Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 Le mardi 7 septembre 2004

2 [Audience publique]

3 [L'accusé est introduit dans le prétoire]

4 --- L'audience est ouverte à 9 heures 05.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce matin, nous commencerons à

6 entendre les témoignages des témoins lors de la présentation des moyens de

7 la Défense.

8 Monsieur Kay, vous avez été nommé conseil de la Défense et vous allez poser

9 des questions au témoins.

10 M. KAY : [interprétation] Je vous remercie, Monsieur le Président. La

11 première question que je souhaite aborder concerne le premier témoin, à

12 savoir, Mme le Professeur Avramov.

13 Le Professeur Avramov est ici. Elle est présente au Tribunal aujourd'hui

14 et a eu l'amabilité de m'accorder la possibilité de la rencontrer pendant

15 plusieurs heures hier et d'envisager la manière dont elle allait déposer en

16 l'espèce, ainsi que les éléments de preuve, la déposition qu'elle pouvait

17 faire dans l'intérêt de l'accusé.

18 Même si je n'ai pas pu entrer en communication directe avec l'accusé hier,

19 je me suis rendu à l'unité de Détention hier pour voir s'il était prêt à me

20 rencontrer à un moment, qui avait été annoncé, mais ceci n'a pas eu lieu

21 et, ce matin, il n'a pas souhaité me rencontrer non plus. Mais, grâce à

22 d'autres sources, je sais qu'il souhaite faire une requête concernant les

23 modalités, pour autant que je le sache, qui portent sur la déposition de ce

24 témoin, mais aussi la modalité qui concerne l'interrogatoire des témoins :

25 "Avec l'autorisation de la Chambre de première instance, l'accusé pourrait

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1 continuer de participer activement à la présentation de ses moyens, y

2 compris, lorsque ceci s'avère approprié, interroger les témoins suite à

3 l'interrogatoire mené par le conseil nommé par la Chambre."

4 D'après les informations que j'ai reçues indirectement de la part de

5 l'accusé, il souhaiterait que je présente cette requête à la Chambre, à

6 savoir qu'il aimerait interroger ce témoin. Probablement, je ne sais pas si

7 c'est le cas puisque je n'ai pas pu lui parler directement, mais aussi

8 qu'il souhaiterait interroger tous les témoins. Quoi qu'il en soit, je

9 formule la requête eu égard à ce témoin.

10 Ce serait ma première requête ce matin, eu égard à ce témoin avant qu'elle

11 ne comparaisse, avant qu'elle n'entre dans le prétoire.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant, Maître Kay. Je souhaite

13 simplement m'assurer que je vous ai bien compris. Vous avez essayé de

14 communiquer avec l'accusé et, d'après ce que vous avez dit, vous n'avez pas

15 eu de succès dans ces tentatives.

16 M. KAY : [interprétation] Oui.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Est-ce que vous pouvez nous

18 présenter clairement les raisons pour lesquelles vous n'y êtes pas parvenu.

19 M. KAY : [interprétation] Il a refusé de nous rencontrer, et il existe un

20 canal par l'intermédiaire duquel nous sommes en mesure de communiquer. De

21 toute évidence, il s'agit du Greffe. Il nous permet de prendre des

22 dispositions pour des rencontres éventuelles. Je me suis rendu à l'unité de

23 Détention hier, au moment qui avait été fixé, dans l'espoir qu'il allait

24 nous recevoir pour que nous puissions aborder différentes questions, mais

25 ceci n'a pas porté de fruits, et la même chose s'est reproduite ce matin.

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1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Ce faisant, bien entendu, vous vous

2 conformiez à l'ordonnance rendue par la Chambre, à savoir que vous alliez

3 tenter d'obtenir des instructions de la part de l'accusé. Mais d'après ce

4 que vous êtes en train de dire, j'ai compris que l'accusé a refusé de vous

5 rencontrer.

6 M. KAY : [interprétation] Oui. Par conséquent, je n'ai pas été en mesure de

7 me conformer à cet aspect de la décision de la Chambre.

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Très bien. Passons maintenant à la

9 requête que vous avez formulée au nom de l'accusé. Vous avez eu raison de

10 vous référer au paragraphe 2 de l'ordonnance de la Chambre.

11 La raison principale pour laquelle la Chambre vous a nommé conseil de la

12 Défense est la suivante : compte tenu des conclusions médicales et compte

13 tenu du conseil formulé par les médecins, l'accusé n'est pas en mesure de

14 se représenter lui-même. Il serait contraire à la logique de l'ordonnance

15 rendue par la Chambre si, du moins pour ce qui est de cette première étape

16 de la présentation des moyens de la Défense, si la Chambre donnait la

17 possibilité à l'accusé de commencer son interrogatoire principal.

18 L'ordonnance rendue par la Chambre précise que, lorsque ceci est approprié,

19 l'accusé aura la possibilité de poser des questions suite à votre

20 interrogatoire principal. Nous n'allons pas exclure cette possibilité,

21 mais, de toute évidence, nous n'allons pas envisager de donner la

22 possibilité à l'accusé de commencer l'interrogatoire principal de ces

23 témoins. Lorsque la situation s'y prêtera, nous pouvons envisager cette

24 possibilité que l'accusé pose des questions suite à votre interrogatoire

25 principal. Il s'agit d'une affaire que la Chambre examinera au cas par cas.

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1 M. KAY : [interprétation] Très bien, Monsieur le Président. J'ai formulé ma

2 requête et je ne peux pas aller plus loin sur ce point.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Vous pouvez citer votre premier

4 témoin.

5 M. KAY : [interprétation] Le Professeur Avramov.

6 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Milosevic.

8 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, ce que je tiens à dire,

9 c'est que vous m'avez privé de mon droit de me défendre et vous m'avez

10 remis entre les mains de M. Kay, qui ne me représente pas. Il représente

11 vous-même --

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, nous n'allons

13 pas revenir aux choses que nous avons déjà abordées. Je ne souhaite pas le

14 faire et je n'autoriserai pas à ce que ce soit fait. Si vous avez un

15 nouveau point à formuler, je vous entendrai là-dessus, mais je ne souhaite

16 pas ici réentendre les mêmes choses ressassées encore et encore.

17 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur le Président, c'est une fiction

18 juridique pure que de parler de défense lorsqu'on m'impose un conseil.

19 J'insiste pour que vous me redonniez mon droit à la Défense.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous arrête. Vous avez déjà

21 précisé que vous alliez interjeter appel pour ce qui est de la décision de

22 la Chambre. Vous êtes parfaitement en droit de le faire.

23 Maître Kay, votre premier témoin.

24 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, je ne vous entendrai plus sur

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1 ce point.

2 M. KAY : [interprétation] Compte tenu de la situation, Monsieur le

3 Président, je cite le professeur Avramov.

4 [Le témoin est introduit dans le prétoire]

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Que le témoin prononce la

6 déclaration solennelle.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je déclare solennellement que je dirai la

8 vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

9 LE TÉMOIN: SMILJA AVRAMOV [Assermentée]

10 [Le témoin répond par l'interprète]

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous en prie, asseyez-vous.

12 Interrogatoire principal par M. Kay :

13 Q. [interprétation] Madame le Professeur Avramov, je vous remercie d'être

14 venue ici aujourd'hui. Je sais que vous parlez anglais tout comme vous

15 parlez, bien entendu, le B/C/S et nous allons procéder lors de cet

16 interrogatoire selon vos préférences.

17 R. Je préfère m'exprimer en anglais -- excusez-moi, en Serbe plutôt.

18 Q. Serbe?

19 R. Oui, c'est exact.

20 Q. Vous m'excuserez de vous poser mes questions en anglais, mais je

21 comprends tout à fait que vous préfériez vous exprimer dans votre langue

22 maternelle.

23 R. Tout à fait.

24 Q. Professeur Avramov, pourriez-vous, s'il vous plaît, nous préciser un

25 petit peu votre parcours professionnel. Vous êtes professeur de droit; est-

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1 ce exact ?

2 R. Oui. Pendant 40 ans, j'ai enseigné à la faculté de droit de Belgrade.

3 Je suis à la retraite aujourd'hui, mais il m'arrive de temps à autre de

4 faire des conférences lors du troisième cycle d'étude de droit à Belgrade,

5 bien entendu. Je ne sais pas ce qui vous intéresse plus particulièrement

6 pour ce qui est de mon C.V. J'ai fait mes études, c'était il y a bien

7 longtemps avant la Deuxième guerre mondiale. J'ai fait des études à des

8 grandes universités européennes et j'ai eu l'honneur de pouvoir suivre mes

9 études avec des professeurs exceptionnels, comme Hans Kelsen,

10 Schutzenberger, qui était mon professeur lors du troisième cycle à Londres,

11 et j'ai soutenu ma thèse. Je suis aussi Docteur iuris juris, mais j'ai

12 soutenu ma thèse dans la faculté de droit de Belgrade. Ma thèse portait sur

13 la philosophie du droit, la clause rebus sic standibus était l'un des

14 thèmes de ma thèse.

15 Je suis devenue chef de la chaire du droit international à la faculté de

16 droit de Belgrade par la suite. C'est là que je suis restée jusqu'à mon

17 départ à la retraite. Pendant plus de 20 ans, j'ai aussi dirigé l'institut

18 du Droit international, également dans le cadre de la faculté de droit de

19 Belgrade. J'ai été très active au sein des différentes associations de

20 juristes de Belgrade, mais aussi sur un plan international.

21 J'ai été présidente de l'Association yougoslave du Droit international et,

22 en 1980, j'ai été élue présidente d'International Law Association.

23 En 1968, je suis devenue co-présidente d'International Confederation for

24 Peace and Disarmement, dont le siège se trouve également à Londres, et je

25 précise aussi que j'ai été membre du comité exécutif de l'association

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1 mondiale pour la lutte contre la guerre nucléaire et l'armement nucléaire.

2 J'ai participé à de nombreuses rencontres internationales, à La Haye entre

3 autres, en passant par Londres, New York, le Japon, Tokyo, la Nouvelle

4 Delhi, et cetera.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie, Madame le

6 Professeur.

7 Maître Kay, j'essaie d'aborder un point avec vous. De toute évidence, Mme

8 le Professeur ne manque pas de qualifications, mais elle n'est pas citée

9 ici en tant que témoin expert.

10 M. KAY : [interprétation] Oui. Elle a joué un rôle particulier dans les

11 événements que nous allons présenter à la Chambre. Nous souhaitions

12 simplement évoquer le contexte général et nous allons passer à son

13 implication par la suite. Je pourrais d'ailleurs y passer sur le champ.

14 Q. Madame le Professeur, vous étiez aussi conseiller juridique au sein du

15 ministère des Affaires étrangères de la République socialiste fédérative de

16 la Yougoslavie ?

17 R. Pendant de nombreuses années, j'ai été membre du conseil juridique du

18 ministère des Affaires étrangères, oui, c'est vrai, c'est exact, en ma

19 qualité de chef de la chaire du droit international. C'était coutumier que

20 ce chef-là soit aussi conseiller juridique du ministère des Affaires

21 étrangères. Il me semble que, pendant plus de 15, 16, voire 20 ans, j'ai

22 exercé ces fonctions, ce rôle.

23 Q. Tout simplement, un autre élément qui relève du contexte. M. Milosevic

24 a été l'un de vos étudiants. Il a été votre élève pendant quelques années.

25 R. Oui, c'est exact. Oui, M. Milosevic est sorti de la faculté de droit.

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1 Il est diplômé de cette faculté et moi, en tant que professeur à cet

2 endroit, j'ai eu des contacts avec lui. C'était un excellent étudiant. Il a

3 fait preuve d'un grand intérêt, en particulier, pour ce qui est du droit

4 économique international. Il avait une particularité, ce que l'on

5 appellerait en anglais, "intellectual curiosity", la curiosité

6 intellectuelle. Après mes conférences, il posait souvent des questions. Il

7 demandait des précisions, des explications.

8 Q. A partir du moment où M. Milosevic a terminé ses études, là où vous

9 étiez professeur, à quel moment avez-vous eu l'occasion de le rencontrer de

10 nouveau dans le cadre de vos activités professionnelles ? A quel moment ?

11 R. Il est difficile de répondre, mais j'essaierai de me rappeler.

12 M. Milosevic se rendait à la faculté, à la bibliothèque, il empruntait des

13 livres à la bibliothèque même après avoir eu son diplôme. On se rencontrait

14 toujours dans un cadre cordial et amical, c'était cela le ton de nos

15 rencontres, comme cela revient à des relations entre un professeur et son

16 ex-élève. Par la suite, je n'ai pas eu de contacts avec lui et ce, jusqu'au

17 moment où M. Milosevic m'a appelée, c'était fin mars 1991, il m'a invitée à

18 participer à des négociations préliminaires qui devaient se dérouler sur un

19 plan très élevé intellectuellement, très poussé, avec des collègues

20 croates, pour analyser les conséquences de la crise qui s'était déjà

21 emparée de la Yougoslavie.

22 Il serait peut-être significatif, excusez-moi, j'ai la gorge sèche --

23 Q. Avez-vous jamais été membre de l'un quelconque de ces partis

24 politiques ?

25 R. Non. Voyez-vous pendant une période assez brève de temps, j'ai été

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1 membre du Parti communiste et j'en ai été exclue. Par la suite, je ne suis

2 plus jamais redevenue membre d'un parti quel qu'il soit. C'était dans les

3 années 1970 que j'ai quitté les rangs du parti et, par la suite, je ne suis

4 plus jamais redevenue membre d'un parti quel qu'il soit.

5 Lorsque M. Milosevic m'a invitée, je lui ai dit : je ne suis membre d'aucun

6 parti, et il m'a répliqué : "Mais quelle importance cela peut-il avoir ?"

7 C'était cela ces propos, et je lui ai dit : "Il faut qu'on précise les

8 choses. Je ne suis membre d'aucun parti politique, et je n'ai aucune

9 intention de prendre part activement sur la scène politique et, dans ma

10 vie, je n'ai jamais exercé de responsabilité politique. Il m'a dit : "Mais

11 ce n'est pas en cette qualité-là que j'ai fait appel à vous. Ce qui

12 m'intéresse sont vos qualités professionnelles, et j'estime qu'à ce moment-

13 là critique dans la vie de notre pays, votre aide pourrait nous être

14 utile."

15 J'ai demandé : mais de quoi parlez-vous ? Précisément, il m'a répondu :

16 "Mais ne voyez-vous pas que le pays traverse une crise grave ?" Je lui ai

17 répondu : "Mais bien entendu. Vous savez que j'ai publié plusieurs articles

18 très critiques, et qui plus aient, en 1987 j'ai publié même un livre

19 intitulé : "Le contrôle, la politique étrangère." J'étais très agacée en ma

20 qualité précisément du membre de ce comité juridique du ministère des

21 Affaires étrangères où je suis arrivée à une conclusion.

22 Il y avait là des représentants de toutes les unités fédérales. Je ne sais

23 pas dans quelles mesures vous vous êtes informé de la teneur de notre

24 constitution, plutôt la constitution qui était en vigueur à l'époque.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame le Professeur.

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1 LE TÉMOIN : [interprétation] Excusez-moi.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame le Professeur, je vais vous

3 arrêter. Excusez-moi, je vous prierais de vous contenter de répondre aux

4 questions qui vous ont posé par l'avocat. J'ai une question à vous poser

5 moi-même. Vous avez mentionné que vous avez été exclue du Parti communiste.

6 Pour quelle raison ? Pouvez-vous nous le dire ?

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui. Vous savez, j'étais indisciplinée et ils

8 ont tout à fait raison de m'exclure. J'ai voté contre des décisions prises.

9 Tous les partis imposent une forme de discipline, mais je suis quelqu'un de

10 très indisciplinée, peut-être un petit peu individualiste et c'était cela

11 les raisons.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay.

13 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

14 Q. Vous avez mené des recherches depuis 1991, des recherches portant sur

15 les Républiques constitutives de la Yougoslavie. Dans ces recherches, vous

16 vous êtes penchée sur les questions qui concernaient la politique étrangère

17 menée par ces républiques; est-ce exact ?

18 R. Oui. Précisément. C'est ce que j'allais souligner. En tant que membre

19 de ce conseil juridique, bien entendu, j'ai pu avoir accès à de nombreux

20 documents car nous discutions des différents aspects de la politique

21 étrangère. Je suis arrivée à la conclusion, à ce moment-là, que chacune des

22 républiques disposaient de sa propre politique étrangère et que nous nous

23 acheminions vers une désintégration. J'ai attiré l'attention même au sein

24 de ce conseil là-dessus et, par la suite, comme cela m'agaçait fortement,

25 je me suis appliquée à rédiger ce livre : "Le contrôle, la politique

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1 étrangère." J'y souligne que nous n'avions pas de contrôle sur la politique

2 étrangère, que nous n'avions même pas une politique étrangère unique que

3 celle-ci se divergeait selon les chemins empruntés par les six unités

4 fédérales.

5 J'ai aussi souligné les abus qui ont eu lieu de la part des différentes

6 unités fédérales, car la constitution donnait la possibilité aux unités

7 fédérales, et ce, sur un plan local, ce qu'on appelle en anglais :

8 "Conclure des accords," non, cela c'est interdit, mais ce qu'on appelle

9 "convents" en anglais. Ce type de document ou d'accord pouvait être conclus

10 par les républiques elles-mêmes; cependant, pour ce qui est de la Croatie

11 et de la Slovénie, en particulier, il y a eu de grands écarts qui se sont

12 produits, et c'est sur quoi je me suis attachée dans mon livre.

13 Ce livre a été critiqué. Il a été estimé que ma critique était allée un peu

14 trop loin sur le plan de la politique étrangère, mais c'était cela.

15 Q. En mars 1991, en cette époque-là, la Yougoslavie se trouvait en crise

16 en raison de ces questions de sécession de la part de la Slovénie et de la

17 Croatie qui se trouvait à l'époque au centre de la vie politique de

18 l'époque.

19 R. Il n'y a pas eu de sécession, à ce moment-là, encore. La crise se

20 traduisait par le fait de voir la Slovénie et la Croatie tout simplement

21 refusées de respecter la législation fédérale. Elle reniait cette dernière.

22 En sus, il y a eu certaines organisations illégales qui sont manifestées.

23 Je vous ai montré un papier qui est la page de garde d'une revue

24 illégalement publiée.

25 Je me dois de vous dire que la Yougoslavie, d'une certaine façon, se

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1 trouvait en crise depuis 1945 jusqu'en 1990. Dans un certain sens, la

2 Yougoslavie se trouvait très souvent sur le point d'entamer une guerre

3 civile, parce qu'il y a eu des résistances très fortes, des protestations

4 très évidentes.

5 Une situation très spécifique était en train de se mettre en place, parce

6 que sur le territoire de la Yougoslavie, comme vous le saviez, nous avons

7 eu une guerre de libération nationale. Puis après la guerre sur le

8 territoire de la Croatie, il s'était créé un Etat indépendant Croate sous

9 le protectorat de l'Allemagne nazi, et un nombre très important de Croates

10 à orientation nazie à immigrer. A compter de 1945 déjà, ils se sont

11 organisés en groupe illicite et ces groupes clandestins se sont, par la

12 suite, mués en organisation terroriste.

13 Je dois vous dire également qu'en 1945 et 1980, il a été réalisé contre la

14 Yougoslavie cette organisation terroriste croate qui est entrée en 1990 en

15 Croatie, et qui a joué le rôle le plus important, donc elle a organisé

16 contre la Yougoslavie quelques 400 actes de terrorismes. Peut-être

17 quelqu'un se souvient-il encore du meurtre de notre ambassadeur, par

18 exemple, de l'ambassadeur Rolovic à Stockholm. Je ne sais pas si vous vous

19 souvenez de l'enlèvement d'un avion yougoslave qui s'est abattu, qui est

20 tombé au-dessus, enfin sur le territoire de la Tchécoslovaquie et tout le

21 monde est mort.

22 On a parlé de bon nombre d'incidents, mais on n'a pas parlé d'acte

23 terroriste contre la Yougoslavie.

24 Q. Excusez-moi, je vous demanderais justement de nous dire quelque chose

25 au sujet du contexte de 1991 et de nous parler quelque peu du rôle que le

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1 président Milosevic, vous aviez convié à jouer dans cette période précédant

2 la sécession de la Slovénie. Quelle était la finalité de ce rôle ?

3 R. Ce que je viens de vous dire. Je l'ai dit pour que vous puissiez vous

4 rendre compte de la continuité qui était déjà en place. Sans cette

5 continuité, sans comprendre cette continuité, il est difficile de

6 comprendre ce qui s'est passé, en 1991 et par la suite, mais je vais

7 revenir à la question que vous avez posée.

8 M. Milosevic m'a dit : "Nous nous trouvons dans une situation de crise

9 grave, et l'idée que j'ai celle de faire en sorte que les intellectuels

10 indépendants de Serbie avec des intellectuels indépendants de Croatie,

11 parce que la question centrale c'était cette relation serbo-croate, le

12 litige principal se passait entre Belgrade et Zagreb, et c'était un litige

13 qui s'étire tout au long de l'histoire de la Yougoslavie. Il s'agissait de

14 faire en sorte que vous vous penchiez sur d'éventuels conséquences du

15 démantèlement de la Yougoslavie."

16 Je lui ai dit, à ce moment-là, étant donné que j'avais œuvré, j'ai

17 travaillé dans cette direction en 1980-1985, au sein des archives

18 militaires de Rome, de Freiburg, dans les archives d'Etat de Bonn et dans

19 le Public Records Office à Londres. J'ai travaillé également à Washington,

20 et j'ai fait des recherches aux fins de la rédaction d'un livre qui n'a pas

21 été publié, qui a fini par être interdit pour être publié seulement en

22 1989/1990, et qui est

23 intitulé : "Le génocide à Yougoslavie à la lumière du droit international."

24 Le livre a été traduit en anglais, et j'espère que vous en possédez un

25 exemplaire.

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1 Etant donné que j'ai travaillé au sein de toutes ces archives, j'ai

2 présenté à M. Milosevic, à l'occasion de notre conversation, deux choses.

3 Je dois reconnaître que je regrette aujourd'hui le fait qu'une thèse a été

4 confirmée à part entière, et la deuxième thèse, ce n'est pas le cas.

5 Je vais d'abord vous parler d'une thèse. Je vais, en effet, indiquer que

6 j'ai suivi depuis le début les mouvements illicites de ce qui était convenu

7 d'appeler : "Mouvement croate de libération nationale." J'ai suivi toutes

8 les mutations de ce mouvement. Ils sont allés très loin. Ils avaient des

9 racines très profondes dans le pays même. J'ai indiqué qu'ils avaient des

10 racines au sein du Parti communiste, même au sommet de ce Parti communiste.

11 Ce mouvement avait des racines profondément ancrées en Amérique et en

12 Allemagne, et ils se sont infiltrés dans bon nombre de services en leur

13 qualité de mouvement anticommuniste. Mais il y avait là un grand subterfuge

14 parce que ce mouvement, en même temps, a œuvré dans deux directions :

15 direction de Moscou, et direction de Washington. Leur idée était d'accéder

16 à l'indépendance indépendamment du fait de savoir avec l'aide de qui, des

17 communistes ou des anticommunistes. La Yougoslavie devait périr, devait

18 forcément disparaître, que ce soit à l'aide des capitalistes ou à l'aide

19 des Bolcheviks, y cela leur était égal. C'était leur thèse principale. Je

20 l'ai dit à M. Milosevic. Je lui ai dit que j'avais été sceptique.

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, je vous interrompe.

22 Votre livre intitulé : "Le génocide à Yougoslavie," que je n'ai pas eu la

23 chance de lire jusqu'à présent, dites-nous, de quelle période parle-t-

24 elle ? Ce génocide parle de quelle période ?

25 LE TÉMOIN : [interprétation] Cela concerne la période 1941 à 1945, mais

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1 avec un suivi de l'évolution de ce mouvement clandestin par la suite,

2 également. Ce n'est qu'en 1989 que l'on m'a donné l'occasion de faire

3 publier le livre, alors que je l'avais déjà préparé bien avant. Pour

4 impressionner, le génocide était un sujet tabou. Il n'était pas question

5 d'en parler du tout. Si vous n'avez pas lu le livre, je me ferais un

6 plaisir de vous envoyer cette version anglaise.

