments. Il faisait face au nettoyage

14 ethnique. Il y avait même des camps qui s'organisaient à ce moment-là où

15 les Musulmans étaient maintenus en otages dans des conditions absolument

16 effroyables et tout cela se poursuivait dans le cadre des pilonnages et des

17 tirs de tireurs embusqués. Et nous pensions, nous tous, à ce sujet et je

18 crois que nous avions quelques raisons de le penser que le monde laissait

19 de côté tous ces événements. Bien sûr, il n'aurait pas été acceptable de

20 geler les positions là, où elles étaient à ce moment-là. La situation était

21 extraordinairement négative pour les Musulmans de Bosnie. Izetbegovic

22 n'aurait pas pu accepter que la situation se fige là où elle se trouvait.

23 Cela aurait été de toute façon inéquitable.

24 Je pense que c'est la raison pour laquelle M. Vance et M. Stoltenberg et

25 ainsi moi-même avions éprouvé de grandes déceptions avec les accords de

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1 cessez-le-feu. Nous avions le sentiment que les cessez-le-feu n'étaient pas

2 respectés, première chose, et que les gens n'avaient qu'une envie, c'était

3 quitter la table de négociations pour immédiatement aller ordonner un

4 pilonnage. Donc ces accords de cessez-le-feu ne nous semblaient pas être

5 des accords honnêtes. L'encre des accords était à peine sèche que les

6 violations étaient déjà visibles.

7 Et puis, deuxièmement, ces accords n'étaient pas justes car ils

8 permettaient de geler la situation. Donc nous, nous voulions un accord

9 global et je pense que c'est la logique qui a présidé à nos efforts de

10 négociations, de façon à ce qu'un accord, composé d'éléments multiples qui

11 puissent être obtenus. Et cet accord devait donc être un tout et, pour

12 l'obtenir, il fallait que nous exercions des pressions. Je pense que nous

13 n'avons pas réussi à le faire. Quant à vous, de votre côté, vous n'avez pas

14 réussi à empêcher les approvisionnements et n'avez pas eu suffisamment

15 recours à la force pour couper les voies d'approvisionnement.

16 Q. Mais dites-moi, je vous en prie, Lord Owen, puisque vous avez parlé de

17 nettoyage ethnique à plusieurs reprises, vous avez parlé des camps et

18 d'autres choses de ce genre. En tant que personne présente pendant toute

19 cette période dans la région, ne vous est-il pas apparu clairement, à vous

20 au moins, que les trois parties au conflit étaient engagées dans ces

21 actions et qu'il n'y avait personne d'innocent ? Aucune des parties

22 n'étaient innocente ? Est-ce que vous savez combien de centaines de

23 milliers de réfugiés il y avait en Serbie, par exemple, même avant les

24 événements de 1995 en Krajina ? Et combien de centaines de milliers -- des

25 dizaines de milliers d'entre eux venaient de Bosnie et avaient fui en

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1 direction de Serbie pour y trouver le salut ? Combien de Serbes de Bosnie

2 et de Croatie avaient déjà été victimes du nettoyage ethnique, le savez-

3 vous ? Combien de camps destinés à emprisonner les Serbes y avait-il en

4 Bosnie-Herzégovine et en Sarajevo, en particulier ? Lorsque vous parlez de

5 nettoyage ethnique et de camps, il est tout à fait clair que des appuis

6 importants étaient apportés aux Musulmans pendant toute cette période.

7 R. Monsieur Milosevic, j'ai admis vos citations qui étaient des citations

8 sélectives de mon ouvrage, dans lequel j'essaie de fournir une description

9 aussi précise et aussi équitable que possible de la situation. Mais je

10 pourrais vous ramener à d'autres citations dans lesquelles je dis très

11 clairement aussi qu'il n'y a aucune égalité dans le mal. Il ne peut pas y

12 avoir signe d'égalité entre une pratique relevant du mal et une autre

13 pratique relevant du mal. Tout cela, ce sont des événements tout à fait

14 tragiques, et je souhaite le dire, de la façon la plus claire qui soit, les

15 Serbes de Bosnie ont été responsables, dans de nombreux cas, de

16 malnutrition, de mauvais traitements, d'assassinats, de viols et de toute

17 sorte de méfaits imposés aux Croates ou aux Musulmans. C'est une question à

18 laquelle il va bien se falloir se trouver confronter.