7 Cela ne pouvait pas être publié lorsque l'opportunité s'est présentée.

8 Lorsqu'il y a eu une approche bien plus libérale de la part du régime en

9 place, lorsque la chose a pu être publiée, j'ai procédé à la rédaction de

10 quelques compléments, étant donné que j'ai suivi ce qui se passait entre-

11 temps, j'ai suivi les mouvements clandestins dans cette période, jusqu'à

12 l'écrêtement de notre crise à nous. Cela couvre la période entre les deux.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Je crois --

14 excusez-moi, Professeur, juste un moment.

15 Je vois que ce témoin est en train de nous présenter en long et en large le

16 contexte historique et juridique dans lequel les évènements se sont

17 produits, et c'est la raison pour laquelle je vous donne autant de latitude

18 dans l'interrogatoire principal de ce témoin.

19 M. KAY : [interprétation] J'apprécie, Monsieur le Président, il y a, en

20 effet, des détails particuliers qui prennent naissance en 1991, et qui

21 évoluent par la suite. Le professeur avait tenu à en informer la Chambre.

22 Cela apporte des informations complémentaires, pour ce qui est de nous

23 expliquer comment elle a pris part aux éléments survenus par la suite.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] En effet.

25 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Monsieur Kay, mais la réponse de ce

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1 témoin a complètement déviée par rapport à la question que vous avez posée.

2 Vous avez posé la question de la communication qui s'était établie entre M.

3 Milosevic et son professeur, et je crois que la question est tout à fait

4 pertinente pour ce qui est d'obtenir une réponse.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un moment, Professeur.

6 Monsieur Nice.

7 M. NICE : [interprétation] Juste une intervention brève de ma part. Je

8 tiens à préciser que l'Accusation ait présenté le contexte au travers du

9 témoignage d'un témoin expert. Nous avons estimé que ce témoin-ci va avoir

10 à comparaître en tant qu'expert. On nous a dit que ce sera un témoin de

11 fait.

12 Nous n'avons aucune objection à ce que la continuation de ce témoignage se

13 fasse sans interruption, mais je tiens à ce que vous gardiez cela à

14 l'esprit.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, je vous demande de

16 garder ceci à l'esprit. Ce témoin n'est pas venu ici pour témoigner en sa

17 qualité d'experte. Si elle était venue en sa qualité d'experte, un rapport

18 d'expert aurait dû, au préalable, être distribué à toutes les parties en

19 présence, et le Procureur aurait pu se préparer, de façon appropriée, un

20 contre-interrogatoire.

21 M. KAY : [interprétation] En effet, Monsieur le Président, j'apprécie

22 beaucoup, mais le témoin ici présent nous a parlé de la façon dont il est

23 arrivé qu'en 1991, elle était contactée par le président Milosevic, et elle

24 a expliqué, de façon complémentaire, le contexte des circonstances qui ont

25 précédé cela. Il a un beau nombre d'autres éléments qui ont été exposés,

Page 32411

1 mais pour ce qui est de son rôle particulier, c'est ce qui a été présenté.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous demande de lui poser des

3 questions tout à fait précises concernant son témoignage, conformément à ce

4 que le Juge Bonomy a suggéré.

5 M. KAY : [interprétation] Oui, en effet.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous me le permettez, il s'agit ici de

7 faits que je tiens à présenter, et qui ont une importance fréquente pour ce

8 qui est du contexte des choses dont j'ai discuté avec M. Milosevic. Cette

9 partie-là de mon exposé s'est avérée être tout à fait justifiée en 1991, et

10 par la suite. Ce qui ne s'est pas réalisé dans les faits, et ce que j'avais

11 indiqué à M. Milosevic à l'époque, c'était ce qui suit : indépendamment de

12 tous les aspects négatifs qui nous attendent par rapport à ces mouvements

13 subversives et terroristes, au sujet desquels il nous a été dit à l'état-

14 major que nous avions à faire face aux mêmes ennemis qu'en 1941. C'est là

15 la chose dont il fallait tenir compte.

16 Ce que j'ai dit et ce qui ne s'est pas réalisé, c'est ce qui suit. J'ai

17 tenu à affirmer à l'attention de M. Milosevic que les Nations Unies, sous

18 aucune condition, et en aucune circonstance, ne devaient reconnaître la

19 sécession.

20 Q. Professeur, je vous demande de répondre seulement aux questions que je

21 vous pose. Nous en viendrons à ces autres sujets par le biais des questions

22 que je vais vous poser parce que, comme vous le savez, ici il s'agit d'une

23 question très importante de responsabilité individuelle au pénal de M.

24 Milosevic. Nous allons parler de ces questions précises, et nous allons

25 également toucher à des questions d'ordre général.

Page 32412

1 En mars 1991, lorsque vous avez été sollicitée pour ce qui était de prendre

2 part aux négociations et aux conversations entre intellectuels en

3 provenance des autres républiques, je voudrais que vous nous indiquiez

4 quelle avait été la finalité de ces conversations ?

5 R. Ils étaient de Croatie.

6 Q. Oui, de Croatie. Il n'y en a pas eu de Slovénie en mars 1991, n'est-ce

7 pas ?

8 R. Non, seulement de Croatie.

9 Q. Quelle était la finalité de ces pourparlers, pour ce qui est des

10 contacts que le président Milosevic a établi avec vous ?

11 R. Je viens de vous le dire. M. Milosevic souhaitait présenter à la partie

12 adverse, ainsi qu'à l'opinion publique, quelles seraient les conséquences

13 terribles d'un démantèlement éventuel de la Yougoslavie. C'est partant de

14 là que la composition des membres de ces équipes de notre côté et du côté

15 croate, de couvrir plusieurs segments. J'avais été là pour le droit

16 international. Il y avait un collègue pour ce qui est des conséquences

17 économiques en cas de sécession, puis conséquences politiques et

18 constitutionnelles. Donc, du côté croate et du côté serbe, il y avait des

19 experts de profils variés.

20 Lorsque j'ai dit cela à M. Milosevic, je tiens à dire que sa réaction a été

21 très importante, étant donné que je ne pense pas du moins que j'avais eu

22 une attitude autre, j'ai été irritée par ce qui se passait en Yougoslavie

23 et, à un moment donné, je lui ai dit : "Monsieur Milosevic, je crains fort

24 que tout ceci ne sert rien. Ne voyez-vous pas où la politique nous mène, la

25 politique de ce pays-ci ?" Tout à fait paisiblement, il m'a répondu : "Je

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1 fais appel à vous pour que vous restiez -- pour que vous fassiez partie de

2 cette équipe." Lorsque ces messieurs" -- ces camarades, puisqu'on appelait

3 cela des camarades à l'époque -- "lorsqu'ils comprendront quelle est la

4 gravité des conséquences de ce qu'ils font, ils reviendront à la raison, et

5 ce fanatisme les abandonnera, pour ce qui est de cette indépendance

6 éventuelle."

7 En quelque sorte, je crois pouvoir dire qu'il avait été obsédé par une

8 idée, à savoir, celle de la préservation de la Yougoslavie, et cela était

9 le sujet de nos conversations. Cela avait été également un appel de sa

10 part, pour ce qui est d'une tolérance au maximum de notre part. Je tiens à

11 dire que c'est de façon tout à fait collégiale que nous nous sommes dirigés

12 vers ces entretiens, et nous avons préparé des arguments tout à fait

13 appropriés.

14 Il relève de mon devoir de vous dire une chose, à savoir que M. Mesic a

15 témoigné ici, alors, ce qu'il a dit ici est mensonge pur et simple. J'ai

16 écouté cela à la télévision. Il a laissé entendre qu'à ces réunions-là,

17 suivant des directives émanant de M. Milosevic et de M. Tudjman, nous

18 tracions des lignes ou de frontières pour ce qui est de la Bosnie et

19 autres. Ceci est un mensonge notoire. Cela est tout à fait inexact.

20 Nous nous sommes entretenus, oui, au sujet des frontières. J'ai eu cette

21 tâche-là. Mais dans quel sens cela se passait-il ? En cas de sécession, je

22 devais parler de la situation dans laquelle se trouvaient les différentes

23 entités fédérales. Est-ce que les frontières futures seraient les acquis

24 révolutionnaires, à savoir, les décisions du conseil antifasciste de la

25 libération nationale de la Yougoslavie, à savoir, l'organe de pouvoir

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1 suprême du Parti communiste de la Yougoslavie à l'époque, qui a pris la

2 décision, dans le courant même de la révolution, de procéder à la création

3 de ces républiques, et ceci aux fins de constituer des frontières de

4 républiques qui correspondraient au partage effectué et aux constructions

5 mises en place par le Parti communiste ? Il s'agissait de savoir si cela

6 devait servir de fondement pour ce qui est des frontières futures, chose

7 que j'ai contestée de ma part, et j'ai affirmé qu'il ne pouvait y avoir

8 qu'un seul type de frontières, à savoir les frontières internationales, à

9 savoir les traités multilatéraux signés après la Première guerre mondiale,

10 entre 1919 et 1923. Les premières délimitations se sont effectuées en 1926

11 pour ce qui est de l'Albanie. Mais ce qu'il importe de dire, c'est que cela

12 était la seule chose qui pouvait servir de base pour ce qui est des

13 frontières à mettre en place. La partie croate n'a pas été d'accord.

14 Elle a affirmé que l'Europe s'était dirigée vers une direction tout à fait

15 autre dans le monde, à savoir que le principe fondamental serait le statu

16 quo ante, donc avant la révolution. Il s'agissait de supprimer les acquis

17 révolutionnaires. La légitimité de ces soi-disant Etats tirait leur

18 légitimité rien que de la révolution, mais pas du droit, parce qu'aucun

19 traité international n'a reconnu les frontières parce que c'est dans les

20 actes de reconnaissance internationale qu'il est question des frontières.

21 C'est là une position qui est réglementée de façon universelle. Mais je

22 vais revenir à cela plus tard.

23 C'est sur ces fondements-là que se situaient nos conversations, lorsque

24 nous avions ces différentes sessions à différents endroits pour ce qui

25 était de déterminer quels seraient les fondements des frontières futures.

Page 32415

1 Je me suis référée, à ce moment-là déjà, aux décisions de la Cour suprême

2 du Canada au sujet du Québec, qui a dit et qui précisait que, tout d'abord,

3 le Québec ne pouvait pas faire sécession unilatérale sans qu'il y ait

4 accord des autres parties du pays. Nous avons pris cela comme point de

5 départ dans nos négociations. J'ai dit qu'au cas où il y aurait --

6 Q. Permettez-moi de vous interrompre un instant parce que ceci touche à un

7 autre domaine qui fait partie des chefs d'accusation à l'encontre de M.

8 Milosevic. Il a été, en effet, indiqué qu'il avait pour objectif de mettre

9 en place une Grande Serbie et que la politique et la stratégie, qui était

10 la sienne, visait à créer une Grande Serbie dans cette région. Est-ce que

11 ceci coïncide avec les instructions que vous avez reçues de sa part ou est-

12 ce que cela découlerait des entretiens que vous avez eus, vous-même ou

13 quelqu'un d'autre des membres de votre équipe, avec lui-même ? Est-ce que

14 cela a constitué un objectif ?

15 R. Non, jamais, jamais.

16 Ce que je vous conseillerais, Messieurs, c'est quelque chose qui a la

17 primauté par rapport à mes propos et qui a la priorité par rapport aux

18 témoignages de tous les témoins. Il y a trois livres. L'un des livres a été

19 rédigé par M. Alija Izetbegovic. Ce livre est intitulé : "La Déclaration

20 islamique." Le deuxième livre a été rédigé par M. Tudjman, qui présente,

21 sur 500 pages, ses points de vue idéologiques et sa vision de l'avenir. Il

22 y a un livre, qui est celui de M. Milosevic, publié en 1989, qui a été

23 d'ailleurs traduit en français. Si mes souvenirs sont bons, son titre est

24 celui de : "Les années décisives." Je crois qu'il a été question là des

25 années de la crise où il a indiqué qu'il ne saurait être imaginé un

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1 Milosevic, son contexte idéologique, si vous ne le placez pas dans le

2 contexte de cette Yougoslavie dans laquelle il a fait ses études, dans

3 laquelle il a occupé des fonctions déterminées. A ses yeux, si ce n'est la

4 Yougoslavie, il ne saurait y avoir d'autres solutions. Il a été d'ailleurs

5 accusé, en Serbie même, de s'appuyer sur un slogan qui a été le slogan

6 prépondérant de la Yougoslavie d'après-guerre, à savoir, celui de "la

7 fraternité et de l'unité". C'est sur cette thèse de fraternité avec les

8 autres peuples du pays qu'il se fondait. Or, ces autres peuples faisaient

9 preuve d'ambition militariste guerrière, qui avait pour visée le

10 démantèlement du pays.

11 Mis à part ceci, il y a autre chose. M. Milosevic nous a toujours attiré

12 l'attention sur ce qui suit, et je crois que c'est là le point crucial :

13 lorsque les actes terroristes individuels ont commencé à se produire, je

14 vous parlerai d'un acte où j'ai été présente moi-même. Il s'agissait de la

15 deuxième journée, suite à la déclaration de la sécession de la part de la

16 Slovénie. La garde slovène a abattu tous les gardes de frontières qui se

17 trouvaient aux frontières mêmes. En Yougoslavie, les soldats de Serbie

18 allaient faire leur service en Slovénie, en Croatie, enfin, toujours dans

19 une autre république. Lorsque ceci s'est produit, lorsque ces premières

20 cruautés ont été perpétrées, M. Milosevic a été la personne qui a toujours

21 affirmé qu'il fallait calmer le public, que cela était l'œuvre de criminels

22 individuels et il ne s'agissait pas, à ses yeux, d'accuser tous les

23 Slovènes, et qu'il fallait faire régner l'ordre dans le public et ne pas

24 envenimer les relations avec les autres. M. Milosevic n'a jamais dit chose

25 pareille, chose analogue à la Grande Serbie, et pour nous, qui y vivions

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1 là-bas, cette référence-là revêtait un caractère ridicule.

2 Q. Lorsque le conflit a commencé en Slovénie, étiez-vous présente et avez-

3 vous discuté de ce qui se passait là-bas avec lui-même et avec le général

4 Kadijevic ?

5 R. Comme je vous l'ai déjà indiqué, les négociations qui se sont déroulées

6 entre groupe d'intellectuels de Croatie et autres, et nous, je dirais que

7 la coopération se passait très bien. Nous avions tenu des rencontres dans

8 des localités différentes à chaque fois et, tout à coup, nous nous

9 apprêtions à aller à une de ces rencontres. Nous étions chez M. Milosevic,

10 son secrétaire est entré nous voir, et nous a dit : "Vous n'y alliez pas."

11 Nous étions sur le point d'aller à l'aéroport, M. Tudjman a fait savoir

12 qu'il mettait un terme à toutes ces négociations. C'est ainsi que cela a

13 pris fin. Ce n'est que bien plus tard qu'il a été créé une commission

14 chargée de négocier avec l'Union européenne. C'est suite à une invitation

15 du président Milosevic que j'ai participé à l'équipe chargée des

16 négociations depuis le début même mais indépendamment.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, je vous demanderais de

18 vous concentrer sur la nécessité de répondre aux questions qui vous sont

19 posées par le conseil, à savoir : avez-vous été présente et avez-vous

20 discuté de ce qui se passait avec M. Milosevic et le général Kadijevic ? Je

21 vous prie de répondre brièvement.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] J'allais vous le dire, mais je voulais aussi

23 vous expliquer comment les circonstances ont fait que j'y ai participé.

24 Il y a eu des contacts en continuité que nous avons entretenus, et bien

25 entendu, j'ai beaucoup discuté avec M. Milosevic, à titre officiel et à

Page 32418

1 titre officieux sur ces sujets-là.

2 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Continuez.

3 Monsieur Kay.

4 M. KAY : [interprétation]

5 Q. Et --

6 R. Pour ce qui est de M. Kadijevic, je n'ai pu discuter avec lui que

7 lorsqu'il s'était trouvé là de façon fortuite et lorsqu'il venait informer

8 le président de quelque chose ou lorsqu'il y avait eu des réunions sur un

9 plan plus vaste, mais, sinon, je n'ai pas eu de contacts particuliers avec

10 M. Kadijevic. Il a toutefois fait partie de la délégation et, en 1991, nous

11 avons voyagé ensemble vers La Haye et par la suite.

12 Q. Bien. Vous venez de nous donner le contexte. Ce qui nous intéresse,

13 c'est de savoir quelle avait été l'attitude du président Milosevic au

14 moment du début du conflit en Slovénie. Comment a-t-il exprimé ses points

15 de vue ?

16 R. M. Milosevic a continué à réclamer des contacts et il indiquait qu'il

17 fallait à tout prix poursuivre les négociations avec les Slovènes; en

18 effet, au moment où ils ont proclamé leur sécession, la Cour suprême de la

19 Yougoslavie et le parlement fédéral ont supprimé ces déclarations en tant

20 qu'illicites.

21 Mais une fois que des opérations armées ont été lancées par la Slovénie

22 contre l'Armée populaire yougoslave, la position de M. Milosevic a été

23 celle de dire qu'il fallait négocier et qu'il fallait voir quelles seraient

24 les frontières parce que c'était la question en suspend, en souffrance.

25 Mais, à tout prix, il s'agissait d'empêcher toute effusion de sang. Cela

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1 avait été une position qu'il avait adoptée de façon très ferme. Jamais

2 l'option belliqueuse n'a été la sienne.

3 Permettez-moi aussi de vous dire autre chose : M. Milosevic s'est trouvé

4 entre le marteau et l'enclume. En Croatie, après ces cruautés qui ont été

5 commises, de grandes atrocités ont été perpétrées contre l'armée. Il y a

6 bon nombre d'officiers qui se sont suicidés parce qu'ils ont été exposés à

7 des tortures véritables. Ce sont là des faits et il y a une documentation à

8 ce sujet.

9 Lorsque des ordres ont été donnés pour ce qui est, entre autre chose. Vous

10 êtes en train de mettre la nécessité de parler du rôle de M. Milosevic.

11 Parce qu'à l'époque, à la tête de l'Etat, il y avait M. Mesic, le premier

12 ministre était M. Markovic, un autre Croate, donc les autorités fédérales

13 étaient entre les mains des Croates à part entière. M. Milosevic était à la

14 tête de la Serbie. Il avait une certaine influence parce que, quand ils se

15 rencontraient entre eux, quand ils avaient des réunions au sommet, il

16 pouvait présenter les positions qui étaient les siennes, à savoir, les

17 positions de la Serbie, mais il n'avait pas le rôle, le pouvoir de décider

18 de tout ceci. L'ordre de diriger, d'envoyer l'armée vers la Slovénie -- ou

19 plutôt il vaut mieux dire des renforts à l'armée en Slovénie, cet ordre lui

20 a été donné par M. Markovic en sa qualité de premier ministre. Mais ce qui

21 a constitué une tragédie, c'est le fait de préciser qu'on avait envoyé de

22 jeunes recrues, des recrues qui n'ont pas été suffisamment formées et elles

23 ont été envoyées sans armes, elles ont été exposés à une destruction

24 impitoyable en Slovénie.

25 Je tiens à dire que j'ai beaucoup d'exemples à donner, mais je ne vais pas

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1 vous en donner de trop.

2 Q. Maintenant, je souhaite vous poser des questions concernant les soldats

3 de la JNA dont vous avez parlé tout à l'heure car, au cours de vos

4 discussions avec la Croatie, est-ce que la position et l'avenir de la JNA

5 ont fait l'objet des discussions ? Quelle a été la position exprimée à vous

6 et aux autres membres de votre comité par M. Milosevic concernant la JNA,

7 l'Armée populaire yougoslave ? Quelle a été sa position, sa politique telle

8 qu'il l'a exprimée ?

9 R. Vous savez, la position de M. Milosevic concernant la JNA ne différait

10 point de la position de chacun des Serbes, à savoir, l'armée bénéficiait

11 d'une grande autorité. Il s'agissait d'une tradition serbe qui remontait au

12 temps des Turcs, l'armée bénéficiait d'une grande autorité et d'un grand

13 respect auprès du peuple, et ceci était reflété par la position de M.

14 Milosevic envers l'armée, mais il ne commandait pas l'armée. Simplement, il

15 avait cette position de respect vis-à-vis de l'armée. Encore aujourd'hui,

16 en Serbie, vous allez constater qu'il existe une telle opinion auprès des

17 hommes de la rue. L'armée était considérée comme quelque chose presque

18 sacrée à cause de son rôle pendant les Première et Deuxième guerres

19 mondiales. Voici à quoi ressemblaient la situation et la guerre des

20 Balkans.

21 Q. Lors des discussions avec la délégation croate, vous nous avez dit que

22 des discussions portaient également sur l'avenir et les frontières

23 territoriales éventuelles. Quelle a été la position de la JNA dans le cadre

24 des discussions entre votre délégation et la leur ? Quel devait être

25 l'avenir de la JNA puisqu'il s'agissait là de la quatrième armée la plus

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1 importante de l'Europe ?

2 R. Oui, vous avez tout à fait raison, mais nous n'avons pas vraiment eu

3 des discussions au sujet de cela, je vais vous expliquer pourquoi, il faut

4 revenir à notre système social. L'armée était d'une certaine manière

5 décentralisée, car chaque unité fédérale avait sa propre zone de

6 commandement. Mis à part cela, sur la base de l'idéologie de l'autogestion

7 de l'époque, le concept de la Défense territoriale a été mise en place qui

8 se fondait sur le slogan : nous sommes tous des soldats, nous devons tous

9 défendre notre parti. C'est ce que l'on croyait. Jusqu'aux organes locaux,

10 c'est là que le pouvoir et l'autorité étaient détenus. Vous aviez des

11 Unités territoriales qui pouvaient, à tout moment, être placées sous le

12 commandement du commandement suprême de l'armée, si besoin en était. Nous

13 n'avons pas du tout discuté de l'armée.

14 Q. En fait, dans ce prétoire, nous avons eu l'occasion d'entendre parlé de

15 ce que vous venez de mentionner au cours des 300 jours du procès. Ma

16 question portait sur la politique particulière qui aurait éventuellement

17 été proposée par le président Milosevic par rapport à ce qui risquait

18 d'arriver à la JNA.

19 R. Non, non.

20 Q. Ensuite, le 25 juin 1991, la Croatie et la Slovanie ont proclamé leur

21 indépendance et la crise anticipée s'est traduite en réalité. Est-ce que

22 vous étiez en contact avec le président Milosevic, à ce moment-là, et, si

23 oui, est-ce que vous pourriez nous dire quelle était son attitude ou sa

24 politique par rapport à cela tout au début ? Je ne parle pas de ce qui

25 s'est passé par la suite, mais, à ce moment, dès le début sur la base des

Page 32422

1 discussions avec lui, est-ce que vous saviez quelles étaient ses

2 intentions ?

3 R. Je vous ai déjà fait comprendre que je pouvais parler de mes

4 impressions et de mes discussions avec lui. M. Milosevic a été soumis à

5 deux pressions. Les premiers réfugiés arrivaient en masse à Belgrade dès le

6 mois de juillet, et les premiers actes terroristes individuels s'étaient

7 produits dès l'année 1990. Mais, après la proclamation de la sécession, le

8 terrorisme est devenu un terrorisme de groupe. Les raisons de cela étaient

9 multiples : les organisations d'émigrés se sont déplacées en Croatie, il

10 s'agissait des organisations militaires entraînées sur le territoire, par

11 exemple, de l'Allemagne, de l'Australie, et d'autres pays et, vous savez, à

12 l'époque, la Yougoslavie a protesté à de nombreuses reprises à ces

13 entraînements des organisations terroristes sur le sol, par exemple, de

14 l'Allemagne, des Etats-Unis, du Canada et de l'Australie.

15 Par exemple, l'Allemagne, à un moment donné, a vraiment interdit et aboli

16 ces corps d'entraînement de terroristes qui existaient à l'époque. A ce

17 moment-là, lorsqu'ils sont arrivés dans le pays --

18 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur Avramov, je vais vous

19 interrompre. La question était très simple et elle portait sur l'attitude

20 et l'intention, les intentions de M. Milosevic suite à la déclaration de

21 l'indépendance de la Croatie et de la Slovénie. Je suis sûr qu'il existe

22 une réponse simple à cette question. S'il est nécessaire d'avoir des

23 explications, je suis sûr que Me Kay va vous poser la question, mais il va

24 être vraiment utile si vous répondez à la question avant d'ajouter tout

25 concernant l'historique des choses, sinon les choses deviennent tout à fait

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1 absurdes.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que ce n'est pas du tout absurde,

3 Monsieur le Juge, car, si je vous donne une réponse par oui ou par non,

4 vous ne pourrez pas comprendre la situation. Dans le pays, tout était tout

5 à fait anarchique, compte tenu des actes terroristes. Vous ne pouvez pas

6 comprendre l'attitude de

7 M. Milosevic. En une phrase, son attitude était : nous devons négocier.

8 Nous devons trouver une issue à la situation actuelle.

9 M. Milosevic, à ce moment-là, s'est adressé à l'élite intellectuelle de la

10 Serbie, en faisant appel à eux en disant : une crise s'est emparée du pays,

11 comment faut-il trouver une issue ? Nous avons eu toute une série de

12 rencontres à l'époque afin d'essayer de trouver des solutions alternatives.

13 Nous avons même des documents que j'ai dactylographiée, moi-même, sur la

14 base des conclusions que nous avons pu tirer lors des réunions auxquelles a

15 assisté M. Milosevic, lui-même, avec des membres de l'académie des arts

16 serbes, avec les universitaires, et cetera. Parmi les personnes qui

17 négociaient avec M. Milosevic, à l'époque, tout le monde essayait de

18 trouver une solution, mais lui aussi.

19 Il est erroné de considérer que, lui, il était une seule personne qui

20 prenait toute les décisions, lorsque l'on parle de

21 M. Milosevic. Non, bien au contraire. Vous pouvez poser la question non pas

22 seulement à moi-même, mais à des centaines de personnes. Concernant mon

23 opinion personnelle, vous savez, je n'ai jamais eu de fonctions politiques

24 lors de ma carrière et d'ailleurs c'est ce que j'avais dit à M. Milosevic.

25 Est-ce que je peux accepter la responsabilité --

Page 32424

1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

2 Maître Kay, vous pouvez poser la question suivante.

3 M. KAY : [interprétation]

4 Q. Nous allons parler maintenant de cette situation dans l'ex-Yougoslavie

5 où le peuple serbe commençait à partir de la République de Croatie en tant

6 que réfugié, partir vers la Serbie et il existe des actes terroristes qui

7 se produisent, comme vous l'avez dit.

8 Est-ce que, par la suite, vous avez participé aux négociations avec des

9 parties différentes représentant les territoires de l'ex-Yougoslavie entre

10 1991 et 1993 ?

11 R. Non. Si vous parlez des négociations telles qu'elles avaient eu lieu

12 auparavant entre l'intelligentsia serbe et croate, non. Car après la

13 sécession, les contacts ont cessé de manière radicale. Par conséquent, il y

14 a eu un afflux de réfugiés de toute sorte venant vers la Serbie et même si

15 de nombreux Croates sont restés à Belgrade -- par exemple, vous avez 150

16 000 Croates qui vivent à Belgrade et qui y travaillent encore aujourd'hui -

17 - mais certains officiels, certains fonctionnaires ont quitté Belgrade, les

18 personnes qui souhaitaient le faire. Vous aviez cette pression terrible car

19 il y avait vraiment des masses de réfugiés qui affluaient, donc un

20 véritable problème s'est créé et il fallait résoudre le problème des

21 réfugiés. M. Milosevic a été très impliqué dans des discussions visant à

22 trouver une solution à ce problème.

23 Ensuite, vous me posez une question concernant d'autres contacts. La

24 réponse est oui. Jusqu'à la création du groupe qui devait mener des

25 négociations ici à La Haye, c'est-à-dire, dans cette ville, cela s'est fait

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1 au mois de septembre 1991 et cela a duré jusqu'en décembre et, ensuite, le

2 1er janvier 1992, nous nous sommes déplacés à Bruxelles. Ensuite, il y a eu

3 Londres, mais vous savez quel a été le cours que les négociations ont pris

4 par la suite.

5 Jusqu'à la formation de cette commission, effectivement, nous avions des

6 contacts et, pour ma part, à l'époque -- vous m'avez interrompu lorsque

7 j'allais vous parlez de cela -- mais, si vous voulez, ma position était

8 celle de nombreux intellectuels qu'il s'agisse des membres d'un quelconque

9 parti politique ou pas. A l'époque d'une crise, personne ne peut rester

10 neutre.

11 Q. A La Haye, le 7 septembre 1991, lors du début de la conférence de paix

12 dans cette ville, vous étiez membre de la délégation, n'est-ce pas ?

13 R. Ce premier jour de la Conférence de La Haye, je n'y étais pas pour des

14 raisons personnelles, mais, par la suite, j'ai assisté à toutes les

15 réunions de manière régulière, mais non pas à celle du 7 septembre.

16 Q. Lorsque vous y avez pris part, je suppose que ceci a été à cause du

17 fait que M. le Président Milosevic vous a proposé de le faire, vous a nommé

18 en tant que membre de cette commission, ou peut-être quelqu'un au sein du

19 ministère des Affaire étrangères, n'est-ce pas ?

20 R. Non. M. Milosevic va me corriger, si je me trompe, mais il s'agissait

21 d'une proposition de M. Milosevic selon laquelle il fallait créer une

22 équipe de négociateurs, et ceci était confirmé par l'assemblée nationale,

23 par le parlement.

24 Q. Quelles étaient les instructions concernant ce que vous deviez demander

25 lors de la Conférence de paix à La Haye ?

Page 32426

1 R. Encore une fois, je vais remonter en arrière, mais afin de comprendre

2 ce qui s'est passé à la fait, il faut remonter à la déclaration de Brioni

3 d'abord.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Brièvement, s'il vous plaît, Madame

5 le Professeur.

6 LE TÉMOIN : [interprétation] D'accord, très brièvement. Mais pour

7 comprendre La Haye, il faut connaître Brioni. En ce qui concerne la

8 déclaration de Brioni, il faut savoir tout d'abord que le ministre des

9 Affaires étrangères, M. Loncar, à l'époque, a invité, sans avoir consulté

10 au préalable le parlement et le gouvernement, les représentants de l'Union

11 européenne. Ils ne sont pas venus à Belgrade, ils sont venus à Brioni --

12 aux îles de Brioni. Ils ont été invités à Brioni. Les représentants de

13 toutes les républiques y ont été invités également, à l'exception de la

14 Serbie. La Serbie n'a pas assisté à la réunion de Brioni, mais il y avait

15 les représentants de la fédération.

16 Mis à part les représentants de la fédération, il y avait dans le cadre de

17 ces représentants de la fédération M. Jovic, qui était le membre de la

18 présidence de l'Etat de Yougoslavie. Il représentait la RSFY. Lorsqu'il

19 rentrait à Belgrade et, d'ailleurs, ceci a été relaté par la presse

20 étrangère, il a relaté le fait que la presse croate et slovène écrivait sur

21 un accord trouvé avec l'Union européenne, et que l'Union européenne devait

22 jouer le rôle du médiateur. La Serbie n'était absolument pas du tout au

23 courant de cela, et s'est trouvée devant un fait accompli car, tout

24 d'abord, un tel acte n'avait jamais été ratifié par le parlement de ce

25 pays. S'il y avait eu une procédure parlementaire, la Serbie aurait pu

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1 réfuter cela. M. Jovic a d'ailleurs fait une déclaration à la presse où il

2 a dit - d'ailleurs, vous pouvez trouver cela dans son livre - il a dit

3 qu'aucune déclaration n'a été adoptée, qu'il s'agissait tout simplement des

4 discussions. C'est ce qu'il a dit. Ceci n'a pas du tout été ratifié. Ce

5 projet a été conçu en tant que solution définitive par la suite.

6 M. Milosevic a joué un rôle clé à l'époque. Je me souviens très bien. Il a

7 dit : "Oui, c'est contraire à la constitution, mais nous allons coopérer.

8 Nous devons faire confiance à l'Union européenne, à la Communauté

9 européenne, parce qu'à l'époque c'était la Communauté européenne. J'avais

10 accepté cela, même s'il s'agit là d'un acte illégal. Nous allons accepter

11 les négociations car nous ne pouvons pas progresser sans négocier."

12 Maintenant, je vais faire part de certaines critiques. J'ai

13 dit : "Vous êtes trop optimistes. Vous avez trop de confiance en là

14 diplomatie occidentale." C'est ce que j'ai dit, mais il ne s'agissait pas

15 là des paroles de M. Milosevic. J'ai dit : "Comment peut-on progresser sans

16 quelques documents que se soit ?" Il a dit : "Nous avons ce document-là.

17 Nous allons analyser la déclaration de Brioni, qui permet à la Communauté

18 européenne de trouver une solution paisible à la crise yougoslave, en ce

19 qui concerne également l'intégrité territoriale de la Yougoslavie."

20 La RSFY lui a donné ce mandat et, sur la base de cela, il a été possible

21 d'entamer les négociations. Nous nous sommes préparés pour les

22 négociations, et je pense que les discours tenus par

23 M. Milosevic -- je ne vais entrer dans tous ces détails --

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Dites-nous quelles ont été les

25 instructions qui vous ont été données en ce qui concerne les discussions à

Page 32428

1 venir à La Haye. C'était cela, la question de Me Kay.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Nous avions établi une plate-forme qui a été

3 adoptée de manière unanime par l'assemblée de la Serbie. Je vous rappelle

4 qu'à l'époque, c'était une assemblée multipartite car le système

5 multipartite avait déjà été instauré dans la vie politique, et je pense que

6 sept ou huit partis politiques étaient représentés dans l'assemblée.

7 Voici la plate-forme : nous allons commencer les négociations. La question

8 des frontières reste ouverte. Si la Croatie et la Slovénie insistent sur la

9 sécession, peut-être la Serbie serait prête à accepter cela, mais il faut y

10 accéder de manière paisible, en décidant tout d'abord sur la question de

11 frontières, en trouvant des solutions aux problèmes économiques, aux

12 problèmes de nationalité double, car la population était mixte et car il ne

13 s'agissait pas d'Etat ethniquement pur.

14 C'était cela l'essentiel du discours de M. Milosevic à l'époque. C'est ce

15 qu'il nous a dit avant nos premières réunions ici à La Haye.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay.

17 M. KAY : [interprétation]

18 Q. Est-ce qu'il a été dit que des territoires allaient être conquis par le

19 biais des opérations militaires, en ayant recours à la force --

20 R. Non.

21 Q. Vous avez parlé du problème lié au fait qu'une grande population serbe

22 vivait en Croatie, et la composition ethnique des autres républiques était

23 mixte également. Nous avons d'ailleurs les chiffres concernant la

24 composition ethnique dans des territoires différents de l'ex-Yougoslavie.

25 Est-ce que M. Milosevic vous a parlé de la manière dont il considérait que

Page 32429

1 ces Serbes qui vivaient en dehors des territoires de la République de

2 Serbie devaient être protégés, et de quelle manière leurs droits devaient

3 être respectés ?

4 R. Nous avons entendu beaucoup de spéculation concernant les déclarations

5 faites, je crois, par M. Milosevic à deux reprises, concernant le fait que

6 les Serbes devaient vivre dans un seul Etat. Vous savez c'est une

7 déclaration tirée de son contexte. Il est vrai que M. Milosevic a dit cela,

8 mais vous savez dans notre constitution il est question également de la

9 possibilité des peuples de disposer d'eux-mêmes, selon certaines modalités.

10 Mais l'autodétermination n'est pas un principe territorial, mais un

11 principe subjectif lié aux aspirations des peuples. Il n'était pas possible

12 d'avoir l'autodétermination des unités fédérales. Il n'y aurait pas de

13 logique là-dedans. Je vais vous rappeler des résolutions de l'assemblée

14 générale, qui constate de manière clairement que l'autodétermination et la

15 sécession sont deux actes juridiques tout à fait différents. D'ailleurs,

16 ceci a été confirmé par les cours de droit international, qui ont constaté

17 que la sécession de -- ne devait pas nécessairement être liée à

18 l'autodétermination en tant que principe juridique. Par exemple, la Cour

19 internationale de Justice a confirmé cela s'agissant du Sahara. C'était

20 notre opinion. Il ne s'agissait pas là d'un principe territorial, mais un

21 principe subjectif des peuples. Les Serbes, en tant qu'un peuple

22 constitutif, avaient le droit de disposer d'eux-mêmes.

23 Quelle était la logique qui devait être appliquée concernant l'entité

24 serbe ? Il n'était pas possible de trouver une telle logique car il n'y

25 avait pas de fondement, ni dans la loi, et il n'y avait pas de précédent

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1 non plus. C'est dans ce sens-là que M. Milosevic a fait ces déclarations;

2 non pas seulement M. Milosevic, mais la présidence de l'Etat yougoslave a

3 exprimé également cela et a dit aux Serbes qu'ils allaient être protégés.

4 Le président de la présidence yougoslave lui-même a dit cela à l'époque.

5 C'était M. Kostic - je me souviens et, d'ailleurs, je l'ai cité dans mon

6 livre - il a dit la chose suivante car vous savez que M. Milosevic a

7 accepté l'arrivée des forces internationales. Les Serbes de Croatie n'ont

8 pas accepté cela pour une simple raison, c'est qu'ils disaient : nous

9 n'avons pas besoin de troupes étrangères. Tout à l'heure, vous avez dit que

10 notre armée était l'une des armées les plus puissantes. Pourquoi ne pas

11 déployer notre propre armée afin de protéger notre population et faire

12 régner l'ordre dans le pays ? Nous n'avions pas besoin de forces

13 internationales.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci.

15 M. KAY : [interprétation]

16 Q. Nous allons parler d'autres questions et nous allons essayer de

17 respecter la chronologie. Vous avez mentionné La Haye en septembre --

18 R. Excusez-moi, mais ceci n'était pas clairement indiqué. Encore, je

19 souhaite vous parler des fondements sur lesquels M. Milosevic souhaitait

20 assurer la protection des Serbes.

21 J'ai un document ici. J'espère que le document a été traduit. C'est un

22 document qui porte sur la manière dont il était possible de résoudre la

23 question des Serbes en Croatie.

24 Ici, nous avons plusieurs variantes sur la base des consultations tenues

25 entre des intellectuels, des professionnels de tous types, et l'option de

Page 32431

1 guerre a été exclue. Sans être trop modeste, je peux dire que je peux être

2 considérée comme l'auteur de ce document. J'ai écrit la plus grande partie

3 de ce document, qui se fonde sur les discussions tenues dans les locaux de

4 M. Milosevic, dans son cabinet. Je peux vous dire qui a assisté à cela. Il

5 y avait des universitaires, des professeurs, et cetera.

6 M. LE JUGE ORIE : [aucune interprétation]

7 M. KAY : [interprétation]

8 Q. Est-ce que nous pouvons recevoir un exemplaire ?

9 R. Oui.

10 Q. Merci.

11 R. Voilà.

12 Q. Merci.

13 R. Cela est l'original que j'ai dactylographié moi-même, et je n'avais

14 même pas d'ordinateur, donc je l'ai simplement dactylographié sur une

15 machine à écrire.

16 Q. Nous pouvons peut-être retenir cela et, ensuite, pendant la pause,

17 peut-être nous pourrions --

18 R. Oui.

19 Q. -- nous pourrions peut-être photocopier cela pendant la pause.

20 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Pour le compte rendu d'audience, le

21 Président a posé la question de savoir quel était l'auteur. Ceci doit

22 figurer à la ligne 38.

23 M. KAY : [interprétation] Merci. Peut-être le moment est opportun pour

24 faire une pause, car après, je vais parler de la déclaration

25 d'indépendance.

Page 32432

1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Maître Kay, à mon avis, le

2 professeur devrait répondre de manière plus pertinente. Il serait plus

3 utile ainsi. A mon avis, il faut poser des questions plus directes.

4 Madame le Professeur, j'apprécie le fait que vous essayez de placer les

5 choses dans leur contexte, mais je pense qu'afin de mieux comprendre -- de

6 nous permettre de mieux comprendre ce que vous dites, il faudrait que vous

7 essayiez de répondre aux questions de manière directe.

8 Au sein de ce Tribunal, il existe deux manières de déposer. Nous avons la

9 possibilité de déposer par le biais d'un récit, un continu, mais, dans la

10 tradition de la "common law", nous sommes plus habitués aux questions

11 posées directement et aux réponses directes aux questions. Veuillez essayer

12 de trouver un juste équilibre entre les deux systèmes.

13 M. KAY : [interprétation] Oui, Monsieur le Président.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons faire une pause

15 maintenant. Madame le Professeur, nous aurons une pause de 20 minutes et,

16 pendant cette pause, vous ne devez parler avec qui que ce soit du contenu

17 de votre déposition.

18 --- L'audience est suspendue à 10 heures 30.

19 --- L'audience est reprise à 10 heures 53.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Maître Kay.

21 M. KAY : [interprétation] Merci, Monsieur le Président.

22 Q. Pendant la suspension d'audience, l'on a communiqué des exemplaires de

23 ce document, Madame le Professeur Avramov, le document que vous nous aviez

24 montré.

25 M. KAY : [interprétation] L'Accusation a des exemplaires entre ses mains,

Page 32433

1 Monsieur le Président, ainsi que M. Milosevic.

2 Je demanderais que l'on remette au témoin le document, ainsi qu'au Greffe.

3 M. NICE : [interprétation] Pour ce qui est de cette pièce à conviction, et

4 cela concerne également le petit jeu de pièces à conviction qui avait été

5 communiqué, il y a quelques jours, au sujet de la déposition de ce témoin,

6 le problème que cela pose c'est qu'aucun des documents en B/C/S n'avait été

7 traduit et je n'ai même pas pu m'occuper de ces documents, en prendre

8 connaissance en détail.

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Il semblerait qu'il s'agit d'un

10 document très court.

11 M. NICE : [interprétation] Oui, assez court.

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Quelles sont vos intentions avec ce

13 document ?

14 M. KAY : [interprétation] J'allais demander au témoin de l'identifier, de

15 nous dire brièvement quelle est sa teneur et de quelle manière ce document

16 est pertinent. Je ne lui demanderai pas d'en donner lecture.

17 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Veuillez

18 poursuivre.

19 M. KAY : [interprétation]

20 Q. Madame le Professeur Avramov, vous nous avez dit que vous avez

21 dactylographié, vous-même, ce document en 1991; est-ce exact ?

22 R. Oui.

23 Q. Etait-ce en juin 1991 ?

24 R. Il me semble que c'était soit en juin, soit en juillet. Je n'arrive pas

25 à me rappeler exactement. Je l'ai peut-être couché quelque part sur papier.

Page 32434

1 Non, je n'ai pas inscrit la date.

2 Permettez-moi de souligner encore une fois qu'il s'agit là du fruit de nos

3 entretiens --

4 Q. Ah bon --

5 R. -- de nos entretiens avec des représentants des Serbes, que ce soit de

6 Croatie et avec ce cercle d'intellectuels autour de M. Milosevic afin de

7 l'aider, à ce moment-là. A ce moment-là, moi --

8 Q. S'agit-il ici d'un résumé des négociations entre votre comité et le

9 comité qui représentait la Croatie pendant cette période allant du mois de

10 mars jusqu'à l'été 1991 ?

11 R. Oui. Il y a eu participation là des représentants de Croatie et c'est

12 de là qu'on y trouve le contexte qu'on y trouve. Enfin permettez-moi de

13 répéter encore une fois.

14 Variante 1 : les Croates quittent entièrement la Yougoslavie avec une

15 partie du territoire de la Croatie. Les régions serbes de Croatie restent

16 en Yougoslavie en se fondant sur le droit des peuples à

17 l'autodétermination. Dans leur ensemble, les questions qui concernent la

18 sortie des Croates de Yougoslavie, elles seront réglées de manière

19 concertée entre la Croatie et les organes yougoslaves.

20 Variante 2 : pendant une période transitoire, il y aura la sortie des

21 Croates de Yougoslavie, la Croatie préservera quelque forme, quelque

22 relation avec la Yougoslavie pendant ce temps-là et ces aspects seront

23 déterminés par des accords entre des représentants de Croatie et les

24 organes yougoslaves.

25 Une autre partie significative des territoires serbes, pour ce qui est de

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1 leurs statuts pendant la période transitoire, il sera précisé par un acte

2 constitutionnel sur concertation entre les organes croates et yougoslaves.

3 La communauté internationale garantira l'application du document en

4 question.

5 Sur le territoire des territoires autonomes serbes, il ne peut y avoir

6 existence d'aucune forme de forces armées, que ce soit de la République de

7 Croatie ou de la Yougoslavie. Or, le territoire ne peut avoir que ses

8 forces policières nécessaires à assurer la protection des citoyens.

9 Dans la partie où la République de Croatie préserve ses relations avec la

10 Yougoslavie, leur teneur sera précisée par un document adéquat, y afférant

11 probablement uniquement dans le domaine économique afin de procéder à la

12 répartition des compétences. Là où il y aura application des différentes

13 dispositions qui auront été convenues entre la Croatie et la Yougoslavie,

14 ce sont les organes yougoslaves qui seront compétents, et cetera. Les

15 organes yougoslaves seront compétents conformément aux accords portant sur

16 leur relation mutuelle.

17 Des représentants des territoires autonomes sont présents, représentés dans

18 les organes de Croatie d'une certaine sorte ainsi qu'au sein des organes

19 yougoslaves conformément aux modalités dont sont régies leurs relations.

20 C'est une commission composée de représentants du territoire indépendant de

21 représentants yougoslaves et de représentants de Croatie qui régleront

22 toute question controversée.

23 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Maître Kay, veuillez poursuivre.

24 M. KAY : [interprétation] Monsieur le Président, il m'est parfois difficile

25 de couper le témoin parce que l'interprétation se poursuit et je ne

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1 souhaite pas qu'il y est chevauchement entre mon intervention et

2 l'interprétation. Cela nous rend difficile la gestion de la déposition,

3 compte tenu de la situation, et j'espère que la Chambre le comprend.

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

5 M. KAY : [interprétation] Je fais de mon mieux, compte tenu de la

6 situation.

7 Q. Ce document, c'est quelque chose que vous avez rédigé à un moment où

8 vous envisagiez l'avenir. Si la Croatie allait opérer une sécession, la

9 position était que, ce qui resterait, serait toujours une Yougoslavie mais

10 sans la Croatie; est-ce exact ?

11 R. Oui, c'est exact. C'était le problème principal lors de nos

12 négociations, le 18 octobre 1991, ici à La Haye. Si vous me le permettez,

13 c'est précisément là que nous sommes arrêtés. La déclaration de Brioni, qui

14 donne ce mandat aux représentants de la Communauté européenne d'exercer une

15 médiation afin de préserver l'intégrité territoriale de la Yougoslavie;

16 cependant, le 18 octobre, soudainement, sans qu'il y ait eu d'annonces, en

17 fait, nous n'avons été informés qu'au dernier moment. Nous avons reçu le

18 document de Carrington, ce qu'on a appelé ainsi, qui nous présente

19 l'effondrement de la Yougoslavie et ce, sous forme d'un ultimatum. Il n'y a

20 pas d'alternatives présentées, donc pas de négociations, ce à quoi nous

21 nous sommes attendus, suite à la déclaration de Brioni, pas de

22 négociations, il n'y a qu'un ultimatum. Accepter ou refuser, il n'y a pas

23 d'autres possibilités, pas d'autres options. Ce qui a provoqué la

24 stupéfaction générale c'est qu'ils étaient en train d'adopter des principes

25 révolutionnaires, à savoir, des Etats dont la composition était celle qui

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1 avait été précisée par l'Avnoj, c'était cette frontière-là.

2 Permettez-moi de vous préciser que les frontières de la Yougoslavie même

3 après la Seconde guerre mondiale, les contrats pluripartites, qui avaient

4 été signés par la Yougoslavie ou plutôt par la Serbie, qui était sortie

5 victorieuse de la Première guerre mondiale et qui était la seule habilité à

6 négocier, elle a été sujet au droit international, et ces accords étaient

7 en vigueur après la Deuxième guerre mondiale. En fait, ils étaient remis en

8 vigueur.