19 Il est compréhensible de défendre le peuple serbe. Le peuple peut

20 comprendre cela, mais aucun observateur impartial, de ce qui se passait en

21 Bosnie-Herzégovine pendant ces années, ne pourrait en arriver à la

22 conclusion que les Serbes de Bosnie n'ont pas fait davantage sur le terrain

23 dans ce sens que les Croates de Bosnie ou les Musulmans de Bosnie. Et c'est

24 la raison pour laquelle l'opinion publique mondiale, à certains moments, ne

25 peut pas vous qualifier d'impartial parce qu'elle a bien vu qu'il

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1 s'agissait d'une agression, qu'il s'agissait de violence et de racisme,

2 toute chose que l'opinion mondiale estime tout à fait indéfendable. C'est

3 la raison pour laquelle ce Tribunal est en train de juger de la présente

4 affaire et ce sont des questions qui doivent être évoquées de façon tout à

5 fait légitimes et doivent obtenir une réponse devant l'opinion mondiale

6 pour que de tels événements ne se reproduisent pas à l'avenir.

7 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Il est 14 heures. Nous devons suspendre.

8 Monsieur Nice, un instant. Il y a une question que j'aimerais évoquer.

9 Monsieur Milosevic, vous avez demandé un temps supplémentaire. Il est vrai

10 que le Procureur a eu cinq minutes de plus que le temps prévu. Nous

11 réfléchirons pour voir si nous vous accordons un délai supplémentaire. Vous

12 pourrez contre-interroger encore le témoin au cours de la première partie

13 de la matinée de demain, donc une heure et demie, ce qui vous donnera

14 beaucoup plus de temps que les trois heures qui vous avaient été promises

15 au départ.

16 Donc vous pouvez vous préparer sur cette base et essayez de ne pas

17 polémiquer avec le témoin.

18 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur May, je n'ai pas remarqué que j'aie

19 polémiqué avec le témoin. Je n'ai fait que lui poser des questions. Mais je

20 pense que, compte tenu du temps dont vous disposez, vous pourriez au moins

21 m'accorder les deux parties de l'audience de demain, donc deux fois une

22 heure et demie plutôt qu'une seule fois.

23 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Non. Telle est notre décision. La

24 difficulté, apparemment, c'est que l'accusé a une version CD-ROM de son

25 ouvrage et que la pagination est manifestement différente de celle de

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1 l'ouvrage papier.

2 M. NICE : [interprétation] Lord Owen a exprimé qu'il y a un instant son

3 intérêt par rapport à la possibilité de lire le discours de l'accusé à

4 Pale, dont il ne dispose pas officiellement. C'est une pièce à conviction

5 dans l'affaire, mais je ne le lui ai pas encore remise. Si les Juges de

6 cette Chambre souhaite voir ce document, vous vous souviendrez qu'il s'agit

7 de la pièce 538, intercalaire 9, qui était d'abord dans un format

8 incomplet. Même si le témoin a donné, à la demande de la Chambre, on a

9 fourni une version complète par la suite, et je pense que ce matin, le

10 document a été fourni. Donc si les Juges souhaitent pouvoir lire ce texte,

11 le discours de l'accusé se trouve en page 19 et 94.

12 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Je suis sûr que le témoin a déjà lu assez

13 de documents.

14 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur May, s'agissant de mon discours --

15 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Un instant, Monsieur Milosevic. Nous

16 reviendrons sur la carte éthique de Sarajevo. Vous pouvez parler de cela

17 demain au cours de l'interrogatoire.

18 Encore une chose, Monsieur Nice, pour le reste de la semaine, parce que

19 nous avons M. Harland qui, si je ne m'abuse, sera entendu mercredi, il y a

20 contre-interrogatoire de deux heures trois quarts qui est prévu dans ce

21 cas, mais peut-être pourrait-il être un peu plus court --

22 M. NICE : [interprétation] Il y a un autre témoin disponible demain en

23 application de l'Article 92 bis.

24 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Fort bien. Monsieur Milosevic, que

25 souhaitiez-vous dire ? Nous devons en terminer.

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1 L'ACCUSÉ : [interprétation] S'agissant des discours que j'ai prononcés à

2 Pale, lorsque l'un ou l'autre des témoins en parle, et vous venez de citer

3 le nom de M. Donia, j'ai fourni un article de presse où l'on trouve mes

4 discours à Pale parce que M. Nice a versement au dossier de façon inexacte.

5 En tout cas, il n'a fait que versé des extraits sur des questions qui

6 posent problèmes. Donc j'ai demandé le versement d'un journal complet pour

7 cette période et vous l'avez dans vos documents.

8 M. LE JUGE MAY : [interprétation] Fort bien. Nous aurons, j'espère, une

9 version complète de ce discours.

10 Suspension. 9 heures demain matin.

11 --- L'audience est levée à 14 heures 07 et reprendra le mardi 4 novembre

12 2003, à 9 heures.

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