9 Q. Permettez-moi de vous interrompre. Je vous présente mes excuses. Avec

10 ce plan Carrington, ce qui s'est passé c'est que sa teneur ne correspondait

11 pas à ce que votre délégation envisageait en tant que l'avenir pour la

12 Yougoslavie; est-ce exact ?

13 R. Non. A ce moment-là, après être arrivé à la conclusion que la Croatie

14 et la Slovénie étaient catégoriquement décidées à sortir de la Yougoslavie

15 et c'était d'ailleurs l'idée du président Milosevic, il l'a exposé, un

16 grand débat s'est ensuivi à Belgrade lorsqu'il a présenté son idée.

17 D'accord, nous ne nous y opposerons pas. Nous ne souhaitons pas qu'il y ait

18 une guerre sur ce territoire. Nous n'autorisons pas qu'il y ait une guerre

19 mais la Slovénie, la Croatie vont sortir. Or, les peuples qui souhaitent se

20 maintenir au sein de la Yougoslavie, ils resteront au sein de cette

21 Yougoslavie future d'une taille réduite.

22 Telle a été la substance du président Milosevic. Le droit à la sécession ne

23 peut primer sur le droit de maintenir un Etat. Or, le document de

24 Carrington, et là c'est moi qui m'exprime, ce n'est pas

25 le président Milosevic. Je vais vous présenter mes réactions dès que j'ai

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1 pris connaissance du document, que ce document n'était qu'une pure

2 tromperie car il s'écarte de la déclaration de Brioni. Le mandat lui a été

3 confié de la part de la Yougoslavie et non pas de la part des républiques.

4 Par conséquent, c'est ce que, le 18 octobre, le président Milosevic a

5 souligné dans son discours. Il a dit : "Nous ne sommes pas hostiles à leur

6 sortie, mais le dernier mot doit revenir au peuple lui-même." Un médiateur,

7 qui ne bénéficie que d'un mandat limité, ne peut pas aller au-delà de son

8 mandat et aller vers ce qu'ils ont appelé à l'époque, "dissolution of

9 Yougoslavia".

10 Ce n'était pas cela, "dissolution of Yougoslavia", c'était un ultimatum.

11 Par la suite, quelles ont été les conséquences de cet ultimatum ? C'est ce

12 qu'on a pu constater par la suite, voire même, Lord Carrington a pu le

13 constater. Il y a eu un bain de sang et il y a eu une aggravation de la

14 situation par la suite.

15 Q. A cette période-là, en 1991, le président Milosevic concevait-il, dans

16 le cadre de sa politique, d'expulser l'un quelconque de ces différents

17 groupes ethniques des territoires de la Yougoslavie tel qu'il envisageait

18 ce territoire ? Est-ce qu'il a été question de l'expulsion des peuples,

19 pour autant que vous puissiez le savoir vous-même, dans le cadre de sa

20 politique ?

21 R. Jamais. Messieurs, non seulement ce sont des réfugiés serbes qui

22 arrivaient, mais voulez-vous que je vous cite des écrivains croates

23 célèbres qui ont trouvé abri en Serbie en 1991 ? Il s'agit des milliers

24 d'albanais qui se sont enfuis du Kosovo sous la terreur et qui se sont

25 rendus en Serbie. Des Croates, mis à part des employés fédéraux qui, de

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1 leur plein gré, à bord de camions, avec leurs affaires, ils sont partis.

2 Nous, on voyait le retour à Belgrade des familles -- excusez-moi,

3 d'officiers qui avaient été expulsées de leurs logements, et ils n'ont même

4 pas eu la possibilité de prendre leurs affaires personnelles. C'est cela

5 qui a suscité une révolte en Serbie. Car ce qu'on a pu voir à la

6 télévision, c'est la chose suivante : lorsque les recrues slovènes

7 quittaient la Serbie, on leur a donné des provisions pour le voyage --

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame le Professeur, vous avez

9 répondu à la question.

10 M. KAY : [interprétation]

11 Q. Vous nous avez dit que, le 18 octobre, le président Milosevic et ce,

12 suite à la déclaration de l'indépendance de la Croatie du 8 octobre, qu'il

13 a reconnu ceci, leurs départs. Est-ce que sa position bénéficiait d'un

14 soutien politique au sein de la Yougoslavie ou est-ce qu'il y avait

15 d'autres positions, pour ce qui est de ce qui était en train de se produire

16 entre la Slovénie et la Croatie ?

17 R. Il y en avaient, elles étaient nombreuses. Il faut bien savoir que nous

18 avions des dizaines de milliers de mariages mixtes, et c'était un problème.

19 Il y avait des gens qui, de manière authentique, prônaient "la

20 Yougoslavité" et il y en a encore aujourd'hui de tels. Ils écrivent encore

21 des textes là-dessus. Je ne peux pas ne pas mentionner les yougo-

22 nostalgiques.

23 Permettez-moi de vous citer un point : le 18 octobre, lorsque je revenais

24 de La Haye, à bord de l'avion, où j'étais, il y avait des représentants de

25 l'armée, des généraux, il y avait M. Milosevic, M. Bulatovic, et nous tous

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1 qui y avions participé. A ce moment-là, nous avons constaté que le document

2 de Carrington était la ligne de partage des eaux; c'était un tournant dans

3 les négociations, notre refus d'accepter ce document Carrington, car nous

4 l'avions refusé avec détermination. Le président Milosevic avait dit une

5 telle décision ne saurait être prise que par le peuple. Cela ne peut pas

6 être pris par un médiateur, que l'on se fonde sur le droit interne ou le

7 droit international. A ce moment-là, dans l'avion, on s'est parlé et on est

8 arrivé à la conclusion suivante, il me semble d'ailleurs que c'était sur

9 l'initiative du président Milosevic. On s'est mis d'accord de convoquer une

10 session extraordinaire de l'assemblée où on allait présenter le document de

11 Carrington --

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Le microphone du témoin est coupé.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] -- et que l'on demande une confirmation de la

14 part de l'assemblée, que l'assemblée se prononce. Est-elle favorable à la

15 position prise par M. Milosevic ou s'y oppose-t-elle ?

16 Cette nuit-là, il y a eu une session extraordinaire de l'assemblée, et

17 c'est à l'unanimité que l'on a accepté la position prise par le président

18 Milosevic. C'est l'assemblée qui l'a acceptée, le parlement. Les partis de

19 l'opposition l'ont acceptée, voire le parti d'opposition le plus fort, et à

20 sa tête est celui qui aujourd'hui est le ministre des Affaires étrangères

21 de la Yougoslavie. Il a dit, à l'époque, au président : "Monsieur le

22 Président, si vous aviez agi autrement, aujourd'hui je vous aurais qualifié

23 de traître."

24 M. KAY : [interprétation]

25 Q. Il ressort de vos propos que M. Milosevic devait prendre en

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1 considération d'autres questions, au sein de la Serbie, ainsi que dans les

2 autres républiques. Il fallait qu'il envisage ce qui était dans leurs

3 meilleurs intérêts, dans ce qui restait de la Yougoslavie après le départ,

4 la sécession de ces deux républiques. Y a-t-il eu une politique, quelle

5 qu'elle soit, pour autant que vous le sachiez, dans le cadre de laquelle il

6 aurait souhaité avoir recours à la force, tout en poursuivant des

7 négociations, pendant que les négociations, portant sur le plan de paix, se

8 poursuivaient ? Est-ce qu'il y avait quelque chose de ce genre, un moyen

9 d'imposer des pressions sur l'Etat de Croatie qui venait de se déclarer ?

10 R. Non, Messieurs. J'ai un document --

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic --LE TÉMOIN :

12 [interprétation] J'ai des documents là-dessus --

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Un instant, s'il vous plaît.

14 Monsieur Milosevic, oui.

15 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, toutes ces questions qu'a

16 posées jusqu'à présent M. Kay ne correspondent absolument pas à mon concept

17 de ma Défense, et cela nuit même à mon concept de la Défense, et je

18 l'attribue au manque total de préparation de sa part. Je pense aussi qu'il

19 y a eu une intention qui est de diluer et de relativiser les moyens de la

20 Défense.

21 Comme vous m'avez coupé le micro, je n'ai pas pu terminer ma phrase

22 précédemment. Il n'est pas exact ce que viens de dire Me Kay, à savoir que

23 c'est par l'intermédiaire de je ne sais pas qui que je lui ai demandé de

24 présenter ici cette requête pour que je puisse procéder le premier à

25 l'interrogatoire. Je n'ai nullement l'intention d'exercer mon droit en

Page 32442

1 jouant le rôle d'un assistant de M. Kay. Je n'accepterai pas que l'on viole

2 mon droit à la Défense en m'accordant la charité, des miettes de ce droit à

3 la Défense qui est le mien. Donc, j'exige que vous me restituiez mon droit

4 à la Défense car tous ceux qui nous regardent sont pleinement conscients du

5 fait que ce qu'est en train de faire M. Kay n'a rien à voir avec ma

6 Défense, ne constitue pas celle-ci et ce, dans aucun des cas.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Puis-je --

8 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non.

9 Monsieur Milosevic, tout d'abord, permettez-moi de dire la chose suivante :

10 les questions qui ont été posées par M. Kay, de l'avis de la Chambre, sont

11 pertinentes aux questions qui nous intéressent en l'espèce. Elles

12 concernent l'état d'esprit et elles concernent les questions de

13 responsabilité pénale individuelle.

14 Un deuxième point que je tiens à faire est le suivant : conformément à

15 l'ordonnance qui a été rendue par la Chambre, il existe la possibilité que

16 l'on vous accorde le droit de poser des questions supplémentaires. C'est

17 quelque chose que la Chambre examinera au cas par car.

18 Maître Kay, je vous prie de poursuivre avec l'interrogatoire.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] A ce sujet, au sujet de la question qui vient

20 d'être posée par M. Milosevic, est-ce que je peux dire quelque chose ?

21 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Brièvement.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Très brièvement. Monsieur le Président, quant

23 à moi, j'ai accepté de venir ici en tant que témoin dans ce procès même si

24 j'étais partie -- j'avais quitté cette équipe de négociateurs parce que

25 j'ai eu quelques différends. Je considère que la déposition constitue une

Page 32443

1 catégorie éthique. Ce qui m'incite à déposer est, essentiellement, de

2 contribuer dans cette question qui est extrêmement complexe, à savoir la

3 dislocation de la Yougoslavie et le rôle joué par M. Milosevic là-dedans,

4 et bien, de contribuer --

5 Mais là, il ne s'agit pas uniquement des intérêts de M. Slobodan Milosevic,

6 mais il s'agit aussi des intérêts du pays et du peuple auquel j'appartiens.

7 Mais si vous me le permettez, c'est avant tout une question qui concerne le

8 droit, qui connaît l'une des plus graves des crises qu'il ait connue dans

9 son histoire.

10 Vous savez, j'ai commencé mes études en 1936, et c'est à Vienne que je les

11 ai entamées. C'étaient des années frappées par une crise très grave. Or,

12 celle que nous connaissons aujourd'hui est plus importante, donc cette

13 guerre-là. Je souhaitais que l'on réhabilite

14 -- en présentant la vérité, qu'on réhabilite l'ordre juridique, et c'était

15 cela mes raisons.

16 D'après vos instructions et d'après le règlement, le témoin doit se

17 préparer et il doit pouvoir entrer en contact avec le conseil de la

18 Défense. En l'espèce, c'était M. Milosevic. Avec votre autorisation, nous

19 avons abordé, de manière chronologique et méthodique, les différentes

20 étapes -- enfin, pendant que j'ai -- pour couvrir la période où j'ai fait

21 partie de l'équipe de négociation. Quant à M. Kay, je ne l'ai rencontré que

22 très brièvement hier, et je n'ai pas eu d'autre contact avec lui. J'avais

23 des contacts avec M. Milosevic. Si vous me le permettez, je tiens à prendre

24 la parole en ma qualité de juriste, et j'ai une riche expérience que je

25 fonde sur une carrière de 60 ans dans le droit, auquel j'ai consacré toutes

Page 32444

1 mes années d'activité.

2 Nous sommes là dans la catégorie du ius cogens lorsque nous évoquons la

3 catégorie du droit de la Défense --

4 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais vous arrêter là, Professeur.

5 Je vais vous arrêter là. Il ne vous appartient pas d'évoquer des arguments

6 juridiques ici.

7 Je vous prie de répondre de la manière aussi directe que possible aux

8 questions qui vous sont posées.

9 Maître Kay, vous avez la parole.

10 M. KAY : [interprétation]

11 Q. Professeur Avramov, la question que je vous ai posée était la suivante

12 : y avait-il une politique, quelle qu'elle soit, qui aurait été menée après

13 la déclaration de l'indépendance par la Croatie, le 8 octobre 1991, une

14 politique quelconque par laquelle M. Milosevic aurait instruit la JNA ou

15 les paramilitaires à avoir recours à la force à l'encontre du territoire de

16 la Croatie tel qu'il venait de se déclarer ?

17 R. Monsieur, je passais des journées entières à la présidence pendant

18 cette période-là. M. Milosevic n'exerçait aucune influence sur la JNA. Vous

19 devez savoir de quelle manière se sont constituées les forces

20 paramilitaires, de quelle manière le peuple serbe s'est levé spontanément à

21 l'encontre de la violence.

22 Je vous en prie. Je vous ai remis cet ordre, et cela c'est une photocopie

23 d'une affiche originale qui sera exposée dans un musée de Belgrade. Il

24 s'agit d'un ordre qui a été donné par la cellule de Crise de Croatie, à

25 savoir, en l'espace de 48 heures, doivent être vidées 25 grandes

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1 agglomérations serbes de Slavonie. On leur donne ordre de se placer à

2 l'abri, et ce, de manière collective. En revanche, des peines les sévères

3 seront appliquées.

4 C'est de la même façon qu'en 1941 le génocide a commencé dans ces mêmes

5 régions, compte tenu de cela, parce qu'il faut savoir que ce sont les

6 régions les plus densément peuplées de Serbes. Il s'agit là de 25 villages,

7 et cela a été publié aux journaux. Cela a été placardé -- cela a été

8 affiché partout. Entre 30 000 et 40 000 Serbes sont arrivés à Belgrade à

9 bord de chariots ou tout autre moyen, l'autre partie a été assassinée, et

10 la troisième partie --

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous en prie, je vais vous

12 interrompre.

13 Monsieur Kay, prochaine question.

14 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais, Monsieur, comment est-ce que cela s'est

15 constitué ? Cette troisième portion, qui n'a voulu s'enfuir, qui n'a pas

16 voulu se rendre non plus, s'est rendue dans les bois, s'y est organisée, et

17 c'est ainsi qu'on a vu naître les premiers groupes de la résistance contre

18 la violence, contre la violence qui harcelait la population partout. Même

19 des volontaires ont commencé à se présenter partout, qui se sont mis à la

20 disposition de la JNA.

21 Je dois préciser --

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous avons entendu votre

23 explication. Votre question suivante.

24 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Est-ce que je peux demander au

25 professeur à ce stade-ci ? Madame le Professeur Avramov

Page 32446

1 --

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Bien évidemment.

3 M. LE JUGE BONOMY : [interprétation] Professeur Avramov, pour quelle raison

4 ne répondez-vous pas à la question qui vous a été posée et qui porte sur

5 l'attitude et les intentions de M. Milosevic à l'époque ? Pourquoi nous

6 parlez-vous de l'attitude des Croates pendant la même période ? Je vous

7 prie de vous focaliser sur les questions qui vous sont posées, de vous

8 concentrer là-dessus, et qui sont, de toute évidence, dans l'intérêt de M.

9 Milosevic ? Apparemment, vous ne semblez pas être disposée à y répondre

10 directement. Je vous en prie, faites-le.

11 LE TÉMOIN : [interprétation] Mais, Monsieur le Juge, je ne peux pas vous

12 répondre d'une manière plus directe que ce que j'ai fait. M. Milosevic, à

13 l'époque, n'avait pas arrêté sa position quant à ce qu'il convenait de

14 faire avec cette masse de réfugiés, avec des groupes organisés en Croatie

15 sur lesquels il n'exerçait aucune influence. Ces groupes s'étaient

16 constitués, ces groupes de Serbes, de leur propre chef, afin de se

17 défendre. M. Milosevic n'avait rien à voir avec cela.

18 Que voulez-vous que je vous dise ? Que j'avais plus de liens, moi, parce

19 que moi, je faisais partie des organisations humanitaires ? J'en savais

20 bien plus que n'en savait, à ce moment-là, M. Milosevic. Il s'est trouvé

21 devant un fait accompli.

22 Quant à l'influence sur la JNA, M. Milosevic n'en avait pas à ce moment-là.

23 C'est M. Mesic et c'est M. Markovic qui en avait.

24 M. KAY : [interprétation]

25 Q. Professeur, vous vous êtes référée à un document, j'ai certains

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1 exemplaires du même document. Il s'agit d'une cote DPH 984.

2 M. KAY : [interprétation] J'aimerais indiquer que c'est là la cote

3 d'enregistrement de ce document. J'espère que le document en question a été

4 mis à la disposition de tout un chacun, tant aux Juges qu'à l'Accusation.

5 M. NICE : [interprétation] S'agissant de ce document, je tiens à dire que

6 nous l'avons vu. Nous n'avons pas reçu une traduction. Peut-être serait-il

7 bon que le témoin nous donne davantage de renseignements concernant

8 l'origine -- la provenance de ce document avant que de le verser et avant

9 que de nous en parler davantage. Parce que c'est un document que tout un

10 chacun aurait pu faire imprimer à quelque moment que ce soit.

11 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Kay, veuillez répondre.

12 M. KAY : [interprétation] Je vais certainement le faire.

13 Q. Nous avons tous obtenu une copie de ce document, Professeur. Avant

14 toute chose, pouvez-vous nous indiquer d'où provient ce document et comment

15 vous vous êtes procurée ledit document ?

16 R. Il s'agit d'un document rapporté par les réfugiés lorsqu'ils sont

17 arrivés, ce document. Voyez-vous ces traits ici ? Lorsque l'original m'a

18 été remis, ce document avait été froissé parce qu'il se trouvait dans la

19 poche d'un réfugié. Nous avons redressé le document froissé, et c'est pour

20 cela que vous avez cette espèce de ligne.

21 Le document a été publié dans la presse de Pozega, c'est un journal de

22 Slavonie. C'est un document qui avait été accroché à tous les coins de rue,

23 à tous les tableaux d'affichage dans les villages concernés, villages qui

24 étaient censés être évacués.

25 Q. Quand est-ce que vous avez reçu une copie de ce document-ci ?

Page 32448

1 R. En septembre 1991.

2 Q. Est-ce que vous vous trouviez à Belgrade, à ce moment-là ?

3 R. Oui.

4 Q. Dites-vous, le document se trouvait entre les mains d'un réfugié.

5 Pouvez-vous nous dire, brièvement, ce que dit ce document. Qu'annonce-t-

6 il ?

7 R. La population doit déménager vers des agglomérations sur le territoire

8 de la municipalité de Slavonska Pozega, en fonction de leur choix. Les

9 citoyens qui n'ont pas où s'abriter doivent s'adresser aux équipes

10 d'accueil de la protection civile pour évacuation vers les secteurs de

11 rassemblement, à savoir, Ivandol, Dezevci, Perenci, Toranj et Biskupci.

12 Troisièmement, le présent ordre entre en vigueur le 29 septembre 1991, à

13 midi, et sa période de validité dépendra de l'apaisement de la situation

14 sur le territoire indiqué. Quatrièmement, après écoulement du délai pour

15 l'évacuation de la population, il est interdit tout déplacement de civils

16 dans le secteur concerné.

17 Q. A qui était destiné le document en question ? Qui était censé être

18 évacué ?

19 R. Vous voyez ce que dit la partie introductive. Je vous ai lu le bas.

20 L'introduction dit : "Tout dernièrement, les forces terroristes des

21 Chetniks et les Unités de l'armée yougoslave, de par leurs opérations de

22 combat, mettent en péril la population civile dans la partie occidentale de

23 la municipalité de Slavonska Pozega. Aussi, aux fins de protéger leurs vies

24 respectives, et aux fins de permettre la défense réussie de nos forces de

25 défense dans ce territoire, la cellule de Crise de la municipalité de

Page 32449

1 Slavonska Pozega proclame l'ordre pour, premièrement, procéder à

2 l'évacuation de tous les citoyens et tous leurs biens personnels, articles

3 alimentaires, vêtements, chaussures, literie, moyens d'hygiène personnel,

4 et tout ce qui constitue les moyens élémentaires afférant à l'éclairage,

5 puis les objets en or, argent, leurs bétails, depuis le secteur des

6 localités suivantes," -- et ils sont énumérés -- "ils sont censés de

7 quitter ces secteurs dans un délai de 48 heures pour se présenter aux lieux

8 de rassemblement."

9 Q. Mais le citoyen qui vous a remis ce document, c'était un membre de quel

10 groupe ethnique ?

11 R. Des Serbes. C'était des réfugiés serbes.

12 Q. Les villages qui sont nommés ici -- qui sont énumérés ici, était-ce

13 cela des villages où il y avait majoritairement une population serbe ?

14 R. C'était uniquement des villages serbes, des villages exclusivement

15 serbes.

16 Q. Je me propose de revenir à présent à la question principale qui est

17 posée, et cela concerne le mois d'octobre 1991. Il est dit qu'il y a des

18 allégations de bombardement de Dubrovnik et autour de Dubrovnik, les

19 conflits de la Krajina, et j'aimerais, à ce sujet, pour autant que vous

20 sachiez nous le dire, s'il s'agissait là d'une politique et d'une intention

21 publiquement déclarée de la part de M. Milosevic pour ce qui est de voir

22 ces attaques survenir à l'encontre de la Croatie, et ceci, aux fins

23 d'exercer des pressions à son égard ?

24 R. Vous allez encore une fois me dire que je reviens sur des sujets. Mais

25 il est impossible de répondre par oui ou par non, parce que si c'est ce que

Page 32450

1 vous vous voulez entendre, je dirais non, cela n'a pas été son ordre. Mais

2 ce que je dois ajouter, c'est que, lorsqu'il y a eu sécession, les

3 représentants de la population serbe sont arrivés à Belgrade pour exiger,

4 de la façon la plus énergique qui soit, d'être protégés par la Yougoslavie,

5 qui était le seul représentant légitime au niveau de la communauté

6 internationale. C'était le seul intervenant au niveau de la communauté

7 internationale en présence. Ils voulaient donc être protégés pour rester --

8 faire partie de cette Yougoslavie.

9 M. Milosevic, ainsi que le gouvernement serbe, ont donné des assurances,

10 pour ce qui les concernait, aux fins de faire tout ce qui était dans leur

11 pouvoir pour les protéger. Dans la presse de cette époque, vous avez des

12 communiqués du gouvernement et du président Milosevic abondants dans ce

13 sens. Mais une fois que ces actes de terrorisme sont devenus des crimes

14 massifs, ce sont donc mués en crimes de masse, les Serbes de Croatie ont

15 accusé Belgrade de ne pas leur fournir une protection adéquate, et qu'ils

16 se verraient, de ce fait, contraints à se défendre eux-mêmes. Une fois

17 qu'on leur a proposé que le président Milosevic prenne l'initiative afin

18 que le parlement proclame que ces régions ne se sont pas -- n'ont pas fait

19 sécession -- et cela est un fait, cela est resté faire partie de la

20 souveraineté de la Croatie jusqu'en 1995. Cette souveraineté n'a pas été

21 rétablie jusqu'à l'opération Tempête parce que la protection civile -- la

22 Défense territoriale était entre les mains des Serbes. Ils ont été armés

23 par la Défense territoriale, donc ils se sont organisés parce qu'ils

24 étaient profondément déçus -- je répète, profondément déçus -- par

25 l'attitude de Belgrade, par nous autres qui nous trouvions là-bas parce que

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1 nous ne leur avions pas apporté une protection appropriée. De façon tout à

2 fait naturelle, il y a eu un éclatement de conflit.

3 Maintenant, pour ce qui est de la JNA, n'oubliez pas qu'en juillet, il y a

4 eu proposition et, par la suite, cela est devenu un ordre -- une nécessité

5 impérative, à savoir que les membres de la JNA se retirent vers leurs

6 casernes. Cela a, d'ailleurs, été fait. Cet ordre a été obéi. L'armée --

7 notre armée s'est retrouvée enfermer dans ses casernes. Il y a eu

8 encerclement de ces casernes par des forces paramilitaires en Slovénie et

9 en Croatie. On leur a coupé l'électricité, on leur a coupé l'eau potable,

10 et il y a eu des cas de décès en masse au sein de ces casernes, et il y a

11 eu aussi des insurrections au niveau de ces casernes. Je vous ai cité

12 quelques éléments de ce genre provenant de mon livre, mais je dispose de

13 toute une série de documents datant de cette époque.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Monsieur Kay, passez à la

15 question suivante, je vous prie.

16 M. KAY : [interprétation]

17 Q. Nous allons passer de 1991 vers 1992. Je parle du 15 janvier 1992 à

18 présent. En cette date, la Communauté européenne a reconnu la Croatie en sa

19 qualité d'Etat indépendant. Avez-vous eu des entretiens avec le président

20 Milosevic pour ce qui est des effets de cette reconnaissance par la

21 Communauté européenne en date de janvier 1992 ?

22 R. La reconnaissance avait été annoncée par la presse étrangère dès le

23 mois de juin 1991. Il y a une interview de M. Genscher datant de cette

24 époque-là --

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, je dois vous interrompre.

Page 32452

1 Veuillez juste répondre à la question. La question est celle de savoir si

2 vous avez eu des conversations avec le président Milosevic concernant les

3 effets de cette reconnaissance par la Communauté européenne.

4 LE TÉMOIN : [interprétation] Oui, nous en avons eu même avant cela, parce

5 que le parlement fédéral, avant qu'il y ait eu reconnaissance, a protesté

6 auprès des Nations Unies et auprès de la Communauté européenne --

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous interromps à nouveau. Votre

8 réponse est celle de dire "oui"; elle est affirmative.

9 Monsieur Kay, voulez-vous continuer sur votre lancée ?

10 M. KAY : [interprétation] En effet.

11 Q. Y a-t-il eu des entretiens concernant donc l'effet ou les effets

12 politiques de ce qui se passait au niveau de la Bosnie ?

13 R. Très certainement. Je vous dirais que M. Milosevic m'a posé la question

14 à moi-même, personnellement. Pour ce qui est de savoir lorsque nous nous

15 sommes entretenus à ce sujet, il me demandait de savoir si, du point de vue

16 international, de quelle façon cette reconnaissance pouvait être qualifiée.

17 J'ai répondu que, partant des discussions qui se sont déroulées au sein de

18 l'assemblée générale des Nations Unies, lors de l'adoption de la résolution

19 définissant la notion de l'agression, cette reconnaissance constituait une

20 forme indirecte d'agression à l'égard de la RSFY. C'est ce que j'ai répondu

21 à M. Milosevic à ce moment-là. C'est ce que je lui ai répondu, à lui, et à

22 tout un autre groupe de personnes qui ont participé à ces entretiens.

23 L'effet a été terrifiant. L'effet de ce geste a été terrifiant, j'entends,

24 parce que tous les masques sont tombés à ce moment-là, tous les masques

25 adoptés par l'équipe de négociations et de cette communauté internationale.

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1 D'ailleurs, dire communauté internationale, c'est un euphémisme. Nous

2 n'avions pas affaire à la communauté internationale, mais bien à des

3 représentants de la Communauté européenne et américaine. La "communauté

4 internationale" constitue une notion bien plus vaste.

5 L'effet a été terrible. Nous avons été collectivement sous la chose du fait

6 de cette reconnaissance. C'est là qu'il y a eu, et permettez-moi aussi de

7 dire, vous m'avez demandé si j'avais discuté de la chose. Oui, j'ai discuté

8 de la chose avant cela. Mais, en date du 15 janvier, je me trouvais à

9 Bruxelles avec un groupe qui était censé participer à des équipes d'experts

10 très variés. Etant donné que nous arrivions par avion, et vous savez que la

11 Serbie s'était trouvée isolée, nous ne pouvions pas avoir de contacts. Nous

12 nous étions consultés pour savoir ce qu'il convenait de faire parce qu'en

13 reconnaissant ces républiques, la Communauté européenne avait perdu sa

14 qualité de médiateur. Pour ce qui est maintenant de M. Milosevic, c'est

15 sans qu'il le sache, sur ma propre initiative, que je voudrais vous montrer

16 un document que j'ai rédigé dans ma Chambre d'hôtel et c'est en anglais.

17 Peut-être que l'anglais n'est-il pas bon --

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non.

19 M. KAY : [interprétation]

20 Q. Ce que je voudrais savoir à présent c'est quelle a été la réaction de

21 M. Milosevic parce que vous étiez là-bas et vous pouvez nous parler de

22 cette réaction. Pouvez-vous nous dire quelle est la politique qu'il avait à

23 l'esprit suite aux appréhensions de voir la Bosnie devenir une république

24 distincte ?

25 R. Le document de Carrington l'avait déjà fait. C'était un ultimatum. En

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1 fait, les républiques devaient acquérir l'indépendance et devaient toutes

2 s'adresser à la communauté internationale pour être reconnues chacune

3 individuellement. C'était une espèce d'ultimatum. Nous avons présenté

4 plusieurs amendements à ce sujet qui n'ont pas été acceptés.

5 La pensée, qui se faufilait au travers de ce document, c'était bon, parler

6 de la sécession de la Slovénie et de la Croatie. Mais il ne saurait être

7 contesté le fait que ceux qui souhaitaient rester au sein de la

8 Yougoslavie, pouvaient rester au sein de celle-ci, parce qu'en Bosnie, il

9 n'y avait pas encore de guerre, donc ceux, qui étaient censés vouloir

10 rester en Yougoslavie, devaient pouvoir le faire. C'était l'amendement que

11 nous avions présenté; cependant, Lord Carrington et les autres avaient été

12 catégoriques : non, démantèlement, fragmentation complète de la

13 Yougoslavie, chose que nous ne pouvions pas accepter.

14 Voyez-vous, maintenant, à ce moment-là, lorsqu'il était débattu de la

15 chose, étant donné que l'armée yougoslave se trouvait cloîtrée dans ses

16 casernes et que les unités paramilitaires de la Croatie et de la Slovénie

17 avaient pleine liberté d'encercler ces casernes et de s'attaquer à elles et

18 de tuer les gens à l'intérieur, c'est alors qu'a été donné l'ordre, non pas

19 par Milosevic, mais par le commandement suprême de commencer par libérer

20 les casernes. C'est là qu'il y a eu confrontation de grande envergure entre

21 l'armée populaire yougoslave et les Unités paramilitaires de la Slovénie et

22 de la Croatie. Par la suite même, à Sarajevo, cela s'est fait suite à des

23 ordres émanant de M. Alija Izetbegovic. Il n'y a pas eu de guerre encore et

24 il y a eu blocus des casernes. Il se trouvait là des écoles militaires

25 notamment. Ces écoles militaires ont été encerclées. Il y avait là encore

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1 des jeunes gens qui n'étaient pas majeurs. C'étaient des écoles secondaires

2 et des massacres terribles ont été perpétrés à ce moment-là. C'est là que

3 l'armée est intervenue de faire en sorte de libérer les casernes. C'est là

4 que les conflits ont éclaté.

5 Q. Aviez-vous connaissance de quelque politique que ce soit de la part du

6 président Milosevic concernant le nettoyage de certains secteurs, de

7 certaines populations afin que seuls des Serbes restent à résider dans

8 certaines régions, telle que la Krajina ou la Bosnie. Est-ce que, d'une

9 façon quelconque cela constituait la politique, ou les plans dressés par

10 ses soins, et qui auraient été exprimés à l'occasion de ces rencontres

11 journalières ?

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Réponse directe, je vous prie.

13 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, absolument pas. Je ne sais pas comment

14 vous êtes venu à ce type de conclusions. J'y ai participé. Ce que je

15 pouvais lui reprocher, chose que nous lui avons reprochée, c'est qu'il

16 était obsédé par ce principe "de fraternité et d'unité." Il cherchait à

17 sauvegarder tout ce qui pouvait être sauvegardé.

18 Il n'y a pas un Croate à avoir perdu un cheveu de la tête en Serbie. Ils

19 sont restés là-bas et ils ont continué et continuent à vivre là-bas. La

20 Serbie est restée la seule entité pluriethnique de toutes les entités de

21 l'ex-Yougoslavie. Je dois vous dire que c'est grâce à M. Milosevic que cela

22 s'est fait. Il a d'ailleurs été critiqué violemment en Serbie même à ce

23 sujet.

24 M. KAY : [interprétation]

25 Q. La JNA dont nous avons déjà parlée, à cette époque j'entends 1992, une

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1 fois que la Croatie a été reconnue en tant qu'Etat indépendant par la

2 Communauté européenne, savez-vous nous dire quelle avait été la politique

3 adoptée par le président Milosevic à ce sujet ?

4 R. Mais je vous ai déjà dit, qu'il y a d'abord eu une résistance de la

5 part du parlement fédéral, puis du parlement de la République de Serbie qui

6 ont protesté contre la reconnaissance, en estimant que cela était une

7 ingérence directe dans les affaires intérieures de la Yougoslavie. Ils ont

8 qualifié cela d'acte d'agression indirecte vis-à-vis de la Yougoslavie.

9 La réaction de M. Milosevic -- et je dirais même de l'opinion publique de

10 la Serbie, en général -- avait été négative. Cela n'a fait que se confirmer

11 par la suite étant donné que les autres, dans leurs mémoires, ont confirmé

12 que cela a constitué la plus grosse des erreurs commise dans tout le

13 processus de recherche de solution au niveau de la crise yougoslave.

14 Cette reconnaissance, et je crois que cela vous a été dit par Lord Owen

15 dans son livre, il a consacré plusieurs pages à ce sujet précis. Prenez,

16 par exemple, les opinions formulées par le général de la FORPRONU en

17 Croatie ou de M. Stoltenberg. J'ai toute une série de déclarations de cette

18 nature, de gens qui ont estimé que cela avait été catastrophique. Ils ont

19 tous été stupéfaits de voir cette démarche faite.

20 Mais si vous me le permettez, j'aimerais vous apporter une explication à

21 présent.

22 Q. J'aimerais que vous nous donniez quelques informations au sujet d'une

23 question que je vais vous poser. En mars 1992, le conflit démarre en

24 Bosnie, et les unités paramilitaires et les forces de la JNA ont joué un

25 rôle déterminé au niveau du conflit en question. Ce que j'aimerais savoir

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1 c'est si vous savez nous dire ce que le président Milosevic avait planifié,

2 qu'est-ce qu'il faisait, quelle avait été sa politique, que vous a-t-il dit

3 à ce sujet ?

4 R. Voyez-vous, M. Milosevic a accepté ce qui avait constitué l'ordre du

5 commandement suprême, à savoir le retrait de la JNA vers la Serbie.

6 Toutefois, à l'occasion de ce retrait, vous savez quels massacres sont

7 survenus à Tuzla, à Sarajevo et ainsi de suite, mais à l'occasion de ce

8 trait, étant donné que la JNA était constituée d'officiers originaires de

9 différentes parties du pays parce que l'on a grandement tenu compte de

10 l'équilibre à établir au haut niveau des unités militaires, ce qui fait que

11 seuls les officiers ou les soldats qui étaient originaires de Croatie n'ont

12 pas voulu se retirer. Ils sont restés chez eux dans leur maison.

13 Il en a été de même en Bosnie. Ils sont restés chez eux, ces gens-là. Ils

14 se sont retirés vers la Serbie, ceux qui ont bien voulu le faire. Pour

15 l'essentiel, c'étaient des gens qui étaient nés ou qui avaient leurs

16 familles en Serbie et dont la place était là-bas. Mais la majeure partie

17 des gens sont restés sur place.

18 Le président Milosevic à cette époque avait tout simplement

19 suivi les décisions, et s'était conformé aux décisions du commandement

20 suprême. C'est pas lui qui commandait. C'est le commandement suprême qui

21 avait donné l'ordre de se retirer une fois les casernes débloquées.

22 Q. Y a-t-il eu, d'après ce que vous savez nous en dire, une politique, qui

23 aurait été formulée par ses soins, pour ce qui est d'apporter un soutien à

24 l'usage de la force par la Serbie par le biais de paramilitaires ou par le

25 biais de la JNA, et ceci aux fins d'exercer un contrôle des territoires en

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1 Bosnie et en Croatie.

2 R. Non. J'affirme catégoriquement que non. Si vous pouvez voir cela pour

3 le mieux, partant de la correspondance que M. Milosevic a eue à ce sujet.

4 J'ai participé moi-même à ces pourparlers entre le représentant du

5 gouvernement de la Krajina serbe ou de la République serbe, à savoir avec

6 M. Martic, Karadzic et tous les autres membres de ces autorités de ces

7 gouvernements. Il y a constamment eu des confrontations entre eux parce

8 que, eux voulaient un engagement bien plus important de la Serbie.

9 Le président Milosevic disait : "Attendez. Il faut coordonner les choses

10 avec la communauté internationale." C'était lui qui essayait de convaincre

11 les autres. Je répète, il essayait de convaincre les Serbes, de les calmer,

12 d'apaiser la situation.

13 Je me suis trouvée présente à écouter M. Babic lorsqu'il a témoigné, et ce

14 qu'il a dit d'ailleurs dans son témoignage n'est pas exact, parce que

15 j'étais présente à cette réunion lorsque M. Milosevic a demandé, et là,

16 j'ouvre une parenthèse pour dire que les représentants de la République

17 serbe et de la Krajina serbe n'ont pas participé aux négociations jusqu'au

18 début de l'année 1992. C'est nous qui avions représenté leurs intérêts.

19 Mais, en même temps, nous nous sommes battus et nous nous sommes employés

20 en faveur d'une possibilité à l'égard des représentants de la Krajina et

21 des Serbes de la Bosnie-Herzégovine afin qu'eux-mêmes défendent leurs

22 propres intérêts. C'est ce qui fait qu'ils ont été intégrés aux équipes de

23 négociations.

24 M. Milosevic, à l'occasion de cette réunion, m'a interpellée pour me

25 demander de présenter, à l'intention de ces messieurs de Knin, à quoi nous

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1 étions arrivés à l'occasion des négociations jusqu'à ce jour et quelle est

2 la façon dont nous voyons l'avenir et quelle est la vision qui est celle de

3 l'Union européenne concernant l'évolution de la situation. Au bout de deux

4 phrases prononcées par moi-même, M. Martic non, je me corrige, M. Babic,

5 m'a interrompue pour me dire et pour dire à M. Milosevic, qu'ils ne sont

6 pas venus écouter ce que nous avons fait ou ce que nous n'avons pas fait,

7 et il a dit : "Nous sommes venus ici pour vous dire ce que nous voulions,

8 et nous n'accepterons," -- a-t-il dit -- "aucune de vos décisions qui

9 seraient contraires à notre volonté." C'est leur position politique.

10 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci. Merci, Professeur.

11 M. KAY : [interprétation]

12 Q. Quand vous nous avez dit, en janvier 1993, qu'il y a eu la Conférence

13 de Bruxelles et, ensuite, en août 1992, la Conférence de Londres, encore

14 une fois, vous étiez encore membre de l'équipe chargée des négociations ?

15 R. Oui. Tout à fait.

16 Q. Est-ce que les négociations menées par vous, sur la base des

17 instructions données par M. Milosevic, avaient pour but d'atteindre la paix

18 ou bien d'obstruer ou de causer des problèmes ? C'était quoi ?

19 R. Non. Il a insisté pour que l'on trouve une solution définitive au plus

20 vite et une solution paisible. Vous avez d'ailleurs les procès-verbaux de

21 la Communauté européenne ou bien des procès-verbaux de Londres. Moi-même,

22 j'ai enregistré les débats à ce moment-là. Vous avez le procès-verbal

23 concernant l'attitude de M. Milosevic, et cela est beaucoup plus

24 authentique que ce que j'ai à dire.

25 Non, il ne souhaitait pas que l'on résoude les problèmes de manière forcée,

Page 32460

1 il était conscient de la situation. Il essayait tout simplement de chercher

2 de l'aide afin de sauver ce qui pouvait encore être sauvé.

3 Q. N'a-t-il jamais exprimé auprès de vous la manière dont la communauté

4 internationale aurait pu le soutenir afin que la paix puisse être atteinte,

5 et la manière dont cette politique-là aurait pu lui être plus utile. Est-ce

6 que vous a jamais parlé de cela ?

7 R. Vous savez, mais là nos opinions différaient et c'était la raison de

8 notre séparation d'ailleurs. M. Milosevic ne cessait d'insister quel que

9 soit le traitement auquel nous avions été soumis par la communauté

10 internationale, qu'il fallait continuer les négociations, qu'il s'agissait

11 de nos anciens alliés, que, tôt ou tard, nous allions trouver un point

12 d'accord avec eux et que notre seule issue c'était les négociations avec

13 l'Occident.

14 Mon opinion était qu'il fallait tirer un trait et dire, et d'ailleurs c'est

15 ce que j'ai écrit, Messieurs, l'Union européenne nous a trompé, nous

16 arrêtons les négociations et nous allons nous adresser aux Nations Unies.

17 En 1992, lorsque j'ai proposé cela à M. Milosevic, il ne l'a pas accepté.

18 Il a été très coopératif, il a fait preuve d'un esprit de coopération dans

19 cela, et là, je veux dire que, dans ses comportements, il comprenait les

20 intentions des représentants de la communauté internationale, mais nous lui

21 faisions des reproches car nous considérions qu'il acceptait trop de

22 concessions par rapport à l'Union européenne au détriment des intérêts de

23 la Serbie.

24 Q. Est-ce que l'impression était que certaines nations au sein de l'Europe

25 oeuvraient de manière active pour la dissolution de la Yougoslavie, n'est-

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1 ce pas ?

2 R. Il ne s'agissait pas simplement d'une impression. Il s'agissait des

3 faits. Nous avons les chiffres émanant des banques suisses, montrant la

4 manière dont nos services de sécurité recevaient un certain nombre de

5 fonds. Ensuite, il y avait des compagnies par le biais desquelles les armes

6 arrivaient jusqu'aux paramilitaires en Croatie, en Slovénie, en Bosnie-

7 Herzégovine, et cetera. Il s'agit là des faits.

8 Deuxièmement, vous avez la déclaration --

9 Q. Je vais vous arrêter là. Nous avons eu plusieurs éléments de preuve

10 versés au dossier indiquant que, sans aucun doute, le président Milosevic

11 avait une certaine attitude vis à vis des activités des Etats européens

12 concernant la reconnaissance de la Croatie et leur soutiens à la Croatie et

13 à la Slovénie. Est-ce que sa position était considérée comme ferme ou

14 faible vis-à-vis de cela ?

15 R. En Serbie, beaucoup de personnes considéraient qu'il avait fait trop de

16 concessions, et qu'il était trop faible. Ils considéraient que M. Milosevic

17 est allé trop loin dans les concessions qu'il avait fait, et que toutes les

18 exigences qu'il avait acceptées n'avaient pas abouti. Ceci n'avait pas

19 permis de résoudre les problèmes, mais a simplement donné lieu à de

20 nouveaux ultimatums, de nouvelles exigences. C'est ce qui c'est passé sans

21 cesse, jusqu'à ce jour.

22 Q. Est-ce que vous avez participé également aux activités concernant le

23 plan Cutileiro après le plan de Lord Carrington ?

24 R. Je comprends. J'étais tenue au courant, mais je n'ai pas participé à

25 cela. Il y avait une autre équipe qui assistait à ces négociations-là. Ils

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1 ont reçu le statut de négociateurs et, après, une équipe de la Republika

2 Srpska et de la Republika Srpska Krajina y sont allées. Ils ont constitué

3 leurs propres équipes et, en fait, je n'étais pas membre de cette équipe.

4 Il s'agissait des représentants de la Republika Srpska. Je sais que le

5 président Karadzic était à la tête de la délégation de la Republika Srpska,

6 et il y avait une équipe avec lui. Je pense que ces personnes sont sur la

7 liste des témoins, des personnes qui étaient membres. J'étais tenue au

8 courant. Je recevais tous les documents, tous les faits à Belgrade

9 concernant le développement des négociations, le développement du plan

10 Cutileiro, et cetera.

11 Q. Vous nous avez dit qu'en 1993, vous avez cessé d'être active auprès du

12 président Milosevic et du gouvernement --

13 R. Oui.

14 Q. -- concernant les négociations, et le processus de paix. Quelle a été

15 la raison de cette cessation de vos activités, de votre participation

16 active ?

17 R. Je ne peux pas vous dire la date exacte. C'était vers le début du mois

18 d'avril 1993. En ce qui concerne les raisons, elles sont tout à fait

19 compréhensibles. Je les ai rendues public d'ailleurs.

20 Notre attitude de principe était que la question des frontières restaient

21 ouvertes, et que les frontières d'AVNOJ, les frontières révolutionnaires,

22 ne pouvaient être acceptées, mais, après la reconnaissance, le président

23 Milosevic a considéré qu'il fallait continuer les négociations et qu'il

24 fallait accepter ce genre de fait accompli. Il a continué à négocier. Cela

25 était l'une des raisons de nos différends et, d'ailleurs, comme je l'ai dit

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1 tout d'ailleurs, je considérais que la Communauté européenne nous avait

2 trompé lourdement. J'ai dit au président Milosevic que moi, en tant que

3 juriste, je ne souhaitais pas assumer la responsabilité historique d'être

4 membre d'une équipe qui allait accepter cela.

5 Q. Quels étaient ses choix à ce moment-là en 1993, lorsque vous vous êtes

6 retirée ?

7 R. Il avait toujours la même attitude : continuons à négocier avec

8 l'occident. Nous n'avons pas d'alternative. Il s'agit-là de nos alliés

9 historiques.

10 Q. En ce qui concerne un certain nombre d'autres sujets maintenant, vous

11 avez mentionné Babic. Vous avez mentionné -- je ne pense pas que vous ayez

12 mentionné Martic encore, mais je souhaite, maintenant, vous poser des

13 questions concernant l'influence de

14 M. Milosevic sur les autres participants aux évènements qui se sont

15 déroulés.

16 Est-ce que vous avez pu voir, par exemple, quelle était l'influence, et

17 quelles étaient les relations entre lui et Babic ?

18 R. Babic est une personnalité quelque peu extravagante. C'est quelqu'un

19 très sûr de lui-même. Il est convaincu de son rôle de leader, d'homme

20 d'Etat. Dans ce sens, il ne permettait à qui que se soit de l'influencer.

21 Il réagissait immédiatement, brutalement, en rejetant cela. Ces liens-là

22 n'ont jamais été totalement en harmonie, et la coopération n'a jamais été

23 suffisamment poussée, comme cela aurait dû être entre plusieurs personnes

24 qui essayaient de défendre les intérêts d'un peuple.

25 En ce qui concerne M. Martic, il faisait preuve de beaucoup plus d'esprit

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1 de coopération, par rapport à M. Babic. Vous savez, cette Republika Srpska

2 Krajina, elle avait son propre parlement, son propre gouvernement. Il

3 n'était pas possible de les influencer, car les décisions étaient prises

4 par leur gouvernement.

5 J'y suis allée pendant la guerre à plusieurs fois à Pale et à Knin, et j'ai

6 assisté une fois même à une session du parlement à Knin. Vous savez, là-

7 bas, les gens se sont sentis menacés, abandonnés, trahis, par le parti, par

8 le gouvernement, et par l'armée. Ils avaient l'impression de pouvoir

9 s'appuyer sur leurs propres forces seulement, et ceci les rendaient encore

10 plus fières, ou -- il m'est difficile de trouver le mot exact pour décrire

11 leur état d'esprit.

12 Q. Nous pouvons analyser cela de deux manières. Tout d'abord, est-ce

13 qu'ils considéraient que M. Milosevic faisait suffisamment de choses pour

14 les soutenir, ou est-ce qu'ils considéraient qu'il aurait dû faire plus ?

15 Est-ce qu'ils pensaient que le soutien qu'il recevait de sa part était

16 suffisant ?

17 R. Non. Ils considéraient que non seulement M. Milosevic, mais en général

18 la Serbie n'avait pas fait suffisamment de choses pour eux. C'est ce qu'ils

19 me disaient. Ils disaient cela à moi, puisque j'étais un membre, ne serais-

20 ce qu'insignifiant de cette équipe.

21 Q. On peut regarder les choses d'un autre point de vue. Est-ce que --

22 l'impact sur les négociations de paix, sur ces conférences auxquelles vous

23 avez participé au nom de M. Milosevic, est-ce que vous pouvez nous dire à

24 quel point il était facile pour lui et vous et les autres de négocier et

25 d'avoir un rôle actif par rapport à l'établissement de la RSK ?

Page 32465

1 R. C'était infiniment difficile, infiniment difficile. Vous savez,

2 j'étudie cela de manière scientifique encore aujourd'hui pour voir quelle

3 est la toile de fond, et quelle est la cause et la raison pour laquelle nos

4 anciens alliés avaient adopté une attitude extrêmement négative vis-à-vis

5 de la Serbie, et qu'ils n'avaient pas cette preuve de la compréhension de

6 la position tragique dans laquelle s'est retrouvé le peuple serbe.

7 Je n'arrive toujours pas à comprendre cela. Je ne connais pas suffisamment

8 les raisons qui les ont poussées à cela, même si j'ai examiné un grand

9 nombre de documents. De toute façon, nous nous sommes retrouvés dans une

10 situation extrêmement difficile. Nous n'avions aucun soutien. Nous en avons

11 été confronté dès le début par le biais du document de Carrington, un

12 ultimatum, et après les ultimatums s'en suivaient. Il n'y avait pas

13 d'alternative. C'était sans cesse à prendre ou à laisser. C'était cela le

14 principe qui prévalait.

15 Q. Est-ce politiquement vous avez pu voir si ceci a rendu les choses plus

16 difficiles pour le président Milosevic en Serbie. Quel était l'effet de

17 cela là-bas ?

18 R. Oui, bien sûr, l'effet était énorme. Ceci a rendu les choses beaucoup

19 plus difficiles pou lui. M. Milosevic s'est retrouvé dans une situation où

20 il était entre le marteau et l'enclume. Il était entre des partis

21 politiques et puis ceci a rendu les choses vraiment très difficiles. Cela a

22 vraiment beaucoup aggravé les choses pour le président Milosevic.

23 Q. Je souhaite que l'on se penche maintenant sur la Bosnie et Radovan

24 Karadzic, qui à l'époque était le leader des Serbes de Bosnie. Est-ce que

25 vous avez pu conclure, sur la base de vos observations, quelle a été

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1 l'influence de M. Milosevic sur Radovan Karadzic ?

2 R. Oui, vous savez M. Karadzic, et puis il y avait un certain nombre

3 d'autres personnes qui, malheureusement, sont mortes entre temps, il s'agit

4 de hauts intellectuels, des personnes ayant une grande intégrité éthique,

5 et ils considéraient toujours qu'ils étaient sur le pied d'égalité avec les

6 autres.

7 M. Karadzic était un homme extrêmement respecté, non pas seulement car

8 c'était un neuropsychiatre connu et très respecté, il a d'ailleurs publié

9 un grand nombre de publications dans ce domaine, mais aussi à cause du fait

10 qu'il s'était mis au côté de son peuple à un moment très difficile. Ceci a

11 permis de lui augmenter la cote. Il s'agissait d'une personnalité

12 extrêmement forte qui se mettait toujours sur le pied d'égalité avec ses

13 interlocuteurs lorsqu'il parlait, par exemple, avec M. Milosevic. Il a eu

14 beaucoup de mal à renoncer à négocier directement à Dayton et à céder le

15 rôle de négociateur à M. Milosevic, alors que c'était la condition posée

16 par la Communauté européenne. M. Milosevic a joué son rôle de manière

17 vertueuse car il a réussi à convaincre les autres qu'il devait être le seul

18 représentant de toutes ces parties au conflit. Il s'agissait là des moments

19 extrêmement difficiles. Si vous lisez la presse de chez nous de l'époque,

20 elle était pleine de reproches, de critiques, d'attaques, d'approbations,

21 de désapprobations. La situation était vraiment extrêmement tendue.

22 Cependant, je dois dire, vous savez très bien, quel a été le sort réservé

23 au plan de Cutileiro et vous savez que là --

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Madame le Professeur, je vais vous

25 arrêter là.

Page 32467

1 Maître Kay.

2 M. KAY : [interprétation] J'aillais d'ailleurs vous poser une question au

3 sujet de cela.

4 Q. Tout d'abord, je souhaite savoir de quelle manière Radovan Karadzic

5 pouvait influencer la politique des Serbes de Bosnie ? Je souhaite savoir

6 si l'influence de M. Milosevic était plus forte que celle de M. Radovan

7 Karadzic, ou est-ce que M. Radovan Karadzic avait plus d'influence auprès

8 des Serbes de Bosnie ?

9 R. L'influence de M. Karadzic était absolument la plus forte. M. Milosevic

10 était apprécié dans certains cercles en Bosnie, mais comme je l'ai dit, ils

11 considéraient qu'il était trop faible et qu'il aurait dû protéger les

12 Serbes de manière plus énergique. L'autorité de M. Karadzic en Bosnie

13 n'était pas du tout remise en cause. Ceci s'expliquait par ses attitudes,

14 mais aussi par le fait qu'il s'agissait là d'un véritable érudit, de

15 quelqu'un qui était à la fois scientifique, écrivain, poète, donc il était

16 apprécié dans toutes sortes de cercles.

17 Q. Est-ce que vous pouvez nous dire à partir de quelle date,

18 approximativement, son influence auprès des Serbes de Bosnie a commencé à

19 se faire sentir ?

20 R. De M. Karadzic ?

21 Q. Oui.

22 R. Je pense que c'était dès le début, en effet, tout d'abord en Bosnie, le

23 Parti du SDA a été créé sur la base religieuse et ethnique. C'était un

24 Parti musulman, présidé par M. Izetbegovic. Ensuite, le deuxième parti qui

25 a été fondé, c'était le parti des Croates. Les Serbes n'ont pas été

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1 organisés. Ensuite, une initiative a été lancée pour créer également le

2 parti démocrate serbe, qui était le dernier parti à être créé. C'est ce qui

3 a augmenté la cote de

4 M. Karadzic car c'est lui qui a organisé cela, et il a été élu en tant que

5 premier président de ce parti. Il a agi de manière extrêmement

6 intelligente. Lorsque vous lisez ses discours, vous pouvez voir qu'il

7 s'agit là des discours d'un grand intellectuel.

8 Q. Nous savons que Radovan Karadzic et le président Milosevic

9 n'appartenaient pas au même parti et ne partageaient pas les mêmes

10 convictions politiques, n'est-ce pas ?

11 R. Oui.

12 Q. Est-ce que le lien politique entre eux était fort, ou comment

13 décririez-vous le lien politique entre le président Milosevic et Radovan

14 Karadzic pour ce qui est de la Bosnie ?

15 R. Vous savez lorsqu'une maison brûle, tous les habitants de la maison

16 essaient de sauver ce qui peut être sauvé, même s'ils se sont confrontés

17 les uns aux autres. Le peuple serbe se sentait ainsi à l'époque. Il faut

18 mettre à côté tous nos différends idéologiques et politiques. Il s'agit

19 d'une situation où un dilemme Shakespearien se posait devant le peuple

20 serbe qui touchait à l'existence même de ce peuple. C'est cela le lien qui

21 a été créé. Malheureusement, ce lien n'a pas subsisté. Après que le

22 président Milosevic a accepté les suggestions de l'occident et a établi une

23 frontière et pratiquement des sanctions vis-à-vis de la Republika Srpska,

24 c'est là que l'équilibre a été rompu et que l'influence de M. Milosevic a

25 diminué et a continué à diminuer alors que l'influence de M. Karadzic ne

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1 cessait d'augmenter. Il s'agissait des sanctions. Les sanctions ont été un

2 coup terrible pour le peuple serbe. Bien sûr ceci a été fait sous la

3 pression de la Communauté européenne.

4 Q. Nous avons entendu des dépositions indiquant que le président Milosevic

5 a été dans une situation où les sanctions ont été imposées contre son

6 propre pays. Nous avons eu des éléments de preuve versés au dossier

7 concernant cela.

8 En ce qui concerne vos contacts avec le président Milosevic, vos contacts

9 qui se déroulaient au quotidien comme vous l'avez dit, est-ce que sur la

10 base de cela vous pouvez nous dire si vous avez pu observer qu'il

11 fonctionnait en appliquant une sorte de politique parallèle, une sorte de

12 double langage ? Est-ce qu'il faisait une chose pour agir de manière

13 différente ?

14 R. Vous savez, il est difficile de dire cela. Après l'échec de la

15 proposition de Carrington et le refus de la Serbie par rapport à cela, M.

16 Milosevic a essayé de garder ce contact. Je dois dire que pendant que les

17 négociations se déroulaient encore ici et par la suite à Bruxelles, que la

18 communauté internationale insistait toujours sur une attitude de

19 conspiration dès le début, toujours, il ne faut pas avoir de procès-

20 verbaux, il ne faut pas faire de déclarations suite à cela, et cetera; tout

21 ce que l'on dit dans le cadre de ces discussions doit resté confidentiel,

22 et cetera.

23 Personnellement, je ne comprenais pas les raisons de cela et,

24 personnellement, d'ailleurs, j'ai soulevé plusieurs fois des questions au

25 sujet de cela, mais l'on n'y prêtait pas attention à ce caractère

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1 strictement confidentiel car les hommes politiques donnaient -- faisaient

2 des déclarations de presse après les réunions.

3 Mais, après cela, j'ai commencé, petit à petit, à me retirer. Je me suis

4 éloignée plus de M. Milosevic, car il a continué à négocier. Vous savez,

5 les changements ont eu lieu en Serbie aussi. Des gouvernements ont changé.

6 Nous avions des élections tous les deux ans. Nous avons eu six

7 gouvernements pendant cette période, je pense; six gouvernements dans

8 l'espace de neuf ans, donc la situation ressemblait à cela. La scène

9 politique était très turbulente en Serbie au cours de cette période. Moi-

10 même, je n'étais pas quelqu'un qui allait être mis au courant de tout ce

11 qui se passait. J'ai toujours participé aux activités en tant qu'expert.

12 J'y étais en ma qualité d'expert. Par la suite --

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Professeur.

14 M. KAY : [interprétation]

15 Q. Merci d'avoir répondu à mes questions, Madame Avramov. Je vais vous

16 poser encore quelques questions.

17 M. KAY : [interprétation] Mais, avant de m'asseoir, Monsieur le Président,

18 Messieurs les Juges, nous avons eu deux documents qui ont été produits --

19 présentés lors de l'interrogatoire principal. Nous avons eu celui qui a

20 reçu la cote DPH 990. Nous souhaitons que ceci soit versé au dossier en

21 tant que pièce à conviction de la Défense.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

23 M. KAY : [interprétation] Visiblement, les gens nous ont écoutés.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui. Il s'agira là d'une pièce à

25 conviction de la Défense.

Page 32471

1 M. LE GREFFIER : [interprétation] 243.

2 M. KAY : [interprétation] D243.

3 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] D243, oui.

4 M. KAY : [interprétation] Oui. Ensuite, nous avons l'autre document qui est

5 intitulé : "Naredbu, et cetera," DPH 984. Est-ce que ceci peut recevoir la

6 cote D244 ?

7 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui.

8 M. KAY : [interprétation] J'ai également ici la traduction, et je souhaite

9 la présenter à la Chambre et au Procureur en même temps.

10 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Nous avons ici la traduction du D244. Il

11 y est écrit : "Ordre."

12 M. KAY : [interprétation] Oui.

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous devons encore attendre la

14 traduction du premier document --

15 M. KAY : [interprétation] Cela a été fait également. Nous avons la

16 traduction du D243.

17 M. LE JUGE KWON : [interprétation] Est-ce que le Greffier d'audience peut

18 vérifier s'il faille commencer par 242 ou 243 ?

19 M. KAY : [interprétation] Merci.

20 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons faire une pause de 20

21 minutes.

22 --- L'audience est suspendue à 12 heures 18.

23 --- L'audience est reprise à 12 heures 43.

24 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Milosevic, la Chambre a

25 examiné l'exercice de ses pouvoirs discrétionnaires eu égard au paragraphe

Page 32472

1 2 de l'ordonnance qu'elle a rendue. Nous vous donnerons la possibilité, si

2 vous le souhaitez, de poser des questions supplémentaires, si vous le

3 souhaitez. Toutefois, il conviendrait que vous nous précisiez sur quels

4 points vous souhaitez déposer.

5 Avez-vous le souhait de poser des questions supplémentaires, et si oui, sur

6 quels points ?

7 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, vous me laissez entendre

8 que, dans ce que je dois considérer comme étant ma Défense, il

9 m'appartiendra de poser des questions supplémentaires. Lorsqu'il s'agit de

10 ma Défense, poser des questions supplémentaires, cela revient à un cynisme

11 pur.

12 Quant à l'ensemble des questions posées par M. Kay, ceci ne fait que diluer

13 --

14 L'INTERPRÈTE : Le micro est coupé.

15 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vais vous arrêter. Si je vous ai

16 bien compris, votre réponse est non.

17 Professeur. Professeur, avant que l'Accusation ne vous pose ses questions,

18 la Chambre souhaite savoir s'il y a un autre point sur lequel vous

19 souhaiteriez vous exprimer brièvement ? Y a-t-il un autre point, quel qu'il

20 soit, pertinent eu égard au point qui nous intéresse et que vous

21 souhaiteriez aborder brièvement ?

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Voyez-vous cette question qui vous préoccupe

23 est si complexe. Elle se compose de tant de strates qu'il y aurait toute

24 une série de questions qu'on pourrait aborder. Néanmoins, je tiens à

25 préciser un point. J'estime que vous avez ramené l'ensemble de cette

Page 32473

1 affaire à un cercle fermé.

2 Mais pour ce qui est de la transformation territoriale, un numéro entier de

3 Newsweek a été consacré à cette question dès l'année 1990. Une édition

4 toute entière y a été consacrée. Un instant, s'il vous plaît, deux points

5 seulement --

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, professeur, permettez-

7 moi --

8 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous me permettez --

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Permettez-moi de vous rappeler ce

10 qui constitue l'essentiel de ce que nous vous invitons à faire. Ce qui

11 pourrait nous être utile, à notre avis, c'est que vous vous exprimiez sur

12 toute question qui est pertinente en l'espèce. Je ne souhaite pas que nous

13 entrions dans des débats en termes généraux.

14 Si vous ne pouvez pas préciser un point, restons-en là.

15 LE TÉMOIN : [interprétation] Non, c'est très précis. C'est un numéro qui

16 est consacré aux Balkans et à la manière de résoudre ces questions. Les

17 questions qui concernent les Balkans et il est dit ici qu'une guerre va

18 éclater. On aborde la question des alternatives, les possibilités de

19 reformuler le droit d'ingérence dans les affaires intérieures des autres

20 Etats, donc quelque chose qui est interdit.

21 L'ensemble de cette question, la destruction de la *Yougoslavie doit être

22 replacée dans un contexte plus large, le contexte des préparatifs qui

23 allaient mener à ce qui allait se produire par la suite et ces préparatifs

24 sont venus de l'extérieur.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je vous remercie. Monsieur Nice.

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1 Contre-interrogatoire par M. Nice :

2 Q. [interprétation] Je n'aborderai pas beaucoup les questions qui ont à

3 voir avec l'histoire, mais il me semble qu'il est exact, n'est-ce pas, que

4 feu le président Tito estimait qu'une Serbie plus faible signifiait en même

5 temps une Yougoslavie plus forte; est-ce exact ?

6 R. Oui, tels ont été ses propos.

7 Q. Cela a été une des raisons pour lesquelles la Vojvodina et le Kosovo

8 bénéficiaient d'un haut niveau d'autonomie qui était le leur ?

9 R. Oui, c'est cela.

10 Q. Un mémorandum très connu a été publié à un moment donné, nous allons

11 aborder la question de ce mémorandum peut-être pas par l'entremise de votre

12 déposition, il s'agit du mémorandum de l'Académie des sciences et des arts

13 de Belgrade, à la fin des années 1990 [comme interprété], et dans ce

14 mémorandum, la position qui a été prise n'était pas que cette approche

15 d'affaiblir la Serbie était une approche erronée ?

16 R. Je pense qu'il y a bien des personnes plus compétentes que moi pour se

17 prononcer au sujet du mémorandum. J'en ai pris connaissance. Je l'ai lu. Je

18 l'avais. D'ailleurs, il est traduit en anglais, vous pouvez le lire vous-

19 même.

20 D'après la manière dont j'ai compris le mémorandum, sa substance était que

21 d'un point de vue économique la Serbie se trouvait dans une position

22 insatisfaisante et que, d'une certaine façon, la Serbie était utilisée

23 comme une source de matières premières pour les autres républiques, ce qui

24 était sans aucun doute un paradoxe. D'ailleurs, vous êtes juriste, vous

25 avez la constitution traduite en anglais.

Page 32475

1 Nos provinces de fait avaient un statut paraétatique et, qui plus est, je

2 ne vous cite qu'une des dispositions de la

3 constitution : "Deux provinces devaient fournir leur consentement au sujet

4 des amendements à apporter à la constitution de la Serbie, tandis que la

5 Serbie n'avait pas le droit de veto pour ce qui était des constitutions de

6 ses provinces." C'était un paradoxe.

7 Q. Je vais vous interrompre, Professeur. Je vais vous interrompre là.

8 J'espère que je ne fais pas preuve de désobligeance en faisant cela, mais

9 je voudrais vous ramener à la question que je vous avais posée. Est-il

10 exact de dire que la réflexion menée par les intellectuels, qui était

11 exprimée et qui a donné lieu au mémorandum de la Sanu était que

12 l'affaiblissement de la Serbie par la voie de l'autonomie du Kosovo était

13 une mauvaise chose ? Oui ou non, ou brièvement, pouvez-vous le préciser ?

14 R. Mon impression, mais aussi ma conviction profonde, je dois le dire, est

15 que c'est exact, savez-vous, car il ne faut pas oublier une chose qu'on

16 arrête pas d'oublier, à savoir que l'autonomie du Kosovo, que c'est quelque

17 chose dont on a abusé. Il y a eu plusieurs vagues --

18 Q. Je vais vous interrompre pour qu'on puisse avancer. Donc, oui, telle a

19 été la position des intellectuels qui ont fait leur contribution au

20 mémorandum. C'est la première fois que vous vous en êtes occupée de cette

21 manière, pour ceux qui ne sont pas ressortissants de l'ex-Yougoslavie, et

22 qui viennent peut-être d'une longue tradition de pluripartisme et d'une

23 démocratie, ces gens-là peuvent avoir des difficultés à comprendre

24 l'importance de ce document qu'a été le mémorandum, comme un document

25 émanant d'une Académie des sciences et des arts.

Page 32476

1 Même si nous n'allons pas l'aborder avant tout avec vous, vous pouvez

2 confirmer si c'était un travail d'une importance essentielle pour ce qui

3 allait s'ensuivre.

4 R. Non, pas tout à fait. Pas vraiment. Il y a eu deux ou trois choses.

5 D'une certaine manière, ce mémorandum a été mystifié. Il est devenu un

6 mythe. Le mémorandum de l'Académie serbe, cela équivalait à la plus grave

7 des condamnations de la Serbie.

8 Je pense que cela s'est fait délibérément contre sa teneur elle-même. Je

9 répète encore une fois, je ne suis pas compétente en la matière. Il y a des

10 personnes bien plus aptes que moi à en parler, mais je dirais néanmoins

11 quelle est mon impression : dans une situation où des mouvements

12 sécessionnistes et terroristes ont connu un essor en Croatie et en

13 Slovénie, il a fallu retrouver un équilibre et ce, en accusant la Serbie,

14 et c'est à moment-là qu'on a inventé un nationalisme serbe. Or, je voudrais

15 vous convaincre qu'il n'y avait pas de nationalisme serbe.

16 Le mémorandum n'est pas un acte nationaliste, c'est une appréciation

17 professionnelle de l'Etat dans lequel se trouve la Serbie et qui se trouve

18 sur une pente qui va l'entraîner vers la situation que connaissent les pays

19 du Tiers-Monde. Or, ce n'était pas cela la situation de la Serbie à

20 l'époque.

21 Q. Maintenant --

22 R. Je tiens à préciser qu'il ne s'agissait que d'un projet préalable. Ce

23 n'était pas quelque chose qui a été adopté par quelqu'un. Trois

24 académiciens -- seuls trois académiciens auraient déjà esquissé cela et

25 après un comité chargé des sciences sociales, et le comité exécutif de

Page 32477

1 l'Académie, puis l'assemblée générale devait se prononcer là-dessus --

2 Q. Je souhaiterais que vos réponses soient les plus brèves possible.

3 Ma position est la suivante : il me semble que vous ne l'avez pas tout à

4 fait rejetée, à savoir, des opinions, comme celles qui étaient

5 potentiellement celles de l'Académie des sciences et des arts, donnaient

6 des possibilités très limitées à l'opposition et aux groupes politiques de

7 s'exprimer à leurs tours. Qu'en pensez-vous ?

8 R. Non. Car la grande majorité des membres de l'Académie n'était pas au

9 courant de l'existence de ce mémorandum. C'était un avant-projet. Il n'a

10 même passé ce premier test. Même des membres de l'Académie n'étaient pas au

11 courant de son existence. Je peux vous dire que c'étaient de très bons amis

12 à moi.

13 Q. Je vous ai posé des questions au sujet de l'Académie plutôt que de vous

14 poser des questions au sujet du mémorandum et pour la raison suivante :

15 dans l'une de vos réponses, lorsque vous parlez de juin 1991, me semble-t-

16 il, vous avez dit que l'accusé n'était pas le seul à prendre des décisions,

17 mais que les conclusions auxquelles on était abouti étaient des conclusions

18 de l'intelligentsia, et vous avez dit que la moitié des membres de la Sanu

19 y avait pris part. C'est la raison pour laquelle je voulais voir quelle

20 était l'importance de cette instance avant de poursuivre.

21 R. Cela, c'est là précisément que cela réside. C'est mon résumé de nos

22 débats. Mais il n'a pas été soufflé un mot du mémorandum dans nos

23 discussions, -- hélas. Ce que je dois vous dire aussi c'est que deux

24 éminents membres, l'académicien Ivic et l'académicien Samardzic et, en

25 particulier, M. Samardzic, qui était un historien de grand renom et un

Page 32478

1 chercheur reconnu, y ont pris part, hélas. Mais cela, c'était cela le

2 résultat et non pas le mémorandum.

3 Q. Très bien. On commence à comprendre quelle a été la place de la SANU et

4 des intellectuels, qui en ont été membres dans le contexte de l'ex-

5 Yougoslavie, et comment ils ont contribué à ce document important, et

6 comment ce document a pu devenir la pierre de touche des débats politiques.

7 Vous avez également dit que l'accusé n'était pas le seul à prendre des

8 décisions. Pouvez-vous nous donner plus de détails là-dessus ? Si ce

9 n'était pas lui qui prenait des décisions, qui les prenait, disons vers la

10 fin de cette période ou prenons la période au sujet de laquelle vous

11 parlez, en 1991 ? Si ce n'était pas lui, c'était qui ?

12 R. Monsieur, en 1991, voire avant, ce qui a commencé c'était un jeu

13 politique qui se situait hors du temps et hors de la logique du temps où on

14 vivait, et qui se situait aussi hors du cadre de l'ensemble des règles du

15 droit international. Dans ce jeu politique, l'un des acteurs était aussi M.

16 Slobodan Milosevic. Des personnalités-clés de ce jeu politique qui -- et

17 j'en suis profondément convaincue -- étaient profondément contraires à la

18 loi et illogique car, pendant que l'Europe suit un mouvement d'unification,

19 nous avons la fragmentation de la Yougoslavie, alors qu'on parle de la

20 démocratisation, de la nécessité de modifier le système, l'on assiste à la

21 création des états ethniquement purs. C'est tout à fait illogique. Mais la

22 question-clé, permettez-moi de vous répondre là-dessus. Onze pays, membres

23 de l'Union européenne, étaient hostiles à la reconnaissance. Seule

24 l'Allemagne y était favorable et les pays membres de l'Union européenne ont

25 cédé sous la pression à Maastricht. Un autre point --

Page 32479

1 Q. Excusez-moi. J'ai peut-être mal compris votre réponse lorsque vous avez

2 dit que la moitié des membres de la Sanu y pris part et qu'il n'y avait pas

3 qu'une seule personne qui prenait des décisions. Il m'a semblé que vous

4 vous référiez au fait que des personnes autres que l'accusé prenaient des

5 décisions en Serbie et qui concernaient la Serbie. Je ne parlais pas de

6 d'autres pays ou de la communauté internationale.

7 Je vous demande qui d'autre que l'accusé prenait des décisions qui

8 concernaient la Serbie en 1991 ?

9 R. Monsieur, j'évoquais la situation générale qui prévalait, et je parlais

10 du débat qui était en cours et de la recherche des réponses pour remédier à

11 une situation critique dans laquelle s'est trouvé le peuple serbe. Je ne

12 vous ai pas parlé de la prise de décisions.

13 Malheureusement, à partir de 1991, les décisions ont dépendu en tout et

14 pour tout des facteurs extérieurs et non pas de la Serbie.

15 Q. Madame, quelqu'un pourtant prenait des décisions en Serbie. C'était cet

16 accusé, n'est-ce pas ?

17 R. Non, je vous en prie. Mais enfin de compte, à l'époque, nous avions

18 aussi un système plus réparti. Mous avions un gouvernement. Nous avions un

19 parlement. Dans les limites de ce contexte-là, ici ou là, il y a eu peut-

20 être quelques excès, mais n'oubliez pas que nous avons eu neuf fois des

21 élections pendant cette décennie. Tout le monde en avait ras-le-bol.

22 C'était une situation très difficile dans laquelle je peux l'affirmer en

23 toute certitude, M. Milosevic a toujours cherché à s'appuyer sur

24 l'assemblée.

25 Q. C'est lui qui prenait des décisions en dernière instance, n'est-ce pas

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1 ?

2 R. Encore une fois, les décisions. Quelles décisions ? Lui, en tant que

3 président avait des compétences pour prendre certaines décisions, de voir

4 ce qui était indispensable. Mais n'oubliez pas de vue que nous avions face

5 à nous des ultimatums. Nous étions placés sous des sanctions. Nous étions

6 isolés, coupés du monde. Notre survie même était menacée.

7 Q. Essayons de remonter un petit peu dans le temps. Nous allons avancer à

8 partir de l'année 1991. Dans ses questions, M. Kay partait de l'hypothèse

9 que la crise s'est déclanchée avec la sécession de la Slovénie et de la

10 Croatie. Est-ce que vous estimez que la crise a précédé ce moment-là ?

11 R. La crise s'est déclanchée avant, sans aucun doute, mais en 1991, les

12 attaques terroristes se sont intensifiées, et ceci a connu une escalade à

13 partir de ce moment-là.

14 Q. Si vous situez ce moment plus loin dans le temps, c'est à quel moment ?

15 R. Comme je vous l'ai déjà dit, c'est mon estimation libre en ma qualité

16 de professeur. Je me suis bien plus attachée à la politique extérieure qu'à

17 la politique intérieure, mais comme vous le savez vous-même, vous

18 connaissez aussi la maxime de Klausewitz, la politique étrangère est le

19 prolongement de la politique intérieure, telles sont les guerres. D'une

20 certaine façon, je m'intéressais à l'évolution de la situation, et j'avais

21 l'impression que la Yougoslavie allait de crise en crise.

22 Permettez-moi simplement de vous citer quelques points cruciaux. En 1945,

23 pendant la guerre nous avons eu une guerre de libération, et les

24 changements révolutionnaires, la nationalisation, les expropriations, des

25 changements profonds ne se sont produits qu'à ce moment-là, en 1945. Puis

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1 nous avons l'année 1948, il y a eu la rupture avec l'URSS.

2 Q. Je vous ai simplement demandé de nous citer des dates et de nous donner

3 votre opinion au sujet du début de la crise. Par la suite, nous verrons --

4 R. Mais ce que je suis en train de vous dire, la crise économique. Nous

5 avons connu des modifications incessantes du système économique qui

6 provoquaient des secousses, et l'architecte principal de ces modifications

7 était Kardelj, un Slovène, l'idéologue de notre pays dans la période de

8 l'après-guerre. Chacun de ces changements économiques provoquaient des

9 secousses dans le pays. Qui plus est, cela s'est accompagné de liquidation

10 d'un certain nombre d'hommes politiques.

11 Q. En 1948 ?

12 R. Oui, oui.

13 Q. -- et par la suite ?

14 R. Goli Otok, l'île, que voulez-vous que je vous dise ? Nous étions les

15 seuls en Europe à avoir un camp de concentration où 5 000 personnes ont

16 perdu leur vie. La deuxième étape, dans les années 1960s, nous avons connu

17 une transition pour adopter un système des économies nationales. La

18 décentralisation s'est poursuivie. Il y a eu, là encore, quelques

19 changements.

20 Un autre point, il faut savoir que nous avions un système -- un système qui

21 était à cheval entre deux systèmes, qui était différent du système adopté

22 par les pays socialistes. Il était presque celui d'une économie de marché.

23 Nous sommes passés à un système d'économie nationale, dans un contexte

24 d'intégration au sein de l'Europe. Il y a eu des secousses, il y a eu des

25 ruptures. C'était une continuité des crises.

Page 32482

1 L'évènement le plus grave -- le plus difficile, en 1974, l'adoption de la

2 nouvelle constitution. Au sein de ma faculté, nous y étions hostiles. Il y

3 a eu des expulsions, des renvois de personnes, des arrestations des

4 personnes qui se sont prononcées hostiles à cette constitution de 1974 car

5 elles ont estimé que cette constitution était profondément antiserbe.

6 Q. [aucune interprétation]

7 R. C'était en 1974.

8 Q. Puis-je vous interrompre dans votre présentation des dates, et ce,

9 uniquement pour préciser que vous avez été renvoyée du Parti communiste en

10 1970; est-ce bien exact ?

11 R. Non, c'est en 1952 que j'ai été renvoyée. Mais j'étais réadmise comme

12 membre, et c'est en 1970 que je suis partie de mon propre gré.

13 Q. [aucune interprétation]

14 R. C'est en janvier 1952 que j'ai été expulsée du Parti communiste. Au

15 bout d'un certain temps, cette décision avait été annulée et, si cela vous

16 intéresse, je vais vous préciser que c'était parce que j'avais voté contre

17 les décisions prises par le parti. Or, j'avais été admise au sein du parti

18 peu avant cela. Je veux aussi dire que la deuxième fois que j'ai été

19 expulsée, c'était en 1946, quelques mois plus tard. J'ai eu un parcours

20 très agité. C'était à la fin des années 50; en 1970, je suis sortie de la

21 Ligue des Communistes de mon plein gré.

22 Pour que vous ne vous trompiez pas, Monsieur, je tiens à vous dire que j'ai

23 été membre de la résistance clandestine. C'est en cette qualité que j'ai

24 participé à la Deuxième guerre mondiale.

25 Q. Nous avons entendu parler de votre livre : "Génocide à l'encontre des

Page 32483

1 Serbes de 1941 jusqu'en 1945."

2 R. Non, le titre n'est pas : "Génocide contre les Serbes." C'est :

3 "Génocide en ex-Yougoslavie." Car -- excusez-moi. Il ne s'est pas agi

4 uniquement d'un génocide perpétré à l'encontre des Serbes, et je ne me suis

5 pas contenté de décrire uniquement le génocide contre les Serbes. Il s'est

6 agi d'un génocide sur les Serbes, les Juifs et les Romes. Les Serbes ont

7 été certainement la victime la plus importante en nombre. Les avis des

8 théoriciens divergent là-dessus. Je me suis fondée sur les archives

9 allemandes Freiburg. Des Croates le contestent. Ils disent que le chiffre

10 n'est pas aussi élevé, mais laissons cela de côté complètement pour le

11 moment. Mais le plus grand nombre de victimes était des Serbes, les Juifs -

12 -

13 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous souhaitons avoir le titre exact

14 de ce livre.

15 M. NICE : [interprétation] Si j'ai bien compris, l'intitulé de l'un des

16 livres était : "Génocide contre les Serbes de 1941 à 1945 et de 1991 à

17 1992," mais le témoin précise autrement. Il faudra que je vérifie cela se

18 soir. Mais le témoin a sans doute raison.

19 LE TÉMOIN : [interprétation] Je vais vous faire cadeau d'un exemplaire de

20 ce livre, si je puis. Lorsque vous m'avez demandé quel était le sujet de

21 mon livre, mon livre qui portait sur le génocide, quelle est la période

22 concernée, j'ai dit c'était de 1941 à 1945, le génocide contre les Serbes.

23 Par la suite, j'ai examiné des mouvements illégaux, et le titre anglais de

24 mon livre est : "Genocide in Yugoslavia in the Light of International Law."

25 "Le génocide en Yougoslavie à la lumière du droit international."

Page 32484

1 M. NICE :

2 Q. Ter`s bien, mais je --

3 R. [aucune interprétation]

4 Q. Le feu maréchal Tito estimait qu'il était absolument impératif de ne

5 pas accepter le nationalisme au sein de la Yougoslavie, à la tête de

6 laquelle il s'est trouvé. Votre départ du Parti communiste, était-ce, d'une

7 manière quelconque, un reflet de vos positions nationalistes ?

8 R. Non.

9 Q. Très bien.

10 R. Non. Non, j'ai --

11 Q. Non, c'est tout ce que je voulais savoir.

12 R. Non.

13 Q. La constitution de 1974 -- l'évènement suivant. A votre avis, quel est

14 l'évènement suivant qui constitue réellement le début -- le déclenchement

15 de la crise qui intéresse cette Chambre ?

16 R. Le décès de Josip Broz a déclenché une crise à l'autorité publique, car

17 c'était un dictateur incontesté. On a transféré les attributions à une

18 entité collective. On avait, à partir de ce moment-là, un commandant

19 collectif, composé de plusieurs représentants, ce qui a suscité des

20 conflits car il y avait des différends entre les différentes républiques

21 qui étaient si évidents que cette instance collective ne pouvait pas

22 fonctionner, et il y a eu des problèmes qui se sont manifestés constamment.

23 La presse en parlait sans arrêt. Il y a eu cette vague --

24 Q. La mort de Tito en 1980 --

25 R. En 1980.

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1 Q. Quel est l'évènement suivant ?

2 R. C'est 1981, la révolte de la minorité Siptar au Kosovo. C'est ce qui a

3 constitué un soulèvement très grave, avec un bon nombre de participants,

4 avec un grand nombre de policiers décédés.

5 Q. Quand est-ce que cela s'est passé ?

6 R. En 1981. Cela s'est étiré jusqu'en 1990. Il y a eu bon nombre de

7 négociations qui se sont déroulés entre temps, entre les républiques.

8 C'était une situation des plus pénibles qui s'est achevée finalement par

9 cet échec, donc cette sécession.

10 Q. Je vous ai fourni l'opportunité de nous citer les évènements qui ont

11 causé ce qui s'est passé. Je viens de remarquer que vous n'avez pas

12 mentionné la suppression de l'autonomie au Kosovo. Maintenant, si l'on

13 procède à une rétrospective, dites-nous si la suppression de cette

14 autonomie a joué un rôle déterminant dans le développement de la crise ?

15 R. Vous êtes profondément dans l'erreur, Monsieur, si vous êtes convaincu

16 qu'il y ait eu suppression de cette autonomie en 1989, avec les amendements

17 adoptés à la constitution de la Serbie. Il a été supprimé seulement

18 certains éléments qui ont attribué au Kosovo un statut de para Etat. Or,

19 l'autonomie, en tant que telle, est restée. Ce que l'on a fait revenir,

20 cela a été le statut qui avait précédé l'adoption de la constitution de

21 1974. L'autonomie du Kosovo et du Vojvodina était restée intacte. Ce qui a

22 été supprimé, c'est ce qui leur a été conféré pour leur attribuer un statut

23 ou des éléments de la qualité de ce qui constitue un Etat. Ils ont, eux,

24 abusé de ces éléments, alors que la Vojvodina ne l'a pas fait.

25 Le Kosovo, en fait, a été peuplé en masse par des Albanais. De fait,

Page 32486

1 l'autonomie a été abusée, à tel point que les Albanais n'avaient besoin

2 d'aucune formalité pour ce qui est de l'accession à la citoyenneté. Ils

3 recevaient automatiquement, une fois arrivés, des cartes d'identité et

4 étaient considérés comme étant des citoyens de plein droit.

5 Q. Nous savons qu'il y a un débat au sujet du Kosovo, et mettons-le de

6 côté. Quelle est la situation qui a prévalu avec la Vojvodina ? Estimez-

7 vous que la réduction ou la suppression de l'autonomie de la Vojvodina --

8 et nous avons, à ce sujet, entendu bon nombre d'éléments de preuve dans le

9 courant du procès -- peut-être cela a-t-il contribué à la suite des

10 événements. Parce qu'avec le Kosovo, la Vojvodina a été ramenée sous le

11 giron de la Serbie pour devenir plus grande et plus consistante. Est-ce que

12 vous estimez que cela a influé sur les événements ?

13 R. Non.

14 Q. Pourquoi ?

15 R. Parce que cela a été utilisé à cette fin. Après le document de

16 Carrington, tout le monde a obtenu des ailes. Chacun voulait une

17 indépendance. Chacun voulait une sorte de fragmentation. C'est là que

18 réside le problème.

19 Q. Nous parlons d'une période qui précède de loin ce qui a fait l'objet du

20 document Carrington. Je voudrais que vous aidiez les Juges -- que vous

21 ayiez la bonté d'aider les Juges, ce qui avait été votre opinion de cette

22 révolution appelée la révolution yaourt -- du yaourt, et quelle est la

23 chose qui certifie que les gens ont été mobilisés dans l'armée pour donner

24 lieu à des manifestations à Novi Sad. Que pensez-vous de ces événements ?

25 R. L'armée aurait manifesté à Novi Sad, je n'en ai aucune idée. C'est la

Page 32487

1 première fois que j'entends parler de la chose. Je tiens à préciser que

2 j'ai souvent été là-bas. Mon époux venait de là-bas -- de cette région,

3 mais c'est la première fois que j'apprends que l'armée avait manifesté.

4 Q. [aucune interprétation]

5 R. Il y a eu des manifestations de citoyens, oui. Je dirais qu'il

6 s'agissait de manifestations qui allaient dans le sens de l'approbation des

7 amendements de 1989. Les Serbes ont manifesté leur volonté de faire établir

8 un statut qui était celui d'avant. Cela faisait mal aux Serbes.

9 Pourquoi, aux yeux des Serbes, fallait-il que les autonomies sur lesquelles

10 insistaient Tito et qui visaient à briser la Serbie pour rétablir

11 l'équilibre et pour réduire l'importance de la Serbie pour qu'il y ait

12 rétablissement d'un équilibre entre les différentes républiques, parce

13 qu'il y avait des différences de taille. La Serbie -- les Serbes posaient

14 la question de savoir pourquoi il n'y avait pas d'autonomie dans la

15 Krajina, alors qu'il y avait une communauté compacte, une communauté serbe.

16 Pourquoi n'y a-t-il pas d'autonomie pour la Slavonie, qui n'a jamais fait

17 partie de l'Autriche-Hongrie ? Les historiens vous expliqueront la chose

18 bien mieux que moi. Les Serbes se posaient la question de savoir pourquoi

19 des autonomies seulement en Serbie et non pas en Croatie aussi.

20 Q. Restons-en, si vous voulez bien, à la Vojvodina. Vous nous avez dit que

21 vous avez eu bon nombre de contact avec l'accusé, que vous l'avez bien

22 connu, et vous avez expliqué ce qui, à votre avis, était l'envergure de son

23 influence et de ses attributions. Estimez-vous qu'il avait, oui ou non, la

24 possibilité d'organiser les Serbes du Kosovo pour les envoyer en Vojvodina

25 afin qu'ils manifestent là-bas ? Avait-il cette possibilité-là ?

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1 R. Non. C'est exclu. C'est absolument rien que cela.

2 Q. Fort bien. Supposons maintenant, pour ce qui est de ce débat, si, à

3 l'époque, l'accusé n'avait pas organisé les gens pour les envoyer

4 manifester en grand nombre aux fins de réaliser certains objectifs

5 politiques à Vojvodina, qui est-ce qui avait organisé ces gens-là à cette

6 fin ? Pouvez-vous nous donner un nom ?

7 R. Je vous en prie. En Vojvodina, la majorité absolue revient aux Serbes.

8 Il y a eu, dernièrement, un recensement de la population à Vojvodina. Je ne

9 voudrais pas opérer avec des chiffres pour ne pas m'exposer au risque de me

10 tromper. Mais je crois que 80 % de la population à Vojvodina est une

11 population serbe. Vous avez très peu de Slovaques, de Rusines, de Roumains,

12 et la minorité hongroise est la plus nombreuse. Ils sont quelques 300 000

13 sur les deux millions et quelques habitants. Je ne voudrais pas donner de

14 chiffre erroné. Je n'ai pas cela sous la main. Je peux vous procurer les

15 renseignements statistiques, si cela vous intéresse, pour ce qui est de la

16 composition de la population.

17 Les gens de la Vojvodina ont protesté eux-mêmes. Ce n'était pas des

18 manifestations. C'étaient des gens qui étaient descendus dans la rue pour

19 manifester -- pour témoigner de leur soutien aux amendements de 1989. Ce

20 n'étaient pas des manifestations au vrai sens du terme.

21 Les manifestations se sont déroulées, elles, à Pristina contre ces

22 amendements. C'est là la différence.

23 Q. Allons de l'avant. Vous n'ignorez pas qu'au Kosovo il y a eu bon nombre

24 de problèmes découlant de la présence de l'Uceka, du terrorisme. Prenons en

25 considération vos connaissances et votre expérience pour nous dire quelle a

Page 32489

1 été la raison véritable de réduire ou d'éliminer l'autonomie à Vojvodina. Y

2 a-t-il eu une raison véritable ?

3 R. Oui, il y en avait. Il y avait une raison parce que leur statut était

4 identique. Vous ne pouvez pas modifier à l'intention des uns à leur statut

5 et ne pas modifier à l'intention des autres ce même statut.

6 Les amendements avaient visé à priver les provinces du droit de vote, pour

7 ce qui est d'entraver des modifications à adopter à la constitution de la

8 Yougoslavie, parce que nous avions souffert de ce paradoxe. La Serbie, tout

9 simplement par ces amendements, est devenue un Etat à part entière,

10 comportant en son sein deux provinces autonomes qui ont sauvegardé leur

11 autonomie du point de vue de leur parlement, de leur gouvernement, et ainsi

12 de suite.

13 Q. Qu'il y ait eu réduction ou élimination de cette autonomie, la Serbie,

14 partant de là, est redevenue un Etat unifié et a regagné l'envergure que

15 Tito avait redoutée. Il avait raison de redouter la taille de la Serbie,

16 n'est-ce pas, Madame ? Parce que cette taille, comme on a pu le voir,

17 visait à faire réaliser ses intérêts au détriment des intérêts des autres.

18 R. Monsieur, cette logique pourrait s'appliquer à l'Allemagne, à la

19 France, à la Grande Bretagne. Chaque pays comporte des minorités ethniques

20 en son sein. Mais pourquoi alors -- prenez, par exemple, le cas de la

21 Grande Bretagne et de l'Irlande du nord. Pourquoi ne pas en parler ? Il est

22 tout à fait logique que tout pays vise à sauvegarder son caractère compact.

23 Permettez-moi de me qualifier, moi-même, en tant qu'expert en matière de

24 droit international, quoique je n'aime pas me servir de ce terme. Un Etat a

25 activement l'obligation de maintenir l'ordre sur son propre territoire.

Page 32490

1 C'est son obligation découlant du droit international. Par voie de

2 conséquence, tout Etat a pour obligation d'avoir la puissance de contrôler

3 et de maintenir l'ordre établi sur son propre territoire. La Serbie n'avait

4 pas la possibilité de le faire. Elle a accédé à cette possibilité en

5 adoptant ces amendements.

6 Pourquoi se sont-ils autant opposés à l'autonomie de la Krajina, alors que

7 le peuple serbe l'avait sous l'Autriche-Hongrie et ne l'avait pas en

8 Yougoslavie ?

9 Q. Avant que de passer aux événements suivants, pour ce qui est de cet

10 extrait reprenant la chronologie des événements, vous avez dit, dans le

11 courant de votre témoignage, que l'accusé a servi d'une phrase, et je

12 paraphrase, bien entendu, disant que : "Tous les Serbes devaient vivre dans

13 un seul et même Etat". Dans quelles deux occasions l'avez-vous entendu dire

14 cette phrase ?

15 R. Je n'étais pas présente. J'ai lu cela dans la presse, et c'est un

16 renseignement que j'ai repris dans la presse, à l'occasion d'une réunion du

17 comité centrale. Je n'arrive plus à me remémorer la date exacte parce que

18 je n'ai pas estimé nécessaire de vérifier la date exacte. Il s'est fait

19 l'annonce de la dissolution de ce parti pour constituer des partis

20 communistes nationaux, ce qui est dépourvu de toute justification, étant

21 donné que l'on avait toujours parlé de l'internationalisme d'un part et de

22 création de partis nationaux d'autre part. C'est là qu'il y a

23 contradiction. Il a dit --

24 Q. Qu'est-ce qu'il a dit ?

25 R. Il a dit : "La Serbie ne serait admettre le démantèlement du pays, où

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1 le peuple serbe viendrait à être fragmenté." C'est ce qu'il a dit.

2 Par la suite, lorsqu'il y a eu une première attaque terroriste à l'encontre

3 des Serbes, quand je dis attaque et agression, j'entends attaque de groupe

4 à l'encontre de ces Serbes, il y a eu des expulsions en masse des Serbes

5 parce que, vers la fin de 1991, nous avions eu plus de 200 000 réfugiés en

6 provenance de Croatie. Lui, en s'adressant aux Serbes a dit que : "Nous

7 allions tout mettre en œuvre pour que vous restiez, pour ce votre vœu soit

8 exaucé, de rester dans un seul et même Etat," parce que cela avait été la

9 revendication de Pale en Bosnie, le revendication de la République de la

10 Krajina serbe. Avant même qu'il y ait proclamation, ils ont proclamé la

11 République Serbe de la Krajina au moment où ils ont vu et constaté que la

12 Serbie ne voulait pas proclamer la mise en œuvre où la mise en place d'un

13 territoire unifié.

14 Q. Ce terme de "Grande Serbie" a connu une évolution historique avec bon

15 nombre de conséquences sur le plan émotionnel que nous n'utiliserons pas

16 aujourd'hui. Cette idée des Serbes existant et vivant dans un seul et même

17 Etat, c'est une expression qui a été reprise par l'accusé, comme vous

18 l'avez décrit.

19 R. Je ne sais pas. J'ai suivi, mais je ne peux pas dire que j'ai suivi le

20 processus tout entier. Je n'arrive pas me remémorer le contexte dans lequel

21 M. Milosevic l'a dit. Je parle du contexte que j'ai connu, je parle du

22 contexte auquel j'ai pris personnellement part, et que j'ai vécu moi-même.

23 Vous avez tout à fait raison sur un point. Cette expression a une

24 connotation affective, mais cela a aussi une signification péjorative, qui

25 a été utilisée par notamment l'Autriche-Hongrie en 1914.

Page 32492

1 A chaque fois que l'on voulait laisser entendre que la Serbie avait fait

2 preuve de l'agressivité, on disait qu'elle visait à mettre en place une

3 Grande Serbie. Voyez-vous, Monsieur, la Serbie avait eu à deux reprises la

4 possibilité de venir véritablement grande; en 1916, lorsque les forces

5 alliées lui proposaient de renoncer à la Yougoslavie et d'avoir des

6 frontières qui englobaient la totalité de la Bosnie-Herzégovine et une

7 partie de la Slavonie. La Serbie a rejeté cela pour procéder à une

8 unification des Slaves du sud, et elle voulait répondre aux revendications

9 de l'intelligentsia croate et dalmate qui voulait se débarrasser de la

10 domination austro-hongroise à l'époque.

11 Q. Juste un moment. Je voudrais revenir à la chronologie des évènements

12 dans quelques instants, mais avant que de le faire, il serait peut-être

13 utile de nous aider sur ce point. Vous avez mentionné l'Irlande et la

14 Grande-Bretagne. Il y a un grand nombre d'Irlandais qui vive en Angleterre.

15 Ils sont très nombreux. Egalement, ils vivent en Amérique. Dans chacun de

16 ces pays, ils sont résidents de ce pays. Dans bon nombre de pays, il y a

17 des gens originaires des pays voisins. Des fois, ils sont par groupes de

18 5 000, et il y a quelque 200 pays dans le monde. Je ne sais pas trop.

19 Ce que je voudrais, c'est vous poser la question -- mais sans vous

20 offenser, Professeur Avramov -- qu'a-t-il de si, particulier au sujet des

21 Serbes, afin qu'ils doivent se voir permettre de vivre dans un Etat

22 nonobstant les intérêts des autres ? Pouvez-vous nous aider à ce sujet ?

23 R. Les Serbes n'ont jamais négligé les intérêts des autres états, mais

24 c'est le droit naturel de tous les peuples. Regardez cette Grande

25 Allemagne. La réunification de l'Allemagne est une rectificative d'une

Page 32493

1 erreur historique parce que l'Allemagne a été battue dans deux guerres

2 mondiales. Pourquoi cela serait-il un pêché si terrible pour la Serbie qui

3 s'est battue pour la création de cette nouvelle Europe, qui a sacrifié un

4 tiers de sa propre population pour l'établissement de l'ordre européen tel

5 qu'il a été mis en place ? Regardez, les Chinois veulent que Taiwan fasse

6 partie intégrante de leur pays, sans parler de toute une autre série

7 d'exemples.

8 Q. Professeur, je vais revenir sur la question. La question que j'ai

9 posée, c'était celle de savoir qu'a-t-il de si particulier au niveau des

10 Serbes pour leur permettre ? Vous venez de citer l'exemple de l'Allemagne,

11 mais je dois vous poser la question suivante. Est-ce que la réunification

12 de l'Allemagne a impliqué des mouvements ethniques en masse et des

13 nettoyages ethniques des minorités qui se sont trouvées ne pas être

14 allemandes, et ce sont trouvées sur le territoire de cette Allemagne

15 réunifiée ?

16 R. Il y a en a eu, mais il en a peu été question. Je vais vous dire en

17 même temps qu'il n'y a pas eu de déplacements de la population à partir de

18 la Serbie.

19 Je tiens à vous citer un autre exemple. En Hongrie en 1918, il vivait 250

20 000 Serbes. Il y en a que 5 000 de nos jours. Ils ont été en partie

21 assimilés, en partie déplacés ailleurs. Je tiens à dire que la Serbie est

22 le seul pays de l'Europe où les minorités nationales ont connu un véritable

23 épanouissement, et je voudrais parler de la continuité des souffrances du

24 peuple serbe dans le courant des cent années écoulées. C'est là l'un des

25 éléments en raison desquelles les Serbes ont estimé qu'ils avaient le droit

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1 légitime de procéder ainsi, et que c'était la seule façon légitime de se

2 protéger. Monsieur, il faut que vous sachiez que les Serbes ont grandement

3 souffert de part le passé.

4 Q. Merci. Y a-t-il une autre raison, mis à part le fait que les Serbes

5 étaient historiquement parlant des victimes, qui justifierait la poursuite

6 de la réalisation de cette idée indépendamment du préjudice que cela

7 porterait à d'autres Etats ? Pour ce qui est de résider dans un seul et

8 même Etat ?

9 R. Je ne vois aucune raison. Si en 1915, les forces de l'Entente ont

10 accepté l'unification du peuple serbe en tant qu'objectif de guerre, les

11 forces alliées ont accepté cet objectif comme étant un objectif de la

12 guerre. Cela était l'idée qui avait animé le peuple serbe dans la lutte

13 qu'il a conduite. Je ne voix pas quel est le péril que cela pourrait

14 constituer. Quelle est la population qui a souffert sous la botte de

15 l'occupation serbe ? Aucune. Je puis vous l'affirmer en toute assurance.

16 Q. Aux fins de déterminer ce qui s'est passé et s'il y a eu commission de

17 crimes, qui en est responsable, ceci fera l'objet de décision de la part

18 des Juges. Vous avez exprimé certaines de vos vues, et à ce sujet je

19 voudrais vous poser la question suivante : A votre avis, la protection des

20 Serbes à l'égard des souffrances auxquelles ils pouvaient être exposés,

21 constitue-t-elle une priorité qui justifierait de tuer des gens, de

22 déplacer des gens de territoire que les Serbes voulaient, où les Serbes

23 voulaient assumer leur contrôle ? Est-ce là votre opinion ?

24 R. Du temps de l'existence de la République de la Krajina serbe, il est

25 resté à Knin un très grand nombre de Croates, alors que Knin a toujours

Page 32495

1 majoritairement été une ville serbe. Il est resté là-bas un grand nombre de

2 Croates et il ne leur a pas manqué un cheveu de la tête. Ils sont restés

3 là-bas jusqu'à la fin de la guerre.

4 C'est la partie adverse. Une fois que la guerre éclate, je tiens à vous le

5 dire, je suis un militant contre la guerre, et j'ai pris part à bon nombre

6 d'organisations pacifiques, mais lorsqu'il y a une tragédie de cette nature

7 qui arrive et, lorsque notre crise elle s'est déplacée vers cette triste

8 guerre, je tiens à dire que la guerre a une logique très triste, à savoir,

9 tue pour ne pas être tuer.

10 Vous êtes juriste, et je suis juriste moi-même. Nous avons lu bon nombre de

11 textes à ce sujet. J'ai vaqué à l'étude de ces questions lorsque j'ai

12 rédigé ce livre au sujet du génocide, cet esprit collectif qui s'installe

13 au niveau d'un peuple en péril, ou si vous vous penchez sur le fait de voir

14 votre famille tuée, il ne vous reste que de penser à la vengeance. Ce sont

15 des choses terribles. Je n'ai jamais affirmé qu'il n'y ait pas eu de

16 crimes. Non. Au contraire, Monsieur. Il y a eu des crimes de commis.

17 M. NICE : [interprétation] J'aimerais que nous nous penchions sur une pièce

18 à conviction.

19 Monsieur le Président, nous sommes en train de nous demander de quelle

20 façon il conviendrait de présenter de la façon la plus efficace les

21 documents dans le courant de la présentation des éléments à décharge.

22 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, allez-y.

23 M. NICE : [interprétation]

24 Q. Madame le Professeur, ceci est un article dont vous êtes l'auteur.

25 J'aimerais qu'il soit distribué à toutes les parties en présence et je vous

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1 donnerai quelques instants pour que vous vous remémoriez l'article en

2 question pour que vous puissiez nous confirmer si vous en êtes bien

3 l'auteur et quand est-ce que vous l'avez rédigé. Vous nous parlez dans cet

4 article : "Les Modèles de la Serbité," et il y a une date qui est celle du

5 23 août 1996, à Belgrade. Vous souvenez-vous d'avoir rédigé cet article ?

6 R. Je n'ai jamais rédigé un article sous ce titre-là. Jamais.

7 Pas du tout. Je voudrais quand même pouvoir le lire. D'après ce que je vois

8 au niveau des phrases dans l'introduction, ce ne sont pas des phrases de

9 moi.

10 Q. Je vais revenir sur cet article, si besoin, demain.

11 R. Oui, j'aimerais beaucoup savoir où est-ce que ceci a été publié.

12 Q. Absolument. Nous y reviendrons demain.

13 R. Je voudrais savoir où ceci était publié.

14 Q. Auriez-vous l'amabilité, aux fins de gagner du temps, étant donné que

15 nous nous rapprochons de l'heure où nous mettons un terme à nos travaux,

16 j'aimerais que vous vous penchiez rapidement sur la fin du cinquième

17 paragraphe, en page 1.

18 R. Pas d'article sous cet intitulé.

19 Q. Nous arrivons à un paragraphe où l'on exprime partiellement vos

20 opinions au sujet de ce Tribunal et au sujet de deux autres individus. Vous

21 dites : "J'ai suivi depuis le tout début les activités de cette

22 institution. J'évite de me servir du terme d'établissement judiciaire,

23 parce qu'établissement judiciaire est quelque chose de tout à fait autre.

24 J'ai été choqué par le fait de voir que son activité s'est déroulée à

25 partir de positions notamment anti-Serbes."

Page 32497

1 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice, je crois que le

2 témoin a dit que ce n'était pas un article émanant d'elle.

3 LE TÉMOIN : [interprétation] Si vous me le permettez, je n'ai jamais rédigé

4 d'articles sous cet intitulé-là. Ce passage ressemble à un passage que j'ai

5 rédigé dans un article.

6 Je vais vous dire, Monsieur, de quoi il en retourne : J'ai assisté --

7 laissez-moi vous expliquer. Je suis très critique à l'égard de ce Tribunal-

8 ci en effet. J'ai estimé qu'il était de mon devoir de venir témoigner ici,

9 afin que l'on parvienne à la vérité des choses. J'ai été présente,

10 Monsieur, à l'occasion de la tenue de la conférence préparatoire à la

11 création de ce Tribunal, conférence organisée par les Nations Unies qui

12 s'est tenue à Vancouver et ceci sur la base de la présence d'experts et il

13 a été présent quelques 87 experts.

14 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Professeur, je vous demande de

15 répondre aux questions posées par le bureau du Procureur.

16 M. NICE : [interprétation]

17 Q. Je n'ai pas demandé à ce qu'il soit donné lecture de ce passage pour

18 que l'on entende votre opinion au sujet de ce Tribunal, je voulais que nous

19 constations si cet article émanait de vous ou pas.

20 Ce qui nos intéresse c'est ce qui suit : "On est passé outre le crime le

21 plus grave primaire, commis par les Croates et les Musulmans, et d'où a

22 résulté l'effusion de sang. Je me suis sentie choquer en ma qualité de

23 ressortissant du peuple serbe, notamment lorsqu'un acte d'accusation a été

24 dressé à l'encontre du président Karadzic et du général Mladic, les figures

25 les plus éminentes de l'histoire serbe récente."

Page 32498

1 Vous nous avez déjà parlé du point de vue favorable que vous aviez à

2 l'égard de Radovan Karadzic. Cet article-ci qui a été rédigé un an et un

3 mois après Srebrenica, exprime vos points de vue au sujet du général

4 Mladic. Avez-vous toujours ce même point de vue ?

5 R. Pour ce qui est du général Mladic, que j'ai rencontré à plusieurs

6 reprises, mon opinion est des plus élevées, ou des plus éminentes pour sa

7 qualité de soldat. J'ai connaissance de faits héroïques où il a sauvé des

8 Musulmans, des civils aussi bien Serbes que Musulmans. Je sais qu'il a été

9 à un carrefour lorsqu'il s'est trouvé dans la Krajina serbe en qualité de

10 commandant. Il a été transféré vers la Republika Srpska. Ce que je sais

11 aussi c'est qu'à l'académie militaire, il se trouvait, lit à côté de lit,

12 son lit se trouvait à côté de celui d'un Croate et, lorsqu'il a appris que

13 son collègue avec qui il était en très, très bon terme dans le courant des

14 études, lorsqu'il a appris que ce collègue est passé du côté de l'armée

15 croate et a commis des crimes graves de guerre à Ogulin, je sais que cela a

16 constitué pour lui une espèce de bouleversement pour ce qui est de

17 l'attitude qui était la sienne à l'égard de la fraternité de l'unité.

18 Je sais que c'est ce qui l'a incité à passer dans les rangs de l'armée

19 serbe, et qui plus est, à se mettre à la tête de l'armée serbe. C'est ce

20 que je sais vous dire au sujet du général Mladic.

21 Q. Madame, je vous ai posé ces questions car je voulais revenir à la

22 question que je vous ai posée au début de la lecture de ce bref passage.

23 Est-ce que vous considérez que les crimes commis, ou les meurtres commis

24 dans les intérêts des Serbes, ont tous été justifiés pour des raisons que

25 vous avez identifié, à savoir, la peur des Serbes de devenir victimes une

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1 deuxième fois ?

2 R. Les Serbes avaient une peur énorme de la répétition du génocide de

3 1941, et cette peur a certainement provoqué toute une série de crimes,

4 d'actes de vengeance, si vous voulez. Je condamne chaque crime et il n'y a

5 pas de justification pour quelques crimes que ce soit quel que soit son

6 auteur.

7 Cependant, je vous répète que même pour ces crimes -- et je fais des

8 analyses comparatives des crimes commis en Asie en Amérique et dans

9 d'autres guerres dans l'histoire jusqu'à nos jours -- que chaque crime et

10 chaque guerre doit être placé dans un contexte historique pour comprendre

11 ce qui s'est réellement passé et pour rendre son jugement au sujet de cela.

12 En ce qui concerne ce Tribunal, je répète que j'ai tenu un discours lors de

13 cette conférence préliminaire. Aucun des experts n'était pour la

14 constitution de ce Tribunal et, moi-même, j'étais contre cela, et j'ai

15 écrit des articles.

16 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous n'avons pas besoin de tous ces

17 faits.

18 Nous pouvons cependant travailler jusqu'à deux heures de l'après-midi.

19 M. NICE : [interprétation]

20 Q. Je souhaite passer à autre chose, maintenant, et vous poser une

21 question concernant un autre événement : est-ce que vous vous souvenez de

22 la manière dont, suite aux grèves des mineurs au Kosovo, des manifestations

23 énormes ont été organisées dans les rues de Belgrade.

24 R. Je ne me souviens pas. Je ne suis pas tout à fait sûre si j'étais à

25 Belgrade à l'époque. Peut-être. Je ne suis pas tout à fait sûr, mais, en ce

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1 qui concerne les manifestations, il y en a eu à Belgrade. Mais quant à la

2 date exacte et aux manifestations exactes dont vous parlez, je ne sais pas

3 de quelles manifestations vous parlez car il n'y avait plusieurs

4 manifestations, beaucoup de manifestations. Il y a même eu des victimes. Il

5 y a eu des personnes qui sont mortes lors des manifestations, notamment, la

6 manifestation du 9 mars, mais je ne vois pas de quelles manifestations vous

7 parlez. Vous savez, je ne suis pas quelqu'un qui participe aux

8 manifestations. Vous savez, lorsque j'étais étudiante avant la Deuxième

9 guerre mondiale, là, je participais aux manifestations.

10 Q. Très bien. Lors de ces manifestations, le président à l'époque, M.

11 Dizdarevic, ne pouvait pas calmer les gens dans la rue même s'il faisait

12 appel à la fraternité et à l'unité et, à la suite de cela, il a eu recours

13 aux mesures d'urgence. A ce moment-là, pour la première fois, c'est

14 l'accusé qui a pu contrôler la situation par le biais de l'armée, et il a

15 placé, à ce moment-là, la JNA, l'armée au service de ses propres intérêts

16 sur le territoire de la Serbie. Est-ce que vous vous en souvenez ?

17 R. Je n'ai pas participé à cela, donc je ne sais pas si vraiment cela

18 aurai été ordonné par M. Milosevic ou par quelqu'un d'autre. Je ne peux pas

19 déposer à ce sujet car je n'ai pas d'informations de première main, et je

20 n'y ai pas assisté. Peut-être il l'a fait, peut-être non. Je ne sais pas.

21 Je ne suis pas suffisamment informé à ce sujet.

22 Q. Deux choses, Madame, s'il vous plaît. Car nous devrons nous pencher,

23 notamment, sur la manière dont ces événements se sont déroulés, sur la

24 suite de ces événements, est-ce que vous considérez qu'à l'époque de la

25 grève des mineurs, l'accusé avait des pouvoirs spéciaux, lui permettant de

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1 venir au Kosovo avec l'armée -- de faire venir l'armée au Kosovo ? Est-ce

2 que vous pensez qu'à l'époque, l'accusé avait la possibilité d'organiser

3 des manifestations dans les rues afin de soutenir ses objectifs ?

4 R. M. Milosevic n'avait pas besoin de cela car les gens en Serbie étaient

5 révoltés, donc cela c'est un premier point.

6 Deuxième point, les manifestations les plus importantes ont été lancées par

7 les partis d'opposition et non pas le parti qui gouvernait à l'époque. Je

8 répète qu'à l'époque, je voyageais beaucoup et je crois que j'étais à

9 l'étranger, mais je pense que je n'étais pas à Belgrade au moment de cet

10 événement. Mais, de toute façon, votre question et votre observation ont

11 été très généralisées.

12 Q. Voici ma question suivante concernant ces mêmes manifestations. Est-ce

13 que -- lorsque l'accusé s'est adressé à la foule, il a dit quelque chose

14 allant dans le sens : "Qu'aucune force sur cette terre ne pouvait arrêter

15 le peuple serbe." Est-ce que vous êtes d'accord pour dire que c'est ce

16 qu'il se pensait à l'époque ?

17 R. Je ne peux pas dire cela. Je ne peux ni confirmer, ni infirmer cela. Je

18 ne l'ai pas entendu dire cela.

19 Q. Mais, si l'on dit quelque chose comme cela, et nous allons nous pencher

20 là-dessus demain si possible, et si je ne peux pas corroborer cela, je vais

21 retirer cette question. Est-ce que vous considérez que, si quelqu'un dit

22 quelque chose comme cela, il fait preuve d'un nationalisme ?

23 R. Je ne sais pas de quel contexte vous parlez. Lorsque vous parlez des

24 manifestations, vous avez parlé d'une grève des mineurs, mais vous parlez

25 de la mine de la Kolubra ou de Kosovo; de quelle grève parlez-vous ?

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1 Q. De Kosovo.

2 R. De Kosovo. C'était un coup monté. Il s'agissait d'une pièce de théâtre

3 dont le but était de présenter les difficultés dans lesquelles vivaient les

4 mineurs devant les représentants de l'Union européenne ou de la Communauté

5 européenne, qui s'était rendu à l'époque dans la région. Je ne me souviens

6 pas de leur nom, mais je me souviens avec certitude que c'était un coup

7 monté, qui visait à faire croire que la population albanaise était victime.

8 Bien sûr, il y a eu des victimes albanaises également, mais il ne faut pas

9 oublier, par exemple, un crime atroce qui a été commis. Par exemple,

10 l'affaire Martinovic, qui était empalé sur une bouteille ou un autre qui a

11 été tué devant sa mère, tous les crimes sont condamnables, et je condamne

12 chaque crime, qu'ils s'agissent des crimes serbes ou albanais, mais il y en

13 a eu de ces crimes-là.

14 Q. Je vais entamer un autre sujet et je vais essayer de terminer pour ce

15 qui est de ce sujet avant la fin de l'audience de ce matin.

16 Il existait une revue qui a été publiée pendant quelques années en 1991, ce

17 qui a été publié de nouveau par la suite, mais est-ce qu'il s'agissait là

18 d'une revue du parti de l'accusé, SPS ?

19 R. Je n'ai pas pu lire tous les journaux car, tout simplement,

20 pratiquement, ceci n'était pas possible. Je n'étais jamais membre du SPS,

21 et je n'étais pas au courant de leurs activités. Je n'ai pas été abonnée à

22 de nombreux journaux professionnels ou autres.

23 Q. La revue ou le journal dont j'ai parlé tout à l'heure, s'appelle Epoka;

24 est-ce qu'il était un journal du SPS ? Nous aurons l'original ici demain.

25 R. Probablement, oui. Je ne sais pas. Vous savez simplement, je ne sais

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1 pas. Je répète. Je ne lisais pas le journal Epoka, par exemple, je ne le

2 lisais pas. Je n'y étais pas abonnée, tout comme je ne lisais pas Vreme.

3 Vous savez, il y a des centaines de journaux qui sont publiés à Belgrade.

4 Q. Dites-nous, s'il vous plaît, quelque chose au sujet de l'initiative de

5 Belgrade ? Que savez-vous au sujet de cela ? Quel était ce plan ?

6 R. C'était le plan dont je vous ai parlé. J'ai parlé de plusieurs

7 variantes de ce plan. C'était cela l'initiative de Belgrade. J'ai parlé de

8 deux ou trois variantes. Il s'agissait d'une réunion avec les représentants

9 de la Krajina et de la Républika Srpska, qui n'avait pas encore été

10 proclamée dans la but de trouver une solution à la question serbe en

11 Croatie et en Bosnie, car la question serbe est ressortie de manière

12 automatique au moment où l'on avait créé des Etats ethniquement pur avec

13 l'accord de la Communauté européenne.

14 Q. J'ai oublié quelle était la cote de ce document. Vous avez parlé de la

15 variante 1 et 2, mais je n'ai pas compris quelque chose au moment de votre

16 lecture. Peut-être il s'agissait d'une question de traduction, mais est-ce

17 que ces variantes impliquaient des larges transfères de population ?

18 R. Non, pas du tout. Il n'y avait aucun transfère de population de prévu.

19 J'ai parlé simplement des manières dont il était possible de résoudre les

20 problèmes dans les parties où les Serbes étaient majoritaires. Justement,

21 c'était cela la proposition et c'était cela, également, l'objet de notre

22 différend. Car il y avait l'idée de créer une sorte de condominium, car il

23 faut savoir qu'il y avait beaucoup de mariages mixtes, il y avait beaucoup

24 de liens, donc cela aurait été la meilleure solution. Il ne faut pas

25 oublier qu'avec toute la décentralisation, et tout ce qui se passait sur le

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1 plan économique, il y avait énormément de liens, donc les conséquences de

2 la rupture allaient retentir partout en ex-Yougoslavie.

3 M. NICE : [interprétation] Je vais avoir besoin de faire référence à

4 certaines pièces à conviction pour les questions suivantes. Mais peut-être

5 il faut mieux faire cela avec l'original du journal demain ?

6 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Oui, Monsieur Nice. Nous allons

7 lever l'audience en ce qui concerne la journée d'aujourd'hui, mais, avant

8 cela, Monsieur Milosevic, je prends cette occasion pour vous rappeler que,

9 d'après l'ordonnance de la Chambre, vous pouvez contacter le conseil afin

10 de lui donner vos instructions, et nous vous encourageons à ce faire.

11 Oui, Monsieur Milosevic ?

12 L'ACCUSÉ : [interprétation] Monsieur Robinson, je vous ai déjà dit qu'il

13 s'agit ici d'une question de principe, et que je n'accepte pas que l'on

14 viole mon droit à ma propre défense, ou que l'on diminue ce droit de

15 quelque manière que ce soit. Je n'ai rien à faire avec ce conseil. Il ne me

16 représente pas. Il vous représente, vous. Il n'a rien avoir avec ma

17 défense.

18 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Merci, Monsieur Milosevic. Nous

19 avons entendu cela.

20 Madame la Professeur, nous allons lever l'audience, et nous allons

21 reprendre nos travaux demain à 9 heures.

22 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas si vous savez que je dois

23 partir demain. Je ne sais pas très exactement à quelle heure je vole. Je

24 pense que c'est vers 2 heures ou 3 heures de l'après-midi.

25 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Je pense que nous aurons terminé

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1 avant cela.

2 LE TÉMOIN : [interprétation] Je pense que l'avion part vers 2 heures ou 3

3 heures, et je crois que je dois quitter La Haye vers 1 heure pour arriver à

4 temps à l'aéroport.

5 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Monsieur Nice prendra -- tiendra

6 compte de cela.

7 LE TÉMOIN : [interprétation] Je ne sais pas si nous allons commencer à 9

8 heures 30 ?

9 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Non, à 9 heures.

10 LE TÉMOIN : [interprétation] Donc à 9 heures. Nous pouvons travailler

11 jusqu'à 11 heures 30, peut-être ?

12 M. LE JUGE ROBINSON : [interprétation] Nous allons lever l'audience

13 maintenant.

14 --- L'audience est levée à 14 heures 00 et reprendra le mercredi 8

15 septembre 2004, à 9 heures.

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